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Tocqueville libéral et républicain, sociologue et historien

Sauver l’honneur ? Tocqueville, sociologue et critique de la démocratie (trop) ordinaire

Philippe Chanial
p. 247-268

Texte intégral

  • 1 Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1835, désormais cité DA I], Œuvres, Paris, G (...)

Un embarras survient sur la voie publique, le passage est interrompu, la circulation est arrêtée ; les voisins s’établissent aussitôt en corps délibérant ; de cette assemblée improvisée sortira un pouvoir exécutif qui remédiera au mal, avant que l’idée d’une autorité préexistante à celle des intéressés se soit présentée à l’imagination de personne1.

1Cette anecdote, réelle ou fictive, rapportée, romancée ou inventée par Tocqueville est à bien des titres exemplaire du regard et de l’étonnement de l’auteur face à la démocratie américaine. Cette chronique démocratique d’un embouteillage malencontreux semble condenser en quelque sorte le mystère américain que Tocqueville tente de percer. Cette énigme pourrait être ainsi formulée : d’où vient cette capacité sans égal des Américains à s’assembler, en tous lieux, à tout moment, à toutes occasions qu’il s’agisse de décider de bâtir une église, de discuter le plan d’une école ou d’une route, de lutter contre l’intempérance, etc. ? Ou, plus largement, comment expliquer cette facilité et cette spontanéité avec laquelle les citoyens américains pratiquent quotidiennement la démocratie ? Pourquoi est-elle, en Amérique, une pratique ordinaire, somme toute banale ?

  • 2 Tocqueville, DA I, p. 44.

2À ces questions, Tocqueville semble apporter une première réponse. En Amérique, la démocratie constitue un « état naturel », pour des raisons à la fois historiques et anthropologiques. Ce qui le frappe d’abord en Nouvelle-Angleterre, c’est la vitalité sans égal de l’activité politique qui y règne. La Nouvelle-Angleterre n’est-elle pas une nouvelle Athènes ? N’est-ce pas en effet « sur la place publique et dans le sein de l’assemblée générale des citoyens que se traitent, comme à Athènes, les affaires qui touchent aux intérêts de tous »2 ? Si la démocratie est si vivante en Amérique, c’est d’abord parce qu’elle y constituerait une réalité locale, concrète et surtout sensible, une forme de vie. Le principe de la souveraineté du Peuple n’y est point un dogme philosophique, mais une pratique incarnée si naturellement dans les mœurs des Américains que ceux-ci, tel Monsieur Jourdain, s’y adonneraient sans même le savoir (La démocratie ordinaire en Amérique ou la vertu naturalisée).

3Pourtant ce tableau vertueux d’une démocratie devenue seconde nature n’est pas pour Tocqueville sans ombres. Cette naturalité, cette banalité de la démocratie en Amérique n’a-t-elle pas pour envers sa trivialité, voire même sa médiocrité ? Si les Américains pratiquent quotidiennement la démocratie, n’est-ce pas avant tout portés par l’amour éclairé d’eux-mêmes et de leurs intérêts ? Tocqueville semble ainsi soupçonner ce dévouement au bien commun de reposer sur d’étroits calculs. Sous le masque de la vertu, sous les apparences d’une République résolument et ardemment civique, n’aurait-il pas découvert une République grossièrement utilitaire, où la passion du bien-être, corrigée par cette doctrine « peu haute », la doctrine de l’intérêt bien entendu, constituerait l’aiguillon presque exclusif des pratiques civiques (La démocratie ordinaire en Amérique ou le règne de l’intérêt) ?

  • 3 Si cette question est pertinente pour interroger l’œuvre de Tocqueville, alors on ne pe (...)

4Pour autant, cet utilitarisme ordinaire constitue-t-il le destin implacable de la démocratie en Amérique comme ailleurs ? Si la vertu ne suffit pas, si elle est toujours problématique en démocratie, l’intérêt ou la passion du bien-être ne peuvent constituer pour Tocqueville qu’un fondement grossier et illusoire à la liberté démocratique. Cette espèce de passion, note-t-il dans l’Ancien Régime et la Révolution, n’est-elle pas par ailleurs comme « la mère de la servitude » ? Peut-on alors réenchanter – et comment ? – cette démocratie décidément trop ordinaire, la sauvegarder de cette dégradation utilitaire pour l’ouvrir à de plus nobles desseins, à des finalités et des valeurs plus hautes. Bref comment sauver l’honneur en démocratie3 ? (Ordinaire le libéralisme aristo-démocratique de Tocqueville, trop ordinaire ?).

La démocratie ordinaire en Amérique ou la vertu naturalisée

  • 4 Tocqueville, DA I, p. 65.

Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institution communale une nation peut bien se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté4.

  • 5 Michaël Sandel, « The Political Theory of the Procedural Republic », Revue de métaphy (...)

5Telle serait, selon le théoricien républicain Michaël Sandel5, la découverte que fit Tocqueville lors de sa visite en Nouvelle-Angleterre. Aux origines de la République américaine, la liberté civile était avant tout publique, indissociable de formes décentralisées de participation et d’association politique, comme dans ces associations que constituaient notamment les communes. L’exercice de la vertu civique était alors considéré comme l’instrument principal de la préservation et de l’approfondissement de la liberté et la participation la vie publique comme un apprentissage quotidien de la citoyenneté.

La République en Amérique comme « état naturel »

  • 6 Selon l’heureuse formule de Marcel Gauchet, « Tocqueville, l’Amérique et nous », Li (...)
  • 7 Tocqueville, DA I, p. 75.
  • 8 Comme le souligne Hannah Arendt (Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1985 , (...)

6L’argument de Tocqueville se présente en effet d’abord comme un argument historique. La démocratie peut y être définie comme naturelle au sens où, en vertu du « privilège du commencement »6, elle constitue pour Tocqueville l’état originaire des anglo-américains. Le berceau de la démocratie américaine, c’est le système communal. « La souveraineté du peuple dans la commune est, note Tocqueville, non seulement un état ancien, mais un état primitif »7. Si l’auteur trouve ainsi l’épure de la démocratie américaine, son principe, sa source, en bas, c’est parce qu’aux États-Unis la révolution a commencé en bas de la société et non à son sommet8. La longue tradition d’autonomie des communes, la longue pratique des associations faisaient de la république démocratique une réalité locale, fortement enracinée dans les esprits et les mœurs. C’est donc dans l’indépendance des communes, dans cet « esprit communal », que la vie politique américaine a pris naissance. L’esprit public de l’Union n’est alors en quelque sorte qu’un prolongement du patriotisme communal. D’où cette formule bien connue de Tocqueville :

  • 9 Tocqueville, DA I, p. 61.

La révolution démocratique éclata. Le dogme de la souveraineté du peuple sortit de la commune et s’empara du gouvernement9.

