Une occasion manquée : John Adams et Tocqueville1
Plan
Haut de pageTexte intégral
- 1 Il a paru inopportun d’indiquer systématiquement les références aux éditions américaines de (...)
1Dans une note non destinée à la publication, Tocqueville écrit :
J’ai pour les institutions démocratiques un goût de tête, mais je suis aristocratique par l’instinct, c’est-à-dire que je méprise et crains la foule. J’aime avec passion la liberté, la légalité, le respect des droits, mais non la démocratie.
- 2 Tocqueville, Œuvres, Paris, Gallimard, t. III, Écrits et discours politiques, (...)
Dans sa dernière lettre, écrite à l’âge de 90 ans, John Adams confie à Thomas Jefferson : « Notre chevalerie américaine est la pire du monde. Elle n’a ni lois, ni limites, ni définitions ». L’aristocrate du vieux Monde, nostalgique de l’Ancien Régime mais salué comme prophète de la démocratie, et le Père fondateur d’un « monde tout nouveau », obsédé par le pouvoir qu’exercerait, sous le masque de la démocratie, une aristocratie sans visibilité, sont des esprits paradoxaux. Je vais tâcher de rendre compte en partie de leurs complexités sur les points de rencontre et de rupture – du moins sur ce qui me paraît constituer des points de rencontre et de rupture, puisque Tocqueville n’a pas lu Adams et qu’à ma connaissance ceci est le premier travail dont le seul objet est un dialogue entre les deux auteurs. Une présentation strictement thématique ne conviendrait pas au mouvement de leurs intelligences : nous avons affaire à des hommes politiques, non à de purs philosophes élaborant un système dans leur cabinet, loin du bruit et de la fureur. En suivant le développement de la pensée d’Adams au cours de sa longue vie (1735-1826), qui va de l’Amérique coloniale à la présidence de son fils John Quincy Adams, on verra surgir naturellement les grands thèmes tocquevilliens. Bien entendu, chacun d’eux mériterait une étude distincte ; cette présentation très générale n’est qu’une esquisse destinée à susciter l’intérêt pour de nouvelles recherches2.
État social, mœurs et lois
- 3 Alasdair MacIntyre, After Virtue, Londres, Duckworth, 1981, p. 36. Les Lumières franç (...)
2Adams naît en 1735 à Braintree, aujourd’hui Quincy, près de Boston. Il est de milieu modeste, fils de petit fermier, mais bénéficie de l’enseignement gratuit mis à charge des communes par les fondateurs puritains. Ses dons et la volonté paternelle le font admettre ensuite à Harvard, pour devenir pasteur ; la théologie calviniste lui répugnant, il change d’orientation et devient avocat. Les notes de son journal sur les sermons auxquels il assiste dès son enfance révèlent pourtant que le clergé, choisi par les paroissiens, tient généralement un discours éclairé, voire audacieux. Côté politique, il exerce d’abord des responsabilités au niveau communal : comme tous les citoyens il délibère au town-meeting et fait partie de la milice, comme tous les citoyens en vue, il est élu, sans l’avoir demandé, selectman, une de ces charges qu’on ne pouvait refuser qu’en payant une amende. On voit que, comme l’affirme Alasdair MacIntyre, la Nouvelle-Angleterre était un avant-poste des Lumières hors d’Europe du Nord, comportant ce qui, selon lui, manquait à la France pour participer pleinement à la culture des Lumières : un arrière-plan protestant sécularisé, une classe instruite unissant les fonctionnaires, le clergé et les penseurs laïcs en un seul lectorat et une université moderne (encore que Harvard, Princeton et Yale ne soient pas, à l’époque, au niveau de Königsberg, Édimbourg et Glasgow). En France, les « hommes de lettres », étrangers à la vie politique et administrative – et qui seront la cible commune des critiques d’Adams et de Tocqueville – annoncent par contraste l’intelligentsia russe du XIXe siècle. Mais on voit aussi que, dans la Nouvelle Angleterre coloniale, la liberté des Anciens n’est pas morte : la commune que décrit l’historien britannique Jack R. Pole est une polis3.
- 4 Adams et Tocqueville rejettent tous deux l’influence excessive que Montesquieu a acco (...)
3Le jeune Adams appartient donc à un monde éclairé et civique, avec des traits anciens et modernes, où un bon système de recrutement des élites permet une certaine mobilité sociale. Lorsqu’il sera ambassadeur à Paris et que Mably et Marmontel lui demanderont conseil en vue d’écrire une histoire de la Révolution américaine, il les documentera, mais en insistant sur le fait qu’il faut partir de quatre institutions de Nouvelle-Angleterre : la commune, les communautés religieuses, les écoles et la milice. De ces quatre piliers de la Révolution américaine, Tocqueville a retenu les deux premiers, auxquels il a consacré des pages fameuses, mais, plutôt que d’institutions, il parle de mœurs. « On attribue trop d’importance aux lois, trop peu aux mœurs », écrit-il, à propos précisément des causes de la démocratie dans l’Est des États-Unis. Adams, lui, répétera longtemps que « le grand législateur fait les mœurs ». Nous voici d’emblée au cœur du débat : là où Tocqueville voit l’égalité des conditions, ou l’état social démocratique, comme « cause génératrice » des mœurs et des lois (dans cet ordre d’importance), Adams place au premier plan les institutions, qui sont, dans sa lettre à Mably, les conditions de possibilité d’une révolution conçue comme la fondation d’un nouvel ordre politique et moral4.
- 5 Sur la « démocratie » du Massachusetts colonial : EPP I, note p. 43. Sur l’isonomie : (...)
4Qu’en est-il de l’état social au temps de la jeunesse du futur président ? Bien que les historiens en débattent, il semble anachronique d’appliquer l’adjectif « démocratique » à cette société qui reste hiérarchisée et à ses institutions particulières. Est-ce un monde démocratique au sens de la reconnaissance de l’autre comme semblable ? Adams, dans sa lettre à Mably, ne décrit pas les institutions qui ont rendu possible la Révolution comme révélatrices d’une représentation égalitaire des rapports sociaux, il affirme qu’elles ont rendu les Américains aptes à la délibération et à la guerre. Nous sommes à Athènes ! Il paraît donc légitime de parler, sous les réserves que je formulerai plus loin, d’isonomie. Mais, comme l’a souligné Hannah Arendt, cette notion de loi égale est due précisément à l’inégalité naturelle des hommes (notion qui sera de plus en plus centrale chez Adams), puisqu’elle crée entre eux, grâce à l’institution artificielle de la polis, l’égalité politique. Quant à l’influence des lois sur les mœurs, les grands législateurs évoqués par Adams sont ceux qui, comme lui, proposent une constitution, une loi fondamentale, ceux qui convainquent le peuple d’adopter une certaine « forme de gouvernement ». Celle-ci qui, pour lui, doit comporter un éclatement de la souveraineté en pouvoirs séparés agissant comme freins et contrepoids, influence les mœurs dans la mesure où chacun des pouvoirs veille au respect de la légalité par les autres : ainsi, on pourrait même « fonder une république chez les bandits de grand chemin, en préposant chaque coquin à la surveillance d’un autre ». La vertu, contrairement à ce que pensait Montesquieu, n’est donc pas à la source de la république, elle en est le résultat. Cette idée, que je donne ici dans sa version la plus ambitieuse, présentée en 1787 à l’occasion de l’adoption de la Constitution fédérale, sera reprise quelques années plus tard par Kant. Que ce système soit de nature à contribuer à la moralité politique est clair. Que la société tout entière devienne ainsi plus vertueuse ne va pas de soi : Adams oublie en particulier que le constitutionnalisme américain, auquel il a largement contribué, aboutit paradoxalement, dans ses efforts pour penser l’interaction du social et du politique, à favoriser leur déconnexion – on y reviendra. Toujours est-il qu’à ce stade, Tocqueville, pour qui, comme l’a souligné Nicolas Tenzer dans sa communication, le politique ne saurait ni construire ni détruire l’état social, s’oppose à un Adams affirmant sa tâche éminente. Toutefois, le grand législateur devra revoir ses ambitions à la baisse : à la fin de sa vie, à une époque où il constate précisément que le mécanisme institutionnel qu’il a contribué à mettre en place ne correspond que formellement à son projet, Adams écrira à plusieurs reprises que la Révolution américaine avait eu lieu avant la guerre d’Indépendance, dans les mentalités, et appellera de ses vœux une « histoire des mentalités », pour étudier ce « grand changement intellectuel, moral et politique », ce « changement radical dans les principes, les opinions, les sentiments et les affections du peuple » – ce qui correspond à la définition que donne Tocqueville des mœurs. Mais, comme on le verra, les forces à l’œuvre ne vont certes pas vers plus d’égalité5.
