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« Le mystérieux critère de la distinction des vérités nécessaires et des vérités contingentes » ou l’embarras d’une solution : Leibniz et la question du meilleur des mondes possibles

Gilles Olivo
p. 93-130

Texte intégral

La position du problème

  • 1 Descartes – AT 1964-1974, IX-2, 41 (Principes de la philosophie, I, art. 39).

1Poser à nouveau la question du meilleur des mondes possibles chez Leibniz impose que l’on affronte une difficulté qui tient à l’expression elle-même. En effet, lui donner sa teneur conceptuelle requiert de notre part un effort complexe de détermination. Elle présuppose d’abord l’appréhension du caractère optimal de notre monde, ce qui est loin d’aller de soi. Mais surtout, il faut en outre, pour que ce monde soit considéré comme le meilleur, qu’il le soit parmi des mondes possibles. Le meilleur est un superlatif dont l’affirmation implique la comparaison, précisément pour que nous puissions dire que le monde est le meilleur parmi des mondes possibles. Quelle est dès lors la nature de cette possibilité explicite ? Est-ce l’expérience de la contingence en tant qu’elle semble évidente dans ce monde-ci, le monde effectif dans lequel nous sommes, qui autorise Descartes à écrire que « la liberté de notre volonté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons »1 ? Tout dans l’expérience la plus habituelle de notre monde semble indiquer la contingence de faits, d’actions ou d’événements que nous produisons, dans la conscience nette que nous pourrions ne pas les accomplir. Que nous levions en ce moment un bras ou que nous ne le levions pas, l’un et l’autre des deux termes se présentent précisément à nous comme termes d’une alternative, dont l’accomplissement de l’un annule rétrospectivement la possibilité de l’autre. On sait que l’expérience du possible dont se réclame Leibniz n’est pas celle-là. Le possible dont nous croyons faire l’expérience – celui qui ne se réalise pas, que nous levions le bras ou que César ne franchît pas le Rubicon – n’a pas et ne peut avoir le statut d’un possible dans ce monde-ci, où, au contraire, tout arrive de façon déterminée, selon ce que Leibniz appelle une nécessité ex hypothesi.

2En revanche, ce possible l’est au sein d’un autre monde (possible) où il prend place dans une série d’événements dont il est lui aussi un terme nécessaire ex hypothesi. Autrement dit, si notre monde est le meilleur des possibles, c’est qu’il est meilleur que le monde possible dans lequel César ne franchit pas le Rubicon, ou encore que celui dans lequel Adam ne péche pas. Ces deux événements contingents ne sont donc pas pour Leibniz deux événements possibles de notre monde, mais deux événements contingents ou doués d’une nécessité ex hypothesi au sein de deux mondes possibles différents. Leur possibilité leur provient de leur insertion au sein d’autres mondes possibles, ou encore, leur possibilité esquisse la possibilité d’un autre monde que celui qui existe. Ce point est constamment affirmé par Leibniz, mais avec une particulière netteté au § 15 de la Causa Dei :

  • 2 « Possibilia contingentia spectari possunt tum ut sejuncta, tum ut coordinata in inte (...)

Les possibles contingents peuvent être considérés soit séparément, soit comme coordonnés dans une infinité de mondes entiers possibles, dont chacun est parfaitement connu de Dieu, bien qu’il n’ait amené à l’existence qu’un seul d’entre eux2.

3On peut dire dès lors que là réside la difficulté. D’abord, parce que « ces possibles contingents coordonnés dans une infinité de mondes entiers possibles » désignent une conception de la possibilité réservée à Dieu seul. Cela ne tient pas seulement à l’infinité des mondes possibles qu’il conviendrait de considérer, mais à notre impossibilité de nous représenter ne serait-ce même qu’un possible coordonné au sein d’un autre monde que le nôtre. Autrement dit, le possible comme élément d’un autre monde – et telle est la détermination leibnizienne de l’événement contingent, irréductible à la simple non-contradiction du concept que la connaissance humaine est susceptible de s’en constituer – ne nous est jamais donné. Bien plus, il faut aller jusqu’à dire qu’on ne peut se représenter un possible contingent considéré séparément qu’au prix d’une abstraction qui en obscurcit le concept. Ce point est affirmé nettement dans la correspondance avec Arnauld, à propos du cas d’Adam. Dans le monde créé par Dieu, Adam ne pouvait pas ne pas pécher. En revanche, dans la région des possibles qu’est l’entendement divin, il y a bien la notion d’un Adam non pécheur auquel

  • 3 Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que (...)

il faut attribuer une notion si complète, que tout ce qui peut lui être attribué en puisse être déduit. Or [s’] il n’y a pas lieu de douter que Dieu ne puisse former une telle notion de lui, ou plutôt qu’il ne la trouve toute formée dans le pays des possibles, c’est-à-dire dans son entendement3,

  • 4 L’expression, qui se trouve dans le texte cité note précédente, est employée par Leib (...)

que sommes-nous à même de nous représenter sous cette notion, nous, être finis ? Un « Adam vague »4 tout au plus, qui n’est donc pas un individu, comme l’expose Leibniz à Arnauld :

  • 5 Lettre à Arnauld du 4/14 juillet 1686, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 54 = Leibniz – Le (...)

Vous dites avec grande raison qu’il est aussi peu possible de concevoir plusieurs Adams possibles, prenant Adam pour une nature singulière, que de concevoir plusieurs moi. J’en demeure d’accord, mais aussi, en parlant de plusieurs Adams, je ne prenais pas Adam pour un individu déterminé, mais pour quelque personne conçue sub ratione generalitatis sous des circonstances qui nous paraissent déterminer Adam à un individu, mais qui véritablement ne le déterminent pas assez : comme lorsqu’on entend par Adam le premier homme que Dieu met dans un jardin de plaisir dont il sort par le péché, et de la côte de qui Dieu tire une femme. (Car il ne faut pas nommer Eve, ni le paradis, en les prenant pour des individus déterminés, autrement ce ne serait plus sub ratione generalitatis.) Mais tout cela ne détermine pas assez, et il y aurait plusieurs Adams disjonctivement possibles ou plusieurs individus à qui tout cela conviendrait. Cela est vrai, quelque nombre fini de prédicats incapables de déterminer tout le reste qu’on prenne. Mais ce qui détermine un certain Adam doit enfermer absolument tous ses prédicats5.

  • 6 Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que (...)

Il s’ensuit [continue Leibniz] que ce n’aurait pas été notre Adam, mais un autre, s’il avait eu d’autres événements […]. Il nous paraît bien que ce carré de marbre apporté de Gênes aurait été tout à fait le même quand on l’y aurait laissé, parce que nos sens ne nous font juger que superficiellement, mais dans le fond, à cause de la connexion des choses, tout l’univers avec toutes ses parties serait tout autre, et aurait été un autre dès le commencement, si la moindre chose y allait autrement qu’elle ne va6.

4L’on mesure aisément que si la simple différence de localisation d’un carré de marbre suffit à faire de notre monde un autre univers dans « toutes ses parties » dès son commencement, un Adam qui n’eût pas péché ou un César qui n’eût pas franchi le Rubicon ne sont Adam ou César qu’au titre d’une définition nominale ne visant aucun Adam ou César déterminé pour nous :

  • 7 Leibniz, Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposit (...)

Quand on considère en Adam une partie de ses prédicats, par exemple qu’il est le premier homme, mis dans un jardin de plaisir, de la côte duquel Dieu tire une femme, et choses semblables conçues sub ratione generalitatis (c’est-à-dire sans nommer Eve, le paradis et autres circonstances qui achèvent l’individualité) et qu’on appelle Adam la personne à qui ces prédicats sont attribués, tout cela ne suffit pas à déterminer l’individu, car il peut y avoir une infinité d’Adams, c’est-à-dire de personnes possibles à qui cela convient, différentes entre elles. Et bien loin que je disconvienne de ce que M. Arnauld dit contre cette pluralité d’un même individu, je m’en étais servi moi-même pour faire mieux entendre que la nature d’un individu doit être complète et déterminée7.

5Prenant le contre-pied de l’interprétation commune de la contingence – pour faire vite, renversant la thèse d’une liberté d’indifférence qui thématiserait cette précompréhension du contingent –, la compréhension leibnizienne de la contingence s’accomplit dans la comparaison de la multiplicité des mondes possibles entre eux. Cette multiplicité autorise la pensée de la possibilité, de monde à monde, mais jamais au sein d’un seul et même monde. Toutefois, cette contingence des mondes possibles ne nous étant accessible ni sous la forme de possibles contingents considérés séparément, ni sous celle de possibles contingents considérés comme coordonnés dans une infinité de mondes entiers possibles, le concept de meilleur des mondes possibles devient problématique. Leibniz a-t-il quelque légitimité à le constituer ? Sur fond de quel concept de contingence s’est-il élaboré ?

Vérités nécessaires et vérités contingentes : les difficultés d’une distinction

6Cette difficulté, Leibniz lui-même ne l’a pas méconnue, comme l’établit un passage à teneur biographique du De libertate, contingentia et serie causarum, providentia :

  • 8 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 330 = De libertate, contingentia (...)

Pour ma part, à l’époque où je considérais que rien ne se fait au hasard ou par accident, si ce n’est relativement à certaines substances particulières, que la fortune séparée du destin n’est qu’un nom vide de sens et que rien n’existe si ce n’est lorsque sont posés les réquisits singuliers (or il suit de ces réquisits, lorsqu’ils sont tous conjoints les uns aux autres, que la chose existe) ; j’étais peu éloigné de l’opinion de ceux qui jugent que tout est absolument nécessaire, qu’il suffit que la liberté soit préservée de la contrainte bien qu’elle demeure soumise à la nécessité, et qui ne distinguent pas le nécessaire de l’infaillible, c’est-à-dire du vrai lorsqu’il est connu avec certitude. Mais je fus tiré de ce précipice [præcipitio] par la considération de ceux des possibles qui ne sont pas, ne seront pas et n’ont pas été. Si en effet certains possibles n’existent jamais, alors les existences ne sont pas toujours nécessaires, sans quoi il serait impossible que d’autres existent à leur place et donc nulle existence ne serait jamais impossible. Pourtant on ne peut nier qu’un bon nombre de fables, comme celles qu’on appelle des romans, soient possibles, bien qu’elles ne trouvent aucun lieu dans la série de l’univers que Dieu a choisie8.

7Ce texte appelle les trois commentaires suivants :

  1. la difficulté de fonder le fait de la contingence est rencontrée par Leibniz à partir de la nécessité absolue. C’est par conséquent contre cette thèse que doit s’affirmer la contingence ;

  2. La façon dont s’atteste la contingence n’est pas l’expérience de la liberté d’indifférence ou du libre-arbitre – et pour cause puisque Leibniz se dit presque spinoziste – mais l’existence des personnages de roman ;

  3. L’argument semble conclusif, puisque le paragraphe qui suit immédiatement ce passage commence par sa conséquence qui est : « ayant donc reconnu la contingence des choses… ».

8Pourtant, il est manifeste, au vu de la correspondance antérieure avec Arnauld, que l’argument tiré des romans ne peut être conclusif. Un personnage de roman, parce qu’il est créé par l’imagination d’un homme, n’est pas un individu. Il est défini, aussi précise que puisse être la description du roman, comme un type, comme l’équivalent de « l’Adam vague », lequel ne suffit pas encore à définir ce que serait un certain Adam qui ne serait pas le nôtre, et qui serait un élément d’un monde possible. L’exemple des personnages de roman est sans conteste l’indication d’une précompréhension du contingent qui ne permet pas encore de déterminer la racine de la contingence des mondes possibles. Tout au plus constituent-ils le moyen le plus immédiat de se représenter un possible non existant. Ainsi – Leibniz y revient vingt-cinq ans plus tard – il suffit de considérer L’Astrée comme concevable, au titre de la caractérisation générale du possible comme non-contradictoire, pour en envisager la possibilité :

  • 9 Lettre à Bourguet de décembre 1714 in Leibniz – Gerhardt 1978, III, 573-574.

J’appelle possible tout ce qui est parfaitement concevable, et qui a par conséquent une essence, une idée, sans considérer si le reste des choses lui permet de devenir existant9.

9En revanche, cette possibilité de L’Astrée – au titre de sa non-contradiction – ne suffit pas encore pour décider de son appartenance à un monde possible ou au monde effectif :

  • 10 Lettre à Bourguet de décembre 1714 in Leibniz – Gerhardt 1978, III, 573-574.

