Rêves de pierre et de bois. Imaginer la construction au Moyen Âge, éd. Clotilde Dauphant et Vanessa Obry
Rêves de pierre et de bois. Imaginer la construction au Moyen Âge, éd. Clotilde Dauphant et Vanessa Obry, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne (Cultures et civilisations médiévales 45), 2009, 192p.
ISBN 978-2-84050-628-7.
Texte intégral
1En ce début d’année 2009 paraît le troisième volume d’actes de la journée d’étude du séminaire de médiévistes Questes. Ce volume est publié avec le concours de la FRE 8176 du professeur Jacqueline Cerquiligni-Toulet, de l’UMR 2556 du professeur Crouzet-Pavan et de la revue Romania, comme les précédents sur La Mort écrite et sur Laver, monder, blanchir. Comme dans les précédents nous y trouvons la preuve du dynamisme, de l’inventivité et de la capacité de ce groupe, qui fédère bien au-delà des murs de la Sorbonne une communauté de jeune médiévistes aussi bien littéraires et philosophes qu’historiens, à tisser de nouvelles trames pour les études sur le Moyen Age.
2La préface écrite par le professeur Elisabeth Crouzet-Pavan à partir d’une étude d’un pan de la fresque du Bon Gouvernement invite à voir une ville en perpétuelle construction et reconstruction. Ce mouvement incessant, c’est celui de la vie des villes et des campagnes du Moyen Age ; la construction, ses déterminants et son imaginaire sont donc immédiatement replacés au cœur de la dynamique de la civilisation du Moyen Age. La cité bouge, elle est en perpétuelle évolution, la construction devient la trace et le symbole de cette permanente mutation. Comme le signale Elisabeth Crouzet-Pavan, les repères se confondent, comme les échelles, le regard des contemporains, comme celui des historiens. Si la construction apparaît donc bien comme un sujet à la fois riche et central dans l’étude du Moyen Age, apparaît dans le même temps la nécessité d’un regard perçant. Ce regard perçant est fourni par la littérature médiévale, ainsi que le souligne le professeur Jacqueline Cerquiligni-Toulet dans la postface de l’ouvrage. Revenant sur la figure d’Amphion poète et bâtisseur de Thèbes, elle souligne le parallèle et le lien entre les deux figures, entre les deux activités, parallèle reconnu dans toute la littérature médiévale. Soulignant les multiples usages de la figure de la construction dans les œuvres du Moyen Age, elle met en évidence que la construction est non seulement au centre de la plupart des activités de cette période, mais qu’elle est aussi un moyen de penser et de représentation, du monde, de la société et du ciel. Elle souligne en fin de compte que la question de la construction en littérature renvoie toujours à la figuration de la cité, de la cité parfaite, de la cité de Dieu.
3L’importance de la cité de Dieu, dans ses variantes célestes et terrestres, a donc conduit logiquement les organisateurs à offrir la conclusion de leurs débats à Dominique Iogniat-Prat. En une dizaine de page celui-ci se livre à un travail qui n’est pas toujours fait avec autant de talent et de générosité, reprend l’ensemble des communications, en soulignant à la fois les points forts, les avancées et les possibles contributions à une étude générale sur la construction. Grâce à sa hauteur de vue, à son expérience, il trace au-delà de la contribution de chaque intervenant les sillons d’une recherche future. Cette démarche est précisément celle du groupe Questes qui permet à la fois de rendre compte des premières recherches, des premières tentatives de jeunes chercheurs et en même temps, par le travail collectif, par la fréquentation de chercheurs plus avancés et plus confirmés de repousser encore les horizons de la recherche.
4Encadrées par ces trois très riches textes, les contributions sont organisées en trois parties.
5La première partie, intitulée « Des villes en chantier. Esthétique et fonction des constructions urbaines, seigneuriales et religieuses », est consacrée à la construction comme entreprise matérielle, comme intervention dans l’espace social et comme geste politique. On trouve alors trois communications, d’abord de Clémence Revest, « En écrivant, en construisant. Léon Battista Alberti et la construction du Tempio Malatestiano » ; ensuite d’Irène Salvo Garcia, « Image de la construction ou la construction imaginée. Les miniatures des manuscrits des Cantigas a Santa Maria d’Alphonse X » ; enfin de Jean-Baptiste Delzant, « Au cœur de la cité. Construction et élaboration des palais seigneuriaux en Italie centrale : les exemples de Camerino et Foligno (XIIIe-XVe siècle) ». Cette dernière communication illustre la double problématique de la première partie, la construction est à la fois un champ où s’élabore une réflexion sur le pouvoir, sur l’acte de bâtir, sur la nécessité de laisser une trace à la fois dans l’espace et dans les mémoires. Les seigneurs de Foligno et de Camerino, en inscrivant leur présence dans l’espace de leur palais et dans la ville, soulignent à la fois leur puissance immédiate et la durée dans laquelle leur pouvoir doit s’inscrire, l’espace de la ville devenant la métaphore de la mémoire collective. La construction est alors un geste politique qui non seulement caractérise le pouvoir, par la possibilité de faire et de faire faire, mais l’espace de la construction devient aussi un espace de discours, d’expression politique, religieuse et esthétique. De même que l’espace du palais princier en Italie centrale, l’espace de l’enluminure dans les Cantigas devient un moyen de mise en scène du sens qui dépasse la simple illustration. Ainsi, la construction représentée est à la fois celle des lieux de culte et du sens même des Cantigas. On observe aussi avec la démarche d’Alberti une autonomisation de l’espace de la construction, qui devient un lieu doté d’une double autonomie, celle de l’architecte qui conduit le chantier selon sa science et son talent, et celle du penseur, qu’on n’ose appeler intellectuel, qui pense le bâtiment, la ville et une histoire de l’art.
