Style et phénomène. Dilthey, Husserl et Heidegger
Résumés
Historiquement, le terme de style n’est pas un concept philosophique et est seulement une catégorie ambiguë et indéterminée permettant de classer les différents types de parole. Or, il est étonnant que la philosophie de la vie de Dilthey, Husserl et Heidegger se soit réapproprié ce terme qui ne fige plus le réel quand on le comprend comme une catégorie issue du monde de la vie. Pour la phénoménologie, comme méthode et non comme école, le style se donne de lui-même comme l’identité d’une vie fluente, comme une identité dans le devenir-autre. La mise entre parenthèses de l’histoire du terme et de toutes les disciplines qui lui sont liées est ce qui permet de mettre en lumière la dimension originairement intuitive du style. Ce retour au style comme phénomène est ce qui peut rendre possible et fécond le dialogue entre la philosophie d’une part et la rhétorique, la stylistique, l’histoire des sciences, le commentaire littéraire, l’histoire de l’art, etc., d’autre part. Une phénoménologie du style vit de ce double ancrage empirique et transcendantal.
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Le concept phénoménologique de style
- 1 Voir sur cette question la présentation synthétique d’A. Compagnon dans Le démon de la théorie. Lit (...)
1Le mot style est un terme ancien désignant l’inscription d’une singularité dans la parole humaine, dans la manière d’exister de l’homme et dans ses œuvres, mais sa présence en philosophie, sans être négligeable, est discrète et discontinue. Pascal oppose bien dans Les pensées le style de Montaigne (Lafuma § 675), qui serait de sauter de sujet en sujet, au « style dogmatique » (Lafuma § 1002), mais cette distinction du naturel et du construit ne suffit pas à élucider le sens d’être du style, même s’il est une manière de parler du monde, même s’il est une forme singulière s’ajoutant à la forme universelle « homme » dans la matière de la vie. Il y a en effet une équivoque profonde de ce terme, qui peut n’être qu’un autre nom pour dire une forme d’entendement permettant de classer le singulier et de lui donner sens, comme il peut désigner également l’unité de l’expression d’une vie s’annonçant peu à peu dans la lecture d’une œuvre, sans qu’on puisse la faire tomber clairement sous une signification idéale. Enfin, le style peut manifester autre chose que la qualité d’une personne ou d’une écriture, pour être l’événement d’une réponse inouïe au surgissement inattendu du monde, dans une diachronie fondamentale. Cette troisième voie déplace alors les rapports classiques de la matière et de la forme, du possible et du réel. Que le terme de style puisse désigner à la fois un type empirique, une Idée au sens kantien, et un événement, explique, en partie, l’histoire chaotique de ce terme, avec ses mutations, ses morts et ses renaissances1.
2La tâche du philosophe est une tâche de fondement et ne consiste pas à reconstruire l’histoire factuelle du terme. Il s’attache à passer du fait à l’essence, de façon à revenir au phénomène pur du style et aux actes de conscience qui le constituent. Il s’agit alors de comprendre le style non comme un accident de la parole, mais plus comme une structure de l’expérience, à savoir que chaque chose se donne selon un certain style. En conséquence, les ambiguïtés du terme de style ne sont pas séparables des multiples compréhensions du phénomène et à chaque compréhension du phénomène correspond un usage, essentiel ou non, du mot style. Cela explique qu’un même auteur puisse penser la phénoménalité à travers ce terme, puis le récuser. Si on entend par phénomène ce qui a empiriquement lieu, alors le style est un type empirique, c’est-à-dire une unité abstraite à partir de l’observation des cas particuliers en opérant une identification des traits caractéristiques qui rendent possible une reconnaissance. Mais si le phénomène est plus qu’un pur donné mis en forme de l’extérieur par des catégories d’entendement pour se comprendre comme l’unité synthétique de l’apparaître, alors le style devient l’identité d’une vie fluente. Plus précisément, en comprenant le phénomène par l’appréhension animante d’une donnée sensible s’imposant au sujet, le style est un mode de l’intentionnalité et cesse d’être une simple détermination extérieure à l’objet. Cependant, le phénomène est également ce qui se manifeste de soi-même, il peut être l’événement imprévisible d’une signification et alors le style devient la forme, jamais figée, de notre réponse à l’être qui nous requiert, et non une réduction de l’Autre au Même, pour parler avec Levinas. Ainsi, avec Dilthey, Husserl et Heidegger, on se trouve au cœur d’une question à la fois historique et spéculative, puisque pour ces trois auteurs le style se trouve au centre d’une philosophie de la vie, pour laquelle il n’est pas une détermination extérieure introduisant du sens là où il n’y en aurait pas. Pour ces trois philosophies, le style est un concept permettant de penser une identité mouvante, une identité dans le devenir autre, et c’est pourquoi il s’agit d’un concept paradoxal. Il est introduit en philosophie afin de se préserver de deux écueils : soit considérer la singularité comme purement contingente et formuler l’idéal déshumanisant d’une parole purement universelle et anonyme, ou devant surmonter toutes les particularités, ce qui conduirait aussi à parler de tout de la même façon ; soit soutenir la thèse qu’il n’y a pas d’identité, que toute identité n’est qu’une fiction, et qu’il s’agit de se réinventer sans cesse dans une vie éclatée.
- 2 « Diesem unabänderlichen Stil unserer Erfahrungswelt » (E. Husserl, Die Krisis der europäischen Wis (...)
