De l'usage du droit privé et du droit public au Moyen Âge
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1Omnis definitio in jure civili periculosa*
2S'il me fallait rédiger des « enseignements à un jeune médiéviste » désireux de faire de l'histoire politique, je lui conseillerais d'abord de rejeter la distinction entre souverain et suzerain, d'éviter d'employer le mot procédure inquisitoire, surtout lorsqu'il croira pouvoir l'opposer à l'accusatoire, de bannir les expressions féodalité, société féodale, époque féodale, monarchie ou état féodal, en se limitant à parler de droit féodal. J'ajouterais pour terminer qu'il lui faut se garder absolument de l'anachronisme trop répandu qui est de traiter des réalités du pouvoir médiéval en opposant le droit public au droit privé.
3C'est sur ce dernier point seulement que je voudrais m'étendre un peu, non sans ignorer que d'excellents historiens, dont je citerai abondamment les remarquables travaux, n'ont pas hésité à appliquer cette division binaire à l'État du Moyen Âge et que les résultats de leurs enquêtes n'ont pas été mis en question.
4Il est facile d'arguer que cette division du droit se rencontre en tête des Institutes et du Digeste de Justinien (533), qu'elle a été connue et commentée dès le début du XIIe siècle par les civilistes de Bologne et d'ailleurs, que la science politique du XVIIe siècle l'a remise en honneur et qu'elle a été consacrée par la suite par l'enseignement, les spécialistes et les faits, malgré les doutes de quelques historiens ou philosophes du droit contemporains.
5Cette utilisation par les médiévistes n'est pas seulement anachronique – il est des anachronismes véniels et on pourrait la considérer comme telle – mais elle ne permet de comprendre ni les méthodes de raisonnement des juristes médiévaux qui ont doté progressivement l'État de prérogatives spécifiques en faisant sans difficulté l'économie de cette distinction, ni les mécanismes de la difficile émergence d'une notion qui nous semble naturelle au cours du XVIIe siècle.
6Utilité publique, utilité privée
7La notion de public et de privé était connue des Romains, mais, en matière de droit, de pouvoir et de gouvernement, seule l'opposition entre l'utilité publique et les intérêts privés était souvent invoquée, sans toutefois avoir jamais fait l'objet de développements théoriques1.
8Cette opposition entre l'utilitas publica et les privata commoda, reprise dans la définition de la loi des Etymologiae d'Isidore de Séville († 636)2, a donc eu une très grande diffusion à partir de l'époque carolingienne, notamment par l'intermédiaire des collections canoniques, avant d'être consacrée par le Décret de Gratien (1140) :
Qualis debeat fieri lex. Erit autem lex honesta, justa, possibilis… nullo privato commodo sed pro communi civium utilitate conscripta3.
Comment il faut faire la loi. La loi sera honnête, juste, possible… rédigée non pour l'intérêt privé mais pour l'utilité commune des citoyens.
9Aussi proche de la morale que du droit et largement utilisée par les clercs, cette notion d'utilité publique ou commune se rencontre fréquemment au Haut moyen Âge, des capitulaires carolingiens4 à Gerbert de Reims, en passant par Loup de Ferrières5, pour connaître un regain de faveur au temps de la Réforme grégorienne qui appuie largement son action sur les notions de nécessité et surtout d'utilité6. Elle continua à être invoquée dans la doctrine et les chartes7, assurant le relais avec la nouvelle science juridique fondée sur le commentaire des compilations de Justinien : le préambule du « testament » de Philippe Auguste (juin 1190) en offre un exemple accompli : « Le devoir du roi est de veiller en toutes manières à l'intérêt de ses sujets et de placer l'utilité publique avant son utilité privée »8.
La nouvelle science du droit
10Le bouleversement intellectuel de la première partie du XIIe siècle changea complètement les autorités de référence et les vieilles collections juridiques (Code Théodosien, Epitome Juliani, Capitulaires) tombèrent dans l'oubli, mais cet aspect moral et quasi religieux de l'utilité publique ne fut pas oublié par les civilistes lorsqu'ils entreprirent alors d'expliquer les compilations de Justinien9 nouvellement remises à l'honneur, puisqu'ils devaient commenter une loi du début du Code, qui opposait le droit public aux intérêts particuliers. La notion eut donc sa place dans les écoles de droit et, jusqu'à la fin du Moyen Âge, l'utilité publique ne cessa d'être invoquée, tant par les conseillers royaux, pour lesquels elle semblait parfois se confondre avec celle du roi, que par des sujets qui, ne partageant pas ces points de vue, savaient aussi se défendre avec les mêmes références juridiques10.
