Frédéric Morvan, La chevalerie bretonne et la formation de l’armée ducale, 1260-1341
Frédéric Morvan, La chevalerie bretonne et la formation de l’armée ducale, 1260-1341, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 293p. + CD-ROM
ISBN 978-2-7535-0827.
Texte intégral
1La publication aux P.U.R. de la thèse de doctorat soutenue par Frédéric Morvan, sous la direction de Bertrand Schnerb, en janvier 2007 à l’Université de Lille III, vient compléter utilement les résultats de la recherche sur les XIIIe et XIVe siècles du duché de Bretagne.
2L’auteur propose une étude de l’ost ducale de Bretagne sur une période d’un peu moins d’un siècle. Il entend traiter des chevaliers que le duc de Bretagne réunit ponctuellement, ainsi que leurs suites, dans le cadre des obligations féodales qui lui sont dues par ses vassaux. L’ouvrage de FM donne donc à voir, rassemblée pour la guerre, une multitude de personnages : seigneurs, guerriers, religieux ou encore dames, qui tous forment l’élite féodale du duché de Bretagne. Il propose ainsi une contribution intéressante et riche de notices précises à l’histoire sociale du duché, éclairant une catégorie sociale et politique déterminante pour la compréhension des rapports de force propres au duché de Bretagne. Cette contribution participe d’une histoire du pouvoir ducal dans le duché de Bretagne en insistant sur la composante féodale de ce pouvoir et en s’attaquant à une période charnière finalement mal connue.
3Le livre compte quatre chapitres. Après une brève introduction, consacrée à la définition de ce que l’expression de « chevalerie bretonne » recouvre, l’auteur propose un premier chapitre consacré aux « Instruments d’encadrement ». Dans ce chapitre, FM présente tout ce qui, selon lui, concourt à l’existence de l’ost ducale, c’est-à-dire : « la terre », « la pierre », « l’argent », ainsi les hommes d’armes vus comme des agents ducaux. Il souligne l’importance du domaine ducal comme source de puissance. A l’accroissement du domaine ducal correspond l’accroissement du nombre de vassaux et donc celui de la capacité militaire théorique des ducs de Bretagne.
4Le chapitre II est consacré à l’ost elle-même. Il s’agit avant tout d’une étude d’un document en particulier, à savoir le dénombrement de 1294, le Livre des Ostz ; il en est proposé une édition et un fac-similé. A partir de ce document, l’auteur tente un calcul du nombre de chevaliers au service des ducs de Bretagne. Il arrive au nombre d’environ 2500 hommes au total dont 400 chevaliers, total qu’il considère comme considérable pour l’époque. Il démontre ainsi ce qu’il annonçait en introduction : l’armée du duc de Bretagne est une des plus importantes armées d’Occident.
5Fort de ce dernier constat, l’auteur consacre le chapitre III aux engagements militaires de l’ost. Il distingue trois grandes phases : les règnes de Jean Ier (1260-1286), de Jean II (1286-1305) et enfin de Jean III (1315-1341). Si cette périodisation est un peu large, elle a le mérite de considérer de plus près le rôle de la personne du duc dans les usages de l’ost de Bretagne, qui, en fait, n’a d’existence qu’à travers sa personne. L’auteur souligne que si l’ost sert les intérêts du duc, ce dernier ne l’utilise le plus souvent que dans le cadre du service que lui-même doit au roi de France. Les règnes des trois principaux ducs de Bretagne fournissent les grandes parties du chapitre, et ceux des rois de France ainsi que leurs principales campagnes en fournissent les sous-parties. FM fait aussi le constat de l’importance de la maison des ducs de Bretagne, qui, bien plus que l’ost en elle-même, fournit la base de la puissance militaire des ducs de Bretagne en campagne ou en croisade.
6Le dernier chapitre analyse la tension croissante entre deux logiques : celle du roi et celle du duc. En soulignant la place de ce qu’il désigne par le « système féodo-vassalique », FM constate aussi la multitude des logiques d’engagement, que constituent l’argent, la participation aux structures du pouvoir ducal ou royal, l’espérance d’une promotion sociale. FM met en évidence l’importance des grands lignages, tout à la fois dans le duché et pour les ducs qui doivent s’en faire des alliés.
7Au travers de ces études se dessine en arrière plan du travail de FM la possibilité d’une étude des rapports de force au sein du duché de Bretagne pour l’usage du pouvoir ducal dans le duché et à l’extérieur. Les pouvoirs féodaux des ducs, s’ils peuvent se définir positivement – et les ducs tentent de les définir par écrit, comme c’est le cas avec la Très Ancienne Coutume de Bretagne de 1315 – ne sont en effet pas pour autant toujours immédiatement disponibles et efficaces. Ces pouvoirs s’actualisent à chaque fois dans des contextes précis où l’autorité ducale est mise en jeu. Par une étude des réseaux familiaux et lignagers, FM pose les bases pour une étude à venir plus vaste de l’autorité ducale.