Je n’accorde point que pour connaître si le roman de L’Astrée est possible, il faille connaître sa connexion avec le reste de l’Univers. Cela serait nécessaire pour savoir, s’il est compossible avec lui, et par conséquent si ce roman a été, ou est, ou sera dans quelque coin de l’univers. Car assurément sans cela, il n’y aura point de place pour lui. Et il est très vrai que ce qui n’est point et n’a point été et ne sera pas, n’est point possible, si possible est pris pour compossible, comme je viens de dire. […] Mais autre chose est si L’Astrée est possible absolument. Et je dis qu’oui, parce qu’elle n’implique aucune contradiction. Mais pour qu’elle existât effectivement, il faudrait que le reste de l’univers fût aussi tout autre qu’il n’est, et il est possible qu’il soit autrement10.

  • 11 Il n’entre pas dans les limites de cette étude de répondre à cette difficile question (...)

10Les concepts de possible (non-contradictoire) et de monde possible auquel celui-là appartient ne sont donc pas donnés conjointement. Qu’est-ce qui autorise Leibniz à constituer ce concept de monde possible, si celui du non-contradictoire n’y suffit pas, comme le montre le cas des romans11 ?

11Aussi, l’enquête ne saurait s’arrêter à ce point, ce qu’elle ne fait du reste pas, comme l’indique sans équivoque la suite du De libertate, contingentia et serie causarum, providentia :

  • 12 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 330-331 = De libertate, conting (...)

Ayant reconnu la contingence des choses, je me demandais aussi ce que pourrait être une notion claire de la vérité, car j’espérais – non sans raison – pouvoir tirer de cet argument quelque éclaircissement qui me permît de distinguer les vérités nécessaires des vérités contingentes. Or je m’aperçus que les propositions vraies affirmatives, universelles ou singulières, nécessaires ou contingentes, ont toutes ceci en commun que leur prédicat est dans leur sujet, c’est-à-dire que la notion du prédicat est enveloppée dans celle du sujet sous un certain rapport ; et qu’en cela consiste le principe d’infaillibilité, quel que soit le genre de la vérité, chez Celui qui connaît a priori. Mais cette découverte sembla augmenter la difficulté. Si, en effet, la notion du prédicat était dans celle du sujet pour un temps donné, comment sans contradiction et impossibilité, le prédicat pouvait-il maintenant être absent du sujet sans que la notion de celui-ci n’en souffre12 ?

12La détermination de la contingence est donc résolue par le biais de la théorie générale de la vérité comme inhérence des prédicats dans le sujet. Mais paradoxalement, cette solution est dite immédiatement poser autant de problèmes qu’elle n’en résout. Ce caractère problématique est souligné avec encore plus de force par Leibniz dans un autre texte :

  • 13 Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 341 = Leibniz – (...)

J’estime avoir […] débrouillé une énigme qui me laissa moi-même dans l’embarras, car je ne comprenais pas comment un prédicat pouvait être compris dans le sujet, sans que la proposition devînt pour autant nécessaire13.

13La solution à la difficulté posée par la racine de la contingence a eu pour effet paradoxal de plonger Leibniz dans l’embarras puisque, loin de rendre compte de la possibilité du contingent, elle semblait au premier abord le confondre avec le nécessaire. Cette abolition apparente de la différence entre les vérités contingentes et les nécessaires était la difficulté à laquelle s’était déjà heurté le § 13 du Discours de métaphysique :

  • 14 Discours de métaphysique, § 13, Leibniz – Gerhardt 1978, IV, 436-437 = Leibniz – Le R (...)

Nous avons dit que la notion d’une substance individuelle enferme une fois pour toutes tout ce qui lui peut jamais arriver, et qu’en considérant cette notion on y peut voir tout ce qui se pourra véritablement énoncer d’elle, comme nous pouvons voir dans la nature du cercle toutes les propriétés qu’on en veut déduire. Mais il semble que par là la différence des vérités contingentes et nécessaires sera détruite […] et qu’une fatalité absolue régnera sur toutes nos actions aussi bien que sur tout le reste des événements du monde14.

  • 15 Voir par exemple Causa Dei, § 17, Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 441.

14La définition de la vérité par l’inhérence des prédicats (et donc la doctrine de la notion complète) apparaît par conséquent comme une solution paradoxale à la question de la racine de la contingence. Elle décrit non pas une manière logicienne de poser le problème de la contingence, comme s’il y en avait d’autres envisageables, mais vraisemblablement la seule façon de le faire parce qu’elle est le seul champ de conception des mondes possibles, selon une distribution qui se conservera jusqu’à la fin entre possibles nécessaires – déterminés par le principe de contradiction – et les possibles contingents – déterminés par le principe de raison suffisante15. La suffisance de la notion complète a pour conséquence de permettre d’accéder à une détermination métaphysique du possible parce qu’elle est le seul moyen de le penser. Et pourtant, cette façon de résoudre la question du contingent et donc du possible est, au dire de Leibniz lui-même, lourde de difficultés puisque, loin de permettre l’élucidation immédiate du contingent, elle commence, au titre de l’inhérence des prédicats et de la suffisance de la notion complète, par rendre tous les prédicats nécessaires. Ces difficultés exigent que nous revenions sur la solution dont Leibniz nous dit dans le De libertate, contingentia et serie causarum, providentia qu’elle a été source d’embarras, afin de mesurer ce qu’elle engage.

La solution d’un embarras

15La solution de la distinction entre les vérités nécessaires et les contingentes s’appuie sur une comparaison tirée des nombres incommensurables et des propriétés géométriques de l’infini. Le Specimen inventorum en donne une formulation particulièrement nette :

  • 16 Échantillon de découvertes sur les sciences admirables de la nature prise en général (...)

Il y a une différence essentielle entre les vérités nécessaires ou éternelles, et celles de fait ou contingentes, et elles différent entre elles à peu près comme des nombres rationnels des nombres sourds. Car les vérités nécessaires peuvent se résoudre en identiques, comme les quantités commensurables à une commune mesure, mais dans les contingentes, comme dans les nombres sourds, la résolution va à l’infini et n’a jamais de terme ; c’est pourquoi la certitude et la raison parfaite des vérités contingentes sont connues de Dieu seul, qui embrasse l’infini d’un seul coup d’œil [infinitum uno intuitu complectitur]. La connaissance de ce secret vient lever la difficulté de la nécessité absolue de toutes choses16.

16Ce texte admet un double niveau de commentaire :

171) il rend raison de la distinction entre vérités nécessaires et contingentes. Les vérités nécessaires sont, par la méthode de résolution, réductibles à l’identique. Elles sont à ce titre démontrables, conformément à ce qu’il convient d’entendre par démonstration :

  • 17 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 332 = De libertate, contingenti (...)

Démontrer consiste seulement, en résolvant les termes de la proposition en substituant la définition ou une partie de la définition au défini, à faire apparaître une certaine équation, c’est-à-dire une coïncidence du prédicat avec le sujet dans une proposition réciproque, ou tout du moins dans les autres cas une inclusion, de sorte que ce qui était caché dans la proposition et contenu dans une certaine puissance soit rendu évident et exprès par la démonstration17.

18En revanche, la résolution des vérités contingentes n’a pas de terme, ce qui implique qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une démonstration, y compris pour Dieu :

  • 18 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 332-333 = De libertate, conting (...)

Dans le cas des vérités contingentes au contraire, bien que le prédicat soit dans le sujet, il ne peut cependant jamais être démontré à partir de lui et on ne parviendra jamais à ramener la proposition à une équation, c’est-à-dire à une identité : sa résolution, au contraire, se prolonge à l’infini. Dieu seul voit, non pas, bien entendu, la fin de la résolution, qui n’existe pas, mais tout au moins la liaison des termes, c’est-à-dire l’enveloppement du prédicat dans le sujet, car il voit quant à lui tout ce qui est dans la série18.

Et Leibniz continue :

  • 19 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 332-333 = De libertate, conting (...)

Les vérités contingentes, c’est-à-dire infinies, sont l’objet de la science de Dieu, par lequel elles sont connues, non certes par démonstration (ce qui serait contradictoire) mais par une vision infaillible19.

19Cette distinction entre vérités nécessaires et contingentes prend par conséquent la forme d’une différence entre une démonstration et une résolution qui ne saurait être achevée. La démonstration s’entend exclusivement des vérités nécessaires et procède par une résolution analytique qui s’achève en droit, au terme d’une substitution récurrente, sur de l’identique. En revanche,

  • 20 Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 340 (...)

dans une vérité contingente, bien que le prédicat soit véritablement dans le sujet, on ne parvient jamais à la démonstration, c’est-à-dire à l’identité [numquam pervenitur ad demonstrationem seu identitatem], quand bien même la résolution des deux termes serait indéfiniment poursuivie20.

  • 21 Leibniz, Origine des vérités contingentes… in Leibniz – Rauzy 1998, 337 (...)

20Aussi, précise le texte sur l’Origine des vérités contingentes…, « qu’il y ait démonstration des vérités contingentes est impossible »21, ce qu’il faut entendre pour Dieu même.

  • 22 Leibniz, Origine des vérités contingentes… in Leibniz – Rauzy 1998, 337 (...)

212) C’est pourquoi, continue l’Origine des vérités contingentes…, « la racine de la contingence est l’infini dans la suite des raisons »22. C’est en effet l’infinité de la suite des raisons qui, interdisant en droit la résolution de certaines vérités en des vérités identiques, en manifeste la contingence. La résolution à l’identique des vérités contingentes les rendrait nécessaires, soumises qu’elles seraient au seul principe de contradiction. Car la raison ultime de la série ainsi rendue étant au fond identique à elle-même, ne pourrait être autre qu’elle-même, sauf à contredire la série : elle serait donc nécessaire. La pièce à laquelle les éditeurs ont donné le nom de De contingentia résume l’ensemble de l’argumentation : alors que

  • 23 Leibniz, Sur la contingence, in Leibniz – Rauzy 1998, 326-327 = Leibniz – Grua 1998, (...)

les vérités nécessaires dépendent du principe de contradiction […] les vérités contingentes ne peuvent être ramenées au principe de contradiction ; autrement tout serait nécessaire et il n’y aurait pas d’autres possibles que ceux qui parviennent à l’existence en acte. […] Dans les [vérités] contingentes le progrès de l’analyse va à l’infini, de raison en raison, de sorte que l’on n’obtient jamais de démonstration achevée ; la raison de la vérité subsiste toutefois toujours, bien qu’elle soit parfaitement comprise de Dieu seul, qui seul pénètre la série infinie d’une seule percée de l’esprit. […] Ainsi dans les propositions contingentes il y a connexion des termes ou des vérités, bien qu’on ne puisse jamais la réduire au principe de contradiction ou de nécessité par l’analyse des identiques23.

  • 24 Sur la contingence, in Leibniz – Rauzy 1998, 326 = Leibniz – Grua 1998, I, 303 = De c (...)

22D’où que Leibniz puisse avancer : « en cela est mis au jour le mystérieux critère de la distinction des vérités nécessaires et des vérités contingentes »24. C’est ainsi qu’est levée la difficulté de la nécessité absolue de toutes choses, dont on se souvient qu’elle constituait l’embarras soulevé par la thèse leibnizienne de l’inhérence du prédicat.

  • 25 Leibniz, Lettre à Pélisson du 27 juillet 1692, Leibniz – Akademie-Ausgabe, I/8, 158 : (...)

23La question devient dès lors : comment expliquer que l’adoption de la thèse de l’inhérence de tous les prédicats dans le sujet ait d’abord été source d’embarras – très exactement, pourquoi conduit-elle d’abord la raison à poser la nécessité de toutes choses – alors qu’elle est ensuite appelée à lever cette même difficulté ? Comment comprendre que la thèse de l’inhérence du prédicat n’ait pas d’abord été correctement comprise par Leibniz, au point de lui avoir paru entraîner un nécessitarisme absolu ? Au nom de quel impératif a-t-elle trouvé ensuite sa juste interprétation ? Faut-il par conséquent que « le mystérieux critère de la distinction des vérités nécessaires et des vérités contingentes » fût apparu mystérieux à son propre inventeur pour que les textes qui l’envisagent s’y réfèrent toujours comme à une solution soulevant des difficultés « longtemps »25 inextricables ? La réponse à ces questions devient évidente : si la différence entre les deux types de vérités tient à ce qu’il est en soi impossible de résoudre les contingentes à l’identique – ce qui signifie que cette impossibilité, s’entendant dans le concept, s’applique à Dieu même –, cela implique que l’impossibilité de cette résolution n’a pas été immédiatement vue par Leibniz. Peut-on fonder cette interprétation ?

La portée d’une distinction

24La teneur des textes suivants nous paraît le permettre :

  • 26 Couturat 1995. Couturat nomme ce texte Primae veritates (repris dans Leibniz – Coutur (...)
  • 27 On sait que la possibilité en droit de résoudre à l’identique toute vérité – les cont (...)