Justiniani Codex. Lib. I, tit. II De sacrosanctis ecclesiis et de rebus et privilegiis earum, cap. xxiii
Ut inter divinum publicumque jus et privata commoda competens discretio sit, sancimus…11
11Code de Justinien. Livre 1, titre 2 Des églises sacro-saintes, de leurs biens et de leurs privilèges, chapitre 23
12Pour qu'entre le droit divin et public et les intérêts privés il y ait une séparation convenable, nous décidons…
13Azon, Accurse, Odofredus et les autres commentèrent le passage. À la fin du XIIIe siècle, les professeurs orléanais contribuèrent à affiner la notion en s'interrogeant sur la relativité des utilités en cas de conflits des intérêts : dans ce cas, c'est l'utilité principale (utilitas principalis) qui doit l'emporter, et non obligatoirement l'intérêt public12. Les canonistes n'étaient d'ailleurs pas en reste comme en témoigne, entre autres textes, une question d'Henri de Suze († 1271)13.
14Mais ces commentaires ne débouchaient jamais sur une division binaire du droit. C'est ailleurs que cette distinction était clairement posée, sinon expliquée : deux passages principaux – sans oublier celui qui vient d'être cité et quelques autres – qui concernaient le droit public et le droit privé auraient pu donner lieu à une délimitation précise.
Justiniani Institutiones. Lib. I, tit. I De justicia et jure, § iv
Hujus studii duae sunt positiones : publicum et privatum. Publicum jus est quod ad statum rei Romanae spectat, privatum quod ad singulorum utilitatem. Dicendum est igitur de jure privato, quod tripertitum est : collectum est enim ex naturalibus praeceptis aut gentium aut civilibus.
Institutes de Justinien. Livre 1, titre 1. De la justice et du droit, § 4
L'étude du droit a deux objets, à savoir le droit public et le droit privé. Le droit public est celui qui regarde l'administration de l'État romain. Le droit privé est celui qui concerne les intérêts de chacun.
Nous allons donc parler du droit privé qui est divisé en trois parties puisqu'il tire sa source des préceptes du droit naturel, du droit des gens et du droit civil14.
Justiniani Digesta. Lib. I, tit. I De justicia et jure, § ii
Ulpianus, libro primo Institutionum. Hujus studii duae sunt positiones, publicum et privatum. Publicum jus est quod ad statum rei Romanae spectat, privatum quod ad singulorum utilitatem. Sunt enim quaedam publice utilia, quaedam privatim.
Publicum jus in sacris, in sacerdotibus, in magistratibus consistit.
Privatum jus tripertitum est : collectum etenim est ex naturalibus praeceptis aut gentium aut civilibus.
Digeste de Justinien. Livre 1, titre 1 De la justice et du droit, § 2
Ulpien, au livre premier des Institutes. L'étude du droit se divise en deux parties, le droit public et le droit privé. Le droit public est celui qui concerne le statut de l'État romain, le droit privé concerne les intérêts de chacun. Il y a en effet des choses utiles à l'État et d'autres utiles aux particuliers. Le droit public consiste dans les choses sacrées, les prêtres et les magistrats. Le droit privé se divise en en trois parties : il est en effet constitué des préceptes du droit naturel, du droit des gens et du droit civil.
15Par la suite, tant dans les Institutes que dans le Digeste, la distinction ainsi posée n'était pas développée et le plan du Code n'y était pas soumis. Bien plus, dans le livre premier du Digeste, un extrait des Institutes de Gaius proposait une division tripartite du droit d'où la notion de droit public était absente : « Tout le droit dont nous usons concerne ou les personnes, ou les choses ou les actions judiciaires »15.
16À partir du XIIe siècle, lorsque les civilistes entreprirent de commenter les compilations de Justinien, ils durent donc « construire l'État » à partir de recueils de textes juridiques qui concernaient avant tout la procédure, le droit familial (régimes matrimoniaux, tutelle et curatelle, successions), le droit des biens et les contrats (obligations, sûretés). Leur méthode de travail, la glose, les contraignait cependant à expliquer les textes mot à mot, et ils commentèrent donc les deux sedes materiae16 des Institutes et du Digeste sur le droit public et le droit privé, mais ils s'en tinrent à leur modèle : après avoir brièvement traité de cette division, non sans qu'Azon († av. 1229) ait ironisé sur les multiples divisions du droit proposées par Giovanni Bassiano dans les années 1180, aucun d'eux n'en fit la summa divisio du droit17 et à la génération suivante Accurse († 1263), Odofredo († 1265), ou plus tard Pierre de Belleperche († 1308), sans les négliger, n'accordèrent pas plus d'attention qu'il ne convenait à ces passages obligés.
Autres divisions
17Dans les Compilations, au moins trois autres divisions du droit retinrent davantage l'attention des civilistes, mais elles n'avaient aucun rapport avec la nature du droit, public ou privé.
