Politique et religieux. Une lecture de Tocqueville par Marcel Gauchet
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- 1 Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, Paris, PUF (Sociologies), 1983, (...)
- 2 Tocqueville, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, t. I, 2, 1961, De la démocratie en (...)
- 3 Françoise Mélonio, Tocqueville et les Français, Paris, Aubier (Histoires), 1993.
1Bien que son audience s’élargisse toujours, que son « prophétisme » soit devenu un lieu commun réducteur1, bien que beaucoup des ci-devant contempteurs de son réformisme, désormais orphelins de leur radicalisme, s’offrent un détour par lui, Tocqueville fut et n’en reste pas moins un isolé, un outsider ou, pour parler en patois normand de ce Normand, un horsain parmi les siens2. Avec son Tocqueville et les Français, qui est plus encore une étude sur les Français et Tocqueville, Françoise Mélonio a dit l’essentiel sur la réception d’un penseur toujours un peu en marge et opposant, mais ajouterai-je, malgré lui3. En effet, la régularité dans l’histoire de sa réception française, à travers les renversements de situation et les batailles à front retourné, c’est qu’à la différence de la plupart des autres astres de notre vie intellectuelle, Tocqueville se retrouve quasi toujours, quelle que soit la mode ou la dominante du jour, dans la posture de l’intellectuel critique, mais il s’y retrouve, me semble-t-il, comme à son corps ou à son cœur défendant. Ce paradoxe, qui tient à une complexité et à des décalages intimes comme à un art de la nuance, fait grandement l’attrait et les surprises renouvelées de sa lecture. Il explique l’inoxydable actualité de ce légitimiste de cœur mais qui n’est pas réactionnaire, de ce catholique de culture et de nostalgie mais qui n’est pas dogmatique, de ce janséniste de sensibilité mais sans être sectaire, de ce moraliste de la nature humaine, mais attentif aux moindres variations historiques et sociales du sentiment, de ce prosateur attardé dans la langue du Grand Siècle qui chérit les maximes bien frappées, mais pour nous expliquer l’actualité ou notre modernité. On a aussi remarqué l’objectivité de Tocqueville. Mais c’est qu’il y a une oralité derrière ce style, si écrit et parfois empesé. Comme il y a une oralité derrière les dialogues de Platon. La prose de Tocqueville mime la conversation idéale, – cet art si français et si aristocratique, qu’on ne soupçonne même plus –, et qui réussit à impliquer son lecteur le plus contemporain, à le deviner, à le révéler à lui-même, à le surprendre et, finalement, à lui donner le sentiment d’avoir été compris, mis en valeur et devancé par son interlocuteur. L’objectivité, souvent louée de Tocqueville, n’est donc probablement d’abord qu’une politesse d’Ancien Régime, où l’art de la conversation consiste, pour chaque hôte, le recevant et le reçu, à mettre en valeur l’esprit de l’autre et à ne dire le désaccord que sur le mode de la surprise et du trait. Cette survivance en un âge de démocratie et de médias installe désormais son texte dans une atmosphère de Dialogue aux Enfers ou de conversation au Parnasse entre l’Aristocratie et la Démocratie, comme deux grandes allégories qui pourront continuer leur échange ad infinitum, un peu comme Platon et Aristote dans la célèbre fresque de Raphaël, au moins tant que dureront la politique et la religion sur terre et leurs dieux dans le monde des Idées.
- 4 Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sci (...)
- 5 Je donne ici la version que j’avais écrite pour le colloque au printemps 2005. Au moment de (...)
2Mais, pour juger d’une configuration de la réception de Tocqueville et d’un moment dans cette tension avec lui, comme des rebondissements de sa pertinence critique, j’ai choisi un texte de Marcel Gauchet que F. Mélonio cite bien dans sa bibliographie, mais sans en faire autrement usage, un article de 1980, paru dans Libre 80 / 7, p. 43-120 (auquel renvoient tous les chiffres entre parenthèses) : « Tocqueville, l’Amérique et nous. Sur la genèse des sociétés démocratiques ». Texte de jeunesse sans doute, mais qui paraît significatif de plusieurs continuités ou récurrences dans une manière bien française et dans le cas, de gauche, de recevoir ou plutôt, peut-être, de ne pas recevoir Tocqueville. C’est le premier point que je soulignerai. Mais se réactive là un débat fondamental sur le religieux et ses rapports à la démocratie en particulier et au politique en général. Ce sera mon deuxième point. Pour rester bref, je dois me limiter à cet article de 1980. Néanmoins, je voudrais souligner dès maintenant, et je le redirai, qu’il serait stupide et injuste d’enfermer une pensée aussi ample et soucieuse de l’actualité dans une seule position et d’assigner un auteur à résidence dans un seul texte, qui ne m’intéresse, au contraire que comme témoin d’une posture intellectuellement argumentée et en soi possible, même si elle n’est plus toujours d’actualité. Nul ne sait mieux que Gauchet que le monde a changé depuis 1980, il s’est produit la révolution du retour au libéralisme, et la chute du communisme en 1989 a mis fin pour longtemps aux diverses versions d’idéal révolutionnaire. D’autre part Gauchet a poursuivi et enrichi sa réflexion sur la religion avec la publication de son grand livre de 1985 Le Désenchantement du monde4. En revanche, à ma connaissance du moins, il n’est jamais revenu sur sa thèse de la sortie de la religion. Or le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas tocquevillienne. Comprendre cette opposition est donc toujours d’actualité. Car si le monde a beaucoup changé, politiquement à coup sûr, la réponse est bien moins claire, en effet, pour le sort des religions. Alors que certains ont parlé bien vite de retour du religieux, Gauchet n’a pas varié, semble-t-il, sur leur total déclassement politique. Je n’ai pas d’autre ambition ici que d’éclairer ce point5.
L’illusion américaine et l’essence de la démocratie
3L’argument est simple, mais sévère : Tocqueville a manqué l’essence de la démocratie, et finalement il a manqué l’essence du politique, des sociétés démocratiques et de l’histoire, et il les a manquées à cause de l’Amérique. Certes, il est félicité d’avoir vu « le travail multiforme et indéfini de l’égalisation », mais il n’a vu qu’une figure possible de la démocratie, son visage américain (45). C’est d’abord la conséquence d’une situation historique. À l’époque en Europe, de démocratie existante point, pas même en Angleterre dont le régime était mixte, et en France, elle était associée aux plus mauvais souvenirs de l’expérience révolutionnaire qui désormais faisaient barrage à la marche normale de l’histoire, par une confusion intellectuelle « inextricable où ceux qui devraient se ranger parmi les amis naturels de la démocratie en deviennent les ennemis » (48). « Presque toute l’Europe était bouleversée par les révolutions, écrit Tocqueville, l’Amérique n’avait pas même d’émeutes », voilà qui justifie le « détour américain », seul exemple d’une société qui vit en coïncidence avec le principe démocratique, qui déploie sans entrave la souveraineté populaire, où la collectivité adhère complètement à son propre fonctionnement, et où elle s’appréhende dans la paix civile « sans obscurité ni violence » (ibid.).
4Tocqueville retient donc dans la situation américaine « le privilège du commencement » (53), le principe de la souveraineté du peuple présent dès le début, l’égalité acquise sans avoir à être conquise :
[si bien qu’avec elle] c’est à la fois le rapport entre les hommes qui se trouve une assise logiquement parfaite et définitive (la ressemblance) et l’autosuffisance de chaque individu qui trouve à s’accomplir (52).
À partir de cette cohérence initiale de la situation américaine où le commencement de la société coïnciderait avec son principe et se ramènerait à la clarté d’un contrat que tous respectent et qui développe ses heureuses conséquences, Tocqueville veut convaincre que le terme de la démocratie est la paix civile. Contre ce qui se passe en Europe, l’Amérique prouve que la démocratie est de soi porteuse de paix sociale et d’harmonie collective.
- 6 Tocqueville, Œuvres complètes, I, 1, 9.
5Une conviction religieuse corrobore ces analyses. La démocratie est inéluctable et irrésistible parce qu’elle est un fait providentiel, en partie soustraite aux contingences des intentions des acteurs. D’où la fameuse « terreur religieuse » qui prend Tocqueville à ce spectacle et la vanité de s’opposer à « cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles » puisque ce serait s’opposer à la volonté de Dieu. Ceci le confirme dans sa certitude que le sens profond du message christique, sinon chrétien, c’est l’égalité. « Le christianisme qui a rendu tous les hommes égaux devant Dieu, ne répugnera pas à voir tous les citoyens égaux devant la loi »6. Christianisme et histoire doivent donc se réconcilier pour faire accoucher la société de la vérité démocratique que « celle-ci portait en la cachant depuis toujours » (51).
6Mais, regrette Gauchet, fascination américaine et conviction chrétienne ont créé chez Tocqueville une « cécité » devant « un autre type de démocratie instauré sur le vieux continent » (44) sur lequel pèse le contexte tout différent d’une naissance au forceps, si je puis dire, d’une autre démocratie née dans et par la lutte entre réaction et révolution. Certes Tocqueville a bien fini par pressentir cette « divergence cruciale des lignes d’évolution » (45) dans le « basculement conclusif » de son ouvrage, quand il en vient au « portrait de l’espèce inédite de despotisme ». Mais il n’en a pas moins manqué de voir ce qui a marqué la marche de la démocratie en Europe : la lutte des classes d’abord et la dérive totalitaire ensuite. Sa polarisation sur :
la limpidité du « point de départ » aux États-Unis, se paie de l’oblitération de ce qui l’a antérieurement permis et c’est là le trait qui a trompé Tocqueville quant aux perspectives d’avenir des sociétés démocratiques en général (77).
