1To Sustain the Vision marque une étape importante dans la redécouverte en France de l’artiste Judy Chicago, à laquelle Géraldine Gourbe contribue beaucoup. Elle lui a d’abord consacré une thèse en philosophie politique, faisant entendre l’importance du programme Women House – dans une histoire des expositions qui reste encore largement dominée par les hommes –, et de l’installation collaborative The Dinner Party. Elle a préfacé la traduction de son texte manifeste Through the Flowers : mon combat d’artiste femme (Les presses du réel, 2018). Au cours de cette mise en avant des enjeux féministes de son œuvre et de son rôle central dans l’invention de modalités collaboratives de travail, associant les sphères de l’art, de la pédagogie et de la vie intime, Géraldine Gourbe a constaté le peu d’importance accordé à la première période de l’artiste. Ce livre se focalise donc sur les œuvres de jeunesse de Judy Chicago, en s’appuyant sur l’expérience de leur mise en exposition dans une orchestration collective au sein de la Villa Arson. De l’enquête dans les archives du studio en Californie au projet curatorial, Géraldine Gourbe travaille avec une méthodologie imprégnée des modèles de savoir alternatifs, mettant ses recherches à l’épreuve des rencontres et de la fabrique de l’exposition. Ni essai théorique, ni catalogue, To sustain the vision (ce titre est issu d’une note trouvée dans les archives de l’artiste) est le récit d’une transformation : celle de l’auteur explorant des cheminements de recherche différents des voies académiques, et désirant faire vivre à d’autres le plaisir esthétique intense de (re)découvrir des œuvres majeures jusqu’ici très peu visibles. Elargir la compréhension de l’œuvre de Judy Chicago en refusant de tout unifier rétrospectivement sous le seul spectre féministe, et soutenir la vision dans un chemin émancipatoire pour regarder autrement cette artiste majeure des années 1960 sont l’ambition de ce livre. Dans les œuvres rassemblées, la rigueur conceptuelle et formelle ne se départit pas d’une quête du plaisir sensible, puisant dans les émotions et dans la Pop autant que dans un dialogue précis avec la sculpture minimaliste de l’époque. Judy Chicago crée aussi des installations in situ, mêlant les objets, les corps, les lumières et les architectures avec une grande attention aux ambiances. Les espaces et les atmosphères radieuses de la Villa Arson étaient un cadre idéal pour cette réhabilitation. Le reenactement [reconstitution] de Fever Room (1967), dont il ne restait que quelques images en noir et blanc et bien peu de traces personnelles, est désormais un souvenir fort de l’été 2018 pour beaucoup de visiteurs. Nous déambulions en chaussettes dans une salle blanche et vaporeuse, dans une atmosphère lumineuse intense, voire aveuglante, mêlés à un amas de plumes dont l’odeur, au fil des semaines, devenait de plus en plus forte, rappelant leur origine animale. Exploration sensible, tout aussi ludique qu’angoissante, Fever Room a débuté cet été-là sa réintégration à l’histoire des premières installations environnementales (si Judy Chicago était jusqu’ici bien identifiée dans cette histoire, ce n’était qu’à travers les expériences Women House du Feminist Art Program – voir, par exemple, les ouvrages de Claire Bishop), et cette publication va permettre de poursuivre ce travail très important de découverte.