251) Il convient de commencer – en tout bien tout honneur – par la pièce que L. Couturat édita et privilégia dans son célèbre article de 190226, à propos de laquelle nos commentaires pourront se permettre d’être assez brefs. L’analycité de toutes les vérités27 y est entendue comme la possibilité de résoudre en droit à l’identique toute vérité, aussi bien les nécessaires que les contingentes. Cette thèse est énoncée en des termes qui, identifiant la preuve a priori et la démonstration a priori, avancent de manière incontestable la possibilité d’une démonstration de toute vérité.

  • 28 Leibniz, Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 459-460 (...)

Toutes les autres vérités [que les identiques] se réduisent aux premières [sc. aux identiques] au moyen des définitions, c’est-à-dire par la résolution des notions, en quoi consiste la preuve a priori indépendante de l’expérience […] Le prédicat ou le conséquent est donc toujours dans le sujet ou dans l’antécédent, et c’est en cela que consiste universellement la nature de la vérité […]. Dans les identiques cette connexion et compréhension du prédicat dans le sujet est expresse, tandis que dans toutes les autres vérités elle est implicite et doit être montrée par l’analyse des notions, en quoi réside la démonstration a priori. Or cela est vrai en toute vérité affirmative, universelle ou singulière, nécessaire ou contingente, et dans une dénomination tant intrinsèque qu’extrinsèque. Ici gît aussi l’admirable secret où est contenue la nature de la contingence, c’est-à-dire le critère essentiel de la distinction entre les vérités nécessaires et les vérités contingentes […]. [D’où la première conséquence qui en résulte] : rien n’est sans raison, c’est-à-dire il n’y a pas d’effet sans cause. Sans cela il y aurait une vérité qui ne pourrait être prouvée a priori ou qui ne se résoudrait pas en identiques, ce qui va contre la nature de la vérité qui est toujours ou expressément ou implicitement identique28.

  • 29 Si notre interprétation est exacte, le texte des Principes logico-métaphysiques est au plus (...)

26Si toute vérité est expressément ou implicitement identique, en sorte que toute preuve a priori soit une démonstration, il s’ensuit que les vérités contingentes sont en droit démontrables, au même titre que les nécessaires, c’est-à-dire qu’il n’est pas en soi contradictoire de concevoir une démonstration infinie des contingentes, quand bien même cette démonstration ne serait pas au pouvoir d’un esprit fini. Or on sait que l’idée d’une démonstration infinie, c’est-à-dire d’une résolution à l’infini qu’un esprit infini pourrait accomplir, deviendra contradictoire à partir du Specimen inventorum de admirandis naturae generalis arcani29, livrant enfin la véritable racine de la contingence : il reste encore à Leibniz à réaliser que si toute vérité admet une preuve a priori, celle-ci n’est pas une démonstration dans le cas des contingentes car une résolution infinie ne saurait être une démonstration. En attendant, les vérités contingentes restent soumises au principe de contradiction puisqu’elles peuvent se résoudre en identiques ; elles deviennent par là même nécessaires, conformément à l’enseignement postérieur du De contingentia. « Le critère essentiel de la distinction entre les vérités nécessaires et les vérités contingentes » n’a pas encore livré son secret, mystérieux dans son énoncé, incompris dans ses conséquences et dans ce qu’il engage. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner qu’il ait commencé par plonger Leibniz dans l’embarras.

272) La pièce à laquelle les éditeurs de l’Akademie ont donné le nom de De principis praecipue contradictionis et rationis sufficienti répète cette leçon.

  • 30 Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 300-301 = Sur les critères pour distinguer le vrai du f (...)

De même que les identiques sont les premières de toutes les propositions, qu’elles ne sont susceptibles d’aucune preuve et sont donc vraies par soi, car on ne peut rien trouver qui relie quelque chose à soi-même comme un moyen terme, de même sont vraies par conséquent les propositions virtuellement identiques, à savoir celles qui sont ramenées à des identiques formelles ou expresses par l’analyse des termes (si l’on substitue au terme une notion équivalente ou incluse). Il est aussi manifeste que toutes les propositions nécessaires, c’est-à-dire les vérités éternelles, sont virtuellement identiques dans la mesure où elles peuvent être démontrées à partir des seules idées ou définitions (par la résolution des termes) […]. D’une manière générale, toute proposition vraie (qui n’est pas identique ou vraie par soi) peut être prouvée a priori au moyen des axiomes, c’est-à-dire des propositions vraies par soi, et au moyen des définitions, c’est-à-dire des idées. […]. Et ceci a lieu selon une nécessité absolue dans le cas des propositions dont la vérité est éternelle, ou dans le cas des contingentes, selon une certitude qui dépend du décret supposé d’une substance libre, décret qui n’est jamais absolument arbitraire et dépourvu de fondement, mais dont la raison (qui est certes inclinante et non nécessitante) peut toujours être rendue et pourrait être déduite de l’analyse des notions (si celle-ci était toujours au pouvoir de l’homme) ; et cette raison n’échappe pas à une substance omnisciente qui voit tout a priori à partir de ses propres idées et de ses propres décrets. Il est donc établi que toutes les vérités, y compris les contingentes admettent une preuve a priori, c’est-à-dire une raison pour laquelle elles sont plutôt que l’inverse30.

  • 31 C’est pourquoi, lorsque le tout début du texte avance « qu’on ne peut aller à l’infin (...)
  • 32 Il est incontestable que cette pièce, comme du reste la précédente (voir Principes (...)

28Là encore la démonstration, comme analyse des notions ou résolution des termes à l’identique, donne son sens à la preuve a priori dont toute vérité est susceptible. C’est pourquoi cette démonstration n’est pas dite contradictoire ou impossible dans le cas des contingentes, mais Leibniz affirme qu’elle passe le pouvoir de l’esprit humain31. Ce faisant le texte laisse ouverte la possibilité que cette démonstration puisse être au pouvoir d’un esprit infini32. Faut-il s’étonner si le raisonnement qui prolonge le passage que nous venons de commenter fournit un exemple particulièrement net de l’embarras dans lequel Leibniz nous dit que la thèse de l’inhérence des prédicats dans le sujet avait commencé de le plonger ? Après avoir avancé que toutes les vérités sont susceptibles d’une preuve a priori, il continue en effet :

  • 33 Leibniz, Sur les critères pour distinguer le vrai du faux in Leibniz – Rauzy 1998, 45 (...)

C’est ce qu’on exprime habituellement lorsqu’on dit que rien n’a lieu sans cause, c’est-à-dire que rien n’est sans raison. Pourtant, quelque forte que soit cette raison […], elle ne place pas de nécessité dans la chose et n’abolit pas la contingence, même si elle procure une certitude dans la prévision, parce que [quia] le contraire n’en reste pas moins possible par soi et n’implique aucune contradiction33.

Notons que ce passage qui paraît explicatif, ne l’est pas encore puisque le « quia » n’introduit qu’un semblant d’explication, se contentant en réalité d’expliciter la définition de la contingence : que le principe de raison n’introduise pas de nécessité dans la chose signifie bien que le contraire de sa propriété reste possible et n’implique aucune contradiction. Alors, pourquoi le principe de raison n’introduit-il aucune nécessité dans la chose ? Réponse :

  • 34 Leibniz, Sur les critères pour distinguer le vrai du faux in Leibniz – Rauzy 1998, 45 (...)

autrement ce que nous supposons être contingent serait plutôt nécessaire, et d’une vérité éternelle [alioqui quod contingens esse supposuimus, necessarium potius seu aeternae veritatis foret]34.

  • 35 Leibniz, Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 460 =  (...)

29La circularité de l’argument est patente qui ne fait qu’affirmer que ce qu’on a supposé contingent est contingent… sinon il serait nécessaire ! Leibniz peine de fait à établir la conclusion qu’il voudrait établir, à savoir qu’est « levée la difficulté portant sur la nécessité fatale des événements, même libres »35. Et de fait, nous avons vu que ces conclusions ne sauraient la lever.

30Il suffit pour s’en assurer à nouveau d’en confronter les termes avec ceux de la pièce, si catégorique et assurée dans ses affirmations, que les éditeurs ont nommée De arte characteristica ad perficiendas scientias ratione nitentes :

  • 36 Leibniz, Sur la caractéristique et la science in Leibniz – Rauzy 1998, 161-162 (...)

C’est vraiment le même critère qui sépare les vérités nécessaires des contingentes et les nombres commensurables des incommensurables, car comme on peut, dans le cas des nombres commensurables, mener la résolution jusqu’à une commune mesure, de même, pour les vérités nécessaires, on peut avoir une démonstration, c’est-à-dire une résolution à des vérités identiques. En revanche, de même que dans le cas des proportions irrationnelles, le procédé de résolution va à l’infini, et on accède certes en tout état de cause à une commune mesure, mais on obtient aussi une série dépourvue de terme, de même un processus tout à fait identique fait que les vérités contingentes réclament également une analyse infinie que Dieu seul peut parcourir [quam solus Deus transire potest]. Lui seul peut donc en prendre connaissance a priori et avec certitude. De fait, même si l’on pouvait toujours rendre raison de l’état postérieur par l’état antérieur, de ce dernier on peut cependant aussi bien encore rendre raison, et l’on ne parvient dès lors jamais à une ultime raison à l’intérieur de la série. Mais la raison a sa place même dans le progrès à l’infini, à savoir que, d’une façon qui lui est propre, il pourrait être compris en dehors de la série, dès le commencement, en Dieu, auteur des choses dont dépendent les états antérieurs aussi bien que les états postérieurs, plus même qu’ils ne dépendent les uns des autres. Donc une vérité qui ne se prête pas à l’analyse et qu’on ne peut démontrer à partir de ses raisons propres, mais qui ne tire sa raison ultime et sa certitude que du seul esprit divin, une telle vérité, quelle qu’elle soit, n’est pas nécessaire […]. Voilà quelle est la racine de la contingence que nul à ma connaissance n’a encore expliquée36.

  • 37 Voir sur ce point De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI (...)
  • 38 Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 342 (...)
  • 39 Origine des vérités contingentes… in Leibniz – Rauzy 1998, 338 = Leibniz – Grua 1998, (...)

31L’impossibilité de l’analyse et de la démonstration des vérités contingentes est à présent leur marque distinctive. Et si Dieu seul peut parcourir cette analyse infinie pour en prendre connaissance, ce n’est pas qu’il en accomplisse la résolution à l’infini, analyse qui est en soi impossible puisqu’elle n’a pas de terme ultime. Son mode de connaissance de la série consiste à la connaître dès le commencement, c’est-à-dire du « dehors [extra seriem] ». Quoique ce mode de connaissance nous demeure obscur, nous le comprenons toutefois négativement, précisément comme le fait que Dieu ne parcourt pas la série de l’intérieur, en résolvant ses termes, c’est-à-dire en démontrant ces vérités37. S’il y a bien encore une connaissance a priori des contingentes toujours réservée à Dieu seul, cette connaissance n’est plus susceptible d’une « démonstration ou d’une résolution terminable [resolutionem terminabilem] qui ferait apparaître leur vérité »38. Et si « toute vérité qui n’est pas identique admet une preuve »39, cette preuve est irréductible dans le cas des contingentes à une démonstration : preuve a priori et démonstration ne se confondent plus.

323) Comme les Principia logico-metaphysica et le De principis praecipue contradictionis et rationis sufficienti, le § 13 du Discours de métaphysique expose la thèse d’une démonstrabilité des vérités contingentes :

  • 40 Discours de métaphysique, § 13, Leibniz – Gerhardt 1978, 437-438 = Leibniz – Le Roy 1 (...)

Je dis que ce qui arrive conformément à ces avances [c’est-à-dire, aux contingentes] est assuré, mais qu’il n’est pas nécessaire, et si quelqu’un faisait le contraire, il ne ferait rien d’impossible en soi-même, quoiqu’il soit impossible (ex hypothesi) que cela arrive. Car si quelque homme était capable d’achever toute la démonstration en vertu de laquelle il prouverait cette connexion du sujet qui est César et du prédicat qui est son entreprise heureuse ; il ferait voir en effet, avec la dictature future de César a son fondement dans sa notion ou nature qu’on y voit une raison pourquoi il a plutôt résolu de passer le Rubicon que de s’y arrêter, et pourquoi il a plutôt gagné que perdu la journée de Pharsale : et qu’il était raisonnable et par conséquent assuré que cela arrivât, mais non pas qu’il est nécessaire en soi-même, ni que le contraire implique contradiction. À peu près comme il est raisonnable et assuré que Dieu fera toujours le meilleur, quoique ce qui est moins parfait n’implique point. Car on trouverait que cette démonstration de ce prédicat de César n’est pas aussi absolue que celles des nombres ou de la géométrie, mais qu’elle suppose la suite des choses que Dieu a choisie librement, et qui est fondée sur le premier décret libre de Dieu, qui porte de faire toujours ce qui est le plus parfait40.

