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1Il y a douze ans paraissait le livre de Jean Delumeau, Rassurer et protéger (Paris, Fayard, 1989). Il correspondait au second volet d’une vaste enquête dont la première partie avait été consacrée au sentiment de la peur en Occident. Jean Delumeau se référait alors à Lucien Febvre, auteur d’un article pionnier, « Pour l’histoire d’un sentiment : le besoin de sécurité » (Annales, XI, 1956), qui mentionnait le thème de la « sécurité spirituelle », c’est-à-dire de « la sécurité dans l’Au-delà […], le ou les problèmes du salut, qui s’imposèrent avec une force renouvelée aux hommes du XVIe siècle ». Et Jean Delumeau de pointer le synchronisme entre les progrès techniques, les assurances maritimes d’un côté, et les évolutions religieuses de l’autre (doctrine de la justification, prières pour les âmes du Purgatoire, pratique du chapelet). Dans son volumineux ouvrage, Jean Delumeau s’était employé à dessiner les contours d’un système de protection traditionnel, dont les bénédictions, les processions, les dévotions aux saints et le culte marial formaient l’ossature. Cependant, tout en montrant les origines médiévales de ce système, le propos de l’historien se recentrait sur l’époque moderne, sur les guides et remèdes contre les dangers de l’au-delà (dévotion aux anges gardiens et à saint Joseph, système des indulgences, port du scapulaire et pratique du rosaire), sur la mise en cause de ce système de protection par la Réforme, sur son renforcement et sa transformation dans le catholicisme et le protestantisme, avant qu’une remise en cause plus profonde et une laïcisation ne s’opèrent vers le milieu du XVIIIe siècle.

2Tout en s’inspirant de la synthèse de Jean Delumeau, la présente enquête vise à reprendre ce vaste sujet, avec des ambitions plus modestes. Il s’agit d’abord de revenir aux trois derniers siècles du Moyen Âge, qui voient se diversifier et s’amplifier les modes de « sécurité spirituelle », pour reprendre l’expression de Lucien Febvre. Il s’agit, à partir de points d’observation, de sources et d’approches diverses, de tenter de mieux cerner une notion souvent implicite ou mal définie, de mieux appréhender les attentes des hommes et de mieux situer ce qu’on appellera – faute de mieux – la « protection spirituelle » dans la vie religieuse chrétienne. Il s’agit aussi de réunir des travaux d’historiens qui ont déjà été amenés à aborder ou a côtoyer ce sujet, mais sans faire œuvre collective.

3Lancé en concertation avec Éric Palazzo, alors chargé de recherche à l’IRHT d’Orléans, ce projet de dossier sur la protection spirituelle est rapidement apparu comme fédérateur, susceptible de donner lieu à des études précises et d’être décliné à partir de sujets et d’approches variées.

4Au cœur de l’enquête envisagée figurait une interrogation majeure : que recouvrent au Moyen Âge la « sécurité spirituelle » ou la « protection spirituelle » ? Comment s’articule la relation entre le sentiment de sécurité, la recherche de protection, et le discours de l’Église ? Celle-ci considère en effet de façon plutôt négative le sentiment de sécurité : selon saint Augustin, la vraie sécurité appartient à l’au-delà ; elle ne peut être vécue ici-bas que dans une expérience fulgurante. Le lot de la vie, c’est l’insécurité, l’adversité, la tentation permanente. Le croyant n’a pas à rechercher la sécurité illusoire, mais à demeurer dans l’inquiétude et la vigilance. La paix céleste est à ce prix. Thomas d’Aquin ne délivre pas un message très différent. Il accorde peu de place au sentiment de sécurité, sentiment trompeur, entaché de connotations négatives, qui entraîne la négligence et atténue l’espoir. C’est encore l’image de l’homme inquiet, actif et vigilant par vocation, qui s’impose.

5Il faut donc s’efforcer de préciser la nature et l’extension de cette protection demandée par les fidèles et entretenue par les rites les plus divers. On s’efforcera d’aller plus loin en examinant comment, et dans quelle mesure, la protection spirituelle a pu constituer un moyen d’affirmation d’une identité (spatiale, sociale, politique, culturelle…), impliquant une séparation et un rapport à une altérité, conçue comme différente ou négative. Il s’agit donc d’aller autant que possible au-delà des finalités avouées, apparentes et immédiates, des demandes et des moyens de protection.