- 6 Sur l’évolution de Tocqueville de de la démocratie en Amérique à L’Ancien Régime (...)
5À l’épreuve des faits (tels qu’ils se produisent en France, non en Amérique), Tocqueville va aussi connaître une évolution remarquable. Si la Démocratie en Amérique décrit et commente les constitutions américaines, la volonté d’y mettre en lumière l’état social démocratique, dont les institutions politiques sont la conséquence naturelle, ne leur accorde pas une place centrale. Après 1848, constatant que la Révolution française n’en finit décidément pas, Tocqueville invite ses lecteurs à considérer l’utilité pratique de son œuvre et à y étudier les institutions américaines : dans l’avertissement en tête de la douzième édition de la première Démocratie, il insiste sur le rôle éminent du législateur qui fonde un gouvernement nouveau et lui donne son caractère. Quelques années plus tard, alors qu’il n’est plus question de chercher la meilleure constitution pour une république qui n’existe plus, L’Ancien Régime et la Révolution révélera la primauté de la structure politico-administrative : la centralisation et les lois fiscales ont été les principaux facteurs du nivellement social réalisé par le pouvoir royal au cours de sa croissance. On pourrait quasiment inverser la célèbre formule et conclure que certaines lois changent l’état social et les mœurs. Comme l’écrit François Furet, l’histoire récente avait amené Tocqueville à revoir ses thèses ; comment expliquer par l’état social démocratique la monarchie de Juillet, la deuxième république et le despotisme du second Napoléon ? En effet, et la conclusion de L’Ancien Régime et la Révolution est sombre, Tocqueville n’entrevoit pas la fin des tyrannies en France. L’état social démocratique a donc donné des résultats bien différents sur les deux rives de l’Atlantique, et cette différence tient aux histoires et aux institutions particulières : la perception de l’autre comme semblable n’a pas eu les mêmes conséquences politiques chez les citoyens accoutumés aux débats des town-meetings et chez les anciens sujets de rois niveleurs. La portée générale de la deuxième Démocratie n’en est-elle pas diminuée6 ?
Passions aristocratiques et fondation de la démocratie moderne
- 7 Caucus et meetings : EPP I, p. 42. Commentaires de Tocqueville sur l’aristocratie de (...)
6Revenons à l’isonomie communale et aux réserves que j’annonçais à ce sujet. Pour être né dans ce monde civique, Adams sait que la délibération apparemment égale est toujours dominée par une aristocratie, qui la prépare dans des caucus. Lorsqu’il commence sa Démocratie, Tocqueville semble embarrassé par cette histoire particulière de la Nouvelle-Angleterre, qui comporte manifestement des aspects aristocratiques. Il en sait assez, ayant été instruit notamment par John Quincy Adams comme Mably et Marmontel l’avaient été par John, pour ne pas présenter les Américains comme des naufragés reconstruisant une société ex nihilo ; ce n’est pas ici qu’il faut examiner en détail la manière dont il traite ce sujet. Mais une passion aristocratique, qui n’a guère retenu l’attention de Tocqueville dans cette affaire, va éclater et constituera un élément important pour l’intelligibilité de la Révolution américaine : c’est la passion de la Renommée7.
- 8 Douglass Adair, Fame and the Founding Fathers, Indianapolis, Liberty Fund, 1998 (rééd (...)
- 9 Arthur O. Lovejoy, Reflections on Human Nature, Baltimore, The Johns Hopkins Universi (...)
- 10 Dès le premier essai que publie John Adams, la différence entre les Américains des Lu (...)
7Adams, devenu avocat à Boston et député, éprouve cette passion depuis longtemps, comme le révèle son journal, sans espérer la satisfaire dans une paisible existence coloniale, lorsque les événements lui en donnent l’occasion. Elle déborde le cadre de la Nouvelle-Angleterre : Douglass Adair8 a montré qu’elle était commune à tous les Pères fondateurs et Arthur O. Lovejoy9 a mis en évidence le rôle qu’ils lui assigneront consciemment comme substitut de la raison et de la vertu dans la mise en place problématique de l’ordre d’individus qu’est la république moderne. On assiste donc à un phénomène collectif surprenant : des gens animés de passions aristocratiques vont opérer avec succès le passage à la démocratie. Pour cela, il leur fallait certes d’autres qualités, notamment l’habitude de la vie politique. Nous avons affaire, dès l’époque coloniale, à des politiciens professionnels, familiers des caucus. Ce sont aussi des esprits éclairés, des hommes de culture, les derniers hommes d’action et de réflexion, selon Hannah Arendt, et le cas de John Adams est exemplaire à cet égard : c’est le Père fondateur qui a le plus écrit, mais son ambition de fonder une science politique, les recherches qu’il a faites à cette fin et les volumes qui en ont été le produit, tout cela naît et s’arrête avec sa carrière politique10.
- 11 Cf. J. G. A. Pocock, Le moment machiavélien, Paris, PUF, 1998 (trad. de The Machiavel (...)
8Il y a donc une réunion exceptionnelle de qualifications chez les mêmes personnages, ce qu’on ne peut forcément trouver en France sous l’Ancien Régime. Pour le philosophe, la figure de ces hommes entre les mondes aristocratique et démocratique, ou « between past and future », qui s’appuient sur leur historicité particulière pour être les acteurs conscients du passage de l’un à l’autre, est saisissante. La grande allure des Founding Fathers avec leur quête de la Renommée sortie tout droit de l’Antiquité classique, avec leur projet d’une nouvelle république romaine encore inscrit aujourd’hui, en termes tirés de Virgile, sur les billets d’un dollar, a d’ailleurs conduit certains penseurs à des erreurs. Pocock a cru que la Révolution américaine était un rejet de la modernité, une fuite vers le passé11. Avant lui, Hannah Arendt avait, à très juste titre, observé que ces hommes cherchaient le « bonheur public » que donne l’accomplissement d’actions mémorables sous le regard de ses pairs, mais en avait conclu, à tort, que leur but était l’instauration d’un espace public pour la liberté comprise comme participation au pouvoir. Disons, en simplifiant, que ces aristocrates n’ont pas confondu leurs aspirations avec celles de la masse : les institutions qu’ils ont mises en place ne visent pas principalement à cela. Nourris de culture classique et formés dans des communautés qui sont comme des cités antiques à l’âge moderne, ils ne peuvent renoncer à l’idée d’une res publica (la vertu reste comme fin) mais sont conscients qu’ils vivent dans un monde de plus en plus voué au commerce. Ainsi, le préambule de la Constitution du Massachusetts, rédigée par John Adams et qui allait exercer une grande influence sur celles d’autres États et finalement sur la Constitution fédérale, porte que :
[la fin du gouvernement] est d’assurer l’existence du corps politique, de le protéger et de donner aux individus qui le composent la capacité de jouir, dans la sécurité et le calme, de leurs droits naturels, et des bienfaits de la vie.