33Notons bien que ce passage, envisageant que quelque homme fût capable d’achever la démonstration d’une vérité contingente, en interdit implicitement la capacité à l’homme seul du fait de la finitude de ses facultés. La portée de l’exemple suppose inversement la possibilité de l’achèvement de la série qui, s’il était accessible à l’homme, attesterait sa contingence. La limitation apportée par l’exemple ne porte donc pas sur le concept même d’une démonstration à l’infini d’une vérité contingente, laquelle est au contraire présupposée pour en dénier la capacité à la connaissance humaine afin que l’exemple élaboré par Leibniz joue sa fonction. En revanche, après les affirmations dont nous avons trouvé les premiers énoncés en 1688, la possibilité même d’envisager l’achèvement de la démonstration d’une série contingente ne pourrait plus être énoncée, même l’espace d’une hypothèse attribuée à l’homme, puisqu’elle est explicitement contradictoire dans son concept. Dans ce cas de figure, l’exemple ne saurait pas même être formulé puisqu’il ne donnerait rien à comprendre. L’exemple ne pourra donc plus être ni conçu, ni énoncé. Et de fait, cette possibilité disparaît des textes postérieurs à 1688 que nous avons cités plus haut.

34En revanche, le § 13 du Discours de métaphysique envisage explicitement la démonstration de l’inhérence d’un prédicat contingent dans son sujet, c’est-à-dire, conformément à une définition de la démonstration qui ne variera jamais, sa résolution à l’identique. Lorsqu’il avance que la démonstration n’est pas dans ce cas « aussi absolue que celles des nombres ou de la géométrie », la fin du paragraphe clarifie le sens de cette restriction qui ne porte pas sur le fait de la démonstration, mais sur la nature du principe qui opère en elle :

  • 41 Ibid., 438-439 = Leibniz – Le Roy 1984, 49 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, (...)

Toutes les propositions contingentes ont des raisons pour être plutôt ainsi qu’autrement, ou bien (ce qui est la même chose) elles ont des preuves a priori de leur vérité qui les rendent certaines, et qui montrent que la connexion du sujet et du prédicat de ces propositions a son fondement dans la nature de l’un et de l’autre ; mais qu’elles n’ont pas des démonstrations de nécessité, puisque ces raisons ne sont fondées que sur le principe de la contingence ou de l’existence des choses, c’est-à-dire sur ce qui est ou qui paraît le meilleur parmi plusieurs choses également possibles, au lieu que les vérités nécessaires sont fondées sur le principe de contradiction et sur la possibilité ou impossibilité des essences mêmes, sans avoir égard en cela à la volonté libre de Dieu ou des créatures41.

35Dans la démonstration de nécessité n’opère que le seul principe de contradiction, sans égard en cela à la volonté libre de Dieu puisqu’il n’y va que de la seule possibilité du concept ; en revanche, outre le principe de contradiction, la démonstration dont est susceptible la vérité contingente – et que l’on voudrait appeler démonstration ex hypothesi –

  • 42 Ibid., 438 = Leibniz – Le Roy 1984, 48-49 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1548, (...)

suppose la suite des choses que Dieu a choisie librement, et qui est fondée sur le premier décret libre de Dieu, qui porte de faire toujours ce qui est le plus parfait, et sur le décret que Dieu a fait (en suite du premier) à l’égard de la nature humaine, qui est que l’homme fera toujours (quoique librement) ce qui paraîtra le meilleur. Or toute vérité qui est fondée sur ces sortes de décrets est contingente, quoiqu’elle soit certaine ; car ces décrets ne changent point la possibilité des choses, et comme j’ai déjà dit, quoique Dieu choisisse toujours le meilleur assurément, cela n’empêche pas que ce qui est moins parfait ne soit et demeure possible en lui-même, bien qu’il n’arrivera point, car ce n’est pas son impossibilité, mais son imperfection, qui le fait rejeter. Or rien n’est nécessaire dont l’opposé est possible42.

36N’est-ce pas du reste pourquoi Leibniz semble prêter la possibilité de cette démonstration à Dieu même, lorsqu’il avance dans sa correspondance avec Arnauld qu’on

  • 43 Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que (...)

n’a qu’à prendre ensemble tous les prédicats primitifs pour former la notion complète d’Adam suffisante à en déduire tout ce qui lui doit jamais arriver autant qu’il faut pour en pouvoir rendre raison. Il est manifeste que Dieu peut inventer et même conçoit effectivement une telle notion suffisante43.

37Sans doute cette déduction, ou encore cette conception, ne s’accomplit-elle pas dans le temps. Mais cette déduction qu’il faut concevoir comme infinie est bien accomplie par Dieu pour former cette notion complète. Qu’est-elle d’autre si ce n’est la resolutio tota simul dont parlent, nous allons le voir pour finir, les Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum ?

  • 44 Manifestement, G. Grua identifiait la remarque ajoutée par Leibniz en tête de son man (...)

384) Ce dernier texte, rédigé juste après le Discours de métaphysique, présente une position ambiguë parce que double : il soutient encore la démonstrabilité des vérités contingentes, mais semble en même temps nous faire assister au moment où Leibniz parvient à formuler les difficultés que comporte sa thèse44. Concernant le premier point, le § 74 donne une preuve de continuité incontestable avec les textes que nous venons de commenter.

  • 45 Leibniz, Recherches générales, § 74, in Leibniz – Rauzy 1998, 248-249 = Leibniz – Cou (...)

Toutes les propositions existentielles sont certes vraies, mais elles ne sont pas nécessaires, car elles ne peuvent être démontrées qu’au moyen d’une infinité de propositions, c’est-à-dire par une résolution poursuivie à l’infini, autrement dit à partir du concept complet de l’individu qui enveloppe une infinité d’existences. […] Si je dis de manière infinie, abstraction faite de la référence au temps, Pierre renie, alors pour que cela soit vrai […] il faut au moins que la démonstration procède de la notion de Pierre45.

39En même temps que l’on retrouve les thèses déjà énoncées, commence pourtant de poindre l’indication d’une difficulté. Le passage précédent continue en effet :

  • 46 Ibid., 248-251 = Leibniz – Couturat 1988, 376-377 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, (...)

Mais la notion de Pierre est complète et donc enveloppe une infinité ; c’est pourquoi on ne parviendra jamais à une démonstration achevée [ad perfectam demonstrationem], mais on s’en approchera toujours de plus en plus, de telle sorte que la différence soit plus petite que toute différence46.

  • 47 La fin du § 130 distingue cette fois-ci entre la démonstration ou résolution achevée (...)

40Que peut désigner une démonstration inachevée si ce qui caractérise une démonstration stricto sensu est d’être en droit une résolution à l’identique ? On reconnaît sous l’indication implicite d’une démonstration inachevée ce que les textes postérieurs nommeront, à propos des vérités contingentes, résolution à l’infini comme preuve a priori. Mais précisément parce que cette distinction n’est pas encore clairement conçue, la difficulté qu’elle cache s’énonce dans les termes mêmes de la thèse qu’elle va finir par combattre : toute preuve ne pouvant être qu’une démonstration, c’est-à-dire une résolution à l’identique, la difficulté qui sous-tend la possibilité d’une résolution à l’infini se conçoit comme ce qui devrait être un oxymore, une démonstration inachevée47.

41La même ambiguïté se retrouve dans la suite des Recherches générales. Ainsi, après que le § 130 bis a rappelé qu’est « vrai ce qui peut être prouvé, c’est-à-dire ce dont on peut rendre raison par résolution », le § 131 précise, concernant la science divine :

  • 48 Leibniz, Recherches générales, § 131, Leibniz – Rauzy 1998, 276-277 = Leibniz – Coutu (...)

En Dieu n’est requise que la résolution des concepts qui lui sont propres et elle a lieu en lui tout entière conjointement [tota fit simul apud ipsum]. Par suite, Dieu connaît également les vérités des contingents dont la démonstration achevée dépasse tout intellect fini [quarum perfecta demonstratio omnem finitum intellectum transcendit]48.

42Peut-on affirmer plus nettement que la démonstration, c’est-à-dire la résolution à l’identique des contingents est non seulement possible, mais qu’elle est effectivement accomplie par Dieu au moyen d’une resolutio tota simul qui est son mode propre de connaissance des contingents ? Et pourtant, sans doute pressé par la difficulté, le § 134 ne peut manquer d’avancer :

  • 49 Ibid., § 134 in Leibniz – Rauzy 1998, 277 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz –  (...)

Une proposition vraie contingente ne peut être réduite aux identiques mais on la prouve néanmoins en montrant que, si la résolution est poursuivie de plus en plus, elle s’approche perpétuellement des identiques et n’y parvient pourtant jamais tout à fait. Il revient donc à Dieu seul, dont l’esprit embrasse tout l’infini, de posséder une certitude au sujet de toutes les vérités contingentes49.

43On mesure aisément l’équivoque de ce passage : car au moment où l’impossibilité de la résolution à l’identique des contingentes est envisagée dans les termes qui seront ceux des textes de 1688, elle est rabattue sur les seules limites de l’entendement fini, si du moins on rapporte la modalité selon laquelle Dieu connaît les contingentes à sa description du § 131. Aussi, lorsque le § 135 rappelle qu’il y a

  • 50 Ibid., Leibniz – Rauzy 1998, 276-277 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz –Akadem (...)

la même différence entre les vérités nécessaires et les vérités contingentes qu’entre des lignes qui se coupent et des asymptotes ou entre des nombres commensurables et des nombres incommensurables50,

c’est pour faire place, au § 136, à l’énoncé explicite d’une difficulté :

  • 51 Ibid., Leibniz – Rauzy 1998, 278-279 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz –Akadem (...)

On rencontre pourtant ici une difficulté. Nous pouvons démontrer qu’une ligne, à savoir qu’une asymptote, se rapproche sans cesse d’une autre et que deux quantités sont égales entre elles, en montrant, même dans le cas des asymptotes, ce qui se produit quand le développement est poursuivi aussi longtemps qu’on voudra51.

  • 52 Ibid., § 136, in Leibniz – Rauzy 1998, 278-279 = Leibniz – Couturat 1988, 388 (...)

44Mais quelle est donc la nature de cette difficulté ? « Donc les hommes auront également accès à la certitude à propos des vérités contingentes ». L’extraordinaire de l’énoncé ne doit pas être atténué : l’analogie avec les propriétés de l’infini qui permet de concevoir la différence entre les vérités contingentes et nécessaires est aussi celle qui fait obstacle à la compréhension de cette différence, puisque de la même façon que l’homme peut calculer l’infini, il devrait de ce fait être omniscient. « Il faut répondre qu’il existe en effet une similitude mais non une concordance entière »52. La difficulté est en effet de mesurer ce que l’analogie des nombres incommensurables permet effectivement de concevoir.

45En réalité, l’ambiguïté pointait dès le développement linéaire de l’argumentation des §§ 61 et suivants des Recherches générales :

  • 53 Ibid., § 61, in Leibniz – Rauzy 1998, 236-241 = Leibniz – Couturat 1988, 372-373 (...)

Est contingent et vrai ce dont la résolution exige d’être continuée à l’infini. […] Toute résolution, qu’il s’agisse des complexes ou des incomplexes, s’achève avec les axiomes, les termes conçus par soi et les données de l’expérience. Mais elle consiste dans tous les cas à substituer à tout terme une valeur53.

46D’où le § 62 :

  • 54 Ibid., § 62, in Leibniz – Rauzy 1998, 240-241 = Leibniz – Couturat 1988, 373 (...)

Toute proposition vraie peut être prouvée [c’est-à-dire, peut faire l’objet d’une résolution]. Or puisque les données de l’expérience sont aussi des propositions vraies, et s’il n’existe aucune autre manière de prouver que celle que nous venons de décrire, il suit que les données de l’expérience peuvent aussi être résolues en axiomes, en termes conçus par soi et en données de l’expérience. Mais il ne peut y avoir de premières données de l’expérience, à moins qu’elles soient conçues par soi, c’est-à-dire qu’elles soient des axiomes54.

47D’où la question qui ouvre le § 63 :

  • 55 Ibid., § 63, in Leibniz – Rauzy 1998, 240-241 = Leibniz – Couturat 1988, 373 (...)

On peut se demander si les données de l’expérience peuvent être résolues à l’infini en d’autres données de l’expérience et […] s’il est possible que la nature de certaines preuves nous fasse découvrir que la preuve de la proposition présuppose toujours la preuve d’une autre proposition qui n’est ni un axiome ni une définition, de sorte qu’elle exige à son tour une preuve. S’il en est ainsi, il est nécessaire que certains termes incomplexes puissent être résolus toujours plus avant et qu’on ne parvienne donc jamais à des termes conçus par soi. Dans le cas contraire, une fois la résolution achevée, il apparaît si la coïncidence virtuelle est devenue formelle, c’est-à-dire expresse, autrement dit si l’on est parvenu à une proposition identique55.