7Si Tocqueville peut suggérer que la République – cette « action lente et tranquille de la société sur elle-même » – constitue l’état naturel des anglo-américains, c’est aussi, en un autre sens, parce qu’elle y constitue une réalité sensible et concrète. Cette naturalité de la république résulte pour l’auteur du fait que son principe générateur, le dogme de la souveraineté du peuple, y est non seulement proclamé par les lois, mais surtout reconnu par les mœurs et mis en œuvre spontanément dans les pratiques les plus quotidiennes. Tocqueville souligne ainsi combien « l’habitant des États-Unis apprend dès sa naissance qu’il faut s’appuyer sur soi-même pour lutter contre les maux et embarras de la vie » (ibid., p. 213), à se défier des autorités constituées pour n’y recourir que lorsqu’il n’est pas possible de s’en passer. Ceci commencerait d’ailleurs dès l’école, où les enfants mettent spontanément en pratique ce principe républicain de l’auto-gouvernement, lorsqu’ils « se soumettent, dans leurs jeux, à des règles qu’ils ont établies et punissent entre eux des délits par eux-mêmes définis » (ibid.). D’une façon générale, ce dogme de la souveraineté du peuple régit quotidiennement la plupart des actions humaines :

  • 10 Ibid., p. 462.

le père de famille en fait l’application à ses enfants, le maître à ses serviteurs, la commune à ses administrés, la province aux communes, l’État aux provinces, l’Union aux États10.

Si la démocratie, selon la formule fameuse de La démocratie en Amérique, a brisé cette longue chaîne qui, en aristocratie, remontait du paysan au roi et mis chaque anneau à part, le principe de la souveraineté du peuple, « dernier anneau d’une chaîne d’opinions qui enveloppe le monde anglo-américain tout entier », permet de restaurer un sens de la communauté entre des individus qu’aucune structure hiérarchique ne réunit plus. C’est donc parce que ce dogme républicain de la souveraineté du Peuple y est en quelque sorte naturalisé, parce que l’idéal de self government y est immédiatement pratique, que la démocratie quotidienne en Amérique peut se prolonger vertueusement et soutenir des institutions politiques libres, tant au niveau local que fédéral.

  • 11 Albrecht Wellmer, « Modèles de la liberté dans le monde moderne », Critique, nº 505 (...)

8Les formes concrètes de cette « liberté communautaire »11 se déduisent de ce principe du self-government. Ainsi du processus électoral, qui rapproche ponctuellement des individus qui seraient sinon restés étrangers les uns aux autres ; des vertus du gouvernement local, qui permet de démultiplier les occasions pour que les citoyens agissent ensemble, au plus près de leurs préoccupations quotidiennes, afin qu’ils puissent sentir tous les jours leur dépendance réciproque ; des bienfaits de la liberté de la presse grâce à laquelle, par un simple journal, est déposée « au même moment dans mille esprits la même pensée » ; de cette institution originale que constitue le jury populaire etc.

9Enfin, et surtout, des associations :

  • 12 Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1840, désormais cité DA II], Œuvres, Par (...)

Les sentiments et les idées ne se renouvellent, le cœur ne s’agrandit et l’esprit humain ne se développe que par l’action réciproque des hommes les uns sur les autres12.

  • 13 Comme les institutions communales que Tocqueville qualifie d’« associations » (DA I (...)

Et, poursuit Tocqueville, en démocratie, « c’est ce que les associations seules peuvent faire ». En ce sens, les associations13 sont autant d’écoles de la démocratie où les citoyens « apprennent à soumettre leur volonté à celle de tous les autres, et à subordonner leurs efforts particuliers à l’action commune » (ibid., p. 631), des écoles permanentes (et gratuites) où l’apprentissage de la liberté démocratique pourra s’ouvrir des petites choses (associations civiles) aux grandes (associations politiques), où la pratique de l’action en commun pourra devenir une habitude et s’inscrire durablement dans les mœurs. La nature de leurs objets, commerciale, religieuse, morale, intellectuelle, ou de leurs revendications, graves ou futiles, générales ou particulières, importe peu pour Tocqueville. L’« art de poursuivre en commun l’objet de leur commun désir » exprime avant tout cette capacité à agir ensemble sans en appeler à l’État, à faire lien, à instituer concrètement, au quotidien, une communauté d’individus égaux. L’« esprit de liberté », l’« esprit de cité », se résument ainsi, comme l’« esprit communal », dans l’esprit associatif.

  • 14 « Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère, le (...)
  • 15 Robert Legros, L’idée d’humanité, Paris, Grasset, 1990, chap. 3.

10Cette interprétation républicaine de l’analyse tocquevillienne permet de justifier ce statut matriciel que l’auteur attribue aux pratiques associatives en démocratie14. Dans une société qui ne reconnaît plus aucune hiérarchie naturelle, dans une société libérée de son organicité, ne reposant plus que sur la volonté autonome des individus au sein d’une société civile égalitaire, le cœur, le poumon de la démocratie se situerait dans ses formes infra-institutionnelles. Expression de cette sociabilité démocratique où s’unissent pratiquement l’indépendance individuelle et le souci du bien commun, l’association incarnerait cette forme pure, presque cristalline de la liberté démocratique. Et s’y résumerait la démocratie en acte, une démocratie vivante, une démocratie « naturalisée »15.

Un nouveau régime de sensibilité : pitié naturelle et sympathie démocratique

  • 16 Tocqueville, DA II, p. 711.
  • 17 Bref en agissant sur « cette grande inégalité de l’homme et de la femme qui a sembl (...)

11Si la démocratie, ainsi incarnée dans les mœurs, constitue bien l’état naturel des anglo-américains, Tocqueville me semble suggérer un dernier argument afin de rendre compte de cette naturalité de la démocratie. Il concerne le régime de sensibilité propre à la démocratie, ses « sentiments naturels », ses « habitudes du cœur ». Ainsi, dans le chapitre consacré à la famille démocratique, Tocqueville souligne combien en démocratie s’expriment spontanément ces « passions qui prennent spontanément leur source dans la nature elle-même »16, à savoir l’amour filial et la tendance fraternelle. Ce qui semble présupposer qu’à la différence de l’aristocratie, qui relèverait du registre de la convention, la démocratie serait belle et bien naturelle, au sens où elle laisserait s’exprimer les « sentiments naturels » des hommes, laisserait la nature humaine s’exprimer dans toute sa force et sa plénitude, qui est « énergie et douceur » (ibid.). Plus généralement, elle libérerait ainsi ces « élans désintéressés qui sont naturels à l’homme » (ibid., p. 636) et la douceur des mœurs qui y prévaut proviendrait de ce « sentiment de compassion généralisée pour l’espèce humaine », de « libre sympathie », de cette « bienveillance tranquille » qu’il rapporte, en référence implicite à Rousseau, à cette « pitié naturelle » qui constitue une caractéristique essentielle des mœurs et de la sociabilité démocratique. En brisant progressivement les différences qui séparent les hommes – et même les hommes des femmes17 –, la « grande révolution démocratique » conduirait ceux-ci à s’unir désormais sous la loi sensible de la sympathie, de ce sentiment naturel trop longtemps étouffé sous les poids des hiérarchies et des privilèges aristocratiques, bref à se reconnaître enfin sous le registre d’une commune humanité.

  • 18 Ibid., p. 677.