6Un autre axe de réflexion – mais qui croise le précédent – tente d’analyser dans quelle mesure la protection, en tant que besoin religieux, a pu constituer une importante source de production du sacré et structurer la vie religieuse (développements de rituels, d’images de dévotion, sacralisation des espaces, etc.)

7On a retenu trois orientations majeures, susceptibles de rassembler les approches et les objets d’étude les plus variés et de réunir des chercheurs en histoire religieuse, de spécialités diverses.

8Comme le suggérait déjà Lucien Febvre dans son article de 1956, il convient d’aborder l’étude du « sentiment de sécurité » par une recherche du vocabulaire. Dans Rassurer et protéger, Jean Delumeau notait que dans la plupart des langues européennes, les termes signifiant la sécurité, la sûreté, le salut, se renouvelaient ou se précisaient à la fin du Moyen Âge, signe d’un effort de conceptualisation d’un sentiment insuffisamment formulé.

9Il n’a pas été possible d’entreprendre une vaste enquête sur le vocabulaire de la protection, qui aurait fourni la matière d’une première partie de ce recueil, et il est clair qu’il manque ici notamment une étude du vocabulaire des textes liturgiques, tant il est vrai que la liturgie est un point d’observation privilégié pour approcher le thème de la protection et ses modes d’expression. Éric Palazzo nous a fait observer que le champ lexical de la protection ne se limitait pas à custodire et protegere, et a relevé l’importance du verbe tueri dans les oraisons des sacramentaires. Les textes liturgiques, bénédictions, prières, ont une importance fondatrice, un rôle de modèle, de schéma directeur dans ce champ de la protection. Cependant, chemin faisant, plusieurs auteurs apportent des éléments sur le vocabulaire de la protection. C’est ainsi que tueri se rencontre encore dans les prières à l’ange gardien en usage à la fin du Moyen Âge. Si l’on ne dispose pas ici d’éléments suffisants pour parler d’une précision croissante des termes signifiant la protection, on constate en tout cas une multiplication des verbes, et comme une explicitation, ou extériorisation, des sens multiples contenus dans le verbe tueri (protegere, custodire, defendere, gubernare, tergere…). On peut noter aussi la tonalité affective des demandes de protection adressées aux saints, aux anges, à la Vierge et à Dieu même.

10La première partie est consacrée aux agents et médiateurs de la protection. Elle regroupe des études consacrées à la Vierge, aux anges gardiens et aux saints. Le culte des saints s’est largement nourri de la demande de protection des fidèles. Tout le système de médiations, de la Vierge Marie aux anges gardiens et aux saints de différents types mérite d’être abordé sous cet angle, à travers quelques études de cas.

11La figure traditionnelle de saint Benoît permet de rappeler les origines romaines du culte des saints, issu de la figure du patronus romain, protecteur des hommes et des biens. La prière et l’intercession du saint entraînent des miracles plus extraordinaires les uns que les autres. On note que la protection n’est pas exclusivement liée à un lieu précis, et que la protection peut s’exercer dans un contexte militaire et aller jusqu’à impliquer le châtiment de ceux qui nuisent aux protégés. Avec le cas de saint Olaf, on est en présence d’un exemple remarquable de diffusion du culte des saints à la fin du Moyen Âge dans les contrées les plus reculées de l’Occident. Agent d’une protection universelle, matérielle et spirituelle, premier des intercesseurs, saint Olaf est d’abord un protecteur des rois. À la fin du Moyen Âge, il semble exercer une protection plus purement spirituelle, qui s’exerce notamment dans la lutte contre les démons, et les tentations, indice d’une christianisation plus poussée.

12Entre le XIIIe et le XVe siècle, les images religieuses deviennent des supports importants de la piété. Il était donc indispensable de mener une réflexion sur le rapport entre l’image et le besoin de protection (images dispensatrices de protection, images signifiant la reconnaissance du fidèle, la réalisation d’un vœu, etc.). C’était aussi l’occasion d’appréhender la frontière entre dévotion et superstition.

13Le remarquable dossier de l’iconographie funéraire à motif trinitaire, réuni et analysé par François Boespflug, montre combien fut grand le besoin de visualisation du passage en jugement et de manifester une espérance dans des intercesseurs toujours plus efficaces. L’idée d’un Dieu terrible et lointain, craint et tenu à distance par les fidèles, s’en trouve pour le moins écornée. Dominique Donadieu-Rigaut nous dévoile la polysémie d’un motif iconographique bien connu, le manteau de la Vierge : signe d’élection, plus que de protection, il conquiert ce sens dans des circonstances bien précises, notamment quand il représente la Mater Ecclesia protectrice, garante de l’unité de l’ordre franciscain.