48Parvenu à la position qu’entraîne cette alternative, le § 64 répète ce qui apparaît désormais comme une difficulté enfin découverte :

  • 56 Ibid., § 64, in Leibniz – Rauzy 1998, 242-243 = Leibniz – Couturat 1988, 373 (...)

On peut donc se demander s’il est possible que la résolution des termes incomplexes puisse parfois être poursuivie, de sorte qu’on ne puisse jamais parvenir à des termes conçus par soi. […] Alors aucune proposition ne pourrait être parfaitement démontrée par la raison56.

49D’où, immédiatement, la tentative du § 65 :

  • 57 Ibid., § 65, in Leibniz – Rauzy 1998, 242-243 = Leibniz – Couturat 1988, 373-374 (...)

Si nous disons qu’il est possible de poursuivre la résolution à l’infini, on peut toutefois être attentif à son développement et rechercher s’il peut être ramené à quelque règle ; dès lors, on disposera d’une telle règle de développement, même dans la preuve des termes complexes qui sont composés de termes incomplexes qu’on peut résoudre à l’infini57.

  • 58 Voir par exemple le § 74. De la même façon, les §§135-136 construisent l’analogie ave (...)
  • 59 Contra Duchesneau 1993, 137.

50On voit que le modèle du calcul sur l’infini fut d’emblée requis pour tenter de résoudre les difficultés soulevées par la question de la possibilité de la démonstration des vérités contingentes58. Nous savons cependant que ce modèle ne livra pas du premier coup toute sa portée59.

Le secret d’un embarras

  • 60 Leibniz, Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, respectivement 331, puis 332 = De li (...)

51Lorsque Leibniz rapporte que dans le problème soulevé par l’inhérence du prédicat dans le sujet, « une lumière nouvelle et inattendue me vint d’où je l’attendais le moins, à savoir de considérations mathématiques sur la nature de l’infini », il prend soin de préciser « quand j’eus considéré tout cela avec attention, m’apparut le critère profond de la distinction »60. Le critère profond tient bien à la nature de l’analogie qui l’éclaire. Mais encore faut-il correctement la déployer en y prêtant toute l’attention requise. Car c’est le sens même de l’analogie, c’est-à-dire de l’infini qui s’y trouve engagé, que Leibniz devait encore comprendre, après y avoir cherché le sens de sa distinction. En réalité, l’analogie avec les nombres incommensurables comportait dès l’origine un risque de confusion ; c’est à sa rectification qu’a dû procéder Leibniz.

52L’analogie doit en effet permettre de penser la comparaison des statuts entre analogués. Or il se trouve que

  • 61 Leibniz Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 334 = De libertate, con (...)

les proportions incommensurables relèvent de la science géométrique et [que] nous possédons aussi des démonstrations sur les séries infinies61.

  • 62 Voir Recherches générales, §§ 135-136, in Leibniz – Rauzy 1998, 277-279 = Leibniz – C (...)
  • 63 D’où le célèbre et pourtant fugace « cum Deus calculat et cogitationem exercet, fit m (...)

53Comment dès lors lier dans l’analogie la considération de l’infini des nombres et leur démonstrabilité ? Dans un premier temps, en avançant que Dieu peut procéder à une resolutio tota simul des séries contingentes inaccessible à l’esprit fini, comme ce dernier peut procéder en mathématiques à des démonstrations sur les séries infinies62. Faut-il dire que la science de simple vision divine est conçue en première instance selon le modèle de ce que serait une analyse instantanée63 ? Ou bien faut-il dire que Dieu pourrait de jure procéder à cette analyse, même si la science de simple vision n’est pas de facto une analyse instantanée ? Toujours est-il que la conséquence d’affirmer pour Dieu la possibilité d’une résolution des séries contingentes, suppose qu’en droit les contingentes sont réductibles à des identiques. Elles sont de ce fait soumises au principe de contradiction et deviennent nécessaires. Telle est l’origine de la réductibilité des vérités contingentes à des nécessaires et donc la source du spinozisme.

54Aussi faut-il chercher la racine de la contingence dans l’infini des raisons irréductible à la résolution, y compris pour Dieu. C’est ce que l’analogie avec les nombres sourds finit par livrer, dès lors que la portée de l’analogie est correctement comprise :

  • 64 Leibniz, Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, 327 = Leibniz – Grua 1998, I, 30 (...)

Ceci peut être illustré par un exemple tiré de la géométrie et des nombres ; dans les propositions nécessaires la situation peut être ramenée par l’analyse continue du prédicat et du sujet au point où il apparaît que la notion du prédicat est dans le sujet : de même dans le cas des nombres peut-on enfin parvenir à la commune mesure par l’analyse continue (des divisions alternées). Mais tout comme dans les grandeurs incommensurables il existe aussi une comparaison ou une proportion bien que la résolution aille à l’infini et ne s’achève jamais […], ainsi dans les propositions contingentes il y a connexion des termes ou des vérités, bien qu’on ne puisse jamais la réduire au principe de contradiction ou de l’analyse par l’analyse en identiques64.

  • 65 Leibniz, Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 341 (...)

55Ainsi fallait-il savoir ce qu’il convenait de privilégier dans l’analogie : ou bien la convergence de la série vers une proportion calculable malgré l’infinité de l’approximation – auquel cas on pouvait être tenté de se représenter ce calcul accompli par Dieu comme dans une résolution simultanée de la série – ; ou bien, le calcul de l’approximation, qui, bien qu’il convergeât vers une proportion calculable, n’en était pas moins calculable sans s’accomplir en une quantité finie par le biais de l’infinité d’une résolution, suggérant un mode de maîtrise de l’infini irréductible au parcours de ce même infini. Bref, encore fallait-il que « la connaissance de la géométrie et l’analyse des infinis [eussent] donné [à Leibniz] cette lumière et [qu’il eût] ainsi compris [ce qu’impliquait que] les notions peuvent également être résolues à l’infini »65. Il fallait donc comprendre que si

  • 66 Leibniz, Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 334 = De libertate, co (...)

les proportions incommensurables relèvent de la science de la géométrie et [que] nous possédons aussi des démonstrations sur les séries infinies, de même – et mieux encore – les vérités contingentes, c’est-à-dire infinies, sont l’objet de la science de Dieu, par lequel elles sont connues, non certes par démonstration (ce qui serait contradictoire) mais par une vision infaillible66.

56Si l’homme peut, dans le cas des nombres, se donner une connaissance démonstrative d’un infini qu’il ne résout pas par un parcours, pour ainsi dire, de l’intérieur, mais par la résolution à la loi de sa série, nul doute que Dieu ne puisse se donner une connaissance, à propos de ce qui ne saurait se démontrer, analogue dans sa certitude à cette connaissance humaine de l’infini.

L’enjeu d’un embarras ou la libération du principe de raison suffisante

  • 67 Essais de théodicée, Appendice « Remarques sur le livre de l’origine du mal, publié d (...)

Sans cette considération que nous venons de faire, je ne sais s’il serait aisé de résoudre le nœud gordien de la contingence et de la liberté67.

57Nous savons que Leibniz parle d’expérience, incapable qu’il a d’abord été de mesurer ce qu’engage de délier ce nœud qu’est l’analogie entre nombres commensurables et incommensurables, afin de concevoir adéquatement la racine de la contingence. Reste à présent à éclaircir ce qui exigeait de sa part tant d’opiniâtreté. On sait que ne pas concevoir la racine de la contingence revient à confondre

  • 68 Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 413. Voir aussi Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, (...)

ce qui dépend du principe de contradiction, qui fait les vérités nécessaires et indispensables, avec ce qui dépend du principe de raison suffisante, qui a lieu encore dans les vérités contingentes68.

Est-ce à dire que Leibniz lui-même a commis pareille confusion ? À n’en pas douter, et sous la forme hyperbolique qui consiste à déduire le principe de raison suffisante du principe de contradiction, comme l’attestent les Principes logico-métaphysiques :

  • 69 Leibniz, Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 459-460 (...)

Dans les [vérités] identiques [la] connexion et compréhension du prédicat dans le sujet est expresse, tandis que dans toutes les autres vérités elle est implicite et doit être montrée par l’analyse des notions, en quoi réside la démonstration a priori. Or cela est vrai en toute vérité affirmative, universelle ou singulière, nécessaire ou contingente, et dans une dénomination tant intrinsèque qu’extrinsèque. […] Bien d’autres conséquences de grande importance résultent de ces vérités qu’on ne considère pas assez en raison de leur trop grande facilité ; aussitôt en effet en naît cet axiome [nascitur axioma, nous soulignons] reçu : rien n’est sans raison, c’est-à-dire il n’y a pas d’effet sans cause. Sans cela il y aurait une vérité qui ne pourrait être prouvée a priori ou qui ne se résoudrait pas en identiques, ce qui va contre la nature de la vérité qui est toujours ou expressément ou implicitement identique69.

58Ne sollicitons-nous pas le texte en prétendant lire dans le « nascitur axioma » une déduction du principe de raison suffisante à partir du principe de contradiction ? Non pas. La terminologie de l’axiome a été suffisant précisée par Leibniz pour qu’on puisse être catégorique. En un premier sens, nous dit Leibniz,

  • 70 Leibniz – Couturat 1988, 186. Nous soulignons.

j’appelle axiome une proposition nécessaire indémontrable. Nécessaire c’est-à-dire dont le contraire implique contradiction. Or la seule proposition dont le contraire implique contradiction, sans qu’on la puisse démontrer, est l’identique formelle. […] Donc les axiomes véritables et indémontrables sont les propositions identiques70.

  • 71 Voir sur ce point Fichant 1988, chap. XII.

59L’identification du sens propre ou « véritable » d’axiome à celui de proposition identique implique-t-il qu’il y ait des axiomes non réductibles à des identiques ? Tel est en effet le cas, et leur caractéristique est d’être démontrables71 :

  • 72 Lettre à T. Burnett, Leibniz – Gerhardt 1978, III, 258. Voir lettre à H (...)

Les principes de la science des vérités nécessaires et ne dépendant pas de l’expérience sont au nombre de deux : les définitions et les axiomes identiques [axiomata identica]. Et par suite sont démontrables non seulement les théorèmes, mais aussi les axiomes mêmes qui ne sont pas identiques [axiomata quae identica non sunt]72.

  • 73 Leibniz – Couturat 1988, 187.

60C’est ainsi qu’en « ne laissant passer aucun axiome sans preuve excepté les définitions et les identiques [c’est-à-dire les axiomes véritables] nous viendrons à la résolution des termes, et aux plus simples idées »73. La pièce intitulée Sur la synthèse et l’analyse universelles ou sur l’art d’inventer et de juger récapitule l’ensemble de ces points en en dégageant explicitement tous les enjeux :

  • 74 Leibniz, Sur la synthèse et l’analyse universelles ou sur l’art d’inventer et de juge (...)

Parmi les définitions réelles, les plus parfaites sont celles qui sont communes à toutes les hypothèses […] : ceci n’a lieu que lorsque la chose est résolue en notions primitives pures comprises par soi. J’ai l’habitude d’appeler cette connaissance adéquate ou intuitive. […] À partir de ces idées ou de ces définitions, on peut démontrer toutes les vérités, à l’exception des propositions identiques, qui sont à l’évidence indémontrables par nature et qu’on peut véritablement appeler axiomes. Pour ce qui concerne les axiomes ordinaires, on les ramène aux identiques par la résolution du sujet ou du prédicat […] ou bien on les démontre en supposant le contraire […]. On voit ainsi que la démonstration ostensive et la démonstration apagogique coïncident quand l’analyse est achevée et que les scolastiques ont eu raison de remarquer, eux aussi, que les axiomes se ramènent tous au principe de contradiction une fois que leurs termes ont été conçus. On peut donc rendre raison de n’importe quelle vérité, car […] ou bien la liaison du prédicat et du sujet est évidente par soi, comme dans le cas des identiques, ou bien elle doit être expliquée, ce qui a lieu par la résolution des termes. Et c’est là l’unique et suprême critère de la vérité, bien entendu dans les matières abstraites et qui ne dépendent pas de l’expérimentation : elle doit être identique ou pouvoir être ramenée à des identiques. On peut dès lors penser les éléments de la vérité éternelle et la méthode permettant de traiter de tout, pourvu qu’on raisonne par procédure tout aussi démonstrative que celle de la géométrie. Et c’est de cette manière que tout est compris par Dieu a priori et sur le mode de la vérité éternelle puisqu’il n’a pas besoin de l’expérience. Tout est connu par lui adéquatement74.

