Piotr Piotrowski, Dans l’ombre de Yalta : art et avant-garde en Europe de l’Est (1945-1989)

Dijon : Les presses du réel, 2021, 603p. ill. 24 x 17cm, (Œuvres en sociétés)
Index
ISBN : 9782840665359. _ 32,00 €
Préf. de Pascal Dubourg Glatigny, Christian Joschke
Texte intégral
1Pierre angulaire d’un champ d’étude longtemps considéré comme « subalterne » (p. 10), comme le rappellent Pascal Dubourg Glatigny et Christian Joschke dans la préface de cette édition française qui revient sur l’émergence d’une histoire de l’art est européen dans un contexte français et y situe le travail de Piotr Piotrowski, Dans l’ombre de Yalta est un véritable projet historiographique, méthodologique et théorique. La notion de « projet », d’ailleurs volontiers investie par son auteur, prend tout son sens au long d’un parcours ambitieux qui vise à « dégager le caractère singulier d’une des marges géo-artistiques de la culture européenne », dont l’étude a souvent été jalonnée de malentendus et d’approximations. Face au défi d’analyser la géographie artistique d’un territoire marqué non seulement par l’expérience commune du joug soviétique et du socialisme d’état, mais aussi par des traditions politiques, sociales et culturelles profondément diverses et par des chronologies différentiées, Piotrowski revendique une approche multipolaire et explore la singularité des scènes locales (Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Allemagne de l’Est, Roumanie, Bulgarie et Yougoslavie), attentif aux réseaux d’influences qui les façonnent et à leurs croisements transnationaux. Partant de « l’interrègne surréaliste » qui précède et accompagne le tomber du fameux rideau de fer, l’ouvrage aborde l’Art informel, l’abstraction géométrique, l’art figuratif ou encore le Pop art au prisme de visions de la modernité constamment négociées, soumises aux mutations des politiques culturelles officielles. Piotrowski insiste particulièrement sur le caractère syncrétique qui, affirme-t-il, fait la spécificité de ces avant-gardes est-européennes, promptes à assimiler des tendances en apparence contradictoires. Cette hétérogénéité s’explique selon lui par leur position marginale, la marge étant un espace « où il est plus facile de changer de position », d’être moins « attaché au purisme doctrinal » (p. 386). L’ouvrage examine ensuite les néo-avant-gardes des années 1970 avec un détour par une analyse des pratiques corporelles dans une perspective de genre avant de s’achever, en guise d’épilogue, sur les années 1980. Soulignant à plusieurs reprises l’inadéquation des grilles d’analyse reposant sur une perspective occidentale (Rosalind Krauss, Benjamin Buchloh) ou sur l’absence d’un regard suffisamment critique pour éviter l’écueil du néocolonialisme, Piotrowski défend pour sa part une lecture orientée et même militante, qui insiste sur la relation entre les pratiques et tendances artistiques et les circonstances politiques qui les accompagnent, au risque d’éclipser parfois certains facteurs moins visibles à une échelle globale. Dans l’ombre de Yalta contribue de manière essentielle à décloisonner la géographie de l’art européen, tâche poursuivie notamment par Piotrowski avec l’ouvrage collectif Art beyond Borders: Artistic Exchange in Communist Europe (1945-1989), l’un des derniers chantiers de l’historien de l’art polonais de son vivant (co-édité avec Jérôme Bazin et Pascal Dubourg Glatigny). Anticipant l’histoire de l’art horizontale qu’il théorisera par la suite, Piotrowski nous invite dans Dans l’ombre de Yalta à contempler « les lieux pris pour eux-mêmes (la diversité sans la hiérarchie) ». Dans cette injonction en apparence simple, qui implique un effort d’abandon et de dépossession des paradigmes dominants, réside l’enjeu d’une pratique critique et exigeante de l’histoire de l’art dans laquelle Piotrowski s’est pleinement investi.
Pour citer cet article
Référence électronique
Juliane Debeusscher, « Piotr Piotrowski, Dans l’ombre de Yalta : art et avant-garde en Europe de l’Est (1945-1989) », Critique d’art [En ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/critiquedart/92045 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/critiquedart.92045
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