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2009

Priscille Aladjidi, Le roi père des pauvres, France XIIIe – XVe siècle

David Dominé-Cohn
Référence(s) :

Priscille Aladjidi, Le roi père des pauvres, France XIIIe – XVe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 439p. 

ISBN 978-2-7535-0715-9.

Texte intégral

1Avant d’en venir à l’ouvrage de Priscille Aladjidi, il faut d’abord saluer l’entreprise courageuse des Presses Universitaires de Rennes qui, comme chaque année, publient pour un prix relativement peu élevé de nombreuses thèses de doctorat. Cette entreprise de publication se trouve au cœur de la vocation de toute presse universitaire, qui se doit de publier la recherche vivante, au travers de thèses, d’articles, d’essais ou encore d’actes de colloque. Ainsi, la démarche éditoriale des Presses Universitaires de Rennes qui met à la disposition de tous les chercheurs des thèses ambitieuses, comme celle de Priscille Aladjidi, participe directement au dynamisme de la recherche en France.

2Ambitieux est sans doute l’adjectif qui doit le mieux permettre de caractériser la démarche qui a guidé la recherche et le résultat traduit dans un épais volume de 439 pages. Le projet est alors de faire une histoire de la relation du roi de France, et à sa suite des grands seigneurs français, avec les pauvres ; de croiser un questionnement sur le pouvoir royal français avec une histoire des pauvres, à la tradition historiographique riche. Cette recherche se déploie dans trois grandes parties : la première reprend les fondements théoriques, depuis la Bible, qui président à la relation du roi et des pauvres, pour aborder ensuite une série de cinq études sur les gestes de charité royale envers les pauvres ; enfin, une troisième partie aborde la place des pauvres dans les cérémonies royales, en particulier à l’occasion du lavement des pieds des pauvres par le roi et à l’occasion des rituels autour de la mort du roi.

3Le projet historiographique de Priscille Aldjidi est d’abord de s’inscrire dans la tradition, remontant aux années 1960, d’histoire des pauvres, de la pauvreté et de la charité. L’auteur souligne avec ses prédécesseurs que si les pauvres ne parlent pas au Moyen Age, la société parlent beaucoup d’eux. Ils sont en fait une institution fondamentale d’une société chrétienne qui fait des gestes de charité une obligation faite à chacun et au prince en particulier. Priscille Aladjidi met en évidence que le prince chrétien et en particulier le roi de France entretiennent à la fois dans les textes normatifs et dans les faits une relation particulièrement riche et construite avec les pauvres au travers du bénéfice de la charité royale. Dans ce cadre, la charité royale devient alors un moyen de construction de la figure d’un bon pauvre méritant. Elle montrera par exemple comment des instructions données à l’occasion de distributions de nourriture insistent sur la nécessité que seuls des pauvres, qui le méritent, soient acceptés. La construction de la figure d’un pauvre à la fois méritant et reconnaissant des bienfaits qui lui sont prodigués devient dans le même temps un pilier légitimant l’exercice par le prince de son pouvoir. Le pauvre est à la fois une figure du Christ et du peuple sur lequel le prince règne en homme charitable. Dans le même temps, la charité étant une obligation faite à tous les chrétiens le prince accroît nécessairement sa légitimité en pratiquant celle-ci le plus ouvertement possible. Priscille Aladjidi souligne alors l’importance du règne de Louis IX qui fixe de manière durable les comportements royaux vis-à-vis des pauvres gens. La théorisation du pouvoir royal passe donc par l’affirmation d’une relation entre le roi et les pauvres. La construction d’un modèle du gouvernement royal passe par la prise en compte et en charge des pauvres par la royauté. On voit donc à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle ce lien fondamental entre modèle de charité chrétienne et modèle du gouvernement royal se nouer. C’est pourquoi cette histoire de la relation du roi et des pauvres que Priscille Aladjidi étudie n’est pas seulement un pan supplémentaire de l’histoire sociale de la pauvreté, c’est aussi un pan majeur de l’histoire du modèle du gouvernement royal.