7L’aspect des sociétés modernes auquel Tocqueville est resté le plus fermé, en effet, est celui des conflits d’intérêts en général (80) et des intérêts de classe en particulier. Sans s’attarder au texte fameux sur le paupérisme, Gauchet conclut que l’égalité des conditions jouant comme unique principe instaurateur sert à évacuer le conflit, en particulier le rôle d’accoucheur du combat ouvrier. Or le prolétariat a introduit « la dimension supplémentaire d’un écart irréductible » (67) et a définitivement dénoncé les mythes de la concorde collective, dont Tocqueville ne décolle pas, puisque tout son effort est d’y revenir par l’instauration de la démocratie.
Contre les illusions conciliatrices du républicanisme libéral, la critique de classe portée par le mouvement ouvrier a été de ce point de vue un élément majeur dans la formation de cette scène symbolique de l’inconciliable qui constitue le cœur des démocraties modernes (67).
8D’où une conclusion digne de la ruse de la raison hégélienne, où la démocratie résulte moins d’un accord conscient et clair entre les parties en conflit dans le champ politique, que d’effets inconscients dans le champ social :
La démocratie s’est faite indépendamment des efforts des partis démocratiques pour la promouvoir, si l’on entend par là des partis qui auraient été en mesure d’en discerner et d’en vouloir la nouveauté véritable. Elle s’est avancée et instaurée à l’abri d’un déni général de ses articulations effectives de la part de ses propres agents sociaux. Elle s’est établie à l’insu de ses créateurs, au titre de résultante de leurs aveuglements respectifs, ou comme à l’intersection d’entreprises toutes contraires à leur façon à l’esprit authentique de la démocratie, puisque toutes inspirées par un biais ou par un autre, par le schème de l’adéquation dernière de la société à elle-même, schème qui domine l’histoire humaine en son entier et avec lequel l’âge démocratique en ce qu’il a de plus neuf, marque une rupture essentielle (67).
L’originalité de l’Europe, c’est donc que le conflit de classes est venu radicaliser et relancer l’antagonisme initial entre conservatisme rétrograde et républicanisme révolutionnaire, avec des effets cumulatifs, en abîme.
9Cette cécité au conflit, d’autre part, a empêché la célèbre prescience tocquevillienne de prévoir le totalitarisme européen, en germe dans le conflit entre révolution et réaction, caractéristique de la configuration européenne « emportant inséparablement avec elle la menace totalitaire : la potentialité par excellence absente précisément du destin américain » (45).
[Car] la possibilité du totalitarisme est de naissance inscrite dans les démocraties telles qu’elles se sont développées sur le Vieux Continent. Elle les accompagne comme leur envers ou comme leur double inséparable […] Société du conflit, en profondeur, où cependant n’existent expressément que des gens qui rêvent de l’unité du corps social […] (68).
En Europe donc, à la différence des États-Unis, la nécessaire séparation de l’État d’avec la société ne se concilie pas aussi simplement avec la souveraineté populaire, et les oppositions de classe, s’obstinant à contredire l’égalité (78), viennent redoubler en quelque sorte le conflit politique entre la nostalgie du passé et l’impatience de l’avenir. La « lutte des principes contraires » ne s’y est donc pas estompée comme l’espérait Tocqueville. L’existence en Europe d’un projet réactionnaire a suscité et permis « une mise en question sans limites des raisons et des fins de la communauté humaine » (63). Ce n’est donc pas tant l’égalisation des conditions, que la radicalisation des conflits qui domine la politique en Europe :
Du fait de la présence dans la société d’un parti en tous points hostile à la souveraineté du peuple s’est aménagé d’emblée un espace de débat radical, engageant l’essence même de l’ordre collectif […] (62).
10Au-delà de la cécité et de l’éventuelle erreur historique de Tocqueville, on aura compris qu’il s’agit d’un débat sur l’essence de la démocratie. « C’est la signification ultime du fait démocratique à l’échelle de l’histoire de sociétés que Tocqueville a nécessairement tendu à méconnaître dans le laboratoire américain » (45). Il en a une vision, si je puis dire, irénique et quiétiste. La démocratie s’y définit de réconcilier la société avec elle-même. À travers le prisme américain indûment étendu, Tocqueville voit la démocratie comme « coïncidence démocratique », comme « nécessaire cohésion positive du social » (54), comme « adéquation de la société démocratique avec elle-même » (46) ou « schème de l’unité-identité qui pèse si fort sur la réflexion tocquevillienne » (61). De là, il parie sur « l’ajustement intime de la société démocratique avec elle-même » qui résultera, simplement « du déploiement entier et libre de l’égalité ». Bref, « la démocratie réconcilie essentiellement la société avec elle-même » (52). Les révolutions viennent donc de la démocratie empêchée, laquelle viendra frapper à la porte des sociétés tant qu’elles refuseront de lui ouvrir. Si l’effort est violent pour que la démocratie s’instaure là où régnait le modèle inégalitaire, quand la chose est faite, la Révolution est finie.
La démocratie égalitaire signe l’entrée de l’humanité dans un âge où les grandes révolutions ont cessé d’être nécessaires, même si de « petites » restent possibles (53).
11C’est cette prédiction tocquevillienne selon laquelle les conflits révolutionnaires s’estomperont si on légitime l’égalité, qui indisposait au plus haut point Gauchet, qui lui oppose que la démocratie loin de signifier l’apaisement des conflits, ne vit que de les relancer, car elle est par nature, la mise en scène des conflits structurant le corps social. Tocqueville ne l’a pas compris parce qu’il a été victime du « leurre américain » (48), d’une Amérique « trop transparente matrice » (45) où les « principes du régime politique ont précédé la société et littéralement l’ont modelée » (45). D’où un « point aveugle de la vision tocquevillienne » ou une « limite ». Gauchet soupçonne Tocqueville de partager les mêmes nostalgies que les adversaires de la démocratie qu’il combat mais dont il partage l’origine. Il veut encore sauver « l’indispensable unité substantielle du corps social », mais après « l’égalité complètement installée ».
Le souci de fond qui détermine la pensée authentiquement réactionnaire puise à la même source que la recherche tocquevillienne aux États-Unis de la société capable d’assumer de part en part et sans discorde l’absence des liens explicites qui produisaient autrefois la cohésion collective (62).
12Mais, pour trouver la vraie nature de la démocratie, il faut rompre avec les espoirs tocquevilliens de retrouver dans l’avenir l’unanimité que la réaction accordait au passé. Il faut comprendre que l’histoire de la démocratie loin de s’arrêter sur la fin de la révolution ne peut déboucher que sur des conflits toujours réouverts.
Si le siècle écoulé depuis lors établit une chose, c’est qu’il faut renverser les termes de Tocqueville, et tenir pour traits d’essence de la démocratie ce qu’il imputait lui aux séquelles de l’accident révolutionnaire, qu’il s’agisse des discordes internes quant aux formes à observer dans le gouvernement ou la mise en débat des valeurs fondamentales qui sous-tendent et guident l’aventure humaine. Ni unité intellectuelle ni arrêt des intelligences devant les raisons ultimes qui justifient l’existence : telle se découvre, au bout de notre supplément d’expérience historique, l’irréductible originalité de l’univers démocratique. Faire tenir les hommes ensemble au travers de leur opposition, les engager dans une mise en question sans limites des significations qui les soudent en société : voilà quelles s’avèrent en fin de compte les propriétés cruciales des sociétés qui se sont péniblement mises en place sur le Vieux Continent, sous les pressions contradictoires de la volonté révolutionnaire et du refus rétrograde de la République comme de l’égalité. La démocratie, aux antipodes de ce que pouvait donner à penser sa prime version américaine, ce n’est pas l’accord profond des esprits, c’est le déchirement du sens et l’antagonisme sans merci des pensées. L’âge démocratique, pour retourner la formule de Tocqueville, c’est l’âge où la société impose aux hommes de tout concevoir et les met en demeure de tout oser. Cela dans la mesure où elle est société du conflit, société qui se structure définitivement en dehors de cette dimension d’unité que Tocqueville pensait devoir reconstituer au-delà des divisions de l’âge révolutionnaire, tant de par la pente naturelle des rapports entre égaux que du fait des nécessités inhérentes à l’existence même du social (61).
13Par nature la démocratie est donc moins l’apaisement des conflits que leur approfondissement et leur déplacement par une mise en scène. La représentation et les partis ont moins pour fonction de calmer le jeu que de l’extérioriser et de le dramatiser. La démocratie résulte de « l’évolution vers une figuration de l’inconciliable dans l’espace public » (65), « système qui vit en profondeur de laisser être des divisions qu’à la surface leurs acteurs dénient, refusent ou s’efforcent de supprimer » (66). La démocratie en Europe est « la figuration sur la scène du pouvoir de la division interne à la société » (111), « l’existence de l’inconciliable au sein de la société » (64) ou la « lente constitution d’une scène de la conflictualité » (64).
