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Le droit aux droits acquis. Droit social, droit subjectif et critique du néolibéralisme

The right to acquired rights. Social rights, subjective rights and the critique of neoliberalism
Céline Jouin
p. 65-78

Résumés

Cet article examine le traitement que Catherine Colliot-Thélène réserve au droit social dans ses derniers écrits, en particulier dans Le commun de la liberté (2022). L’hypothèse qu’il formule est que le thème du droit social est un point d’inconfort pour la philosophe, pour la kantienne et pour la marxienne qu’elle est. C’est autour du droit subjectif – et non du droit social – que Colliot-Thélène refonde la démocratie, la citoyenneté, et finalement, depuis Le commun de la liberté, le droit social lui-même. Or, dans cette opération de refondation qui prend la forme d’une dé-statutorisation, que reste-t-il du droit social ?

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Texte intégral

  • 1 Voir C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté. Du droit de propriété au devoir d’hospitalité, Pa (...)
  • 2 C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale », in Droits subje (...)
  • 3 En particulier dans la première partie du chapitre III, intitulée « Des droits civils aux droits so (...)
  • 4 Dans Le commun de la liberté, Colliot-Thélène se réfère au livre de D. Harvey, Le nouvel impérialis (...)
  • 5 Colliot-Thélène se réfère notamment à A. Supiot, L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face (...)

1Catherine Colliot-Thélène a accordé une attention croissante au thème du droit social dans ses derniers écrits. Le droit social est l’un des thèmes majeurs du Commun de la liberté1. Il est le thème principal de son article « Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale »2. Il en était déjà question dans La démocratie sans « demos »3. Il est indéniable que l’on trouve chez Colliot-Thélène une critique franche du néolibéralisme et des effets qu’il a sur le droit social. Sous sa plume, les effets de la mondialisation néolibérale sur le droit social sont indubitablement négatifs. Du point de vue descriptif, son constat correspond à celui que l’on trouve dans la critique du néolibéralisme la plus « à gauche » : elle cite David Harvey et Wendy Brown4. Elle reprend à son compte la description sans fard que livre Alain Supiot de l’érosion du droit social à l’échelle nationale et internationale5. On ne peut pas dire que dans ce domaine Colliot-Thélène se soit fait des illusions. Néanmoins, dans son travail de retour aux fondements normatifs de la démocratie, le droit social se retrouve dans une position singulière. C’est autour du droit subjectif – et non du droit social – que Colliot-Thélène refonde la démocratie et la citoyenneté. Or, dans cette opération de refondation, que reste-t-il du droit social ?

  • 6 Je paraphrase ici le titre d’une conférence que Colliot-Thélène a prononcée à l’université de Montr (...)
  • 7 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 219.

2C’est la question que j’aimerais poser6. Cette question se pose d’autant plus selon moi que ce n’est pas seulement la démocratie que la philosophe entend refonder sur la base du droit subjectif (et de lui seul), c’est aussi, finalement, le droit social lui-même. C’est le pas qu’elle franchit dans Le commun de la liberté. « L’individualisme des droits va main dans la main avec de vrais droits sociaux »7, écrit-elle dans son dernier livre, ce qu’elle ne disait ni dans La démocratie sans « demos », ni dans « Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale ».

3Ce retour à l’individualisme des droits s’accompagne chez Colliot-Thélène d’une critique du droit social paternaliste, bureaucratique et normalisateur qui transforme le citoyen en client passif de l’État. Cette critique s’accompagne également d’un diagnostic plutôt désenchanté sur les promesses non tenues des droits-créances. Or, historiquement, depuis l’invention du droit social, le retour à l’individualisme des droits et la charge contre l’État social paternaliste ont surtout été le fait des néolibéraux. Le néolibéralisme opère lui aussi un retour au sujet de droit individuel. Force est de constater que Colliot-Thélène se trouve sur une ligne de crête lorsqu’elle relègue le paradigme communautaire et la notion même de statut à la pré-modernité.

  • 8 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 106.

4Quelle est la différence entre la déconstruction du concept de statut de Colliot-Thélène et la déconstruction néolibérale ? Il est à peine besoin de le dire, Colliot-Thélène n’a nullement l’intention d’attaquer le droit social en tant que tel. Il me semble cependant que le spectre de Friedrich Hayek rôde dans certaines de ses analyses. Se réclamant d’Emmanuel Kant, elle remarque d’ailleurs elle-même que Hayek a fait le procès de la justice sociale en mobilisant une conception libérale des droits subjectifs qui était proche de celle de Kant8. On peut donc se demander ce qui reste du droit social dans cette remontée vers les fondements de la démocratie, de la citoyenneté, et du droit social lui-même, remontée qui prend la forme d’une dé-statutorisation. Je pose cette question au nom des exigences qui sont celles mêmes de Colliot-Thélène : son exigence de réalisme, souvent exprimée, ainsi que sa volonté de pratiquer une philosophie politique qui ne se développe pas dans le mépris de la théorie juridique, ni dans le mépris de l’histoire du droit et de l’histoire tout court.

  • 9 Voir son texte séminal : C. Colliot-Thélène, « La fin du monopole de la violence légitime ? », Revu (...)

