L’Exposition, théories et pratiques
- Traduction(s) :
- The Exhibition. Theories and Practices

Berlin : Sternberg Press, 2019, 320p. ill. 23 x 18cm, eng
Bibliogr.
ISBN : 9783956794919. _ 22,00 €
Textes de Jennifer Bornstein, Claire Fontaine, Maria Lind, Adriano Pedrosa

Berlin : Sternberg Press, 2019, 224p. ill. 23 x 15cm, eng
ISBN : 9783956794636
Textes de Sofía Hernandez Chong Cuy, Goldin+Senneby, Ahmet Öğüt, Philippe Parreno, Joanna Warsza

Milan : Mousse Publishing, 2019, 190p. ill. en noir et en coul. 21 x 14cm, eng
ISBN : 9788867493337
Sous la dir. de Paula Marincola. Préf. de Bruce Altshuler. Textes d’Yves Aupetitallot, Teresa Gleadowe, Mary Jane Jacob, Lu Jie, Raimundas Malašauskas, Alan W. Moore, Seth Siegelaub, Jennifer (Licht) Winkworth

Paris : Paraguay Press, 2019, 52p. ill. 25 x 16cm, eng
ISBN : 9782918252658. _ 14,00 €
Sous la dir. de Pierre Bal-Blanc
Texte intégral
- 1 Salon to Biennial - Exhibitions That Made Art History, Volume 1: 1863-1959, Londres : Phaidon, 2008 (...)
1Depuis les années 1990, l’exposition est devenue un objet de recherche prisé et le sujet de nombreuses études. En découle un désir pour une histoire des expositions qui, contrairement à celle de l’art, prendrait en compte les conditions pratiques et sociales de présentation des œuvres. Parmi les nombreuses réponses à ces attentes, on compte Salon to Biennial de Bruce Altshuler1. Le titre de cette somme en deux volumes est explicite puisqu’il s’agit de faire l’histoire de la visibilité et de la reconnaissance articulée autour d’événements de grande taille et à destination d’un large public. L’émergence de l’histoire des expositions a accompagné celle de curateurs et de curatrices qui, revendiquant l’héritage d’Harald Szeemann, réclament le statut d’auteur et explorent les possibilités offertes par ce médium.
- 2 Altshuler, Bruce. « Innovating Sites », Site Read: Seven Curators on Their Landmark Exhibitions, Mi (...)
- 3 « Site in Context : Seth Siegelaub in conversation with Teresa Gleadowe », Site Read, op. cit., p. (...)
- 4 Winkworth, Jennifer (Licht), « Making Spaces : An Exhibition at the Museum of Modern Art », ibid., (...)
- 5 Malašauskas, Raimundas, « "There is a magnet in your hands": Hypnotic Show », ibid., p. 157-173
2Le livre Site Read: Seven Curators on Their Landmark Exhibitions s’inscrit dans ce sillage. Il réunit les témoignages inédits de concepteurs d’expositions à propos de projets retenus pour leur caractère innovant. Pointée par Bruce Altshuler dans sa contribution à l’ouvrage2, l’innovation en question consiste à inventer des formats pour perturber les habitudes en exposant hors des cadres muséaux, ou en bousculant ces derniers. Altshuler les ancre avec précision et rigueur dans une filiation richement documentée d’autres projets de ce type tels que Chambres d’Amis (1986), Skulptur Projekte Münster (depuis 1977) ou encore Cities on the Move (1997-1999). En réunissant cet essai et des témoignages, Site Read signale pourtant la béance qui, finalement, sépare toujours l’activité curatoriale et son historicisation. L’historien fait entrer en résonance des projets de nature similaire, tandis que les témoignages rendent compte de la grande diversité de leurs motivations, moyens et enjeux. Seth Siegelaub3, qui à la fin des années 1960 fit la promotion des artistes conceptuels en publiant des livres, explique simplement que l’impression passait alors pour un territoire disponible et riche de potentiels d’expérimentation. En 1969, Jennifer (Licht) Winkworth, curatrice au Museum of Modern Art de New York se voit confier la réalisation d’une exposition pour pallier les critiques auxquelles le musée fait face. On lui reproche de ne pas considérer les jeunes artistes. Winkworth4 raconte l’urgence, les lourdeurs institutionnelles, le manque de financement et de considération qui perturbent la préparation d’une des premières expositions d’œuvres in situ. Avec humour et facétie, Raimundas Malašauskas explique comment lui est venue l’idée d’organiser des expositions dans les cerveaux du public grâce à l’hypnose, et comment il la réalisa5.