18Il y avait d'abord l'opposition droit-équité, développée à partir d'une constitution de Constantin insérée en tête du titre 14 du livre 1 du Code : « Entre l'équité et le droit, il ne convient et il n'appartient qu'à nous seul de donner une interprétation »18. Le débat sur le sujet avait été très ardent au milieu du XIIe siècle entre les partisans du droit pur et ceux de l'équité, conduits par Martinus Gosia († v. 1166). Bien que ce dernier et ses disciples aient eu le dessous dans la controverse, le désir d'équité demeura toujours vivace, une de ces quaestiones vexatae toujours remise en avant19. Pour brouiller un peu plus les choses, les Institutes, on l'a vu, subdivisaient le droit privé entre droit naturel, droit des gens et droit civil, ce qui a de quoi surprendre le lecteur moderne qui ferait plutôt du droit public et du droit privé une branche du droit des gens, issu lui-même du droit naturel, à moins qu'il n'équipare le droit des gens au droit international20. En conséquence, les commentaires sur ces passages du Corpus juris ne débouchèrent pas sur une classification satisfaisante, même si le droit naturel a donné lieu à des développements intéressants, mais à dire vrai peu opératoires dans la pratique, sauf dans certains préambules, particulièrement lorsqu'il s'agissait de servage21.
19Enfin un paragraphe des Institutes de Gaius inséré au Digeste (1, 1, 9) proposait la division sans doute la plus appropriée à un monde où la recherche d'unicité s'opposait à la pluralité des situations locales, puisqu'elle a fortement marqué l'enseignement juridique et que son application pratique a été constante, sinon aisée, c'était l'articulation entre le droit commun – celui qui était exposé dans les Compilations – et le droit particulier des cités.
Omnes populi qui legibus et moribus reguntur, partim suo proprio, partim communi omnium hominum jure utuntur. Nam quod quisque populus ipse sibi jus constituit id ipsius proprium civitatis est. Vocatur jus civile quasi jus proprium civitatis.
Tous les peuples régis par des lois et par des usages usent en partie de leur droit propre et en partie du droit commun à tous les hommes. Car ce que chaque peuple se constitue comme droit est le droit propre de cette cité, et il est appelé droit civil, c'est-à-dire droit particulier à cette cité.22
20Dans une société où le droit local n'était pas toujours bien fixé, il était normal que l'École discute de l'articulation entre le jus commune et le jus proprium, de leur hiérarchie et de la résolution des contradictions entre ces deux droits. Ces discussions se greffaient sur une question qui en découlait inévitablement, celle de la possibilité de créer le droit et d'abolir les mauvaises coutumes23.
21Cette question des divisions du droit mériterait au reste une recherche détaillée, Évrard de Trémaugon († 1386) ne fournit pas exactement les mêmes divisions du droit dans sa répétition de 1371 et dans le Somnium viridarii24, où il distingue deux branches du jus generale, le jus divinum (divisé entre la lex vetus et la lex nova) et le jus humanum, subdivisé en jus naturale, jus gentium, jus civile et jus canonicum. Les rois sont issus du jus gentium, les empereurs seulement du jus civile! Gilles de Rome (1243-1316), dans son De regimine principum (v. 1279) distinguait le droit naturel, le droit des gens et le droit positif et ajoutait diverses autres divisions, mais non celle du droit public et du droit privé, se contentant d'ajouter que la loi doit viser au bien commun et non au bien privé25. On ne connaît pas non plus d'arbre du droit comme on a des arbres de parenté, d'affinité ou des actions26. Quant aux arbres de la science, souvent œuvres de théologiens ou d'artiens, ils ne se passionnent pas pour la place du droit, souvent omis ou relégué, ni pour ses divisions.
Sources du droit et pouvoir normatif
22Plus qu'aux divisions du droit, les juristes se sont donc intéressés à ses sources : jus commune des Compilations et jus proprium (loi, coutume, jurisprudence27), à leur articulation et à leur hiérarchie. Ils disposaient pour ce faire d'un exposé assez structuré, énoncé aux titres 14 à 23 du livre premier du Code, qui avait son parallèle dans les titres 3 et 4 du premier livre du Digeste et était fortement résumé au titre 2 des Institutes (§ 3-10). De leur côté les canonistes disposaient des vingt premières distinctions de la première partie du Décret de Gratien (1140)28 et des titres 2 à 4 du premier livre des Décrétales de Grégoire IX (1234)29. Ils ont aussi retenu une des caractéristiques formelles importante de leur temps, celle du droit écrit (jus scriptum) et du droit non écrit (jus non scriptum)30, sans pour autant disserter longuement sur cette opposition, sauf à poser la question de l'écrit substance de la loi, pour admettre en définitive la validité d'une loi non écrite31.
23Les juristes au service des princes et prélats mirent d'ailleurs peu de temps à mettre en pratique cette connaissance de textes de compréhension assez aisée et directement applicables : les législations royales et princières, dès la fin du XIIe siècle, portent la marque, ne serait-ce que dans leur terminologie – constitutions, édits, statuts, voire lex edictalis – de ces chapitres du Code sur les normes32.
Puissance du fait
24En revanche en matière de pouvoir et de politique, une opposition, au reste peu développée dans le Corpus juris, eut un succès certain, celle du droit et du fait, ce dernier mis en parallèle sans véritablement être inférieur au premier. Fait, et même force, reçoivent donc un statut juridique. En 1203, par exemple, Innocent III, dans une remarque incidente dont on verra la fortune, reconnaissait que le royaume de France était de facto indépendant de l'Empire33. Bartole († 1357), dont on sait le succès aux XIVe et XVe siècles, insista beaucoup sur la notion de fait en politique34.