5Mon hypothèse est que le problème du droit social crée une série de tensions très grandes au sein des analyses de la philosophe, que ces tensions viennent de loin dans sa pensée – elles s’annoncent dès le rapprochement qu’elle opère entre Kant et Max Weber9 –, et que loin de se résoudre dans Le commun de la liberté, elles s’y accroissent.

6Dans Le commun de la liberté, Colliot-Thélène place le droit de propriété du côté du droit subjectif, d’un droit subjectif qu’elle assimile à un droit fondamental de l’individu, inviolable, inconditionnel. Elle affirme que ce droit a un sens social. Le principe de liberté, parce qu’il est un principe d’égale liberté, suffirait pour fonder le droit social. Elle convoque Karl Marx aux côtés de Kant afin d’étayer sa démonstration. Or, d’une part, cette opération de rapprochement de Kant et de Marx est philosophiquement délicate. D’autre part, on peut remarquer qu’historiquement, depuis la fin du XIXe siècle, la fondamentalisation du droit de propriété n’est pas la voie principale qui a été empruntée pour édifier le droit social.

  • 10 F. Neumann, « Die soziale Bedeutung der Grundrechte in der Weimarer Verfassung » [1930], in Wirtsch (...)

7Depuis les années 1890, en France comme en Allemagne, le droit social est issu d’un réformisme qui a politisé le droit privé. Mais ce qui a été politisé par les fondateurs du droit social n’est pas le droit privé au sens de Kant (le droit subjectif ou le « droit inné » kantien), c’est le droit privé des juristes. Or cette politisation du droit privé s’est accompagnée d’une dé-fondamentalisation du droit de propriété. Au début du XXe siècle, cette dé-fondamentalisation a débouché sur l’éclatement de l’unité classique du droit civil et sur sa « matérialisation », sur sa division en plusieurs domaines du droit : on a vu émerger de nouvelles sphères juridiques comme le droit du travail, le droit économique, le droit syndical, etc. Les droits subjectifs en tant que droits fondamentaux ont semblé trop faibles pour protéger l’individu dans ses différentes sphères d’appartenance sociale. Les droits subjectifs du droit privé ont pris le relais. Comme le souligne Franz Neumann dans un texte intitulé « La signification sociale des droits fondamentaux dans la constitution de Weimar » (« Die soziale Bedeutung der Grundrechte in der Weimarer Verfassung », 193010), le droit social s’est construit dans un mouvement de relativisation de la propriété privée, par le biais de la restriction de la liberté de contrat, de la liberté d’entreprise et par le biais de la constitutionnalisation du droit du travail. Le droit social s’est ainsi édifié comme une voie médiane dans un double refus : le refus de la défense de la propriété privée absolue et le refus de la collectivisation des moyens de production. L’article 153 de la constitution de Weimar qui consacre le principe selon lequel « la propriété oblige » (« Eigentum verpflichtet ») illustre de manière éclatante cette troisième voie.

  • 11 On se reportera au Commun de la liberté…, chap. III.

8On comprend alors qu’historiquement ce ne soit pas Kant qui ait servi d’appui aux pères fondateurs du droit social et du droit du travail. Et l’on comprend que ce ne soit pas Marx non plus. Historiquement, les marxistes ont critiqué le droit social lorsqu’il a été inventé à la fin du XIXe siècle. Ils ont attaqué comme du révisionnisme les tentatives d’alliance de l’État de droit et de l’État social sous la république de Weimar. C’est donc un Marx découpé, un Marx sans marxisme que nous présente Colliot-Thélène dans Le commun de la liberté pour étayer sa thèse du sens social de la propriété privée11. Car ce ne sont ni Kant ni Marx qui ont servi de références dans le processus historique de l’institutionnalisation des droits sociaux. Mais comme il convient de ne pas confondre les modes de justification philosophiques du droit social et la description de l’institutionnalisation historique de ces droits, cela n’invalide pas l’entreprise théorique de Colliot-Thélène. Cela la rend seulement extrêmement audacieuse.

 

  • 12 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 22.

9Colliot-Thélène le remarque : historiquement, l’avènement de droits sociaux a renforcé le lien entre citoyenneté et nationalité, la nationalité qui est un statut12. C’est sur ce constat que s’engage d’entrée de jeu ce que j’appellerais la confrontation de Colliot-Thélène avec le droit social. Le droit social est un point d’inconfort pour la marxienne et pour la kantienne qu’elle est.

  • 13 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 82.

10Pour la marxienne qu’elle est : elle critique le démontage du droit social par la mondialisation néolibérale, mais elle voit aussi que le droit social ne transforme les choses qu’à la surface du capitalisme. Le droit social manque de radicalité. Intrinsèquement lié à un réformisme, il ne fait que s’en prendre aux effets, et non aux causes de la pauvreté et de l’inégalité. On notera que si le droit social manque de radicalité, la critique du néolibéralisme en manque aussi aux yeux de Colliot-Thélène. Elle souligne dans Le commun de la liberté que la critique contemporaine du néolibéralisme n’est pas une critique du capitalisme13. Elle n’est qu’une critique des mutations récentes du capitalisme et de la rhétorique qui les accompagne (celle de l’homme entrepreneur de soi).

  • 14 T. H. Marshall, Citizenship and Social Class and Other Essays, Cambridge, Cambridge University Pres (...)

