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AccueilNuméros42Qui a inventé les mondes possibles ?

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Le mot et la chose

  • 1 Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 364 (Théodicée, § 416).

1Rien ne semble plus naturel à l’intelligence du philosophe d’aujourd’hui que l’idée d’autres mondes possibles. Mais derrière l’évidence de la notion se bousculent plusieurs concepts de « monde possible », qui nous paraissent à première vue liés mais dont on verra qu’on doit en réalité les distinguer soigneusement les uns des autres : par « mondes possibles », nous pouvons en effet songer à des mondes purement imaginaires ou simplement à des mondes futurs, ou encore à d’autres planètes ou étoiles, peuplées de créatures d’un autre type. Les plus sobres d’entre nous penseront que le monde possible n’est en réalité rien de plus qu’une autre manière de considérer notre monde, c’est-à-dire un monde peuplé des mêmes êtres que le nôtre, mais dans lequel le cours des choses se déroulerait différemment. Cette dernière conception, la plus sobre, est peut-être aussi la plus moderne, puisqu’elle évoque immanquablement ces pages si belles de la fin des Essais de Théodicée, dans lesquelles Leibniz parlait « d’une infinité de mondes possibles » comparable à une infinité d’appartements d’une même pyramide dans lesquels se déroulerait chaque fois différemment une même histoire1. Nombreux ont été ceux qui, au cours des dernières décennies, ont tenté d’aller au-delà de Leibniz et de mettre au jour plus précisément les origines exactes d’un tel discours sur les mondes possibles, et les pistes qu’ils ont explorées, généralement en direction du Moyen Âge tardif, ont été multiples. Pourtant, à notre connaissance, il n’y a aucune explication de la formation historique de ce concept de « mondes possibles » qui se tienne parfaitement à la hauteur du mot et de la chose : tantôt on explique l’origine du mot, mais on ne trouve pas vraiment la chose, c’est-à-dire la conception leibnizienne d’une infinité de mondes possibles qui se distinguent par une série de conditions contrefactuelles ; tantôt on explique l’origine de la chose, mais force est de reconnaître qu’on ne trouve que difficilement sous la plume des médiévaux l’expression latine équivalente de mundi possibiles.

2Du mot et de la chose, c’est sans doute la seconde qui pose le plus problème : de quoi parlons-nous en effet lorsque nous parlons de « mondes possibles » ? Il convient de distinguer entre trois grandes manières de parler de mondes possibles :

(1) La première est une conception purement cosmologique : dire qu’il y a plusieurs « mondes possibles » signifie qu’il peut y avoir d’autres « planètes » comme la nôtre, d’autres étoiles, dont le nombre peut être fini ou infini, selon la cosmologie que nous adoptons. L’adjectif possible signifie ici pouvant coexister actuellement avec notre monde. D’après cette conception cosmologique, la capacité d’existence est donc présupposée, mais en tant que coexistence avec l’existence de notre monde.

(2) La seconde est une conception purement littéraire : il y a plusieurs mondes possibles, dans le sens où il y a d’autres mondes imaginaires ou fictionnels, dans lesquels peuvent se produire des choses absolument fantastiques, sans rapport avec ce que nous connaissons. L’adjectif possible signifie ici fictif ou imaginaire. D’après cette conception littéraire ou imaginaire, la capacité d’existence n’est donc aucunement présupposée.

(3) La troisième conception enfin est purement épistémologique : un monde possible n’est en fait rien d’autre qu’un agencement différent de notre monde, avec les mêmes créatures, les mêmes substances, voire les mêmes propriétés, mais agencées différemment. L’adjectif possible dans l’expression a ici le sens d’un simple opérateur modal, exprimant le fait qu’un monde peut être autrement qu’il n’est. Dans cette dernière conception, la capacité d’existence est donc présupposée, mais pas au sens d’une coexistence effective et actuelle avec notre monde : l’existence d’un monde possible exclut celle d’un autre, sans pour autant annuler sa possibilité.

3Notre hypothèse de départ est que ces trois conceptions doivent être soigneusement distinguées, même si elles se sont régulièrement croisées dans l’histoire et qu’elles continuent à se croiser dans notre propre sens commun. Elles obéissent pourtant chacune à une structure conceptuelle déterminée, elles ont chacune une histoire déterminée, et ont été chacune exprimées par des mots bien déterminés. Passons dès lors à l’examen des mots :

  • 2 Cf. par exemple Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 478a (Summa theologiae Ia, q. 46, a. 1, ob. 1). (...)
  • 3 Sur l’archéologie de la pluralité des mondes, voir les enquêtes de Benz 1978 ; Dick 1 (...)
  • 4 Cf. Duhem 1913-59, IX, c. 20 (« La pluralité des mondes »), 363-430, en particulier l (...)
  • 5 Cet argument sera récurrent dans toutes les paraphrases « orthodoxes » au texte d’Ari (...)
  • 6 Cf. « 34 (27). Quod causa prima non posset plures mundos facere », avec la bibliograp (...)

4(1) Dans le premier cas, le modèle cosmologique, on parle en effet depuis longtemps de monde (mundus), mais aussi d’univers (universum). Tantôt on pourra concevoir le monde comme la « collection des créatures », créée par Dieu, tantôt on le concevra comme un « macrocosme » englobant à la fois Dieu et les créatures, une distinction courante dans les commentaires médiévaux au traité pseudo-aristotélicien De mundo ainsi qu’au traité aristotélicien du ciel2. De ce point de vue cosmologique, le problème des mondes possibles est en fait celui de leur pluralité, et il s’est dès lors exprimé dans la tradition latine par les formules de la pluralitas mundorum, et a souvent été abordé dans les commentaires aux Sentences sous forme de la question, « Dieu peut-il créer d’autres mondes », sous-entendu des mondes différents et séparés du nôtre – avec une autre matière première par exemple – sans qu’il soit précisé qui habite exactement ces mondes3. Sur ce point, le médiévisme d’aujourd’hui, même s’il s’en défend souvent, reste encore largement tributaire d’hypothèses formulées il y a un siècle par l’historien des sciences Pierre Duhem4 : la spéculation proprement chrétienne sur la toute-puissance divine aurait mis en question la cosmologie d’origine aristotélicienne qui n’admettait qu’un monde unique et aurait relativisé ainsi la physique héritée de l’Antiquité. D’un point de vue strictement aristotélicien, l’univers (ou le monde) est en effet composé de toute la matière possible, et il ne peut donc pas être multiplié ; il n’y a pas d’autres corps en dehors du ciel ; tous les corps étant mus vers le centre, il ne peut y en avoir qu’un seul et unique, sans quoi le mouvement deviendrait incompréhensible5. Or, on sait que les condamnations doctrinales à partir du XIIIe siècle ont toujours insisté sur la nécessité de considérer d’autres lois physiques, le caractère surnaturel de la toute-puissance divine ne pouvant pas être normé par ce qu’Aristote avait décrit pour le monde naturel. C’était en particulier le cas des célèbres condamnations de 1277, dont l’une des thèses condamnées affirmait justement que « la première cause ne peut faire plusieurs mondes »6. Il est donc bien question ici de mondes, mais pas de « mondes possibles » dans un sens proprement modal ou épistémologique : il y est question d’une pluralité de mondes réels, imaginés chacun avec des lois qui ne correspondent généralement pas à celles qui régissent le nôtre, dont la toute-puissance divine est le garant. À la Renaissance et à l’époque moderne, de multiples chemins ont poursuivi cette hypothèse qui conduisait du « monde clos » à « l’univers infini » : il suffit de penser aux célèbres dialogues de Giordano Bruno sur l’Infinité des mondes ou de Fontenelle sur la Pluralité des mondes – un ouvrage encore cité de manière inspirée par Impez Barbican, le président du Gun Club du roman De la Terre à la Lune de Jules Verne, qui donna à ce modèle l’une de ses dernières lettres de noblesse.

  • 7 Cf. à ce propos Demonet 1993. Le rapport entre l’aristotélisme scolastique et la créa (...)
  • 8 Selon l’enquête réalisée par Doležel 1990, 33-52 ; cette première poétique des mondes (...)
  • 9 Cf. l’ouvrage classique de Goodman 1978 ; et les études nombreuses de Doležel 1989, D (...)

5(2) Le deuxième concept, qualifié peut-être improprement de littéraire, est aussi vieux que l’imagination humaine. Des poètes antiques à la science-fiction contemporaine, en passant par les utopies politiques, rien ne nous empêche d’imaginer d’autres mondes possibles. Ces mondes ont en commun d’être différents du nôtre, sur tous les plans : il peut s’agir de mondes aux lois physiques différentes, de mondes aux lois politiques différentes ou encore de mondes peuplés d’êtres purement imaginaires. Dans le monde de Rabelais par exemple, rien ne semble s’opposer à ce que les femmes accouchent par l’oreille. Ces fictions n’obéissent pas nécessairement à ces schémas purement arbitraires : Marie-Luce Demonet a récemment fait observer que certains des exemples rabelaisiens étaient en fait étroitement liés à la multiplication des hypothèses impossibles dans la logique de son temps, que Rabelais avait ridiculisée avec brio mais dont il connaissait en réalité très bien les ressorts : « Si mon mulet transalpin volait, mon mulet transalpin aurait des ailes » peut-on encore lire chez l’auteur de Pantagruel. Cet exemple amusant est en fait une variante d’un exemple très sérieux qu’on trouve dans de nombreuses dialectiques pour démontrer la validité des propositions conditionnelles7. Rien n’empêche donc d’imaginer un monde dans lequel les mulets, ou bien Mercure ou encore le cheval Pégase auraient des ailes. La logique des propositions conditionnelles, qui sont toujours vraisemblables alors qu’elles ne supposent rien dans l’être réel (conditionalis nihil ponit in esse, disait un axiome bien connu de la logique médiévale), paraît donc ouvrir à de tels « mondes possibles » qui sont à la fois imaginaires et vraisemblables. Toutefois, même si ces jeux fictionnels se révèlent bien appuyés sur des subtilités logiques, on ne trouvera pas pour autant chez Rabelais ni chez d’autres auteurs de la tradition une réflexion systématisée sur la fiction sous l’appellation de « mondes possibles ». Comme a tenté de le montrer Lubomír Doleželil y eut bien une sorte de « première version » d’une « poétique des mondes possibles », mais celle-ci ne se fit justement que sous l’influence de Leibniz et de Wolff à partir du XVIIIe siècle en Allemagne. Et cette tradition fut vite oubliée, ce qui explique que le concept de monde n’a en général été utilisé par la critique littéraire que comme « façon de parler » pour évoquer par exemple « le monde de Rabelais » ou « le monde de Crime et Châtiment »8. Ce n’est finalement que beaucoup plus récemment que la critique littéraire d’inspiration analytique du XXe siècle s’est à nouveau emparée du concept de « monde possible » pour expliquer les phénomènes de création9.

6(3) Le troisième concept, à savoir le concept qualifié d’épistémologique, sera celui qui nous intéressera en priorité, puisque c’est avec le développement de ce dernier concept qu’est véritablement apparue l’expression mundi possibiles. Or, l’idée qu’il y ait une pluralité épistémologique de mondes possibles et non une pluralité physique ou réelle ne semble émerger sous cette forme exacte qu’après ce que nous appelons, faute de mieux, le « Moyen Âge ». Les mondes possibles dont il est question ne sont pas d’autres mondes potentiellement existant à côté du nôtre, mais ce sont des mondes purement abstraits, certes réellement créables, mais qui « coexistent » de manière a priori purement mentale à notre propre monde réel. Leur contenu est défini à partir d’une série de conditions contrefactuelles élaborées à partir de notre monde : à partir d’états de choses de notre monde, on pose des conditions qui conduiraient à la modification de ces états de choses. La fonction de la projection de tels mondes n’est plus de prouver la non-limitation de la toute-puissance divine par la philosophie naturelle d’Aristote, mais simplement de prouver le caractère contingent et non nécessaire de notre propre monde réel.

