La « maudite ipsissimosité ». Un paradoxe nietzschéen ?
Résumés
Le propos de cet article est d’interroger l’usage déroutant de la première personne chez Nietzsche, qui semble tout à la fois, en introduisant des notations biographiques, constituer une entorse à l’analyse philosophique et entrer en contradiction avec son rejet de la réalité du moi. À l’examen, il s’avère que ces textes n’ont pas pour fonction de renvoyer à une unité empirique, mais doivent se comprendre comme le signe d’un problème que la philosophie bien entendue doit affronter, à savoir le défi constitué par l’aptitude à évaluer les valeurs. Sous cet angle, l’écriture à la première personne ne vise pas la mise en avant d’un modèle qu’il s’agirait pour les penseurs d’imiter, mais a pour objet, tout au contraire, de révéler la situation atypique qui confère à Nietzsche un privilège quant à l’entreprise philosophique : l’étendue du spectre pulsionnel qui le caractérise, lui permettant de connaître et d’apprécier une vaste série de conditions d’existence, de la maladie à la santé.
Plan
Haut de pageTexte intégral
Un moi persistant quoique réfuté ?
- 1 Ce « nous » ne renvoyant pas nécessairement à une communauté, comme le souligne par e (...)
1« Y a-t-il quelqu’un qui n’ait été une fois déjà écœuré à en mourir de tout le subjectif et de sa maudite ipsissimosité ! ». En dépit de sa formulation dénuée d’ambiguïté, cette énergique condamnation de la subjectivité, proclamée dans le paragraphe 207 de Par-delà bien et mal, n’a guère retenu l’attention du commentarisme. Sans doute est-elle en effet de nature à susciter un certain malaise pour qui cherche à se faire une idée claire de l’entreprise nietzschéenne, en ce qu’elle ne s’accorde nullement avec la représentation que l’on se fait couramment de ce philosophe atypique : à savoir celle d’un penseur qui n’hésiterait pas à faire fond sur sa personnalité au sein même de sa réflexion, un penseur qui se fait gloire de dire « je », bref, un penseur qui dans ses jugements, en particulier dans ses critiques, met régulièrement en avant certains des éléments de son individualité, en un mot une sorte de forte personnalité philosophique, au moi quelque peu envahissant. Certains, parmi les premiers interprètes du philosophe notamment, ont du reste été tentés de déceler en ceci une certaine cohérence, toutefois suspecte à y regarder de plus près, en rapprochant cette tendance d’une de ses positions théoriques majeures, la remise en cause de la pertinence de la preuve, et le doute jeté sur l’efficacité des procédures démonstratives usuelles. Était-ce bien là résoudre l’aporie ? Cohérence suspecte non seulement dans la perspective de la fidélité de cette lecture, mais plus profondément encore parce que si ce type de portrait s’avérait fidèle, et si l’œuvre de Nietzsche valait avant tout comme l’expression d’une personnalité originale, la question se poserait de savoir en quoi il peut encore être dit philosophe. Reste que, même si l’on se garde de ce qui n’est qu’une image simplificatrice, non seulement la référence ponctuelle au « je » ou au « nous »1 structure de fait nombre d’aphorismes, mais Nietzsche juge même indispensable de lui laisser la parole dans un ouvrage entier que ne laissait pas prévoir son écœurement avoué pour la « maudite ipsissimosité ».
2Face à une situation aussi confuse, il convient de réexaminer les choses par ordre pour essayer de démêler les fils de cet écheveau. Il nous semble nécessaire de commencer par rappeler trois points afin de déterminer le cadre dans lequel intervient, chez Nietzsche, la référence au moi empirique. Le corpus nietzschéen fait effectivement constater la présence d’une critique virulente de la subjectivité dans le contexte de la réflexion sur l’activité philosophique, ses objets et sa méthodologie. Et c’est bien cela que vise l’expression particulièrement appuyée, avec son néologisme superlatif (« ipsissimosité »), que nous fait rencontrer le § 207 de Par-delà bien et mal. C’est une autre question à laquelle le commentarisme n’a de fait sans doute pas prêté toute l’attention qu’il mérite, et dont il n’a pas suffisamment mesuré les conséquences : Nietzsche critique certes la plupart des philosophes, mais il entend fermement conserver la notion de philosophe et l’idée de philosophie ; et dans cette perspective, il maintient clairement certaines des caractéristiques classiques de l’activité philosophique, héritées de sa fondation platonicienne, en particulier le rejet de la doxa, et tout particulièrement des inclinations subjectives, des croyances et des convictions personnelles. L’axe central de la critique nietzschéenne des philosophes consiste précisément à leur reprocher d’avoir manqué de rigueur sur ce point dans l’application de leur programme.
3Second point : la chose plus étonnante peut-être est que la remarque du § 207 de Par-delà bien et mal condamnant l’intrusion de la subjectivité apparaît dans un contexte d’analyse plus vaste, dont l’objet est de remettre sévèrement en cause la notion d’objectivité :
- 2 Par-delà bien et mal, § 207, trad. P. Wotling.
Quelque reconnaissance que l’on puisse montrer envers l’esprit objectif – et y a-t-il quelqu’un qui n’ait été une fois déjà écœuré à en mourir de tout le subjectif et de sa maudite ipsissimosité ! – il faut toutefois finir aussi par apprendre à être un peu prudent envers sa reconnaissance, et mettre un terme à l’exagération avec laquelle on célèbre depuis peu la dépossession de soi et la dépersonnalisation de l’esprit comme s’ils étaient un but en soi, une rédemption et une transfiguration2.
4Comme entend l’établir cet aphorisme, l’objectivité, et avec elle l’homme objectif unanimement célébré à l’époque contemporaine, ne constituent pas un but, encore moins le sommet de l’activité philosophique, mais tout au plus un simple instrument subordonné à une entreprise tout autre – un instrument précieux, certes, un miroir parfait, sans déformation, mais néanmoins rien de plus qu’un outil, qui ne prend sens et intérêt que mis au service d’une tâche véritablement légitime, dont l’élaboration dépend d’un tout autre type de réflexion. La reconnaissance de l’insuffisance de la problématique de la vérité, objet de l’aphorisme inaugural du livre, instaure en effet un écart désormais considérable entre la figure authentique du philosophe, que présente longuement Par-delà bien et mal en particulier, et l’idéal du penseur travaillant au seul service de la connaissance objective. En outre, il convient de rappeler que l’idée même d’objectivité en matière de pensée s’avère pour Nietzche hautement problématique : l’enquête menée sur les systèmes et les thèses des philosophes indique en effet uniformément la présence d’éléments infra-conscients, affects et pulsions, ayant joué un rôle organisateur, voire même inspirateur, dans l’élaboration de ces doctrines. Or ces pulsions dominantes, qui varient d’un penseur à l’autre, ont toutefois ceci de commun qu’elles nous enferment inévitablement dans un rapport interprétatif à la réalité :
- 3 Le gai savoir, § 374, trad. P. Wotling.
Savoir jusqu’où s’étend le caractère perspectiviste de l’existence ou bien si elle a encore un autre caractère, si une existence sans interprétation, sans « sens » ne devient pas justement un « non-sens », si, d’autre part, toute existence n’est pas essentiellement une existence interprétante – voilà qui ne peut être tranché, comme il est juste, même par l’analyse et l’examen de soi les plus acharnés et les plus minutieusement consciencieux de l’intellect3.
