1Alain Cueff porte son regard sur « l’évidence ostentatoire » des ciels d’Amérique, « qui les fait passer inaperçus » (p. 24). Dans ces espaces ouverts et infinis, en perpétuelle transformation, se projettent des aspirations mystiques, voire morales, mêlées à des considérations pragmatiques. L’auteur distingue les ciels dans l’art des Etats-Unis de ceux de la longue tradition religieuse européenne. Au XIX^e siècle, ceux-ci se déploient dans les représentations d’une nature sublime et sauvage, la wilderness, et entretiennent la croyance du Manifest Destiny, promesse d’une conquête des grands espaces de l’Ouest, soi-disant vides. A priori mystiques, ils se retrouvent au fondement du mythe colonial de la nation états-unienne, aux débuts du cadre national et temporel apposé par Ciels d’Amérique : 1801-2001. L’ouvrage suit un développement chronologique dont le cours est fidèle à une histoire conventionnelle de l’art des Etats-Unis, mais à l’écart des termes imposés par les mouvements artistiques. Chaque chapitre se concentre sur le travail d’un artiste en particulier ou sur celui d’un petit groupe. Parmi ceux-là, on peut citer Thomas Cole, Winslow Homer, Albert Pinkham Ryder, George Bellows, Alfred Stieglitz, Marsden Hartley et Georgia O’Keeffe, Thomas Hart Benton, Jackson Pollock et Barnett Newman, Robert Smithson et Walter De Maria, Ed Ruscha et Jack Goldstein. L’horizon, à la fois séparation et trait d’union entre ciel et terre, est toujours recherché, même quand il n’est pas une évidence : dans les perspectives rétrécies des métropoles modernes, dans les expériences décevantes du début de la photographie, ou dans l’abstraction. Quand Alain Cueff aborde la modernité, celle qui bouscule les rapports entre l’art et sa relation au monde, il envisage celle-ci moins comme une rupture radicale que comme un ensemble de pratiques ancrées au sol. C’est au fil des œuvres, à travers leurs descriptions soignées – accompagnées de nombreuses illustrations – et de leurs analyses, que l’auteur investit pleinement la question du ciel et de l’américanité.