11Pour la kantienne qu’elle est : Colliot-Thélène revient à Kant pour libérer les droits subjectifs de leur interprétation en termes de statuts. Mais il est assez intuitif de penser l’avènement des droits sociaux comme une restatutorisation des droits subjectifs, comme une repolitisation et une resocialisation des droits civils, conformément au schéma que nous a légué le sociologue T. H. Marshall dans Citizenship and Social Class14.

  • 15 Voir C. Colliot-Thélène, « L’État providence, en lieu et place du droit au travail », in Le commun (...)

12L’invention du droit social paraît ainsi apporter de l’eau au moulin de la conception statutaire et nationale de la citoyenneté. Cette conception semble d’ailleurs devenue la réalité elle-même : au migrant, on ne concède que des droits minimums, rarement le droit au travail, droit qui devient d’ailleurs quasiment le paradigme du droit social aux yeux de Colliot-Thélène dans Le commun de la liberté15. Est-ce à dire qu’il faut ou bien rejeter le droit social en lui-même, ou bien reconnaître une certaine vérité à la conception statutaire des droits ? Ni l’une ni l’autre de ces positions n’est une option pour la philosophe.

13Donc comment s’y prend-elle ? Elle cherche une solution à ce dilemme en interrogeant la pertinence de la fameuse distinction de Marshall entre droits civils, droits politiques et droits sociaux dans Citizenship and Social Class. Sa lecture de Marshall, ingénieuse, me semble néanmoins marquée par des hésitations qui sont l’indice, selon moi, de la tension que fait naître pour sa théorie « le fait » du droit social :

  • Dans La démocratie sans « demos », Colliot-Thélène utilise pour ainsi dire Marshall contre lui-même. Elle démontre que le sociologue se trompe sur un point : les droits sociaux ne seraient pas à interpréter comme une restatutorisation, une resocialisation, ou une repolitisation des droits subjectifs après la rupture subjectiviste16. À Marshall, elle oppose l’idée (qu’elle tire de sa lecture de Kant) selon laquelle les droits subjectifs sont toujours déjà politiques, l’idée que les droits civils ont dès le départ été liés à une forme de socialisation17. L’abolition des statuts corporatifs, avance-t-elle, n’a pas débouché sur un vide, le vide que fait autour de lui l’individu égoïste, mais sur un plein. Et sur des engagements différents, ceux d’individus qui choisissent désormais leur métier, leur famille, leur religion, etc.
  • Dans les textes suivants (« Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale », 2019 et Le commun de la liberté, 2022), la philosophe ne dit plus que Marshall se trompe lorsqu’il montre que les droits sociaux supposent une restatutorisation des droits subjectifs. Elle souligne désormais que ce n’est pas ce qu’il dit. Elle n’affirme plus que les droits de troisième génération dont parle Marshall sont « difficiles à fonder à partir de Kant », ce qu’elle écrivait dans La démocratie sans « demos »18. Elle tire Marshall vers sa propre thèse. Elle écrit : pour Marshall, « ce sont les droits qui font le citoyen, il aurait pu se réclamer de Kant »19.
  • 20 C’est ce que pensent aussi Gregory Bligh et Claire Marzo. Voir leur introduction au dossier intitul (...)

14Du point de vue exégétique, il me semble que sa première lecture est la bonne20. Mais c’est à l’enjeu de cette lecture que j’aimerais réfléchir. Cet enjeu est la réduction des droits sociaux aux droits subjectifs, mais aussi la réduction du droit social aux droits sociaux (individuels).

15Il y a plusieurs façons d’interpréter la pluralité des générations de droits. Une première interprétation consiste à dire que les droits sociaux n’apportent pas un correctif aux droits de première génération (les droits-libertés), mais qu’ils relèvent de la même logique qu’eux et qu’ils sont le nouveau nom de la même chose. Ce nouveau nom leur aurait été donné parce que, depuis le XIXe siècle, nous avons pris conscience de l’écart qui existe entre l’égalité réelle et l’égalité formelle, écart que la question sociale nous a mis sous les yeux. Ou bien parce que les droits sociaux ont semblé devoir réaliser les droits-libertés dans un nouveau contexte, par exemple dans le contexte du capitalisme avancé. Une seconde interprétation consiste à dire que les droits sociaux relèvent en partie d’une autre logique que les droits subjectifs et qu’ils les complètent.

16Le schéma marshallien des trois générations de droits (droits civils, droits politiques, droits sociaux) correspond à un double processus juridique : 1) l’ajout de droits (on peut penser au droit à la santé, au droit à l’éducation, au droit au logement, au droit à l’hébergement d’urgence ou au droit au travail, droit qui est l’exemple clé de Colliot-Thélène dans Le commun de la liberté), 2) l’extension du cercle des bénéficiaires. Comme Colliot-Thélène réduit le droit social aux droits sociaux, elle interprète cet ajout (l’invention du droit social) comme une intensification du droit subjectif. Et elle interprète l’extension du cercle des bénéficiaires comme une simple extension du champ d’application des droits, qui ne modifie pas leur nature ni leur structure.

  • 21 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 104 sq.
  • 22 Voir C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 325, 332 ; Le commun de la liberté…, p. 208 (...)