14Là où Tocqueville met au principe l’égalité comme moteur, Gauchet substitue donc le conflit. Certes, « à l’arrière-fond de la réflexion tocquevillienne sur l’égalité, il y a le sentiment de l’originalité des sociétés modernes » (89), la rupture décisive avec l’idée d’un ordre naturel « qui organise depuis le fond des âges les mondes de l’inégalité » (93). Tocqueville souligne que l’égalité apporte « l’adoucissement des mœurs » ou le « recul continu du recours à la violence à l’égard d’autrui ». Gauchet ajoute que grâce à l’idée d’égalité s’impose « un droit nouveau aux femmes comme un droit de cité inédit des jeunes » (96), qu’elle change notre rapport aux enfants (99), voire aux animaux (100) ou à la folie (100) ou aux peuples naguère dits primitifs (101). Elle fait émerger « le droit à la différence, comme droit à l’équivalence dans la différence » (102).
15Mais en réalité, le contenu de l’égalité tocquevillienne s’épuise dans l’individualisme.
[Il a légitimé le] renversement de la priorité ontologique explicite de la société considérée comme un tout sur chacun de ses membres pris isolément, en priorité logique non moins expresse de l’individu détaché sur la société résultant du contrat d’association passé entre des êtres initialement indépendants, et à ce titre radicalement égaux, puisque de statut rigoureusement identique à l’origine (81).
S’il y a eu révolution démocratique, « c’est en ceci qu’il y a eu inversion du fondement social, avec pour conséquence directe un changement complet dans le statut du politique » (82).
Dès l’instant où les individus sont reconnus primitivement autonomes, le politique acquiert un rang second, dérivé et prend consistance de produit libre et délibéré de l’activité des égaux (82).
L’Amérique seule a incarné ce « leurre, constitutif de la démocratie, d’une société rendue à ses seuls composants manifestes, les individus ou les égaux » (83). C’est pour autant qu’elle suggère l’idée d’une auto-fondation que la perspective de l’égalité comporte un leurre, ou joue un rôle d’écran (ces mots reviennent constamment, par exemple p. 104), qui occulte ses « conditions sociales d’émergence ». Tocqueville est le premier à dire que l’individualisme a une histoire, l’individu une genèse dans certaines idées chrétiennes, que l’État absolutiste est allé arracher l’individu à ses communautés, donc que l’individu est corrélatif de l’émergence du pouvoir politique central et de l’État administratif qui délie l’individu de « son insertion contraignante dans les groupes réels » (106).
Ce serait donc [conclut Gauchet, une] dérisoire entreprise que d’opposer l’individu à l’État, alors qu’ils sont en termes strictement complémentaires… toujours plus d’individu, toujours plus d’État. L’un ne décroîtra pas sans que l’autre recule (106).
Gauchet va même plus loin, l’individualisme profite du conflit de classes.
L’antagonisme des classes est l’un des facteurs qui ont le plus décisivement contribué à l’égalisation des conditions, l’opposition frontale des hommes et des groupes sociaux est dimension inséparable de la substitution de l’individu à la hiérarchie, le conflit collectif est, en dépit des apparences, puissance intégratrice, force instituante auxquelles il a fallu faire face dans le système politique (111).
« Historiquement on pourrait dire que l’antagonisme de classes a pris la relève de l’État comme agent principal de l’égalité » (114). Et quand le mouvement ouvrier s’efface de l’histoire, c’est parce qu’il a en grande partie accompli sa contribution. Dans sa gestation laborieuse, l’histoire européenne débouche sur une synthèse précaire mais originale entre « approfondissement de l’égalité, croissance de l’État et institutionnalisation du conflit civil » (119), qui la distingue de l’Amérique et permet à Gauchet de conclure, tout à l’inverse de Tocqueville, en se demandant si ce n’est pas « l’Europe qui serait l’avenir de l’Amérique ».
16L’éloge de Tocqueville est donc fort mitigé et toujours restrictif. Le grand homme a conjoint « le génie le plus clairvoyant et l’obtusion la plus systématique » (60). Il est « un de ces rares auteurs qui ont eu le bonheur d’avoir raison contre eux-mêmes » (44). Il a commis l’erreur de considérer l’égalité à travers son postulat de l’instauration ou de la fondation, que lui a légué l’exception américaine. Mais, l’égalité n’opère pas partout comme un principe, encore moins comme le principe premier. Elle ne peut expliquer la marche de l’histoire, là où elle peine tant à en résulter. Il a cru à tort à l’unité d’essence de la démocratie sur le modèle américain, alors que Gauchet veut montrer la divergence des démocraties et que le type américain, exceptionnel, est appelé à le rester, le modèle européen seul incarnant l’essence du politique parce qu’il a sa dynamique dans le conflit et la révolution. À partir de là, le désaccord s’étend à tout.
La fin de la Révolution
17J’espère n’avoir pas caricaturé ces quatre-vingts pages, comme à l’accoutumée chez Gauchet, d’une écriture minutieuse et dense et d’une pensée aussi ample que radicale. Si mon propos n’est certainement pas d’enfermer un auteur dans son texte, fallait-il repasser par des positions datant de vingt-cinq ans et que le cours de l’histoire, en particulier depuis 1989, et la montée de la prééminence sans rival du modèle américain n’ont pas confirmées ? Certes, on peut toujours verser le texte, comme un témoignage, au dossier des représentations critiques, sinon négatives, de l’Amérique, assez courantes en France et que l’actualité a ravivées.
18Plus profondément, ce débat porte aussi sur le thème de la fin de l’histoire, qui sous une tout autre version, américanocentrée cette fois, celle de Fukuyama, nous est revenu des États-Unis. L’avenir est-il donc à l’Amérique ou à l’Europe ? Débat plus vieux que Fukuyama et que Gauchet ! Ainsi, lors de la parution de la première Démocratie,
- 7 Françoise Mélonio, Tocqueville et les Français, p. 72.
[les démocrates et les républicains] convaincus que seule la France incarne l’universel, jugent la prédominance américaine éphémère. C’est pourquoi, ils s’irritent que Tocqueville prédise la suprématie des Russes et des Américains7.
- 8 Ibid., p. 72-73.
[…] En 1835, doctrinaires et républicains partagent donc le même nationalisme prophétique qui garantit à tous les peuples l’accès à l’idéal français. À droite comme à gauche, on récuse le décentrement de l’histoire de France opéré par la Démocratie8…
- 9 Ibid., p. 13.
19Les motivations de Gauchet n’ont évidemment rien à voir avec ce nationalisme, mais il s’agit toujours de savoir par où passe le centre de l’histoire, aux États-Unis ou en France ou, comme dit Gauchet souhaitant actualiser le problème, par l’Europe. Mais si depuis 1950, « la résurgence de Tocqueville pose la question de l’épuisement de ce modèle par lequel les Français ont longtemps cru clore la transition démocratique »9 ou encore si « le grand retour de Tocqueville est lié au dépérissement du modèle français, à la réduction de l’exception française et au dépérissement de l’idée de Révolution », il est remarquable que Gauchet fut alors aux antipodes de cette question. Depuis, l’Europe a-t-elle suivi le souhait français ou endossé le rêve américain ?
20En tout cas, le texte témoigne d’une résistance à Tocqueville, qui se justifie en produisant une construction idéal-typique de la démocratie en deux espèces à la limite antagonistes, l’une libérale, centrée sur l’individu concret et sensible, la liberté, la société civile, ouverte à l’économie et au bonheur privé, à la concurrence et dont l’épicentre historique est bien l’Amérique, et l’autre qu’on dira politique, plus holiste, centrée sur le citoyen, l’État et dans ce cas, sur la Révolution, acte de naissance obligatoire et programme historique indépassable. Version jacobine et politique, à la française, qui met l’État au centre de l’histoire, conteste la prééminence libérale ou marxiste de l’économique, mais garde la lutte des classes, comme une des formes de la lutte hégélienne au centre du devenir et l’étend en avant par le thème trotskiste de la révolution permanente, donc inachevable. Gauchet connaît fort bien le premier type. Car en même temps qu’il écrivait son article sur Tocqueville, il publiait un choix de textes de Benjamin Constant (1980), un des tout premiers théoriciens du libéralisme, dont il s’est rapproché par la suite.
21Mais Tocqueville pose d’autres problèmes que Constant. Tocqueville garde une nostalgie pour la liberté du citoyen à la manière des Anciens, celle de participer à la chose publique, bien différente de celle des modernes et des Américains, qui est de se retirer du public pour vaquer à son bonheur et à ses intérêts privés. Constant parie sur cette liberté des modernes dont Tocqueville souligne aussi les limites. Mais la construction idéal-typique de Gauchet, des deux démocraties, l’une individualiste libérale et l’autre républicaine révolutionnaire, fige la lecture de Tocqueville en le mettant tout entier d’un seul côté, alors que la réalité est plus complexe. L’idéal type ne rend pas compte d’une tension à l’œuvre dans la genèse de son œuvre. Seymour Drescher avait souligné la différence des deux Démocraties en Amérique, en les référant aux différences de la situation française entre 1835 et 1840.
- 10 Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, p. 184.
À la crainte de la tyrannie de la majorité succède alors celle de l’apathie générale, et des réflexions inquiètes sur l’affaiblissement de la vie publique au bénéfice des activités privées ; à l’affirmation d’une marche irrésistible de la démocratie vient se superposer la crainte d’une nouvelle aristocratie industrielle et surtout la dernière partie de l’œuvre de 1840 affirme une corrélation essentielle de la démocratie et de la centralisation alors que les descriptions américaines de 1835 suggéraient le contraire10.
- 11 Ibid., p. 297.