12Développons ce point. Comme ne cesse de le rappeler Tocqueville, dans les sociétés aristocratiques, société de l’altérité et de la différence, les hommes, ne partageaient pas les mêmes façons de penser et de sentir, à tel point que « c’est à peine s’ils croient faire partie de la même humanité ». Ainsi, « il n’y a de sympathies réelles qu’entre gens semblables », et comme « on ne voit ses semblables que dans les membres de sa caste »18, ce sentiment de sympathie ne peut qu’être de caractère exclusif. À l’inverse, dans les sociétés démocratiques, sociétés de l’identité, l’autre n’est jamais totalement autre. Dès lors que les rangs s’égalisent, les hommes se rapprochent et plus ils se rapprochent, plus ils deviennent et se reconnaissent comme semblables. La sympathie démocratique se caractériserait alors par son caractère spontané et inclusif.

  • 19 Tocqueville, DA II, p. 680 (nous soulignons).

Tous les hommes ayant à peu près la même manière de penser et de sentir, chacun, peut juger en un moment des sensations de tous les autres : il jette un coup d’œil sur lui-même, cela lui suffit19.

Cette capacité d’empathie n’a plus guère de limite, elle s’universalise pour s’appliquer à tout homme, conçu désormais comme un alter ego.

13Or ce sentiment de compassion, de sympathie, n’est pas pour Tocqueville sans conséquence sur cette singulière capacité des Américains à s’entraider et à agir en commun en se prêtant mutuellement concours, bref à donner corps quotidiennement à la liberté démocratique. Ainsi note-t-il :

  • 20 Tocqueville, DA II, p. 688 (nous soulignons).

lorsque les hommes ressentent une pitié naturelle pour les maux les uns des autres, que des rapports aisés et fréquents les rapprochent chaque jour sans qu’aucune susceptibilité les divise, il est facile de comprendre qu’au besoin ils se prêteront mutuellement leur aide. Lorsqu’un Américain réclame le concours de ses semblables, il est fort rare que ceux-ci le lui refusent et j’ai observé souvent qu’ils le lui accordaient spontanément avec un grand zèle20.

La sociabilité démocratique ordinaire – la façon dont les hommes se rapportent quotidiennement les uns autres –, parce qu’elle est placée concrètement sous le signe de l’égalité, libérerait ainsi des sentiments et des idéaux qui favorisent la solidarité et l’action commune, même entre inconnus ou entre étrangers.

La démocratie ordinaire en Amérique ou le règne de l’intérêt

14Cette hypothèse d’une naturalité de la démocratie qui en ferait justement une pratique ordinaire, incarnée dans les mœurs et les usages les plus quotidiens des Américains est séduisante. Pourtant, à de nombreuses reprises, Tocqueville semble douter de la spontanéité des vertus civiques ordinaires des Américains, comme de la primauté de leurs élans sympathiques. Dans ses cahiers de voyage, l’auteur, se demandant ce qui fait de l’Amérique un peuple et ce qui y sert de lien, offre une réponse qui ne laisse aucune équivoque :

  • 21 Tocqueville, Voyage en Amérique, Œuvres, A. Jardin (éd.), Paris, Gallimard (La Pléiad (...)

L’intérêt, c’est là le secret. L’intérêt particulier qui perce à chaque instant, l’intérêt qui du reste se produit ostensiblement et s’annonce lui-même comme une théorie sociale. Nous voici bien loin des républicaines anciennes, n’est-il pas vrai21 ?

De l’utilité de la vertu : la République utilitaire et sa doctrine

  • 22 Tocqueville, DA II, p. 636.

15Dans cette perspective, il faut cette fois faire l’hypothèse que Tocqueville n’est pas parti en Amérique pour y trouver quelques vestiges encore vivants du républicanisme antique ou l’épure d’une « démocratie naturelle », chimiquement pure, mais pour étudier quelle forme prend la liberté dans une société dominée par la doctrine de l’intérêt bien entendu. Car ce qui le frappe en Amérique, c’est moins l’exemplarité d’un civisme tout entier dévoué au bien commun, que cette singulière capacité des Américains à combiner la passion du bien-être et celle de la liberté, la « cupidité la plus égoïste » et le « patriotisme le plus vif ». Dès lors, ce n’est ni par le langage des droits, ni par celui de la vertu civique que l’on doit décrire la démocratie ordinaire en Amérique, mais d’abord par celui de l’intérêt. Cette matrice utilitariste y est si prégnante, note l’auteur, qu’aux États-Unis, « on ne dit presque point que la vertu est belle [mais] qu’elle est utile »22. L’« idée sublime des devoirs de l’homme », de l’oubli de soi-même appartient aux siècles aristocratiques. Elle n’a désormais plus cours. La doctrine officielle de la démocratie n’exige plus de faire le bien sans intérêt, de « se sacrifier à ses semblables parce qu’il est grand de le faire ». L’idée même de sacrifice répugne à l’esprit démocratique, sauf à démontrer que de tels sacrifices « sont aussi nécessaires à celui qui se les impose qu’à celui qui en profite ». Comme l’égalisation des conditions dispose chaque citoyen à se resserrer en lui-même, d’une façon aussi inéluctable elle porte l’esprit humain vers la recherche de l’utile. En ce sens, la doctrine de l’intérêt bien entendu, à la portée de toutes les intelligences, « s’accommodant merveilleusement aux faiblesses des hommes », sans exiger d’eux de grands sacrifices ou des vertus extraordinaires, constitue la théorie philosophique la mieux appropriée aux temps démocratiques. Dès lors que le monde n’est plus conduit par quelques individus riches et puissants, mais dominé par une classe d’origine obscure et de fortune médiocre – la classe moyenne – cette morale utilitaire, grossière et imparfaite, et son corollaire, la passion du bien-être, y est vouée à s’étendre à mesure que cette classe devient prépondérante.

  • 23 Ibid., p. 638.

Il faut donc s’attendre que l’intérêt individuel devienne plus que jamais le principal, sinon l’unique mobile des actions des hommes23.

  • 24 Tocqueville, DA II, p. 635.
  • 25 « Un américain s’occupe de ses intérêts privés comme s’il était seul au monde et, l (...)
  • 26 Tocqueville, DA I, p. 105.
  • 27 Ibid., p. 271.

16Si cette matrice utilitariste définit le cœur même de la société démocratique américaine, alors l’attachement à la patrie, la participation à la vie publique y résultent moins d’un dévouement au bien commun que d’un calcul : « l’homme en servant ses semblables se sert lui-même et son intérêt particulier est de bien faire »24. Si les Américains manifestent alternativement une passion tout aussi forte pour la liberté que pour le bien-être25, ils ne valorisent pas pour autant la liberté pour elle-même. Ils voient en elle avant tout l’instrument et la garantie de leur bien-être et la participation aux affaires publiques ne leur importe que dans la mesure où leur principale préoccupation est de s’assurer que le gouvernement leur permet d’acquérir les biens qu’ils désirent et de jouir paisiblement de ceux qu’ils ont acquis. En s’attachant aux intérêts de son pays, le citoyen américain ne s’attache en fait qu’à ses intérêts propres. Les sentiments qu’il éprouve pour sa patrie sont en fait analogues à ceux qu’il éprouve pour sa famille et, souligne-t-il, « c’est encore par une sorte d’égoïsme qu’il s’intéresse à l’État »26. Voyant dans « la fortune publique la sienne propre », il « travaille au bien de l’État, non seulement par devoir ou par orgueil, mais j’oserais presque dire par cupidité »27.