17On trouve cette analyse dans La démocratie sans « demos »21. Dans les textes suivants, « Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale » (2019) et Le commun de la liberté (2022), elle débouche sur une opposition entre deux groupes de théories du droit social. Sans les nommer exactement ainsi, Colliot-Thélène oppose les théories de la solidarité et les théories de l’égale liberté22. Selon les premières, le droit social vient limiter la liberté primordiale des individus au nom d’un principe autre (la solidarité, la fraternité, la justice sociale, etc.). Selon les secondes, le droit social est entièrement construit à partir de l’idée de liberté, mais d’une liberté bien comprise, comprise comme une égale liberté.

  • 23 Colliot-Thélène rappelle que la théorie des solidaristes avait pour fonction de faire barrage au so (...)
  • 24 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 160 sq.
  • 25 Colliot-Thélène se réclame de Claude Lefort et de La proposition de l’égaliberté d’Étienne Balibar (...)
  • 26 C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 337.
  • 27 Colliot-Thélène rappelle que si le livre classique de Robert Castel, Les métamorphoses de la questi (...)
  • 28 Dans ce texte seulement : « Les droits subjectifs… », p. 325.

18Colliot-Thélène se réclame des théories de l’égale liberté. Ces théories lui permettent de penser un commun détaché des communautés. Parmi les théories de la solidarité, elle range la théorie des solidaristes23, celles de Léon Duguit, d’Alain Supiot. Parmi les théories de l’égale liberté, elle range celles de Georges Gurvitch24, de Claude Lefort et d’Étienne Balibar25, la plupart des théories du commun26, celle de Robert Castel27, mais aussi, au moyen de ce qui est selon moi un coup de force, celle de Marshall (en 201928).

19Cette catégorisation permet à Colliot-Thélène de ramener le droit social au droit subjectif. La philosophe ne cherche pas à revenir en deçà de l’invention du droit social. Elle nous rappelle qu’un droit social élevé aux standards de la démocratie doit être distingué de l’ancienne assistance, mais aussi de la politique sociale purement prestationniste qui n’a rien d’intrinsèquement démocratique. Contrairement à Friedrich Hayek, elle n’a nullement l’intention de déconstruire le droit social, ni de démontrer son inconsistance ou son incompatibilité avec l’État de droit. C’est au contraire un concept exigeant qu’elle pose. Elle nous rappelle à nos propres exigences en matière de démocratie.

*

20J’ai cependant trois objections à faire à Colliot-Thélène.

21Premièrement, j’aimerais rappeler qu’historiquement, l’ordolibéralisme allemand et le néolibéralisme de Hayek ont été une réaction. À la politique économique de Hitler d’une part, mais aussi à l’invention du droit social. Le néolibéralisme a réactualisé une conception du droit subjectif tronquée par l’individualisme parce qu’en Allemagne, depuis les années 1890 et sous la république de Weimar, les promoteurs du droit social venaient non pas de défendre le droit social au nom de la solidarité (ce que faisaient les solidaristes en France), ni de construire le droit social en combattant le droit subjectif (comme Duguit), mais ils venaient précisément de défendre le droit social au nom des droits subjectifs, de droits subjectifs qu’ils venaient de détacher de l’individualisme et d’appliquer aux collectifs.

  • 29 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 108-109.
  • 30 Et même en ce qui concerne la France, il semble que ce ne soit vrai que dans une certaine mesure. L (...)

22Colliot-Thélène affirme que les théories juridiques du début du XXe siècle qui ont tenté d’intégrer les droits sociaux dans le concept de démocratie avaient la solidarité pour mot d’ordre29. Mais ce n’est vrai que pour la France30. En Allemagne, c’est au nom de la liberté et sur la base des droits subjectifs, mais de droits subjectifs reconfigurés, que les socialistes de la chaire et les promoteurs sociaux-démocrates du droit du travail sous Weimar ont construit le droit social.

23Le néolibéralisme a diffusé une interprétation fonctionnaliste du droit privé qui sert aujourd’hui de cadre au constitutionalisme de marché, notamment au sein de l’Union européenne. Mais cela aussi a été une réaction : les promoteurs du droit social venaient de politiser le droit privé.

  • 31 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 219.
  • 32 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 23.
  • 33 Ibid., p. 148.

24Ainsi, il n’est pas certain que « l’individualisme des droits [aille] main dans la main avec de vrais droits sociaux »31. En effet, l’invention du droit social a fait vieillir la promotion exclusive des droits individuels. Colliot-Thélène a raison de souligner que la défense du sujet de droit n’est pas la défense de l’individu égoïste. Ceux qui confondent les deux confondent une construction juridique et une réalité anthropologique ou sociale. L’immense mérite de la philosophe est de détacher avec netteté la critique du néolibéralisme de la critique antimoderne du sujet hédoniste. Elle se tient à distance, sur ce point, de Leo Strauss, de Michel Villey et d’Alain Supiot. Elle a raison de noter qu’« individualisme ne signifie pas égoïsme et n’implique pas non plus de nier le rôle des solidarités collectives dans l’histoire »32. Elle ne nie pas le rôle des solidarités dans l’histoire. Mais ses analyses conduisent tout de même à nier le rôle qu’elles jouent dans le droit. Les communautés de lutte qui conquièrent de nouveaux droits représentent à ses yeux une « socialité d’exception »33. D’après elle, la quotidianisation de ces communautés de lutte est impossible. Mais elle en conclut implicitement que c’est leur juridicisation qui est impossible : on peine à trouver une place pour les droits collectifs dans sa construction.

  • 34 Sur ce sujet, on lira avec profit l’ouvrage de R. Saleilles, De la personnalité juridique [1910], P (...)