Alors que la première Démocratie était dominée par la force des passions égalitaires, la deuxième est envahie par le triste sentiment de la faiblesse des passions libérales11.
22Lamberti a cru discerner cette tension dans toute l’œuvre
- 12 Ibid., p. 299.
[qui peut se partager] […] en deux ensembles de textes ; le premier est constitué par la Démocratie en Amérique, à l’exclusion des chapitres politiques qui terminent les volumes de 1840 et le second comprend tout le reste de l’œuvre. À peu près jusqu’au milieu de l’année 1838, Tocqueville croit arriver à une distinction simple de la démocratie et de la révolution, mais à la fin de l’année en rédigeant les derniers chapitres de la Démocratie, il découvre que l’esprit révolutionnaire peut survivre longtemps à la révolution et que sa destinée se confond avec celle de la centralisation. Auparavant, les institutions lui avaient semblé être l’expression des idées et des mœurs ; mais il affirme maintenant qu’elles ont une sorte de vie autonome et qu’elles créent, ou du moins favorisent, des formes de l’esprit public qui ne sont pas la simple expression de l’état social et peuvent même être en conflit avec les idées et les mœurs qui expriment l’état social. Et l’auteur doit reconnaître que le grand effort, entrepris sous l’inspiration de Royer-Collard, pour séparer ce qui est démocratique de ce qui est révolutionnaire, aboutit à un échec. « La grande révolution dure encore et, dans ce qui arrive de nos jours, il est presque impossible de discerner ce qui doit passer avec la Révolution elle-même et ce qui doit rester après elle » (OC, II, 2, 337). Mais une chose est sûre dès maintenant, c’est que l’esprit révolutionnaire peut se maintenir, en se transformant, grâce à la centralisation administrative (OC. II, 2, 333). On est passé de Démocratie ou Révolution à Démocratie et Révolution. « Coupure décisive, car à partir de là, il n’est plus de certitude possible que la période de transition finisse un jour et la perspective de la démocratie pure de tout élément révolutionnaire ou aristocratique fuit à l’infini12.
23Je crois cette analyse juste, elle réévalue l’Ancien Régime et sa suite inachevée qui se serait appelée la Révolution, dont l’importance n’est pas moindre que celle des Démocraties et elle montre que paradoxalement, la lecture de Gauchet, dénonçant le tropisme américain de Tocqueville vient d’un jugement fondé sur une lecture centrée sur la première Démocratie.
24Prenons l’exemple de la Révolution, puisque c’est elle qui oppose radicalement les deux types de démocratie. Toute l’entreprise du Tocqueville première manière est bien de dissocier démocratie et révolution, ce dont l’Amérique incarnerait la possibilité réalisée. Il l’écrit clairement dans un brouillon de la première Démocratie :
- 13 Brouillon de Tocqueville cité par Jean-Claude Lamberti dans Tocqueville et les deux d (...)
La grande difficulté de l’étude de la Démocratie est de distinguer ce qui est démocratique et ce qui n’est que révolutionnaire… Ceci est très difficile parce que les exemples manquent. Il n’y a pas de peuple européen chez lequel la démocratie ait pris son assiette et l’Amérique est dans une situation exceptionnelle13.
25C’est exactement cette dissociation entre démocratie et Révolution que Gaucher entendait conjurer. Or c’est elle que Tocqueville après 1840 et surtout après 1848 désespère d’opérer, d’où la recherche qui le mène à l’Ancien Régime et à la Révolution qui doit éclairer la naissance et la permanence d’une tradition révolutionnaire en France. Désespoir dont témoigne le passage célèbre des Souvenirs en 1850 :
- 14 Cité par Jean-Claude Lamberti dans Tocqueville et les deux démocraties, p. 87.
Et voici la Révolution française qui recommence, car c’est toujours la même. À mesure que nous allons, son terme s’éloigne et s’obscurcit… J’ignore quand finira ce long voyage ; je suis fatigué de prendre successivement pour le rivage des vapeurs trompeuses, et je me demande souvent si cette terre ferme que nous cherchons depuis si longtemps existe en effet, ou si notre destinée n’est pas plutôt de battre éternellement la mer14.
Ou encore, ce passage qu’on pourrait croire écrit pour son lecteur de 1980 :
- 15 Ibid., p. 279.
Ce qui m’a toujours profondément blessé dans la gauche, c’est le peu de libéralisme réel qui s’y rencontre ; la gauche est encore bien plus révolutionnaire que libérale. Tant que l’opposition n’aura pas modifié ses instincts, elle ne sera bonne qu’à amener des révolutions nouvelles, ou à faire le lit du despotisme15.
La lecture de Gauchet était donc trop engagée pour suivre les repentirs et les doutes de Tocqueville, ses sinuosités et ses arrière-pensées.
- 16 Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989.
26Le débat est d’hier, car aujourd’hui, dira-t-on, plus question de la Révolution permanente et d’abord chez Gauchet lui-même. Dans son grand livre de 1985, la révolution est bien moins prégnante qu’en 1980, elle s’estompe au profit d’un fort plaidoyer pour un républicanisme français laïque définitivement à l’abri de tout retour possible du religieux. Dans la Révolution des droits de l’homme16, le centre de la Révolution est replacé dans l’œuvre de la Constituante, ce qui nous rapproche singulièrement de la vision tocquevillienne de la démocratie, quand même ce serait-il agi dès le début de « surpasser l’Amérique » (chapitre 2). Gauchet a dit un long adieu à la Révolution, sans ambages, dans un texte qu’il faut citer de la deuxième édition de sa préface aux morceaux choisis de Constant :
- 17 Marcel Gauchet, « Préface » à Benjamin Constant, Écrits politiques, Paris, Gallimard (Folio), (...)
On voit bien ce qui nous réouvre l’accès à ces œuvres négligées [des auteurs thermidoriens et fondateurs du libéralisme], l’épuisement en profondeur de la visée révolutionnaire, telle qu’elle s’est cristallisée pour un de ses traits essentiels dans le paroxysme de 93, comme volonté d’une ressaisie immédiate de la société par elle-même, comme postulation d’une nécessaire unité en acte du peuple et de sa représentation, de la communauté et de ses guides, des citoyens et du Souverain. Le contenu du projet révolutionnaire s’est grandement élargi et modifié au fil du temps. La forme politique qu’il a trouvée là est, elle, restée remarquablement invariante en sa constitution dernière au cours de ses réactivations successives. Continuité que notre présent est en passe de briser, avec la promesse indéfinie de répétition qu’elle portait. C’est qu’au sein de l’État totalitaire, l’ambition séculaire d’une fusion achevée et de la puissance sociale et du pouvoir sur la société, au lieu de simplement nourrir des tentatives fugaces et partielles comme l’avait fait jusqu’alors, a connu une incarnation générale, exhaustive et durable – et dévoilé, ce faisant d’une manière irrécusable, son caractère fantasmagorique. Si « la Révolution française est terminée », comme l’a décisivement posé François Furet, c’est que l’imaginaire politique spécifique auquel elle a, la première, donné corps, a suffisamment triomphé pour ne plus permettre d’illusions quant à l’achèvement de son effort interrompu. Impossible désormais de se méprendre sur le sens de l’échec consommé au 9 thermidor. Pas seulement un échec de fait, comment qu’on l’explique, mais un échec d’essence, lié à l’aberration intrinsèque d’une prétention intenable, sauf fuite en avant dans une déréalité meurtrière, capable sans doute, comme notre époque l’aura définitivement montré, de presque matérialiser un moment l’impossible, mais au prix de l’anéantissement en règle d’un « ennemi » toujours renaissant. Du coup, rompu le cordon qui nous rattachait à la nécessité d’une entreprise plusieurs fois défaite, mais toujours à reprendre et à poursuivre, nous nous retrouvons dans une position guère différente de celle des hommes qui eurent à subir le contrecoup, lors de sa naissance, de ce schème imaginaire qui devait si durablement dominer l’action collective et qui se désagrège aujourd’hui17.
- 18 Raymond Boudon, Tocqueville aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 204-206.
27Avec la révolution permanente, la lutte des classes sort sinon des faits, du moins de la philosophie de l’histoire, dont elle n’est ni la rectrice ni le moteur. La version tocquevillienne de la lutte des classes, bien plus modeste que la marxiste, s’atteste plus exacte18. Avec une conséquence théorique, la fin du privilège du socio-économique d’offrir l’infrastructure des faits humains sur laquelle fonder la grande loi de la transformation sociale :
- 19 Marcel Gauchet, « Préface » à Benjamin Constant. Écrits politiques, p. 24.
Car on se demande bien pourquoi la structure socio-économique jouerait seule un rôle occulte, tandis que l’ordre politique relèverait, lui, par nature, entièrement du visible et du superficiel19.
Tocqueville a-t-il gagné sur toute la ligne ? Ce n’est pas sûr, car reste la question, bien plus épineuse, du conflit sur le religieux.
De l’opposition frontale à une nouvelle situation ?
28Reste, en effet, l’opposition frontale entre la révolution permanente et Tocqueville première manière, trouvant en Amérique la preuve expérimentale non seulement de la compatibilité de la démocratie et de la religion mais de l’utilité, si ce n’est de la nécessité de celle-ci pour celle-là. Gauchet n’en était qu’au début de sa théorisation propre de la religion, mais déjà en possession de sa définition de la religion, comme hétéronomie radicale, fondement commun, selon lui, de toutes les sociétés antérieures à la nôtre. L’hétéronomie religieuse signifie que
si les choses sont ainsi, c’est que les Autres, les Dieux, c’est que l’Autre absolu, le Dieu unique et tout-puissant, les ont voulues comme elles sont. L’originalité radicale de la société démocratique, en regard, c’est d’être une société en question de par son organisation même qui la détermine à se fournir des réponses antagonistes (73).