- 4 Par-delà bien et mal, § 34, trad. P. Wotling.
- 5 Le gai savoir, § 374.
- 6 La mise en évidence de la non-pertinence des oppositions traditionnellement opératoir (...)
5Si le réel ne s’identifie plus à l’objectivité, si le monde a pour détermination fondamentale son « caractère erroné »4, s’il « nous est bien plutôt devenu, une fois encore, “infini” : dans la mesure où nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’il renferme en lui des interprétations infinies »5, il en résulte que Nietzsche refuse, apparemment, les deux branches d’une alternative traditionnellement reçue, et que l’on se demande bien où il entend se situer dans ces conditions6.
- 7 En toute rigueur, comme l’indiquent les textes les plus précis, cette exploitation du (...)
- 8 Sur cette question, voir par exemple Par-delà bien et mal, § 16 et 17, ou encore Crép (...)
- 9 FP XIV, 14 [79].
- 10 FP du Gai savoir, 12 [35].
6Ajoutons une troisième remarque : elle porte sur l’un des points les plus connus de la pensée nietzschéenne, à savoir qu’il n’y a pas de moi du tout. Ni substantiel, ni empirique, pas davantage transcendantal. Le moi est une fiction conceptuelle héritée de l’un des préjugés les plus profondément enracinés dans la pratique philosophique (plus largement dans la culture de type platonicien qui est celle de l’Europe depuis deux mille cinq cents ans), à savoir l’atomisme7. Nietzsche désigne par là, on le sait, le privilège que notre mode de pensée accorde irrésistiblement à l’unité, et plus profondément encore le besoin d’unité qui est l’un des rouages essentiels de notre logique intellectuelle : ce réflexe qui consiste à rechercher constamment des entités discrètes, substantielles, caractérisées par l’identité à soi et la séparation (relativement aux autres unités), à penser la réalité comme collection d’unités, et surtout à n’éprouver de satisfaction face à une explication que si elle parvient à rapporter du multiple à de l’unité. Pour satisfaire ce besoin, le concept de moi s’avère un type de croyance extrêmement efficace : il reconduit la diversité de nos représentations et aussi bien de nos actes à un pôle posé comme invariant qui en est pensé comme le principe et l’instance qui les contrôle, voire même les produit. Il n’en demeure pas moins que, comme Nietzsche l’établit en détail, une telle interprétation est intenable8 notamment en ce qu’elle superpose à la réalité des processus qui se produisent effectivement des ajouts interprétatifs qui falsifient la description de ces processus : la position d’un « moi » relève de ce que Nietzsche appelle le manque de philologie, la confusion du texte et de l’interprétation. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de cette analyse bien connue. Nous rappellerons simplement ce qui en est la conséquence, à savoir la disparition de toute figure atomiste du moi ou de la personne : « notre conception du concept de “moi” ne garantit en rien l’existence d’une unité réelle »9 ; et il faut aller plus loin, pour reconnaître que le sentiment du moi est parfaitement indépendant de la structure réelle de l’être humain : « nous sommes une pluralité laquelle s’est imaginé être une unité »10. La situation, pour les raisons que nous venons de rappeler, paraît donc des plus défavorables pour qui voudrait évoquer l’activité d’un moi empirique.
- 11 Préface, § 1.
- 12 Voir Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1 : « Dans un climat énervant, le th (...)
- 13 Aurore, § 381.
- 14 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1.
- 15 Avec cependant la restriction suivante : « à l’exception des femmes perdues, des “éma (...)
- 16 Le gai savoir, « Préface à la seconde édition », § 2. Voir également, dans le même se (...)
- 17 W. Müller-Lauter, « Le problème de l’opposition dans la philosophie de Nietzsche », R (...)
7Il est pourtant manifeste que tout cela n’empêche pas Nietzsche de nous parler de lui comme s’il constituait une entité parfaitement unifiée, et encore moins de dire « je », semblant mettre en scène un moi empirique dont il détaille les goûts, les actes, les passions : « Il me paraît indispensable de dire qui je suis », annonce-t-il par exemple clairement dans Ecce Homo11… Et il nous parle de lui par le menu, en effet. L’impression que donne même une première lecture de son œuvre est qu’il ne cesse de se référer à son expérience personnelle, bref de mettre en jeu sa personne : et ce non seulement dans ses textes non publiés, la correspondance, les écrits posthumes, mais également dans les ouvrages publiés, avec une intensité qui culmine dans ce qui devait être son dernier ouvrage. À vrai dire, après avoir parcouru son œuvre, le lecteur ploie sous les éléments biographiques. Rien ne nous est épargné en effet : de son enthousiasme pour le cacao dégraissé12 à l’intérêt du port de la moustache13, de ses problèmes de santé récurrents à son amour de la marche à pied, de sa haine pour les Knödel et l’alimentation allemande traditionnelle à l’indication de ses lieux de séjours favoris, le chemin d’Èze, au-dessus de Menton, ou le lac de Sils-Maria, de ses lectures, de ses distractions, de ses relations et de son commerce avec ses semblables à ses goûts musicaux, ou encore à sa défiance à l’égard de l’alcool : « In vino veritas : il semble que là encore je sois, sur la notion de vérité, en désaccord avec le monde entier : – chez moi, l’esprit plane au-dessus de l’eau… »14, pour ne rien dire des sympathies qu’il est convaincu de susciter parmi la gent féminine : « Elles m’aiment toutes – c’est une vieille histoire »15. On constate au demeurant que c’est une tendance qui ne va pas en s’atténuant dans les dernières années de sa carrière intellectuelle : les préfaces que Nietzsche ajoute en 1886 à la réédition de cinq de ses œuvres antérieures sont marquées de façon très nette par l’invasion d’un discours à la première personne qui était en revanche moins présent dans les livres réédités eux-mêmes. De sorte que le lecteur, accablé, finira sans doute par se voir tenté de répliquer : « Que nous importe que M. Nietzsche… », … comme ledit M. Nietzsche en vient à le dire lui-même, curieusement, dans la préface du Gai savoir16 ! En quoi la réflexion philosophique devrait-elle en effet se préoccuper du détail de la vie d’un penseur ? Et qu’en est-il exactement de ce non-sujet qui ne cesse de dire « je » ? S’il n’existe pas de moi véritable, comme substantialité, identité, personnalité, et si nous ne sommes jamais qu’une illusion d’unité, le sens de l’écriture à la première personne chez Nietzsche devient extrêmement difficile à situer. À quoi peut bien renvoyer le mot « je », et pourquoi maintenir son usage dans le contexte philosophique ? Un commentateur d’une remarquable finesse, Wolfgang Müller-Lauter, a fort bien saisi cette dialectique particulière, si l’on ose la qualifier ainsi, de l’écriture et de la pensée chez Nietzsche : « Nietzsche utilise des mots tels “sujet”, “je”, “individu”, “personne”, comme signes de ce qui se dérobe à la dénomination. Et il les écarte dès qu’il les réfléchit comme concepts. Cela s’applique également aux mots avec lesquels il caractérise la façon d’être de la réalité véridique : pulsion, force, affect »17. C’est bien la spécificité du mode d’écriture de Nietzsche qui est ici en cause, avec ses difficultés propres. En d’autres termes, c’est une erreur que d’interroger la valeur du « je » dans une perspective référentielle. Il ne se veut pas l’évocation à travers l’ordre du langage d’une instance constituée. Il est l’indice d’une difficulté.