17La doctrine de l’intérêt bien entendu constitue bien la doctrine officielle de cette République utilitariste. Même imparfaite, voire grossière, elle y est nécessaire. Dans un pays sans histoire et sans tradition, où les hommes se connaissent à peine et ne partagent pas le sentiment du lien qui les unit, l’instinct de patrie peut à peine exister. Il doit être fondé artificiellement.

Le plus puissant moyen, et peut-être le seul qu’il nous reste, d’intéresser les hommes au sort de leur patrie, c’est de les faire participer à son gouvernement (ibid.).

  • 28 Il est tentant ici de rappeler le double sens possible du terme share, dans la form (...)
  • 29 Tocqueville, DA II, p. 637.

Telle est la fonction des lois et des institutions : il dépend d’elles « d’intéresser les hommes aux destinées de leur pays », « de réveiller et de diriger cet instinct vague de la patrie », bref d’aviver l’esprit public en parlant aux hommes le principal langage qu’ils peuvent encore entendre et comprendre, le langage de l’intérêt. En prenant une part active au gouvernement de la société28, le citoyen américain peut ainsi saisir concrètement l’influence qu’exerce la prospérité générale sur son bonheur individuel et identifier son intérêt personnel au bien commun. Ainsi, la doctrine de l’intérêt bien entendu, en incitant à ces (petits) sacrifices qu’exige l’engagement civique, à la fois retourne l’intérêt individuel contre lui-même et se sert, pour diriger les passions, de l’aiguillon même qui les excite29. Dans la République utilitaire américaine, l’avantage individuel des citoyens consiste à travailler au bonheur de tous, à être vertueux, tant la vertu est payante.

  • 30 Tocqueville, DA I, p. 276.

18Comme cette singulière vivacité de l’esprit public américain, le mystère de l’obéissance aux pouvoirs constitués et du respect pour la loi est ainsi levé. Non seulement le citoyen américain obéit à la société que parce que l’union avec ses semblables lui paraît utile, mais aussi parce que « chacun trouve un intérêt personnel à ce que tous obéissent aux lois »30. Autre énigme et singularité américaine, l’attachement à l’idée de droit ne s’explique qu’au regard de cette même matrice utilitaire. Dans une société sécularisée, où toute notion divine des droits tend à disparaître,

  • 31 Ibid., p. 274.

si vous ne parvenez pas à lier l’idée de droit à l’intérêt personnel qui s’offre comme le seul point immobile dans le cœur humain, que vous restera-t-il donc pour gouverner le monde, sinon la peur31 ?

L’association ou comment intéresser les citoyens au désintéressement ?

19On comprend mieux alors en quoi consistent les effets politiques bénéfiques du self government américain. Les bienfaits de la décentralisation sont clairement définis :

chaque citoyen des États-Unis transporte pour ainsi dire l’intérêt que lui inspire sa petite république dans l’amour de la patrie commune. En défendant l’Union, il défend la prospérité croissante de son canton, le droit d’en diriger les affaires, et l’espérance d’y faire prévaloir des plans d’amélioration qui doivent l’enrichir lui-même : toutes choses qui, pour l’ordinaire, touchent plus les hommes que les intérêts généraux du pays et la gloire de la nation.

  • 32 Tocqueville, DA II, p. 630.

20C’est, enfin, dans cette même perspective que l’on peut aussi envisager l’analyse tocquevillienne des associations. Même logique de l’intérêt au désintéressement, de la générosité payante, de ce subterfuge qui consiste à intéresser les individus aux affaires publiques en leur parlant de leurs intérêts privés. Les associations permettent tout d’abord de « tirer une multitude d’individus hors d’eux-mêmes »32, d’abord pour ces « petites affaires communes » pour lesquelles leur intérêt immédiat s’impose concrètement. Puis, par la pratique même de l’association, ils pourront acquérir, « à leur insu même, la faculté de poursuivre les grandes » (ibid., nous soulignons). C’est en ce sens que les associations civiles – et Tocqueville en donne d’ailleurs pour exemple une entreprise commerciale – facilitent les associations politiques. Pour Tocqueville, l’accord des intérêts individuels et leur concours à l’intérêt général ne va pas de soi. Dès lors, s’il insiste tant sur les bienfaits de l’association, c’est peut-être qu’à la différence d’Adam Smith, il ne croit guère à l’harmonie naturelle des intérêts individuels et à la main invisible et considère, à la lumière de l’expérience américaine, les associations comme les instruments indispensables d’une harmonisation nécessairement artificielle de ces intérêts, une « harmonisation associative ».

21Si les associations constituent autant d’école de la démocratie, ne s’y enseigne alors rien d’autre que la doctrine de l’intérêt bien entendu. On y apprend, d’expérience, que l’intérêt individuel se mêle inextricablement à l’intérêt général et qu’il y a un intérêt au désintéressement, à la vertu civique. En ce sens, l’esprit d’association, pas plus que l’état républicain, n’est naturel aux peuples démocratiques.

  • 33 Tocqueville, Notes et variantes, Œuvres, t. II, p. 1115.

Si les hommes des pays démocratiques étaient entièrement abandonnés à leurs instincts naturels, ils en arriveraient non seulement à ne point s’unir, mais à ne pas se connaître33.

L’association constitue bien alors la « science mère », mais non plus comme matrice et comme emblème de la liberté démocratique mais comme science appliquée propre à corriger les calculs trop frustres des citoyens utilitaires. Ce n’est que parce qu’ils y ont ainsi appris que leur intérêt personnel coïncide avec l’exercice même de leurs droits civiques, que les citoyens peuvent en quelque sorte l’oublier et parler, aussi, le langage de la vertu. Mais que l’on ne s’y trompe pas – et telle serait la découverte principale de Tocqueville – ce n’est pas la vertu, contrairement à ce qu’affirmait Montesquieu qui constitue le principe de la démocratie, mais bel et bien l’intérêt bien entendu.

Ordinaire, trop ordinaire ?

Le libéralisme artisto-démocratique de Tocqueville

22Le premier volume de la Démocratie pourrait laisser croire que Tocqueville s’accommode de cette matrice constitutive de la démocratie américaine. Il y a observé que l’intérêt faisait le lien dans la société américaine, bien davantage que la vertu civique, et qu’en associant les forces morales et l’intérêt bien entendu, les Américains n’ont pas sombré dans un égoïsme brut et sans lumières. Y règne bien davantage une sorte d’« égoïsme raffiné et intelligent ». Néanmoins, une lecture attentive du second livre de la Démocratie rend peu crédible une telle interprétation.

Prospérité et misères d’homo democraticus

23En effet, pour Tocqueville, la doctrine de l’intérêt bien entendu est, au mieux, seulement nécessaire. Parce que le siècle des « dévouements aveugles » et des « vertus instinctives » est déjà loin, elle n’est qu’un moindre mal. En aucun cas elle n’est désirable ou suffisante.

  • 34 Ibid., p. 1121.

Si la morale était assez forte à elle seule, je ne regarderai pas comme si important de s’appuyer sur l’utile. Si l’idée du juste était plus puissante, je ne parlerai pas tant sur l’idée de l’utile […]. C’est parce que je vois que la morale est faible que je veux la mettre sous la sauvegarde de l’utile34.