3Néanmoins la perspective commune sur le style dans le cadre d’une philosophie de la vie s’arrête là, et, selon Husserl, il s’agit de rompre avec Dilthey et avec toute idée de typologie empirique, afin d’accéder à un concept purement phénoménologique de style qui cesse d’en faire un simple instrument de reconnaissance. La clé de cette rupture propre à la phénoménologie, et qui a permis d’ouvrir une voie nouvelle pour la réflexion sur le style, tient au refus de la thèse selon laquelle le tout n’apparaîtrait qu’après la donnée des parties. L’analyse de l’intuition catégoriale a eu cet effet tranchant reconnu par Heidegger en ce qu’elle montre que la donnée du tout est concomitante avec celle des parties. La tâche de la phénoménologie est alors d’élucider le « style intangible de notre monde d’expérience »2.
- 3 La voie ouverte par Husserl est alors sans aucune continuité avec ce que fait, par exemple, Winckel (...)
4Il n’est pas simple de se libérer d’une conception purement empirique et factuelle du style et il ne s’agit pas de tomber dans une compréhension purement idéaliste du style, comme si le style baroque était une signification toujours déjà là. Afin d’éviter empirisme et platonisme, le terme de style se trouve introduit en phénoménologie par exigence de fidélité au phénomène et afin de montrer que le phénomène porte en lui un sens et qu’il n’est pas le simple résultat d’une construction par le sujet. Tout l’enjeu est de montrer dans le retour au phénomène pur que le style n’est pas une représentation [Vorstellung], qu’il ne se réduit pas au rapport singulier à un sens idéal, et pour cela il convient d’établir que le sens noématique est autre que la signification idéale. On comprend alors que si le terme de style est si difficile à utiliser, c’est parce qu’il semble faire perdre ce qu’il veut montrer : il veut dire le singulier et ne dit que l’universel abstrait. Le concept phénoménologique cherche à rompre avec cette malédiction en effectuant un changement radical de perspective, c’est-à-dire en montrant que le style relève de la phénoménalité elle-même. Selon cette nouvelle voie, le style n’est pas ce qui se déchiffre, il n’est pas un système de signes à décoder, et cela se confirme particulièrement dans l’expérience d’autrui, dans la mesure où le style d’autrui ne peut pas se réduire à un acte de thématisation et est ce qui se manifeste, même à travers une saisie par analogie. Le style est alors à la fois ce qui fait l’unité de la manifestation d’autrui et ce qui demeure ouvert au changement dans l’histoire de la conscience. En conséquence, le style d’autrui est sa manière propre de se temporaliser, de se spatialiser, de répondre du sens du monde, de s’ouvrir à ses propres possibilités, et en cela il est cette singularisation dans l’accomplissement de l’essence demeurant irréductible aux catégories qui tentent de le cerner. Par exemple, il y a bien un style mélancolique, néanmoins le style d’autrui tout en y participant ne peut s’y réduire, et c’est pour cela que la perception d’autrui n’est pas un simple acte thématique, comme la reconnaissance d’une particularité, mais une visée identifiant un corrélat relativement constant à travers une multiplicité de modes d’apparitions. Le projet de la phénoménologie est bien de mettre fin à une conception matérialiste ou à une conception formaliste du style, afin de montrer que le style, par exemple celui de la modernité, n’est pas une simple représentation construite, mais est une intention constituante que le phénoménologue dévoile dans l’histoire des sciences3.
5La méthode phénoménologique veut s’en tenir à la pure phénoménalité sans présupposer un monde déjà là dans lequel le sujet opérerait des classifications afin de s’en assurer la maîtrise. Dès lors, il s’agit de mettre en lumière un style plus originaire que celui se dégageant d’une comparaison. Dans ce souci d’une phénoménologie de la raison, il s’agit de ne pas perdre la richesse et l’hétérogénéité irréductible du réel en envisageant un autre sens de la différence qui soit lié à la manifestation elle-même.
Du type au style. Husserl et Dilthey
6Dans la phénoménologie de Husserl, le style n’est pas ce qu’un sujet ajoute au phénomène afin de pouvoir lui donner un sens, il s’agit au contraire de le comprendre à partir de l’intentionnalité elle-même. Autrement dit, l’élucidation de l’intentionnalité, qui pour Husserl est l’œuvre de toute sa vie, passe par une compréhension non mondaine du style et du type, et c’est pourquoi la confrontation avec Dilthey est un moment décisif du déploiement de la phénoménologie. Tant qu’on en reste à une typologie empirique, le style, comme mouvement vivant d’une vie fluente, demeure inintelligible, et il est donc nécessaire de comprendre comment Husserl, en se libérant de la philosophie de la vie de Dilthey, peut donner sa véritable place au style dans la vie intentionnelle.
- 4 « Nous désignons sous le nom de typique l’essentiel ainsi dégagé de la réalité. La pensée engendre (...)
- 5 « Mais l’art représentatif offre plus que des reproductions de la vie humaine. La vue est la représ (...)
- 6 Voir G. Fagniez, Comprendre l’historicité. Heidegger et Dilthey, Paris, Hermann, 2019, p. 94-101.
- 7 Ibid., p. 284.
- 8 Sur les deux significations du type chez Dilthey ainsi que sur la confrontation entre Husserl et Di (...)