  • 10 Dès ses premières recherches, Simo Knuuttila utilisait le concept de « monde » pour d (...)
  • 11 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) : « Dic (...)

7C’est assurément un tel concept épistémologique qu’avait mobilisé Leibniz à la fin de la Théodicée, un ouvrage dont la vocation morale ne faisait aucun doute. Aussi, c’est généralement dans le but de faire une « archéologie » de ce concept leibnizien que diverses tentatives ont été faites pour trouver au Moyen Âge l’anticipation d’une telle théorie. Celle qui est aujourd’hui la plus influente dans l’historiographie est la voie royale du scotisme, défendue par l’autorité de Simo Knuuttila ainsi que de Ludger Honnefelder. S’ils concèdent que Duns Scot n’a pas utilisé techniquement l’expression de « mondes possibles », il en aurait déjà développé le concept10. Leur hypothèse de base est double : premièrement, Duns Scot aurait été le premier à extraire du concept aristotélicien de potentia, toujours lié à un acte et donc à un rapport de causalité, un concept de pure « puissance logique » ou de possibile logicum, défini abstraitement comme tout ce qui est concevable sans contradiction11. Deuxièmement, Duns Scot aurait encore été le premier à critiquer le concept aristotélicien de contingence – défini par la mutabilité – et à le redéfinir de manière « synchronique » comme la capacité d’être et de ne pas être au même instant :

  • 12 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 178 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 1-2, § 86) : « Dico (...)

[…] je n’appelle pas contingent tout ce qui n’est pas nécessaire ou n’est pas éternel ; par contre je me réfère à quelque chose dont l’opposé est possible au moment où il existe12.

  • 13 Sur le rapport entre cette théorie de la contingence et la question du libre-arbitre, (...)

8Pareille notion de contingence impliquerait selon Knuuttila la considération de « complexes », states of affairs ou « mondes » alternatifs au même moment parmi lesquels la volonté divine peut alors choisir d’en actualiser l’un plutôt que l’autre. Avec de telles « complexes » dont le contenu est défini par un concept abstrait de possibilité logique, on semble en effet se situer au seuil d’une conception spécifiquement épistémologique de « mondes possibles ». Il ne reste en réalité qu’un seul problème dans cette démonstration : à aucun endroit, du moins à notre connaissance, Jean Duns Scot ne parle de mondes possibles au pluriel, tout au plus de compossibilité de prédicats pour définir un « possible » individuel. Plus encore, lorsqu’il cherche à donner un contenu à son concept de possibilité logique, il utilise presque toujours des exemples singuliers comme la possibilité de la pierre ou d’une créature, définies comme non-contradictoires. De même, lorsqu’il explique son concept de contingence « synchronique », il fait toujours appel à des individus ou à des objets singuliers, en particulier dans l’analyse du libre arbitre : il est possible pour Pierre de pécher et de ne pas pécher, et par conséquent Pierre est libre13. Nous sommes ici dans l’analyse de situations individuelles, et non de mondes possibles.

Le concept de pur possible

9Comment en est-on alors venu à parler de « mondes possibles » (mundi possibiles) dans un sens strictement « épistémologique » ? Notre hypothèse est que le concept moderne de monde possible est en fait le résultat historique du détachement d’un concept purement épistémologique à partir d’un concept au départ purement cosmologique. On pourra décrire ce processus en trois étapes, qui correspondent à autant « d’ingrédients » conceptuels : le premier ingrédient est le concept de monde ; le second est un concept de possibilité défini comme ce qui est logiquement concevable et pouvant se produire sans contradiction ; et le troisième est le passage au pluriel, celui du mundus possibilis aux mundi possibiles qui, comme on va le voir, est moins trivial qu’il n’y paraît. Notre hypothèse est que le mélange de ces trois ingrédients s’est réalisé de manière différenciée entre les XIIIe et XVIIe siècles, et qu’il n’est devenu systématique qu’à l’époque moderne.

  • 14 Cf. Lovejoy 1936. Cette interprétation de l’aristotélisme a été proposée par Hintikka (...)
  • 15 Cf. à titre d’exemple le témoignage du dominicain renaissant Soncinas 1579, 293b (In  (...)
  • 16 Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3).

10De ces trois ingrédients, celui qui paraît le plus problématique est le concept de « pur possible ». Pourquoi insister sur la « pureté » de ce concept ? Parce que dans la tradition aristotélicienne qui a forgé l’ancêtre du concept sous forme des dynata, la possibilité paraissait toujours liée à son autre, à savoir l’actualité. Selon une reconstruction aujourd’hui influente – celle de l’école logique finlandaise, illustrée notamment par les travaux de Jaakko Hintikka – ne serait possible pour Aristote que ce qui d’une manière ou d’une autre peut devenir actuel, un principe baptisé naguère de « principe de plénitude » par Arthur Lovejoy14. Tous les possibles tendent vers leur actualisation dans le temps, ce qui signifie que l’actualisation et la cause qui actualise rentrent dans la définition de tout possible. Il ne sera pas question de se lancer ici dans une analyse de la légitimité de cette interprétation, mais plutôt de voir que les médiévaux n’ont en fait pas spontanément compris Aristote de cette manière. Car lorsqu’ils se réfèrent à la métaphysique d’Aristote pour expliquer le « possible » qui fait l’objet de la toute-puissance divine, tous répètent à partir du XIIIe siècle une formule assez stéréotypée, à savoir possibile dicitur dupliciter : soit selon une puissance, soit de manière logique ou absolue15. Thomas d’Aquin avait par exemple mis en garde contre une circulatio in manifestatione omnipotentiae, un « cercle vicieux » dans l’explication de la toute-puissance : on n’explique en effet rien en définissant la toute-puissance de Dieu par le pouvoir de faire tout ce qui est possible, mais on se contente de définir le même par le même16. Pour échapper à ce cercle, il convient dès lors d’introduire un autre terme entre la puissance et le possible, en s’appuyant sur une distinction canonique entre deux sens du possible qu’il faisait remonter à un passage du cinquième livre de la Métaphysique :

  • 17 Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3, trad.  (...)

[…] d’après le Philosophe, le possible se prend en deux sens. On peut l’envisager par rapport à quelque pouvoir particulier, comme si l’on dit possible à l’homme ce qui est soumis à la puissance de l’homme [mais] […] on ne dit alors rien de plus que ceci : Dieu est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu’il peut. Reste que Dieu soit dit tout-puissant parce qu’il peut tout le possible absolument parlant, et telle est l’autre façon de concevoir le possible. Or, on dit une chose possible ou impossible absolument d’après le rapport des termes : possible, parce que le prédicat ne répugne point au sujet, par exemple que Socrate s’assoie ; impossible absolument, parce que le prédicat répugne au sujet, comme ceci, que l’homme soit un âne17.

  • 18 Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XI, 171b (Summa Theologiae IIIa, q. 13, a. 1, in c (...)
  • 19 Comme on le trouve par exemple dans une Physique parisienne anonyme de 1273, éditée p (...)
  • 20 Cf. par exemple Honnefelder 1997, 283 : « […] eine Welt von “absolute possibilia” wie sie Scotus (...)
  • 21 Cf. Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 53 (De Trinitate, § 8) : « Possibilitas igitur materiali (...)
  • 22 Cf. Duns Scot – Vat. 1950-…, VI, 343 (Ordinatio I, dist. 42, q. un., § 9) : « […] pro (...)

11La toute-puissance divine s’étend seulement aux êtres dont la possibilité est ratifiée par un tel critère logique : Dieu n’a de puissance qu’à l’égard des choses qui peuvent avoir une ratio entis ou une ratio factibilis, excluant le contradictoire et le chimérique, concluait le Docteur Angélique18, ou encore simplement une ratio possibilis simpliciter, pour reprendre une autre expression typique du XIIIe siècle19. Il est dès lors surprenant de voir les spécialistes du scotisme affirmer presque systématiquement que le Docteur Subtil aurait été le « premier » à autonomiser le concept de possible par rapport à la causalité et au passage à l’acte20, quand on s’aperçoit que même les premières grandes sommes de l’aube de la scolastique, en traitant de la toute-puissance divine, avaient déjà préparé cette voie : Guillaume d’Auvergne raisonnait par la voie négative en affirmant que la possibilité peut se caractériser comme une « absence d’empêchement à être » (privatio prohibitionis sui esse), par opposition à la chimère dans le concept (intentio) de laquelle sont incluses des natures opposées entre elles et Guillaume d’Auxerre estimait aussi que la toute-puissance a pour limite de ne pas réaliser des contradictoires21. Quelques années après Thomas d’Aquin, Jean Duns Scot n’allait sur le fond rien dire d’autre : il définissait le possible qui fait l’objet de la toute-puissance comme ce qui n’est pas nécessaire de soi-même et qui n’inclut pas de contradiction, et pour définir ce dernier il ne manquait d’ailleurs pas d’invoquer le même passage de la Métaphysique d’Aristote que le Docteur Angélique22.

  • 23 Aristote, Métaphysique Δ 12, 1019a20 sq.
  • 24 Ibid., 1019a15.
  • 25 On doit notamment à Guillaume d’Auvergne de rappeler une ingénieuse nomenclature, qui (...)

12En se référant systématiquement à ce double fondement causal et logique, la réflexion scolastique sur le possible révèle à quel point elle reste d’un côté tributaire du vocabulaire aristotélicien dans lequel les termes de dynamis et de dynaton ont acquis leur première conceptualisation, mais aussi à quel point elle en a transformé certains présupposés fondamentaux. Dans le passage invoqué de la Métaphysique, Aristote avait effectivement proposé deux tentatives d’explication de ces dynata ou « choses qui sont en puissance ». En premier lieu, les dynata sont définis en tant que kata dynamin, c’est-à-dire en tant qu’ils sont susceptibles de faire l’objet d’une puissance pour subir une modification ou pour exister23. Dans sa traduction de la Métaphysique, Guillaume de Moerbeke avait rendu ces dynata kata dynamin par l’expression de possibilia secundum potentiam : le possible est ici considéré ontologiquement, sous l’angle du passage à l’acte, comme ce qui « peut » être en vertu d’une cause efficiente ou d’une puissance active, définie comme « le principe du mouvement ou du changement qui est dans un être ou dans le même être en tant qu’autre »24. Les autres termes latins utilisés pour désigner cette dynamis ont souvent insisté sur la passivité : on parle de simple potentia, d’aptitudo, d’ordinabilitas ou encore de possibilitas, un terme qui pouvait dès lors donner lieu à un jeu de mots facile avec passibilitas pour désigner la capacité toujours « passive » de recevoir un acte de la part d’une puissance active25.

  • 26 Aristoteles Latinus – Vuillemin-Diem 1976, 109-110 (Métaphysique D 12, 1019b27-35) : « […] possibil (...)
  • 27 Ibid., 110 (1019b35) : « Hec quidem igitur possibilia non secundum potentiam. Que uer (...)
  • 28 Ibid., (1019b31-32).
  • 29 Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « […] possibile, secundum q (...)
  • 30 Cf. Thomas d’Aquin – Marietti 1950, 258b (In libros Metaphysicorum, V, § 971) : « Ideo cum dicit “a (...)