Unicité du droit civil
25Les Compilations étaient donc organisées non pas sur une opposition droit public/droit privé mais sur un exposé du droit civil considéré comme un droit général dans lequel les droits de l'empereur et de la res publica étaient présentés comme des droits dérogatoires : l'empereur et les fonctionnaires impériaux étaient décrits comme des personnes privilégiées, de même que les règles applicables au fisc, entendu très largement, dérogeaient au droit commun. Mais les droits royaux, le pouvoir législatif, les droits du fisc, le statut des officiers royaux et la justice ne constituèrent jamais un droit public opposé à un droit privé : inclus dans les libri legales, ils firent partie intégrante de ce que l'on nommait alors le Droit, les Lois, le Droit civil, le Droit écrit ou le Droit commun (jus, leges, jus civile, jus scriptum, jus commune) voire la Raison écrite (Ratio scripta).
26Puisqu'il n'y avait pas séparation du droit public et du droit privé mais au contraire unité du droit, il était donc tout aussi normal d'appliquer aux institutions de l'État ou à l'État lui-même des règles qui nous semblent relever du seul droit privé. Dans ce jus commune, les juristes trouvèrent donc, parfois en des endroits curieux ou par des assimilations hardies, de quoi développer l'État naissant, le conforter, lui assurer une place particulière sans toutefois jamais chercher à ériger véritablement un droit public indépendant.
Pouvoir du prince et droits du roi
27La nature, l'origine et l'étendue du pouvoir du prince ne donnaient pas lieu à de longs développements dans le Corpus et la place de l'empereur par rapport à la loi était traitée en deux brefs chapitres contradictoires qui posaient et l'indépendance du prince par rapport à la loi dont il était la seule source et sa soumission volontaire à la loi. Cette concision fut au reste largement compensée par le ressassement des commentaires des civilistes médiévaux, dans ce cas plus inspirés que paralysés par cette brièveté, et par leur ingéniosité à trouver dans d'autres passages des Compilations tout ce qui pouvait leur servir à définir le pouvoir du prince35.
28Dès le milieu du XIIe siècle, dans la morne plaine de Roncaglia, les juristes de Bologne et d'ailleurs, répondant à l'appel de l'empereur Frédéric Barberousse, franchirent un pas supplémentaire en tentant de définir les droits royaux (regalia) dont ils dressèrent la liste en puisant dans le Corpus juris36. Ces droits royaux restèrent en l'occurrence tout théoriques pour Frédéric, mais ce texte, inclus dans les Libri feudorum (2, 53) eux-mêmes intégrés au Corpus juris au début du siècle suivant, fut connu de tous – de la royauté française dès les années 1190 sinon plus tôt. Et il servit ensuite partout à légitimer l'action des rois et des princes s'appuyant, pour imposer des droits nouveaux mais que l'on présentait comme des droits oubliés, sur une autorité reconnue.
Les possibilités du De jure fisci
29Il fallut encore un peu de temps pour que les juristes passent de la simple liste des regalia de Roncaglia à un exposé sur les droits du fisc, alors que les princes avaient tant besoin de légitimer les levées de subsides. Sans donc se poser la question, pour eux hors de propos, sur la nature, publique ou privée, des droits royaux, ils s'intéressèrent de plus près au livre 10 du Code, consacré aux droits du fisc (De jure fisci), et aux chapitres correspondants dans le Digeste neuf (livre 49, titre 4). La matière était ardue et il fallut aux commentateurs un effort assez grand de compréhension, d'interprétation et d'adaptation des textes romains. Les gloses de Rolando da Lucca, des années 1190, restent très proches de leur modèle, mais il affirme clairement dans le préambule de son travail, dédié à l'empereur Henri VI (1191-1197), qu'il écrit « pour que l'on connaisse les droit fiscaux que l'on doit à notre empereur »37. Les civilistes des siècles suivants poursuivirent une réflexion que les contribuables, ingrats, n'apprécièrent jamais à sa juste valeur38.