25Alors que Colliot-Thélène a su arracher la notion de sujet de droit aux confusions de la critique antimoderne, on peut se demander pourquoi elle n’est pas allée jusqu’à reconnaître que le droit subjectif, puisqu’il est un instrument d’imputation de droits et de responsabilités, s’applique également aux collectifs34. Non seulement le droit subjectif s’applique aux collectifs (syndicat, entreprise, etc.), mais, de plus, il est apte à concilier dans une unité complexe les droits d’un collectif et les droits individuels. C’est ce droit-subjectif-collectif-et-individuel que les néolibéraux se sont attachés à démonter dès les années 1930 parce qu’il était un puissant instrument de démocratisation de l’entreprise et de l’économie (compatible avec l’État de droit). En ce sens, je ne suis pas sûre que le retour au droit subjectif exclusivement individuel que propose Colliot-Thélène ne passe pas à côté de ce qui précisément gênait les néolibéraux et puisse nous servir de stratégie suffisamment efficace pour lutter contre le néolibéralisme.

 

26Deuxièmement, j’aimerais discuter le modèle du droit social comme droit subjectif inconditionnel et opposable qui est celui de Colliot-Thélène. Est-il le seul modèle possible ? La philosophe oppose le « droit inné » aux droits acquis. La fondamentalisation des droits sociaux est sa stratégie. Mais cette fondamentalisation correspond-elle au mouvement par lequel le droit social s’engendre ?

  • 35 Le Conseil d’État a consacré le caractère de liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du (...)

27On peut le penser si l’on prend l’exemple du droit à l’hébergement d’urgence. Ce droit doit être universel. Il doit être inconditionnel à la manière d’un droit fondamental. Mais est-ce vraiment un droit social ? N’est-ce pas un droit fondamental, un droit à la survie, comme le Conseil d’État l’a d’ailleurs reconnu35 ? Prenons le droit au travail. Colliot-Thélène y insiste, ce droit est rarement reconnu au migrant. Mais le droit au travail n’est jamais devenu un véritable droit opposable, pas plus pour celui qui a droit de cité que pour le migrant. C’est la solution sociale-libérale, non la solution fouriériste ou socialiste, qui s’est imposée au XXe siècle dans le droit positif de la plupart des États de droit ayant une composante sociale. C’est sous la forme de la liberté de choisir sa profession, du droit à l’aide publique pour trouver un emploi et du droit à l’assurance chômage que le droit au travail est devenu concret. C’est sous cette forme qu’il a cessé d’être un vague slogan, ce qu’est resté le droit au travail des fouriéristes. C’est par ce biais qu’il est devenu un droit subjectif public opposable à l’État. C’est la solution sociale-libérale qui s’est imposée, qui veut garantir à la fois les droits-libertés et les chances concrètes de les réaliser, et qui, pour cela, met en avant à la fois la liberté des individus et la liberté des organisations, en les rendant toutes deux relatives pour les concilier.

  • 36 Voir la charge portée contre « Schmoller et ses amis » (« Schmoller und seine Freunde »), c’est-à-d (...)

28Cette ligne sociale-libérale est la voie principale qu’a empruntée le droit social pour s’institutionnaliser au XXe siècle. Elle ne permet certes pas d’étayer une critique radicale du capitalisme, mais elle permet d’asseoir une critique efficace du néolibéralisme. Et pour cause : le néolibéralisme s’est attaqué à elle, dès les années 1930, parce qu’elle le gênait. Bien que ce fait soit largement oublié aujourd’hui, c’est aussi contre elle que le néolibéralisme s’est construit – et pas seulement contre Marx et contre Keynes36.

  • 37 Colliot-Thélène ne thématise pas la différence entre le droit privé de Kant et les droits civils de (...)

29La politisation du droit privé, non la fondamentalisation des droits sociaux, a été le principal mode opératoire du droit social. Et ce sont les droits civils dont parle Marshall et non le droit privé de Kant (le « droit inné »)37 que les pères fondateurs du droit social ont d’abord reconfigurés, en Allemagne comme en France. Les fondateurs du droit social ont conçu le capitalisme comme une réalité malléable – une réalité d’emblée juridico-économique – qu’on peut modifier par le droit et à laquelle on peut donner une teneur plus ou moins sociale. Jouer sur la définition de l’héritage, sur la définition du contrat de travail, sur la forme que prend la propriété d’entreprise, et même sur le contrat de mariage : voilà des leviers du droit social. En Allemagne, ces leviers ont directement été construits non pas au nom de la solidarité, mais comme une reconfiguration « sociale » des droits subjectifs du droit privé (souvent distingués des droits fondamentaux), et en premier lieu comme une reconfiguration du droit de propriété.

  • 38 Depuis l’élection de Javier Milei à la tête du gouvernement argentin en novembre 2023, les femmes q (...)
  • 39 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 123.

30Réactualisée, cette stratégie des fondateurs du droit social ne conduit pas exactement à revendiquer un droit au travail au sens de Fourier, lequel n’a jamais existé en dehors de la brève expérience des ateliers nationaux de 1848. Elle conduit plutôt à revendiquer un droit au droit du travail, mais aussi un droit au droit syndical, un droit au droit de la famille, un droit à l’avortement, etc., pour tous les résidents et résidentes d’un lieu donné. Elle conduit à affirmer un droit à des droits acquis38. C’est un autre sens du « droit à avoir des droits » que celui que propose Colliot-Thélène en s’appuyant sur Hannah Arendt39.