13Cette première voie d’explication des dynata en tant que kata dynamin ouvrait immédiatement sur une deuxième : après être passé de la puissance à son contraire – l’impuissance – et avoir expliqué l’impossible comme « ce dont le contraire est nécessairement vrai », Aristote aboutit finalement à une définition du possible comme ce dont l’opposé n’est pas nécessairement faux26. La définition du possible fait ici l’économie de toute référence à une puissance active, raison pour laquelle Aristote qualifiait ces possibles de dynata ou kata dynamin par opposition aux dynata kata dynamin, ce que Guillaume de Moerbeke avait rendu par la forme latine des possibilia non secundum potentiam27, et c’est à ce lieu textuel que tous les scolastiques se réfèrent lorsqu’ils affirment que le possible se définit indépendamment d’une cause « par la non-contradiction des termes ». Or, on s’aperçoit que l’invocation de ce passage par les scolastiques était en réalité bien plus une glose qu’une citation textuelle, puisqu’à aucun endroit de ce texte, le Stagirite n’avait parlé du principe de non-contradiction qu’eux-mêmes invoquent. Il y formulait certes l’ancêtre de l’exemple utilisé par Thomas d’Aquin, en affirmant « qu’il est possible que l’homme soit assis, car il n’est pas nécessairement faux qu’il ne soit pas assis ». En revanche, il ne parlait pas de répugnance entre sujet et prédicat, ni de cohaerentia terminorum, comme le firent la plupart de ses commentateurs médiévaux. Aristote faisait seulement appel à des jugements de vérité ou de fausseté, et il continuait en décomposant la même définition de trois manières : si le possible peut se définir en un sens comme « ce qui n’est pas nécessairement faux », il peut aussi se dire « ce qui est vrai », ou encore « ce qui peut être vrai »28. Les médiévaux pouvaient dès lors être autorisés à interpréter ce passage dans des termes purement propositionnels : Guillaume d’Auxerre fait par exemple équivaloir possibile et potens esse verum, au nom de la convertibilité entre l’être et le vrai29. De même, Thomas d’Aquin intègre le possible dans le cadre d’une classification des jugements, en concluant qu’il est vrai, et donc possible que Socrate qui est debout puisse s’asseoir, mais qu’il est faux et donc impossible qu’il soit un âne30. Faisant cela, il opère toutefois un déplacement significatif par rapport à la lettre d’Aristote, en affirmant que non seulement le vrai et le faux font l’objet d’un jugement ou d’une proposition, mais aussi le possible et l’impossible, qui acquièrent ainsi le statut de modalités de propositions énoncées à propos d’un sujet donné. Or, ce que paraît dire exactement ce passage de la Métaphysique, c’est que si le vrai et le faux sont des propriétés du jugement, qui expriment comment la chose est ou n’est pas, il n’en va pas ainsi du possible et de l’impossible, qui restent des propriétés de la chose, comme en témoigne l’exemple avancé à cet endroit :

  • 31 Aristote, Métaphysique, Δ 12, 1019b24-26.

[…] il est impossible que le rapport de la diagonale au côté du carré soit commensurable, car une telle proposition est fausse, et son contraire est non seulement vrai, mais encore nécessaire31.

14Si l’on s’en tient à la lettre d’Aristote, c’est la réalité qui est impossible, et la proposition fausse, et inversement, la réalité qui est possible et la proposition vraie.

  • 32 Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « Sicuti est triplex verita (...)
  • 33 Ibid. : « Hoc enim est possibile Deo, et tamen non simpliciter possibile, quia cum (...)
  • 34 Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3) ; Thomas d (...)
  • 35 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) : « Dic (...)

15C’est donc dans l’établissement des modalités à un niveau propositionnel – au niveau de l’enuntiabile – que l’on peut observer un déplacement très significatif par rapport à la lettre d’Aristote chez les médiévaux : sans pour autant nier un seul instant que le possible et l’impossible soient fondés dans les choses elles-mêmes, les scolastiques parvenaient ainsi à isoler en plus des concepts purement propositionnels du possible et de l’impossible, qui allaient s’exprimer dans une série de nouvelles expressions latines : Guillaume d’Auxerre estime que lorsqu’on parle du possibile simpliciter, le critère n’est pas le fait d’être créable, mais au contraire le fait d’être énonçable (enuntiabile), et ceci que l’on considère la possibilité de la chose, de la proposition ou bien de l’agent32. Il avait lui-même également déjà résolu le cercle vicieux consistant à définir la puissance active par la puissance passive et vice-versa, en parlant d’un possible par potentia formalis, introduisant ainsi un nouveau type de puissance inconnu d’Aristote, qui manifeste une capacité positive et non seulement passive comme celui de la potentia materialis33. Thomas d’Aquin parlait quant à lui du possibile secundum seipsum34, une expression qui rappelle qu’il n’y a aucune « relativité » par rapport à une cause ou puissance dans ce dernier type de possible, et précise à maintes reprises que cela ne se dit pas seulement dans les choses, mais aussi dans les propositions. Albert le Grand soulignait encore plus clairement le caractère propositionnel de cette définition du possible en opposant le possibile de dicto au possibile de re. En forgeant l’expression de possibile logicum opposé au possibile reale et systématiquement défini comme « un mode de composition formé par l’intellect, dont les termes n’incluent pas de contradiction », Jean Duns Scot n’invente dès lors aucun nouveau concept, mais seulement un terme qui jusqu’à preuve du contraire semble être apparu effectivement pour la première fois sous sa plume35.

  • 36 Cf. Duns Scot – OPh. 1997, IV, 520 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 33) : « […] potentia logica, quia (...)
  • 37 Pour reprendre une expression française de Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II, 55 (Lett (...)
  • 38 Cf. sur ce point quelques exemples dans Schepers 1963, 902-903.
  • 39 Une fois de plus jusque Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II, 316 (De causa Dei) : « […] (...)

16Résumons les caractéristiques de ce « possible absolu ». En premier lieu, il se définit comme totalement indépendant de toute causalité36. Même s’il ne passe jamais à l’acte, il reste considéré comme possible et ne tombe donc pas sous l’axiome aristotélicien strict selon lequel tout possible non réalisé à un moment ou à un autre serait un concept vide et superflu. C’est la raison pour laquelle les scolastiques modernes ont baptisé ce possible de pure possibile ou de mera possibilitas, une expression qui ne me semble pas médiévale37, mais propre aux auteurs du XVIIe siècle pour désigner l’espace ténu mais essentiel situé entre les choses qui se réaliseront un jour et celles qui ne peuvent jamais se réaliser et sont de pures chimères. En se détachant de la causalité, ce concept de pur possible met également fin à une synonymie médiévale fréquente entre possibilité et contingence – qui est notamment à la base des carrés logiques de la syllogistique et omniprésente en physique dans l’analyse des phénomènes du monde sublunaire38. Deuxième caractère essentiel, ce possibile logicum se définit à partir du principe de contradiction : s’il est possible que l’homme soit assis, c’est non seulement qu’il n’est pas nécessairement faux qu’il ne soit pas assis, comme dit Aristote, mais c’est aussi qu’il n’y a pas de contradiction entre le fait d’être Socrate et le fait d’être assis. Un état de choses est donc possible s’il peut être pensé comme n’incluant pas de prédicats contradictoires, au contraire précisément de l’impossible, qui est défini corrélativement comme ce qui implique toujours contradiction. Tout au long du Moyen Âge et de l’époque moderne39, la définition purement logique du possible a toujours été indéfectiblement liée au caractère premier et incontournable pour les scolastiques du principe de non-contradiction. Il convient d’insister ici sur ce critère de la pensabilité : pour qu’un possible puisse être considéré comme tel, indépendamment d’une cause, il faut au moins qu’il soit pensable. Cette absence de contradiction, Dieu peut la penser, mais la pensée de Dieu n’en est pas la seule mesure ni le fondement, puisque tout intellect, même fini et créé, peut appréhender ce premier principe selon lequel une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être, ou ne peut pas avoir à la fois une propriété et une autre qui la nie, comme dans le cas d’un objet fictif qui unirait les propriétés du bouc et celles du cerf dans un même animal. C’est ce qui a permis à l’unanimité des médiévaux de définir l’homme comme possible et le bouc-cerf comme impossible, et partant, d’affirmer que Dieu peut créer le premier mais pas le second.

Le concept de monde créable

  • 40 Telle avait été la thèse au centre du travail de Faust 1932 ; Solère 2000, 273 parle égal (...)
  • 41 Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XIII, 295b (Summa conta Gentiles II, c. 15).
  • 42 Cf. Aristote – Tricot 1991, 260 (Métaphysique Z 7, 1032a20-22) : « … tous les ê (...)
  • 43 Averroes Latinus – Zedler 1961, 117 (Destructio Destructionum, disp. 1) : « Nam (...)

17Il est temps d’introduire maintenant le deuxième ingrédient, qui est celui de monde. C’est en fait facile, puisque tant Thomas d’Aquin que Jean Duns Scot l’ont en quelque sorte fait pour nous. La raison pour laquelle ce critère de la « pensabilité » ou de l’« énonciabilité » du possible est devenu si déterminant par rapport au seul critère de la créabilité était également un besoin spécifiquement théologique. La conception chrétienne d’un Dieu conçu comme une intelligence omnisciente, susceptible de créer ex nihilo, exigeait en effet la révision d’un autre aspect de la doctrine aristotélicienne du possible, à savoir toute la cosmologie sous-jacente40. La scolastique latine du Moyen Âge pouvait se servir utilement de la doctrine aristotélicienne de la puissance et de l’acte pour expliquer la création, mais seulement au prix de quelques déplacements conceptuels. Si le monde créé leur apparaît comme purement en « puissance » avant d’être posé en acte par le Créateur, ce dernier se singularise par le fait qu’il n’a besoin d’aucun autre acte qui jouisse d’une priorité ou d’une antériorité par rapport à lui pour se mettre en mouvement : Dieu peut dès lors, selon une formule scolastique classique, devenir actus purus, ou mieux, actus omnium possibilium41, qui n’est lui-même pas soumis à l’actualisation ou à un quelconque type de causalité. De même, les « possibles » (ea quae sunt in potentia, ou bien les possibilia comme on dira plus communément) sur lesquels s’exerce sa puissance ne pouvaient pas être interprétés à partir des mêmes principes physico-cosmologiques d’Aristote et transmis par Averroès, pour lequel toutes les formes sont en puissance dans la matière première et en acte dans le premier moteur42. Or, le Dieu des Chrétiens ne créée pas à partir d’une matière première mais bien ex nihilo, ce qui implique dès lors d’attribuer aux choses possibles un statut différent de celui qu’elles avaient dans le monde aristotélicien. Si les choses créables ne peuvent pas simplement préexister dans une matière première donnée, elles peuvent en revanche jouir d’un certain statut dans l’intellect divin, en vertu duquel elles apparaissent comme « possibles » : avant que le monde ne fut effectivement créé, sa « possibilité était purement intellectuelle », affirmait par exemple une formule remarquable de l’Averroès latin43.

  • 44 Thomas d’Aquin – Marietti 1949, 39b (De potentia, q. 3, a. 1, ad 2) : « Antequam mundus e (...)
  • 45 Duns Scot – Oph. 1997, IV, 514 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 18) : « […] illa (...)
  • 46 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 136 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 2, § 22) : « (...)

18C’est ainsi que va apparaître l’introduction d’un « monde intellectuel » avant la création, éternellement possible avant sa création car pensable de toute éternité par un Dieu éternel comme non-contradictoire. Le mundus intelligibilis des anciens va ainsi progressivement devenir un mundus possibilis chez les médiévaux : parce que pensé (« intelligé ») par Dieu, il est aussi possible. Mais en vertu de la validité univoque du principe de non-contradiction pour l’intellect divin et humain, de nombreux auteurs médiévaux ont pu définir cette possibilité du monde de manière extrêmement abstraite, faisant même abstraction de Dieu, puisque tout intellect peut concevoir la non-contradiction d’un état de choses. Ils définissent dès lors cette possibilité du monde non seulement en excluant la toute-puissance (toujours mise entre parenthèses) mais aussi l’omniscience divine qui n’est pas considérée comme constitutive de la possibilité de ce monde. Les formules de Thomas d’Aquin sont restées vagues à ce propos, mais sont révélatrices : lorsqu’il affirme qu’avant la création du monde, « on » peut dire (dicitur) « qu’il est possible que le monde soit »44, il laisse dans le flou la question de savoir si ce « on » se rapporte à l’intellect divin ou à un intellect abstrait quelconque. Mais quelle que soit la solution envisagée, cela signifie que le principe de possibilité logique s’impose bien à tout intellect – y compris en dernière instance à l’intellect divin. Jean Duns Scot a repris la même hypothèse, et Pierre Auriol a formulé le lien entre le principe de possibilité logique et l’univocité des connaissances humaine et divine de manière beaucoup plus évidente et systématique : le Docteur Subtil affirme fréquemment que si avant la création du monde on imaginait un intellect quelconque ou simplement un acte de jugement affirmant « le monde est possible », indépendamment de toute puissance créatrice, cet énoncé serait vrai en raison de la non-contradiction des termes qui le composent45. La formule du quocumque intellectu concipiente, qui revient fréquemment sous sa plume, permet d’établir à partir de l’univocité des connaissances la validité universelle du principe de possibilité logique, et est plus généralement le trait caractéristique des « propositions connues par elles-mêmes » ou « premiers principes » qui s’imposent à tout intellect : les choses contradictoires sont impossibles au même titre que les choses non-contradictoires sont possibles, quocumque intellectu concipiente46.