61Le terme d’axiome s’entend donc, ou bien des propositions identiques indémontrables (sens véritable), ou bien des axiomes « ordinaires (vulgaria) » qui sont démontrables de manière ostensive ou apagogique par résolution aux précédents. Il s’ensuit donc :

    • 75 Leibniz, Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, 326 = Leibniz – Grua 1998, I (...)
    • 76 Ainsi Leibniz soulève-t-il la question de savoir si le principe de raison est lui (...)

    que tout axiome se ramène – et donc tout aussi bien se déduit – au principe de contradiction. Lorsque Leibniz avance, comme dans les Principes logico-métaphysiques que la théorie de l’inhérence du prédicat dans le sujet a pour conséquence le caractère déductible de ce qui deviendra le principe de raison suffisante qui n’est encore qu’un axiome reçu ou ordinaire, cela a pour effet de le subordonner au principe de contradiction. Par voie de conséquence, si le principe du meilleur obéit au principe de contradiction, alors tout est nécessaire et le meilleur des mondes est le seul monde de Leibniz : « les vérités contingentes ne peuvent être ramenées au principe de contradiction : autrement tout serait nécessaire »75. C’est donc pour éviter la nécessité du seul monde effectif que l’axiome rien n’est sans raison doit devenir le principe de raison, c’est-à-dire doit recouvrir une fonction architectonique qu’il n’a pas de droit76, tant que n’est pas découverte la racine véritable de la contingence ;

    • 77 La pièce Sur la synthèse et l’analyse universelles ou sur l’art d’inventer et de (...)

    Pourquoi cependant Leibniz a-t-il commencé par concevoir ce qui deviendra ultérieurement le principe architectonique de raison suffisante comme un axiome ordinaire ? Parce que c’est la condition pour que Dieu puisse connaître les vérités contingentes de la même façon qu’il connaît les nécessaires, par démonstration ou réduction à l’identique. Dieu « raisonne par procédure tout aussi démonstrative que celle de la géométrie. Et c’est de cette manière que tout est compris par Dieu a priori et sur le mode de la vérité éternelle puisqu’il n’a pas besoin de l’expérience. Tout est connu par lui adéquatement »77. Cette thèse, directement déduite de sa théorie de la vérité a pour conséquence de rendre tout contingent démontrable, c’est-à-dire tout aussi bien nécessaire. Tel est donc l’enjeu de la question que nous avons développée jusqu’ici : libérer le principe de raison suffisante comme principe architectonique, c’est-à-dire irréductible au principe de contradiction. La libération du principe de raison suffisante comme principe architectonique a pour conséquence, dans le cas d’une série infinie que Dieu même ne saurait résoudre, de rendre indéterminable le contingent par une raison pensant par voie de résolution ou démonstrative. En ce sens, il semble qu’après 1688, Dieu voie les vérités contingentes, mais d’une vision qui ne procède plus, comme c’est encore le cas dans les Recherches générales par une resolutio tota simul. Après 1688, les mondes possibles ne sont plus pensables par résolution. Voilà donc ce qui alimenta la perplexité de Leibniz.

62Reste pour conclure à formuler deux hypothèses qui se bornent à annoncer un programme de travail, et ne sauraient prétendre, telles quelles, à valoir comme des conclusions démontrées par cette étude :

    • 78 Voir sur ce thème, Carraud 2002, chap. V.

    Ne convient-il pas d’avancer que la libération du rôle architectonique accomplit celle, à son tour non analysable à l’infini, de l’exigence d’existence78 ? Car l’exigence d’existence ne peut plus se prévaloir d’une détermination de la quantité d’essence ou perfection par résolution analytique. Elle n’est donc plus mesurée par Dieu selon un principe dont le mode opératoire serait le décalque du principe de contradiction. La rationalité divine dans l’ordre de l’existence ne peut plus s’appuyer sur un modèle résolutoire ou discursif de la rationalité. Il y a une raison bien sûr – qui renvoie à une raison architectonique – mais elle n’est plus discursive.

    • 79 Voir sur ce point, Robinet 1986, 418-442 ainsi que Robinet 1992, 85-98.
    • 80 Ce nous est un agréable devoir de remercier V. Carraud et M. Devaux pour les rema (...)

    D’où la conséquence fondamentale qui en découlerait : la place ne serait-elle pas ouverte par là au De emendatione de 1694, c’est-à-dire au primat du modèle dynamique en métaphysique qui permet la détermination de la substance par la force ? On se souvient que dans ce texte, le vocabulaire de l’inhérence porte sur la force en même temps que sur le modèle des compossibles et de leur concurrence. Pourquoi ? Parce que la force est la trace du décret divin de création, une trace qui assoit le Principe de raison suffisante dans sa dignité puisque chaque substance porte la marque du divin qui est sa raison. Ainsi le De rerum de 1697 énonce bien que le choix du meilleur revient à choisir ce qui a le plus d’exigence à exister, ce qui ne saurait plus se concevoir en termes de résolution. En ce sens, créer pour Dieu est d’abord laisser libre cours au principe de détermination qui se trouvait en quelque sorte déjà dans les choses, c’est-à-dire dans leur possibilité en raison de leur quantité de perfection. En découlerait une prévalence de l’existence dans la détermination du possible : d’une certaine façon, Dieu ne verrait-il pas plutôt les possibles à partir de leur existence qu’à partir de leur possibilité, désormais irréductible à la seule non contradiction puisque mesurée à l’aune de l’exigence d’existence ? Du coup, pourrait-on encore parler de mondes possibles ? Ne s’agirait-il pas plutôt, selon le type d’analyse proposée par Bergson dans La Pensée et le mouvant, de la rétro projection dans le passé d’un effectif déficient ? Le monde n’en aurait-il pas perdu sa contingence79, désormais réduite au seul acte créateur de Dieu80 ?

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Notes

1 Descartes – AT 1964-1974, IX-2, 41 (Principes de la philosophie, I, art. 39).

2 « Possibilia contingentia spectari possunt tum ut sejuncta, tum ut coordinata in integros mundos possibiles infinitos, quorum quilibet Deo est perfecte cognitus, etsi ex illis non nisi unicus ad existentiam perducatur. » Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 440 ; tr. fr. Leibniz – Schrecker 2001, 245.

3 Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera jamais, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 42 = Leibniz – Leroy 1984, 109.

4 L’expression, qui se trouve dans le texte cité note précédente, est employée par Leibniz comme un repoussoir qui ne décrit pas la notion complète d’Adam telle que Dieu la connaît, laquelle est au contraire totalement déterminée. On va voir qu’elle décrit en revanche ce qu’un être fini est susceptible de concevoir dans le cas d’un Adam possible différent de celui qui a existé. Voir en outre Fichant 1998, 91.

5 Lettre à Arnauld du 4/14 juillet 1686, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 54 = Leibniz – Le Roy 1984, 119-120.

6 Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera jamais, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 42 = Leibniz – Leroy 1984, 109. Ce passage nous semble difficilement compatible avec la notion de singularité telle que l’élabore Frémont 2003, par exemple p. 17-20 (constitution du concept à partir de son modèle mathématique topologique), p. 99-102, p. 153 (cas de Martin Guerre), p. 172 (cas de César). Loin d’être significative pour rendre raison du choix divin, la singularité – comme l’analogue dans l’histoire du monde de ce qu’est pour une courbe « un point décisif, le point d’inflexion, qui définit la famille de la courbe » (p. 99), singularité dans laquelle l’auteur veut voir la raison du contingent dans le monde effectivement créé – est sans aucun doute la façon dont l’entendement fini se représente la différence des mondes incompossibles entre eux, c’est-à-dire ne différant pas en tout, mais en quelques points assignables, signifiants (ibid.), tels Adam ne péchant pas ou César ne franchissant pas le Rubicon. Mais, ainsi que permet de l’induire le passage des Remarques sur la lettre de M. Arnauld… que nous commentons, ce point de vue est une abstraction propre à l’entendement fini. Si l’on peut tenir que « construisant son monde, le romancier imite Dieu, répète le geste originaire de la Sagesse lorsqu’elle balance les raisons pour déterminer un choix » (Frémont 2003, 155), cela doit s’entendre à la restriction près que le romancier seul a affaire à des singularités (Jean Valjean volant ou ne volant pas) puisque les personnages de roman ne sont jamais des individus, mais des types. Dieu en revanche n’ayant affaire qu’à des individus, y compris dans les mondes possibles, on peut dire équivalemment qu’il n’y a jamais pour lui de singularité ou bien que tout prédicat contingent de toute substance signe une singularité. « N’importe qui passe le Rubicon, l’a passé jadis, le passera encore, dans notre monde réel comme dans bien des possibles – la proposition a un tel degré de généralité que son information sur le monde est quasi nulle. Qu’un quidam un beau matin saute le ruisseau, cela importe peu à la république romaine ; lorsqu’il se nomme César, tout change, pour Rome, pour la chrétienté future, pour le monde entier » (ibid., p. 167 ; voir dans le même sens p. 153). Cela est incontestable de la connaissance que les hommes sont à même de se forger. Mais qui peut dire que le choix de César n’a pas partie liée avec le franchissement d’un quidam de nous inconnu, en sorte que la singularité ne serait pas dans le franchissement de César, mais dans celui du quidam ignoré de nous, et ainsi de suite par récurrence ? Qu’est-ce qui permet d’avancer que « tout est singulier dans l’existence, mais tout singulier n’est pas singularité parce que tout singulier n’est pas décisif pour son monde » (ibid., p. 183, nous soulignons) si ce n’est la finitude de notre connaissance des vérités de fait, et par conséquent l’abstraction de notre connaissance ? C’est pourquoi il nous semble difficile d’avancer que la notion de singularité vaut pour Dieu même, qu’elle représente un « point nodal singulier où agit mystérieusement la Sagesse dans le calcul divin qui fait le monde » (ibid., p. 182). À cet égard, la référence prépondérante aux §§ 413-417 de la Théodicée – sauf erreur de notre part – dont la nature propédeutique et vulgarisatrice est manifeste, est sans doute un support textuel insuffisant pour orienter la lecture des textes que nous commentons, lesquels à l’inverse, rendent raison du recours aux exemples des Sextus possibles dont Théodore voit les vies dans le temple de d’Athéna. Sur ce final de la Théodicée, voir Robinet 1983, 12-36 ; une partie de cet article était déjà publiée dans Robinet 1982, 101-109. Nous revenons infra sur la question des personnages de roman.

7 Leibniz, Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera jamais, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 41-42 = Leibniz – Le Roy 1984, 108.

8 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 330 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia in Leibniz – Akademie-Ausgabe série VI/4, vol. B, p. 1653, 1. 22 à p. 1654, 1. 2. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent de dater le texte de 1689. Voir en outre les textes parallèles suivants : Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera jamais, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 45 = Leibniz – Le Roy 1984, 111 ; Origo veritatum contingentium in Leibniz – Grua 1998, I, 325 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1663, 17-19 ; Conversation sur la liberté et le destin, Leibniz – Grua 1998, II, 478 ; Théodicée, Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 386, Réponse à la VIIIe objection. Sur la question des personnages de roman, voir De Buzon 1999.

9 Lettre à Bourguet de décembre 1714 in Leibniz – Gerhardt 1978, III, 573-574.

10 Lettre à Bourguet de décembre 1714 in Leibniz – Gerhardt 1978, III, 573-574.

11 Il n’entre pas dans les limites de cette étude de répondre à cette difficile question. Elle engage à une enquête plus générale sur la constitution du concept de monde chez Leibniz que nous nous permettons d’annoncer.

12 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 330-331 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1654, 10-18.

13 Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 341 = Leibniz – Couturat 1988, 18 = De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1516, 23-25.

