Navigation – Plan du site

AccueilNuméros12À la mémoire d'Alain LabbéAlain Labbé

Texte intégral

1Alain Labbé nous a quittés pendant la nuit des Rameaux de cette année 2004. Ce fut une immense tristesse. La nouvelle me parvint dans les premières heures du lundi 5 avril. Je venais d’arriver à Malte et, aussitôt, le soleil printanier de la belle île méditerranéenne m’apparut voilé. La séduisante architecture de La Valette – dont Alain m’avait parlé avec la chaleur rassurante qui lui était habituelle – et la splendide cathédrale Saint-Jean que je venais de visiter, aux somptueuses décorations baroques, marquées par la présence obsédante de l’Ordre des Chevaliers de saint Jean de Jérusalem, s’éloignèrent en un instant de mon esprit et de mon cœur. Tout cela n’était-il pas bien dérisoire ? Pourtant, je me trompais ; c’était en quelque sorte un signe du destin, car l’univers intellectuel et mental d’Alain Labbé ne sépara jamais la vie et ses séductions, la littérature, l’histoire et les arts, tous les arts.

2Dès le début septembre 2003, Alain ne m’avait rien caché de la terrible maladie qu’on venait de lui annoncer : il ne participerait pas au Jury de Thèse auquel je l’avais invité en décembre 2003, mais il tint à rédiger le rapport préliminaire dont il avait été chargé : ce document, argumenté, concis et chaleureux, fut sa dernière prestation universitaire. Je craignais cette disparition depuis des semaines, ayant constaté l’inexorable progression du mal : au téléphone, la voix était devenue de plus en plus faible, de plus en plus lasse, presque imperceptible ; pourtant, lors de notre dernière conversation, le vendredi 2 avril, j’avais repris espoir : la voix m’avait paru plus ferme, marquée d’une sérénité sans égale, semblait regagnée par une remarquable tranquillité. Ce n’était malheureusement qu’une apparence. Un groupe d’amis était présent lors des obsèques célébrées dans la petite localité de Saint Genès-Champespe, en Auvergne : Fl. Bouchet, M. Ott, J.-Cl. Faucon, P. Glaudes, D. Lacroix, Fr. Suard et J.-Cl. Vallecalle. Il témoigna de la notoriété du disparu et du respect qu’il suscitait.

3Né le 15 mai 1950 à Paris (XIVe), dans une famille aisée et cultivée, Alain Labbé ne faisait jamais allusion à ses origines. Il ne chercha jamais à en tirer parti, d’aucune manière. Beaucoup de médiévistes les ignoraient. Sa reconnaissance envers ceux qui l’avaient aidé en début de carrière était totale : il parlait avec vénération de R. Louis ; il évoquait avec chaleur C. Heitz ; il respectait profondément J. Stiennon (qui lui avait fait connaître R. Lejeune). Doté d’un naturel courtois, pourvu d’un esprit vif, sensible aux nuances les plus fines, Alain Labbé excellait dans les relations humaines. Homme de conviction aux compétences approfondies, il était capable de prendre de fermes décisions, tout en les enveloppant des rondeurs verbales que tout le monde lui connaissait. D’abord Professeur à l’École d’Architecture de Versailles, puis Maître de Conférences d’Histoire de l’Art à l’Institut d’Art de l’Université de Paris IV-Sorbonne, il n’hésita pas à infléchir le cours de sa carrière, quand il estima que le moment était venu. En 1993, son élection comme Professeur de Littérature du Moyen Âge à l’université de Toulouse-Le Mirail fut une grande joie pour lui ; j’en fus le témoin et m’en souviens parfaitement. Il fut très heureux dans son nouveau poste, dans une ville d’adoption qu’il aima dès l’abord. Jusque dans les dernières semaines de sa vie, il parla toujours de la Ville Rose avec bonheur. La très vaste culture d’Alain Labbé lui permettait d’aborder avec naturel et une élégance parfaite les domaines les plus divers : lecteur assidu des Textes Sacrés, il en appréciait tout spécialement l’influence sur le monde occidental et la littérature médiévale ; capable de commenter avec ferveur une sonate de Bach et, avec un enthousiasme de vrai musicien, un concerto de Mozart ou de Beethoven, il pouvait passer des heures à contempler les tableaux qu’il possédait. Pendant le XIXe Congrès international de la Société Arthurienne, en juillet 1999, ceux qui l’ont entendu présenter la cathédrale d’Albi savent à jamais qu’on ne portait pas le même regard sur une oeuvre d’art après l’avoir écouté.