- 12 Pour Arendt, je rejoins l’appréciation de P. A. Rahe, telle qu’il la formule notammen (...)
Pour Hannah Arendt, le novus ordo seclorum prend ainsi le pas sur la constitutio libertatis. En réalité, il y a bien constitutio libertatis, mais au sens de liberté-sécurité : grâce à l’œuvre de fondateurs qui, en la réalisant, vivaient la liberté des Anciens, la masse des citoyens pourra jouir de la liberté des Modernes12.
- 13 Gordon S. Wood, La création de la République américaine, Paris, Belin, 1991 (trad. de (...)
- 14 Sauf erreur, Tocqueville n’expose la théorie constitutionnelle américaine qu’à propos (...)
9Mais il y a plus. Tocqueville, qui appréciait la liberté active et constatait sans plaisir la tendance démocratique au repli sur la sphère privée et à la passion du bien-être, n’a pas bien vu, en raison sans doute de sa sous-évaluation des lois, les ambiguïtés de la souveraineté populaire dans le constitutionnalisme américain. La principale création de celui-ci, à part le fédéralisme, est la notion d’une Constitution comme loi écrite, antérieure et supérieure au gouvernement et au droit ordinaire, émanant du peuple agissant comme pouvoir constituant à travers des assemblées élues à cette seule fin. Lorsque, en plus, comme ce fut le cas au Massachusetts, le projet était approuvé à la majorité qualifiée par les town-meetings, la souveraineté populaire était réellement mise en œuvre et Adams pouvait écrire : « C’est Locke, Sidney, Rousseau et Mably soumis à la pratique pour la première fois ». Admirons au passage la clarté conceptuelle avec laquelle Rousseau est intégré et apprivoisé, alors que, quelques années plus tard, la France, à la recherche du règne de la volonté générale, va se débattre dans les affres du « rousseauisme révolutionnaire ». Le peuple, souverain comme constituant, se replie ensuite sur le statut plus modeste d’un électorat, laissant gouverner des organes qui n’agissent que par représentation et ne détiennent chacun qu’une parcelle de l’ancien imperium éclaté désormais en deux jeux de freins et contrepoids (le pouvoir législatif consistant lui-même en trois « branches », l’exécutif et les deux chambres). Dans son ouvrage bien connu, La création de la République américaine13, qui se veut une réponse à l’exigence formulée par Tocqueville (« Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau »), Gordon Wood conclut que cette science nouvelle se caractérise par la « désincorporation » du gouvernement : les formes du gouvernement mixte sont conservées, mais vidées de leur contenu, ses organes ne représentent plus des forces sociales (qui ne sont donc plus « incorporées » dans le gouvernement) mais ne constituent plus qu’une division fonctionnelle du pouvoir. Il s’ensuit, comme l’écrit Claude Lefort dans sa préface, une certaine déconnexion du social et du politique. Cela signifie que la société, débarrassée de soucis politiques, va libérer ses forces, tandis que le système institutionnel va tourner tout seul. C’est la démocratie que Tocqueville voit fonctionner, mais c’est ce qu’Adams ne peut admettre, car cela signifie la fin de la res publica, la fin du commonwealth et le règne de la classe dominante dans la société comme dans l’État. Ses protestations seront mal comprises par beaucoup, y compris par Wood, qui le prendront pour un homme du passé, prisonnier des catégories politiques antiques. Je réserverai ce débat pour la fin, car c’est à la fin de sa vie qu’Adams, devenu observateur de la vie politique, formulera ses critiques les plus piquantes à l’égard de la démocratie moderne14.
Science politique américaine et rationalisme constructiviste des hommes de lettres
- 15 Sur la métaphore de l’architecte : Jean-Paul Goffinon, Aux origines de la Révolution américaine, (...)
10Essayons de reprendre le fil chronologique, car j’ai quitté Adams avocat et député de la province à Boston, et le voici retraité. Lorsqu’éclate la Guerre d’Indépendance, il va y exercer un rôle prépondérant tout en multipliant les écrits politiques et juridiques : la Révolution, en effet, comme l’a bien vu Arendt, est une fondation, et la Renommée immortelle va au grand législateur qui, d’un même mouvement, détruit un ordre ancien et en fonde un nouveau, à la manière d’un grand architecte. Cette métaphore, qui met l’accent sur la forme de gouvernement, sur la science du gouvernement bien équilibré, où « le pouvoir arrête le pouvoir », est constante. Il va donc rédiger la Constitution du Massachusetts, mais entre deux voyages en Europe, car le Congrès continental le charge d’ambassades afin de trouver des appuis pour les insurgés, puis pour négocier la paix, enfin pour représenter la nouvelle république. De 1778 à 1784, il se partage entre Paris et les Pays-Bas, puis il est à Londres jusqu’en 1788. Il voit donc venir la Révolution française, élément important pour le développement de sa pensée, et continuera à l’observer avec passion et à écrire sur elle jusqu’en 1791, alors qu’il est vice-président. Mais en 1796, renonçant à y chercher une quelconque intelligibilité, il confiera à Jefferson que raisonner sur les affaires françaises ne sert à rien, la raison n’ayant plus aucune prise sur les événements. Adams attend l’issue fatale : le despotisme d’un seul, et c’est en effet le 18 Brumaire qui lui permettra de mettre fin à la guerre larvée avec la France, guerre qui aura occupé l’essentiel de sa présidence15.
11Quant à la situation en France à la veille de la Révolution, la communauté de vues avec le Tocqueville de L’Ancien régime et la Révolution est complète sur deux points essentiels : l’irréligion est devenue la passion nationale et la place vacante dans le champ politique est occupée par les hommes de lettres.
La place est vacante parce que [écrit Tocqueville] les grands administrateurs eux-mêmes, comme Turgot, quant à cette grande science du gouvernement, qui apprend à comprendre le mouvement général de la société […] étaient tout aussi neufs que le peuple lui-même. Il n’y a en effet que le jeu des institutions libres qui puisse enseigner complètement aux hommes d’État cette partie de leur art.
- 16 Je ne développe pas ici la communauté de vues sur la question religieuse, me bornant (...)
Avec cette phrase, désespérée dans sa circularité, Tocqueville semble donner raison à l’ambassadeur américain : pour mettre en place un gouvernement libre, il faut l’avoir déjà, les Américains ont donc pu le faire, les Français ne le pourront pas. Et Adams, qui parle de gens qu’il a personnellement connus, écrira que, pour rédiger une Constitution, il ferait confiance au plus ignorant des orateurs de town-meeting plutôt qu’à Turgot, Condorcet et La Rochefoucauld. Multiplier les citations parallèles serait un exercice amusant : disons simplement qu’Adams aurait pu écrire les deux premiers chapitres du Livre III de L’Ancien Régime et la Révolution16.