31Considérer que le droit économique est du droit social, que le droit de succession, mais aussi le contrat de mariage est du droit social, etc., c’est une autre façon de sortir de l’État-providence paternaliste que celle que propose l’autrice du Commun de la liberté. C’est une façon qu’on peut qualifier de wébérienne puisqu’elle présuppose la conception du capitalisme malléable qui était celle du sociologue. Mais ce Weber n’est pas le Weber de Colliot-Thélène. C’est davantage avec les yeux de Marx qu’avec les yeux de Weber que la philosophe pense le capitalisme.

 

32Cette question des droits acquis m’amène au troisième et dernier point que je souhaite discuter. Colliot-Thélène oppose les droits statutaires à la modernité des droits subjectifs. Elle tend à reléguer les droits statutaires à la pré-modernité. Or les droits acquis du droit social, ce ne sont pas les privilèges de l’Ancien Régime. Il est essentiel selon moi d’insister sur la différence. Le droit social a supposé la reconstruction de statuts métamorphosés car reconstruits sur la base du droit subjectif et articulés aux droits fondamentaux. On pourrait dire que le droit social nous a fait passer du statut au statut. Et tout aussi bien, qu’il nous a fait passer du contrat au contrat, car le contrat de travail est un type de contrat entièrement nouveau.

  • 40 Voir C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 107, 111 ; « Les droits subjectifs… », p. (...)
  • 41 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 107, 111 ; « Les droits subjectifs… », p. 336.
  • 42 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 111 ; « Les droits subjectifs… », p. 336. Coll (...)

33Prenons ce que Colliot-Thélène dit du principe de la réciprocité des droits et des devoirs. Ce principe est systématiquement rejeté par elle dans ses différents textes40. Il lui paraît politiquement archaïque, lié aux communautés traditionnelles, aux corporations à privilèges de l’Ancien Régime41. On le voit aux exemples qu’elle donne pour l’illustrer : pour elle, le principe de la réciprocité des droits et des devoirs caractérise la relation du tuteur et son pupille, celle du prince à ses conseillers, celle du seigneur à ses vassaux ou du maître à son apprenti42. Colliot-Thélène suggère que ce principe n’est pas modernisable, ni compatible avec le principe de liberté et d’égalité, ce qui est contestable. En effet, il existe une façon de construire le droit social et le droit de l’environnement à partir de ce principe, lequel a l’avantage de responsabiliser le citoyen. C’est ce dernier qu’on retrouve par exemple dans le principe pollueur-payeur, ou dans l’idée, consacrée en 1919 dans la constitution de Weimar (art. 153) et reprise dans la Loi fondamentale de 1949, selon laquelle la propriété oblige (« Eigentum verpflichtet »). Dans ces deux cas, ce n’est pas le principe du primat des droits sur les devoirs qui est mis en avant, mais bien celui d’une réciprocité des droits et des devoirs. L’idée que la propriété est un droit partiel et non un droit absolu sur les choses, idée ancienne, typique des pays de common law, qui connaît un formidable regain d’actualité aujourd’hui, fait fond sur ce même principe.

  • 43 On se reportera aux deux textes de Colliot-Thélène intitulés « Les modes de justification des droit (...)

34Ici l’interprétation de Weber de Colliot-Thélène est à nouveau en jeu : son interprétation de la ville et son interprétation des droits subjectifs chez Weber43. Plusieurs auteurs considèrent que le contenu des droits sociaux a pour origine la ville médiévale. C’est le cas de Marshall mais aussi de Gierke. La reconstruction des statuts modernes sur la base du droit subjectif a pris pour modèle la ville médiévale chez ces théoriciens du droit social – de la ville médiévale plutôt que de l’acte révolutionnaire de la Déclaration des droits de l’homme. Ce qui retient l’attention de ces auteurs, c’est la rupture que la ville médiévale représente par rapport à la logique des ordres de l’Ancien Régime.

  • 44 C. Colliot-Thélène, « La ville et la démocratie », p. 320 (je souligne).
  • 45 Colliot-Thélène reconnaît une limite de son interprétation du chapitre sur les droits subjectifs de (...)

35C’est aussi ce qui retient l’attention de Weber. Colliot-Thélène écrit que la ville est pour Weber « un droit statutaire quant à sa forme, mais virtuellement destructeur de l’organisation statutaire »44. Il semble que partir de la ville permette en réalité d’édifier un récit heureux de la statutorisation et de la genèse du droit social. Mais la philosophe prend un autre point de départ en ce qui concerne le droit social. Elle nous place devant l’alternative : soit Kant, soit Bismarck. Autrement dit : soit les droits sociaux en tant que droits fondamentaux, soit l’État-providence paternaliste. Mais si l’on se place dans les pas d’auteurs comme Marshall, Gierke ou Hermann Heller, et probablement aussi dans les pas de Weber45, la ville représente moins le début de la destruction des statuts que le début de leur métamorphose. Les communs ruraux et les droits corporatifs y ont été moins détruits que refondus, sur la base du droit individuel.