8Quelle est alors cette difficulté qui exige de la part du philosophe la prise en compte d’un champ flou et problématique, mais que nous pensons ordinairement connaître parfaitement lorsque nous le recouvrons du terme « je » ?
Le rejet du biographique et le rejet de l’impersonnalité
9On pourrait toutefois envisager, avant d’explorer cette question, que ces intrusions du moi ne soient que des éléments inessentiels, des ornementations stylistiques extérieures à la rigueur de la pensée elle-même, qui donc ne poseraient pas réellement problème sur le plan philosophique. N’y aurait-il dans le « je » qui surgit çà et là dans les écrits de Nietzsche rien de plus qu’une simple tournure rhétorique, ou qu’une commodité d’expression ? Ou bien éventuellement, si l’on tente de leur donner sens en les reliant au travail philosophique, faudrait-il lire ces passages où Nietzsche met en scène le « moi » comme des moments de pause, de détente, où le philosophe, attentif à la temporalité propre, anisotrope, de l’effort philosophique, ménagerait à l’attention du lecteur des plages de repos permettant l’assimilation des séquences d’analyse rigoureuses et exigeantes avant d’enchaîner les suivantes ?
10Une telle hypothèse s’avère cependant en désaccord avec le détail de la démarche nietzschéenne et ne peut être retenue. L’analyse du corpus confirme en effet explicitement que la référence au moi joue un rôle constructif dans le dispositif d’investigation mis en place par le philosophe. Mais, il est vrai, un rôle extrêmement original – du fait aussi de l’originalité du dispositif qu’élabore Nietzsche. D’une part, ce n’est pas seulement son propre moi que Nietzsche investit systématiquement dans sa réflexion, mais tout autant celui des philosophes dont il analyse et critique la pratique. Et surtout, tout en rejetant l’idée de réalité et d’identité substantielle du moi, Nietzsche introduit dans son questionnement une thèse fondamentale : à savoir que rien n’est impersonnel chez un philosophe.
11C’est cette remarque qui oblige à reconsidérer le problème, et permet d’essayer de voir en quoi la référence au « je » joue un rôle déterminant dans le mode d’analyse mis en place par la réflexion nietzschéenne. Le problème tient au fait qu’en dépit de leurs protestations d’objectivité, même lorsqu’ils ne disent pas « je », les philosophes font quand même « je », en quelque sorte :
- 18 Par-delà bien et mal, § 6.
Peu à peu s’est révélé à moi ce que fut toute grande philosophie jusqu’à présent : à savoir l’auto-confession de son auteur et des sortes de mémoires* involontaires et inaperçues ; et encore le fait que les intentions morales (ou immorales), en toute philosophie, ont constitué le véritable germe vital à partir duquel, à chaque fois, la plante a poussé tout entière18.
12En d’autres termes, tout se passe comme si les philosophes ne parvenaient jamais à dégager pleinement leur pensée de la détermination exercée par une sphère profonde rigoureusement personnelle, comme s’ils disaient sourdement toujours « je » (ou « nous » – le « je » peut en effet être relatif à l’orientation générale d’une culture) sans se l’avouer.
13Si la pensée d’un philosophe est conditionnée par quelque chose que l’on appellera momentanément une personnalité propre, mais que simultanément cette source conditionnante ne peut être assimilée à un moi substantiel, peut-être deviendrait-il légitime de se tourner vers l’examen du « moi empirique » (quelque instable et dénué d’unité réelle qu’il puisse être, ne méritant donc guère sa qualification de « moi ») pour en déceler les déterminations ? La question se complique toutefois du fait que Nietzsche défend l’idée d’une antinomie du philosophique et du biographique, qui conduit à réviser désormais, après celle de « moi », la notion d’empirique, dans l’expression « moi empirique ». C’est le propre du piètre lecteur que d’interpréter la pensée exposée dans un livre en l’éclairant de sa connaissance de l’homme qui l’a conçue. Le « nom sur la page de titre » est l’ennemi du philosophe authentique. Plus elle est étendue, et plus l’information biographique empirique fait obstacle à la compréhension :
- 19 Humain, trop humain II, « Opinions et sentences mêlées », § 156, trad. R. Rovini. Un (...)
Le nom sur la page de titre. – Que le nom de l’auteur figure sur son livre, c’est maintenant sans doute dans les mœurs et presque une obligation ; mais c’est une cause essentielle de ce que les livres ont si peu d’effet. Car s’ils sont bons, ils valent plus que les personnes, en étant la quintessence ; mais dès que l’auteur se donne à connaître avec le titre, la quintessence se retrouve diluée par le lecteur dans l’élément personnel et même intime, et le but du livre manqué de ce fait. C’est l’ambition de l’intelligence que de ne plus apparaître individuellement19.
Le biographique dissout le sens, paralyse ou élimine le travail de réflexion proprement dit. Ce ne sont donc certes pas les aventures du moi empirique qui éclaireront la signification d’une position philosophique. La philosophie exige ainsi l’effacement de la référence au biographique.
- 20 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
14L’examen du cas particulier que représente le corpus nietzschéen confirme du reste que prétendre élucider l’œuvre à partir de l’existence empirique est une impasse. Il peut être éclairant de considérer ici un cas précis d’explication biographique parfois pratiqué par le commentarisme. Considérons un exemple de ce type de démarche que l’on rencontre chez plusieurs des premiers commentateurs de Nietzsche, mais dont on trouve encore des traces dans la biographie beaucoup plus récente de Curt-Paul Janz, à savoir les raisons du choix de l’écriture aphoristique : celui-ci s’expliquerait pleinement en raison des douleurs oculaires dont Nietzsche a de fait souffert pendant la majeure partie de sa période d’activité philosophique et qui lui interdisaient régulièrement toute activité visuelle prolongée. Le fait biographique est attesté ; mais il est clair que cette forme d’élucidation néglige totalement les justifications proprement philosophiques de ce type d’écriture que fournissent les textes eux-mêmes, en liaison avec une réflexion sur la nature des modes d’argumentation et la critique de la rationalité démonstrative telle qu’elle est classiquement pratiquée. Or Nietzsche ne dit jamais « je » dans ce type de contexte. Il se garde justement de donner le sentiment d’imposer en un style grand seigneur des remaniements à la méthodologie d’enquête ou d’écriture bouleversant les habitudes philosophiques ; tout au contraire, dans ces situations, il prend soin d’argumenter en procédant toujours à partir de la mise en évidence des insuffisances ou des distorsions propres à la technique dont il appelle la récusation et le remplacement (par exemple l’organisation de l’œuvre sous forme systématique). Il parle bien, par ailleurs, de ses soucis oculaires à plusieurs reprises, au sein de ses textes publiés ou destinés à la publication (c’est le cas d’Ecce Homo), mais jamais pour en faire un principe d’explication direct de quelque option de sa réflexion que ce soit. On en trouvera la confirmation justement en lisant Ecce Homo, en particulier la première partie de ce texte : « De même, les maux d’yeux, confinant parfois dangereusement à la cécité, sont toujours secondaires, jamais facteurs étiologiques »20 – donc non décisifs pour le philosophe en ce qu’ils n’expriment pas un trait déterminant de cette personnalité propre qui semble, elle, à l’œuvre dans l’élaboration d’une pensée.