  • 47 Compton Carleton 1649, 82b (Philosophia universa, disp. 18, s. 3, § 7). Quelles (...)

19On se trouve finalement devant un paradoxe presque dérangeant pour le sens commun théologique : pour le Docteur Subtil comme déjà pour le Docteur Angélique, le monde est créé par Dieu, mais il n’est pas seulement possible parce que Dieu peut le créer. Il est possible en fonction de ses propres critères, car il n’y a pas de répugnance dans ses prédicats essentiels : mundus enim non est possibilis per voluntatem Dei, sed per sua praedicata intrinseca, allait écrire un influent jésuite anglais du XVIIe siècle47. De nombreux théologiens – professionnels ou en herbe, comme Montaigne ou Descartes – ont été scandalisés par la manière dont un principe de non-contradiction « humain, trop humain » semble ainsi borner l’étendue de la toute-puissance divine. Pourtant, c’est à partir de ce principe que dès le XIIIe siècle a émergé une réflexion sur le « monde possible » défini de manière purement épistémologique : il s’agit en fait de notre monde, en tant que conçu abstraitement avant sa création.

Le concept d’une pluralité de mondes possibles

20Il nous reste maintenant à franchir une dernière étape, et dynamiser ce modèle pour passer du monde possible aux mundi possibiles, c’est-à-dire du singulier au pluriel. Au lieu d’un monde unique – notre monde avant sa création dans l’esprit divin – il convient maintenant de passer au concept d’une multiplicité de mondes possibles, également représentés et « présents » dans l’esprit divin. Or, dans cette mise au pluriel, le concept épistémologique semble à nouveau croiser le concept proprement cosmologique.

  • 48 Sur le développement des hypothèses per impossibile ou secundum imaginationem dans la phy (...)
  • 49 Cf. Dullaert (?) 1523, q. 1, s.f. : « […] quod Deus potest creare infinitos mundos et admitto (...)
  • 50 Cf. Conimbricenses 1608, 119b (I, c. 9, q. 1 : « Possintne per divinam potentiam plures mundi esse, (...)
  • 51 C’est ainsi qu’on le trouve par exemple chez Piccolomini 1608, II, q. 2, 277 : « Possunt (...)

21Dans les commentaires tardo-médiévaux et modernes au De caelo et mundo d’Aristote, on voit en effet fréquemment apparaître des raisonnements impliquant une pluralité de mondes possibles définis non plus seulement comme d’autres étoiles ou d’autres terres, mais comme des mondes abstraits résultant de pures expériences de pensée. L’affirmation du pouvoir « absolu » de Dieu de créer d’autres univers ou d’autres mondes est ainsi devenue le point de départ de multiples expérimentations secundum imaginationem dans la physique mais aussi dans la logique tardo-médiévales48. Dans un commentaire parisien au De caelo d’attribution douteuse (peut-être Jean Dullaert, ca. 1470-1513), l’auteur évoque le pouvoir de Dieu de créer une infinité de mondes contenant exactement 1 000 hommes chacun49. D’une manière générale, le discours sur les mondes possibles saute aux yeux dès que l’on ouvre n’importe quel cours du type De caelo et mundo produit dans le cadre de la philosophie et théologie scolastique post-tridentine. On voit qu’il y est régulièrement question de « mondes possibles », et bien au pluriel. Ces manuels commencent en général par rapporter les définitions classiques du concept de monde héritées d’Aristote et de la scolastique médiévale. Ensuite, ils discutent généralement de deux questions également parfaitement médiévales : d’abord la question de l’éternité du monde, qu’ils rejettent avec une écrasante majorité, et ensuite la question de la pluralité des « mondes possibles » que Dieu pourrait créer. Comme leurs prédécesseurs médiévaux, tous les scolastiques modernes répondent par l’affirmative : de facto, ils concèdent qu’il n’y a qu’un monde, le nôtre, mais de potentia absoluta, Dieu pourrait en créer infiniment plusieurs50. Les scolastiques pouvaient même tenter de faire passer cette conclusion pour aristotélicienne en jouant habilement sur la distinction entre deux sens des concepts de mundus et d’universum : si l’on entend par « monde » ou « univers » l’ensemble des choses créées, alors il est évident que Dieu pourrait créer une pluralité d’autres mondes ou univers, contrairement à ce qu’affirmait Aristote. Si en revanche on entend par « monde » ou « univers » l’ensemble formé par Dieu lui-même et les mondes créables, alors il n’y a pas de désaccord entre le Stagirite et la théologie, puisqu’on peut alors considérer le monde comme unique51.

  • 52 Rubio 1625, 73 (Commentarii in libros Aristotelis Stagiritae de caelo et mundo, I, c. 9, (...)
  • 53 Rubio 1625, 71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod vero non repugnet fieri plures mundos eiusdem spe (...)
  • 54 Rubio 1625, 70 (I, c. 9, q. 2) : « […] Ordo huius mundi consistit in situ corporum gravium et (...)
  • 55 Rubio 1625, 70-71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod cum hac sola limitatione intelligend (...)

22Parmi la nuée de commentaires sur ce sujet, celui composé par le jésuite Antonio Rubio (au retour de son enseignement au Mexique et imprimé en 1615, année de sa mort) est particulièrement instructif pour notre propos : d’abord, parce que Rubio utilise fréquemment l’expression latine de mundi possibiles ; ensuite, parce qu’à la question classique de savoir si Dieu peut créer des mondes possibles « plus parfaits » ou « infiniment meilleurs », notre jésuite utilise également déjà l’image d’un « ordre » de mondes de plus en plus parfait qui sera reprise par Leibniz, mais sans pour autant concéder que « notre monde » se situe au sommet de cette échelle en tant que « meilleur »52. Enfin et surtout, ce commentaire est intéressant car Rubio y prend le temps de laisser vagabonder son imagination cosmologique, et nous donne des exemples concrets de ce qu’il entend par ces « autres mondes possibles » que la plupart de ses contemporains se contentaient en général seulement de suggérer. D’abord, ces autres mondes peuvent être de la même espèce (d’autres « terres » par exemple)53, ou encore différents en nombre ou en espèce. Dans ce cas, alors que dans notre monde, le lieu naturel des corps graves et légers est situé sous le ciel, rien ne nous empêche d’imaginer d’autres mondes possibles créés par Dieu dans lesquels les cieux auraient d’autres vertus et d’autres influences, de telle sorte qu’ils agiraient par exemple sans mouvement ou selon un type différent de mouvement. Ou encore, on pourrait imaginer des mondes possibles avec d’autres nombres d’éléments ou de corps simples, ou encore avec des puissances différentes54. La seule limitation, révélatrice, que pose Antonio Rubio est la définition de l’homme : à ses yeux, il est impossible d’imaginer d’autres mondes possibles dans lesquels l’homme serait différent en espèce55.

  • 56 Cette hypothèse a déjà été avancée par Knebel 1991a, 13 et Ramelow 1997, 57, 469 sq. (...)

23Cette irréductibilité de l’homme laisse peut-être entrevoir la modernité qui s’est introduite dans ces commentaires à l’apparence très traditionnelle : pour Rubio, dans tous les mondes possibles, l’homme doit garder ses mêmes caractères essentiels, sans quoi on ne pourrait plus parler d’homme. Pourtant, il nous semble que ces commentaires modernes au de mundo ne forment en réalité rien de plus qu’une toile de fond au développement d’un autre discours, plus proprement épistémologique cette fois-ci, au sujet la « pluralité des mondes possibles », dont ces mêmes auteurs sont à l’origine. En effet, comme les scolastiques eux-mêmes le concèdent, il y est toujours seulement question du monde sensible – même s’il contient des éléments suprasensibles comme les anges et les âmes rationnelles. La question se pose dès lors de savoir si ces auteurs ne parlent pas aussi des « mondes possibles » en un autre lieu, d’un point de vue purement intelligible cette fois-ci. La réponse est bien entendu positive, et eux-mêmes nous renvoient à cet endroit généralement à la théologie, et plus précisément aux questions sur la science et les idées divines. Or, dans ces questions, on trouve également fréquemment dès la fin du XVIe siècle des discussions sur l’infinité des mondes possibles que Dieu peut créer, mais il ne s’agit pas ici de mondes « sensibles », mais de mondes « intelligibles » représentés par l’intelligence divine. On y trouve aussi l’idée que dans chacun de ces mondes possibles, il y a une infinité de combinaisons possibles : par exemple un monde dans lequel Pierre décide de trahir le Christ, et un autre monde dans lequel Pierre décide de ne pas trahir le Christ. Dans ces spéculations, la question morale l’a totalement emporté sur la simple description physique du contenu de ces mondes. Les hommes qui peuplent ces différents mondes sont bien les mêmes du point de vue de l’espèce, comme dans la cosmologie de Rubio, mais leurs actions et la valeur de celles-ci sont différentes. Aussi, alors que le concept de « pure possibilité logique » s’était développé dans les querelles médiévales sur la toute-puissance et que le concept de monde possible avant la création rappelait les problèmes de cosmologie aristotélicienne, ce sont maintenant les querelles spécifiquement modernes sur le libre-arbitre, la prescience et la prédestination divine qui vont entrer en jeu et voir éclore le concept épistémologique d’une pluralité de mondes possibles. Cela n’a été possible qu’à la faveur d’un nouvel affinement de l’instrumentaire doctrinal de la théologie catholique qui s’est réalisé à ce moment de l’histoire, sous le double effet d’un renouveau institutionnel de la scolastique médiévale et des querelles tridentines visant à réaffirmer l’absolue liberté de l’homme et la contingence de l’ordre du monde contre le « nécessitarisme » imputé à la théologie protestante. En particulier, c’est l’invention d’un nouveau type de science divine qui a été capital pour dynamiser le modèle classique de la connaissance divine du monde avant sa création : il s’agit de la fameuse doctrine de la scientia media, née dans le contexte ibérique au XVIe siècle56.

  • 57 Molina – Rabeneck 1953, 340 (Concordia, IV, disp. 52) ; trad. dans Aubin 2002, 368.
  • 58 Sur cette question, voir la reconstruction de Knebel 2000.
  • 59 Sur la dépendance de ce modèle moliniste à l’égard du concept scotiste de conti (...)

24Afin d’expliquer d’une nouvelle manière l’accord entre la prescience divine et la liberté des hommes, le jésuite espagnol Luis de Molina avait introduit dans la distinction thomiste classique entre science de simple intelligence (portant sur le pur possible, représenté dans les idées divines) et science de vision (portant sur l’actuel, dépendant de la volonté) un troisième type de science qu’il avait baptisée scientia media. Cette dernière désigne l’aspect de l’omniscience divine qui correspond à la connaissance que Dieu possède, avant toute détermination de sa volonté, des décisions qui seraient prises par les volontés finies des hommes dans n’importe quel hypothétique ordre de choses57. À travers cette science moyenne, Dieu sait ce que va faire Pierre s’il était placé dans telle ou telle condition particulière, en l’occurrence, dans tel ou tel monde possible avant le choix de créer l’un d’entre eux : on peut imaginer à côté du monde dans lequel Pierre renie le Christ un monde dans lequel Pierre ne le renie pas, et ainsi de suite. Dans son esprit, Dieu peut dès lors se représenter toutes sortes de mondes possibles correspondant à des situations alternatives, parmi lesquelles sa volonté choisit – le critère de ce choix (meilleur des mondes ou monde quelconque) restant une question certes moralement essentielle, mais conceptuellement secondaire pour notre propos58. L’invention de ce concept présupposait à la fois une logique des raisonnements conditionnels en matière contingente, ainsi qu’un concept « scotiste » de contingence dépendant d’une volonté divine capable de vouloir une chose et son contraire au même moment59, deux thèmes très cultivés dans la scolastique ibérique du XVIe siècle et dont en particulier les théologiens de la jeune Compagnie de Jésus avaient recueilli l’héritage.