7Dans son élucidation des sciences de l’esprit, Dilthey cherche comment articuler l’individuel et le général, et pour cela il fait appel au concept de « type ». On trouve principalement ce terme de type dans les analyses sur l’art de Dilthey, puisqu’il permet d’expliquer le procédé de la représentation esthétique. Il s’agit pour l’essentiel d’un concept relevant de la psychologie et qui vise à désigner ce qui demeure constant dans le déploiement d’une vie. Ainsi Cordélia est bien un type dans le théâtre de Shakespeare. Le type est en cela obtenu par un travail d’abstraction, en isolant ce qu’il y a de régulier chez une personne ou une situation et en accentuant les traits4. Encore une fois, le type détermine l’élément invariant dans l’infinité des variations de la vie. C’est ainsi qu’il est possible de dégager le type du tyran ou le type de l’homme avide. De cette façon, isoler un type, c’est dégager des caractères constants essentiels, qui permettent d’identifier l’individuel. Il est donc obtenu par une généralisation empirique dans laquelle on n’hésite pas à effectuer une intensification du vécu de manière à mieux séparer l’essentiel du contingent. Encore une fois, dans les textes de Dilthey, le type ne s’applique pas qu’aux œuvres d’art ; néanmoins l’œuvre d’art possède une valeur exemplaire afin de mettre au jour cette structure de l’expérience dans tous les domaines. En effet, le propre de l’art, selon Dilthey, est de pouvoir présenter l’universel (la fidélité) sous la forme du particulier (Cordélia)5. Le type a donc une place décisive, puisqu’il est une façon de voir l’universel dans le singulier ; néanmoins les difficultés sont ici très nombreuses, car on ne sait pas très bien si le type est le résultat d’une simple généralisation empirique et demeure en cela contingent, ou bien s’il est une volonté de dire l’universel sous une forme singulière, de le rendre ainsi sensible. Pour Dilthey, c’est bien en art et non en sciences qu’il peut y avoir des types, c’est-à-dire des images qui rendent possible la pensée6. Il n’en demeure pas moins que pour Dilthey, il le dit explicitement, le type est ce qui ressort de commun dans l’observation empirique, puisque « c’est la vision typique qui permet de représenter les similitudes, le retour des différences, des nuances et des parentés »7, et cela pour les œuvres d’art, les personnes, les situations, les rapports et les destinées. Il y a le type de l’homme viril, le type du tyran, le type de l’homme avide, etc. Il s’agit là de la fonction catégoriale du type, qui risque de faire perdre la vie elle-même dans une représentation schématique et simplificatrice8.
8Dans sa rupture avec la psychologie, Husserl cherchera à s’affranchir de cette compréhension du type empirique en s’efforçant de distinguer le simple type empirique de l’eidos. La position de Husserl est très claire notamment dans la première section des Idées directrices pour une phénoménologie pure dans laquelle il explique que l’essence ne peut pas être obtenue par une méthode régressive et que l’abstraction ne donne aucun accès à l’a priori des choses. En effet, pour Dilthey le type demeure dépendant de la subjectivité qui le constitue. Pour Husserl, au contraire, l’a priori, auquel toute subjectivité peut accéder, demeure indépendant de toute subjectivité particulière. C’est pourquoi il ne cesse d’insister sur l’idée que l’essence n’est pas un simple type empirique. La simple permanence de fait dont se contentait Dilthey n’a rien à voir avec la nécessité eidétique à laquelle veut avoir accès la philosophie comme science rigoureuse. Autrement dit, le type au sens de Dilthey ne peut être que la singularisation contingente d’une essence et Husserl conteste la nécessité du type empirique. La vision des essences s’oppose donc radicalement à la conception empiriste de la genèse des représentations, sans devenir un pur platonisme. Ainsi, le type selon Dilthey demeure un singulier qui est un apeiron, alors que l’essence est un autre type d’objets qui n’enveloppent pas l’apeiron. Sans pouvoir développer ce point pourtant essentiel dans une théorie de la connaissance, il est clair que les différents exemples de type qui sont donnés par Dilthey ne sont que des constructions psychiques et non ce qui serait donné en personne dans une intuition. Tout le travail de Husserl est de montrer que la catégorie n’est rien d’extérieur à l’objet, qu’elle est donnée avec l’objet lui-même. Dès lors, dégager des types, ce n’est pas donner une forme au sens où le potier modèle une forme, puisque chaque objet possède son unité propre saisie dans l’intuition eidétique. Il est clair que la question du type et celle du style se trouvent bouleversées à partir du moment où la phénoménologie montre que l’être même des choses est accessible à l’intuition. Husserl définit ainsi le type :
- 9 E. Husserl, Phänomenologische Psychologie, Husserliana IX, W. Biemel (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 19 (...)
Le mot type doit ici seulement servir à caractériser les généralités dont nous parlons ici, en tant qu’elles s’offrent dans l’expérience et en tant que généralités intuitives invariantes qui se maintiennent à travers les changements de l’expérience possible9.
9Ce n’est donc pas l’homme de science, que ce soit la science de la nature ou la science de l’esprit, qui construit une rationalité, puisque la philosophie a au contraire pour projet d’élucider la rationalité même du monde et ce projet d’une ontologie concrète transforme radicalement la compréhension du type et du style, puisque la perception n’est pas une simple reconnaissance. Contre toute une tradition, notamment issue de Locke, il s’agit de montrer que le concept de type et celui de style ne viennent pas de l’expérience interne, mais sont issus de la donnée même des choses. La dimension empiriste de la philosophie de Dilthey fait que, pour Husserl, son concept de type n’est finalement qu’une construction spéculative a priori, qui prend parfois la forme d’une norme biologique ; plus encore, c’est un mauvais intuitionnisme, comme tout empirisme, puisqu’il réduit la donation à l’expérience des données singulières individuelles et méconnaît que le type lui-même peut être l’objet d’une intuition. Husserl dénonce ainsi les préjugés considérables de toute compréhension empiriste du type, qui en réalité prédétermine abusivement la phénoménalité.