- 21 M. Montinari, Friedrich Nietzsche, Paris, PUF (Philosophies), 2001, p. 9.
15En outre, la mise à l’épreuve détaillée de cette méthodologie fait constater l’impossibilité d’établir une concordance générale claire entre les données biographiques et les options caractérisant la réflexion du philosophe. Comme le notait un connaisseur aussi expert que Mazzino Montinari, loin de rendre la pensée limpide, la progression de la connaissance de la biographie nietzschéenne n’a pour effet que d’aiguiser les difficultés : « Toute prétention à établir une sorte de rapport causal entre les événements de son existence et la pensée de Nietzsche est vouée à l’échec : on a presque l’impression que l’image de Nietzsche devient toujours plus insaisissable chaque fois que de nouvelles informations sont mises en lumière »21.
16L’élément décisif pour débrouiller cette question est fourni par Nietzsche lui-même : tout dans le biographique n’est pas philosophiquement intéressant, parce que tout, dans l’existence empirique d’un individu, n’émane pas de ce que nous avons appelé sa « personnalité propre », ou pour le dire de manière imagée, du « moi ». Bien au contraire, en règle générale, la part de l’existence empirique qui en témoigne vraiment est des plus restreintes : on est ordinairement bien moins inactuel qu’on ne s’en flatte en se berçant de l’illusion qu’un « moi » original se donne à voir dans le déroulement de l’existence empirique. Bref, on est moins soi-même qu’on ne le pense. Car bien des expériences et des comportements ne relèvent pas de la personnalité de l’individu à proprement parler, y compris chez le philosophe, mais du conditionnement propre à l’époque. Prise à la lettre, la biographie empirique est donc naïve. Pour ne prendre qu’un exemple, Nietzsche n’évoque guère, dans Ecce Homo, son activité de philologue, qui l’a pourtant occupé pendant plus de dix ans. Car on n’est pas soi-même ; on peut le devenir, ou non. Être soi-même est une conquête. Cette coïncidence est le résultat d’une discipline faite de la neutralisation progressive des éléments inessentiels ayant joué un rôle, parfois majeur, dans son existence, éléments que Nietzsche, s’agissant de son propre cas, dénonce comme intrusion de l’« idéalisme » et comme « fondamentale déraison de [s]a vie » :
- 22 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 3.
C’est par les conséquences de cet « idéalisme » que je m’explique tous les faux pas, toutes les graves déviations de l’instinct, et toutes les « fausses modesties » qui me détournaient de la tâche de ma vie, par exemple le fait que je me sois fait philologue – pourquoi pas médecin, du moins, ou autre chose qui vous ouvre les yeux ? Pendant ma période bâloise, tout mon régime intellectuel, y compris l’emploi de mes journées, constituait un mésemploi totalement absurde de forces exceptionnelles, sans même une recharge de forces qui en compensât la dépense, sans même réfléchir à la dépense et à la reconstitution nécessaire. J’étais dépourvu de tout égoïsme supérieur, de toute stricte tutelle d’un instinct dominant22.
17La philologie a beau avoir été l’objet d’un investissement intense durant ces années, elle n’en était pas moins accessoire et n’exprimait pas quoi que ce soit de ce qui définit vraiment Nietzsche à ses propres yeux. Il en va de même de ses enthousiasmes des premières années.
- 23 Par-delà bien et mal, § 5.
- 24 Le gai savoir, § 349.
- 25 Voir notamment l’« idéal anémique » (FP XIII, 11 [138]), ou la « phénom (...)
- 26 Par-delà bien et mal, Préface. Voir également le § 190 du même ouvrage.
18Il convient alors de réexaminer dans cette perspective les références aux traits personnels. Et si l’on regarde les textes attentivement, on voit apparaître une caractéristique : ce qui se trouve de facto privilégié dans les notations relatives au « moi empirique », celles où Nietzsche parle de lui-même, mais également celles qui évoquent d’autres philosophes, ce sont les états de santé, ou de maladie, ou les signes de ces états, en particulier les indices attestant une posture pessimiste ou au contraire affirmatrice à l’égard de la réalité qui sont examinés. C’est ce que fait observer la manière dont Nietzsche aborde le cas Spinoza : les éléments soulignés à son égard convergent vers sa condition de « malade érémitique »23, de « phtisique »24, dont la pathologie guide peut-être les préférences philosophiques25. C’est ce que fait observer le traitement du cas Platon, représentant au contraire du type de la santé, mais corrompu par la séduction du socratisme : « On a même le droit, en tant que médecin, de demander : “quelle est la provenance de cette maladie qui a atteint la plus belle plante de l’antiquité, Platon ? le méchant Socrate l’aurait-il vraiment corrompu ? Socrate aurait-il donc vraiment été le corrupteur de la jeunesse ? et aurait-il mérité sa ciguë ?” »26. C’est encore ce que fait apparaître l’analyse du cas Socrate, représentant emblématique d’un type de déséquilibre qui tendra à devenir prédominant dans la Grèce de l’âge classique :
- 27 Crépuscule des idoles, « Le problème de Socrate », § 11.
Le jour le plus éblouissant, la rationalité à tout prix, la vie claire, froide, prudente, consciente, sans instinct, en résistance contre les instincts, cela même ne fut qu’une maladie, une autre maladie – et nullement un retour à la “vertu”, à la “santé”, au bonheur… Devoir combattre les instincts – c’est la formule de la décadence* : tant que la vie est ascendante, le bonheur est la même chose que l’instinct27.
L’exploitation du moi chez Nietzsche possède donc une valeur sélective qui la distingue du souci d’exhaustivité animant la biographie.
- 28 W. Müller-Lauter, « Le problème de l’opposition… », p. 475.
19Un retour en arrière s’avère ici nécessaire : nous avons vu que l’idée de sujet, ou de moi est pour Nietzsche intenable. Mais également que ce qui est plus précisément intenable, ce n’est pas le fait qu’une réalité corresponde à ce que l’on désigne fautivement par « je » ou par « moi », mais le fait d’interpréter cette réalité sous la figure d’une unité réelle. Par conséquent, comme il le fait toujours quand il critique une notion philosophique classique (la vérité, par exemple, ou encore la volonté), Nietzsche ne se contente pas d’éliminer la notion illusoire de « moi », il réinterprète le champ de phénomènes qui se trouve effectivement à l’œuvre sous cette dénomination et a été masqué par une interprétation déformante. Dans le cas présent, de nombreux textes sont consacrés à cet effort d’identification, par exemple les paragraphes 16, 17 ou encore 19 de Par-delà bien et mal, dont la leçon est que derrière le soi-disant « sujet » s’exerce en réalité l’activité multiple et infra-consciente de pulsions. Ainsi que l’indique de nouveau W. Müller-Lauter : « La réalité que le philosopher nietzschéen atteint au final consiste dans la multiplicité des volontés de puissance rapportées à des oppositions mutuelles et constituant dans une telle relation le monde un »28. Ceci vaut en particulier pour l’« individu » : toute pensée est interprétative ; cette interprétation résulte d’une perspective spécifique, imposée par une certaine configuration de pulsions, qui jouent un rôle dominant, et donc structurant, au sein du corps.
- 29 Par-delà bien et mal, § 6. Nous soulignons la partie finale de cette déclaration.