12Adams avait pourtant débarqué avec sa Constitution du Massachusetts et espérait convaincre les élites des mérites du gouvernement équilibré, ce qui, au pays de Montesquieu, était après tout envisageable. Il s’aperçoit d’abord qu’il n’y a pas d’élites au sens où il l’entend, se lie néanmoins avec certains hommes de lettres, Mably en particulier, et même avec quelques futurs acteurs de la Révolution, mais qui n’y tiendront qu’un rôle fugace, tel Lally-Tollendal, leader du parti des monarchiens ou anglomanes. Il s’aperçoit ensuite que l’influence de la Révolution d’Amérique est due, comme l’écrira Tocqueville, « moins à ce qu’on fit alors aux États-Unis qu’à ce qu’on en pensait au même moment en France » et que la « grossière doctrine » que soutiennent des gens aussi avisés par ailleurs que Turgot est celle de Benjamin Franklin, co-ambassadeur et rival, doctrine qu’il résumera comme celle du gouvernement en une seule assemblée représentant virtuellement la nation. Ces termes désignent bien, pour le lecteur d’aujourd’hui, l’idéologie que Marcel Gauchet a appelée le « rousseauisme révolutionnaire » ; il paraît évident à Adams qu’elle ne peut que déboucher sur des rivalités qui se termineront dans le despotisme d’un seul. Il entreprend donc d’expliquer la science politique aux Français – et en même temps aux Américains, car il y a certains troubles en Amérique, et c’est sous cette pression qu’il entreprend, fin 1786, son extravagante Défense des Constitutions de gouvernement des États-Unis d’Amérique, énorme compilation d’auteurs depuis Hérodote jusqu’aux contemporains. Encore s’excusera-t-il de n’avoir pu, pressé par le temps, présenter les doctrines politiques pour la période comprise entre la chute de Rome et celle de Byzance. Adams, homme des Lumières, bien qu’il soit convaincu à présent que la Révolution américaine est inexportable, reste universaliste en ce sens qu’un accord devrait être trouvé sur une méthode, en vue de porter la science politique au niveau qu’ont atteint les sciences naturelles. C. Bradley Thompson a montré, en exploitant des notes non publiées, qu’Adams admirait l’épistémologie de Locke et la méthode expérimentale de Bacon, et considérait que l’équivalent de celle-ci pour la science politique avait été mis au point par Machiavel, dans ses Discours sur la deuxième décade de Tite-Live et ses ouvrages historiques. Dans l’œuvre publiée, on lit par ailleurs que le génie de Newton est d’avoir marié la théorie et l’expérimentation : c’est le modèle de la science moderne. Les hommes de lettres, et singulièrement Condorcet, présentent au contraire de pures spéculations (méthode hypothético-déductive dans la langue d’aujourd’hui, ou « rationalisme constructiviste », pour parler comme Hayek). Le rôle assigné à l’Histoire est complètement différent selon les deux méthodes : alors que le véritable scientifique étudie de façon critique l’histoire passée pour en tirer des invariants, le charlatan, qui se prend pour un génie et n’a que faire du passé, laisse à l’histoire se faisant le soin de vérifier ses spéculations. Le point de départ d’une saine recherche doit être : Quel genre d’êtres sont les hommes ? La réponse la plus sûre est donnée par Machiavel : ce sont des êtres aux désirs illimités. La science du gouvernement est donc celle qui trouvera une forme permettant de les limiter en les faisant s’opposer. Dans l’état actuel des connaissances, Adams conclut à un double éclatement du pouvoir et à cette occasion il reformule la théorie du gouvernement mixte. Comme je l’ai dit, je parlerai de cette doctrine à la fin. Pour l’instant, il est clair que ce genre de science politique rencontre les préoccupations de Tocqueville, pour qui l’art du gouvernement est celui de la maîtrise des passions. On sait par ailleurs que Tocqueville ne croyait pas au gouvernement mixte et ne voyait dans le maintien de son squelette qu’une utile division fonctionnelle du pouvoir démocratique : savoir ce qu’il aurait pensé de sa reformulation par Adams restera donc de l’ordre de la spéculation. Quant aux spéculateurs du temps, le portrait de Condorcet comme type idéal par Adams correspond trait pour trait à ce tableau de Tocqueville :
- 17 AR, III, 1. Des extraits de la Défense sont présentés et traduits dans EPP II, p. 9-1 (...)
Quand on étudie l’histoire de notre révolution, on voit qu’elle a été menée précisément dans le même esprit qui a fait écrire tant de livres abstraits sur le gouvernement. Même attrait pour les théories générales, les systèmes complets de législation et l’exacte symétrie dans les lois ; même mépris des faits existants ; même confiance dans la théorie ; même goût de l’original, de l’ingénieux et du nouveau dans les institutions ; même envie de refaire à la fois la constitution tout entière suivant les règles de la logique et d’après un plan unique, au lieu de chercher à l’amender dans ses parties. Effrayant spectacle17 !
- 18 DA II, I, 1. Le premier livre d’Emerson fut publié en 1836. Habermas : voir EPP I, p. (...)
13En effet. Mais Tocqueville a contribué à l’image quelque peu caricaturale des Américains pragmatiques, notamment par son célèbre chapitre sur leur méthode philosophique. On suppose bien qu’il parlait de ce qu’il voyait sous la présidence de Jackson (en ignorant du reste les recherches en cours à cette époque) et ne visait pas les Pères fondateurs. Certains s’y sont laissés prendre : ce fut malheureusement le cas de Habermas, qui a opposé mal à propos « sens commun américain » et « philosophie française ». Ceci contribuera, je l’espère, à remettre les idées en place18.
Monde démocratique et monde spéculaire
- 19 Treize de ces discours sont présentés et traduits dans EPP II, p. 159-246.
14La Révolution française éclate alors qu’Adams est vice-président (de Washington) et dispose donc de grands loisirs. Il les met à profit pour publier trente-deux articles qui paraissent d’avril 1790 à avril 1791 sous le titre Discours sur Davila. Davila était un historien italien des guerres de Religion ; si Adams pensait au départ mettre en garde de façon détournée les Jacobins et leurs nombreux sympathisants d’Amérique, tout en répondant à Condorcet qui s’en était pris à sa Défense, sa réflexion se tourne rapidement vers l’anthropologie philosophique, puis se rabat sur la Révolution française, revient à Davila et se termine sur la présentation du Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie. Pour annoncer Napoléon dès 1791, c’était bien trouvé, mais cela porta à un tel degré la fureur des Jacobins américains que l’éditeur signala au vice-président qu’il arrêtait la publication. Texte des plus déconcertants, donc, mais des plus substantiels. Je l’ai analysé et partiellement traduit ailleurs, j’essaye ici d’en extraire schématiquement ce qui est utile au dialogue de nos auteurs19.
15Dans les premiers discours, qui doivent beaucoup à Adam Smith, Adams présente l’homme comme un être animé de passions égoïstes, ce qu’il appelle la self-preservation (l’amour de soi-même de Rousseau), et surtout de passions sociales : il imite son semblable pour se distinguer. Cette propension mimétique visant au dépassement est l’émulation, qui peut se transformer en ambition (en cas de recherche du pouvoir comme signe de distinction), en jalousie (si l’on a peur de perdre le pouvoir), en envie (si l’on veut rabaisser un supérieur), en vanité (chez celui qui se prend pour ce qu’il n’est pas), et connaît sa forme la plus haute chez ceux qui veulent gagner la Renommée pour leurs grandes actions et ont pour maxime spectemur agendo (« Soyons vus par l’action »). Tout cela, c’est pour les yeux des autres, c’est pour être au moins vu, de préférence admiré, c’est pour gagner la sympathie. On peut donc regrouper l’ensemble, y compris l’envie, sous le nom de « passion de la distinction ». C’est elle qui explique notamment l’accumulation des richesses (c’est ainsi que se manifeste d’abord la « main invisible » chez Adam Smith). Si l’on ajoute à la considération pour la richesse celle que l’on porte à la naissance et à la beauté, on a déjà trois piliers de l’aristocratie, qui est un phénomène naturel qu’aucun législateur ne peut abolir. L’histoire de l’humanité se confond pour ainsi dire avec l’histoire de cette passion :
[et] c’est une des fins principales du gouvernement que de régler cette passion, qui devient à son tour un des principaux moyens du gouvernement. C’est le seul instrument adéquat pour que l’ordre et la subordination règnent dans la société, seul il impose l’obéissance effective aux lois, puisque sans lui ni raison humaine ni armée permanente ne sauraient produire ce grand effet.