Il s’agit donc de sauver la morale, ou ce qu’il en reste encore. Car dès lors que, par le processus d’égalisation des conditions, l’intérêt est voué à devenir le principal mobile des actions des hommes, la doctrine de l’intérêt bien entendu peut au moins, en éclairant les hommes, leur éviter le « stupide excès » auquel pourrait se porter leur égoïsme. Il nous faut donc nous résigner à cette doctrine peu haute, comme il faut se résigner, et c’est bien la même chose, à la démocratie elle-même. Le principe (et le gouvernement) aristocratique est le principe vaincu ; le principe démocratique, le principe vainqueur. La marche de l’histoire est irréversible. Tout au plus peut-on renforcer ses effets bénéfiques et corriger ses effets les plus grossiers. Or, ce qu’il s’agit de sauver, c’est la liberté.

24Si dans le livre I, le goût du bien-être peut encore constituer un aiguillon efficace pour diriger les hommes vers le plein exercice de leur liberté politique, dans le second, maintes formules et analyses démontrent que Tocqueville, rentré de son voyage et mêlés aux turpitudes politiques de cette Monarchie de Juillet qu’il avait fuie, ne partage plus cette thèse en partie optimiste. Comme le souligne Lamberti, pour Tocqueville :

  • 35 Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, p. 234.

[…] en suivant le conseil de Guizot : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne », les Français ne se prépareront pas à un bon exercice de la liberté politique, et, tout au contraire, ils s’éloigneront de ce but35.

  • 36 Tocqueville, DA II, p. 653.
  • 37 Tocqueville, Souvenirs, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1964, t. XII, p. 30.

Les « douces vertus du commerce », prônées par Montesquieu et certains libéraux français de la Monarchie de Juillet, favorisent un matérialisme certes honnête, mais qui conduit les hommes à oublier que leur principale affaire est moins de veiller sur leur entreprise que de rester maîtres d’eux-mêmes. Considérant l’exercice de leurs droits politiques comme un « contretemps fâcheux qui les distrait de leur industrie », ils ne voient là que « jeux d’oisifs qui ne conviennent pas à des hommes graves et occupés des intérêts sérieux de la vie »36. Ils pourront certes jouir de leurs biens matériels, mais sans discernement, « comme les brutes ». Ce diagnostic terrible, dramatisé par l’auteur après 1848, constitue dans ses Souvenirs le bilan de l’échec de la Monarchie de Juillet et de la politique de Guizot, de ce gouvernement de classe moyenne aux « allures de compagnie industrielle », « modéré en toutes choses, excepté dans le goût du bien-être »37.

25Le second tome de la Démocratie exprimait déjà, au regard de l’expérience américaine qu’il juge désormais avec plus de recul et moins d’enthousiasme, cette même critique. À mesure que les conditions s’égalisent, le risque est grand, reconnaissait Tocqueville, que

  • 38 Tocqueville, DA II, p. 782.

le genre humain s’arrête et se borne ; que l’esprit se plie et se replie éternellement sur lui-même sans produire d’idées nouvelles ; que l’homme s’épuise en petits mouvements solitaires et stériles, et que tout en remuant sans cesse, l’humanité n’avance plus38.

Ce diagnostic d’une crise de civilisation, d’une décadence, d’une régression exprime pleinement le rejet tocquevillien de l’anthropologie utilitariste et l’horizon de la commercial society. Ce qui manque à cette démocratie décidément trop ordinaire, c’est la visée d’une liberté supérieure, tant à la liberté-indépendance des Modernes qu’à la liberté-participation des Anciens, une liberté fière, la liberté de faire de grandes choses, de viser de hauts desseins, de s’arracher à tout asservissement.

  • 39 François Furet, « le système conceptuel de la Démocratie en Amérique », préface à l (...)
  • 40 Nous prolongeons ici l’interprétation suggérée par Lamberti, qu’il formule ainsi : (...)

26C’est cette liberté-là qu’il s’agit de sauver. Mais d’où provient-elle ? Si sa vertu principale consiste à remédier aux illusions de l’individualisme moderne et aux errements de l’égalité démocratique, elle ne peut, à la différence de l’égalité dont le développement se confond avec le mouvement démocratique, être elle-même moderne. Elle est clairement, pour l’auteur, d’origine aristocratique. Et c’est justement parce qu’elle tire ses origines d’une source pré-démocratique et pré-individualiste, qu’elle peut contribuer à soigner ces maux que la démocratie moderne porte en elle. Si le jeune aristocrate Tocqueville se résigne à la démocratie, et donc à la fin de la noblesse, il compense cette résignation, comme le souligne F. Furet, « par le combat pour les valeurs inséparables du monde aristocratique, et tout d’abord la liberté »39. La question qui parcourt toute l’œuvre de Tocqueville doit alors être ainsi reformulée : comment ce legs aristocratique de la liberté peut-il survivre aux temps démocratiques40 ?

Une conception aristocratique de la liberté

  • 41 Tocqueville poursuit en ces termes : « une classe qui a marché pendant tant de sièc (...)
  • 42 Ibid., p. 51.
  • 43 John Stuart Mill, Essais sur Tocqueville et la société américaine, Paris, Vrin, 199 (...)
  • 44 Si, dans les termes de La Démocratie, la liberté consiste à « pouvoir parler, agir, (...)

27En déracinant la noblesse, note Tocqueville dans l’Ancien Régime et la Révolution, « on a fait à la liberté une blessure qui ne guérira jamais »41. Dès lors que le sens de l’honneur, l’idéal de gloire, la quête de la perfection et l’exaltation de l’héroïsme et des vertus les plus nobles régressent, « l’envie de s’enrichir à tout prix, le goût des affaires, l’amour du gain, la recherche du bien-être et des jouissances matérielles » deviennent les passions dominantes, énervent et dégradent la nation entière42. La liberté des modernes, sous ses formes grossières, c’est cette liberté sans qualité et sans caractère du petit entrepreneur, du petit propriétaire qui veut, quand il est encore capable de volonté, le succès de son affaire et non plus la gloire, gagner des marchés et non plus marquer son ambition. Cette incapacité à faire de « grandes choses », à mener « grandes entreprises », à réaliser de « nobles desseins », cette incapacité à valoriser la liberté pour elle-même exprime bel et bien une régression, une décadence de la civilisation. Une société où, pêle-mêle, on n’écrit plus guère de tragédie ou de poésie, où l’on ne se préoccupe plus de métaphysique ou de théologie, où l’on méprise tant les (belles) formes, où le langage s’appauvrit pour se mettre au service de l’industrie et du commerce, bref où l’esprit n’est plus occupé que par l’utile et le fini, est une société, pour reprendre les formules de Stuart Mill43 commentant Tocqueville, qui menace de sombrer dans une « immobilité à la chinoise » et de « perdre le courage moral et la fierté liée à l’indépendance ». Si c’est bien ce courage, cette indépendance fière qu’il s’agit de préserver, on comprend mieux sa double réprobation tant du pouvoir tutélaire de l’État que du goût excessif des peuples démocratiques pour le bien-être et les richesses matérielles. Il ne s’agit pas d’une critique, libérale d’une part, de l’État, et, républicaine d’autre part de l’apathie individualiste, mais d’une double critique aristocratique de deux formes de servitude. En se satisfaisant de la médiocrité de petits plaisirs trop ordinaires, en abandonnant à l’État le soin de régler leurs propres affaires, les modernes renoncent doublement à cette liberté fière qui commande de ne pas s’abaisser, de ne pas se plier, de pas s’avilir, cette liberté qui combat toute forme d’asservissement de l’homme44.