Statut des officiers
30L'autre centre d'intérêt des juristes, dont l'application pratique ne tarda pas, concerna le statut, les obligations et les prérogatives des dignitaires et des fonctionnaires impériaux regroupés au premier et au douzième livres du Code (L. 1, titres 26 à 57, et l. 12, titres 1 à 64) avec leur parallèle dans le premier livre du Digeste vieux (titres 9-22) qu'ils appliquèrent aux officiers royaux et princiers. L'ordonnance de Louis IX promulguée en 1254 pour la réformation du royaume, rédigée sans doute par le docteur en droit Guy Foucois, futur pape Clément IV (1265-1268), appliqua aux baillis les prescriptions impériales pour les gouverneurs de province39. Au même moment, la traduction du Digeste réalisée par l'auteur du Livres de jostice et de plet montre que l'on assimilait sans hésitation les officiers royaux aux dignitaires de l'Empire : doctrine et pratique vont du même pas40. Au début du XIVe siècle, Guillaume Durand le Jeune assimilait lui aussi les officiers du roi de France aux fonctionnaires du Corpus dans son procès avec Philippe le Bel (1307)41 tandis que deux civilistes languedociens commentaient les passages du Digeste et du Code sur les offices. Le toulousain Guillaume de Cunh († 1317) rédigea un Tractatus de officiis, et on a conservé du futur cardinal Bertrand de Déaux († 1355) une Lectura super officiis42 dispensée lors de son bref enseignement à l'Université de Montpellier (1318). Giovanni Calderini († 1365) fit de même un peu plus tard à Bologne43.
Justice et procédure
31Enfin, l'aspect incontestablement le plus important du pouvoir royal, souligné depuis longtemps, est la justice. Or le plan même des Compilations mettait en valeur la prédominance des questions de juridiction et de procédure civile, favorisant ainsi l'intime liaison entre pouvoir et justice que l'on retrouvait dans l'idéologie du roi de Justice et de Paix des Écritures44. Un certain nombre de ces prétentions restèrent, dans un premier temps, toutes théoriques, « en creux », mais elles préparaient l'avenir : « toute justice émane du roi », par ces mots se mettait en place une hiérarchie judiciaire qui fut lente à être admise sans résistance, mais on trouvait dans les Compilations, plus que des pétitions de principe, des textes à interpréter et à exploiter.
Présomptions et certa scientia
32L'exemple le plus caractéristique de l'emploi d'une figure procédurale pour conforter le pouvoir royal est celui de l'utilisation de la théorie des présomptions, combinée avec la notion de certa scientia, décrite par Jacques Krynen45 et par André Gouron, dont je me contente de reprendre les conclusions46. Comme le droit était principalement coutumier et que la législation royale restait peu développée, il échappait en grande partie au contrôle royal qui n'en était pas la source, même si le souverain prétendait en être le gardien47. Pour conforter le pouvoir du roi sur le droit positif, les juristes vont considérer que le roi est présumé, en vertu de sa certa scientia, connaître tous ces droits et consentir tacitement à leur application. Il y a là une habile figure juridique qui crée de toutes pièces un contrôle virtuel du droit par le souverain, et en tire les conséquences48 : qui dit permission tacite dit pouvoir de supprimer, de modifier et de créer un nouveau droit en légiférant, bref de légitimer une intervention royale que certains jugeaient intempestive49. Ici encore on peut vérifier la relativement rapide application « publique » de ces théories dès le XIIIe siècle. À ma connaissance, le plus ancien emploi de la notion de la certaine science du roi en matière politique se rencontre en France dans l'accord de Louis IX et du duc de Bretagne de 1231 où la certa scientia du roi se combine avec l'utilitas publica du royaume50. Au début du siècle suivant la doctrine est banalisée51.
Imperium
33Il était aussi des utilisations moins indirectes. La définition lapidaire de l'imperium, au tout début du Digeste52, permettait toutes les interprétations et les juristes ont rivalisé de virtuosité tout en exposant parfois leur perplexité et en sachant trancher pragmatiquement dans des cas concrets53. À partir des actions utiles et des actions directes, ils ont développé la théorie du domaine divisé qui permettait de relativiser les différents degrés de dépendance créés par la hiérarchie féodale, et bien que Jacopo Balduini († 1235), aux dires du grand canoniste Henri de Suze († 1271), ait déclaré que le domaine utile était une chimère, cette chimère n'en a pas moins été appliquée en pratique dès le second quart du XIIIe siècle54.
34L'exploitation normale de la procédure civile a été pour le Pouvoir le moyen le plus efficace, beaucoup plus que le droit pénal – qui au reste a été très bien étudié –, d'étendre son champ d'action et créer un véritable droit réservé au roi, à la couronne et à ses agents dans l'exercice de leur fonction. C'est un fait bien connu, décrit en maints travaux qui réclameraient la synthèse que l'on attend55 et que je ne saurais développer ici.
35On sait bien que les enquêtes « administratives » du XIIIe siècle sont une utilisation extra-judiciaire des enquêtes civiles. Ce sont cependant, ici encore, des institutions à première vue très techniques qui entraînent des résultats les plus larges. Les travaux de Jean Hilaire ont bien dégagé l'importance de l'appel56, dont il faudrait cependant une étude plus précise surtout dans la chronologie de sa diffusion57 et personne n'ignore le rôle des appels gascons dans la politique royale au début de la guerre de Cent Ans58.