8L’usage particulièrement intensif du Livre des Ostz appelle des remarques. S’il s’agit d’une source majeure sur les capacités militaires des ducs de Bretagne en tant que suzerains à la fin du XIIIe siècle, il ne peut devenir une source universelle. Son usage comme une source comptable permet certes à l’auteur de suivre Ferdinand Lot à la recherche du facteur multiplicateur donnant à partir du nombre de seigneurs convoqués le nombre total d’hommes d’armes, mais il néglige d’en présenter le contexte de production. Si FM est l’auteur d’un article sur cette même source, « Le Livre des Ostz (1294). Un éclairage sur les rapports du duc avec la noblesse bretonne à la fin du XIIIe siècle » (dans Jean Kerhervé (dir.), Noblesse de Bretagne du Moyen Age à nos jours, Rennes, 1999, p. 37-88), une étude au sein du livre même – même rapide – du contexte de production d’une source de si grande importance pour sa démonstration n’aurait pas nui. Sa proximité au moins chronologique avec la semonce de Plöermel de 1294 invite à voir en effet dans ce document un instrument d’exercice de l’autorité ducale. L’auteur note lui-même des influences conjoncturelles dans la rédaction : l’absence par exemple dans les registres de seigneurs comme Henri II d’Avaugour en procès avec le duc devant les juridictions du roi de France au même moment.
9D’un point de vue méthodologique, comme FM dans son introduction le souligne lui-même, la « chevalerie bretonne » ne se définit pas facilement. Il faut concilier des réalités sociale, militaire et juridique qui restent encore floues, ainsi que l’atteste un vaste champ sémantique et un vocabulaire dispersé, et où se pose la question d’une identité bretonne plus ou moins précise. Qu’entendre par « breton » ? L’auteur tente une première approche en définissant « breton » par le fait d’habiter la Bretagne ; pour ce faire, il cite une définition donnée par Pierre Le Baud au XVe siècle. Une telle option oblige alors à considérer l’étude des chevaliers « émigrés ». FM fait face à ce problème en introduction tout en ne le traitant finalement guère directement dans le corps de son étude ; il est vrai qu’il s’agit d’un sujet déjà traité pour la période de la conquête de l’Angleterre, où on compte un fort contingent breton. Par la suite, il constate la présence de seigneurs sur le sol du duché qui ne sont pas bretons au sens d’une possible identité bretonne, mais qui n’en sont pas moins des acteurs majeurs de la vie du duché de Bretagne. En fin de compte, la notion de « chevalerie bretonne » s’avère pauvre tant elle recouvre de réalités, à moins de la considérer comme strictement liée au cadre du duché, ce que FM finit par faire.
10En introduction FM n’avait pas caché la difficulté intellectuelle d’une tentative d’histoire de la chevalerie bretonne prise à la fois comme groupe social et comme organisation fonctionnelle dans le cadre des levées demandées par les ducs. Cet objet historiographique est autant le produit de processus administratifs liés aux usages royaux et ducaux de la convocation du ban et de l’arrière-ban que le résultat des normes sociales en vigueur. Si la démarche comparative entre la « chevalerie bretonne » et les hommes du duc de Bretagne permet d’entrevoir un processus de complexification sociale au sein de l’élite du duché de Bretagne, ce constat ne donne pas lieu à des développements ou des comparaisons, ou même à des renvois bibliographiques conséquents. On regrette par exemple que les principaux travaux dirigés par Jean-Philippe Genet sur la genèse de l’Etat moderne ne soient présents dans l’ouvrage que dans la bibliographie finale et ne fassent l’objet d’aucune utilisation particulière dans le corps de l’ouvrage. Un questionnement sociologique sur l’engagement ou d’anthropologie historique sur la chevalerie et la féodalité aurait pu contribuer à donner plus de dynamique à l’ensemble.
11Pour conclure, l’ouvrage de FM tente d’éclairer dans l’historiographie du duché de Bretagne un groupe social et des enjeux politiques qui n’étaient connus que de manière diffuse. Son ouvrage contribue donc à ouvrir de nouveaux fronts, il prépare des pistes pour de nombreuses études à venir. Enfin, au titre des innovations éditoriales intéressantes, on doit noter la présence avec le livre d’un CD-ROM ; mais si cet outil permet, en théorie, le stockage d’une masse considérable d’informations, cette capacité est peu utilisée dans le cas présent.
Pour citer cet article
Référence électronique
David Dominé-Cohn, « Frédéric Morvan, La chevalerie bretonne et la formation de l’armée ducale, 1260-1341 », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 19 mars 2010, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11823 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11823
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