20Si la biographie volontaire est superficielle et ne révèle ni ne justifie rien, on comprend alors qu’il existe encore une (auto)biographie involontaire, inconsciente, qui elle est en revanche constamment à l’œuvre, secrètement, dans la réflexion des philosophes. C’est en ce sens que cette présence masquée du « je » est elle tout à fait révélatrice : « À l’inverse, chez le philosophe, il n’y a absolument rien d’impersonnel ; et sa morale tout particulièrement indique, en portant un témoignage décidé et décisif, qui il est – c’est-à-dire suivant quelle hiérarchie les instincts les plus intimes de sa nature sont disposés les uns par rapport aux autres »29.
21Là se rencontre en effet le point essentiel. La référence au « je », comme le suggère W. Müller-Lauter, indique une strate complexe d’activité qui se dérobe à la dénomination, constituant donc un problème à élucider pour le philosophe. L’analyse pulsionnelle menée par Nietzsche précise la nature de ce problème : le sentiment du moi ne fait que désigner la présence d’une organisation, d’une coordination – bien définie ou non – entre ces pulsions. Par le truchement de la référence à un apparent « je empirique », il s’agit donc de déceler à chaque fois des facteurs d’équilibre ou au contraire de désagrégation, la santé étant pensée comme tendance à combattre et surmonter les situations de dissolution de l’organisation d’instincts qui fait l’individu :
- 30 Le gai savoir, « Préface à la seconde édition », § 2.
Mais laissons là Monsieur Nietzsche : que nous importe que Monsieur Nietzsche ait retrouvé la santé ?… Un psychologue connaît peu de questions aussi attirantes que celle du rapport entre santé et philosophie, et au cas où il tombe lui-même malade, il entre dans sa maladie en y apportant toute sa curiosité de scientifique. On a en effet nécessairement, à supposer que l’on soit une personne, la philosophie de sa personne : mais il y a là une différence considérable. Chez l’un, ce sont les manques qui philosophent, chez l’autre, les richesses et les forces30.
C’est donc à la recherche d’un « moi » pulsionnel – les guillemets s’imposant du fait que le passage au plan infra-conscient ne restaure en rien une unité réelle – que part le philosophe quand il met apparemment en scène un « moi empirique », le sien ou celui des autres philosophes dont il examine le travail. Ce qui permet en particulier de comprendre pourquoi le « je » met essentiellement en jeu non pas une personnalité, au sens que la psychologie empirique donnerait à ce terme, mais des indications renvoyant à la question de l’état du corps – ce qui n’est évidemment pas la même chose que la question de son éventuelle unité et identité invariante, que Nietzsche tient pour chimérique.
- 31 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1.
22Les indications d’allure biographique qui parsèment le corpus nietzschéen s’éclairent de la sorte. Reconsidérons le cas d’une des confidences les plus bizarres et les plus atypiques sous la plume d’un philosophe, la confidence gastronomique, ou si l’on veut, diététique : son caractère déroutant, car philosophiquement non pertinent, joue à l’évidence un rôle dans la stratégie de présentation nietzschéenne, mais il apparaît à l’examen que son sens se dévoile dans la perspective d’un rapport direct à la santé. C’est ce que souligne par exemple une remarque incidente d’Ecce Homo, dont le ton plaisant peut masquer la perspective d’analyse véritablement explorée par Nietzsche : « Ainsi, par exemple, à l’époque même où je commençais à étudier Schopenhauer (en 1865), grâce à la cuisine de Leipzig, je pratiquais sérieusement la négation de mon “vouloir-vivre” »31.
- 32 Crépuscule des idoles, « Le problème de Socrate », § 9. Voir encore le § 10. On rappe (...)
23Là se trouve en effet quelque chose de signifiant puisque, comme nous l’avons rappelé, la pensée étant caractérisée comme interprétative par Nietzsche, non seulement elle ne constitue pas un règne autonome en ce qu’elle est le produit de l’activité de sources pulsionnelles, au sein du corps, mais surtout elle est l’une des formes prises par la recherche de la satisfaction d’un besoin. Le type de condition qui est visé, s’il ne dit rien sur la vérité ou la fausseté de la pensée qu’il suscite, donne en revanche une indication très précise au sujet de l’état de santé du « sujet » philosophant. L’hyper-valorisation de la rationalité par Socrate, ou du moins Socrate tel que Nietzsche le comprend, constitue une indication de même type. Elle traduit une tentative de contrer la dissociation de pulsions, autrefois bien coordonnées et hiérarchisées dans l’homme grec des siècles antérieurs, mais qui en viennent désormais à se tourner les unes contre les autres et à se combattre mutuellement : « Il saisit que son cas, l’idiosyncrasie de son cas n’était déjà plus une exception. La même espèce de dégénérescence se préparait partout en silence : la vieille Athènes était en train de périr »32.
- 33 Par-delà bien et mal, § 186.
24Autre élément surprenant, car apparemment accessoire, prélevé dans la biographie d’un penseur et exploité par l’enquête nietzschéenne : Schopenhauer jouait de la flûte. Mais à travers le fait empirique perce une tendance pulsionnelle signifiante. La séduction profonde exercée par l’art révèle une contradiction à l’égard de l’attitude pessimiste déniant toute valeur à l’existence qu’affiche pourtant le philosophe dans ses écrits : « Schopenhauer, tout pessimiste qu’il était, jouait véritablement – de la flûte… Tous les jours, en sortant de table : qu’on lise ses biographes sur ce point. Et pour le demander en passant : un pessimiste, niant Dieu et le monde, qui s’arrête face à la morale, – qui dit oui à la morale et lui joue un air de flûte, à la morale du laede neminem : comment ? est-ce véritablement – un pessimiste ? »33.
- 34 Par-delà bien et mal, § 28.
- 35 Pour approfondir ce point, voir l’étude de C. Denat : « Le “cas” Platon dans le Crépu (...)
25Le livre de chevet de Platon était Aristophane : nouvel élément empirique, que Par-delà bien et mal emprunte à la doxographie antique pour le réexploiter dans une perspective psychologique, c’est-à-dire pulsionnelle. « Sous l’oreiller de son lit de mort, on ne retrouva nulle “Bible”, ni quoi que ce soit d’égyptien, de pythagoricien, de platonicien, – mais Aristophane. Comment un Platon aurait-il donc supporté la vie – une vie grecque à laquelle il disait non, – sans un Aristophane ! »34. Derrière l’anecdote se révèle l’ambiguïté du type représenté par Platon, affirmateur et négateur tout à la fois, sain et décadent, artiste et anti-artiste, grec et non-grec, bref sa « nature de sphinx »35.
26L’apparent « moi empirique », épiphénomène d’une idiosyncrasie pulsionnelle, se traduit donc dans l’œuvre du philosophe en guidant sa manière, perspectiviste, d’interpréter la réalité, en fonction de certaines pulsions dominantes. Ce n’est par conséquent pas la biographie d’un philosophe, au sens courant du terme de biographie, qui est susceptible d’apporter quelque lumière que ce soit sur le sens de sa pensée. Seul est signifiant, dans la succession des événements empiriques, ce qui permet de détecter le type de structure pulsionnelle propre à un penseur. L’approche du « moi empirique » est en réalité psychologique, au sens technique que Nietzsche donne à ce terme, c’est-à-dire relative à l’activité des instincts et des pulsions. L’activité empirique d’un être n’est pas tout entière symptomatique. Dans sa mise en scène du « moi empirique », Nietzsche sélectionne certains éléments jugés typiques, c’est-à-dire distinctifs d’une hiérarchie d’instincts, et en cela révélateurs d’un rapport à la vie particulier, qui doivent être pris en compte dans la perspective de la mission du philosophe.