36Le développement et l'utilisation de certains points de procédure, comme les cas de saisine et de novelleté – lorsqu'un possesseur paisible avait été dépossédé violemment de son bien par celui qui le lui disputait, affaires fréquentes dans cette société de possédants et qui pouvait aussi s'appliquer par extension à de nombreuses autres situations, en particulier les matières ecclésiastiques59 – ont moins retenu l'attention des historiens du pouvoir60, alors qu'avec la prévention ils ont été un moyen d'étendre le contrôle royal de façon efficace : les cas royaux se multiplièrent dès le XIIIe siècle et de façon significative, les juristes les appelèrent souvent « cas privilégiés »61. Les développements théoriques sur les cas royaux se rencontrent dans des œuvres célèbres mais surtout des listes en ont été dressées dès la fin du XIVe siècle62.
37Ces cas royaux ont d'ailleurs été très tôt mêlés aux listes de droits du roi qui apparaissent au même moment et qui sont enfin les premiers pas vers l'établissement de droits du roi autonomes. Très vite, la liste des droits royaux établie à Roncaglia (1158) s'était, on l'a vu, avérée trop succincte et les juristes s'attachèrent à la compléter à partir de la fin du XIIIe siècle63. Pour la France, la liste de mai 1372 est bien connue depuis l'étude qu'en a faite Ernest Lavisse en 188464. Elle fut suivie de bien d'autres. L'avocat parisien Jean le Coq en a dressé trois dans lesquelles il note avec précision lorsque ces droits sont contre le jus commune : « Privilèges du fisc appartenant à lui seul selon le droit civil », « Privilèges du roi et de ses fils selon le droit canonique et divin », « Droits royaux coutumiers »65. L'archevêque de Toulouse Bernard de Rosier (1400-1475) ne procède pas autrement plus d'un demi-siècle plus tard dans ses Miranda de laudibus Francie et ipsius regimine regni (1450)66.
38Bien plus, tout en exploitant progressivement et au mieux les textes de Justinien traitant de pouvoir, de gouvernement, de juridiction et de procédure, les juristes ne se sont pas privés de chercher ailleurs, dans les titres et chapitres concernant le droit des personnes, des biens, des contrats, des obligations, de quoi régler certains problèmes d'administration et de gouvernement et même de poser des principes généraux.
Droit de la famille
39Dans une société où le pouvoir était depuis longtemps fortement personnalisé et patrimonialisé, le recours au droit « privé » n'a rien que de normal. Même si l'on savait faire parfaitement la différence entre la personne et la fonction67, il n'en restait pas moins vrai que la personne physique du roi était capitale et que des actes importants de sa vie personnelle avaient des incidences politiques. Le mariage du roi n'avait rien de comparable avec le mariage mystique de sainte Catherine, il était bien réel. Mais l'emploi de la métaphore du mariage du roi avec le royaume68 ou une province69, courant à partir du milieu du XVe siècle en France avant de s'épanouir au milieu du siècle suivant, radicalise l'image en entraînant des conséquences juridiques70 : le domaine est la dot apportée au souverain par le royaume, il est, comme elle, inaliénable. Le régime matrimonial royal n'était pas cependant particulièrement privilégié, l'assise du douaire de la reine, comme celui des épouses de plusieurs barons, devait seulement faire l'objet d'un acte écrit – étant entendu que le douaire serait alors inférieur au douaire normal – et non suivre la règle générale de la moitié des biens propres du mari, ainsi que le précisa une constitution, perdue, de Philippe Auguste de 121471, mais tout le monde pouvait procéder de même : royaume et baronnies n'étaient donc que des immeubles privilégiés!
40Les successions ou la tutelle du souverain mineur étaient aussi de première importance et de véritables questions « publiques ». On le vit bien lors de la crise de succession du début du XIVe siècle. Jusque-là, la succession au royaume de France était allée de soi, le plus âgé des fils du roi lui avait toujours succédé. En 1316 puis à nouveau en 1328, il fallut, faute de fils, choisir un héritier à la couronne et le choix se porta sur le frère puis le cousin du roi défunt par suite de raisons politiques bien connues. Nul ne s'était jamais posé la question de savoir si une femme pouvait éventuellement succéder au royaume de France – dans sa sagesse Dieu y avait pourvu, puis il y avait eu les péchés de Philippe le Bel – mais on en avait des exemples dans d'autres pays (royaume de Portugal, de Sicile) et dans les comtés et duchés dont les rois de France avaient même parfois épousé l'héritière. La difficulté de justifier en droit les choix de 1316 et 1328 a entraîné l'« invention » de la loi salique72 après que l'invocation de la lex Voconia par François de Meyronne se soit avérée peu efficace73 et que les Anglais aient dédaigneusement repoussé l'allégation de la coutume et réclamé la production d'un « édit ou un statut »74. Échaudés par ces difficultés, les rois de France ont donc ensuite fixé par des constitutions nouvelles75 l'âge de la majorité royale76 et organisé avec précision la tutelle77 du roi mineur et la régence du royaume78.