La démocratie est donc la société entièrement sortie de l’hétéronomie religieuse, celle qui a retrouvé plein pouvoir sur elle-même et dispose de son origine. Tocqueville l’aurait pressenti, mais il s’est effrayé que la séparation de l’État et de la société permette un plein pouvoir de la société sur elle-même, que la division des classes et des intérêts inconciliables ouvre « l’abîme mental d’un possible indéfini » (74), « une dynamique souterraine de l’incertitude, cette inexorable déstabilisation », « l’installation irrésistible des sociétés dans une interrogation sur elles-mêmes toujours plus impossible à refermer » (75). Tocqueville redoutait donc ce que Gauchet célèbre, que l’antique méconnaissance à la base de l’hétéronomie religieuse, par laquelle l’homme attribuait à d’autres la facture et parfois la fracture de ses sociétés, soit désormais obsolète. Pour Gauchet, la démocratie n’est complète que dans cet athéisme social de la société autonome, sortie de la religion, qui n’en est qu’à ses débuts dans le déploiement de ses effets.
Commence tout juste, peut-être au contraire pleinement à jouer, après plus d’un siècle de gestation, l’athéisme collectif (parfaitement compatible avec la foi privée, est-il besoin de le dire) inscrit dans la logique sociale des démocraties. Car, aux antipodes de ce que croyait Tocqueville, la société démocratique, non seulement n’a pas besoin des limites dernières tracées par la divinité, mais est très exactement cette société qui s’ordonne de libérer en elle une force pratique de questionnement, destinée immanquablement à terme à détourner les individus du divin. N’importent aucunement ici les opinions régnantes : c’est dans le dispositif social même qu’est marquée la disparition de Dieu. Si les puissances de refus qui continuent d’y œuvrer, ou passion totalitaire ou déni religieux, ne finissent pas, dans un sursaut généralisé que rien ne permet absolument d’exclure, par l’emporter, le développement des démocraties selon leur « pente naturelle » sera le tombeau des religions (76).
Ce qu’ici Gauchet appelle démocratie, c’est ce que Tocqueville première manière appelait l’esprit révolutionnaire, toujours dangereux selon lui, parce qu’il finit par faire obstacle à la démocratie elle-même, par la revendication d’un athéisme social œuvrant comme une promesse d’illimitation, de relance de la négation et de fuite en avant, dont Gauchet au contraire célébrait l’aspect prométhéen ou dostoïevskien d’un « tout est possible ».
29Chez Gauchet, la tendance antireligieuse serait donc liée à l’essence de la démocratie et il la défend non sans ironie :
C’est à bon droit que Tocqueville voit dans « l’irréligion » la passion qui a par excellence imprimé à la Révolution française son caractère particulier.
30Il reproche donc à Tocqueville sa timidité d’avoir voulu refermer cet « espace vide et presque sans bornes » qu’ouvre la démocratie (74), d’assigner à la religion la fonction de limiter les prétentions humaines, de circonscrire les « entreprises humaines dans les bornes hors desquelles elles cessent d’être viables » (57). Or c’était d’une synergie en chacun des citoyens du sens civique de la participation à la chose publique et du sens religieux, union qui n’a rien à voir avec une union des Églises et de l’État, que Tocqueville espérait le frein que la démocratie ne saurait se donner à elle-même. Et la fascination américaine lui venait grandement d’avoir cru y trouver la seule société où les Églises et l’État sont séparés, où il y a égalité et liberté des citoyens mais où les religions prospèrent dans leur domaine et inspirent à chacun d’accepter quelques vérités qui le « bornent ». Pour Tocqueville, l’homme est naturellement religieux et le reste, pour Gauchet, la passion d’illimité ouverte par la Révolution et la possibilité d’une société autonome révèlent l’historicité de la religion, qui n’est qu’un dispositif sociologique particulier.
31En emportant les contraintes religieuses, la démocratie a changé tout le régime de l’altérité humaine, brisant avec la loi des sociétés aristocratiques : « L’homme est autre pour l’homme » (89). Or la religion était à son principe, il faut donc en sortir.
Le lien est direct, intime, essentiel, entre l’établissement de l’égalité et la sortie de l’univers religieux. La religion, nous l’avons dit, a été à la fois le symptôme primordial et la clé de voûte fonctionnelle de l’organisation du monde humain sous le signe de l’altérité (102).
À ce phénomène, on ne fait pas sa part, il prend tout.
Comment croire un instant tenable un partage à la manière tocquevillienne entre un champ politique concédé entièrement à l’entreprise humaine et un domaine moral soustrait à la volonté des individus et maintenant pour eux la figure d’une extériorité infrangible ? L’effacement de l’altérité ira jusqu’au bout de lui-même, il n’est aucune raison d’en douter, jusqu’à la résorption complète de tout ce qui pourrait signer une dissemblance dernière de l’homme d’avec lui-même (104).
Ce processus est décrit par Gauchet quasiment sur le modèle de la sécularisation hégélienne, dont l’État est le grand opérateur :
La rupture décisive qui va rendre l’altérité contestable et questionnable, l’événement par lequel l’hétéronomie primitive va devenir problématique, c’est la naissance de l’État, c’est-à-dire l’importation de l’altérité à l’intérieur de la société (90).
- 20 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie. Tocqueville, la citoyenneté et la religion(...)
Processus inexorable et jeu à somme nulle où ce qui est gagné par l’État est perdu par le religieux, sans retour, selon une équation où : « L’avènement de la domination politique » vaut « introduction de l’altérité divine dans le monde humain… » (90) selon un processus qui va de la naissance de l’État à celle de la démocratie. Tocqueville, critique décidé de tout hégélianisme20 n’accorde pas ce rôle sécularisateur à l’État dont il craignait qu’à proportion même de son caractère démocratique, il ne devînt l’instrument du despotisme de la majorité, d’un conformisme généralisé, le garant d’une société d’individus déliés, égoïstes et peureux, sans projets, sans mémoire et sans histoire.
32Gauchet récuse aussi l’argumentation tocquevillienne de l’utilité sociale de la religion, qu’elle soit encore nécessaire à la démocratie parce qu’elle rendrait possible la société, en créant des croyances semblables, des idées communes, et une sorte de similitude dans l’irrationnel, un « accord instinctif » :
On a nettement le sentiment à le suivre, qu’il est au moins fortement tenté de penser que seul un corps de croyances dogmatiques, à l’abri des contestations de l’expérience puisque référant à l’au-delà, peut en dernière instance assurer une ferme conjonction des esprits. C’est que « l’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne » (OC, II, 109), que « chez un peuple où les rangs sont à peu près égaux, aucun lien apparent ne réunit les hommes » (OC II, 114).
- 21 Ibid., p. 278-280.
33Le différend éclate à propos du totalitarisme. Gauchet ne relève pas que Tocqueville voyait le risque totalitaire sortir du socialisme, compris comme volonté de mettre l’ensemble de la vie sociale sous l’autorité de l’État21, mais c’est qu’il attribue la dérive totalitaire à une tout autre source, au retour du religieux. Il faut d’autant plus en finir avec la religion que loin d’offrir un éventuel remède aux faiblesses de la démocratie, elle est dans son principe, la raison des totalitarismes du XXe siècle. Il développe longuement cette thèse de l’origine « régressive », parce que religieuse des totalitarismes :
Le totalitarisme, c’est le retour en règle du principe religieux au sein d’un monde en passe de se défaire de la religion, le deuil impossible de l’occultation majeure que les religions véhiculent depuis le départ, la persévération insensée dans ce que la modernité démocratique a justement pour originalité absolue de rendre impossible, à savoir l’adéquation pleine et entière de la société à une vérité depuis toujours prédéterminée (à laquelle il ne fallait que revenir, ou qu’il fallait au contraire faire advenir comme la fin de l’histoire, c’est secondaire) (69).
Ce n’est pas du défaut de religion que naît le totalitarisme, c’est de l’insuffisance de son éradication, et de l’impuissance de sortir de ses cadres. Symptôme formidable des tensions inhérentes au passage où nos sociétés se sont engagées, monstrueuse formation de compromis entre des logiques antinomiques de l’établissement collectif, l’épisode totalitaire relève historiquement d’une pathologie de transition entre deux époques (73).
Inconcevable à l’âge de la religion, de la dépossession de la fondation et de la dette de sens, comme hétéronomie instituée, le totalitarisme est inséparable de la modernité démocratique, pour autant qu’il est le risque majeur de la période de transition vers l’autonomie radicale et l’historicité pure. Quand la religion est sortie du dispositif social, comment pourrait-elle faire barrage au totalitarisme, comme l’espérait Tocqueville ?
- 22 Pierre Birnbaum, La France imaginée, Paris, Gallimard (Folio histoire), 1998, p. 39-6 (...)