  • 60 Cicéron, De divinatione I, lv, 125 : « Fatum […], id est ordinem seriemque caus (...)
  • 61 Cf. Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 106 (Théodicée, § 8) : « J’appelle monde toute la (...)
  • 62 Cf. Suárez – Gonzales Rivas 1948, 122 (Quaestio utrum Deus certa et infallibili (...)

25Bien que la philosophie de la religion analytique contemporaine – florissante en particulier aux États-Unis – attribue communément à Molina une telle réflexion sur les « mondes possibles », on peut toutefois rester réticent à attribuer au jésuite espagnol la réelle paternité de ce concept. La raison est une fois de plus lexicographique : si conceptuellement Molina pense bien quelque chose qui ressemble à des « mondes possibles », dont le contenu est déterminé par des conditions contrefactuelles, il n’utilise – à notre connaissance – jamais le terme, mais lui préfère celui, très ancien et hérité notamment de Cicéron, de series rerum ou encore de ordines rerum et causarum60, les « séries de choses » dont parle d’ailleurs aussi assez fréquemment Leibniz61. Par contre, c’est pour décrire le même type de problème que l’expression de mundus possibilis et de mundi possibiles se généralise à la même époque chez d’autres auteurs jésuites praticiens de la scientia media ou scientia conditionata. L’une des plus anciennes apparitions du syntagme dans ce contexte se trouve chez nul autre que Francisco Suárez, qui dans un manuscrit de jeunesse utilise l’expression de l’infinité des mondes possibles pour expliquer le processus par lequel Dieu choisit finalement de créer « ce monde-ci, avec ces anges, avec ces hommes, avec ces secours de la grâce »62. Cela ne signifie bien entendu aucunement que Suárez puisse être considéré comme « l’inventeur » du concept, dans la mesure où un dépouillement systématique de manuscrits et d’imprimés du XVIe siècle consacrés à la prescience divine mettrait immanquablement à jour d’autres occurrences chez d’autres auteurs. Par contre, le Doctor Eximius se révèle bien à la pointe d’un mouvement doctrinal qui extrait le concept de « monde possible » de la cosmologie pour l’introduire dans la théologie fondamentale et morale : le « monde possible » auquel fait allusion ici Suárez n’a en effet rien avoir avec le « monde possible » de son contemporain et coreligionnaire Antonio Rubio : il s’agit d’un concept épistémologique, utilisé dans le cadre d’une argumentation théologico-morale, et non d’un concept cosmologique utilisé dans le cadre d’une argumentation physique.

  • 63 Cf. par exemple Arriaga 1669, 521b (Disputationes physicae, disp. 14, s. 14, § 129, 521b) (...)
  • 64 Cf. par exemple Hurtado de Mendoza 1635, 596r-596v (Disputationes de Deo, disp. 29, § 97) (...)
  • 65 Aristote, Catégories, 5, 4b9-11.
  • 66 Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 362 (Théodicée, § 414).
  • 67 C’est par exemple la position de Caramuel Lobkowitz 1642, § 2772 : « Respondeo (...)
  • 68 Cf. par exemple Sémery 1686, I, 522 : « Nos cohaerenter ad ea, quae dicturi sumus in libr (...)
  • 69 Notamment depuis l’ouvrage classique de Lewis 1973, dont une partie consacrée aux « monde (...)

26C’est donc véritablement dans les cours de théologie que le nouveau concept, proprement épistémologique, de mondes possibles acquiert sa systématisation moderne, signe de plus, s’il en fallait, de l’extraordinaire créativité conceptuelle de la théologie post-tridentine à une époque où la physique scolastique restait elle-même trop souvent bridée par les interdits et les censures. La question du lieu physique de la création de ces mondes possibles passe ici au second plan : il n’est plus question de savoir si ces mondes peuvent être créés en nombre infini ou encore de manière « contiguë » à notre monde existant, comme l’exprimait joliment Rodrigo de Arriaga dans ses propres spéculations cosmologiques63, mais il est désormais question de leur lieu ou encore de leur « état » ou « statut » intelligible. Ces mondes sont en effet systématiquement analysés comme des mondes « abstraits », car faisant abstraction de la disjonction entre existence et non-existence, et désignent non pas « le » monde mais les différentes « versions » possibles de notre monde avant sa création64. Une fois acquise cette mise au pluriel systématique du syntagme mundus possibilis à travers la projection de ces mondes possibles dans l’esprit divin, la très riche scolastique ibérique allait se poser tout au long du XVIIe siècle une série de questions proprement métaphysiques sur ces mondes possibles qui ne manquent pas d’évoquer celles qui taraudent encore aujourd’hui les spécialistes de la possible worlds semantics : la principale est celle de « l’engagement ontologique » (ontological commitment) d’un tel discours, à savoir la question de savoir quel type d’entité un tel discours présuppose à côté du monde existant en acte. Tous les scolastiques admettaient en effet comme « dogme philosophique » le fameux axiome d’Aristote affirmant que ab eo quod res est, vel non est, propositio dicitur vera vel falsa65. Comment dans de telles conditions dire quelque chose de vrai sur des mondes qui n’existent pas, puisqu’ils sont purement possibles ? Certains estimaient qu’il suffisait de leur conférer un « être objectif » dans l’esprit divin, suivant une vieille voie scotiste dont Leibniz n’est peut-être pas si éloigné lorsqu’il dit que « ces mondes sont tous ici, c’est-à-dire en idées »66. D’autres estimaient que ces mondes possibles n’avaient qu’un être purement négatif qui est celui de leur non-incompossibilité avec le monde actuel67, d’autres qu’il s’agissait de pures présuppositions d’existence, et pour d’autres encore il s’agissait seulement des relations purement logiques qui servent de « vérifacteurs » ou de « falsificateurs » de ces énoncés68. Au XVIIe siècle déjà, il y avait donc déjà des « réalistes modaux » durs et modérés, des actualistes, des possibilistes, et toutes ces autres écoles qui depuis la remise au goût du jour de ces questions hautement scolastiques par Saul Kripke, David Lewis, Alvin Plantinga et tant d’autres, peuplent désormais les départements de philosophie anglo-saxons69.

Conclusion

  • 70 Voir notre thèse de doctorat : Schmutz 2003.

27Nous avons tenté de donner un aperçu des différentes solutions apportées à cette question du fondement ontologique du possible dans un autre travail70. Dans la présente étude, notre seul souci aura été de reconstruire la rencontre entre une expression latine bien déterminée – mundi possibiles – et une chose ou un concept lui aussi bien déterminé – la représentation d’états de choses contrefactuels. Pourquoi avons-nous donc été si soucieux de chercher une correspondance exacte entre le mot et la chose ? Le philosophe a-t-il vraiment besoin de s’embarrasser de recherches lexicographiques aussi laborieuses ? Dans l’absolu, certainement non, pour autant que l’on se mette d’accord sur les définitions des choses dont nous parlons. Mais dans ce cas particulier, il nous semble que la reconstruction exacte de l’histoire du concept puisse aussi être un réel exercice de philosophie, dans la mesure où cette reconstruction permet de montrer qu’il existe bien différents concepts de « mondes possibles » qui restent souvent confondus dans notre sens commun. Ce n’est qu’à l’aube de ce qu’on appelle la modernité qu’a réellement fini par émerger le concept de monde possible que nous utilisons encore communément aujourd’hui dans la « sémantique des mondes possibles » : à savoir un concept purement épistémologique et au fonctionnement bien défini. Ce concept se distingue à la fois du concept cosmologique « d’autre monde réel » mais n’a aussi rien à voir avec les concepts littéraires de « mondes fictionnels ». Un tel concept de monde possible n’invite pas vraiment à la rêverie, à imaginer d’autres étoiles, des utopies politiques ou des romans fantastiques. Les mondes possibles modernes ne sont pas des mondes dans lesquels les enfants naissent par l’oreille ni dans lequel les ânes ont des ailes, mais ce sont simplement des mondes dans lequel les participants d’un colloque brestois auraient décidé de rester chez eux au lieu de prendre le train. Force est de reconnaître que l’hypothèse n’est guère enthousiasmante. Implicitement, elle signifie que notre monde est bien le seul monde réel, puisque sa réalisation implique la négation de la réalisation actuelle de tout autre monde possible. La projection des mondes possibles reste alors seulement une tentative d’explication – de consolation, diront certains – du fait que notre monde réel n’aurait pas nécessairement dû être tel qu’il est, mais qu’il aurait en réalité toujours pu être autrement.

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Bibliographie

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Notes

1 Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 364 (Théodicée, § 416).

2 Cf. par exemple Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 478a (Summa theologiae Ia, q. 46, a. 1, ob. 1). On trouvera un bonne sélection des définitions scolastiques du terme mundus dans le lexique d’Altenstaig 1576, 203r ; Collegium Conimbricense Societatis Iesu 1608, 8b (Commentaria in quatuor libros de caelo Aristotelis Stagiritae, I, c. 1, q. 1, a. 2) : « Mundus magnus, quod proprie universum vocatur, est tota creaturarum collectio ».

3 Sur l’archéologie de la pluralité des mondes, voir les enquêtes de Benz 1978 ; Dick 1982, et plus particulièrement sur la cosmologie médiévale, la synthèse de Grant 1994.

4 Cf. Duhem 1913-59, IX, c. 20 (« La pluralité des mondes »), 363-430, en particulier l’affirmation suivante (380) : « Le décret de 1277 marque un renversement complet des opinions des maîtres parisiens quant à la pluralité des mondes. Avant ce décret, ils accumulent des arguments tirés de la physique d’Aristote dans le but d’établir que l’existence de plusieurs mondes est impossible […]. Après le décret, tous les théologiens sont convaincus que Dieu pourrait créer plusieurs mondes s’il le voulait ».

5 Cet argument sera récurrent dans toutes les paraphrases « orthodoxes » au texte d’Aristote : on ne peut accepter aucune pluralité de mondes, car cela impliquerait que la terre d’un monde soit mue vers le centre d’une autre, puisque tous les corps simples d’une même espèce se meuvent naturellement vers le même lieu. C’est par exemple ainsi que l’exprimera encore le dominicain Savonarola 1542, 149 (VI, § 18 : « Non possunt poni plures mundi ») : « Si enim essent plures mundi, oporteret quod terra unius ferretur ad centrum alterius, quia omnia corpora simplicia eiusdem speciei feruntur ad eundem locum naturaliter, et similiter dicendum est de aliis corporibus. Hoc autem est impossibile, quia et terra ascenderet et ignis descenderet, praeterea mundus constat < corr. eonstat > ex tota sua materia, id est comprehenditur tota materia mundi sub coelo, et continet omnia genera corporum… » Le fait que de telles paraphrases littérales qui paraissaient accepter la doctrine aristotélicienne de l’unité du monde alors qu’elles allaient à l’encontre des principes théologiques, aient pu se perpétuer jusqu’au XVIIe siècle, témoigne du fait qu’une forme de « pluralisme épistémologique » (L. Bianchi) s’est maintenue jusque très tardivement. En revanche, la validité « absolue » de ces arguments devait céder le pas aux arguments théologiques en faveur de la pluralité des mondes, comme on le verra plus loin.

