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2010

Sophie Delmas, Un franciscain à Paris au milieu du XIIIe siècle. Le maître en théologie Eustache d’Arras

Lydwine Scordia
Référence(s) :

Sophie Delmas, Un franciscain à Paris au milieu du XIIIe siècle. Le maître en théologie Eustache d’Arras, Paris, Cerf, 2010, 471p.

ISBN 978-2-204-08912-8.

Texte intégral

1Eustache d’Arras n’a pas la notoriété de Bonaventure ou Pierre de Jean Olivi ; ce maître régent franciscain était pratiquement inconnu jusqu’à la biographie intellectuelle que nous donne Sophie Delmas. Les grands noms du XIIIe siècle l’avaient dissimulé ; la recherche l’avait négligé (inutile de l’étudier, avait écrit Gilson en 1922). Excellente paléographe et latiniste, S. D. nous fait découvrir l’itinéraire du franciscain et sa participation aux débats du temps, ceux de la décennie 1260, celle qui précède les années 1270 bien connues à cause des condamnations de 1270 et 1277.

2La biographie intellectuelle d’Eustache est rendue possible par l’analyse des sources manuscrites (l’auteure annonce l’édition des questions disputées et quodlibétiques chez Brepols) : commentaire des Sentences (une partie du livre I) ; 40 sermons parvenus sous forme de reportations ; 100 questions disputées ; 3 séances quodlibétiques. Un corpus dont les contenus sont exploités avec une grande dextérité par l’historienne.

3Le livre de S. D. est à l’opposé d’une histoire des idées décrochée du contexte : la bonne maîtrise des débats théologiques et philosophiques, clairement rappelés sans lourdeur, permet de tisser la vie d’un maître franciscain dans les années 1266-1270. L’ensemble est organisé en onze chapitres : l’itinéraire du franciscain Eustache d’Arras, ch. 1-3 ; la participation du maître aux débats philosophiques et théologiques de la décennie 1260, ch. 4-8 ; ses relations avec la cour de Louis IX et sa postérité, ch. 9-10.

4On sait peu de choses sur la vie même d’Eustache d’Arras / Eustache Buisine, mais son œuvre nous donne à voir et comprendre quelles étaient les questions débattues par l’université : les raisons séminales, l’ordre de la charité (De ordine caritatis), les facultés et puissances de l’âme (96-101), l’inégalité des âmes (102-113), la migration des âmes (146-149), la Création, est-elle l’apanage de Dieu seul ? (150-164), la vision béatifique (187-204), la Trinité, la connaissance angélique (114-125), le mystère eucharistique (168-171), la question du filioque (173-186), l’Assomption de la Vierge (205-211), la prédication féminine envisagée (233-239), la communion sous les deux espèces, à laquelle Eustache reste favorable (243-248), la confession où le pécheur « vomit » ses péchés (250-254), le rôle  des images (157-160)…

5L’historienne fait l’historique de ces débats philosophiques, théologiques et sacramentels, évoque tour à tour les positions des plus grands théologiens, ce qui permet de mesurer, selon les cas, l’alignement d’Eustache ou sa spécificité (voir la typologie des réponses, traduites du latin, d’Eustache, 81-84).

6Lecteur de Bonaventure et Thomas d’Aquin (du Commentaire des Sentences mais pas de la Somme théologique), Eustache prend position, relève les erreurs et les stupidités de maîtres éminents (ne traite-t-il pas Thomas d’Aquin de stultus ?). Les clivages philosophes / théologiens, séculiers / Mendiants et Mendiants / Mendiants (peu de choses sur la pauvreté) ne sont d’ailleurs pas systématiques, même si Eustache se méfie des philosophantes. Les débats souvent vifs reflètent le contexte, les personnalités et les centres d’intérêt du milieu du XIIIe siècle. Le franciscain récapitule, relaye et infléchit les positions (le cas de l’Assomption de la Vierge, corps et âme, est particulièrement intéressant, 205-211).

7Eustache d’Arras a prononcé trois sermons devant le roi, assez peu politiques : la politique lui sert de métaphore (justice ou rachat des captifs) pour parler des choses spirituelles (Christ-roi ou rachat des péchés). Les notions spirituelles de paix et de concorde l’intéressent plus que le bien commun. Qu’en est-il des thèmes de l’honneur et de l’amitié dus au roi ? Pierre et Paul étaient les amis de Jésus ; c’est un grand honneur d’être proche d’un grand prince, dit Eustache, qui engage à être les amis du roi pour pouvoir circuler en sécurité dans les rues de Paris parmi les bourgeois (278) – le rapprochement est curieux : de quels amis s’agit-il ? des pauvres miséreux ?

8On connaît l’extrême générosité et tendresse de Louis IX pour les pauvres malheureux. Et Eustache appartient à l’entourage du roi croisé, grand dispensateur d’aumônes (voir le récent livre de Priscille Aladjidi, Le roi père des pauvres, France XIIIe-XVe siècles, 2009). Ce dernier l’enverra en mission à Viterbe en 1270, pour mettre fin à la longue vacance du siège pontifical depuis la mort de Clément IV et contribuer au rapprochement avec l’église grecque.

9Elève de Guibert de Tournai, maître de Matthieu d’Aquasparta, Eustache a côtoyé la famille royale, la curie pontificale et les intellectuels de son temps. Ses œuvres ont été lues et annotées (11ème et dernier ch. : « Eustache après Eustache ») : Godefroid de Fontaines a résumé les sermons du maître d’Arras (Paris, BnF, lat. 16515). Le livre de S. D. nous aide à comprendre les débats, à connaître ce milieu si spécifique et à lui donner vie.

10L’auteure donne en annexe le catalogue des œuvres datées (347-404) : une partie du commentaire des Sentences (livre I, distinctions 1 à 9 – sur les 48, mais qui couvrent 138 folios), questions disputées et quodlibétiques, sermons (intitulés des questions et subdivisions des sermons).

11On terminera ce compte rendu par la belle histoire qu’Eustache raconte sous forme d’un exemplum, celui d’un moine qui se croyait sage (il s’agit d’Eustache) mais qui peine à trouver ce que lui demande un bel enfant (Jésus – si beau que lorsque le sage moine y repense, sa joie le fait éclater de rire…), alors qu’un moine simplet y parvient sans difficulté. La sagesse n’est pas où l’on croit, c’est l’humble message que délivre le maître franciscain Eustache d’Arras.

12Un franciscain à Paris au milieu du XIIIe siècle est enfin pourvu d’une belle préface de Nicole Bériou.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lydwine Scordia, « Sophie Delmas, Un franciscain à Paris au milieu du XIIIe siècle. Le maître en théologie Eustache d’Arras »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 06 juillet 2010, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11947 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11947

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