- 6 Moore, Alan W., « Excavating Real Estate », ibid., p. 79-97
3Les projets se distinguent par les contextes et les motivations qui les font naître, ainsi que par leurs échelles et les rapports aux artistes invités. Alan W. Moore le restitue à propos de Real Estate Show, organisé le 1er janvier 1980 dans un squat de New York, et diffusé grâce au bouche à oreille6. Mary Jane Jacob raconte comment, en 1990, Places with a Past réunit des artistes internationaux spécifiquement sélectionnés pour réaliser des installations dans différents sites de la ville états-unienne de Charleston. De ces témoignages passionnants se dégagent surtout des points de vue singuliers sur l’art et le fait de le rendre public, narrés comme autant d’aventures.
- 7 Lire en particulier le chapitre « Conversations » (p. 213-306) et « Interviews » (p. 223-210), dans (...)
4L’actualité éditoriale nous fournit, en complément, la présentation par deux curateurs et une curatrice de leurs positionnements. Jens Hoffmann, Pierre Bal-Blanc et Maria Lind ont en commun d’être apparus dans les années 1990, d’avoir dirigé des structures et des biennales dont ils firent des objets de réflexion sur l’activité curatoriale. In the Meantime: Speculations on Art, Curating, and Exhibitions restitue dans des textes et des entretiens l’activité de Jens Hoffmann, important contributeur à une recherche de formes nouvelles d’expositions. Nombre de ses chroniques met les expositions dans une perspective historique pour mieux les analyser. Le choix qu’il effectue de textes monographiques, autant que celui des artistes (Dominique Gonzalez-Foerster, Valeska Soares, Maaike Schoorel, John Bock, Marepe, Alexandre da Cunha, Renata Lucas, Danilo Dueñas, Yoan Capote, Claire Rojas, John Baldessari, Brian Bello) qu’il invite, témoignent de son attention à la visibilité des minorités et des scènes artistiques extra-occidentales. Les discussions qu’il recueille sont autant de débats contradictoires alimentés par l’avis tranché, parfois combattif, de Jens Hoffmann7. Il défend la place primordiale de l’accrochage dans les expositions qu’il envisage comme des scènes sur lesquelles évoluent les œuvres, guidées par un script, le concept de l’exposition. Ses projets les plus ambitieux sont basés sur l’interprétation de livres ou d’expositions historiques. When Attitudes Became Form Become Attitude est une relecture, au présent, de la fameuse exposition d’Harald Szeemann. Avec Other Primary Structures, il fait de même à partir de Primary Structures, première exposition d’Art minimal en 1966. Le projet d’Hoffmann documente Primary Structures tout en le commentant et y associe des artistes d’Afrique, d’Asie et d’Europe de l’Est, absents de l’exposition initiale de 1966.
- 8 Hoffmann, Jens. « Catalogue Texts », In the Meantime, op. cit., p. 121-162
- 9 Hoffmann, Jens. « To Show or Not to Show?” / with Maria Lind », ibid., p. 273-278
5Les essais de Hoffmann sur ses expositions ont été originellement publiés dans des catalogues qui incluaient la liste des artistes participants. Elle est malheureusement introuvable dans In the Meantime8. Ce choix apparaît symptomatique d’une démarche qui, focalisée sur l’innovation curatoriale, pense d’abord les formes et les structures des expositions. Hoffmann privilégie la promotion d’un savoir-faire [craft], dont il déplore la disparition, causée selon lui par des pratiques curatoriales focalisées sur la mise en place de programmes de rencontres ou d’événements et perdant de vue l’accrochage. Il l’exprime clairement dans un entretien avec Maria Lind, « To Show or Not to Show ? »9, qui illustre leurs profondes divergences.
- 10 Lind, Maria. Seven Years: The Rematerialisation of Art from 2011 to 2017, Berlin : Sternberg Press, (...)
6Lind explique prendre les œuvres comme un point de départ dont découle le format de ses projets. On peut se convaincre de l’attention qu’elle porte à l’art dans Seven Years10, recueil de ses chroniques publiées dans la revue ArtReview entre 2011 et 2017. Elles témoignent d’un esprit subtil et attentif, prompt à des interprétations aussi inattendues qu’éclairantes. S’en dégage une façon de penser l’art, dans le moment où il se manifeste. Le regard et la pensée de Maria Lind apparaissent alimentés par une attitude curatoriale. Elle s’affirme en découvreuse dans plusieurs chroniques, notamment celles consacrées exclusivement à des livres, ceux de l’artiste Falke Pisano ou de la poètesse Lisa Robertson, à un espace d’exposition alternatif, The Artists Institut, ou encore à des artistes peu connues comme Marie-Louise Ekman. Ses considérations sur les œuvres prennent également en compte les contextes d’exposition. Ainsi le film Sisters! de Petra Bauer, qui documente une organisation féministe et antiraciste, est comparé à The Showroom, la structure qui le diffuse, elle aussi modeste et à vocation sociale. La richesse de ces chroniques tisse des liens, parfois surprenants, et dévoile une approche sensible fidèle au portrait d’une curatrice dont l’activité se présente moins comme un savoir-faire qu’un état d’esprit adaptable à des activités très diverses.
