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AccueilNuméros145-146Semblanzas y recuerdosRobert Jammes: Quien a buen árbol...

Semblanzas y recuerdos

Robert Jammes: Quien a buen árbol se arrima...

André Gallego
p. 23-26

Notes de la rédaction

Article reçu pour publication le 28/03/2022; accepté le 15/06/2022

Texte intégral

1C’est au cours de ma deuxième année d’assistant, à la faculté des lettres de Toulouse, dans le département d’espagnol, que j’entendis citer pour la première fois le nom de Robert Jammes. Il était candidat à un poste de maître de conférences. Une telle candidature avait suscité quelques réticences dans le corps enseignant. Cet ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm semblait déranger les responsables de l’époque, alors qu’il aurait dû rallier tous les suffrages, mais sa tenue vestimentaire dérangeait. Il arborait en effet une chemise très colorée et s’était toujours refusé à mettre une cravate. Il avait même dû promettre de la porter devant les étudiants. Mais ce qui posait davantage problème pour certains, c’étaient ses convictions politiques.

2Très rapidement ses cours ont attiré non seulement des étudiants mais plusieurs assistants comme moi, qui appréciaient ses leçons de bibliographie et d’histoire de l’imprimerie qu’il agrémentait toujours de savoureuses anecdotes.

3Nous étions impressionnés par sa vaste culture et son esprit critique. Il nous enseignait la rigueur dans la transcription des manuscrits du Siècle d’or afin de ne pas répéter les erreurs de certains commentateurs, qu’il n’hésitait pas à étriller lorsque leurs commentaires reposaient sur des erreurs de lecture. Il prenait un malin plaisir à ridiculiser les lectures erronées de certains hispanistes, et en particulier les mauvaises traductions et interprétations des vers de Góngora. Ainsi, le vers 54 — « peinando la calva a un puerro » — de la letrilla ‘Los dineros del Sacristán / cantando se vienen y cantando se van’ avait été traduit par un inspecteur d’Académie : « peignant la calvitie d’un chien », alors que la bonne lecture était : « la calvitie d’un poireau », le poireau, sectionné au niveau des racines, ressemblant effectivement à une tête rasée.

  • 1 Sonnet «En este occidental, en este, oh Licio», v. 4.

4En raison de sa profonde connaissance du latin, Robert repérait les latinismes qui pouvaient désorienter le lecteur non averti. Ainsi, pour la traduction d’un autre vers où Góngora évoquait les malheurs qui frappent la vieillesse, il souligna en note que le mot « fácil » était entendu par Góngora dans le sens latin de facilis, « peu profond » : « Toda fácil caída es precipicio »1.

5Il y a eu, dans le parcours scientifique de Robert Jammes, un autre champ clos où il a dû rompre plusieurs lances. Je veux parler ici de la parémiologie. Dans ses recherches sur Góngora, il fut amené à consulter le dictionnaire des proverbes de Gonzalo Correas, édité par l’Académie. Rencontrant de nombreuses confusions dans le texte, il se mit en quête du manuscrit qu’il trouva à la Bibliothèque Nationale de Madrid. En le lisant, il se rendit compte qu’il fallait procéder à une édition plus respectueuse du texte. Il fit part de sa découverte à Louis Combet à qui il conseilla de se consacrer à une édition critique de ce monument de la parémiologie, ce qui fut réalisé par la suite. Bien plus tard, Robert revint sur ce sujet et proposa, avec l’aide de Maïté Mir, de publier le Vocabulario de refranes, mais en adoptant l’orthographe moderne et en procédant à un classement alphabétique des proverbes.

6Dans ses travaux, il n’hésitait pas à s’intéresser à des textes délaissés par les partisans d’une littérature ad usum Delphini. C’est ainsi qu’il publia (avec Pierre Alzieu et Yvan Lissorgues) Poesía erótica del Siglo de Oro, en 1983) et, bien plus tard, dans El Siglo de Oro en escena. Homenaje a Marc Vitse (2006), une contribution intitulée Refranes y frases malsonantes que coligió el maestro Gonzalo Correas (Primera parte). Après sa retraite, Robert Jammes continua à s’intéresser à la poésie de Góngora qu’il voulait rendre plus abordable à un plus large public. Il proposa ainsi une traduction des Soledades, où sa rigueur, sa grande culture et son bon sens contribuèrent effectivement à rendre plus accessible ce grand poème.

7Quien a buen árbol se arrima... Effectivement.

8L’ombre portée par Robert Jammes aura été bénéfique à de nombreux chercheurs et spécialement à ceux qui se sont associés à ses recherches sur le Siècle d’or, dans le cadre de l’équipe LEMSO, devenue le CLESO ou dans des contributions à la revue Criticón. Ils ont toujours trouvé auprès de lui une oreille attentive et une disponibilité constante. Jusqu’à la fin de ses jours, nous avons pu le consulter et obtenir une réponse sous la forme d’une lettre rédigée de sa propre main, qui témoignait de sa lucidité d’esprit.

9Cette évocation de ce que fut pour nous Robert Jammes serait incomplète si je ne faisais allusion à un autre aspect de sa personnalité : son goût pour la viticulture et l’horticulture. Il taillait sa vigne et préparait son vin. Il semait des graines pour offrir les plants, qu’il partageait généreusement avec ceux qui le lui demandaient. C’était ainsi chaque année à la même date, c’est-à-dire avant les Saints de glace. Nous avions rendez-vous chez lui où il nous proposait un choix de différentes variétés. Dans son village, tous les habitants ne connaissaient pas l’importance de ses recherches sur la littérature espagnole, mais beaucoup avaient entendu parler de son goût pour la terre. Fils de paysans, il a voulu un jour témoigner lui aussi en tant que paysan, et il s’était mis à rédiger assez régulièrement Robert le Jardinier, des opuscules où il donnait des recettes pratiques.

  • 2 Le titre de ce reportage est Semblanza (https://www.youtube.com/watch?v=Ek73IPoyQIk&ab_channel=Cáte (...)

10J’ai tenu à lui témoigner mon amitié et ma reconnaissance pour toute l’aide qu’il m’a apportée au cours de mes recherches universitaires en lui consacrant un reportage sous la forme d’une entrevue que nous avons réalisée chez lui à Vieille-Toulouse, avec le réalisateur Jean Jimenez2.

11J’ai été heureux de rencontrer Robert Jammes sur ma route. J’ai conservé deux lettres manuscrites de lui qui témoignent de ce qu’il a été en tant qu’homme et en tant que chercheur, et qui sont reproduites ici.

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Notes

1 Sonnet «En este occidental, en este, oh Licio», v. 4.

2 Le titre de ce reportage est Semblanza (https://www.youtube.com/watch?v=Ek73IPoyQIk&ab_channel=CátedraGóngora).

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Pour citer cet article

Référence papier

André Gallego, « Robert Jammes: Quien a buen árbol se arrima... »Criticón, 145-146 | 2022, 23-26.

Référence électronique

André Gallego, « Robert Jammes: Quien a buen árbol se arrima... »Criticón [En ligne], 145-146 | 2022, mis en ligne le 30 novembre 2022, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/criticon/21693 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12dm2

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