  • 45 Tocqueville, DA II, p. 622.
  • 46 Ibid., p. 1116.

28Tocqueville suggère une analyse sociologique de cette décadence. Dans les sociétés aristocratiques, les puissants pouvaient à eux seuls faire de grandes choses. À la tête « d’associations permanentes et forcées, composées de tous ceux qu’ils tenaient sous leur dépendance »45, ils étaient capables de « grands efforts, de vastes projets, de fermes résistances, de longs desseins, de grandes pensées »46. En raison de relations étroites de personnes à personnes, sur la base du service et de l’allégeance, ces individus puissants avaient le pouvoir – qui constituait aussi leur devoir, leur mission – d’élever, de grandir l’espèce humaine. Mais lorsque l’aristocratie dépérit, comment prétendre encore atteindre ces hauteurs et viser cette grandeur ? En démocratie, les individus, tous égaux, sont faibles, ils ne peuvent rien par eux-mêmes ; seuls et isolés, ils sont incapables de produire de grandes choses ; indépendants et atomisés, déliés les uns des autres, ils sont impuissants et n’ont aucun titre pour exiger de leurs semblables, leurs égaux, qu’ils leur prêtent concours pour accomplir de nobles desseins. D’où cette chute dans la médiocrité et l’abandon à l’État du soin d’accomplir ce que les individus ne peuvent faire seuls. Mais cet abandon constitue une impasse, l’État, froide mécanique à dicter des règles, est incapable de renouveler la circulation des sentiments et des idées, pire il ouvre à une nouvelle tyrannie. Sauver la liberté, c’est-à-dire cette quête aristocratique des grandes entreprises, exige alors, en démocratie, d’opposer une autre puissance à la sienne, d’empêcher que l’État agisse seul.

Les associations comme « personnes aristocratiques »

29Le plaidoyer de Tocqueville pour la liberté d’association, trouve là, me semble-t-il, sa principale justification. Il le résume ainsi :

  • 47 Tocqueville, DA II, p. 624, nous soulignons.

ce sont les associations qui chez les peuples démocratiques doivent tenir lieu de particuliers puissants que l’égalité des conditions a fait disparaître47.

  • 48 « Sitôt que plusieurs des habitants des États-Unis ont conçu un sentiment ou une id (...)

En rompant leur isolement, en recréant des liens entre eux, les citoyens des pays démocratiques pourront produire en commun, collectivement, ce que les « particuliers puissants » de l’aristocratie pouvaient produire isolément48. En se groupant volontairement, en apprenant à s’aider librement, les individus pourront transformer leur faiblesse respective en force collective. Mais cette faiblesse n’est pas seulement pour Tocqueville numérique, elle est aussi morale. La grandeur d’âme des puissants, ou au moins leur sens de l’honneur, sinon leur appétit de la gloire ou, plus prosaïquement, leur fortune personnelle, en faisaient de généreux donateurs. Ceux qui voulaient sans cesse être – ou passer – pour les plus beaux, les plus grands, affichaient leur munificence, affirmaient leur supériorité sociale en refusant tous calculs, inévitablement mesquins. Or le peuple en démocratie, en raison de la prégnance de la matrice utilitaire, est peu capable de donner, de s’engager, de se solidariser sans y être incité par l’anticipation d’un bénéfice personnel.

  • 49 Ibid., p. 656.

Chaque fois que l’on veut obtenir de lui qu’il s’impose une privation, une gêne, même dans un but que sa raison approuve, il commence presque toujours par s’y refuser49.

  • 50 Cf. Marcel Mauss, « Essai sur le don », Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 19 (...)
  • 51 Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, p. 52.
  • 52 « Un peuple chez lequel les particuliers perdraient le pouvoir de faire isolément d (...)

Comment alors, en démocratie, revivifier ces « mœurs de la dépense noble »50, universaliser, au-delà d’une caste privilégiée, cette capacité à donner ? Justement par l’association. D’ailleurs, rappelle l’auteur, au sein de la vaste association humaine, l’aristocratie, historiquement, ne fût rien d’autre, qu’une association restreinte à une classe, régie par un code moral spécifique, l’honneur aristocratique, avec ses devoirs et ses générosités nécessaires. Les associations démocratiques ont à promouvoir, dans les conditions de la démocratie, de semblables engagements, à faire oublier aux individus leur intérêt immédiat, à leur enseigner les « sublimes plaisirs » de la liberté politique, à diffuser, serait-on tenté de dire, un sentiment d’« honneur démocratique », détaché de toute identité de caste, bref virtuellement universel. L’association volontaire constitue ainsi, en démocratie, un substitut fonctionnel de l’aristocratie propre à assurer l’actualisation de ses valeurs, à y réveiller la liberté, cette liberté qui, dans sa définition aristocratique, peut seule substituer « à l’amour du bien-être des passions plus énergiques et plus hautes » et fournir « à l’ambition des objets plus grands que l’acquisition des richesses »51. Car sans cet usage de l’association, c’est moins la démocratie que la civilisation elle-même qui serait en péril52.

30Si la liberté associative peut permettre de conjurer cette crise de valeur, Tocqueville l’appelle aussi à remédier à cette autre pathologie démocratique qui lui est liée, la crise du lien social. Si l’on perd le goût pour la liberté en démocratie, c’est que le processus d’égalisation des conditions a dilué, desserré le lien social, c’est parce que la société démocratique, atomisée, ne fait plus, ou mal, ou trop peu société.

  • 53 Ibid., p. 50-51.

Les hommes n’y étant plus rattachés les uns aux autres par aucun lien de castes, de classes, de corporations, de familles, n’y sont que trop enclins à ne se préoccuper que de leurs intérêts particuliers, toujours trop portés à n’envisager qu’eux-mêmes et à se retirer dans un individualisme étroit où toute vertu publique est étouffée53.

31Un tel diagnostic est partagé, sous le Second Empire, tant par certains libéraux que par certains conservateurs et même certains socialistes. Ainsi, selon Prévost-Paradol dans La France nouvelle (1868), le problème réside bien dans « la perte de cette vieille organisation de la société qui avait du moins ses liens, ses hiérarchies, ses influences traditionnelles, ses rapports de vassalité, de patronage, de cité », cette perte que rien n’a remplacé, sinon l’attente que l’État prenne en charge le sort de chacun.

  • 54 « Ce qui contribuait le plus à assurer l’indépendance des particuliers dans les siè (...)
  • 55 Tocqueville, DA I, p. 276.