10Dans de nombreux textes, et cela jusqu’à La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Husserl s’attache à distinguer ce qu’il nomme le type pur, ou encore l’idéalité, et le type empirique, et cela du point de vue même de leur mode d’appréhension. Comme l’a souligné Dilthey, sur le fond de nos souvenirs il est possible de construire de nombreux types empiriques (celui d’une personne, d’un animal ou d’une chose ; ou encore d’une culture ou d’une époque historique), néanmoins ces types empiriques demeurent toujours marqués par la contingence et ils ne sont que le résultat de la répétition d’individus indépendants et semblables à la fois. Husserl montre alors que la mathématisation de la nature consiste justement à ne pas se contenter du type empirique et que la géométrie pure est bien une science des idéalités pures. Si le potier peut chercher à réaliser son vase selon l’horizon d’une rondeur parfaite, cet idéal empirique de perfection n’est pas encore la forme limite à partir de laquelle il peut prendre sens. Tout le travail de la réduction phénoménologique consiste ainsi à ne plus confondre le type empirique dérivé et contingent avec le type pur. Tant que l’on se contente de classer d’une manière contingente les différents types (type anthropologique, type poétique, etc.), on n’accède pas à l’essence, qui seule permet de ne pas absolutiser ce qui est relatif. Le type pur n’est pas une construction, mais est un a priori concret, qui permet d’élucider l’expérience. Bien sûr, on peut se demander si en dehors des mathématiques il est possible d’accéder à ce type pur, c’est-à-dire de libérer l’a priori de toute facticité, et même en mathématiques la question du rapport entre intuition et idéalisation demeure ouverte.
- 10 Ibid., p. 15 ; trad. fr., p. 20.
11Quoi qu’il en soit de cette difficile question des limites de l’idéalisation, il n’en demeure pas moins que le type pur ne peut pas consister simplement à forcer le trait de manière à mettre en relief une singularité, sauf à en rester à une conception purement naturaliste de la conscience. En 1925, dans l’introduction de sa Psychologie phénoménologique, Husserl commence par prendre ses distances avec Dilthey en soutenant qu’une véritable psychologie descriptive ne peut pas s’en tenir à de vagues généralisations empiriques, qu’elle ne peut pas se borner à une « typique morphologique individuelle » et finalement à une simple « histoire naturelle des formes historiques de l’esprit »10. Dans sa critique radicale de toute naturalisation de l’esprit, de toute zoologie des personnes singulières ou communes, Husserl ajoute :
- 11 Ibid., p. 17 ; trad. fr., p. 23.
Et si, ensuite, nous étudions les types de personnes, n’en venons-nous pas à une simple psychologie empirique comparative du style le plus ancien, qui nous offre une multiplicité de formes typiques de personnalités, de caractères, de tempéraments, d’associations, mais jamais quelque chose comme une nécessité universelle, une explication permettant de connaître à partir de lois11 ?
12Pour un idéalisme transcendantal, le sens ne se réduit pas à la signification idéale et constituer n’est pas thématiser, mais laisser le sens lui-même apparaître dans l’expérience. Ainsi, il s’agit d’accéder à l’intuition de formes nécessaires de manière absolument intuitive, et c’est dans ce cadre que Husserl introduit le terme de style :
- 12 Ibid., p. 89 ; trad. fr., p. 86.
Il faut bien qu’il (le monde) apparaisse d’une manière ou d’une autre et, à partir de ce qui est vu, le style général de ce qui ne l’est pas est nécessairement pré-esquissé12.
- 13 Ibid., p. 109 ; trad. fr., p. 105.
- 14 Ibid., p. 125-126 ; trad. fr., p. 120.
13Ainsi, le terme de style désigne des formes structurelles nécessaires de l’expérience dans sa dimension potentielle. Même si je ne connais pas une région du monde, je sais qu’elle se donnera selon le temps et l’espace. Style signifie donc « mode de la donnée » et Husserl montre que « dans ces réflexions nous avons interrogé le monde de l’expérience conformément au style général selon lequel il se donne lors d’une quelconque expérience possible »13. Husserl ajoute que « cette présomption (que la réalité vraie est seulement subjectivement cachée), qui fait partie du style naturel de l’expérience universelle, et dont la certitude n’est jamais mise en question, régit également les sciences objectives »14.
- 15 Ibid., p. 138 ; trad. fr., p. 132.
- 16 Ibid., p. 141 ; trad. fr., p. 134.
14Style signifie donc toujours un style de modification, par exemple le style « chose », le style « animal » ou le style « homme ». Husserl a donc souvent recours à ce terme pour désigner « une régularité typique qui fonde un style d’attente »15. Cela ne signifie pas qu’il ne puisse pas y avoir de surprise, mais toute surprise se donne par rapport à ce style d’attente. En conséquence, il y a un style général de l’âme humaine et un style propre lié aux habitudes, aux décisions, etc., ce que Husserl nomme « l’unité de l’individualité spirituelle qui elle-même persiste à travers les transformations du caractère »16. Dès lors, toujours dans le cadre d’une psychologie phénoménologique, Husserl cherche à montrer en quoi le style dessine un horizon d’attente, c’est-à-dire un horizon des possibles :
- 17 Ibid., p. 215 ; trad. fr., p. 202. Sur cette individualité spirituelle, voir mon ouvrage Personne e (...)