41Au niveau inférieur, l'hérédité générale des charges : duchés, comtés et grands fiefs avec juridiction, issus des divisions administratives carolingiennes ou assimilés à elles, avait entraîné l'apparition de règles de succession assez semblables, caractérisées par la primogéniture et la masculinité, se combinant pour exclure les femmes tant qu'il y avait des successibles mâles, ce qui évitait la division de ces « honneurs » – ils ne « partaient » pas. Pour les autres fiefs, les usages locaux étaient variés et l'aînesse relative généralisée. Dans les pays de droit coutumier ces règles ne furent pas précisées avant le milieu du XIIIe siècle au plus tôt, dans les pays de droit écrit, l'empreinte du droit commun fut plus forte et les successions de grands fiefs furent réglées par testament dès le XIIe siècle mais sur ce point ils suivent la règle de primogéniture des « honneurs ».
42Le fameux adage « Le mort saisit le vif » fit son entrée, au moins en politique, au temps de Charles V pour signifier l'instantanéité de la succession royale, adage coutumier, habillé à la romaine79 la première fois qu'il apparaît dans le songe du Vergier80. Jacques Krynen a parfaitement décrit la destinée « constitutionnelle » de cet adage de pur droit successoral privé et ses conséquences institutionnelles capitales : couronnement et sacre ne sont plus nécessaires, du moins aux yeux des juristes, pour « faire » le roi, je ne reprends pas sa démonstration81. Le droit familial était donc tout à fait apte à remplir des fonctions « politiques » pour tout ce qui touchait aux questions de successions à la royauté ou aux charges héréditaires82.
43On y trouva aussi, par déduction, des droits plus généraux. À partir de la tutelle les juristes développèrent le droit d'intervention de l'État sur les communautés d'habitants, les fameuses universitates, toujours à surveiller, par glissement de sens et assimilation. En effet, dès la fin du Xe siècle le roi est assimilé à un tuteur83 et le mot tutelle est employé au XIIe siècle dans le sens général de protection84. Les juristes franchirent vite le pas, qui rapprochèrent cette tutelle générale de celle, précise, des mineurs, et en déduisirent un certain nombre de prérogatives pour le pouvoir et de privilèges pour les communautés85, bref, d'un mot ils firent une institution86.
44Toujours dans le droit des tutelles, une règle destinée à faire approuver certaines décisions d'un tuteur par les autres co-tuteurs eut une fortune plus singulière encore puisqu'elle a servi de base à la légitimation de la représentation collective87 : « Ce qui concerne tout le monde doit être approuvé par tous »88. Rien ici ne permettait de passer directement des tuteurs89 aux représentants du populus, si ce n'est la méthode des civilistes – commune aux canonistes qui sont d'ailleurs les premiers à appliquer la maxime – de mettre tout le Corpus sur le même plan : une remarque incidente peut ainsi devenir le point de départ d'une construction extrêmement développée, que rien ne pouvait laisser prévoir.
Droit des contrats
45Le droit des contrats pouvait aussi offrir de nombreux matériaux, les passages consacrés au mandat furent mis à contribution pour préciser les questions de représentation. Destiné d'abord à la simple représentation en justice ou pour un contrat – les registres de notaires sont remplis de ces procurations générales ou spéciales – le mandat fut exploité d'abord par les lecteurs attentifs des Compilations que furent les canonistes qui édifièrent une théorie de la délégation particulièrement en matière de justice. À leur tour les civilistes bénéficièrent de cette réflexion de leurs rivaux90.
46On a vu plus haut le rôle d'une clause de style que l'on rencontrait dans de nombreux contrats, la certa scientia, il va être question de celui de la prescription qui se rattache aux questions de possession.
L'exploitation des incises
47À coté de ces utilisations du droit civil, assez compréhensibles, certains droits et prérogatives du roi, et non des moindres, eurent pour source une incise extraite de son contexte et commentée d'abondance.
48Deux courtes phrases ont ainsi joué un rôle notable pour légitimer les prétentions des princes à tout contrôler ou posséder : dans la première, insérée dans un chapitre du Digeste sur le droit maritime, et plus précisément sur la loi rhodienne du jet des marchandises par dessus bord en cas de danger (livre 14, titre 2, Ad legem Rhodiam de jactu, 9), l'empereur, « en tant que maître du Monde », estimait cette loi non contraire à celles de l'Empire91.
49Dans le chapitre Bene a Zenone du Code, seul un très court membre de phrase a été retenu et abondamment allégué et commenté : « tout appartient au prince »92. Ces affirmations aux yeux de certains juristes légitimaient les prétentions de l'empereur germanique à être supérieur aux autres rois de la chrétienté, sinon du Monde93.
50Bien entendu, les rois n'ont jamais accepté les prétentions universalistes de l'empereur et leurs conseillers se chargèrent de réfuter juridiquement ces prétentions. Le plus sourcilleux a été le Rex per excellentiam, le roi de France. Contre elles, les juristes du roi pouvaient invoquer l'autorité pontificale en s'appuyant ici aussi sur la remarque incidente de la décrétale Per venerabilem (1202) d'Innocent III, insérée dans la Compilatio tertia (1210) puis dans les Décrétales de Grégoire IX (1234) dans le titre 17 du livre 4, concernant la légitimation des enfants naturels, le pape se contentant d'ailleurs de prendre acte d'une situation de fait94, avait déclaré que « le roi ne reconnaît aucun supérieur au temporel », mais parole du pape vaut loi.