6 Cf. « 34 (27). Quod causa prima non posset plures mundos facere », avec la bibliographie des interprétations dans Piché 1999, 90-91. Sur l’impact de ces condamnations sur la cosmologie, voir l’étude classique de Grant 1979, 211-244 ; Grant 1982, 537-539. Ce problème a généralement été abordé dans les nombreuses études historiques consacrées à la distinction entre puissance absolue et puissance ordonnée. Voir notamment à titre de synthèse les contributions de Boulnois 1994, 45-48 (« La pluralité des mondes ») et Bianchi et Randi 1993, 76-85 (« Toute-puissance divine et pluralité des mondes »). À titre d’étude de cas, voir Pernoud 1973, ainsi que les nombreux travaux de Randi 1989 ; Randi 1990.

7 Cf. à ce propos Demonet 1993. Le rapport entre l’aristotélisme scolastique et la création littéraire est également étudié dans Demonet 2002.

8 Selon l’enquête réalisée par Doležel 1990, 33-52 ; cette première poétique des mondes possibles a été développée par J. J. Bodmer, J. J. Breitinger et A. G. Baumgarten (Doležel 1998, 231n24).

9 Cf. l’ouvrage classique de Goodman 1978 ; et les études nombreuses de Doležel 1989, Doležel 1998, Ronen 1994, Pavel 1975 et Pavel 1980.

10 Dès ses premières recherches, Simo Knuuttila utilisait le concept de « monde » pour décrire la doctrine scotiste : Knuuttila 1981, 227 : « The new idea in Scotus’ respect to same moment of time. When Scotus introduces […] a class of logical possibilities, which are also real possibilities, it seems that all logical possibilities are not real alternatives to the actual world. We have seen earlier that the structure and the laws of the nature set certain limits on real possibilites. But the possibility of willing otherwise is a real alternative because it does not demand that the structure of the actual world be different » ; Knuuttila 1982, 355 : « Thus it was not Leibniz who invented the idea of possible worlds ; the idea is present in Duns Scotus’ modal theory, and this new view of modal notions constitutes the general basis of fourteenth-century modal logic » ; Knuuttila 1993, 143 : « Scotus considered the domain of intelligible being, which is actualized in God’s intellect, as consisting of all thinkable individuals, their properties and their mutual relations. Because many possibilities are mutually exclusive, the domain of possible states of affairs must be structured into “possible worlds” on the basis of compossibility relations. (It should be noted here that although Scotus’ theory of modality can be characterized as an intuitive predecessor of possible worlds semantics, he did not himself use the notion of a possible world in a technical sense) ». C’est également l’avis de Honnefelder 1990, 98 : « […] Scotus unterscheidet > zwischen einer Klasse der schlechthin möglichen und einer Klasse der kontingent gewählten complexa. Alle in der zweiten Klasse möglichen Elemente müssen auch Elemente in der ersten sein, nicht aber umgekehrt. Oder, um es mit dem späteren Sprachgebrauch bei Wolff und Leibniz auszudrücken : Die kontigent gewählte Welt ist eine, aber auch nur eine der möglichen Welten. » Plus récemment, Honnefelder 1997 a proposé une autre archéologie en signalant la présence de ces motifs scotistes chez Comenius et Alsted. On trouvera d’autres reformulations explicites de la doctrine scotiste sous forme de « mondes possibles » dans Langston 1990, 241 : « We can recast Scotus’ analysis in terms of possible worlds. Instead of thinking about consistent sets of possibilities presented to God, we can think of God’s intellect as presented with an infinite number of possible worlds » ; ainsi que Van der Lecq 1998 ; Söder 1999, 199-215. Nous souscrivons pour notre part aux réserves formulées au sujet de cette historiographie par Ramelow 1997, 14 : « Hier wird aber zu eilig von der modernen Modallogik her der Begriff der möglichen Welten auf Duns Scotus übertragen. Belegbar ist er bei Duns Scotus nicht ».

11 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) : « Dico quod possibile logicum differt a possibile reali, sicut patet per Philosophum V Met., cap. de potentia. Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intellectu, cuius termini non includunt contradictionem, et ita possibilis est haec propositio : “Deum esse”, “Deum posse produci” et “Deum esse Deum” ; sed possibile reale est quod accipitur ab aliqua potentia in re sicut a potentia inhaerente alicui vel terminata ad illud sicud at terminum ».

12 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 178 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 1-2, § 86) : « Dico quod non voco hic contingens quodcumque non-necessarium vel non-sempiternum, sed cuius oppositum posset fieri quando illud fit » ; Duns Scot – Vat. 1950-…, XVII, 495 (Lectura I, dist. 39, q. 1-5, § 50) : « Haec autem possibilitas logica non est secundum quod voluntas habet actus successive, sed in eodem instanti : nam in eodem instanti in quo voluntas habet unum actum volendi, in eodem et pro eodem potest habere oppositum actum volendi ». Sur les origines de ce modèle, voir la mise au point de Dumont 1995.

13 Sur le rapport entre cette théorie de la contingence et la question du libre-arbitre, voir Dumont 1992. Nous avons tenté une analyse de l’influence de ce modèle dans les théories modernes de la liberté d’indifférence dans Schmutz 2002.

14 Cf. Lovejoy 1936. Cette interprétation de l’aristotélisme a été proposée par Hintikka 1973, et elle a été appliquée pour décrire la logique modale de l’aristotélisme médiéval dans les études réunies par Knuuttila 1981. Pour une critique de la lecture d’Aristote par Hintikka, voir notamment l’étude de Van Rijen 1989.

15 Cf. à titre d’exemple le témoignage du dominicain renaissant Soncinas 1579, 293b (In XII Met., q. 20) : « […] Dupliciter dicitur aliquid esse possibile : uno modo secundum aliquam potentiam, sicut possibile est Sortem moveri, quia habet aliquam potentiam motivam. Alio modo ex non repugnantia terminorum, ut dicitur V et IX Met. ». L’expression se trouve encore dans l’Allemagne du XVIIIe siècle : voir Kant – Festugière 1967, 87.

16 Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3).

17 Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3, trad. A.-D. Sertillanges) ; ou plus succinctement Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XIII, 354b (Summa contra Gentiles II, c. 37) : « Possibile autem fuit ens creatum esse, antequam esset, per potentiam agentis, per quam et esse incoepit, vel propter habitudinem terminorum, in quibus nulla repugnantia invenitur ». L’analyse du possible chez Thomas d’Aquin a fait l’objet d’un travail très complet par Stolarski 2001.

18 Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XI, 171b (Summa Theologiae IIIa, q. 13, a. 1, in corp.) : « < Deus > habet potentiam activam respectu omnium quae possunt habere rationem entis, quod est habere omnipotentiam » ; Thomas d’Aquin 1886-…, XIII, 329b (Summa conta Gentiles II, c. 25) : « […] Deus dicatur non posse quidquid est contra rationem entis, inquantum est ens ». À titre d’exemple d’une paraphrase moderne de ce passage, qui fait aussi équivaloir habere rationem entis à esse possibile : voir Suárez – Vivès 1856-1861, I, 227b (Prima pars Summae Theologiae de Deo uno et trino…, III, c. 9, § 14) : « […] comprehendi sub illo quidquid habere potest rationem entis, utique possibilis ».

19 Comme on le trouve par exemple dans une Physique parisienne anonyme de 1273, éditée par Zimmermann 1968, 25 : « Deus potest omne quod habet rationem possibilis simpliciter ».

20 Cf. par exemple Honnefelder 1997, 283 : « […] eine Welt von “absolute possibilia” wie sie Scotus in dieser Form erstmals eingeführt hat ».

21 Cf. Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 53 (De Trinitate, § 8) : « Possibilitas igitur materialium potentia est efficientis vel creatoris, nisi fortasse possibilitas dicatur in eis privatio prohibitionis sui esse, quaedam enim prohibent suum esse ut chimaera, in cuius intentione clauditur contrarietas naturarum non compatientium se. Homo vero, cum consideratus fuerit in se, non invenies in intentione eius, quod prohibeat suum esse, eo quod de intentione naturarum, quae in eo conveniunt, non sit in eis discrepantia aut repugnantia », un passage souligné par Solère 2000, 281 ; Guillaume d’Auxerre, Summa aurea I, app. 26, I, 325.

22 Cf. Duns Scot – Vat. 1950-…, VI, 343 (Ordinatio I, dist. 42, q. un., § 9) : « […] prout omnipotens dicitur qui potest in omnem effectum et quodcumque possibile (hoc est in quodcumque quod non est ex se necessarium nec includit contradictionem)… » ; ibid., 354 (Ordinatio I, dist. 43, q. un., § 7) : « Possibile, secundum quod est terminus vel obiectum omnipotentiae, est illud cui non repugnat esse et quod non potest ex se esse necessario » ; et pour l’invocation de Métaphysique Δ 12, voir ibid., II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262).

23 Aristote, Métaphysique Δ 12, 1019a20 sq.

24 Ibid., 1019a15.

25 On doit notamment à Guillaume d’Auvergne de rappeler une ingénieuse nomenclature, qui tout en définissant toujours la « possibilité » comme une puissance passive apte à recevoir les influences (impressiones) des puissances actives, différencie entre le règne naturel, moral et rationnel : Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 54 (De Trinitate, § 8) : « Quidam tamen potentiam in naturalibus, potestatem in moralibus, possibilitatem in rationalibus, magis quidem secundum euphoniam, quam secundum analogiam, assignaverunt ». Voir également les formules de l’Avicenna Latinus – Van Riet 1977-1980, I, 195-196 (Liber de philosophia prima IV, c. 2) : « Deinde < philosophi > postquam invenerunt rem quae habet potentiam secundum communem usum, sive sit fortitudo sive vehementia potentiae, cum autem non est condicio illius potentiae ut ex ea sit agens in effectu, sed, inquantum est potentia, habet possibilitatem agendi et possibilitatem non agendi, transumpserunt nomen potentiae ad possibilitatem. Rem igitur quae est in termino possibilitatis dixerunt esse in potentia, et possibilitatem recipiendi et suae passibilitatis vocaverunt potentiam passibilitatis. Deinde perfectionem huis potentiae vocaverunt actum, quamvis non sit actus sed passio, sicut motio et figuratio et alia huiusmodi (c’est nous qui soulignons) ».

26 Aristoteles Latinus – Vuillemin-Diem 1976, 109-110 (Métaphysique D 12, 1019b27-35) : « […] possibile, quando non necesse fuerit contrarium falsum esse, ut sedere hominem possibile ; non enim ex necessitate non sedere falsum. Ergo possibile quidem uno modo, sicut dictum est, quod non ex necessitate falsum significat, alio uero uerum esse, alio contingens ».

27 Ibid., 110 (1019b35) : « Hec quidem igitur possibilia non secundum potentiam. Que uero secundum potentiam omnia dicuntur ad primam unam… ».

28 Ibid., (1019b31-32).

29 Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « […] possibile, secundum quod dictum est de possibili, fundatum est super verum. Idem enim est “possibile” quod “potens esse verum” ».

30 Cf. Thomas d’Aquin – Marietti 1950, 258b (In libros Metaphysicorum, V, § 971) : « Ideo cum dicit “alio modo”, ponit alium modum, quo dicuntur aliqua impossibilia, non propter privationem alicuius potentiae, sed propter repugnantiam terminorum in propositionibus. Cum enim posse dicatur in ordine ad esse, sicut ens dicitur non solum quod est in rerum natura, sed secundum compositionem propositionis, prout est in ea verum vel falsum ; ita possibile et impossibile dicitur non solum propter potentiam vel impotentiam rei : sed propter veritatem et falsitatem compositionis vel divisionis in propositionibus ».

31 Aristote, Métaphysique, Δ 12, 1019b24-26.

32 Guillaume d’Auxerre – Ribailler 1980, I, 326 (Summa aurea I, app. 26) : « Sicuti est triplex veritas, scilicet rei et dictionis et prima veritas, et in quacumque istarum veritatum enunciabile sit verum et sit simpliciter verum, sicut patet in hoc enunciabili : mundum fuisse futurum, quod fuit verum ab eterno, non prima vel secunda veritate, sed tertia tantum. Ita triplex est possibilitas : possibilitas rei et possibilitas dictionis et possibilitas primi potentis, et quacumque istarum aliquod enunciabile est possibile, simpliciter possibile ».