14La troisième partie est consacrée à l’étude des moyens de la protection. Le besoin de protection est producteur non seulement de rites, mais aussi de temps et d’espaces sacrés. C’est ce que montre Thomas Gergen à partir de la langue juridique, appliquée aux espaces protégés, les « cercles de paix ». Les lanternes des morts qui s’édifient au XIIe siècle en Poitou, Saintonge et Limousin, sacralisent un espace potentiellement dangereux, celui du cimetière. Patrice Beck attire notre attention sur le pouvoir protecteur que l’on a pu attribuer au prénom dans l’Occident médiéval. Parmi de nombreuses pratiques religieuses, Edina Bozoky et Catherine Vincent ont choisi d’analyser respectivement des usages populaires aux frontières de l’orthodoxie – le port d’amulettes, d’invocations ou charmes, et de bijoux prophylactiques – et des usages plus traditionnels – l’offrande de luminaires – qui permettent de prendre la mesure de la protection comme source de sacré et d’approcher les significations profondes de ces gestes et coutumes.

15On peut, me semble-t-il, tirer un certain nombre d’enseignements de l’ensemble des contributions à ce volume, d’autant plus qu’au-delà de la tripartition du plan que l’on vient de présenter et d’un article à l’autre, apparaissent de convergences remarquables.

16Tout d’abord, sur la définition de la protection spirituelle : la protection n’est que rarement purement spirituelle ; elle est généralement spirituelle et matérielle. L’âme et le corps sont concernés par les prières à l’ange gardien ou aux saints. En réalité, les deux domaines ne sont guère dissociables, en dépit de tendances dualistes, dans la mesure où le plan corporel, le premier concerné par les conditions de l’existence humaine et par le péché en particulier, est appelé à être préservé et purifié en vue du salut et de la résurrection. La recherche d’une protection matérielle est au fond celle de conditions meilleures, plus favorables à la piété et aux bonnes oeuvres. Dans cette perspective, le matériel ne s’oppose pas au spirituel. Si les demandes de protection matérielle ou de secours peuvent s’expliquer d’abord par un sentiment de précarité et de vulnérabilité, elles s’appuient sur la conviction que le Créateur peut intervenir directement ici-bas dans les faits les plus quotidiens.

17Que recouvre le champ de la protection spirituelle ? il y a d’abord une demande de protection ponctuelle, conjoncturelle, liée à un événement précis, comme en témoignent les bénédictions des récoltes, les prières pour la fécondité d’une femme ou la guérison d’un homme, les applications d’images sur le corps d’un malade. Il y a d’autre part une protection spirituelle qui est sollicitée dans une perspective eschatologique, celle du salut de l’âme, pour lequel est demandée l’intercession des saints, des anges, de la Vierge et de Dieu lui-même. Mais, même si cette perspective est très nettement présente dans les articles de ce recueil, le plus important est sans doute ailleurs.

18Entre la protection ponctuelle et la protection liée aux fins dernières se dessine une protection médiane, qui allie fortement les deux dimensions. Il s’agit d’une protection que l’on espère continue dans le temps terrestre grâce à la répétition régulière et rituelle de certaines pratiques, et dont l’actualisation est par conséquent perpétuellement demandée par le biais d’oraisons, d’invocations, d’images, d’objets. Tout cela paraît intimement lié au thème de la « vigilance spirituelle » comme le soulignent, à partir d’exemples différents, Catherine Vincent et Cécile Treffort, mais aussi à une démarche intérieure plus poussée, qui tend à s’affirmer chez certains laïcs à la fin du Moyen Âge : la demande de protection correspond alors à une volonté de se préserver du monde, des tentations et du péché, d’obtenir un état de paix, extérieure et intérieure, qui crée les conditions de l’essor d’une vie spirituelle personnelle. De nombreuses prières aux anges ou aux saints en témoignent.