14 Discours de métaphysique, § 13, Leibniz – Gerhardt 1978, IV, 436-437 = Leibniz – Le Roy 1984, 47 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1546, 8-15. Arnauld lui-même – à partir de la lecture du seul sommaire – n’a pas manqué d’indiquer à Leibniz les difficultés que soulevait sa thèse de l’inhérence des prédicats contingents dans la notion complète de l’individu : « Je vous dirai donc simplement les difficultés que j’ai encore sur cette proposition : la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera jamais. Il m’a semblé qu’il s’ensuivait de là, que la notion individuelle d’Adam a enfermé qu’il aurait tant d’enfants, et la notion individuelle de chacun de ces enfants tout ce qu’ils feraient, et tous les enfants qu’ils auraient, et ainsi de suite : d’où j’ai cru que l’on pourrait inférer, que Dieu a été libre de créer ou de ne pas créer Adam ; mais que supposant qu’il l’ait voulu créer, tout ce qui est arrivé depuis au genre humain a dû et doit arriver par une nécessité fatale » (Arnauld, Lettre à Leibniz du 13 mai 1686, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 27 = Leibniz – Le Roy 1984, 95). Dans son fond, l’erreur de cette thèse consiste à avoir prétendu penser la notion complète telle que Dieu la connaît : « J’ai de la peine à croire que ce soit bien philosopher, que de chercher dans la manière dont Dieu connaît les choses ce que nous devons penser ou de leurs notions spécifiques ou de leurs notions individuelles. L’entendement divin est la règle de la vérité des choses quoad se ; mais il ne me paraît pas que, tant que nous sommes en cette vie, c’en puisse être la règle quoad nos » (ibid., 31 = Leibniz – Le Roy 1984, 98). La conclusion arnaldienne répète dès lors l’article 41 de la première partie des Principes de la philosophie de Descartes, conciliant, au titre de l’incompréhensibilité de ce lien, la contingence et l’omniscience divine : « Je suis assuré que tant que je pense je suis moi. Car je ne puis penser que je ne sois, ni être, que je ne sois moi. Mais je puis penser que je ferai un tel voyage, ou que je ne le ferai pas, en demeurant très assuré que ni l’un ni l’autre n’empêchera que je ne sois moi. Je me tiens donc très assuré que ni l’un ni l’autre n’est enfermé dans la notion individuelle de moi. Mais Dieu a prévu, dira-t-on, que vous ferez ce voyage. Soit. Il est donc indubitable que vous le ferez. Soit encore. Cela change-t-il rien dans le certitude que j’ai que, soit que je le fasse ou que je ne le fasse pas, je serai toujours moi. Je dois donc conclure, que ni l’un ni l’autre n’entre dans mon moi, c’est-à-dire dans ma notion individuelle. C’est à quoi il me semble qu’on en doit demeurer, sans avoir recours à la connaissance de Dieu, pour savoir ce qu’enferme la notion individuelle de chaque chose ». (ibid., 33 = Leibniz – Le Roy 1984, 99). Dans quelle mesure cette exigence d’une connaissance quoad nos distinguée de la connaissance divine engage-t-elle pour Arnauld la thèse cartésienne de la création des vérités éternelles ; et dans ce cas, dans quelle mesure Leibniz, conscient de cet arrière-fond, n’engage-t-il pas, par l’intermédiaire d’Arnauld, un débat avec Descartes lui-même ? Voir sur ce point Carraud 1996.

15 Voir par exemple Causa Dei, § 17, Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 441.

16 Échantillon de découvertes sur les sciences admirables de la nature prise en général in Leibniz – Frémont 2001, 288-289 = Specimen inventorum de admirandis naturae generalis arcanis, Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 309 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1616, 12-18. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent de dater ce texte de 1688. Si cette analogie est constamment reprise par Leibniz, nous allons voir que son sens et sa portée ont varié dans la pensée de son auteur.

17 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 332 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1655, 26-1656, 5. Voir aussi la lettre à H. Conring du 3 janvier 1678, Leibniz – Gerhardt 1978, I, 185-186 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, II/1, 386, 6-10 : « Ego semper putavi, demonstrationem nihil aliud esse quam catenam definitionum vel pro definitionibus, propositionum jam ante ex definitionibus demonstratarum aut certe assumptarum. Analysis autem nihil aliud est quam resolutio definiti in definitionem, aut propositionis in suam demonstrationem, aut problematis in suam effectionem ; quant à moi, j’ai toujours pensé qu’une démonstration n’est rien d’autre qu’une chaîne de définitions, ou au lieu des définitions, de propositions déjà démontrées auparavant à partir de définitions ou acceptées avec certitude. Et l’analyse n’est rien d’autre que la résolution du défini dans sa définition, ou de la proposition dans sa démonstration, ou du problème dans son accomplissement » ; voir au même du 19 mars 1678, Leibniz – Gerhardt 1978, I, 194 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, II/1, 398, 3-29.

18 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 332-333 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1656, 13-17.

19 Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 332-333 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1656, 334 = ibid., 1658, 9-12. Voir ibid., 332 : « Quand j’eus considéré tout cela avec attention, m’apparut le critère profond de la distinction des vérités nécessaires et des contingentes. Les vérités originaires sont celles dont on ne peut rendre raison : telles sont les identiques ou immédiates, qui affirment le même à propos du même ou nient le contradictoire. Des vérités dérivées il existe deux genres : les unes sont résolues en vérités originaires, les autres requièrent un progrès à l’infini dans la résolution. Celles-là sont nécessaires, celles-ci contingentes » = ibid., 1655, 18-26. Voir enfin Monadologie, art. 36, in Leibniz – Robinet 1986, 91.

20 Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 340 = Leibniz – Couturat 1988, 17 = De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1516, 7-9. Voir de même De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1516, 19-20 ; 1517, 6-8 ; 20-21 puis 26-1518, 5 ; 20-22 ; enfin 1519, 6-10 = Leibniz – Rauzy 1998, 340-344 = Leibniz – Couturat 1988, 18-20.

21 Leibniz, Origine des vérités contingentes… in Leibniz – Rauzy 1998, 337 = Leibniz – Couturat 1988, 2-3 =, Origo veritatum contingentium, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1663, 4-6.

22 Leibniz, Origine des vérités contingentes… in Leibniz – Rauzy 1998, 337 = Leibniz – Couturat 1988, 2-3 = Origo veritatum contingentium, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1661, 6-8. La date présumée de ce texte est, selon les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe, 1689.

23 Leibniz, Sur la contingence, in Leibniz – Rauzy 1998, 326-327 = Leibniz – Grua 1998, I, 303 = De contingentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1649, 20-1650, 17. Voir en outre le Specimen inventorum de admirandis naturae generalis arcanis, GPS VII, 309 = A VI/4-B, 1616, 6-8 ; De principiis, Leibniz – Couturat 1988, 183 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 124, 1-2. Voir Knecht 1981, 202-205. C’est pourquoi on ne peut tenir avec J. A Nicolas « que el regreso en la cadena de justificaciones de los sucesivos estados contingentes sea infinita o no resulta, pues, irrelevante », Nicolas 1993, 236. D’autant que la Monadologie (art. 37), invoquée pourtant pour fonder cet argument avance sans ambiguïté que dans « les vérités contingentes ou de fait […] la résolution en raisons particulières [va à l’infini] pourrait aller à un détail [infini] sans bornes », Leibniz – Robinet 1986, 90.

24 Sur la contingence, in Leibniz – Rauzy 1998, 326 = Leibniz – Grua 1998, I, 303 = De contingentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1650, 11.

25 Leibniz, Lettre à Pélisson du 27 juillet 1692, Leibniz – Akademie-Ausgabe, I/8, 158 : « J’ai été longtemps en doute s’il y avait moyen de sauver la contingence et d’éviter la nécessité des événements, puisqu’en effet, tout événement est déterminé par des raisons », citée in Frémont 2001, 262, n. 53.

26 Couturat 1995. Couturat nomme ce texte Primae veritates (repris dans Leibniz – Couturat 1988, 518-523), les éditeurs des Sämtliche Schriften und Briefe lui donne le nom de Principia logico-metaphysica, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1643-1649. Pour sa traduction française, voir Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, Leibniz – Rauzy 1998, 459-464.

27 On sait que la possibilité en droit de résoudre à l’identique toute vérité – les contingentes y compris – est la thèse défendue par Couturat 1901, par exemple p. 211, 212 n. 3, 215. Nous allons voir que l’erreur de L. Couturat est d’avoir généralisé à l’ensemble des thèses leibniziennes ce qui n’est vrai tout au plus que jusqu’en 1688 – c’est-à-dire, jusqu’au premier texte de nous connu avançant le caractère contradictoire, pour Dieu même, d’une démonstration à l’infini des vérités contingentes, qu’est le Specimen inventorum ; cela donne donc un terminus ad quem. Voir dans le même sens que L. Couturat, G. Le Roy dans Leibniz – Leroy 1984, n. 8, p. 225 ; Knecht 1981, 215 et 216 ou encore, semble-t-il, Duchesneau 1993, 118, 125, 134 et 144 (cependant, les p. 150-151 paraissent soutenir une thèse opposée).

28 Leibniz, Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 459-460 = Leibniz – Couturat 1988, 518-519 [Primae veritates] = Principia logico-metaphysica, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1644, 10-1645, 7. Nous soulignons.

29 Si notre interprétation est exacte, le texte des Principes logico-métaphysiques est au plus tard de 1688. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent la date de 1689. Couturat 1995 quant à lui proposait de le dater de 1686 (p. 11) en en faisant une pièce contemporaine du Discours de métaphysique et de la Correspondance avec Arnauld. Cette datation et son motif ne sont pas pour nous déplaire. Sur le Discours de métaphysique et la Correspondance avec Arnauld voir infra.

30 Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 300-301 = Sur les critères pour distinguer le vrai du faux in Leibniz – Rauzy 1998, 457-458 = De principis praecipue contradictionis et rationis sufficientis, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 805, 13-806, 9. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent de dater le texte de 1686-1687.

31 C’est pourquoi, lorsque le tout début du texte avance « qu’on ne peut aller à l’infini dans la preuve [probando in infinitum iri non potest] », le « on » ne vise que l’esprit humain, de même que l’impossibilité ne porte pas sur la démonstration des vérités contingentes, mais sur l’impossibilité régressive de la démonstration qui entraîne la nécessité de poser un premier anhypothétique (le principe de contradiction en l’occurrence) : « puisqu’on ne peut aller à l’infini dans la preuve, il faut donc que quelque chose soit reçu sans preuve […] en avertissant explicitement quelles sont les assertions que nous utilisons comme premières, à l’exemple des géomètres qui, pour montrer leur bonne foi, avouent dès le commencement quels sont les axiomes qu’ils ont adoptés et qu’ils ont l’intention d’utiliser. Je suppose [donc] d’abord que tout énoncé […] est vrai ou faux. […] Tout ceci est habituellement compris sous un seul nom : le principe de contradiction » : Sur les critères pour distinguer le vrai du faux in Leibniz – Rauzy 1998, 456 = Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 299 = De principiis praecipue contradictionis et rationis sufficientis, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 804, 4-17.

32 Il est incontestable que cette pièce, comme du reste la précédente (voir Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 461 = Leibniz – Couturat 1988, 520 [Primae veritates] = Principia logico-metaphysica, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1646, 6-8) parlent de la science divine des contingents comme d’une science de simple vision. Pour autant, 1) la démonstration dans le cas des vérités contingentes n’est pas contradictoire : si cette démonstration passe le seul esprit humain, elle n’est pas en droit impossible à Dieu, même s’il ne l’accomplit pas. 2) La question qui reste en suspens est de savoir comment la science de simple vision s’y trouve conçue. Voir sur ce dernier point infra notre commentaire des Generales inquisitiones.

33 Leibniz, Sur les critères pour distinguer le vrai du faux in Leibniz – Rauzy 1998, 458 = Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 301 = De principiis praecipue contradictionis et rationis sufficientis, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 806, 7-13.

34 Leibniz, Sur les critères pour distinguer le vrai du faux in Leibniz – Rauzy 1998, 458 = Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 301 = De principiis praecipue contradictionis et rationis sufficientis, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 806, 13-14. Une lecture prévenue du § 13 du Discours de métaphysique nous semble dévoiler la même circularité argumentative. En effet, pourquoi, au terme de ce paragraphe, les vérités contingentes le sont-elles, c’est-à-dire n’ont pas de démonstration de nécessité ? Réponse : « elles n’ont pas des démonstrations de nécessité, puisque [leurs] raisons ne sont fondées que sur le principe de la contingence ou de l’existence des choses, c’est-à-dire sur ce qui est ou qui paraît le meilleur parmi plusieurs choses également possibles » (nous soulignons). La contingence est fondée sur… la possibilité. Il manque encore à Leibniz de fonder la possibilité sur l’irréductibilité de certaines vérités à la résolution à l’identique, c’est-à-dire sur leur caractère essentiellement indémontrable, par quoi seulement elles échappent à la juridiction du principe de contradiction, c’est-à-dire à la nécessité. Voir infra notre explication du § 13 du Discours de métaphysique.

35 Leibniz, Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 460 = Leibniz – Couturat 1988, 519 [Primae veritates] = Principia logico-metaphysica, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1645, 1-2.

36 Leibniz, Sur la caractéristique et la science in Leibniz – Rauzy 1998, 161-162 = Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 200 = De arte characteristica ad perficiendas scientias ratione nitentes, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 912, 6-21. On retrouve la leçon du Specimen inventorum de admirandis naturae generalis arcanis cité supra n. 14. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent de dater les deux textes de 1688.

37 Voir sur ce point De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1517, 20-1518, 5 = Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 342 = Leibniz – Couturat 1988, 19.

38 Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 342 = Leibniz – Couturat 1988, 19 = De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe VI/4-B, 1517, 26-1518, 1.

39 Origine des vérités contingentes… in Leibniz – Rauzy 1998, 338 = Leibniz – Grua 1998, 326 = Origo veritatum contingentium, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1664, 7.