Le « je », marqueur du problème axiologique
- 36 Voir Humain, trop humain II, « Le voyageur et son ombre », § 61.
27Il en va de même pour Nietzsche lui-même, qui ne commet pas l’erreur qu’il caractérise comme propre au « fatalisme turc », lequel consiste à s’abstraire, pour le décrire, d’un phénomène dont on fait partie, et par lequel on se trouve soi-même conditionné36. C’est ce que confirme en effet le dernier ouvrage que Nietzsche ait eu le temps de rédiger, à savoir Ecce Homo, parfois présenté, de manière un peu approximative, comme une autobiographie intellectuelle.
- 37 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 3. Voir également le § 6 du même chapitre (...)
28À titre d’exemple de l’exploitation de la biographie comme symptôme d’état de santé ou de dérèglement pathologique, Nietzsche cite son propre cas, et c’est selon cette logique, en particulier, qu’il traite l’une des questions les plus interminablement discutées par les commentateurs, à savoir son rapport à Wagner – Wagner dont il comprend que, dans sa jeunesse, il ne l’admira pas comme un génie artistique, mais en usa comme d’un narcotique, pour supporter l’atmosphère suffocante de la culture allemande, et une activité professionnelle en désaccord avec ses tendances profondes, donc dans une situation de « graves déviations de l’instinct »37. Quel est, par conséquent, l’intérêt, pour un philosophe, d’évoquer cet épisode des aventures du « moi » face au drame musical wagnérien ? Exclusivement de mettre en évidence ce fait qu’il a surmonté à cette occasion un état pathologique, redevenant vraiment lui-même, et qu’il a abandonné du même coup le wagnérisme.
- 38 Le gai savoir, « Préface à la seconde édition », § 2.
29Mais derechef, objectera-t-on : « Que nous importe que Monsieur Nietzsche ait retrouvé la santé ? »38. C’est que, dans cette perspective d’ordre médical, se pose un problème de fond pour la philosophie : celui qui concerne la détermination du critère d’appréciation des interprétations permettant au philosophe d’accomplir sa tâche. Si, chez chaque vivant, toute pensée est conditionnée par la nature des pulsions qui dominent en lui, imposant à sa réflexion un certain type de perspective, si donc tout vivant est enfermé dans sa perspective, certains angles d’analyse trop divergents par rapport au sien lui sont inaccessibles. C’est d’ailleurs un point qui explique en partie la difficulté qu’ont les philosophes à dialoguer authentiquement, chacun réinterprétant ordinairement les autres à partir de son angle propre. Nietzsche en donne un exemple très parlant dans le cas du rapport (ou du non-rapport) entre Schopenhauer et Hegel. On sait que Schopenhauer, collègue éphémère de Hegel à Berlin, a vu les étudiants déserter massivement ses cours pour aller grossir les rangs des auditeurs de Hegel. En présentant cette anecdote célèbre de la sorte, on pourrait être tenté de l’exploiter dans le sens de la biographie, ce qui consisterait à faire un pas de plus pour la transformer en élément d’explication de l’hostilité furibonde de Schopenhauer à l’égard de Hegel. Or, Nietzsche ne fait précisément pas cela : la « fureur inintelligente » de Schopenhauer est rapportée à un type de perspective pulsionnelle, non à un fait biographique : ce qu’elle indique, philosophiquement parlant, c’est qu’il y a, profondément, quelque chose d’anti-allemand dans la pensée de Schopenhauer, en particulier sa totale étrangeté à l’égard du sens historique, qui, lui, est une des caractéristiques de l’esprit allemand selon Nietzsche :
- 39 Par-delà bien et mal, § 204.
C’est de cette nature que me semble être, par exemple, le contrecoup exercé par Schopenhauer sur l’Allemagne contemporaine : – avec sa fureur inintelligente envers Hegel, il est parvenu à briser, pour la dernière génération d’Allemands au complet, tout lien avec la culture allemande, culture qui, tout bien considéré, a été un sommet et une subtilité divinatoire de sens historique : mais sur ce point précis, Schopenhauer a été, jusqu’à la génialité, pauvre, non réceptif, non allemand39.
30Le point capital est qu’il est impossible d’analyser avec précision et clairvoyance des situations axiologiques dont on ne peut avoir aucune expérience. L’incompréhension radicale du hégélianisme par Schopenhauer en témoigne. L’auteur du Monde comme volonté et représentation n’est pas un bon juge. Son appréciation ne révèle qu’une fermeture de principe au sens des orientations fondatrices guidant le hégélianisme. Telle est justement l’impasse que Nietzsche entend éviter. Et c’est précisément pour répondre à cette difficulté que la déroutante référence au « moi » entre finalement en scène. La « biographie », pulsionnelle plutôt qu’empirique, que présente Nietzsche dans Ecce Homo et esquisse dans d’autres textes ne répond donc pas à une charitable propension à satisfaire l’innocente curiosité du lecteur, mais bien à une difficulté majeure : comment apprécier les positions axiologiques représentées par les différents types de vie humaine ? Qui, en philosophie, sera bon juge ? C’est la question critériologique qui se trouve ainsi engagée.
- 40 Ecce Homo, « Avant-propos », § 1.
31Si l’on y prête attention, on remarque que c’est justement dans des circonstances bien particulières que Nietzsche écrit « Il me paraît indispensable de dire qui je suis »40, et qu’il nous livre non plus des notations, comme il l’avait parfois fait auparavant, mais bien des éléments suivis et développés, presque systématiques, au sujet de lui-même : Ecce Homo est un texte que Nietzsche concevait comme le dernier avant le passage à une nouvelle phase de son travail, à savoir la préparation du processus de renversement des valeurs – processus inévitablement long, très long, dont la durée excédera de très loin l’amplitude d’une vie humaine, raison pour laquelle Nietzsche n’a d’ailleurs jamais pensé ni prétendu qu’il serait celui qui effectuerait ce renversement des valeurs.
32Le sens de la référence au « je », empirique si l’on veut et si l’on entend le terme négativement (en un sens qui n’est ni substantiel ni transcendantal), au « je » pulsionnel si l’on veut être plus précis, n’aurait absolument aucun sens ni aucune justification dans le cadre traditionnel de la problématique de la vérité. Mais le geste fondamental de Nietzsche consiste à substituer la problématique de la valeur à la problématique de la vérité, cette dernière étant reconnue pour une valeur singulière, parmi beaucoup d’autres possibles. La référence au « je » dans les textes ne se comprend que dans cette perspective de réforme de l’entreprise philosophique. Toute pensée est interprétation. D’où la disparition de la norme ancienne de distinction des logoi qu’était le vrai. On se trouve désormais face à la multiplicité des interprétations possibles de la réalité. Et, toute interprétation s’enracinant dans la fixation d’une série de préférences infra-conscientes, c’est-à-dire de valeurs, on se trouve aussi bien face à la rivalité des cultures, c’est-à-dire des différents systèmes axiologiques.
- 41 Sur le problème de l’élevage (Züchtung) de l’homme, qui constitue le second volet de (...)
- 42 Voir l’important § 6 de cette préface, qui définit précisément la nature et la foncti (...)