32S’il s’agit bien de recréer du lien entre les hommes, afin de conjurer le risque d’absorption de la société par l’État, l’aristocratie doit servir de modèle, non seulement au regard de ses valeurs propres, mais aussi au regard du principe général de régulation sociale qu’elle a su incarner. La lutte contre le despotisme démocratique doit s’opérer avec des armes comparables à celles qu’elle a mobilisées contre l’absolutisme monarchique. Or ces armes étaient constituées par de multiples corps secondaires, intermédiaires qui, comme le rappelait notamment Montesquieu, canalisaient et divisaient la puissance sociale et organisaient la solidarité sociale, donnant ainsi texture aux liens sociaux54. Ces corps, « ces aristocraties », Tocqueville les nomme associations naturelles55. Il souligne bien ainsi que le principe associatif est, dans son origine, un principe aristocratique et non démocratique. Bien sûr, il ne s’agit pas de restaurer une société de corps ou d’états, avec ses hiérarchies, ses allégeances. Il faut plutôt développer des procédés démocratiques qui les remplacent, ou plus précisément, démocratiser ces corps intermédiaires, dénaturaliser ces associations naturelles.

  • 56 Tocqueville, DA II, p. 842-843 (nous soulignons)

Je crois fermement qu’on ne saurait fonder de nouveau, dans le monde, une aristocratie ; mais je pense que les simples citoyens, en s’associant, peuvent y constituer des êtres très opulents, très influents, très forts, en un mot des personnes aristocratiques56.

  • 57 Tocqueville, Notes et variantes, p. 1116.

Les associations démocratiques, qu’il s’agisse des circonscriptions légales ou s’exerce le gouvernement local ou de toutes formes de regroupements volontaires, de nature politique, intellectuelle, morale, industrielle ou commerciale57, sont donc appelées à devenir, pour Tocqueville, les personnes aristocratiques modernes. Indispensables à la préservation d’un régime politique de liberté, il leur reconnaît même les avantages de l’aristocratie sans ses inconvénients !

* * *

  • 58 Cf. ses Discours des 27 janvier et 12 septembre 1848 dans Œuvres, Paris, (...)

33Si pour remédier aux maux et aux vices de l’individualisme démocratique, chaque citoyen doit s’associer et s’unir pour constituer autant de personnes aristocratiques, l’auteur semble ainsi proposer de dépasser cette démocratie trop ordinaire en invitant chacun à accéder aux privilèges de l’aristocratie, à retrouver, par l’association, sa force, sa grandeur et sa puissance. Alors que Guizot suggérait à ses compatriotes : « Enrichissez-vous », on serait tenté d’affirmer que Tocqueville lui répondait : « Aristocratisez-vous » ! Néanmoins, il faudrait se demander à qui s’adresse effectivement cette invitation à l’association. Comme l’attestent la lecture de ses Souvenirs et celle de ses discours politiques des années 184058, son injonction « aristo-démocratique » n’est pas sans limites, voire sans exclusives. Il n’est pas illégitime de douter qu’il ne jugeât jamais le peuple capable de se hisser à la hauteur des valeurs aristocratiques, de s’associer sous d’autres formes que factieuses ou sectaires, pour d’autres revendications que celles, toutes matérialistes, des salaires, de la consommation et du bien-être et pour d’autres rêves que celui, véritable cauchemar pour Tocqueville, d’une « société d’abeilles ou de castors ».

  • 59 Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Paris, PUF (Quadrige), 1990.
  • 60 Pour une critique du libéralisme politique contemporain dans la perspective d’un «  (...)

34On aurait tort néanmoins d’en conclure que, bien comprise, la sociologie tocquevillienne de la démocratie serait seulement une sociologie nostalgique ou élitiste. Durkheim59 (1990, chap. I-III) ne proposait-il pas de penser les groupes professionnels, dans leur esprit du moins, sur le modèle des corporations médiévales ? Et Mauss, en conclusion de l’Essai sur le don, ne suggérait-il pas, pour s’en réjouir, qu’à travers le développement des diverses associations ouvrières et les formes modernes de protection sociale, « nous revenons à une morale de groupe », à des mœurs de la « dépense noble », bref à de l’archaïque ? Plus encore, malgré ses exclusives, le libéralisme « aristo-démocratique » de Tocqueville, indissociable de sa critique de cette matrice utilitaire qui marque si profondément la modernité démocratique, exprime bien en quoi le libéralisme français, à la différence du « libéralisme minimal » anglo-saxon contemporain, celui notamment de Rawls, ne se résout pas à une exclusive apologie de la liberté négative et à la défense d’un républicanisme instrumental mais reconnaît tout à la fois les joies du bonheur privé et la grandeur du bonheur public60.

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Notes

1 Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1835, désormais cité DA I], Œuvres, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1992, t. I, p. 213.

2 Tocqueville, DA I, p. 44.

3 Si cette question est pertinente pour interroger l’œuvre de Tocqueville, alors on ne peut, comme le suggère Agnès Antoine, affirmer que « la société démocratique, bien qu’elle fasse place à un certain honneur, n’a toutefois pas d’“honneur” » (Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie. Tocqueville, la citoyenneté et la religion, Paris, Fayard, 2003, p. 75).

4 Tocqueville, DA I, p. 65.

5 Michaël Sandel, « The Political Theory of the Procedural Republic », Revue de métaphysique et de morale, nº 1, 1988, p. 57-68.

6 Selon l’heureuse formule de Marcel Gauchet, « Tocqueville, l’Amérique et nous », Libre, nº 7, 1980, p. 43-120.

7 Tocqueville, DA I, p. 75.

8 Comme le souligne Hannah Arendt (Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1985 , p. 244), « ceux qui reçurent pouvoir de constituer, de rédiger des constitutions, étaient des délégués dûment élus des corps constitués ; ils recevaient leur autorité d’en bas, et s’ils restaient fermement attachés au principe romain selon lequel le siège du pouvoir est le peuple, ils n’avaient pas en tête une fiction et un absolu […] mais une réalité vivante ».

9 Tocqueville, DA I, p. 61.

10 Ibid., p. 462.

11 Albrecht Wellmer, « Modèles de la liberté dans le monde moderne », Critique, nº 505-506, 1989, p. 506-539.

12 Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1840, désormais cité DA II], Œuvres, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1992, t. I, p. 623.

13 Comme les institutions communales que Tocqueville qualifie d’« associations » (DA I, p. 64), comme d’ailleurs les partis politiques (DA I, p. 199). De même, la liberté de la presse constituer le premier degré dans l’exercice du droit d’association, le second étant le pouvoir de s’assembler (DA, I, p. 213). Toutes ces institutions et pratiques relèvent de la même logique, « l’action libre de la puissance collective des individus ».

14 « Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère, le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-ci » (DA II, p. 625).

15 Robert Legros, L’idée d’humanité, Paris, Grasset, 1990, chap. 3.

16 Tocqueville, DA II, p. 711.

17 Bref en agissant sur « cette grande inégalité de l’homme et de la femme qui a semblé, jusqu’à nos jours, avoir ses fondements éternels dans la nature » (Tocqueville, DA II, p. 725, nous soulignons).

18 Ibid., p. 677.

19 Tocqueville, DA II, p. 680 (nous soulignons).

20 Tocqueville, DA II, p. 688 (nous soulignons).

21 Tocqueville, Voyage en Amérique, Œuvres, A. Jardin (éd.), Paris, Gallimard (La Pléiade), 1981, t. I, p. 29.

22 Tocqueville, DA II, p. 636.

23 Ibid., p. 638.

24 Tocqueville, DA II, p. 635.

25 « Un américain s’occupe de ses intérêts privés comme s’il était seul au monde et, le moment d’après, il se livre à la chose publique comme s’il les avait oubliés » (ibid., p. 655).