33 Ibid. : « Hoc enim est possibile Deo, et tamen non simpliciter possibile, quia cum dicitur possibile simpliciter, dicitur possibile a potentia formali, sicut prius dictum est ». Sur l’analyse du possible chez Guillaume d’Auxerre, voir Solère 2000, 279-280 pour ce passage.

34 Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 293a (Summa Theologiae Ia, q. 25, a. 3) ; Thomas d’Aquin – Marietti 1949, 14a (De potentia, q. 1, a. 3) ; ibid., 95a (q. 3, a. 17, ad 10) : « […] quod antequam mundus esset, possibile erat mundum fieri, non quidem aliqua potentia passiva, sed solum per potentiam activam agentis. Vel potest dici, quod fuit possibile non per aliquam potentiam, sed quia termini non sunt disco-haerentes, huiusmodi scilicet propositionis : Mundus est. Sic enim dicitur esse aliquid possibile secundum nullam potentiam, ut patet per Philosophum in V Met. » La même opposition se retrouve chez Durand de Saint-Pourçain 1563, 95vb (In I Sententiarum, dist. 42, q. 2, § 9), qui oppose les « possibilia secundum potentiam activam vel passivam » au « possibile absolute secundum habitudinem terminorum qui sibi invicem non repugnant ».

35 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 282 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 2, q. 1-4, § 262) : « Dico quod possibile logicum differt a possibile reali, sicut patet per Philosophum V Met., cap. de potentia. Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intellectu, cuius termini non includunt contradictionem, et ita possibilis est haec propositio : “Deum esse”, “Deum posse produci” et “Deum esse Deum” ; sed possibile reale est quod accipitur ab aliqua potentia in re sicut a potentia inhaerente alicui vel terminata ad illud sicud at terminum. » Le syntagme de possibile logicum, dont la paternité est jusqu’à preuve du contraire attribuée à Jean Duns Scot, comme l’avait déjà remarqué le travail pionnier de Faust 1932, 239 sq. ; à compléter par Deku 1956 ; Pape 1966, 36-37, est donc tout au plus une invention terminologique, et non proprement conceptuelle, contrairement à ce que suggère aujourd’hui une historiographie influente, représentée principalement par les travaux de Knuuttila 1981 ; Knuuttila 1982, 354-355 ; Knuuttila 1996, ainsi que par ceux de Honnefelder 2002 ; Söder 2001. Solère 2000, 275-281, démontre qu’un tel concept est déjà en germe dans les discussions de la toute-puissance dans les grandes sommes du début du XIIIe, notamment chez Guillaume d’Auvergne et Guillaume d’Auxerre. Notons enfin que l’historiographie du début du XXe siècle, ignorante du Moyen Âge, par exemple Pichler 1912, attribuait encore la paternité du concept d’une « pure possibilité logique » à Leibniz !

36 Cf. Duns Scot – OPh. 1997, IV, 520 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 33) : « […] potentia logica, quia illa quantum est de se posset esse sine activa […] ».

37 Pour reprendre une expression française de Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II, 55 (Lettre à Arnauld, 14.VII.1686). L’expression traduit la formule scolastique du pure ou encore mere possibile, qui n’est pas médiévale mais bien typique de la scolastique moderne : on la trouve par exemple très précisément définie avec le concept de « monde purement possible » par Mauro 1670, 167 (Quaestiones de praedicamentis, q. 47) : « Possibile strictissime, seu mere possibile est, quod neque est impossibile, neque necessarium, neque existens pro ulla differentia temporis. In hoc sensu alter mundus est pure possibilis, quia ita potest esse et non esse, ut nunquam sit extiturus. » ; Izquierdo 1659, I, 269b (Pharus Scientiarum, disp. 11, q. 1, § 9) : « Quod in praesenti controvertitur, est in quo consistat re ipsa possibile metaphysice, quod absolute et simpliciter tale est, praesertim, quod pure est possibile, aut saltem cum praecisione a sua absoluta existentia iudicatur possibile, seu, quod idem est, quae fundamenta dentur ex parte rerum, ut vere dicantur possibilia (c’est nous qui soulignons) ».

38 Cf. sur ce point quelques exemples dans Schepers 1963, 902-903.

39 Une fois de plus jusque Leibniz – Gerhardt 1875-1890, II, 316 (De causa Dei) : « […] Omnia possibilia, seu quae non implicant contradictionem ».

40 Telle avait été la thèse au centre du travail de Faust 1932 ; Solère 2000, 273 parle également d’une « décosmologisation radicale du concept de possible » dans la métaphysique médiévale, et Söder 2001 a caractérisé la doctrine aristotélicienne comme une « cosmo-logique » par opposition à l’« onto-logique » développée (selon lui) principalement par Duns Scot.

41 Cf. Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, XIII, 295b (Summa conta Gentiles II, c. 15).

42 Cf. Aristote – Tricot 1991, 260 (Métaphysique Z 7, 1032a20-22) : « … tous les êtres qui sont engendrés, soit par la nature, soit par l’art, ont une matière, car chacun d’eux est capable à la fois d’être et de ne pas être, et cette possibilité, c’est la matière qui est en lui ».

43 Averroes Latinus – Zedler 1961, 117 (Destructio Destructionum, disp. 1) : « Nam possibilitas hic est intellectualis, sicut est ante mundum apud Philosophos ». Signalons que la question des « mondes possibles » dans la cosmologie averroïste et dans la « scolastique » arabe a fait l’objet des études récentes de Kukkonen 2000 et 2001.

44 Thomas d’Aquin – Marietti 1949, 39b (De potentia, q. 3, a. 1, ad 2) : « Antequam mundus esset, dicitur possibile fieri mundum, quia non erat repugnantia inter praedicatum enuntiabilis et subiectum », avec le même argument en ibid., 95a (De potentia, q. 3, a. 17, ad 10) ; Thomas d’Aquin – Leon. 1886-…, IV, 479a-b (Summa Theologiae Ia, q. 46, a. 1, ad 1) : « Antequam mundus esset, possibile fuit mundum esse, non quidem secundum potentiam passivam, quae est materia ; sed secundum potentiam activam Dei. Et etiam secundum quod dicitur aliquid absolute possibile, non secundum aliquam potentiam, sed ex sola habitudine terminorum, qui sibi non repugnant ; secundum quod possibile opponitur impossibili, ut patet per Philosophum, in V Met. » À noter que la traduction très néo-scolastique du P. A.-D. Sertillanges rend ces passages en utilisant l’expression de « monde possible » : « On parle d’un monde possible avant le monde réel ». Que la possibilité du monde soit « activement » dans le Créateur est une formule classique, utilisée par Guillaume d’Auvergne, mais sans la corréler encore systématiquement à la puissance logique : Guillaume d’Auvergne – Switalski 1976, 54 (De Trinitate, § 8) : « Possibile namque fuit mundum esse antequam mundus esset, sed possibilitas ista fuit potentia creatoris […] quoniam et de materia et de forma primitivis verum est, quod possibile fuit ipsas esse antequam essent ».

45 Duns Scot – Oph. 1997, IV, 514 (In IX Metaphysicorum, q. 2, § 18) : « […] illa potentia < scil. logica > est modus quidam compositionis factae ab intellectu, causatus ex habitudine terminorum illius compositionis, scilicet quia non repugnant. Et licet communiter correspondeat sibi in re aliqua potentia realis, tamen hoc non est per se de ratione huius potentiae. Et sic possibile fuisset mundum fore ante eius creationem, si tunc fuisset intellectus formans hanc propositionem “mundus erit”, licet tunc non fuisset potentia passiva ad esse mundi, nec etiam activa, posito hoc per impossibile, dum tamen sine contradictione posset fore potentia ad hoc activa » ; Duns Scot – Vat. 1950-…, IV, 118 (Ordinatio I, dist. 7, § 27) : « Si ante mundi creationem mundus solum non fuisset, sed per impossibile, Deus non fuisset sed incepisset a se esse, et tunc fuisset intellectus ante mundum componens hanc “mundus erit”, haec fuisset possibilis quia termini non repugnarent, non tamen propter aliquod principium in re possibili, nec propter activum sibi correspondens ».

46 Duns Scot – Vat. 1950-…, II, 136 (Ordinatio I, dist. 2, pa. 1, q. 2, § 22) : « < Propositio per se nota > dicitur per se nota quia quantum est de natura terminorum nata est habere evidentem veritatem contentam in terminis, etiam in quocumque intellectu concipiente terminos. Si tamen aliquis intellectus non concipiat terminos, et ita non concipiat propositionem, non minus est per se nota, quantum est de se : et sic loquimur de per se nota (c’est moi qui souligne). » ; ibid., VI, 296 (Ordinatio I, dist. 36, q. un., § 60) : « … Et quare homini non repugnat et chimaerae repugnat, est, quia hoc est hoc et illud illud, et hoc quocumque intellectu concipiente quia – sicut dictum est – quidquid repugnat alicui formaliter ex se, repugnat ei, et quod non repugnat formaliter ex se, non repugnat » (c’est nous qui soulignons).

47 Compton Carleton 1649, 82b (Philosophia universa, disp. 18, s. 3, § 7). Quelles qu’aient pu être les divergences de Thomas d’Aquin et de Jean Duns Scot sur d’autres questions modales, en particulier sur la définition de la contingence, les scolastiques modernes n’ont dès lors jamais vu d’opposition réelle entre ces deux grandes autorités médiévales sur la définition du possibile quoddammodo a se, appréhendable par tout intellect, comme allait l’expliquer le jésuite salmantin Lynch 1654, II, 146 (Physica, IV, tr. 2, c. 3, § 13) : « […] Non esse impossibile, quod multi dicunt, possibilitatem creaturarum non esse a Deo, sed quodammodo a se. Namque in primis id videtur manifeste tueri ac docere Angelicus Praeceptor, I p. q. 25 a. 3 (…), quibus verbis possibilitatem et impossibilitatem a se ipsis et non a Deo aliave causa esse pespicue tradit. Consentit Scotus in I dist. 43, q. un., ubi docet, rerum possibilitatem et impossibilitatem esse ex sola habitudinem terminorum et non a Deo, tametsi in esse intelligibili seu cognito sint a Deo ».

48 Sur le développement des hypothèses per impossibile ou secundum imaginationem dans la physique tardo-médiévale, voir la synthèse des recherches dans de Libera 1990, ainsi que les études de cas de Hugonnard-Roche 1991 et 1997.

49 Cf. Dullaert (?) 1523, q. 1, s.f. : « […] quod Deus potest creare infinitos mundos et admitto quod in quolibet illorum possint esse praecise 1 000 homines ».

50 Cf. Conimbricenses 1608, 119b (I, c. 9, q. 1 : « Possintne per divinam potentiam plures mundi esse, an non ? », a. 2 : « Sit igitur conclusio omnino certa : posse a Deo plures effici mundos. ») ; Suárez – Vivès 1856-1861, XXVI, 47a (Disputationes metaphysicae, disp. 29, s. 3, § 37) : « […] non enim est dubium quin Deus potuerit plures mundos efficere […] » ; Rubio 1625, I, c. 9, q. 2, 70 : « Possibiles sunt plures mundi specie ac numero distincti […] Non repugnat ex parte divinae omnipotentiae, neque ex parte rei faciendae. Ergo possibile est, utroque modo fieri plures ». Il qualifie plus haut cette position de « opinio communis et vera. » ; de même dans le camp de la scolastique franciscaine, la conclusion est la même et on y emploie aussi fréquemment le syntagme « mondes possibles », par exemple chez Punch 1672, disp. 21, q. 1, § 1, 596b : « De facto unicus tantum est mundus ; sed plures sunt possibiles » ; Jacinto de Olp 1698, 594b : « […] in productione alterius vel plurium aliorum mundorum nulla prorsus est repugnantia, vel implicantia : ergo possunt a Deo alii mundi produci ».