33Face à cette situation, la tâche du philosophe est dans un premier temps – car il y en a un second41 – de parvenir à statuer sur la valeur des valeurs, selon la formule de la préface de La généalogie de la morale42. Mais comment trouver un critère d’évaluation si l’objectivité même disparaît ? Si tout esprit susceptible d’entreprendre cette tâche se trouve être lui-même pris dans un conditionnement axiologique particularisant auquel il ne peut jamais échapper pour atteindre une position d’extériorité qui le rendrait légitimement capable de juger des valeurs et des interprétations ? L’exploration du champ pulsionnel – ou axiologique – embrassé par l’expérience du philosophe constitue dans ce contexte une indication essentielle sur son aptitude à saisir dans sa diversité le spectre des interprétations. C’est en ce sens que l’examen de la « personnalité » des philosophes prend sens. Or Nietzsche indique ici la présence de quelque chose de spécifique dans sa propre position : l’expérience vécue et analysée de la décadence, mais tout autant de la victoire sur la décadence, du triomphe d’un rapport affirmateur à l’existence. Il n’est donc pas anodin que ce soit précisément le point dont Ecce Homo fait le foyer des anecdotes relatives aux goûts et expériences de ce « je » :
- 43 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
La chance de mon existence, ce qu’elle a d’unique peut-être, tient à ce qu’elle a de fatal. Pour l’exprimer sous forme d’énigme, en tant que mon propre père, je suis déjà mort, c’est en tant que je suis ma mère que je vis encore, et vieillis. S’il est une chose qui explique cette neutralité, cette absence de parti pris qui me caractérise en face du problème général de la vie, c’est sans doute cette double origine, – du sommet et du bas de l’échelle de la vie pour ainsi dire –, qui fait de moi à la fois un décadent* et un commencement. J’ai pour les signes de montée et de déclin flair plus fin qu’homme ait jamais eu, je suis, par excellence*, maître en cela : je connais les deux, je suis les deux43.
- 44 Ibid., § 2.
- 45 Ibid., § 1.
34La singularité de ce « je », dans l’univers philosophique, tient donc à sa double nature, ou au double champ d’expérience qu’il a parcouru et dont il est à même d’étudier la valeur : « Indépendamment du fait que je suis un décadent*, j’en suis également tout le contraire. La preuve, entre autres, en est pour moi que, contre les malaises, j’ai toujours choisi des remèdes indiqués, alors que le décadent* véritable choisit toujours des remèdes qui lui font du mal »44. C’est la variété des conditions d’existence qu’il a vécues qui lui offre la distance permettant notamment de détecter le caractère nocif de positions axiologiques que leur caractère dominant dans la tradition philosophique fait aisément prendre pour des normes légitimes : « Ai-je besoin de dire, après tout cela, quelle expérience j’ai des problèmes de la décadence* ? Je les ai épelés d’un bout à l’autre, et dans les deux sens »45.
35La disparition de toute sphère pure et autonome du penser, la disparition de tout plan transcendantal, interdisent désormais la possibilité même d’une appréciation purement intellectuelle de la valeur des valeurs et posent le problème du critère d’évaluation. Un tel travail ne peut s’effectuer qu’à partir de l’activité pulsionnelle, qui constitue le tissu même de la réalité ; d’où l’importance, dans ces conditions, de l’étendue du champ des pulsions caractérisant un individu, puisque c’est là le socle qui le rend apte à saisir les différences, ce qui est en revanche impossible à quiconque demeure enfermé dans la singularité d’une perspective. C’est relativement à ce problème que la référence au « je » prend sens chez Nietzsche : la mise en scène d’un « moi » empirique, ou d’allure empirique, ne traduit pas chez lui le parcours triomphal d’une subjectivité souveraine, pleinement maîtresse de ses représentations et capable d’indiquer au lecteur la voie à suivre pour atteindre sûrement la vérité. En cela, Ecce Homo n’offre pas le pendant de la manière dont procède par exemple Descartes dans le Discours de la méthode ou plus encore dans les Méditations métaphysiques. L’utilisation du « je » ne possède aucune valeur de modèle, et ne prétend pas indiquer une démarche paradigmatique que tout esprit en quête de savoir serait invité à mimer : l’ouvrage de 1888 n’invite pas le lecteur à se réapproprier l’expérience d’un parcours pour en éprouver la pertinence.
- 46 C’est en cela qu’Éric Blondel voit dans cet ouvrage une généalogie de la Heiterkeit : (...)
36Son intérêt est tout autre : cette expérience est tout au contraire présentée pour son caractère exceptionnel et privilégié. Elle est le signe d’une organisation pulsionnelle particulière – c’est sur les pulsions dominantes qui le guident et irriguent sa réflexion que s’exprime le « je » d’Ecce Homo46 – et particulièrement intéressante. En la présentant, Nietzsche obéit avant tout au souci d’indiquer les types d’interprétation qui lui sont ouverts et accessibles, d’en souligner l’amplitude, et par là de statuer sur son aptitude à ce qui constitue désormais le cœur de l’enquête philosophique, l’appréciation du caractère bénéfique ou nocif des différentes valeurs :
- 47 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
À partir de l’optique malade, considérer les notions et les valeurs plus saines puis, à l’inverse, à partir de la plénitude et de l’assurance tranquille de la vie riche, regarder, en contrebas, le travail secret de l’instinct de décadence* – c’est à cela que je m’exerçai le plus longtemps, de cela que je tirai ma véritable expérience, et si je suis passé maître en quelque chose, c’est en cela. S’il est un pouvoir que j’ai maintenant bien en main, c’est celui de renverser les perspectives : et pour cela, j’ai maintenant la main47.
- 48 Ibid. (trad. modifiée). Voir également les Éléments pour la généalogie de la (...)
Exposer l’histoire d’un « moi » qui en toute rigueur n’existe pas, ne possédant qu’une illusion d’unité, serait un projet absurde ; l’exploiter pour détecter la compétence axiologique de cette unité de simple composition, consistant en l’organisation d’une multiplicité pulsionnelle, c’est en revanche poser la question essentielle, celle de la nature du projet philosophique. C’est se demander si, après sa durable mécompréhension idéaliste, il est – peut-être – désormais devenu possible : « pour moi seul peut-être, un “renversement des valeurs” est chose faisable… »48.
Notes
1 Ce « nous » ne renvoyant pas nécessairement à une communauté, comme le souligne par exemple le Crépuscule des idoles : « Opposons enfin la manière différente dont nous (– je dis nous par politesse) concevons le problème de l’erreur et de l’apparence » (« La “raison” en philosophie », § 5). Sur la question de l’interprétation du « nous » dans les textes de Nietzsche, voir en particulier l’étude de D. Large : « Nietzsche et compagnie : la pluralisation de la première personne », in Nietzsche. Un art nouveau du discours, C. Denat, P. Wotling (dir.), Éditions et Presses universitaires de Reims (Langage & pensée), 2013, p. 103-126.