40 Discours de métaphysique, § 13, Leibniz – Gerhardt 1978, 437-438 = Leibniz – Le Roy 1984, 48-49 = Leibniz – Akademie-Ausgabe VI/4-B, 1547, 20-1548, 15 (nous soulignons). Les éditeurs de l’Akademie suivent la leçon de l’autographe (« il prouverait ») plutôt que celle de la copie (« il pourrait prouver »), ce qui renforce le fait de la possibilité de la résolution.

41 Ibid., 438-439 = Leibniz – Le Roy 1984, 49 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1549, 1-10. Absolu s’oppose ici à hypothétique, conformément par exemple au Specimen inventorum de admirandis naturae generalis arcanis, Leibniz-Gerhardt 1998, VII, 310 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1617, 10-12 ou encore au De rerum originatione radicali, Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 302-303 = Leibniz – Schrecker 2001, 170-171. On ne peut donc opposer dans ce texte prouver a priori et démontrer. La preuve a priori admet dans ce texte de n’être qu’une démonstration ex hypothesi, mais une démonstration tout de même puisque Dieu peut opérer la résolution à l’infini ici requise. La ligne de partage passe donc – et ce jusqu’en 1688 – au sein même de la démonstration, entre le nécessaire et ce qui est par hypothèse. Contra Frémont 2003, 133-134, 135 n. 24, puis 164-165. De manière générale, le § 13 du Discours de métaphysique tend à être lu à partir de la position des textes postérieurs à 1688 : voir par exemple, sans prétention à l’exhaustivité, les éditions Leibniz – Rauzy 1993, 88, n. 96 ; Leibniz – Frémont 2001, 262, notes 55 et 56 ; Leibniz – Fichant 2004, 450, n. 63. G. Le Roy fait figure d’exception, sans doute parce qu’il lit Leibniz à partir des interprétations de L. Couturat : voir Leibniz – Leroy 1984, 225, n. 8.

42 Ibid., 438 = Leibniz – Le Roy 1984, 48-49 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1548, 13-22.

43 Remarques sur la lettre de M. Arnauld [du 13 mai 1686], touchant ma proposition : que la notion individuelle de chaque personne enferme une fois pour toutes ce qui lui arrivera jamais, Leibniz – Gerhardt 1978, II, 44 = Leibniz – Le Roy 1984, 110 (nous soulignons).

44 Manifestement, G. Grua identifiait la remarque ajoutée par Leibniz en tête de son manuscrit des Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum « ici j’ai fait de beaux progrès » (Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités in Leibniz – Rauzy 1998, 201 = Leibniz – Couturat 1988, 356 = Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 739, n. 1 ; abrégées désormais respectivement Recherches générales et Generales Inquisitiones) à la découverte de l’explication de la contingence par l’analyse infinie (voir Leibniz – Grua, I, 303, n. 128, première référence à Leibniz – Couturat 1988, 356 qui ne peut viser que cette remarque). Voir dans le même sens, Robinet 1988, 6, n. 12. Nous partageons cet avis, tout en avançant que c’est à une lecture rétrospective que ce gain apparaît définitivement clair à Leibniz. La date de cette conscience rétrospective est par conséquent comprise entre la fin de la rédaction des Recherches générales et, sauf omission de notre part ou découverte d’un texte intermédiaire, la rédaction du Specimem inventorum.

45 Leibniz, Recherches générales, § 74, in Leibniz – Rauzy 1998, 248-249 = Leibniz – Couturat 1988, 376 = Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 763, 17-24.

46 Ibid., 248-251 = Leibniz – Couturat 1988, 376-377 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 763, 24-26.

47 La fin du § 130 distingue cette fois-ci entre la démonstration ou résolution achevée et la résolution poursuivie à l’infini et qui reste inachevée, laquelle dans son inachèvement n’est plus rapportée à une modalité de la démonstration (voir Leibniz – Rauzy 1998, 275 = Leibniz – Couturat 1988, 387 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 775, 18-19). Il est significatif à cet égard que le De contingentia, tout en ayant recours au vocabulaire de la démonstration pour parler des vérités contingentes, ne parle plus d’absence de demonstratio perfecta mais d’absence de demonstratio plena (Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1650, 16 ; le texte de Leibniz – Grua, I, 303 – suivi, apparemment, par Leibniz – Rauzy 1998, 327 – qui donne « < plena > demonstratio [perfecta] » est corrigé dans l’Akademie-Ausgabe) pour caractériser les vérités contingentes : il ne s’agit plus de caractériser l’absence d’achèvement, c’est-à-dire de perfection, mais l’absence d’entièreté du processus de la résolution. Nous allons voir cependant que le § 131 formule la thèse d’une démonstration, c’est-à-dire d’une résolution achevée en Dieu des contingentes : manuscrit de travail, les Recherches générales apparaissent bien comme un texte charnière dans la question qui nous occupe.

48 Leibniz, Recherches générales, § 131, Leibniz – Rauzy 1998, 276-277 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 776, 7-10.

49 Ibid., § 134 in Leibniz – Rauzy 1998, 277 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 776, 17-20.

50 Ibid., Leibniz – Rauzy 1998, 276-277 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz –Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 776, 21-23.

51 Ibid., Leibniz – Rauzy 1998, 278-279 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz –Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 776, 24-26.

52 Ibid., § 136, in Leibniz – Rauzy 1998, 278-279 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Leibniz – Akademie-Ausgabe VI/4-A, 776, 27-28.

53 Ibid., § 61, in Leibniz – Rauzy 1998, 236-241 = Leibniz – Couturat 1988, 372-373 = Leibniz – Akademie-Ausgabe VI/4-A, 758, 13-760, 1.

54 Ibid., § 62, in Leibniz – Rauzy 1998, 240-241 = Leibniz – Couturat 1988, 373 = Leibniz – Akademie-Ausgabe VI/4-A, 760, 3-7. Seule la formulation de cette difficulté peut permettre de comprendre la curieuse formulation que le § 70 donne à la science divine de simple vision : « Dieu juge de la possibilité des choses à partir des seules données de l’expérience qu’il trouve dans son intellect, sans avoir recours à la perception d’autres choses », Recherches générales, in Leibniz – Rauzy 1998, 247 = Leibniz – Couturat 1988, 375 = Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 762, 10-11.

55 Ibid., § 63, in Leibniz – Rauzy 1998, 240-241 = Leibniz – Couturat 1988, 373 = Leibniz –Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 760, 8-14. Voir en outre la note 2 au § 66, 761, 20-29.

56 Ibid., § 64, in Leibniz – Rauzy 1998, 242-243 = Leibniz – Couturat 1988, 373 = Leibniz –Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 760, 15-19.

57 Ibid., § 65, in Leibniz – Rauzy 1998, 242-243 = Leibniz – Couturat 1988, 373-374 = Leibniz –Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 760, 23-26.

58 Voir par exemple le § 74. De la même façon, les §§135-136 construisent l’analogie avec les nombres incommensurables et son sens : les vérités contingentes « ont en quelque sorte la nature des nombres incommensurables », Recherches générales, § 137, in Leibniz – Rauzy 1998, 279 = Leibniz – Couturat 1988, 389 = Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 777, 10-11.

59 Contra Duchesneau 1993, 137.

60 Leibniz, Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, respectivement 331, puis 332 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1654, 19-20 ; puis 1655, 18-19 (nous soulignons).

61 Leibniz Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 334 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1658, 8-9 ; voir Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 340-341 = Leibniz – Couturat 1988, 18-19 = De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe VI/4-B, 1516, 7-23.

62 Voir Recherches générales, §§ 135-136, in Leibniz – Rauzy 1998, 277-279 = Leibniz – Couturat 1988, 388-389 = Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 776, 21-777, 7.

63 D’où le célèbre et pourtant fugace « cum Deus calculat et cogitationem exercet, fit mundus » de 1677, Dialogus, Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 191 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 22, 27 (note 1) ainsi que la resolutio tota simul du § 131 des Recherches générales in Leibniz – Rauzy 1998, 277 = Leibniz – Couturat 1988, 388 = Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 776, 7-8. Sur ce point précis du Dialogus, voir Fichant 1988, 286, n. 1 et Carraud 2002, 487-488.

64 Leibniz, Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, 327 = Leibniz – Grua 1998, I, 303-304 = De contingentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1650, 18-25.

65 Leibniz, Vérités nécessaires et vérités contingentes in Leibniz – Rauzy 1998, 341 = Leibniz – Couturat 1988, 18 = De natura veritatis, contingentiae…, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1516, 25-27. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent de dater ce texte de 1685-1686. En réalité, si nos interprétations sont justes, ce texte qui contient la même thèse que le Specimen inventorum… doit par conséquent être daté au plus tôt de 1688, et ne saurait donc constituer un fragment préparatoire aux Generales inquisitiones (contra Duchesneau, 1993, 149).

66 Leibniz, Sur la liberté in Leibniz – Rauzy 1998, 334 = De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1658, 8-12.

67 Essais de théodicée, Appendice « Remarques sur le livre de l’origine du mal, publié depuis peu en Angleterre », Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 414.

68 Leibniz – Gerhardt 1978, VI, 413. Voir aussi Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, 328 = Leibniz – Grua 1998, I, 304-305 = De contingentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1651, 10-20.

69 Leibniz, Principes logico-métaphysiques in Leibniz – Rauzy 1998, 459-460 = Leibniz – Couturat 1988, 518-519 = Principia logico-metaphysica, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1644, 23-1645, 7.

70 Leibniz – Couturat 1988, 186. Nous soulignons.

71 Voir sur ce point Fichant 1988, chap. XII.

72 Lettre à T. Burnett, Leibniz – Gerhardt 1978, III, 258. Voir lettre à H. Conring du 19 mars 1678, Leibniz – Gerhardt 1978, I, 194 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, II/1, 398, 10-11.

73 Leibniz – Couturat 1988, 187.

74 Leibniz, Sur la synthèse et l’analyse universelles ou sur l’art d’inventer et de juger in Leibniz – Rauzy 1998, 139-140 (nous soulignons) = Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 295-296 = De synthesi et analysi universali seu arte inveniendi et judicandi, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 542, 26-543, 19. Les éditeurs de l’Akademie-Ausgabe proposent de dater ce texte entre 1883 et 1685. Voir aussi De libertate, fato, gratia Dei, Leibniz – Grua 1998, 309-310 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1598, 24-1599, 3.

75 Leibniz, Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, 326 = Leibniz – Grua 1998, I, 303 = De contingentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1649, 23-25.

76 Ainsi Leibniz soulève-t-il la question de savoir si le principe de raison est lui même nécessaire ou contingent ; voir par exemple, Sur la contingence in Leibniz – Rauzy 1998, 327 = Leibniz – Grua 1998, I, 304 = De contingentia, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-B, 1650, 26-1651, 2.

77 La pièce Sur la synthèse et l’analyse universelles ou sur l’art d’inventer et de juger in Leibniz – Rauzy 1998, 135-143, définit la connaissance adéquate, comme celle par laquelle « la chose est résolue en notions primitives pures comprises par soi. J’ai l’habitude d’appeler cette connaissance adéquate ou intuitive. Car toute inconsistance y apparaîtrait aussitôt puisqu’il n’existe aucune résolution plus approfondie », ibid., 139 = Leibniz – Gerhardt 1978, VII, 295 = De synthesi et analysi universali seu arte inveniendi et judicandi, Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 543, 3-5. Voir bien sûr les Meditationes de cognitione, veritate et ideis, Leibniz – Gerhardt 1978, IV, 423 et 425 = Leibniz – Schrecker 2001, 16-17 et 24-25 = Leibniz – Akademie-Ausgabe, VI/4-A, 587, 11-14 et 590, 1-6. Par conséquent, que Dieu connaisse tout adéquatement suppose en l’espèce la possibilité que sa connaissance procède intégralement par voie de résolution.

78 Voir sur ce thème, Carraud 2002, chap. V.

79 Voir sur ce point, Robinet 1986, 418-442 ainsi que Robinet 1992, 85-98.

80 Ce nous est un agréable devoir de remercier V. Carraud et M. Devaux pour les remarques et les conseils dont ils ont fait bénéficier la version écrite de cette étude.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gilles Olivo, « « Le mystérieux critère de la distinction des vérités nécessaires et des vérités contingentes » ou l’embarras d’une solution : Leibniz et la question du meilleur des mondes possibles »Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 42 | 2005, 93-130.

Référence électronique

Gilles Olivo, « « Le mystérieux critère de la distinction des vérités nécessaires et des vérités contingentes » ou l’embarras d’une solution : Leibniz et la question du meilleur des mondes possibles »Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 42 | 2005, mis en ligne le 07 mars 2023, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/2066 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.2066

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Auteur

Gilles Olivo

IUFM de Caen Basse-Normandie

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