À la manière dont le moi se laisse motiver, relativement au monde environnant de sa conscience, à des décisions changeantes et, par là, compte tenu de la particularité de ses décisions prises elles-mêmes et de leurs contextes, le moi conserve un style individuel que l’on peut parvenir à connaître. Le pôle égoïque ne possède pas seulement ses sédiments changeants mais une unité constituée dans ce style à travers leurs changements17.
- 18 Ibid., p. 215 ; trad. fr., p. 203.
15En analogie avec l’analyse de la chose, Husserl montre que le moi peut également se laisser objectiver comme unité constituée au fil du temps ; le propre de la psychologie est de tenter de connaître une telle individualité, qui dessine un horizon d’attente. Certes, Husserl n’identifie pas le style « chose » et le style « personne », néanmoins il montre que la personne est également un certain style de modification, et c’est en cela qu’elle peut se définir comme étant activement le « sujet d’une histoire »18. Dans ces pages, Husserl ne cherche pas à réaliser une anthropologie philosophique, et son propos demeure celui d’une phénoménologie de la raison cherchant à montrer que le style de la région « chose » est différent du style de la région « personne ». En effet, ces quelques considérations régionales n’ont d’autre but que d’indiquer en quoi la réduction conduit à dépasser la simple psychologie phénoménologique, afin d’accéder à la phénoménologie transcendantale, qui veut élucider le style invariant de la subjectivité à partir d’une libre variation imaginative :
- 19 Ibid., p. 323 ; trad. fr., p. 264.
La phénoménologie devient science universelle, rapportée au champ continuellement unitaire de l’expérience phénoménologique, et science ayant pour thème la recherche du style formel invariant de ce champ et de son a priori de structure dans son infinie richesse, l’a priori d’une subjectivité pure comme subjectivité singulière à l’intérieur d’une intersubjectivité, et l’a priori de celle-ci même19.
- 20 Ibid., p. 345 ; trad. fr., p. 284 : « C’est ainsi que devient possible une philosophie transcendant (...)
- 21 D. Pradelle, « Y a-t-il un platonisme phénoménologique ? Primat de l’idea et “langage de l’expérien (...)
16Cette fois, il ne s’agit plus du style contingent d’une individualité, mais du style nécessaire de toute subjectivité dans le cadre d’une réduction phénoménologique, qui est aussi une réduction eidétique. Ainsi, selon Husserl, la phénoménologie transcendantale fonde la psychologie phénoménologique, qui elle-même fonde la psychologie scientifique20. Le style est une unité qui se donne dans l’expérience et qui n’est réductible ni au résultat d’un processus d’abstraction, ni à une pure idéalisation platonisante du sens21.
Husserl et le style constitutif
- 22 « L’attente n’est en général pas sans équivoque, elle a ses horizons aperceptifs de déterminabilité (...)
- 23 Sur cette question de la possibilité, voir l’ouvrage tout à fait remarquable de C. Serban, Phénomén (...)
- 24 E. Husserl, Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge, Husserliana I, S. Strasser (éd.), La (...)
17La question du style est directement liée au fait que toute chose sensible se donne selon un horizon infini, et cela vaut également de la personne humaine en tant qu’unité d’expérience constituée. Cela signifie que le style n’est pas quelque chose d’extérieur à l’expérience, quelque chose de purement subjectif comme le pensait encore Dilthey, et qu’il est au contraire une condition a priori de l’expérience, dans la mesure où il ne peut y avoir d’expérience que dans une continuité : c’est le même objet qui continue à se donner selon le même style constitutif, y compris quand je perçois des écarts ou des différences. Quand se produit ce que l’on n’attendait pas, c’est qu’une possibilité anticipée, appartenant à l’horizon d’attente, n’a pas été réalisée22. On attend d’un philosophe qu’il continue à chercher la vérité, même en changeant d’avis, cependant s’il renonce à la philosophie, cette déception qu’il peut ressentir ou qu’un autre peut éprouver ne peut se comprendre que par rapport au style de l’existence philosophique, le style d’une existence purement rationnelle selon des fins idéales, à laquelle il fait défaut. Husserl l’a longuement médité dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, en soulignant que la vocation philosophique avec son horizon infini est aussi une épreuve de la finitude, de la possibilité de l’échec, du renoncement, de la fatigue. La situation du philosophe est exemplaire, et en cela il ne s’agit pas d’une exception, puisque Husserl cherche à montrer que toute expérience est ouverte sur un horizon infini de possibilités, sur un avenir23. Dans le § 19 des Méditations cartésiennes, Husserl précise que toute actualité implique ses propres potentialités, qui ne sont pas des virtualités vides, puisqu’elles sont pré-tracées, et il parle d’une « protention permanente [eine stetige Protention] »24. Le style ne fait que dire cette intentionnalité d’horizon, dans la mesure précisément où il ne renvoie pas à la fixité d’une chose en soi, mais à la potentialité d’un avenir ; c’est en cela qu’il est indissociable du voir. Tout voir est l’anticipation d’un voir. Husserl assume alors tout le paradoxe de cette anticipation, de cette protention permanente, en soulignant qu’elle n’a pas lieu à vide et qu’en même temps il y a une nécessaire indétermination de cette anticipation. Le style est peut-être justement dans cette ambiguïté entre un sens pré-tracé et son indétermination essentielle, par laquelle l’avenir demeure justement à venir. Ainsi, le style ne peut se comprendre qu’à partir de l’horizon comme structure noético-noématique de toute subjectivité : l’activité noétique en tant que protention et le noème comme index d’un système subjectif de vécus. Dès lors, le style ne relève ni du seul pôle sujet, ni du seul pôle objet, et est bien un mode de l’expérience, dans la mesure où toute expérience d’objet a lieu dans l’histoire de la conscience, qui anticipe des possibilités de perceptions. Le style en tant qu’anticipation de l’expérience ou pré-connaissance typique appartient à la structure de l’expérience.