19L’intercession est au cœur de la démarche de la demande de protection. Les prières et les messes pour les défunts, en grande partie à l’origine du développement des confréries à la fin du Moyen Âge, sont fondées sur l’intercession et la communion des saints. La Vierge, l’ange gardien ou le saint sollicite pour le fidèle la bienveillance divine. Il s’agit donc d’une protection ou défense active, qui prend la forme d’un service, d’un ministerium, que doit accomplir l’agent sollicité. On notera également une correspondance étroite entre ce qui est demandé et les prérogatives ou attributions de l’intercesseur : saint Olaf, roi converti au christianisme, est d’abord le protecteur des rois de Norvège ; sainte Catherine, patronne des prisonniers, accorde ce qui lui a été accordé, c’est-à-dire la libération. Le souci d’une adéquation parfaite entre le fidèle, la nature de la demande et l’intercesseur s’inscrit dans le vaste mouvement de la spécialisation des saints et de leurs fonctions à la fin du Moyen Âge.

20Comme le souligne Catherine Vincent, le caractère répétitif des actes de piété apparaît contradictoire avec l’acquisition d’une assurance sur le salut. Le combat pour le salut est permanent, il ne connaît pas réellement de fin, le salut pouvant se jouer jusqu’au dernier soupir et même dans l’Au-delà pour les âmes du Purgatoire, qui bénéficient des suffrages des vivants et du secours de l’ange gardien.

21La protection spirituelle n’est donc pas obtention d’une sécurité spirituelle, qui ne saurait être qu’illusoire, mais une tension constante, un renouvellement indéfini d’actes extérieurs et d’attitudes intérieures censées préparer, purifier, entretenir, perfectionner l’âme et le corps en vue du salut. Les pratiques religieuses illustrent donc bien le message théologique de saint Augustin et Thomas d’Aquin.

22L’ensemble des études proposées permet de souligner combien la demande de protection est un puissant facteur de « production du sacré ». Sacralité dans l’espace, avec les espaces protégés des « cercles de paix » et les « lanternes des morts », sacralité du nom, avec le pouvoir protecteur attribué aux prénoms des saints, considérés comme des modèles et des parents spirituels, sacralité de la parole et de l’écrit, avec les formules prophylactiques ou incantations, les oraisons, les invocations des puissances célestes, les noms divins ou angéliques, sacralité des objets ou images-objets, avec les amulettes, les enseignes, les bijoux ou pendentifs-reliquaires présentés par Edina Bozoky.

23On remarquera que la sacralité déborde l’orthodoxie, soit que certains médias de la protection soient reconnus par les non-chrétiens, telles les statuettes mentionnées par Edina Bozoky, soit, plus généralement, que des formules à caractère prophylactique apparaissent au sein même des supports de la piété laïque ordinaire, comme dans les livres d’heures du XVe siècle.

24Cela nous amène à dire un mot de l’attitude de l’Église par rapport à cette demande de protection. L’Église la soutient et contribue à son développement, en diffusant des formules de bénédiction, des oraisons, en favorisant l’adoption des prénoms des grands saints et le parrainage spirituel, en promouvant le culte d’un saint qui devient le patron spirituel d’un peuple entier en cours d’évangélisation, comme Olaf en Norvège. Les multiples usages des cierges, très hiérarchisés, se répandent en référence à la liturgie. L’Église apparaît donc, par sa liturgie, ses rites, ses usages, comme une formidable matrice de la protection spirituelle. L’importance du modèle ecclésiastique se vérifie jusque dans la pratique des laïcs, qui relient un archétype biblique, évangélique ou apocryphe, à une formule censée l’actualiser et à un médiateur qui doit en renforcer l’efficacité symbolique. Généralement, l’Église tolère les ambiguïtés et se borne, dans le meilleur des cas, à condamner ce qui apparaît comme des détournements d’usages, comme le recours à l’hostie à des fins magiques, l’utilisation de suites de lettres ou de noms fondée sur la croyance à leur puissance intrinsèque, ou les Agnus Dei, ces images de l’Agneau de Dieu, fabriqués avec un mélange de baume, de chrême et de cire provenant du cierge pascal. Offerts en cadeaux par les papes, ils étaient censés protéger aussi bien matériellement que spirituellement, et on en produisit des faux.

25Dans les modalités concrètes que prend la protection, on remarquera une certaine récurrence du thème de l’enveloppement, qui est manifeste dans le manteau de Marie, les ailes ou le bras de l’ange gardien, la lumière de la lanterne des morts, les images, enseignes ou objets de toutes sortes apposées sur le corps, vêtu ou non, et même le brouillard qui vient opportunément camoufler la flotte norvégienne, grâce à saint Olaf. Il s’agit dans la plupart des cas de soustraire la personne humaine aux conditions de l’existence ordinaire, de l’isoler pour lui permettre d’accéder à un plan spirituel ou d’exécuter la volonté divine. Dans le cas des lanternes des morts, il s’agit de soustraire le cimetière à l’action des forces diaboliques ou au danger des hommes pécheurs.