36En d’autres termes, la ville médiévale représente le début d’un processus qu’on peut très bien faire aboutir à notre droit social, ou même à une version améliorée de celui-ci, plus conforme à nos exigences démocratiques que le droit que nous connaissons. À partir de l’idée directrice de la métamorphose des statuts, on peut imaginer réformer le droit social en écoutant la puissante leçon que nous livre Colliot-Thélène dans Le commun de la liberté, mais en la déplaçant. Un droit au droit du travail, un droit au droit de la famille, un droit au droit syndical liés à la résidence plutôt qu’à la nationalité – ce que j’ai appelé un droit aux droits acquis –, voilà ce que devrait être le droit social. Un système d’égales libertés sur un territoire donné, mais de libertés relatives, limitées en leur principe, et limitées autrement que sur le mode de l’auto-engagement – limitées à cause de leur insertion dans des collectifs dont il faut prendre en compte les buts écologiques et sociaux. Voilà ce que l’on pourrait défendre face aux néofascismes qui rompent aujourd’hui sous nos yeux le principe d’égalité et face aux néolibéralismes dont la rhétorique réduit nos droits acquis à des privilèges.

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Notes

1 Voir C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté. Du droit de propriété au devoir d’hospitalité, Paris, Presses universitaires de France, 2022, chap. IV et V, p. 153-224.

2 C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale », in Droits subjectifs et citoyenneté, O. Beaud, C. Colliot-Thélène, J.-F. Kervégan (dir.), Paris, Classiques Garnier (Bibliothèque de la pensée juridique), 2019, p. 323-343.

3 En particulier dans la première partie du chapitre III, intitulée « Des droits civils aux droits sociaux : la statutorisation des droits subjectifs ». Voir C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 91-115.

4 Dans Le commun de la liberté, Colliot-Thélène se réfère au livre de D. Harvey, Le nouvel impérialisme [2003], J. Batou, C. Georgiou (trad.), Paris, Les Prairies ordinaires, 2010 ; et à celui de W. Brown, Défaire le “dèmos”. Le néolibéralisme, une révolution furtive [2015], J. Vidal (trad.), Paris, Éditions Amsterdam, 2018 (C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, respectivement note 4, p. 134 et note 2, p. 82).

5 Colliot-Thélène se réfère notamment à A. Supiot, L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Paris, Seuil, 2010. Voir par exemple C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 333.

6 Je paraphrase ici le titre d’une conférence que Colliot-Thélène a prononcée à l’université de Montréal en 2006 qui s’intitulait : « Après la souveraineté : que reste-t-il des droits subjectifs ? », dont le texte a été publié dans Jus Politicum, nº 1, en ligne : https://juspoliticum.com/article/Apres-la-souverainete-que-reste-t-il-des-droits-subjectifs-27.html.

7 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 219.

8 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 106.

9 Voir son texte séminal : C. Colliot-Thélène, « La fin du monopole de la violence légitime ? », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 34, nº 1, 2003, p. 5-31, en ligne : https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2003_num_34_1_1594.

10 F. Neumann, « Die soziale Bedeutung der Grundrechte in der Weimarer Verfassung » [1930], in Wirtschaft, Staat, Demokratie. Aufsätze 1930-1954, A. Söllner (éd.), Francfort, Suhrkamp, 1978, p. 57-102.

11 On se reportera au Commun de la liberté…, chap. III.

12 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 22.

13 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 82.

14 T. H. Marshall, Citizenship and Social Class and Other Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1950. Voir C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 110.

15 Voir C. Colliot-Thélène, « L’État providence, en lieu et place du droit au travail », in Le commun de la liberté…, p. 207-211.

16 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 110 sq.

17 Ibid. Voir aussi C. Colliot-Thélène, « Pour une politique des droits subjectifs : la lutte pour les droits comme lutte politique », L’année sociologique, nº 59, 2009, p. 251, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/anso.091.0231.

18 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 106.

19 C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 325.

20 C’est ce que pensent aussi Gregory Bligh et Claire Marzo. Voir leur introduction au dossier intitulé « La citoyenneté sociale à l’heure actuelle : relectures de T. H. Marshall », dans La revue des droits de l’homme, nº 23, 2023, p. 16, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/revdh.16589.

21 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 104 sq.

22 Voir C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 325, 332 ; Le commun de la liberté…, p. 208, 219 sq.

23 Colliot-Thélène rappelle que la théorie des solidaristes avait pour fonction de faire barrage au socialisme. Voir C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 208.

24 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 160 sq.

25 Colliot-Thélène se réclame de Claude Lefort et de La proposition de l’égaliberté d’Étienne Balibar (Paris, Presses universitaires de France, 2010) à plusieurs reprises, la première fois dans « L’interprétation des droits de l’homme : enjeux politiques et théoriques au prisme du débat français », Trivium, nº 3, 2009, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trivium.3290.

26 C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 337.

27 Colliot-Thélène rappelle que si le livre classique de Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat (Paris, Fayard, 1995), a entraîné une redécouverte des solidaristes, le concept clé du sociologue n’est pas la solidarité mais la propriété sociale, dont il a une conception « individualiste ». Voir C. Colliot-Thélène, « Les droits subjectifs… », p. 341-342 et Le commun de la liberté…, p. 208.

28 Dans ce texte seulement : « Les droits subjectifs… », p. 325.

29 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 108-109.