- 25 E. Husserl, Formale und transzendentale Logik : Versuch einer Kritik der logischen Vernunft, Halle, (...)
18De ce point de vue, le style ne peut se comprendre que par rapport à la vie temporelle du sujet. En effet, la « passéification » du passé et la « futurisation » du futur ne cessent jamais, et c’est pourquoi une personne est la possibilité même de se ressouvenir de son passé ou d’attendre son avenir. Or, une subjectivité ne peut devenir présente à elle-même dans le ressouvenir que parce que son passé lui est déjà ouvert, présent, par la chaîne infinie des rétentions. Le présent vivant est constamment en genèse ; il est l’auto-temporalisation constante de la subjectivité s’anticipant elle-même, ouvrant son propre horizon. On comprend alors mieux en quoi la protention permanente repose sur une rétention permanente, et c’est pourquoi l’expérience infinie du monde passé prescrit au monde futur un même style, puisque « le monde réel existe seulement avec la présomption qui se dessine constamment que l’expérience continuera constamment à s’écouler dans le même style constitutif »25. D’un point de vue constitutif, il y a là un cercle entre le passé et l’avenir à partir du présent, dans la mesure où l’expérience passée détermine en un sens l’expérience future, sans oublier cependant que le passé est aussi un avenir de détermination, comme Husserl le développe à la fin du § 19 des Méditations cartésiennes. La continuité de l’expérience suppose à la fois cette présence du passé dans l’anticipation des possibilités et l’interrogation de ce passé à partir du présent. Déjà, dans le § 47 des Idées directrices pour une phénoménologie pure, Husserl soulignait que toute expérience actuelle renvoie à des expériences possibles et celles-ci à d’autres expériences possibles encore. Il précisait cependant :
- 26 E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Erstes Buch : (...)
Le style de la concordance de ma vie empirique antérieure entraîne nécessairement la présomption de la même concordance à l’avenir, vivant dans un tel style d’expérience je ne peux faire autrement que de compter sur l’avenir et croire, comme nous le faisons bien tous parce qu’il nous faut le faire, à l’être du monde. Seule une modification effective de ce style d’expérience, seul un progrès factuel des expériences qui viendraient le briser – tel que celui-ci est devenu évident en tant que possibilité – pourrait déterminer le doute et, ensuite, le fait de ne pas croire au monde26.
- 27 « Le monde, qui est présent à la conscience comme horizon, a dans la validité continue de son être (...)
- 28 « Là-même où nous ne reconnaissons pas dans son universalité la contrainte de l’applicabilité des m (...)
19Ce style expérience est ce qui fonde la « confiance [Vertrautheit] »27 dans le monde et la perte de ce style constant peut être aussi une expérience de l’anéantissement du monde, au sens où tout d’un coup le monde tel qu’il faisait sens n’est plus là. Pour revenir aux fondamentaux de la phénoménologie, le style appartient à ce sol universel de la croyance au monde présupposée par toute activité théorique ou pratique. Comme la croyance au monde dont il est indissociable, il n’advient pas par un acte particulier qui prendrait place dans la continuité du vécu ; le style n’est pas un acte de position de l’être ou de saisie d’un étant, ou encore de jugement prédicatif. En effet, tous ces actes supposent déjà la conscience d’un monde qui se donne selon un certain style. Par exemple, même si je ne m’intéresse pas aux sciences de la nature, j’appartiens aujourd’hui à ce monde moderne façonné par les sciences de la nature, non seulement par leurs résultats, mais également par leurs méthodes et par leurs préjugés ontologiques28. Il serait possible de prendre en compte ici toutes les dimensions du monde qui font que j’appartiens à un présent historique dont je ne décide pas, et à partir duquel toute chose se donne à moi. Autrement dit, tout ce qui se donne ne peut se donner que sur le sol d’un monde possédant un certain style, et d’une certaine manière on peut dire que le monde se donne toujours selon un style et qu’il n’y a que des passages d’un style à un autre. Toute donnée d’un objet a lieu à partir d’une histoire de la conscience qui la précède. D’un point de vue constitutif, l’anticipation, l’attente, n’est pas ce qui rend impossible le surgissement de l’imprévisible, puisque l’impossible ne peut apparaître qu’à partir d’une visée des possibles. Cette pré-donnée du monde a lieu dès la vie naturelle, néanmoins la réduction phénoménologique est déjà en elle-même une rupture de style :
- 29 E. Husserl, Zur phänomenologischen Reduktion : Texte aus dem Nachlass, 1926-1935, Husserliana XXXIV (...)