2 Par-delà bien et mal, § 207, trad. P. Wotling.
3 Le gai savoir, § 374, trad. P. Wotling.
4 Par-delà bien et mal, § 34, trad. P. Wotling.
5 Le gai savoir, § 374.
6 La mise en évidence de la non-pertinence des oppositions traditionnellement opératoires constitue, on le sait, un des axes constants de l’expertise que mène Nietzsche au sujet de la pratique philosophique. On en trouvera quelques exemples significatifs dans le § 354 du Gai savoir : « Ce n’est pas, comme ainsi qu’on le devine, l’opposition du sujet et de l’objet qui m’importe ici : j’abandonne cette distinction aux théoriciens de la connaissance qui se sont laissés prendre dans les nœuds coulants de la grammaire (de la métaphysique du peuple). C’est moins encore l’opposition de la “chose en soi” et du phénomène : car nous “connaissons” bien trop peu pour avoir simplement le droit de faire une telle distinction », ou dans les posthumes suivants : « Je m’étonne de voir que la science se résigne aujourd’hui à se cantonner au monde de l’apparence : un monde vrai – il peut être comme il veut, nous n’avons certainement pas d’organe permettant de le connaître. / Ici, on pourrait déjà demander : grâce à quel organe de connaissance pose-t-on cette opposition même ?... » (Fragments posthumes [désormais FP] XIV, 14 [103], Paris, Gallimard, 1977, trad. J.-C. Hémery), « “bon” et “méchant” ne sont pas des contraires » (FP X, 25 [309]), « égoïsme et “inégoïsme” (fausses oppositions) » (FP XIV, 19 [9]). Sur l’analyse théorique de cette question, voir notamment Par-delà bien et mal, § 2, ou encore FP XIV, 14 [173] : « Les fausses oppositions, auxquelles croit le peuple et par conséquent la langue, ont toujours été de dangereuses entraves à la vérité ».
7 En toute rigueur, comme l’indiquent les textes les plus précis, cette exploitation du schème atomisme aux fins d’élaboration du moi repose sur l’activité d’un préjugé plus profond encore, le fétichisme. Pour un exposé des analyses nietzschéennes sur ce point, nous renvoyons à notre étude « “Notre croyance fondamentale”. Le sujet et la poétique des pulsions selon Nietzsche », in La fabrique du sujet, C. Dumoulié (dir.), Paris, Desjonquères, 2011, p. 137-150.
8 Sur cette question, voir par exemple Par-delà bien et mal, § 16 et 17, ou encore Crépuscule des idoles, « Les quatre grandes erreurs ».
9 FP XIV, 14 [79].
10 FP du Gai savoir, 12 [35].
11 Préface, § 1.
12 Voir Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1 : « Dans un climat énervant, le thé n’est pas à recommander pour commencer : il faut une heure auparavant débuter par une tasse de cacao dégraissé bien épais ».
13 Aurore, § 381.
14 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1.
15 Avec cependant la restriction suivante : « à l’exception des femmes perdues, des “émancipées” » (Ecce Homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 5).
16 Le gai savoir, « Préface à la seconde édition », § 2. Voir également, dans le même sens, la remarque d’Ecce Homo (« Pourquoi je suis si avisé », § 10) : « On me demandera pourquoi au juste j’ai raconté toutes ces choses mineures, et, selon l’opinion courante, insignifiantes ».
17 W. Müller-Lauter, « Le problème de l’opposition dans la philosophie de Nietzsche », Revue philosophique, n° 4, octobre-décembre 2006, p. 467-468.
18 Par-delà bien et mal, § 6.
19 Humain, trop humain II, « Opinions et sentences mêlées », § 156, trad. R. Rovini. Un autre aphorisme d’Humain, trop humain II insistait déjà sur l’impossibilité d’appréhender authentiquement la pensée sur la base d’un recours à la personnalité empirique, donc à l’élément biographique : « Lecteurs de sentences. – Les pires lecteurs de sentences sont les amis de l’auteur, du moment où ils s’évertuent à remonter du cas général au cas particulier auquel la sentence doit sa naissance : car ils réduisent à néant, par cette indiscrétion fouineuse, toute la peine prise par l’auteur, si bien qu’au lieu d’une disposition et d’un enseignement philosophiques, tout le bénéfice qu’ils en retirent comme ils le méritent n’est rien, en mettant les choses au mieux ou au pire, que la satisfaction d’une banale curiosité » (§ 129).
20 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
21 M. Montinari, Friedrich Nietzsche, Paris, PUF (Philosophies), 2001, p. 9.
22 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 3.
23 Par-delà bien et mal, § 5.
24 Le gai savoir, § 349.
25 Voir notamment l’« idéal anémique » (FP XIII, 11 [138]), ou la « phénoménologie de la consomption » (FP XIV, 16 [55]) qu’incarnerait sa manière de penser.
26 Par-delà bien et mal, Préface. Voir également le § 190 du même ouvrage.
27 Crépuscule des idoles, « Le problème de Socrate », § 11.
28 W. Müller-Lauter, « Le problème de l’opposition… », p. 475.
29 Par-delà bien et mal, § 6. Nous soulignons la partie finale de cette déclaration.
30 Le gai savoir, « Préface à la seconde édition », § 2.
31 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1.
32 Crépuscule des idoles, « Le problème de Socrate », § 9. Voir encore le § 10. On rappellera ce point important que Socrate n’est pas une cause, mais bien un symptôme. Nietzsche ne lui impute jamais le renversement culturel, qui s’avérera désastreux et sonnera le glas de la grande culture tragique.
33 Par-delà bien et mal, § 186.
34 Par-delà bien et mal, § 28.
35 Pour approfondir ce point, voir l’étude de C. Denat : « Le “cas” Platon dans le Crépuscule des Idoles : une “idole” qui se plaît à “garder le silence” ? », in Les hétérodoxies de Nietzsche. Lectures du Crépuscule des idoles, C. Denat, P. Wotling (dir.), Reims, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2014.
36 Voir Humain, trop humain II, « Le voyageur et son ombre », § 61.
37 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 3. Voir également le § 6 du même chapitre, ainsi que la section consacrée à Humain, trop humain, § 3, du chapitre « Pourquoi j’écris de si bons livres ».
38 Le gai savoir, « Préface à la seconde édition », § 2.
39 Par-delà bien et mal, § 204.
40 Ecce Homo, « Avant-propos », § 1.
41 Sur le problème de l’élevage (Züchtung) de l’homme, qui constitue le second volet de l’activité du philosophe, nous renvoyons à notre ouvrage Nietzsche et le problème de la civilisation, 4e éd., Paris, PUF, 2012, p. 185 sq., ainsi qu’à l’étude suivante : « La culture comme problème. La redétermination nietzschéenne du questionnement philosophique », in Nietzsche-Studien, Berlin – New York, de Gruyter, Band 37, 2008, p. 1-50.
42 Voir l’important § 6 de cette préface, qui définit précisément la nature et la fonction de l’analyse généalogique.
43 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
44 Ibid., § 2.
45 Ibid., § 1.
46 C’est en cela qu’Éric Blondel voit dans cet ouvrage une généalogie de la Heiterkeit : voir F. Nietzsche, Ecce Homo / Nietzsche contre Wagner, trad. É. Blondel, Paris, GF Flammarion, 1992, « Introduction » p. 17 sq.
47 Ecce Homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
48 Ibid. (trad. modifiée). Voir également les Éléments pour la généalogie de la morale, III, § 10.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Patrick Wotling, « La « maudite ipsissimosité ». Un paradoxe nietzschéen ? », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 52 | 2015, 161-180.
Référence électronique
Patrick Wotling, « La « maudite ipsissimosité ». Un paradoxe nietzschéen ? », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 52 | 2015, mis en ligne le 13 juin 2018, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.573
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page