4Priscille Aladjidi prend pour point de départ de son enquête sur la construction d’un modèle de relation entre le roi chrétien et les pauvres les comportements et les gestes représentés dans la Bible. Elle opère ensuite une remontée chronologique vers les pratiques royales françaises pour saisir les relectures faites par les souverains et leurs entourages des modèles proposés. La série de sources la plus importante que Priscille Aladjidi utilise est l’ensemble des miroirs des princes et de la littérature morale, en soulignant l’importance de l’œuvre de Gilles de Rome, le De Regimine Principium, ainsi que le poids du renouveau cistercien dans la pensée du pouvoir royal et de l’encadrement de ce dernier dans une strict morale chrétienne, comme dans les œuvres d’Hélinand de Froidmont ou Jean de Limoges. Cette littérature normative et morale ne s’arrête pas au milieu du XIIIe siècle ; en effet, comme le souligne l’auteur, le règne de Louis IX marque un tournant dans la construction d’une représentation du bon prince puisque l’image donnée par les miroirs devient celle d’un prince ayant bel et bien existé. Priscille Aladjidi souligne donc que, pendant tout le XIVe et le XVe siècle, le modèle du bon prince devient le prince lui-même, dont la vie illustre les mérites, comme on le voit dans l’œuvre de Christine de Pisan. Cependant, l’auteur souligne bien que la place des pauvres dans ces œuvres reste variable : Christine de Pisan ne semble pas particulièrement intéressée par leur cas. P. Aladjidi souligne ensuite que la diffusion croissante de cette littérature conduit à voir une diffusion sociale croissante des modèles de bons comportements princiers, et donc par la même occasion de l’obligation faite à tous les puissants de faire la charité. Soucieuse d’articuler les représentations complexes élaborées dans le cadre d’une culture savante et une histoire des pratiques sociales et politiques, Priscille Aladjidi se donne comme autres sources toute une série d’actes de la pratique qui pourront alors être lus et compris à la lumière des miroirs. Elle retient donc en premier lieu les testaments, où des clauses stipulent la nécessité d’accorder dans les funérailles et dans les dons une grande place aux pauvres, comme c’est par exemple le cas dans le testament de Louis IX. Elle retient aussi dans le même ordre d’idée les documents comptables. Enfin soucieuse une fois de plus de diversifier ses sources et ses éclairages sur la place des pauvres dans la royauté française, elle inclut dans son corpus documentaires toute une séries d’œuvres historiques, comme les grandes chroniques de France ou bien des biographies comme celle de Philippe Auguste par Rigord et naturellement les biographies de Louis IX ou celle de Charles V. On note donc que Priscille Aladjidi accorde une place majeure aux œuvre normatives, à partir desquelles elle se propose de comprendre les comportements royaux et princiers face aux pauvres.

5Forte de cette documentation qui va du XIIe siècle à la fin du XVe siècle, Priscille Aladjidi souligne les évolutions et les ruptures dans les modèles et les pratiques de relation entre le roi de France et les pauvres. Elle souligne à la fois la très grande variabilité de l’acception du terme de pauvre par les acteurs du temps, en étudiant par exemple les conditions d’éligibilité à la faveur royale, et aussi, en fin de compte, l’évolution même du geste de charité royale et par là de la figure royale. La relation des rois de France et des pauvres est ancienne et presque consubstantielle au caractère chrétien de la monarchie. Ainsi, elle souligne par exemple que les chroniques s’accordent sur le fait que Charlemagne entretenait des pauvres à sa cour, au pied de sa table, et qui à l’occasion partageaient son repas. Des gestes d’accueil des pauvres marquent tous les règnes des rois de France ; cependant le règne de Louis IX marque une rupture exceptionnelle par le nombre, la richesse et la diversité des pratiques charitables du « saint » roi. Ces pratiques et leur souvenir fondent en grande partie le dossier de canonisation du roi de France. Une fois la canonisation acquise, le modèle royal est alors posé durablement pour tout le Moyen Age et l’aube des Temps modernes. A partir de là, on comprend encore mieux l’enjeu – et la nécessité – de l’étude de la relation du roi et de ceux qui deviennent « ses » pauvres, puisqu’il s’élabore dans cette relation, au cours du XIIIe siècle, des pratiques et des représentations fondamentales pour la monarchie française. Elle souligne, à la suite de Jacques Le Goff, ce moment saint Louis, fait à la fois de gestes et de la mémoire de ces gestes.