26La lumière revêt une importance toute particulière comme forme de protection, en raison du faisceau de significations qui lui sont liées. Elle est tout à la fois image du Royaume de Dieu et du salut, image de la présence du Christ ici-bas et de la vigilance spirituelle, repérée aussi bien à propos des lanternes des morts par Cécile Treffort qu’à propos des offrandes de luminaires par Catherine Vincent. L’irradiation de la lumière du cierge déposé près de l’image d’un saint est à la fois actualisation de son rayonnement et appel à sa puissance spirituelle. Mais la lumière est encore porteuse d’un sens plus mystique, en rapport avec les degrés de la vie spirituelle, avec les opérations de purification, d’illumination et de perfectionnement, pour reprendre le vocabulaire du Pseudo-Denys, largement diffusé à partir du XIIIe siècle dans la littérature visionnaire et mystique. L’enveloppement dans la lumière, divine ou angélique, est l’un des signes majeurs d’une protection qui devient élection et accession à la béatitude. Des usages les plus populaires aux spéculations théologiques et mystiques les plus élevées, la lumière se prête à une gamme considérable de significations dont on a dans ce volume un certain nombre d’exemples.

27Les remarques générales que l’on peut tirer de la lecture de ces contributions ne doit pas estomper les nuances et les spécificités qu’elles mettent aussi en évidence, sans prétendre les expliquer entièrement. On retiendra notamment celles qui concernent la chronologie et la géographie. Les études de Cécile Treffort et de François Boespflug ont, entre autre, le grand mérite de mettre l’accent sur la dimension régionale de la protection spirituelle, l’une en montrant que la construction des « lanternes des morts » se limite au Poitou, au Limousin et à la Saintonge, l’autre en suggérant que l’iconographie funéraire à motif trinitaire s’épanouit essentiellement dans l’Europe du nord-ouest, dans l’espace flamand, germanique et britannique. On s’aperçoit ainsi que certaines expressions de la protection spirituelle donnent bien lieu à l’élaboration d’identités, géographiques et culturelles, même s’il est difficile d’expliquer complètement ces phénomènes.

28Centré sur les trois derniers siècles du Moyen Âge, ce volume souligne bien l’antériorité d’un grand nombre de pratiques et d’usages, qui s’inscrivent dans la longue durée de la piété médiévale, mais qui ont connu une diffusion beaucoup plus étendue dans cette dernière période. On songe par exemple au culte des saints, à la dévotion à l’ange gardien, à l’offrande des luminaires, mais aussi à l’extrême densité de la symbolique du manteau marial, dont Sylvie Barnay délimite les contours et repère les sources orientales.

29En même temps, les études mettent en évidence les mutations ou les spécificités des XIVe et XVe siècles, parfois sur les mêmes sujets : l’apparition de l’iconographie de l’ange gardien et de l’iconographie funéraire à motif trinitaire sont à relever, de même que l’essor du culte de sainte Catherine ou la promotion de saint Olaf comme protecteur du royaume de Norvège. On ne manquera pas non plus de noter que les moyens de la protection privée évoluent en fonction des progrès de la culture écrite chez les laïcs, comme le montrent les oraisons, le recours aux lapidaires ou aux apocryphes.

30Encore une fois, ce volume n’a pas la prétention de faire le tour d’un sujet aussi vaste et aussi difficile à maîtriser. Du moins espère-t-il présenter un ensemble capable de nourrir la réflexion et de susciter d’autres travaux ; il aurait ainsi atteint son but, en dépit de ses faiblesses ou de ses lacunes. Il nous reste à adresser nos chaleureux remerciements à tous les auteurs qui ont accepté de contribuer à cette entreprise, dans des conditions souvent difficiles, à Éric Palazzo, qui a participé à la genèse de ce projet, à Bernard Ribémont, qui a assuré la mise au point technique de ce volume des Cahiers de Recherches Médiévales, et à André Vauchez, qui a bien voulu l’honorer de sa préface.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Faure, « Introduction »Cahiers de recherches médiévales , 8 | 2001, 5-11.

Référence électronique

Philippe Faure, « Introduction »Cahiers de recherches médiévales [En ligne], 8 | 2001, mis en ligne le 13 mars 2008, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crm/401 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.401

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Auteur

Philippe Faure

Université d’Orléans

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Droits d’auteur

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