Je suis déjà homme, j’ai déjà mes façons typiques de « vivre », d’être occupé, de pâtir, de me défendre contre ceci ou cela, mes façons de faire l’expérience des autres et de vivre avec les autres, et les autres sont précisément des hommes comme moi. Être et vivre, cela s’accomplit dans un style de connu, un style d’habitude, et tout étant, le monde est une forme d’habitude, les réalités sont des pôles d’être-dirigé par habitude et le sur-quoi, précisément le pôle, est une ébauche par habitude avec une forme par habitude du perfectionnement : comme tel par avance connu, conscient. […]
Je peux répudier une habitude, comme à l’ordinaire ; mais puis-je écarter celle de la pré-donnée de notre monde d’expérience ? L’expression « habitude » est-elle utilisable ? L’habituel se trouve ici dans le style. Le moi naturel est aussi actif, mais il se décide au sein de ce qui affecte et est déjà formé par habitude. Il y a du pré-donné en tant que vaste espace de la constitution associative passive en laquelle l’actif entre alors conjointement, tout comme antérieurement une activité, et son effectuation, est entrée en elle29.
- 30 E. Husserl, Die Krisis…, p. 326 ; trad. fr. : La crise…, p. 360.
- 31 E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Zweites Buch : (...)
20En effet, la réduction consiste à se poser au-delà de cette vie naturelle dans laquelle un style issu du passé fait qu’une autre vie n’est pas en question comme possibilité. Certes, avec la réduction cette vie n’est pas pour autant perdue, mais elle devient objet, n’est plus que l’une des unités possibles de ma vie. De ce point de vue, la réduction est bien contre nature, car elle inaugure une nouvelle attitude qui est un changement de style, mais cette fois au sens d’un changement dans la manière de se déterminer, puisque « attitude, pris en général, cela signifie un style fermement établi par l’habitude dans la vie de la volonté »30. Dès lors, si « chaque homme a son caractère, pouvons-nous dire, son style de vie dans l’affection et dans l’action, eu égard à sa façon d’être motivé par telles et telles circonstances »31, cela n’empêche pas les ruptures, voire les conversions, et Husserl a pu longuement montrer en quoi la conversion à la philosophie est un changement profond de style, c’est-à-dire de manière d’expérimenter le monde.
21Il ne va pas de soi de distinguer entre l’usage du terme de type et l’usage du terme de style dans la phénoménologie de Husserl, et il semble bien que parfois Husserl considère ces deux termes comme équivalents, néanmoins il est possible d’avancer l’hypothèse que le type relève plus de l’analyse eidétique et que le style tienne davantage aux analyses génétiques. Même s’il n’y a pas de distinction systématique entre les deux termes, le mot style semble trouver son lieu naturel dans les analyses de psychologie phénoménologique portant sur la personne humaine et notamment sur la motivation ; cela dit, même dans le § 60 des Recherches phénoménologiques pour la constitution, Husserl semble tenir pour synonyme le type individuel et le style. Dans toutes ces analyses, le mot style renvoie à l’idée de personnalité, de caractère, ou encore de dispositions originaires, c’est-à-dire à une unité constituée dans le temps et donc relative et changeante :
- 32 Ibid.
Ce n’est pas que tout simplement il ait possédé jusqu’ici un tel caractère et un tel style, au contraire celui-ci est, pour le moins quelque chose qui ne dure que de façon relative à travers les périodes de la vie et puis se modifie dans son ensemble d’une façon de nouveau caractéristique, mais de telle sorte que, à la suite des changements, se manifeste de nouveau un style unitaire32.
- 33 E. Husserl, Zur Phänomenologie der Intersubjektivität : Texte aus dem Nachlass. Dritter Teil : 1929 (...)
22Dès lors, si le type reconduit plutôt à l’idée d’une identification dans l’expérience perceptive avec son horizon des possibles (le type « je-homme » ou le type individuel d’une histoire singulière), le style relève plus du monde de la vie et donne plutôt à penser que l’unité de la personne humaine demeure toujours le « style mouvant d’une vie fluente »33 dans une identification toujours à recommencer de la première expérience de soi en tant que « je », instaurant le sens idéal de la personnalité, jusqu’à la mort.
23On peut être étonné du caractère très empirique de certaines considérations de Husserl dans les Recherches phénoménologiques pour la constitution, néanmoins cela prend son sens à partir de l’opposition entre le monde naturaliste et le monde personnaliste, et les considérations sur la motivation comme loi fondamentale de la vie de l’esprit n’ont pas d’autre but que de reconduire aux structures universelles de la subjectivité. En effet, au-delà des considérations empiriques, il s’agit de montrer que dans l’expérience que l’ego fait de lui-même, il se précède toujours déjà. Un « je pur » n’a pas de style, mais une subjectivité concrète possède un style, dans la mesure où elle se maintient elle-même comme la même à travers ses vécus ; plus précisément le « je » se donne des habitus, qui sont des propriétés persistantes. Par exemple, le « je » prend une décision et, qu’il maintienne ou qu’il modifie cette décision, il restera celui qui a pris cette décision. On comprend mieux, contre Dilthey, que le style est précisément ce qui permet à Husserl de dépasser l’opposition entre un « je » universel et abstrait et un moi empirique particulier. La subjectivité transcendantale s’individue elle-même par ses capacités habituelles, qui ne sont pas identiques aux propriétés d’un objet. Encore une fois, il s’agit d’une tentative pour appréhender le style d’une manière non psychologique en élucidant des capacités qui s’inscrivent dans le sujet à partir de son histoire. Ainsi, le style est lié à la possibilité de la remémoration, qui permet de rendre vivante telle ou telle décision prise dans le passé. Il est clair, notamment dans les analyses du § 32 des Méditations cartésiennes, qu’il y a une dimension passive et une dimension active du style. Toute prise de position présente ne peut avoir lieu que sur le sol de toute sa vie passée, néanmoins le style ne prend son sens le plus fort que dans le maintien actif d’un certain nombre de résolutions. Comme philosophe, qui d’une façon traditionnelle permet à Husserl de réfléchir sur l’essence de l’homme, je dois maintenir la décision de ne vivre que pour la vérité, dans une vocation absolue. Il y a donc une temporalisation passive et une temporalisation active, qui ne sont pas totalement sur le même plan, et cela dans la mesure même où le style d’une vie (celle du philosophe ou celle de l’humanité européenne, et cela se rejoint) est aussi ce qui peut tomber dans l’abandon, ce qui peut être oublié, voire négligé :
- 34 E. Husserl, Cartesianische Meditationen…, p. 101 ; trad. fr. : Méditations cartésiennes, p. 114-115
Même si, en général, les convictions ne sont que relativement durables, elles ont leurs modes de changement (par modalisation des positions actives, parmi lesquelles : suppression ou négation, annulation de leur validité), le « je » confirme, malgré de tels changements, qu’il a un style permanent [bleibenden Stil] où règne une unique identité, qu’il possède un caractère personnel34.