- 11 Milan Adamčiak, Geta Brătescu, Anna Daučiková, Valie Export, Stand Filok, Tomislav Gotovac, Sanja I (...)
7De son côté, Collective Exhibition for a Single Body est liée à un projet, celui que Pierre Bal-Blanc a produit dans le contexte d’une commande de Kontakt, la collection de la fondation Erste consacrée à l’art de l’Europe centrale, de l’Est et du Sud, qu’il avait précédemment entreprise à Athènes et montré lors de la documenta 14. Il s’agit d’une chorégraphie pour un corps dont chaque mouvement est une proposition formulée par un artiste ou basée sur une œuvre. Comme l’indique son titre, il s’agit bien d’une exposition collective pour un seul corps. Elle se présente comme un outil de réflexion, en acte, sur l’interprétation mais également sur les normalisations sociales du corps. Le livre en documente une approche enrichie d’œuvres et de performances produites dans l’ancien bloc communiste, qui cherchaient à passer inaperçues, à échapper aux regards et à circuler sous une forme documentaire pour des raisons politiques. Chaque artiste11 est présenté de façon autonome dans cette publication qui compte également une description de la partition. Son écriture protocolaire souligne l’ancrage du projet dans une conception radicale de l’Art conceptuel, également soulignée par la présence d’une licence qui en borne les conditions de vente et d’utilisation. Celle-ci peut également se comprendre comme une réponse à la question de l’auteur au sujet d’une exposition par des biais juridiques.
8Les livres de Pierre Bal-Blanc, Jens Hoffmann et Maria Lind, composés de matériaux divers, ne remplacent pas l’expérience des projets curatoriaux. Ce faisant, tous inventent une grammaire et un mode d’expression édité pour définir au mieux leur sensibilité respective et leur approche. Ainsi se distinguent des pratiques qui, dans leur généralité, pourraient sembler similaires.
Notes
1 Salon to Biennial - Exhibitions That Made Art History, Volume 1: 1863-1959, Londres : Phaidon, 2008 et Biennials and Beyond: Exhibitions That Made Art History 1962-2002, Londres : Phaidon, 2013 (sous la dir. de Bruce Altshuler)
2 Altshuler, Bruce. « Innovating Sites », Site Read: Seven Curators on Their Landmark Exhibitions, Milan : Mousse Publishing, 2019, p. 13-37
3 « Site in Context : Seth Siegelaub in conversation with Teresa Gleadowe », Site Read, op. cit., p. 39-59
4 Winkworth, Jennifer (Licht), « Making Spaces : An Exhibition at the Museum of Modern Art », ibid., p. 61-77
5 Malašauskas, Raimundas, « "There is a magnet in your hands": Hypnotic Show », ibid., p. 157-173
6 Moore, Alan W., « Excavating Real Estate », ibid., p. 79-97
7 Lire en particulier le chapitre « Conversations » (p. 213-306) et « Interviews » (p. 223-210), dans : Hoffmann, Jens. In the Meantime: Speculations on Art, Curating, and Exhibitions, Berlin : Sternberg Press, 2019
8 Hoffmann, Jens. « Catalogue Texts », In the Meantime, op. cit., p. 121-162
9 Hoffmann, Jens. « To Show or Not to Show?” / with Maria Lind », ibid., p. 273-278
10 Lind, Maria. Seven Years: The Rematerialisation of Art from 2011 to 2017, Berlin : Sternberg Press, 2019
11 Milan Adamčiak, Geta Brătescu, Anna Daučiková, Valie Export, Stand Filok, Tomislav Gotovac, Sanja Iveković, Anna Jermolaewa, Július Koller, Jiří Kovanda, Katalin Ladik, Simon Leung, Karel Miler, Paul Neagu, Manuel Pelmuş, Petr Štembera, Mladen Stilinović, Sven Stilinović, Slaven Tolj, Goran Trbuljak.
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Référence papier
François Aubart, « L’Exposition, théories et pratiques », Critique d’art, 55 | 2020, 172-180.
Référence électronique
François Aubart, « L’Exposition, théories et pratiques », Critique d’art [En ligne], 55 | Automne/hiver, mis en ligne le 30 novembre 2021, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/critiquedart/68097 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/critiquedart.68097
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