Qui est Ana Mendieta ? ; Ana Mendieta : Blood And Fire
Qui est Ana Mendieta ?, Montréal : Ed. du Remue-ménage, 2011
Ana Mendieta : Blood And Fire, Paris : Galerie Lelong, 2011
Texte intégral
1Deux publications en langue française viennent conjointement étendre la sphère de reconnaissance de l’artiste d’origine cubaine Ana Mendieta (1948-1985). L’ouvrage québécois, qui se présente sous la forme d’une bande dessinée, adopte une posture militante, en évoquant les zones d’ombre de la renommée de l’artiste femme Mendieta et les circonstances troubles de sa mort, la plupart du temps occultées. Le catalogue publié par la Galerie Lelong offre, quant à lui, plusieurs points de vue, plus classiques, sur son travail.
2Les plasticiennes Christine Redfern et Caro Caron publient aux Editions du Remue-ménage, un collectif féministe québécois actif depuis 1975, une bande dessinée destinée à lutter contre les violences faites aux femmes, en prenant appui sur la mort d’Ana Mendieta. Morte défenestrée, un procès sans suite eut lieu contre son compagnon, Carl André. Son œuvre et sa mort sont ici situées explicitement dans le cadre du manque de reconnaissance des créatrices et de la violence généralisée envers les femmes. Dans la préface, Lucy Lippard, l’une des pionnières de la théorisation des questions féministes en art aux Etats-Unis, affirme que ce livre ne traite pas de la contribution de l’artiste à l’art moderne, mais que « le style direct du récit graphique est idéal pour exprimer l’indignation que ressentent les femmes quant à l’ampleur de la violence conjugale et de la violence en général qui s’exerce contre nous. » Les planches insèrent dans un contexte collectif l’intérêt de Mendieta pour les religions primitives, spécialement afro-cubaines, pour les difficultés particulières des artistes de couleurs ou pour les problématiques féministes. La seconde partie inclut des informations sur ce contexte artistique et social, qui est traité sous la forme d’un journal quotidien, reproduisant des articles et replaçant l’artiste dans le milieu de l’art.
3La Galerie Lelong a permis de voir quelques œuvres d’Ana Mendieta, rarement montrées en France, et notamment quelques-uns de ses 80 films super-8. Accompagnée de deux essais, d’un entretien et d’une biographie, l’approche est résolument tournée vers les œuvres, en tentant d’ouvrir de nouvelles pistes d’analyses. Abigail Solomon-Godeau questionne la ritualisation des performances à l’aide de la sémiologie de la destruction et de la rage, des idéaux écologiques et éthiques actuels, cherchant à interpréter le travail hors de la méthodologie proposée par l’artiste. Cette approche aurait pu être plus développée. L’entretien avec Linda Montano, publié en 1988, évoque le rapport aux éléments naturels, vus comme des divinités. Cette lecture est élargie par Nancy Princenthal, qui associe avantageusement Mendieta aux recherches des artistes de son entourage, complétant les interprétations liées à la déesse mère par d’autres, plus actuelles, centrées sur l’exil.
4Ces deux ouvrages courts s’inscrivent dans le sillage de publications anglophones. Ils offrent donc des perspectives complémentaires, et non une étude destinée à un public français peu averti du travail de Mendieta. Leur apposition reflète deux usages mémoriels du travail et de la vie de l’artiste, aux sphères de réception différentes, et elle contient en soi la critique majeure portée à ces deux propositions : pourquoi faut-il systématiquement oblitérer une réalité féministe militante lors d’une lecture analytique en histoire de l’art et vice-versa ?
Pour citer cet article
Référence électronique
Fabienne Dumont, « Qui est Ana Mendieta ? ; Ana Mendieta : Blood And Fire », Critique d’art [En ligne], 39 | Printemps 2012, mis en ligne le 01 avril 2013, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/critiquedart/2625 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/critiquedart.2625
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