6Tout en consacrant à saint Louis des pages nombreuses et riches, Priscille Aladjidi ne limite pas son étude au cas de ce roi du XIIIe siècle. En effet, elle étire avec raison sa chronologie jusqu’au XVe siècle. Cette extension chronologique permet alors de mesurer la permanence et les évolutions de ce modèle de relation du roi aux pauvres. Ainsi la place croissante des pauvres dans les enterrements royaux est affirmée dans tous les testaments royaux entre les XIVe et XVe siècles. Les pauvres y tiennent une place à la fois comme destinataires d’aumônes et comme acteurs des cérémonies, dans les cortèges, en particuliers comme porteurs de torches. La présence, parfois nombreuse, de porteurs de lumière, issus des milieux sociaux les plus humbles, aux enterrements des souverains est chargée de sens. Chaque monarque souligne ainsi son lien personnel avec le peuple le plus pauvre qui est alors chargé de porter les symboles du salut. Il s’agit d’un dernier geste de légitimation à la fois dans le cadre d’un modèle de charité, mais aussi dans le rappel de l’union du souverain avec son peuple. On pourrait pousser plus loin la réflexion, au delà de la simple, mais très rigoureuse, description sur les changements de mode de gouvernement que cette présence permanente des pauvres dans des cérémonies aussi fortes et importantes peut conduire à voir.

7A la lecture de la thèse de Priscille Aladjidi, on est frappé de voir comment la mise en place à la suite du règne de saint Louis, et surtout à partir de la mise en place de grands rituels royaux au XVe siècle, la place des pauvres, en masse, est soulignée comme allant de soi dans la mise en scène de la monarchie et de l’exercice du gouvernement du royaume.

8A la suite de ce tableau qui est encore en dessous de la richesse de la thèse de Priscille Aladjidi, quelques remarques peuvent être faites, non pas directement sur le travail de thèse, mais à sa suite, sur ses marges, et de manière plus générale sur l’historiographie du pouvoir à la fin du Moyen Age.

9En reprenant de fond en comble et en montrant la relation de la mise en représentation d’un pouvoir royal qui fait du traitement des populations pauvres un enjeux existentiel, la thèse de Priscille Aladjidi donne des éléments pour poursuivre une enquête sur la généalogie de ce que Michel Foucault a défini comme le pouvoir pastoral. Voilà donc encore un exemple de la richesse en devenir de cette thèse. Elle va alors permettre de contribuer à la réflexion de l’histoire sociale des pauvres, de l’histoire du pouvoir et du gouvernement à la fin du Moyen Age, de l’histoire des formes de gouvernementalité et enfin même à une généalogie du pouvoir entre la fin du Moyen Age et le début de l’ère moderne. Priscille Aladjidi participe donc, indirectement mais efficacement, au projet d’étude de l’apparition du gouvernement pastoral dont Michel Foucault faisait l’objet de plusieurs de ses cours au Collège de France, en particulier « Sécurité, territoire, population ».

10Alors qu’elle fait de l’étude du pouvoir, de ses pratiques et de ses représentation un des point majeurs de sa thèse, on pourrait seulement regretter que Priscille Aladjidi ne mobilise justement pas plus des concepts descriptifs et analytiques, comme celui par exemple de « gouvernement pastoral ». Si cet usage n’aurait peut-être pas permis d’améliorer directement la riche étude en elle-même de la relation du roi de France et des pauvres, il aurait à coup sûr permis d’accroître la portée de cette thèse, qui parfois reste trop près des modèles du temps, sans prendre avec eux la distance toujours nécessaire. Ces remarques nous conduisent à souligner la nécessité en histoire, et particulièrement en histoire politique, de l’usage d’une boîte à outils conceptuels forgée aux feux de toutes les disciplines des sciences humaines : non qu’il s’agisse, en aucun cas, de transformer l’histoire en un champ d’application d’autres disciplines, mais d’enrichir par la confrontation, par le questionnement, par le constat de la différence. Michel Foucault, dans sa boutade sur la boîte à outils, le soulignait explicitement, les concepts doivent conserver leur nature strictement instrumentale. Mais il faut donc dans le même temps encourager le travail d’érosion des résultats des enquêtes historiques par des modèles, pour faire apparaître des questionnaires nouveaux, pour aiguiser les sens de l’historien et renouer aussi avec le caractère expérimental que peut avoir la science historique. De cette manière, l’imperfection du modèle devient une source riche en raisonnements historiques sur les singularités ; ce qui permet, en fin de compte, de se retrouver au cœur du travail historique, la description sans fin de singularités passées.

11Il reste à la fin une belle thèse sur la relation du roi de France et des pauvres depuis le XIIIe siècle jusqu’au XVe siècle, qui pose clairement la relation entre les pratiques et les représentations du pouvoir royal en même temps qu’elle contribue  à une histoire sociale des pauvres et de leur traitement par la puissance publique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Dominé-Cohn, « Priscille Aladjidi, Le roi père des pauvres, France XIIIe – XVe siècle  »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 24 août 2009, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11607 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11607

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