- 20 Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, première partie, en particulier section II (...)
Ceci peut paraître surprenant, mais le grand point, c’est que la passion de la distinction comprend l’envie ou, comme l’écrit Jean-Pierre Dupuy, que la sympathie smithienne « contient » l’envie dans les deux sens du terme. Pour Adam Smith, que John Adams approuve entièrement sur ce point, l’admiration ne se distingue pas de l’envie. Dans un système d’Ancien Régime, où chacun est à une place déterminée par un ordre présenté comme transcendant, un ordre (sur) naturel comme l’écrit Robert Legros, l’envie est bloquée. En démocratie, elle joue pleinement : les mêmes objets se présentent aux désirs de tous. Mais l’individu n’est pas atomique – nous sommes dépendants du regard des autres, esclaves des autres. Il est donc possible de concevoir un ordre d’individus, ce qu’essayent de faire les Lumières écossaises, particulièrement Adam Smith, et la république est gérable. Selon Adams, une de ses conditions est le remplacement des anciens ordres par un ordre symbolique – c’est ce qu’avaient compris les Romains, et il y va d’un étonnant discours sur ce que nous appellerions la sémiologie politique romaine20.
16Le risque est le plus grand lorsqu’on sort d’un ordre aristocratique, comme les Français sont en train de le faire. Le trait de génie d’Adams est de passer alors d’Adam Smith à Shakespeare. Il annonce (discours X) « la conclusion de toutes les réflexions et toutes les expériences qui ont été faites sur l’imitation, l’émulation et la rivalité » et reproduit le discours d’Ulysse à Agamemnon dans Troilus et Cressida, discours connu sous le nom de « Neglect of Degree ». Le « degree », la hiérarchie, est voilé et toute l’armée grecque est malade, chacun « contracte la fièvre envieuse de la pâle et livide émulation ». Or, c’est un texte que René Girard considère comme une des expressions les plus fortes de la crise mimétique. À plusieurs reprises, Adams avait déjà montré qu’il comprenait que le désir mimétique était plus redoutable que le désir objectal. La confirmation est ici éclatante, mais il va aller encore plus loin dans le discours suivant, où les enjeux perdent toute signification :
Qu’il y ait déjà une scission dans l’Assemblée nationale, comme dans toutes les autres, passées, présentes et à venir, est tout à fait certain […] Chacun de ces partis a son chef et ces chefs sont, ou seront, rivaux. La religion sera à la fois l’objet et le prétexte pour certains ; la liberté pour d’autres ; la soumission et l’obéissance pour d’autres encore ; et le nivellement, carrément le nivellement, pour beaucoup. Mais l’attention, la considération et les congratulations du public seront l’objet de tous.
- 21 René Girard a eu l’amabilité de m’écrire qu’il avait découvert les textes d’Adams à l (...)
Voilà ce que devient la sympathie d’Adam Smith en cas de crise mimétique. Comme toujours, Adams écrit pour réagir aux événements : le vice-président des États-Unis avait appris que l’Assemblée nationale de France avait décidé l’abolition de tous les titres. Inutile de dire qu’il n’a pas été compris : il s’est au contraire gagné la durable réputation de vouloir établir des ordres d’Ancien Régime en Amérique. Or, son message n’était pas le même pour les Français et pour les Américains. Aux premiers, il annonçait que la destruction de l’aristocratie dans le déchaînement de la fièvre envieuse entraînerait des rivalités qui aboutiraient à un nouveau despotisme – et que celui-ci risquait en plus d’être d’une espèce nouvelle et inconnue à cause du nouveau credo antireligieux. Aux seconds, il voulait faire comprendre la nécessité d’un ordre symbolique à la fois pour attirer les meilleurs vers le service public et pour qu’ils n’exercent pas tout le pouvoir dans l’indistinction démocratique. Les riches et les bien-nés n’avaient pas besoin d’être protégés en Amérique, c’était la « partie démocratique de la société » qui devait être protégée contre eux. Adams n’a pas craint d’écrire que le « degree » est la condition de lois égales21.
- 22 DA I, 1, 3 in fine. DA II, 2, 1, 13 ; DA II, 3, 16, 17, 19. AR, I, 2. Adams critiquan (...)
17On sent chez Adams une perception de la médiation du désir par l’autre plus profonde que chez Tocqueville ; cela est probablement dû aux rapports complexes qu’il a entretenus avec la Renommée et ses principaux rivaux (Franklin, Jefferson, Washington) qui la dérobaient, comme on peut le lire en filigrane dans le sixième Discours sur Davila. Pour le reste, il est clair que les positions de Tocqueville et d’Adams sont à peu près les mêmes dans leurs descriptions de l’envie destructrice à l’œuvre dans les grands séismes : j’ai reproduit ailleurs un morceau de bravoure de Tocqueville sur l’effondrement d’une aristocratie qui semble inspiré du texte de Shakespeare. Les analyses des conséquences coïncident aussi largement : la disparition des corps constitués laisse les individus sans aucune protection face au despotisme, la distinction de la richesse prend la place des distinctions traditionnelles. En temps normal, dans ce que Tocqueville appelle l’état social démocratique, on trouve aussi une large communauté de vues : les hommes s’imitent et s’envient, et la passion de la distinction renaît sans cesse de l’insatisfaction même de la passion de l’égalité. Les textes de Tocqueville sont suffisamment connus pour que je ne les rappelle ici que brièvement. On peut simplement relever que, pour Adams, la passion de l’égalité est la pernicieuse envie qui veut abaisser (une émulation inversée), mais on sait que Tocqueville distingue de celle-ci une passion légitime de l’égalité qui naît du désir d’estime : question de mots, il parle de ce qu’Adams appelle l’émulation22.
18Le monde spéculaire de l’un et l’état social démocratique de l’autre seraient-ils donc identiques ? Les notations d’Adams dans son journal, où les diverses transformations de la passion de la distinction, y compris l’envie, se révèlent dans d’incessantes comparaisons seraient-elles précisément typiques de l’homo democraticus, de l’individu moderne ? La question est d’importance, car les conséquences sociales et politiques qu’ils tirent de leurs analyses des rapports humains restent inconciliables. Les inégalités sont pour Adams irréductibles et ne peuvent que s’aggraver eu égard au caractère infini du désir de distinction et de ses conséquences, le lien social requiert un ordre différentiel, l’égalité est un droit moral qui, pour avoir une effectivité politique, requiert paradoxalement la prise en compte institutionnelle des inégalités réelles par l’adaptation du gouvernement mixte aux conditions modernes de classes. Mais, relisant Tocqueville après Adams, je crois avoir trouvé une similitude supplémentaire. Il y a en effet un laissé pour compte du système spéculaire, c’est le pauvre. Adams, paraphrasant Adam Smith, écrit au sujet du pauvre :
On ne le désapprouve pas, on ne le blâme pas, on ne lui fait pas de reproches : simplement, on ne le voit pas.