30 Et même en ce qui concerne la France, il semble que ce ne soit vrai que dans une certaine mesure. Le mot d’ordre de la solidarité n’a pas systématiquement été lié à une relativisation ou à une critique des droits subjectifs. Voir sur ce point la contribution de Vincent Bourdeau à ce dossier. Je remarque pour ma part que Maurice Hauriou et Raymond Saleilles ont construit le droit social autour du concept de droit subjectif, contre Léon Duguit. Ils se sont appuyés pour cela sur la doctrine allemande, celle d’Otto von Gierke (qui est un théoricien du droit subjectif, contrairement à ce qu’on lit parfois en France) et celle de Georg Jellinek.

31 C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté…, p. 219.

32 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 23.

33 Ibid., p. 148.

34 Sur ce sujet, on lira avec profit l’ouvrage de R. Saleilles, De la personnalité juridique [1910], Paris, A. Rousseau, 1922.

35 Le Conseil d’État a consacré le caractère de liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, du droit à l’hébergement d’urgence des personnes vulnérables en février 2012, dans son ordonnance Fofana.

36 Voir la charge portée contre « Schmoller et ses amis » (« Schmoller und seine Freunde »), c’est-à-dire contre les socialistes de la chaire, par Franz Böhm, Walter Eucken et Hans Grossmann-Doerth dans le texte qu’ils ont publié en 1936 et qu’on considère souvent comme le manifeste de l’ordolibéralisme : « Unsere Aufgabe », in Grundtexte zur Freiburger Tradition der Ordnungsökonomik, N. Goldschmidt, M. Wohlgemuth (dir.), Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, p. 32. Rappelons que le modèle de droit social des socialistes de la chaire n’était pas celui de Bismarck, même si Gustav Schmoller, Adolph Wagner et leurs collègues ont approuvé la législation sociale du gouvernement de Bismarck dans les années 1880. S’ils l’ont fait, c’est parce qu’ils étaient mus par une sorte d’éthique de la responsabilité, et non parce qu’elle correspondait à leur modèle du droit social, lequel allait se concrétiser avec la constitution de Weimar.

37 Colliot-Thélène ne thématise pas la différence entre le droit privé de Kant et les droits civils de Marshall dans La démocratie sans « demos » et dans Le commun de la liberté.

38 Depuis l’élection de Javier Milei à la tête du gouvernement argentin en novembre 2023, les femmes qui craignent pour leur droit à l’avortement en Argentine revendiquent le maintien de ce droit en tant que droit acquis. Il serait beaucoup plus risqué de le revendiquer en tant que droit fondamental car on pourrait leur opposer le droit à la vie de l’embryon.

39 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 123.

40 Voir C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 107, 111 ; « Les droits subjectifs… », p. 336 ; Le commun de la liberté…, p. 53 sq.

41 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 107, 111 ; « Les droits subjectifs… », p. 336.

42 C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 111 ; « Les droits subjectifs… », p. 336. Colliot-Thélène estime que, dans nos sociétés complexes, la différenciation fonctionnelle a irrémédiablement fait vieillir le principe de la réciprocité des droits et des devoirs propre aux anciens groupes de statut. Elle remplace ce principe par ce que j’appellerais « la main invisible de Luhmann » : un système de droits purs et de volontés individuelles qui se rencontrent et s’accordent. Voir C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », p. 112.

43 On se reportera aux deux textes de Colliot-Thélène intitulés « Les modes de justification des droits subjectifs » et « La ville et la démocratie » dans son ouvrage Études wébériennes. Rationalités, histoires, droits, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 259-278 et p. 305-324. Les textes de Weber dont il est question sont le chapitre sur les droits subjectifs de la Sociologie du droit (J. Grosclaude (trad.), Paris, Presses universitaires de France, 1986, chap. II, p. 44-115) et La ville (A. Berlan (trad.), Paris, La Découverte, 2014).

44 C. Colliot-Thélène, « La ville et la démocratie », p. 320 (je souligne).

45 Colliot-Thélène reconnaît une limite de son interprétation du chapitre sur les droits subjectifs de la Sociologie du droit de Weber : elle admet qu’elle connaît mal la théorie de Gierke, alors qu’il est l’auteur le plus cité par Weber dans ce chapitre. Voir C. Colliot-Thélène, « Les modes de justification des droits subjectifs », p. 260.

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Pour citer cet article

Référence papier

Céline Jouin, « Le droit aux droits acquis. Droit social, droit subjectif et critique du néolibéralisme »Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 61 | 2024, 65-78.

Référence électronique

Céline Jouin, « Le droit aux droits acquis. Droit social, droit subjectif et critique du néolibéralisme »Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 61 | 2024, mis en ligne le 21 juin 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/3390 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vsf

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Auteur

Céline Jouin

Université de Caen Normandie

Céline Jouin est maîtresse de conférences en philosophie à l’université de Caen Normandie et membre de l’unité de recherche Identité et Subjectivité (UR 2129) depuis 2011. Elle est l’autrice de Le retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt (Paris, J. Vrin – EHESS, 2013). Elle a coordonné l’ouvrage collectif La constitution matérielle de l’Europe (Paris, Pédone, 2019). Elle a publié une édition critique de l’ouvrage d’Otto von Gierke, Althusius et le développement des théories politiques du droit naturel, qu’elle a traduit (Paris, Classiques Garnier, 2021). Ses recherches actuelles portent sur les fondements théoriques du droit social et les aspects juridiques du néolibéralisme.

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