34Certaines positions ont pu changer, mais le débat est plus que jamais d’actualité. Le chiasme était donc complet entre Gauchet 1980 et Tocqueville 1835, puisque le premier posait la fin de la religion comme condition de la démocratie et de la libération du politique et au fond souhaitait la fin de la religion pour que la révolution n’ait pas de fin, alors que l’autre posait la nécessité de la religion pour que dure la démocratie et il souhaitait que l’esprit religieux mettant fin à l’esprit révolutionnaire, la démocratie puisse s’installer et mettre fin à l’âge de la Révolution. Mais encore une fois ce que Gauchet ne disait pas, c’est qu’après la première Démocratie, Tocqueville exprimait des craintes qui allaient dans son sens. Ainsi, il doutait de plus en plus après 1850, que l’Église catholique veuille et pût jamais se réconcilier avec la démocratie, comme l’a rappelé P. Birnbaum, analysant sa « plus secrète pensée »22. Et d’autre part, il voyait l’institutionnalisation de l’esprit révolutionnaire dans une tradition apte à se reproduire, alors même que les conditions historiques, qui lui avaient donné naissances, seraient disparues. Mais aujourd’hui, que les tenants de la Révolution permanente n’y croient plus, que la fin de la Révolution est largement admise, Tocqueville a-t-il gagné, l’esprit antireligieux est-il parti, faut-il parler de retour de la religion ou de la fin de la fin de la religion à laquelle certains ont voulu s’attendre ou croire, en particulier depuis la fin de l’Empire soviétique ? De sorte que Tocqueville aurait quand même raison sur toute la ligne contre Gauchet. Rien n’est moins sûr. Il est vrai que les religions regagnent du terrain et surtout de la visibilité, mais il n’est pas sûr que leurs conflits les plus en profondeur avec la modernité soient finis.
Quelques données du problème
35Le débat est central pour une sociologie de la religion, de la sécularisation et plus encore pour une socioanthropologie du religieux aujourd’hui. Nos savoirs oscillent car pris entre le fait d’une crise prolongée du religieux qui est bien inhérente à la modernité, mais aussi des résistances, des résurgences, une créativité religieuse locale mais indéniable et surtout une crise interne de la modernité tirée entre le post et l’ultra. On voudrait esquisser, pour finir, pourquoi Tocqueville et le débat avec Gauchet ne nous laissent pas sans ressources dans cette problématique redoutable.
36Sauf pour certaines formes d’intégrismes, mais qui à ce jour restent minoritaires et qui ont leur épicentre dans des sociétés où la transition démocratique reste le problème, le conflit entre religion et politique a perdu, semble-t-il, sa centralité. Ceci résulte d’une double évolution, celle des religions qui se sont adaptées au cadre démocratique, d’une part, et de la réduction des radicalismes politiques antireligieux, grâce à la démocratie, de l’autre. En ce sens, Tocqueville avait bien vu qu’il fallait jouer la carte de la modération mutuelle et de la réconciliation. Est-ce à dire que le conflit entre religions et modernité soit fini ? Sûrement pas. D’une part, parce qu’il n’est guère douteux qu’il n’y ait une crise du politique, que d’ailleurs Tocqueville peut nous aider à comprendre, ce qui compromet ces précaires équilibres et peut rendre tentante, à l’occasion, le recours au radicalisme religieux. Mais d’autre part, parce que la modernité continue de plus belle, toujours aussi radicale, mais ailleurs que dans le politique. Si l’esprit révolutionnaire n’apparaît plus guère de saison, la passion de l’illimité immanent qui en est l’âme et le désir d’un mouvement qui se dépasserait toujours jusqu’à la toute-puissance s’investissent ailleurs, dans la passion technologique et dans la quête de la puissance économique, dans l’exploitation de la nature, ou dans le projet pour l’homme d’acquérir une maîtrise de sa condition biologique mortelle telle qu’il en changerait la définition de lui-même depuis sa conception. Si le conflit de la religion et de la modernité est grandement sorti du politique et de la philosophie d’une histoire, dont nul ne se hasardera plus à dire le sens dernier, il n’est pas fini pour autant et peut renaître, en particulier dans le domaine de ce que pour faire vite, on appellera de la bio-éthique et de la définition anthropologique de l’homme.
37Or pour qu’une religion puisse jouer un rôle il faut qu’elle ait à la fois une inscription sociale forte et une autonomie réelle, donc une incarnation et une transcendance. L’analyse tocquevillienne peut nous aider à éclairer ce problème qui relève de la quadrature du cercle. Partisan décidé de la séparation des Églises et de l’État, justement pour éviter les haines antireligieuses et pour que la religion ne soit pas instrumentalisée par le pouvoir, et de la sorte à la fois asservie et pervertie, Tocqueville a néanmoins bien vu que ce qui fait la force de la religion américaine c’est qu’elle est en symbiose avec la démocratie, qu’elle est revendiquée par les individus, mais aussi par le fait, qu’elle est quand même instrumentalisée, mais cette fois par la société civile, dont elle sert et garantit les objectifs, et que les citoyens, en toute bonne conscience, tendent a réduire la religion à la leur et celle-ci à leurs intérêts, bref à l’utilitarisme ambiant.
- 23 Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Fayard (L’esprit de (...)
[Mais] la religion des Américains perd de son utilité à proportion qu’ils s’attachent à elle en raison de cette utilité. Telle est la difficulté centrale de l’interprétation tocquevillienne des rapports de la démocratie et de la religion23.
Il y a là une observation fondamentale qui me semble expliquer grandement le pouvoir « sécularisant » ou « immanentisant » de la démocratie, dont l’intérêt d’ailleurs déborde de beaucoup le champ de la religion. On pourrait dire la même chose de la presse et des médias qui se diffusent d’autant plus qu’ils reflètent davantage ou servilement les attentes des opinions cibles. Une relation en cercle s’établit entre eux et l’opinion qui les abaisse au rôle de miroir. Ceci atteint au cœur le problème des valeurs de la politique ou de la démocratie : plus une valeur d’une religion ou de la démocratie se révèle utile, plus elle gagne des adeptes au-delà de ceux qui sont les plus convaincus, mais par le fait, elle est moins spécifique et moins intense. L’extension d’une valeur à tous, grâce à son évidente utilité, se paie d’une déradicalisation de la valeur et d’une perte de sens et de motivation, car son extension l’emporte sur sa compréhension, ce qui pourrait désigner, à l’intérieur du processus de sécularisation et plus grave que lui, une sorte d’entropie des idées et des valeurs.
- 24 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie, p. 10.
38Mais l’analyse tocquevillienne déborde l’approche classique par l’utilité sociale de la religion, qui a bien des égards anticipe les théories fonctionnelles des sociologues comme Durkheim, vers une inscription de la religion dans la nature humaine. C’est du reste parce que, selon lui, la religion a son temple déjà tout bâti dans le cœur de l’homme qu’elle n’a pas besoin des abris artificiels que peut lui garantir le pouvoir de l’État et qu’elle n’a rien à craindre de continuer sa route toute seule. Il y a donc une tension sinon une contradiction, bien vue aussi par Manent, entre la théorie de l’utilité sociale qui invite à incarner la religion dans les structures collectives et la théorie de la religion naturelle qui invite à la maintenir au-dessus de cette mêlée. À ce niveau de l’homo religiosus, la religion est définie par le divin et surtout par un besoin éternel de l’homme, mais dans le cadre de l’idée d’une religion naturelle et raisonnable, influencée par les Lumières, centrée sur une Providence et la spiritualité de l’âme, ce qui induit Tocqueville à une approche idéaliste du fait religieux et l’invite à une sorte de théisme chrétien qui vide le christianisme de ses attaches historiques et de ses dogmes les plus obscurs ou les plus inquiétants, au profit d’un spiritualisme qui fonde son individualisme d’inspiration authentiquement personnaliste. Cette vision de la religion s’accorde avec sa « science politique nouvelle » qui est une éthique24 doublée d’une double parénèse en faveur d’une conversion de la religion à la démocratie et de la démocratie à la religion. L’opposition, sur ce point, est totale avec Gauchet, puisqu’il existe pour Tocqueville un homo religiosus, qui est une réalité éternelle.
39Parvenu à ce point, il est possible d’entrevoir ce qui fait la force et la faiblesse respective de Gauchet et de Tocqueville pour une théorie du religieux, qui serait soucieuse de complétude. Pour Gauchet, la religion est un dispositif purement sociologique et donc historique et transitoire, puisque la société peut en sortir définitivement, quand même de nombreux individus y resteraient attachés. Pour Tocqueville, la religion est aussi un dispositif sociologique et historique qui ne peut survivre qu’à condition d’être socialement fonctionnel, mais elle s’enracine aussi dans de certaines réalités humaines permanentes. Au-delà donc de ses figures socio-historiques, elle possède donc une dimension anthropologique qui la rend durable et potentiellement résurgente, et qui justifie son utilité sociale, qui semble bien être d’empêcher une totale identité de la société humaine avec elle-même. Voilà donc l’opposition majeure.
40Néanmoins Gauchet et Tocqueville convergent sur un constat commun qui touche à l’essence de la modernité démocratique et des transformations du religieux qu’elle induit : la réduction de l’altérité opérée par le dispositif démocratique.
De révolution égalitaire, il n’a pu y avoir que moyennant un ébranlement de fond de ce principe organisateur, de cette manière immémoriale, originaire, pour les individus de se rapporter les uns aux autres. Naissance de l’égalité : fin d’une économie générale de l’altérité, d’un système de clôture des êtres dans leur différence […] (94).