19Cette indifférence totale est mortifiante, pénible et cruelle. Chez Tocqueville, on trouve aussi cette distinction entre ceux qu’on voit et ceux qu’on ne voit pas. Sa thèse centrale de L’Ancien Régime et la Révolution est qu’au terme du travail de nivellement accompli par l’Ancien Régime, les hommes sont devenus semblables en France. Pas tout à fait : Tocqueville précise « ceux qui y occupent les régions moyennes et hautes de la société, les seuls qui se fassent voir ». Et ce n’est que quatre chapitres plus loin qu’il parle de la condition du paysan français, pour écrire « tous les hommes des autres classes s’étaient écartés de lui […] Sorte d’oppression nouvelle et singulière ».
20Or, je lis dans Furet et Richet que les paysans représentent à l’époque plus des trois quarts de la population du royaume. L’état social démocratique, c’est la perception de l’autre comme semblable : si certains sont plus semblables que d’autres, si cette perception ne concerne qu’une minorité de la population, alors peut-être Adams n’a-t-il pas tout à fait tort. Tocqueville tourne la difficulté en présentant la chose comme un accident de l’histoire. Quelques années auparavant, expliquant « comment l’aristocratie pourrait sortir de l’industrie », il remarquait déjà que « le maître et l’ouvrier n’ont ici rien de semblable, et diffèrent chaque jour davantage », mais tendait à minimiser l’importance de ces « petites sociétés aristocratiques que forment certaines industries au milieu de l’immense démocratie ». Pour Adams, l’histoire, à chaque mutation, reproduit une classe qu’on ne voit pas :
La partie réellement démocratique de l’humanité n’a trouvé que bien peu de modifications pour le meilleur ou pour le pire à travers tous ces changements. Les serfs des terres des barons ou de l’église vivaient aussi bien et étaient aussi humainement traités que les travailleurs et les ouvriers de manufacture ne le sont aujourd’hui en Angleterre […] Voilà la véritable démocratie de chaque nation et de chaque époque.
- 23 EPP I, p. 197-198. AR, II, 8 et 12. François Furet et Denis Richet, La Révolution fra (...)
21Tocqueville sous-estime la lutte des classes, qui pour Adams est une question aussi inévitable que capitale. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles L’Ancien Régime et la Révolution se termine sur une note désespérée : la passion de la liberté est superficielle et passagère, alors que la passion pour l’égalité, obstinée et aveugle, occupe le fond des cœurs et prépare de nouveaux despotismes. Voyant l’état social démocratique à l’œuvre en Amérique, Tocqueville en a conclu que celle-ci était l’avenir de l’Europe. Adams lui répond que l’avenir de l’Amérique pourrait être l’oligarchie. J’en arrive ainsi à la dernière partie du dialogue23.
Démocratie et oligarchie
- 24 L’aristocratie, question politique fondamentale : EPP I, p. 143-148. La synthèse prop (...)
22L’inégalité naturelle et la passion de la distinction font que l’appropriation inégale des richesses et des autres moyens du pouvoir est un fait irréductible, un fait de la nature. Le conflit qui en résulte nécessairement se ramène en dernière analyse à une opposition binaire, puisque l’humanité se divise finalement en petit nombre et multitude, gentlemen et simplemen, aristocrates et démocrates. Leur lutte éternelle ne peut se terminer que dans le despotisme d’un seul, sauf si une représentation des intérêts dans la législature est organisée avec l’arbitrage d’un tiers indépendant. La conception du gouvernement mixte reste donc d’actualité et les conditions modernes permettent un exécutif fort et indépendant, représentant la nation tout entière, si le président est élu au suffrage universel. Malheureusement, les révolutions du XVIIIe siècle n’aboutissent pas à cet équilibre. La chimère d’une assemblée unique est la plus pernicieuse qui soit, car elle est de nature à assurer directement le règne d’une aristocratie d’autant plus dangereuse qu’elle est difficile à identifier et qu’elle constitue une ploutocratie dépourvue des qualités que pouvaient avoir les anciens nobles dans les pays où la société était divisée en rangs. En effet, mélanger les gens d’influence, c’est-à-dire ceux qui peuvent commander plusieurs votes, aux gens ordinaires aboutit nécessairement à la manipulation de ceux-ci par ceux-là. C’est pourquoi l’aristocratie est le problème politique majeur et qu’Adams jugera rétrospectivement qu’elle est le sujet de tous ses écrits depuis le début de la Défense, dont Davila n’est en somme que le quatrième volume. En France, dans la situation révolutionnaire où diverses factions prétendant représenter virtuellement la nation se sont déchirées, le résultat a été le despotisme d’un empereur, produit de la démocratie par la destruction des ordres intermédiaires, et ce despotisme a été suivi d’une restauration : on ne sort pas des cycles prévisibles dépeints par les penseurs antiques. On pouvait craindre, en raison de la passion antireligieuse, quelque chose d’inconnu, l’apparition d’un despote fou prophète d’une superstition nouvelle, mais Napoléon n’a pas été cela. En Amérique, on a gardé la forme du bon gouvernement (séparation des pouvoirs fonctionnant comme freins et contrepoids et pouvoir législatif en trois branches, le président et les deux chambres) mais on l’a vidée de sa substance. D’une part, on n’élit pas le président au suffrage direct, d’autre part les deux chambres ne représentent plus des intérêts sociaux. Or, il faut attirer les meilleurs dans un sénat pour qu’ils soient séparés et visibles, faisant ainsi bénéficier la nation de leurs talents sans la mettre au service de leurs intérêts, et il faut assurer la représentation des intérêts de la partie démocratique de la société. Dans l’état actuel des choses, l’Amérique est dirigée en sous-main par une aristocratie qui dispose de réseaux dans la société. L’espace public ne sert plus qu’à la « scenery of the business » (ce que nous appelons aujourd’hui la politique-spectacle), les décisions sont prises en secret et les parlementaires ne font que voter conformément aux instructions des états-majors. Du gouvernement quasi mixte qu’Adams avait contribué à mettre en place, on a fait une démocratie, c’est-à-dire une oligarchie24.
23Voilà en gros la pensée politique finale de John Adams. Wood me paraît affirmer à la légère qu’il n’a rien compris à la nouvelle science politique américaine. On peut comprendre en revanche que Tocqueville semble parfois naïf, comme lorsqu’il s’étonne de l’énorme différence entre la vulgarité de la Chambre fédérale et la distinction d’un Sénat (élu au suffrage indirect à l’époque) digne de tous les éloges. Sauf à supposer qu’il partage, non seulement les instincts, mais aussi les arrière-pensées aristocratiques de certains Pères fondateurs, ne révèle-t-il pas, ici et ailleurs, une compréhension insuffisante des réseaux d’influence ? Ceux-ci, Adams ne les connaît que trop bien : dès qu’il s’était lancé dans la politique du Boston colonial, il s’était employé à constituer un réseau, mais il se refusera consciemment à faire de même lors de sa présidence, au nom de sa conception de l’exécutif impartial, ce qui aura des conséquences désastreuses pour sa carrière et son parti. Si les deux penseurs soulignent l’importance des associations, celles-ci, pour Adams, sont d’abord des pépinières d’aristocraties. Tocqueville semble ne pas bien comprendre non plus l’économie qui se développe (ce sera une des critiques de Raymond Aron), alors qu’Adams voit croître les modernes puissances, dont les interactions avec le politique soi-disant séparé du social sont inévitables. De nouvelles aristocraties se créent, comme de nouvelles races de bétail : on a obtenu le mouton mérinos, nous sommes grevés à jamais d’une nouvelle espèce de spéculateurs immobiliers et de boursicoteurs. Et si Tocqueville tient encore le discours standard sur le rôle émancipateur des progrès du savoir, Adams, qui a appris son ambiguïté dans Rousseau, sait qu’il fait partie des signes de distinction et des moyens du pouvoir, et a vu son utilisation pernicieuse par les hommes de lettres avides de reconnaissance, écrit en 1812 :
- 25 Gordon S. Wood, La création de la république américaine, sixième partie, chap. 14 ; i (...)
