Navigation – Plan du site

AccueilPublications en ligneRecensions par année de publication2009Corinne Pierreville, Claris et La...

2009

Corinne Pierreville, Claris et Laris, somme romanesque du XIIIe siècle

Sébastien Douchet
Référence(s) :

Corinne Pierreville, Claris et Laris, somme romanesque du XIIIe siècle, Paris, Champion (EMA 37), 2008, 432p.

ISBN 978-2-7453-1626-4.

Texte intégral

1Après avoir édité et traduit Claris et Laris, CP propose une vaste étude littéraire de ce roman de plus de 30.000 vers dont c’est la première synthèse récente en français. Réhabilitant ce roman qui avait été taxé de « produit de décadence » par Gaston Paris, l’auteur cerne au plus près ce qui fait l’originalité de ce texte, tant d’un point de vue esthétique qu’idéologique. L’étude s’organise en quatre chapitres consacrés respectivement à l’écriture romanesque, à la fine amor, à la chevalerie et à la merveille, moyennant une alternance de micro-analyses et de synthèses.

2Le premier chapitre, intitulé « Une esthétique de l’exhaustivité et de la variété », s’intéresse au chronotope et à la structure narrative. La temporalité y est étudiée essentiellement sous l’angle de la vitesse (au sens narratologique). L’auteur analyse l’extrême densité des événements narrés et relève de nombreux procédés visant à donner au récit une grande profondeur temporelle, la temporalité humaine étant toujours privilégiée par rapport à la temporalité féerique ou eschatologique. D’un point de vue spatial, le roman s’organise, malgré sa complexité et son extrême variété, autour de trois pôles principaux (Bretagne, Allemagne et Gascogne) qui symbolisent la totalité de la géographie européenne. Enfin, la composition de l’œuvre trouve une forte cohérence grâce à des procédés de duplication, de gradation, l’usage de l’entrelacement qui débouche sur des micro-récits aux tonalités diverses (comiques, érotiques, parodiques) et nécessite des récits rétrospectifs dont l’effet de rappel affermit la trame narrative, tout comme la récurrence de certains thèmes et personnages. L’auteur conclut sur l’ambition de Claris et Laris de se faire « encyclopédie arthurienne », selon l’expression de Gaston Paris.

3Le deuxième chapitre, « La fine amor dans tous ses états », cerne au plus près l’originalité du traitement de la courtoisie dans le roman. CP relève que le romancier manie parfaitement les topoï de la rhétorique courtoise (maladie d’amour, reverdie, descriptio puellæ, innamoramento) mais les détourne aussi afin d’échapper à leur caractère stéréotypé et d’approfondir la psychologie sentimentale de ses personnages. Les fondements de la courtoisie font également l’objet de modifications qui vont dans le sens d’une plus grande humanité et d’une moralisation : l’amour pour la dame ne doit pas conduire au sacrifice inutile de soi et être parachevé par le mariage qui le sublime. Mais surtout, la fine amor, de façon plus surprenante, sert de paradigme à l’amitié parfaite qui lie les deux héros ainsi qu’à toute la chevalerie arthurienne. Plus que Dieu ou les femmes, l’amitié virile est la clef de voûte du système chevaleresque de Claris et Laris.

4Le troisième chapitre, « La renaissance de la chevalerie arthurienne », s’attache à l’image de la chevalerie. L’auteur de Claris et Laris injecte dans son œuvre les valeurs héritées de l’épopée et de l’historiographie comme le montre l’analyse des motifs narratifs (adoubement, ambassade, guet-apens, espionnage, siège), des motifs rhétoriques (description de l’armement, motif du butin, combats, ralliements, etc.), du style formulaire (anaphores, transpositions de la technique de la laisse enchaînée), la diversité des combats (guerres, duels, tournois, contre des ennemis eux-mêmes variés). Le privilège accordé aux scènes de guerre, idéalisées et très développées, aux dépens des tournois (lesquels sont vilipendés), confirme cette inflexion épique. L’institution de la Table Ronde est revivifiée et idéalisée pour faire pièce à l’image crépusculaire qu’en donne la Mort Artu : défenseurs des faibles, les chevaliers d’Arthur sont menés par un roi qui s’engage personnellement dans les combats. Sage et libéral, Arthur fait consigner par écrit les exploits de ses hommes ainsi voués à la renommée éternelle. Gauvain fait lui aussi l’objet d’une nette valorisation qui va à l’encontre de la tradition : il reste certes courtois, plein de bon sens et mesuré, mais Claris et Laris présente ce personnage habituellement libertin comme le défenseur de la morale. Étudiant d’autre figures-clef de la Table Ronde, CP montre que les individualités tendent à être gommées et absorbées par la collectivité arthurienne. Celle-ci sert un idéal laïque, très éloigné de la sainte quête du Graal, et intègre en son sein des personnages qui ne sont pas toujours des aristocrates, pour autant qu’ils manifestent une grande noblesse morale. En ce sens, l’auteur de Claris et Laris se montre optimiste et croit en l’amélioration possible de la nature humaine.

5Après l’étude de l’amour et des armes, CP se tourne vers le merveilleux avec sa dernière partie, intitulée « La rationalisation de la merveille », qui montre que le surnaturel est très estompé dans le roman. Sont ainsi analysés le chronotope merveilleux (temps de la nuit, espace des châteaux et des forêts), les personnages merveilleux (nains, géants, monstres, enchanteurs, fées, démons, animaux) et les objets extraordinaires (nefs, lits, plumes de phénix, tentes). Humanisation, naturalisation, éviction du merveilleux comme du miraculeux régissent l’univers de Claris et Laris.

6Les annexes du volume proposent un relevé des éléments de rhétorique courtoise (métaphores précieuses, manifestations amoureuses), des éléments de style épique (transposition ou décalque de vers épiques, champ sémantique guerrier, tableau des guerres, tournois et duels), une bibliographie de 321 items, un index des œuvres citées et un index des auteurs critiques cités.

7Cet ouvrage permettra donc au lecteur d’organiser sa lecture de Claris et Laris et de s’orienter avec clarté, sans se décourager, dans ce très dense massif textuel.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Douchet, « Corinne Pierreville, Claris et Laris, somme romanesque du XIIIe siècle  »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 12 novembre 2009, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11675 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11675

Haut de page

Auteur

Sébastien Douchet

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search