51Les juristes ne manquaient pas non plus d'invoquer la prescription : la Gaule avait bien fait jadis partie de l'Empire – ils connaissaient trop bien l'Histoire pour le nier –, mais elle n'en dépendait plus depuis un tel délai que la juridiction impériale avait été prescrite, bien qu'en la matière on ait pu sans trop de peine réfuter l'argument puisqu'il s'opposait manifestement à celui de l'inaliénabilité des biens du royaume défendue par les juristes du roi de France95. L'Espagne y ajoutait la reconquête, qu'elle avait faite seule, sans l'appui de l'Empire qui l'avait abandonnée. Débats formels ? Il est difficile de trancher tant les juristes sont insistants, les débats toujours recommencés, les précautions constantes pour réfuter cette subjection que les empereurs ne manquent jamais de considérer comme naturelle96.
52Point n'était donc toujours besoin, pour gloser sur le pouvoir et asseoir l'autorité du roi, de textes longs et précis, on pourrait presque affirmer le contraire97.
53En ce milieu du XVe siècle, on a classé les droits du roi, on les exalte, parfois même un peu trop – penser aux délires de Jean de Terrevermeille qui fait du roi un véritable despote –, mais on les considère toujours comme des privilèges, sans en faire encore un droit public spécifique, ce qui n'empêche en rien des résultats pratiques remarquables.
54Il y a cependant quelques indices de changement dans l'œuvre, au demeurant si déroutante, de Jean de Terrevermeille98. Bien qu'il ait utilisé le Corpus juris civilis comme ses devanciers, il tenta véritablement de créer un droit royal spécifique. Il s'efforça d'approfondir l'idée de dignité, à la mode depuis le siècle précédent99, et de singulariser la succession au trône de France. Il invoqua même la division du droit entre droit public et droit privé et entre les choses privées et publiques et, le royaume étant une res publica, sa transmission ne pouvait donc suivre les règles normales des successions : le roi ne succède pas patrimoniali modo sed solum regia potestate et auctoritate. Mais cette tentative rationnelle de dissociation – il évoque même le status publicus regni – s'entremêle à la vision organique traditionnelle du corps mystique du royaume et à l'exaltation de la coutume contre le jus commune. Pour intéressante – et effrayante dans ses conséquences extrêmes – la tentative tourna court et le droit resta unitaire. Sans doute aussi faut-il invoquer le peu d'autorité de Jean de Terrevermeille, simple licencié qui ne fut jamais une auctoritas, et surtout la difficulté de changer les habitudes anciennes d'utilisation des Compilations à une époque où le droit subissait une crise profonde et où le confusionnisme est de règle : le temps n'était donc pas favorable à des classements plus subtils et surtout nouveaux. Il fallut, plus que le choc de l'humanisme juridique100, la décomposition de l'enseignement à la fin du XVIe siècle pour que changent les méthodes et qu'émerge l'idée d'un droit spécifique et de nouveaux vocables : lois fondamentales, constitution du royaume, enfin droit public.
55L'exemple parfait de l'absence de l'idée même d'un droit public autonome à l'aube du XVIe siècle est illustrée à merveille par un juriste dont l'œuvre vient de faire l'objet d'une analyse remarquable101. Guillaume Benoît (1455-1516) enseigna le droit canonique à Cahors de 1482 à 1499. Pendant plus de seize ans il « répéta » – c'est bien le cas de le dire – le début de la seule décrétale Raynutius (X 3, 26, 16) consacrée en fait à un cas complexe de droit successoral. Il arriva, par un tour de force des plus singuliers, à exposer dans son cours, très suivi, rien moins que le statut royal, la fonction du roi et son pouvoir, le statut de l'État et ses relations avec l'Église! L'art de la digression développé dans ses limites extrêmes. Comment mieux faire comprendre102 que l'on pouvait parfaitement se passer de la summa divisio chère aux juristes contemporains pour asseoir la puissance royale ?
56Jusqu'à la fin du Moyen Âge, on s'est donc fort bien passé d'une classification du droit qui paraît de nos jours presque aller de soi (droit privé, droit public, droit judiciaire privé et pénal, droit administratif103, droit constitutionnel). L'unité des sources doctrinales sur lesquelles les juristes raisonnaient, le Corpus juris civilis, commandait cette vision unitaire du droit et explique qu'ils aient plutôt attaché leur attention à ses sources – droit écrit, ordonnances, coutume – et à leur hiérarchie respective, dans un système dominé par la pluralité des droits et la procédure civile mais qui recherchait avant tout l'unité.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Gérard Giordanengo, « De l'usage du droit privé et du droit public au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales [En ligne], 7 | 2000, mis en ligne le 03 janvier 2007, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crm/880 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.880
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