Soyez-en sûr, à moins que vous ne donniez une part de la souveraineté aux démocrates, plus vous développerez le savoir dans la nation, plus vous écraserez et opprimerez les démocrates jusqu’à ce que vous les réduisiez aux calculs que l’on fait au sujet des nègres des Antilles, des herscheurs écossais et anglais, des tourbiers hollandais et des filles de la nuit qui racolent dans les rues de Paris et de Londres. Car le savoir sera toujours monopolisé par l’aristocratie25.
24Le grand législateur dont on a confisqué l’œuvre est un peu hargneux. Mais Tocqueville lui dira que la société a « des mouvements irrésistibles contre lesquels il lutte en vain ». Il peut même s’adresser à Adams personnellement, puisqu’il en parle sans le nommer lorsqu’il se félicite du passage des fédéralistes au pouvoir : « ils luttaient contre la pente irrésistible de leur siècle et leurs théories avaient le tort d’être inapplicables dans leur entier à la société qu’ils voulaient régir […] Mais leur gouvernement laissa du moins à la nouvelle république le temps de s’asseoir ». Tocqueville croit que les fédéralistes voulaient restreindre le pouvoir populaire – ce qui semble globalement exact, avec d’importantes réserves en ce qui concerne Adams. La singularité de son cas oblige d’autant plus à se demander quelles sont, dans la tendance irrésistible diagnostiquée par Tocqueville, les parts respectives d’état social démocratique et d’arrière-pensées aristocratiques. Une des conséquences de la déconnexion du social et du politique, écrit Wood,
[fut d’] interdire le développement d’une tradition intellectuelle dans laquelle des idées politiques différentes seraient étroitement et véritablement articulées à des intérêts sociaux différents.
- 26 DA I, 1, 8 dernière section, et DA I, 2, 1. Gordon S. Wood, La création de la républi (...)
Adams aurait pu être à l’origine d’une pensée politique américaine vigoureuse, mais ses propos étaient tellement iconoclastes, tellement à contre-courant, qu’ils ont au contraire contribué à ce que l’espace soit durablement occupé par Tocqueville. Comme l’écrit John Patrick Diggins, De la démocratie en Amérique fut involontairement la véritable réfutation de John Adams aux États-Unis. Il est permis de penser qu’Adams fournit aujourd’hui d’intéressants outils critiques pour relire Tocqueville, tout Tocqueville : un des paradoxes qui surgit d’un premier dialogue entre esprits paradoxaux est que le président devenu philosophe du soupçon trouverait sans doute beaucoup plus à redire à la Démocratie qu’à L’Ancien Régime. Ne manquons pas l’occasion de poursuivre cette confrontation26.
Notes
1 Il a paru inopportun d’indiquer systématiquement les références aux éditions américaines de John Adams, car elles ne sont guère disponibles en France. Une recherche sur le SUDOC révèle que la collection à jour des Adams Papers (l’édition critique toujours en cours, donc incomplète) ne se trouve qu’à la Sorbonne. La BnF possède les Works en dix volumes : cette sélection est un complément nécessaire des Papers, car elle couvre la vie entière de John Adams (alors que le douzième et dernier tome publié des Papers s’arrête à avril 1782). On renvoie au SUDOC pour certaines éditions particulières ou partielles (Diaries, correspondances, œuvres choisies…) disponibles dans diverses institutions. J’ai donc pris le parti de renvoyer principalement à mes propres publications, où l’on trouvera bien entendu les sources, ainsi que des références à de nombreux travaux américains non traduits en français.
2 Tocqueville, Œuvres, Paris, Gallimard, t. III, Écrits et discours politiques, 1985, p. 88. The Adams-Jefferson Letters, Lester J. Cappon (éd.), Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1959, 2 vol., t. II, p. 614. Précisons d’emblée que, pour Tocqueville comme pour Adams, le terme « aristocratie » doit être pris au sens étymologique d’élite dirigeante ; pour le premier, la noblesse française à la veille de la Révolution n’est d’ailleurs plus qu’une « caste » (détentrice de privilèges et non de pouvoirs), pour le second, qui est très conscient de fonder une lignée illustre, la naissance est un des piliers de l’aristocratie dans toute société, que celle-ci comprenne ou non des ordres héréditaires. John Adams est le deuxième président des États-Unis, John Quincy Adams le sixième : contrairement à ce qu’avaient annoncé certains médias, même américains, lors des élections de 2000, George Bush n’est pas le premier à avoir vu un de ses fils accéder à la présidence.
3 Alasdair MacIntyre, After Virtue, Londres, Duckworth, 1981, p. 36. Les Lumières françaises ne sont cependant pas absentes de la formation : le jeune Adams, comme les autres esprits éclairés de son temps, lit Montesquieu, Voltaire et Rousseau. J. R. Pole, Political Representation in England and the Origins of the American Republic, Londres – New York, Macmillan – St Martin’s Press, 1966, p. 33-75.
4 Adams et Tocqueville rejettent tous deux l’influence excessive que Montesquieu a accordée aux climats : John Adams, Écrits politiques et philosophiques, Jean-Paul Goffinon (éd. et trad.), Caen, Presses universitaires de Caen (vol. I, désormais abrégé EP I et vol. II, désormais abrégé EP II), 2004, EP II, p. 131 ; De la démocratie en Amérique (désormais abrégé DA I, pour le t. I et DA II, pour le t. II), DA I, 2, 9. Ces deux références sont également pertinentes pour le rapport des lois et des mœurs ; à ce sujet, voir aussi Jean-Paul Goffinon, Aux origines de la Révolution américaine : John Adams, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1996, p. 168 ; DA I, 1, 8 in fine et Françoise Mélonio, « Introduction à la première “Démocratie” », Tocqueville. De la démocratie en Amérique. Souvenirs. L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Bouquins (Laffont), 1986, p. 26. Tocqueville parle de « cause génératrice » dans son introduction à DA I, bien avant le célèbre Avertissement à DA II. La lettre à Mably : EPP I, p. 331. Tocqueville sur les communes : DA I, 1, 5 ; sur les communautés religieuses : DA I, 2, 9.
5 Sur la « démocratie » du Massachusetts colonial : EPP I, note p. 43. Sur l’isonomie : Hannah Arendt, On Revolution [1965], Londres, Penguin Books, 1973, p. 30-31 (une traduction française a paru chez Gallimard en 1967 sous le titre Essai sur la révolution. Les notes infrapaginales renvoient à l’édition Penguin). Forme de gouvernement et mœurs : EPP II, p. 123-124 et 131 ; cf. Kant, Projet de paix perpétuelle, premier supplément, VIII. La Révolution américaine dans les mentalités : EPP I, p. 34-35 et 37-38.