51 C’est ainsi qu’on le trouve par exemple chez Piccolomini 1608, II, q. 2, 277 : « Possunt viri hi sapientia splendissimi de uno et multitudine conciliari, quia nomine mundi vel intelligimus totum et universum absolute, adeo ut haec sit essentia et conditio eius, si recte sentit Divus Thomas, nam includentia contradictionem non cadunt sub potestatem, at si intelligimus perfectum et totum solum in parte, ac ut placuit opifici, sic ut unum ita plures creare valuisset, non tamen infinitos, ut recte sentit Scotus, quia repugnat numero, magnitudini, et cuilibet ex alio pendenti ut actu sit infinitum. » Cette distinction est ensuite commune : Conimbricenses 1608, 122b (I, c. 9, q. 1, a. 2) : « Universum bifariam accipi : nunc pro omnium rerum creatarum, quae uspiam sunt, complexu, quo modo unum duntaxat universum dari potest, cuius partes forent plures mundi si extarent : nunc pro iis tantum, ex quibus unus aliquis mundus coagmentatur ; quo pacto non repugnat plures rerum universitates, eiusdem imperii provincias, a Deo condi. » ; Garnier ca. 1650, 126-127 : « Quaeritur an unicus sit tantum mundus. Mundi nomine intelligi potest vel haec machina cuius in medio sumus, vel universum formaliter quam universum. Implicat contradictionem duos esse mundos, si nomine intelligatur universum, nam impossibile est ut duo sint quorum unum quodque. Sed id omne quod est, at universum est omne quod est. Fieri potest ut duo sint aut plures mundi, si hoc nomine intelligatur talis machina ex caelestibus et elementaribus corporibus constans, quae deserviat homini mortali. » ; Punch 1672, disp. 21, q. 1 (« An mundus sit unus ? »), § 1, 596b : « Si caperemus mundum pro universitate rerum corporearum, quae de facto fuerint, sunt et et erunt, certum est mundum esse unum : illa enim universitas est una ; posset tamen in hoc sensu dari alius mundus, quia alia universitas rerum posset esse. Item si caperemus mundum pro universitate omnium rerum corporearum possibilium, adeo mundus esset unus, ut nec essent plures possibiles ».

52 Rubio 1625, 73 (Commentarii in libros Aristotelis Stagiritae de caelo et mundo, I, c. 9, q. 3) : « […] Valde probabile censeo, posse Deum sua potentia absoluta producere alios et alios mundos perfectiores, secundum numerum et speciem in infinitum, ita ut quibuscunque productis possit novos alios, ac distinctos utroque modo producere. […] Ex hoc enim sequitur possibiles esse alios mundos in infinitum perfectiores. Nam sicut possunt aliae creaturae perfectiores in infinitum produci a Deo, ita possunt diversis modis sub eo, ac inter sese ordinari, ita ut quaelibet data ordinatione, possit dari alia perfectior in infinitum, et proinde alius, atque alius mundus perfectior sine termino, quia mundus non est aliud, quam ordinatio diversarum creaturarum sub uno principio ac inter sese ». Ce qui sépare ici Rubio de Leibniz est l’émergence d’un nouveau paradigme théologique, celui de la « nécessité morale de Dieu à créer le meilleur des mondes possibles », dont l’histoire a été remarquablement retracée par Knebel 2000.

53 Rubio 1625, 71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod vero non repugnet fieri plures mundos eiusdem speciei probatur, quia nulla potest ostendi repugnantia in eo, quod fiat aliud elementum terrae eiusdem speciei cum isto ».

54 Rubio 1625, 70 (I, c. 9, q. 2) : « […] Ordo huius mundi consistit in situ corporum gravium et levium sub caelo. Sed poterit Deus producere alios caelos habentes alias virtutes et influentias, ita ut sine motu, vel medio alio motu diverso valde operentur, atque etiam alium numerum elementorum, seu corporum simplicium, quae sub caelo illo contenta haberent naturas et conditiones, potentiasque motivas diversas a gravitate et levitate et alio modo longe diverso ordinarentur inter sese et cum caelo, in quo nulla potest excogitari repugnantia alicuius momenti : ergo possibiles censendi sunt plures mundi specie diversi ».

55 Rubio 1625, 70-71 (I, c. 9, q. 2) : « Quod cum hac sola limitatione intelligendum censeo, ut ex parte speciei humanae (eo modo, quoad mundum pertinet) non sit possibile, quod fiant plures mundi specie distincti, quia non videtur mihi possibile fieri alium hominem specie distinctum ».

56 Cette hypothèse a déjà été avancée par Knebel 1991a, 13 et Ramelow 1997, 57, 469 sq. qui qualifie le discours sur les mondes possibles de « Epiphänomen des scientia-media-Diskurses ». La scientia media a donné lieu à une immense littérature, tant pour reconstruire ses origines, ses développements au cours du XVIIe chez divers théologiens, son rôle de détonateur des fameuses querelles de auxiliis (voir à ce propos l’article toujours essentiel de Vansteenberghe 1929), ses implications pour le traitement du problème philosophique de la vérité des futurs contingents (par exemple Craig 1988), ou encore sur sa plausibilité dans la théologie contemporaine (par exemple Dekker 2000, avec une importante bibliographie). Sur ses origines dans l’aristotélisme portugais du XVIe siècle, voir le travail de recherche remarquable de Reinhardt 1965 ; pour une analyse historique précise de l’imposition de son discours, voir les études incontournables tant du point de vue historique que conceptuel de Knebel 1991b ; Knebel 2000 ; Ramelow 1997. Pour une analyse précise de la position de Suárez à son égard, voir Sagüés 1948.

57 Molina – Rabeneck 1953, 340 (Concordia, IV, disp. 52) ; trad. dans Aubin 2002, 368.

58 Sur cette question, voir la reconstruction de Knebel 2000.

59 Sur la dépendance de ce modèle moliniste à l’égard du concept scotiste de contingence, voir l’exposé de Molina – Rabeneck 1953, 155-156 (q. 14, a. 13, disp. 24 : « Utrum voluntas, in quo temporis puncto aliquid vult, libera sit ad illud idem volendum nolendumve, et e contrario »). La proximité des vues de Molina avec certaines propositions de Scot a été étudiée en détail par Dekker 1995.

60 Cicéron, De divinatione I, lv, 125 : « Fatum […], id est ordinem seriemque causarum ».

61 Cf. Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 106 (Théodicée, § 8) : « J’appelle monde toute la suite et toute la collection de toutes les choses existantes, afin qu’on ne dise point que plusieurs mondes pouvaient exister en différents temps et différents lieux » ; Leibniz – Ak. 1923-…, VI/4, 1378 (Conversatio cum D. Stenone) : « Sed causa ejus prima est eadam quam seriei, nempe idearum in intellectu divino constitutarum et rerum possibilium naturam exprimentium constitutio talis, ut optimum sit in summa hanc potius quam illam seriem eligi ».

62 Cf. Suárez – Gonzales Rivas 1948, 122 (Quaestio utrum Deus certa et infallibili scientia praecognoscat quid unaquaequae voluntas libere effectura essent in quocumque eventu et in quisbuscumque circumstancis, etiam in iis effectibus qui de facto non sunt futuri, composé durant les premières années du professorat de Suárez à Alcalá, v. 1585-1589) : « Nam, supposita illa praescientia, optime intelligimus ex infinitis hominibus et angelis et mundis possibilibus quos Deus cognovit in sua simplici intelligentia, mere gratis et voluntarie, sine ulla alia causa, decrevisse aeternum regnum et ecclesiam triumphantem ad gloriam suam creare ex Christo, iis hominibus et iis angelis constantem ; et ad hunc finem assequendum, ex innumeris rationibus et modis possibilibus, quos cognoscebat, elegisse hunc, scilicet, creationem huius mundi, cum his hominibus, his angelis, his auxiliis et aliis rebus, et conservare illum et gubernare tali modo quo infallibiliter perveniret ad illum numerum electorum […] » Ce passage avait déjà été relevé par Knebel 1991a, 13, qui signale également Ruiz de Montoya 1629, 823 : « […] supponendo possibiles esse creaturarum series et coordinationes infinitas, non solum in aliis mundis infinitis possibilibus, sed etiam in hoc unico mundo ».

63 Cf. par exemple Arriaga 1669, 521b (Disputationes physicae, disp. 14, s. 14, § 129, 521b) : « … posse a Deo creari alium mundum continguum huic, quod verum omnino est ».

64 Cf. par exemple Hurtado de Mendoza 1635, 596r-596v (Disputationes de Deo, disp. 29, § 97), dans Schmutz 2003, II, 650 : « Haec secunda consequentia videtur clara. Tres enim sunt status in quibus possit concipi mundus ut distinctus a Deo : status mundi secundum se, status mundi ut non existentis, status mundi ut existentis […] Pro illo priori < 596v > mundus non fuit non existens realiter, nec existens realiter, quia in eodem signo visus est alius mundus qui non existit realiter, visi sunt ergo mundi ut praecisi ab existentia et non existentia exercita ».

65 Aristote, Catégories, 5, 4b9-11.

66 Leibniz – Gerhardt 1875-1890, VI, 362 (Théodicée, § 414).

67 C’est par exemple la position de Caramuel Lobkowitz 1642, § 2772 : « Respondeo nihilominus quaestio, eodem plus minus sensu esse verum dicere, Antichristum nunc esse futurum, ac dicere, Novos mundos nunc esse possibiles, ratio est quia quando dicimus nunc esse alterum mundum affectum possibilitate ; sed dicimus, vel hoc instans non habere repugnantiam aut incompossibilitatem cum existentia alterius mundi ; vel existentiam alterius mundi secundum sua praedicata essentiala non esse incompossibilem cum hic instanti : unde haec et similes assertiones admittendae sunt in sensu negativo potius quam positivo ; quia dicere alterum mundum non habere repugnantiam ut nunc existat. Mundus igitur qua nunc possibilis non est mundus affectus relatione possibilitatis connotante hoc nunc temporis, sed est mundus carens repugnantia et impossibilitate existendi in hoc nunc. Male ergo diceretur esse possibilis nunc positive ; bene tamen nunc negative : quoniam si possibilitatem respicimus, impossibilis non est ; si illud nunc contemplamur ; illud mundus possibilis non connotat, sed nec habet repugnantiam et incompossibilitatem cum illo. La doctrine des « mondes possibles » de Caramuel a fait l’objet d’une étude par P. Dvořák 2000, ainsi que quelques indications sur le contexte de ce passage dans Schmutz 2001.

68 Cf. par exemple Sémery 1686, I, 522 : « Nos cohaerenter ad ea, quae dicturi sumus in libris Perihermeneias, dicimus hanc propositionem : Alter mundus est possibilis, esse necessario veram absque eo quod existat ipsius verificativum. Verificatur autem haec propositio per obiectum ipsius, quod non est, sed potest esse, sicut v.g. haec alia : Antichristus peccabit, verificatur per peccatum quod non est, sed erit. Ipsa igitur non repugnantia praedicatorum ex quibus constat mundus est et verificativum propositionis Mundus est possibilis et eiusdem mundi possibilitas ».

69 Notamment depuis l’ouvrage classique de Lewis 1973, dont une partie consacrée aux « mondes possibles » est reprise dans Loux 1979 ; sur cette tradition, voir la synthèse récente de Girle 2003.

70 Voir notre thèse de doctorat : Schmutz 2003.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacob Schmutz, « Qui a inventé les mondes possibles ? »Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 42 | 2005, 9-45.

Référence électronique

Jacob Schmutz, « Qui a inventé les mondes possibles ? »Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 42 | 2005, mis en ligne le 07 mars 2023, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/2061 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.2061

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Auteur

Jacob Schmutz

Université Paris Sorbonne – Paris-IV

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