4Son regard de critique donnait aux oeuvres une vie toute particulière. Lorsqu’il s’était penché sur une chanson de geste ou même simplement sur un épisode ou une laisse, on y apercevait des richesses encore insoupçonnées. La manière d’écrire d’Alain Labbé était très originale. Aérienne et noble, n’oubliant jamais la structure de base fermement établie, mais progressant en nombreux méandres qui apportaient précisions et nuances de toutes sortes, chargée d’images et de métaphores suggestives, sa phrase, au vocabulaire précis et comme naturellement recherché, entraînait le lecteur dans des analyses immédiatement perçues comme convaincantes. C’était une sorte d’écriture artistiquement imagée qui frappait tout particulièrement les étudiants et qu’ils admiraient sans réserve.

5L’aisance d’Alain Labbé était naturelle. Je le revois mettant sous son charme verbal les étudiants de Strasbourg, puis de Nancy : leur attention ne se relâchait pas, quel que fût le sujet de la conférence. De fait, aimant les rencontres et donnant volontiers de précieux conseils aux jeunes chercheurs, Alain Labbé participait assidûment aux Colloques et Congrès auxquels il était invité, qu’ils soient ponctuels – comme, à Strasbourg, Provinces, régions, terroirs au Moyen Âge, en 1991, ou Burlesque et Dérision dans les épopées de l’Occident médiéval, en 1993 – ou réguliers, c’est ainsi qu’il fut un habitué, pendant de nombreuses années, des travaux du CUER MA, à Aix-en-Provence. Bien entendu, les Congrès Rencesvals ne le laissaient pas indifférent : présent à Barcelone, Edimbourg, Grenade, il fut choisi par la Section française pour présenter, à Poitiers, en 2000, l’une des quatre séances plénières (Sous le signe de saint Jacques : routes et itinéraires dans la représentation épique de l’espace).

6Il est impossible de revenir dans le détail sur l’œuvre considérable d’Alain Labbé. Il est l’auteur de dizaines d’articles portant sur les mentalités, le temps, la conception de l’espace narratif, les personnages, les péripéties et épisodes, imaginant des comparaisons d’une chanson à l’autre, s’interrogeant sur la continuité et les ruptures, faisant appel à ses connaissances artistiques pour éclairer des aspects littéraires, multipliant les approches novatrices. Il connaissait parfaitement les différents Cycles épiques (avec une tendresse avouée pour le Cycle de Guillaume d’Orange et le Cycle des Lorrains) et si Girart de Roussillon fut sans contestation sa chanson fétiche, beaucoup d’autres ont retenu son attention. Sa thèse L’architecture des palais et des jardins dans les chansons de geste. Essai sur le thème du roi en majesté, publiée en 1987 aux Éditions Champion-Slatkine, lui permit de se lier d’une amitié profonde avec Michel Slatkine. Elle a été singulièrement mise à contribution dans toutes les universités françaises, en 2003-2004, alors que la Chanson de Roland était au programme des Agrégations littéraires.

7Alain Labbé laisse un grand vide dans le monde des spécialistes de la chanson de geste et manque déjà beaucoup à la communauté scientifique internationale et plus encore à ses nombreux amis. Nous ne l’oublions pas. Un an après sa brutale disparition notre peine reste immense.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Guidot, « Alain Labbé »Cahiers de recherches médiévales , 12 | 2005, 9-11.

Référence électronique

Bernard Guidot, « Alain Labbé »Cahiers de recherches médiévales [En ligne], 12 | 2005, mis en ligne le 30 décembre 2008, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crm/2152 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.2152

Haut de page

Auteur

Bernard Guidot

 

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search