Gauchet première manière a donc repéré cette réduction de l’altérité, mais il l’affecte d’un plus, car il pense qu’elle se jouait essentiellement dans le politique où elle opérait automatiquement en faveur de la liberté, négligeant les alertes de Tocqueville débusquant les réductions d’altérité dans tout le dispositif socioculturel et soulignant leur ambiguïté constitutive. Mais après avoir recensé les crimes du totalitarisme et abandonné le mythe de la révolution permanente, Gauchet reconnaît que le « génie propre de Tocqueville », en saisissant la dynamique de l’égalité, est d’avoir vu que le processus débordait le politique et se jouait dans un lieu qu’il n’a pas su nommer, mais que Gauchet pointe. Contre les attardés du marxisme récusant l’égalité bourgeoise dévaluée comme formalisme des Droits de l’homme accusés d’être trop tolérant des inégalités réelles, Gauchet insiste au contraire sur la réalité de la révolution démocratique comme une révolution anthropologique inversant l’économie des signes et de tout le dispositif culturel et symbolique, ce que Tocqueville avait clairement pressenti sans pouvoir le dire dans ces termes.
Retournant la tendance à traduire l’écart des rôles sociaux en hétérogénéité de nature, l’égalité c’est fondamentalement, la substitution d’une dynamique de l’assimilation symbolique, au-delà même des différences réelles, à une dynamique de l’altérité symbolique se déployant à partir de ces différences (40).
Or l’effet d’une telle transformation de l’économie signifiante, c’est de rendre problématique et provisoire tout fondement de la loi comme Tocqueville l’a bien vu à propos des inversions de la valeur reconnue aux vérités dogmatiques. Là est le point qui explique que le conflit de la modernité et de la religion se déplace mais ne peut sans doute pas se clore, car il y a dans toute religion la mémoire collective d’une loi.
41L’autre point, est celui de la violence. L’analyse du religieux chez nos deux sociologues est restée dominée par le conflit de la modernité et de la religion. On a vu qu’il s’est déplacé, confirmant ainsi qu’il avait une dimension anthropologique cachée, difficile à saisir et que c’est le génie de Tocqueville de l’avoir pressenti. Mais initialement, il s’est cristallisé autour de ce moment visible et paroxystique, devenu fondateur ou référence obligée, qu’est la Révolution française et de son engrenage de violence. C’est à cause de cette visibilité qu’on ne la quitte que pour y revenir. La divergence des deux sociologues à son propos, porte sur les raisons de cette violence, sur sa légitimité, en particulier quand elle est devenue anti-religieuse, et sur son avenir et donc sur sa signification. Divergence fondamentale, mais qui confirmerait bien l’idée que l’idéologie est d’abord le discours qui légitime et, par le fait, euphémise la violence sous sa rationalisation. On l’a bien vu quand Gauchet entendait justifier la Révolution permanente. Mais, bien qu’ils reconnaissent à la violence révolutionnaire une valeur opposée, nos deux auteurs sont d’accord sur l’idée implicite que le religieux, de soi, n’a rien à voir avec la violence. Dans les deux cas, le conflit vient au religieux de l’extérieur. D’où chez l’un et chez l’autre, une totale absence de sociogenèse de la religion. L’hétéronomie chez Gauchet est une sorte de choix transcendantal, un possible pensable qui ne s’inscrit dans aucune genèse sociale ! Et chez Tocqueville, la séparation du politique et du religieux est posée comme « l’état normal » de leur relation, alors qu’en réalité, c’est une rareté historique et un équilibre précaire. Ceci inviterait donc à réouvrir le dossier de la violence sous toutes ses formes et dans tous ses rapports au religieux. Certes, la violence est très présente chez Gauchet, mais parce qu’elle a part à l’éloge et au mouvement de la Révolution. Or cette hardiesse ou cette effronterie d’un moderne lui interdit de comprendre que c’est peut-être cette violence mais tabouée, que cachent les sociétés primitives sous l’hétéronomie. L’hétéronomie religieuse serait principiellement non une aliénation, comme le prétend l’héritage marxiste jouant avec le feu sans le savoir, mais une dénégation et peut-être un deuil impossible. Il faudrait donc rompre là encore avec Marx pour comprendre cette hétéronomie autrement que comme une aliénation pure et simple, car l’hétéronomie, principe central du dispositif religieux, posée mais jamais expliquée, reste la boite noire de la théorie de la religion chez Gauchet. On brûle parfois.
C’est assurément le plus insondable mystère des sociétés humaines que ce refus farouche, unanime, obstiné de se considérer en face qu’atteste depuis toujours l’existence des religions. Comme c’est une énigme, en regard, que la décision qui les a portées à sortir de ce déni institué d’elles-mêmes, de leur pouvoir sur elles-mêmes, de la vraie valeur de leurs articulations dans lequel on aurait pu les croire définitivement et constitutivement installées (69-70).
Et si ce refus n’était, comme nous le suggère Girard, que le refus, inhérent à toutes les sociétés, y compris modernes, de voir et de dire leur propre violence sans commencer de la rationaliser et donc de l’euphémiser ?
42Ainsi l’explication du phénomène totalitaire par la seule nostalgie réactionnaire du vieil unanimisme, dont les religions se sentent parfois les alliés naturels et nostalgiques, n’est pas fausse mais courte et relève typiquement d’une idéologie d’euphémisation de la violence moderne et d’accusation des autres ! Mais on ne peut confondre le totalitarisme avec le rêve de la société organique, avec des nostalgies de hobereau pour l’Ancien Régime ou avec l’amour romantique de l’ordre présumé éternel des champs. Les totalitarismes ne se déduisent pas de l’insuffisance de la construction de l’État national moderne (72), ni, ce qui est contradictoire, de « la toute-puissance étatique ». Ils ont bien d’autres traits : le rôle du parti unique, l’instauration de la terreur, la recherche de boucs émissaires, la légitimation de la persécution, la place des chefs charismatiques. Quand Gauchet écrit que :
[le phénomène totalitaire] représente le resurgissement virulent, au sein d’un monde en train de lentement s’en dégager, de la passion immémoriale de méconnaissance, se matérialisant dans l’unité arrêtée du corps social, dont nous savons au moins qu’elle est puissamment enracinée dans l’ordre inconscient des groupes humains (70),
on comprendrait mieux la méconnaissance si, au lieu d’être celle de la toute puissance humaine, elle avouait son rapport à la violence et à la recherche de boucs émissaires. Or il y a, dans les totalitarismes modernes, une transgression légitimée par une loi plus ou moins supposée fondée en nature ou en histoire qui n’en serait que la suite, qui faisant fi de la Loi et du Droit dans leur dimension dogmatique et symbolique, légitime le meurtre au lieu de faire barrage au fantasme de la toute-puissance. Mais rendons à Gauchet cette justice que le recours à la lutte des classes a été un moyen insuffisant de poser un problème essentiel, celui des affrontements dans la fondation des sociétés et la structuration des identités. C’est parce que ce propos est juste qu’il déborde de beaucoup cette seule lutte des classes :
C’est en s’opposant frontalement que les hommes en sont venus à se reconnaître eux-mêmes. C’est dans ce qui les divise qu’ils ont trouvé le secret de leur identité (116).
L’idée de la violence fondatrice et victimaire le relève aussi. « Le conflit est facteur essentiel de socialisation et producteur éminemment efficace d’intégration et de cohésion » (118). D’ailleurs si le thème de la lutte des classes paraît aujourd’hui obsolète, c’est qu’il a quitté la scène au profit de son frère jumeau, la concurrence, forme économique de la dite lutte pour la vie et nouveau nom du moteur de l’histoire, promu légitimation de toutes les batailles et cause de tous les progrès. En fait, ce sont deux variantes du même naturalisme qui prétend rattacher directement la dynamique sociale à des faits de nature pour fonder le cadre d’une histoire chargée de garantir aux désirs humains un mouvement illimité vers un progrès garant d’un bonheur immanent.
43Tocqueville, à l’inverse de Gauchet, partage une sorte de méfiance atavique et religieuse pour la violence, une sorte de sainte horreur. Il est donc facile de lui reprocher de minimiser les conflits, mais c’est sans doute moins par incapacité à les voir que par crainte d’y être piégé. On ne parle point de la corde dans la maison du pendu. Sa hâte est d’en sortir. Mais la violence est toujours plus présente dans sa pensée et d’autant plus qu’on quitte le havre américain pour s’enfoncer dans la Révolution et l’histoire françaises. On retrouve sur ce point la pertinence de distinguer la tension interne de l’œuvre (Lamberti). Et puis, Tocqueville ne cesse de revenir aux passions qui mènent les hommes et l’histoire, et d’abord à celle de l’égalité. Or l’égalité avant que d’être une valeur et un principe est une passion, n’en déplaise aux belles âmes, et d’abord à celle de M. Boudon qui nous donne un merveilleux exemple d’euphémisation violente par bons sentiments, quand il fait dire à Tocqueville le contraire de ce qu’il écrit :
- 25 Raymond Boudon, Tocqueville aujourd’hui, p. 256.
Lorsqu’il indique que l’égalité est « une passion générale et dominante », il veut plutôt dire, en langage moderne, que le respect de la dignité de l’homme en tant qu’homme domine l’histoire de la civilisation occidentale25.
- 26 Raymond Boudon, Tocqueville aujourd’hui, p. 211, 222, 242 et 244.