6Ces exemples nous permettent de voir que la question de la construction, tant dans sa pratique que dans sa théorie, dans ses chantiers et dans ses plans, nous conduit à approcher la complexité de la pensée médiévale, qui pense intensément cet espace baroque, en perpétuel mouvement qu’est la cité, cité de pierre, mais aussi d’images, cité des hommes, comme celle de Dieu.
7La deuxième partie du volume est centrée sur la question de la construction et de l’édification religieuses, montrant encore une fois le vaste chantier qui s’ouvre aux médiévistes. Pour commencer, Florent Coste propose une étude sur « Construction et édification de l’ecclesia selon Jacques de Voragine ». Xavier Kieft propose ensuite une étude sur « Construction imaginaire, édification effective : les traités de l’arche d’Hugues de Saint-Victor ». A partir d’un recueil hagiographique et de traités philosophiques et théologiques, les deux auteurs montrent comment l’ensemble de la littérature religieuse est hanté par la tension entre construction et édification d’une cité de Dieu. Cette démarche de construction doit permettre à l’Eglise de faire comprendre les enjeux du message pastoral. Il y a dans la figure de la construction un enjeu presque pédagogique et on constate alors la disponibilité du schéma de la construction. Dans le même temps, en lisant l’article de Xavier Kieft nous comprenons aussi que cet usage du motif de la construction ne veut pas non plus dire simplification des discours. Autour des traités de l’arche, l’auteur expose comment ces ouvrages, par l’enchevêtrement de plans de représentation et d’analyse, permettent la constitution d’un imaginaire de la construction et partant une édification du croyant.
8La troisième partie du recueil des actes de la journée d’étude de Questes propose des analyses centrées sur la question des bâtisseurs et des architectes, autour des modèles et des contre-modèles littéraires. Dans la première contribution, Irène Fabry propose une étude du motif de la construction de la tour du roi Vertigier. Elle analyse comment s’établit un lien entre l’impossibilité de la construction de la tour – qui s’effondre à chaque tentative – et la difficulté de la fondation du royaume anglais. Dans chacun des textes analysés, le Brut de Wace et l’Historia Britanorum de Geoffrey de Monmouth, Vertigier est un roi en difficulté. En fin de compte, c’est le savoir de Merlin qui vient permettre la construction de la tour et l’affermissement du royaume. La figure de Merlin devient celle de l’architecte, qui permet par son savoir la construction de la tour – et non par son sacrifice prévu initialement. Le savoir se trouve donc placé au centre des deux narrations, le Brut et l’Historia se voulant chacune une œuvre de fondation de la mémoire littéraire, au même titre que la tour était un marqueur de la mémoire du territoire. Cette première étude ouvre ainsi la double problématique du constructeur, du bâtisseur, et des enjeux attachés à la démarche de construction, que la figure du constructeur permet de penser. Ainsi l’étude des diverses constructions de Renaud de Montauban dans la chanson éponyme par Carine Giovénal permet la mise en évidence de la transformation intérieure du personnage, qui évolue entre la construction de Montessor, chastel illégal, et celle de la cathédrale de Cologne. Carine Giovénal souligne en effet que Montessor, une place forte construite en marge du système féodal, n’est pas une cité idéale, mais au contraire une contre-cité. La construction de la cathédrale de Cologne devient le moyen d’une réforme intérieure du bâtisseur qui participe à ce moment à la réalisation effective d’une figure de la cité parfaite, de la cité de Dieu. Enfin, à partir d’une étude du conte de Floire et Blancheflor, Vannessa Obry propose une étude la figure de l’ingénieur. Au centre des jeux sentimentaux, elle analyse comment se détache une figure de l’engigniere qui est non seulement un architecte, au sens où il construit, un bâtisseur, mais qui devient aussi un stratège, ici un stratège amoureux, qui met en mouvement des engins destinés au combats amoureux.
9Nous avons donc cette année encore à faire avec un riche volume tant par la diversité des contributions que par la maîtrise et l’érudition qui préside à chacune d’entre elles. Tout le champ des études médiévales est parcouru et tout ce champ doit être parcouru pour rendre compte du sujet que les questeurs avaient entrepris de travailler. Il ne faut pas voir dans cette réussite un hasard heureux ; cette réussite est intimement liée au projet et à la philosophie du groupe Questes qui fait de la rencontre des différentes disciplines des études médiévales le moyen d’approfondir la connaissance de chacun des participants. C’est aux réunions mensuelles du séminaire que la nécessité de l’étude de la littérature se fait jour dans l’esprit des historiens et réciproquement. L’esprit de Questes, car il y en a un, doit donc être préservé. Il est un des cœurs des jeunes études de médiévistiques à Paris, c’est un lieu de rencontres et d’échanges, en un sens, un lieu commun. Il est le lieu de fondation d’une communauté de chercheurs et pour cela doit donc être préservé de toute annexion, ou réduction qui tarirait immanquablement cette source de richesses.
Pour citer cet article
Référence électronique
David Dominé-Cohn, « Rêves de pierre et de bois. Imaginer la construction au Moyen Âge, éd. Clotilde Dauphant et Vanessa Obry », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 24 août 2009, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11612 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11612
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