6 Sur l’évolution de Tocqueville de de la démocratie en Amérique à L’Ancien Régime et la Révolution (désormais cité AR) : François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 189-195.
7 Caucus et meetings : EPP I, p. 42. Commentaires de Tocqueville sur l’aristocratie de Nouvelle-Angleterre : voir notamment DA I, 1, 4, où il cherche précisément à expliquer comment elle a favorisé la démocratie. Passion de la Renommée : Tocqueville la comprend évidemment très bien, mais relève qu’elle n’est guère présente dans les démocraties (DA II, 3, 19) ; je veux dire que, tout à son explication par l’état social, il ne l’a pas vue à l’œuvre dans la genèse du nouveau régime.
8 Douglass Adair, Fame and the Founding Fathers, Indianapolis, Liberty Fund, 1998 (réédition).
9 Arthur O. Lovejoy, Reflections on Human Nature, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1961.
10 Dès le premier essai que publie John Adams, la différence entre les Américains des Lumières, hommes d’action et de réflexion, et les hommes de lettres français est claire. L’article, qui semble inspiré, sur le plan intellectuel, par la lecture de Rousseau, commence par « Ce qui distingue l’homme des autres animaux… ». On croirait un de ces hommes de lettres qu’« on entendait tous les jours discourir sur l’origine des sociétés et sur leurs formes primitives » (AR, III, 1). Mais l’article est suscité par des troubles qui concernent Adams à la fois comme avocat et comme homme politique et vise à des effets très pratiques ; détaché de son contexte, il garde un grand intérêt.
11 Cf. J. G. A. Pocock, Le moment machiavélien, Paris, PUF, 1998 (trad. de The Machiavellian Moment, Princeton, Princeton University Press, 1975).
12 Pour Arendt, je rejoins l’appréciation de P. A. Rahe, telle qu’il la formule notamment à la page 28 du volume 3 de Republics Ancient and Modern, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1994.
13 Gordon S. Wood, La création de la République américaine, Paris, Belin, 1991 (trad. de The Creation of the American Republic, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1969).
14 Sauf erreur, Tocqueville n’expose la théorie constitutionnelle américaine qu’à propos de la judicial review (DA I, 1, 6). Mais il estime que le peuple gouverne lui-même (DA I, 1, 4 et DA I, 2, 1). Adams à propos de la Constitution du Massachusetts : EPP I, p. 153.
15 Sur la métaphore de l’architecte : Jean-Paul Goffinon, Aux origines de la Révolution américaine, p. 54. P. A. Rahe (Republics Ancient and Modern) et C. Bradley Thompson (John Adams and the Spirit of Liberty, Lawrence, University Press of Kansas, 1998) considèrent à juste titre la notion d’architecture politique comme essentielle.
16 Je ne développe pas ici la communauté de vues sur la question religieuse, me bornant à quelques indications. Dès 1790, Adams confie ne savoir que faire d’une république de trente millions d’athées (EPP I, p. 163). Bien qu’il soit extrêmement critique à l’égard de toutes les religions, il pense que l’irréligion complète est un mal pire ; à la raison devenue folle des hommes de lettres, il oppose la raison des humanistes (Jean-Paul Goffinon, Aux origines de la Révolution américaine, p. 147-151 ; cf. DA II, 2, 15). Comme Tocqueville, il voit dans la doctrine de la perfectibilité de l’homme une sorte de superstition nouvelle (EPP II, p. 251-254). La passion athée lui inspire de vives inquiétudes : dans le treizième discours sur Davila, il craint, « en des termes étrangement prophétiques » (H. Arendt, On Revolution, p. 191), qu’elle mène à un tel oubli de la dignité humaine que l’extermination d’une nation entière paraîtra un acte aussi innocent que « l’engloutissement de quelques mites » (EPP II, p. 242-243). Sur l’ignorance de Turgot et son cercle : EPP I, p. 42.
17 AR, III, 1. Des extraits de la Défense sont présentés et traduits dans EPP II, p. 9-132. C. Bradley Thompson, John Adams and the Spirit of Liberty, p. 109-119. Pour Tocqueville, le gouvernement mixte est une « chimère » : DA I, 2, 7.
18 DA II, I, 1. Le premier livre d’Emerson fut publié en 1836. Habermas : voir EPP I, p. 125-126.
19 Treize de ces discours sont présentés et traduits dans EPP II, p. 159-246.
20 Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, première partie, en particulier section III, chap. 2 : De l’origine de l’ambition, et de la distinction des rangs (M. Biziou, C. Gautier et J.-F. Pradeau (éd.), Paris, PUF (Quadrige), 2003, p. 91-102). L’extrait du deuxième Discours sur Davila cité ici est utilisé par Hannah Arendt pour soutenir que le but des Pères fondateurs était la création d’un espace public pour « exceller et être vus » (H. Arendt, On Revolution, p. 136-137). Jean-Pierre Dupuy : Le sacrifice et l’envie, Paris, Calmann-Lévy, 1992.
21 René Girard a eu l’amabilité de m’écrire qu’il avait découvert les textes d’Adams à l’occasion de mon premier livre et qu’il avait été ébloui.
22 DA I, 1, 3 in fine. DA II, 2, 1, 13 ; DA II, 3, 16, 17, 19. AR, I, 2. Adams critiquant Montesquieu à propos de la « passion de l’égalité » : EPP II, p. 127.
23 EPP I, p. 197-198. AR, II, 8 et 12. François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Paris, Hachette (Pluriel), p. 39. DA II, 2, 20. EPP II, p. 286.
24 L’aristocratie, question politique fondamentale : EPP I, p. 143-148. La synthèse proposée ici se fonde essentiellement sur des extraits de la Défense, des Discours sur Davila et des Lettres à Benjamin Rush qu’on trouve dans EPP II. Avec la politique-spectacle, la beauté comme moyen de pouvoir prend tout son sens : ainsi, Washington n’avait pas de grandes aptitudes, mais sa belle image présidentielle était utilisée par Hamilton, qui, à la tête de son réseau, était le véritable dirigeant (EPP II, p. 249).
25 Gordon S. Wood, La création de la république américaine, sixième partie, chap. 14 ; il semble en outre que Pocock s’en soit inspiré pour présenter d’Adams une image caricaturale qui lui a valu de nombreuses critiques : The Portable John Adams, J. P. Diggins (éd.), Harmondsworth, Penguin Classics, 2004 ; P. A. Rahe, Republics Ancient and Modern ; C. Bradley Thompson, John Adams and the Spirit of Liberty, etc. DA I, 2, 5, « Des causes qui peuvent corriger en partie ces instincts de la démocratie ». Préjugés aristocratiques de Tocqueville : Françoise Mélonio, « Introduction à la première “Démocratie” », p. 21, Stanley Hoffmann : « Aron et Tocqueville », Commentaire, 1985, nº spécial, Raymond Aron, 1905-1983, p. 200-212. Tocqueville sur les progrès du savoir au profit de l’égalité : Introduction à DA I. EPP II, p. 283-284, p. 288.
26 DA I, 1, 8 dernière section, et DA I, 2, 1. Gordon S. Wood, La création de la république américaine, p. 645. John Patrick Diggins (éd.), The Portable John Adams, p. XXXIX-XL.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Jean-Paul Goffinon, « Une occasion manquée : John Adams et Tocqueville », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 44 | 2007, 135-156.
Référence électronique
Jean-Paul Goffinon, « Une occasion manquée : John Adams et Tocqueville », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 44 | 2007, mis en ligne le 31 janvier 2023, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1843 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1843
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page