Sic ! On se frotte les yeux. Exemple parfait, en tout cas, que l’idéologie est d’abord l’euphémisation de la violence pour la légitimer, dans le cas celle commise au nom de la civilisation occidentale et de la modernité de l’égalité ! Que l’individualisme méthodologique, se sentant assiégé par la question du mimétisme, la refoule26, c’est son problème et pas le nôtre présentement qui serait plutôt de comprendre que l’égalité commence par une passion faite à la fois d’envie, d’imitation des autres et de rivalité. Elle est donc fondamentalement ambiguë, comme la violence et le mimétisme, ce que Tocqueville répète inlassablement :
- 27 Tocqueville, Œuvres Complètes, I, 2, p. 295.
L’égalité produit, en effet, deux tendances : l’une mène directement les hommes à l’indépendance et peut les pousser tout à coup à l’anarchie, l’autre les conduit par un chemin plus long, plus secret, mais plus sûr, vers la servitude27.
44N’est-ce pas cette ambiguïté du mimétisme qui explique, parmi mille exemples, le caractère le plus troublant de la Révolution française, d’être devenue une religion de l’irréligion, de sorte qu’elle était une irréligion par le contenu et une religion par la forme, la force et les effets :
- 28 Tocqueville, Œuvres Complètes, II, 2, p. 239.
un parti qui attaquait ouvertement toute idée de religion et de Dieu, et qui, dans cette doctrine énervante, trouvait l’ardeur de prosélytisme et même de martyr que la Religion jusque-là paraissait seule pouvoir donner ! Spectacle inconcevable au moins autant qu’effrayant, capable de jeter hors de soi les plus fermes intelligences28.
Si on veut y regarder, on trouvera chez Tocqueville toutes les attaches d’une théorie de la violence mimétique, non explicitée mais présente, alors qu’elle est également méconnue par les chantres de la violence collective justifiée par le recours aux lois progressistes de l’histoire que par ceux du libéralisme et de l’individualisme méthodologique.
45C’est donc en repartant des mutations radicales de l’économie symbolique en régime démocratique et de la mimésis violente que la pensée de Tocqueville peut, au-delà de sa propre conceptualisation datée du religieux, inspirer en profondeur une socio-anthropologie de la religion qui ne sacrifierait l’une à l’autre, ni sa dimension sociohistorique, ni sa dimension anthropologique et qui serait capable de soutenir victorieusement les apparentes contradictions de l’actualité religieuse de nos sociétés partagées entre la post- et l’ultra-modernité.
Conclusion
- 29 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie. Tocqueville, p. 15.
- 30 Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, p. 116-149.
- 31 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie.
46D’une façon générale, la réflexion de Tocqueville sur la religion a été sous-estimée29, ou plutôt cette réflexion est une des raisons du fait que Tocqueville est bien « le refoulé de notre tradition démocratique », en particulier par le républicanisme révolutionnaire dont Gauchet en 1980, non sans panache et avec une grande force, voulait encore assumer les promesses. Cette mise de côté du religieux, caractéristique de la réception française de Tocqueville était présente chez les auteurs républicains du XIXe siècle et encore plus chez ceux qui maintenaient la tradition révolutionnaire. Mais il accompagne aussi les auteurs libéraux, depuis Raymond Aron, qui sont à l’origine du « grand retour » de Tocqueville dans la seconde moitié du XXe siècle. Le trait ne marque pas que les penseurs mais aussi les sociologues de la religion qui ont sans doute trop négligé cet auteur. Le cas de Gauchet nous a paru intéressant parce qu’il se situe à la jonction de la sociologie classique de la religion et de la grande philosophie politique et qu’il a parcouru les champs de cette dernière d’abord dans le sens de la révolution puis du libéralisme. Mais j’ai conscience de n’avoir traité ici que du début du dossier. Car arbitrer en profondeur le débat entre Gauchet dernière manière et Tocqueville pris dans toute la tension de son œuvre, nous aurait obligés à reprendre tout le problème de la nature et de la fonction de la religion chez ce dernier et sans doute à produire notre propre théorie. La tâche serait ample mais faisable, en particulier en se servant du travail de Pierre Manent30 et de celui d’Agnès Antoine31, qui offre, enfin, la première tentative de traiter dans son ensemble, avec la profondeur historique requise et la connaissance des sources et du contexte, le problème religieux chez Tocqueville. On peut toujours prétendre qu’une synthèse est prématurée. Mais sur une question aussi importante, son absence est encore plus préjudiciable à la recherche. Le fait que ce livre arrive maintenant est vraisemblablement un indice non seulement des progrès des études tocquevilliennes, mais de l’actualité du problème des relations du politique et du religieux, à cause des débats en cours présentement dans la société française. Or cette question se trouve depuis toujours chez Tocqueville. Il est vrai qu’elle a naguère fait plus obstacle à l’accueil de sa pensée qu’elle n’a favorisé sa compréhension. S’il s’avérait que la pensée religieuse de Tocqueville devînt en France l’objet d’un regain d’intérêt et d’études sérieuses, ce pourrait être l’indice d’un changement important des mentalités et intellectuellement la redécouverte de certaines racines augustiniennes de notre culture, en particulier à propos du mal, de la grandeur et de la misère de l’homme, si Pascal a bien eu pour Tocqueville la valeur de référence que dit Antoine. Il ne devrait donc pas y avoir que la connaissance érudite de son œuvre à en profiter, mais aussi la réflexion sur le politique et surtout la sociologie de la religion, qui jusqu’à ce jour ne s’est pas assez arrêtée à lui. Elle lui a fait bien moins de place qu’elle n’en fit naguère à Marx. Si Tocqueville n’a cessé de poser de sérieuses questions à la pensée de Gauche, il est certain qu’il n’en posera pas moins, le balancier de l’histoire étant reparti sans nuances de l’autre côté, aux chantres actuels du libéralisme. Car une chose est certaine, quand on remet la religion à sa place dans sa pensée et qu’on retrouve, comme le propose A. Antoine, les racines de son anthropologie religieuse, c’est que Tocqueville n’est pas un intellectuel organique du libéralisme, mais bien un critique. Qu’elle que soit la dominante du jour, et ses sympathies, Tocqueville se retrouve donc bien à chaque fois dans une sorte d’opposition interne, qui fait sa liberté et sa complexité, la richesse d’une pensée dialectique du paradoxe et qui nous garantit que sa pertinence ne passera pas avec la dernière mode.
Notes
1 Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, Paris, PUF (Sociologies), 1983, p. 294.
2 Tocqueville, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, t. I, 2, 1961, De la démocratie en Amérique et t. II, 2, 1953, L’Ancien Régime et la Révolution.
3 Françoise Mélonio, Tocqueville et les Français, Paris, Aubier (Histoires), 1993.
4 Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1985.
5 Je donne ici la version que j’avais écrite pour le colloque au printemps 2005. Au moment de donner mon texte à l’éditeur, Marcel Gauchet a republié ses premiers écrits qui étaient devenus difficiles à trouver, sous le titre : La condition historique, Paris, Gallimard (Tel), 2005. L’article en question forme le chap. VII, p. 304-384. Gauchet l’a fait suivre d’un Post-scriptum. La Dérive des continents auquel on se reportera pour avoir le dernier état de sa pensée sur les différences entre Europe et Amérique et sur la sortie du religieux, suite aux nombreux événements historiques survenus depuis 1980. Je n’ai pas changé la pagination de mes références, signalée entre parenthèses, qui renvoient à la première édition.
6 Tocqueville, Œuvres complètes, I, 1, 9.
7 Françoise Mélonio, Tocqueville et les Français, p. 72.
8 Ibid., p. 72-73.
9 Ibid., p. 13.
10 Jean-Claude Lamberti, Tocqueville et les deux démocraties, p. 184.
11 Ibid., p. 297.
12 Ibid., p. 299.
13 Brouillon de Tocqueville cité par Jean-Claude Lamberti dans Tocqueville et les deux démocraties, p. 180 et par Françoise Mélonio, Tocqueville et les Français, p. 84.
14 Cité par Jean-Claude Lamberti dans Tocqueville et les deux démocraties, p. 87.
15 Ibid., p. 279.
16 Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989.
17 Marcel Gauchet, « Préface » à Benjamin Constant, Écrits politiques, Paris, Gallimard (Folio), 1997, p. 27-28.
18 Raymond Boudon, Tocqueville aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 204-206.
19 Marcel Gauchet, « Préface » à Benjamin Constant. Écrits politiques, p. 24.
20 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie. Tocqueville, la citoyenneté et la religion, Paris, Fayard, 2003, 242 sq.
21 Ibid., p. 278-280.
22 Pierre Birnbaum, La France imaginée, Paris, Gallimard (Folio histoire), 1998, p. 39-61 : « La plus secrète pensée d’Alexis de Tocqueville ».
23 Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Fayard (L’esprit de la Cité), 1993, p. 129.
24 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie, p. 10.
25 Raymond Boudon, Tocqueville aujourd’hui, p. 256.
26 Raymond Boudon, Tocqueville aujourd’hui, p. 211, 222, 242 et 244.
27 Tocqueville, Œuvres Complètes, I, 2, p. 295.
28 Tocqueville, Œuvres Complètes, II, 2, p. 239.
29 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie. Tocqueville, p. 15.
30 Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, p. 116-149.
31 Agnès Antoine, L’impensé de la démocratie.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Camille Tarot, « Politique et religieux. Une lecture de Tocqueville par Marcel Gauchet », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 44 | 2007, 83-112.
Référence électronique
Camille Tarot, « Politique et religieux. Une lecture de Tocqueville par Marcel Gauchet », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 44 | 2007, mis en ligne le 31 janvier 2023, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1819 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1819
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