26 Tocqueville, DA I, p. 105.

27 Ibid., p. 271.

28 Il est tentant ici de rappeler le double sens possible du terme share, dans la formule hamiltonienne a share in the government : « part » au sens de « participation », mais aussi « action » au sens de valeur mobilière.

29 Tocqueville, DA II, p. 637.

30 Tocqueville, DA I, p. 276.

31 Ibid., p. 274.

32 Tocqueville, DA II, p. 630.

33 Tocqueville, Notes et variantes, Œuvres, t. II, p. 1115.

34 Ibid., p. 1121.

35 Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, p. 234.

36 Tocqueville, DA II, p. 653.

37 Tocqueville, Souvenirs, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1964, t. XII, p. 30.

38 Tocqueville, DA II, p. 782.

39 François Furet, « le système conceptuel de la Démocratie en Amérique », préface à l’édition de De la démocratie en Amérique, Paris, Garnier-Flammarion, 1981, t. I, p. 12.

40 Nous prolongeons ici l’interprétation suggérée par Lamberti, qu’il formule ainsi : « Toute son œuvre est un immense effort pour transposer dans la démocratie, et à son bénéfice, les valeurs aristocratiques et, en premier lieu, le goût de l’excellence humaine, le respect mutuel et la fière affirmation de l’indépendance personnelle qui constituent pour lui, comme pour Chateaubriand, le cœur de la liberté aristocratique » (Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, Paris, PUF, 1983, p. 77).

41 Tocqueville poursuit en ces termes : « une classe qui a marché pendant tant de siècles la première a contracté, dans ce long usage incontesté de la grandeur, une certaine fierté de cœur, une confiance naturelle en ses forces, une habitude d’être regardée qui fait d’elle le point le plus résistant du corps social. Elle n’a pas seulement des mœurs viriles ; elle augmente par exemple, la virilité des autres classes » (L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Gallimard (Folio essais), 1985, p. 194).

42 Ibid., p. 51.

43 John Stuart Mill, Essais sur Tocqueville et la société américaine, Paris, Vrin, 1994, p. 190, « M. de Tocqueville et la Démocratie en Amérique II ».

44 Si, dans les termes de La Démocratie, la liberté consiste à « pouvoir parler, agir, respirer sans contrainte », les « hommes de l’ancien régime » ont quelques titres à faire valoir aujourd’hui et leur exemple, comme le souligne Tocqueville dans L’Ancien Régime, ne doit pas être oublié : « ils ne savaient pas ce que c’était que se plier sous un pouvoir illégitime ou contesté, qu’on honore peu, que souvent on méprise, mais qu’on subit volontiers parce qu’il sert ou peut nuire. Cette forme dégradante de la servitude leur fut toujours étrangère […] Pour eux, le plus grand mal de l’obéissance était la contrainte ; pour nous, c’est le moindre. Le pire est dans le sentiment servile qui fait obéir. Ne méprisons pas nos pères, nous n’en avons pas le droit. Plût à Dieu que nous puissions retrouver, avec leurs préjugés et leurs défauts, un peu de leur grandeur » (L’Ancien Régime et la Révolution, p. 203).

45 Tocqueville, DA II, p. 622.

46 Ibid., p. 1116.

47 Tocqueville, DA II, p. 624, nous soulignons.

48 « Sitôt que plusieurs des habitants des États-Unis ont conçu un sentiment ou une idée qu’ils veulent produire dans le monde, ils se cherchent et, quand ils se trouvent, ils s’unissent. Dès lors, ce ne sont plus des hommes isolés, mais une puissance qu’on voit de loin, et dont les actions servent d’exemple ; qui parle, et que l’on écoute ». Tocqueville poursuit par une brève évocation des sociétés de tempérance : « […] ces cent mille américains, effrayés des progrès que faisait autour d’eux l’ivrognerie, avaient voulu accorder à la sobriété leur patronage. Ils avaient agi précisément comme un grand seigneur qui se vêtirait très uniment afin d’inspirer aux simples citoyens le mépris du luxe […] » (Tocqueville, DA II, p. 624-625, nous soulignons).

49 Ibid., p. 656.

50 Cf. Marcel Mauss, « Essai sur le don », Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1989, p. 262. Le lecteur aura saisi que nous suggérons là une lecture maussienne de l’analyse de Tocqueville. Voir Philippe Chanial, Justice, don et association. La délicate essence de la démocratie, Paris, La Découverte – MAUSS, 2001, chap. 8.

51 Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, p. 52.

52 « Un peuple chez lequel les particuliers perdraient le pouvoir de faire isolément de grandes choses sans acquérir la faculté de les produire en commun retournerait bientôt vers la barbarie » (Tocqueville, DA II, p. 622).

53 Ibid., p. 50-51.

54 « Ce qui contribuait le plus à assurer l’indépendance des particuliers dans les siècles aristocratiques, c’est que le souverain ne s’y chargeait pas seul de gouverner et d’administrer les citoyens ; il était obligé de laisser en partie ce soin aux membres de l’aristocratie ; de telle sorte que le pouvoir social, étant toujours divisé, ne pesait jamais tout entier et de la même manière sur chaque homme » (Tocqueville, DA II, p. 842).

55 Tocqueville, DA I, p. 276.

56 Tocqueville, DA II, p. 842-843 (nous soulignons)

57 Tocqueville, Notes et variantes, p. 1116.

58 Cf. ses Discours des 27 janvier et 12 septembre 1848 dans Œuvres, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1992, t. I, p. 1125-1138 et p. 1139-1152, ou cette « confession », reprise dans A. Reider, Comme le disait A. de Tocqueville, Paris, Perrin, 1935, p. 46 : « J’ai pour les institutions démocratiques un goût de tête, mais je suis aristocrate par instinct, c’est-à-dire que je méprise et je crains la foule. J’aime avec passion la liberté, la légalité, le respect des droits mais non la démocratie, voilà le fond de l’âme ».

59 Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Paris, PUF (Quadrige), 1990.

60 Pour une critique du libéralisme politique contemporain dans la perspective d’un « associationnisme civique », voir Philippe Chanial, Justice, don et association. La délicate essence de la démocratie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Chanial, « Sauver l’honneur ? Tocqueville, sociologue et critique de la démocratie (trop) ordinaire »Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 44 | 2007, 247-268.

Référence électronique

Philippe Chanial, « Sauver l’honneur ? Tocqueville, sociologue et critique de la démocratie (trop) ordinaire »Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 44 | 2007, mis en ligne le 31 janvier 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1869 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1869

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Auteur

Philippe Chanial

Université de Paris-Dauphine – CERSO

Directeur du CERSO et secrétaire de La Revue du MAUSS. Publications : Justice, don et association. La délicate essence de la démocratie, Paris, La Découverte / MAUSS, 2002 ; éditeur de B. Malon, La morale sociale. Morale socialiste et politique réformiste, Latresne, Le Bord de l’Eau, 2007.

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