- 35 Sur cette question, je renvoie à mon ouvrage Personne et sujet selon Husserl ; mais également à l’o (...)
- 36 Voir sur cette question, Les “Méditations cartésiennes” de Husserl, J.-F. Lavigne (dir.), Paris, J. (...)
24Ainsi, la question du style ne relève plus d’une réflexion naturelle, mais tient à une réflexion transcendantale, dans laquelle il est mis en évidence que je suis toujours donné à moi-même selon un certain style et que cette unité, même si elle me demeure relativement obscure, est le sol pour toute unité provenant d’une libre décision. Le style est donc ici lié au pouvoir du « je » et, de ce point de vue, il n’a rien d’une détermination anthropologique35. On peut parler cette fois d’une propriété noétique liée à une genèse transcendantale36, et c’est ce que va développer le § 33 des Méditations cartésiennes avec la notion de monade, qui indique d’abord que le sujet ne se laisse pas découper en couches (par exemple une couche nature et une couche esprit) et qu’il se donne avec sa vie comme un tout. On comprend alors que toute expérience se sédimente dans le sujet et que la moindre des perceptions, confirmée ou niée, fonde un habitus, c’est-à-dire une capacité à constituer le monde, un horizon de possibilités. Ainsi, le sujet se constitue lui-même, passivement et activement, dans l’unité d’une histoire, qui fait son style, qui est présente avec chaque expérience dans sa façon même de l’anticiper, même si elle échappe ou résiste à une objectivation parfaite, car elle demeure une Idée au sens kantien. On pourrait ajouter que c’est à partir de mon style que je peux appréhender, indirectement dans une analogie qui est le mode de donnée et non un raisonnement, le style d’autrui, tenter de me mettre à sa place, de comprendre ce qu’il vit, sans pour autant remettre en cause la séparation radicale des subjectivités. Un sujet intemporel et vide serait incapable d’empathie et pour lui la distinction du propre et de l’étranger n’aurait pas de sens. Autrement dit, c’est à partir de mon histoire que je peux comprendre autrui comme étant lui-même une histoire, comme étant la confirmation synthétique d’un sens visé, sans que je ne puisse jamais me prendre pour lui :
- 37 E. Husserl, Cartesianische Meditationen…, p. 149 ; trad. fr. : Méditations cartésiennes, p. 169.
Les processus psychiques supérieurs, aussi multiples et bien connus soient-ils, ont à nouveau leur style de connexion synthétique et leur forme de déroulement qui peuvent m’être compréhensibles par leur rattachement associatif à mon propre style de vie empiriquement familier dans sa typologie approximative37.
- 38 Voir E. Husserl, Zur Phänomenologie der Intersubjektivität : Texte aus dem Nachlass. Dritter Teil : (...)
- 39 « Un style d’expérience délirant quelconque ne prouve rien quant au non-être du monde, il n’en va p (...)
- 40 E. Husserl, Grenzprobleme der Phänomenologie : Analysen des Unbewusstseins und der Instinkte, Metap (...)
- 41 « Déployer systématiquement le style de cette vie en tant que vie-du-monde, et de nous-mêmes en tan (...)
25Le style est donc à la fois constituant et constitué et il se retrouve dans toutes les dimensions de la vie égologique prescrivant une possibilité de connaissance, mais également une capacité d’action et un devoir-être38. Cette dimension d’attente propre à toute expérience prend une forme particulière avec la vie personnelle du sujet, dans la mesure où elle permet d’élucider la continuité de la vie personnelle, mais également les discontinuités qui sont des ruptures du style normal dont Husserl donne quelques types fondamentaux comme la folie39, la mort du prochain, les irrationalités de toutes sortes, etc., sans vouloir ici encore en rester à la simple observation empirique et en cherchant à dégager les événements fondamentaux de l’existence humaine. Dans certains textes des Grenzprobleme der Phänomenologie40, Husserl étudie même cette rupture de la normalité qui peut conduire à l’idée du suicide, puisque le sol même de notre existence se dérobe brutalement sous nos pieds. Dans cette réflexion sur l’auto-constitution du sujet et sur ses échecs possibles, Husserl tiendra de plus en plus compte de l’historicité du sujet qui appartient nécessairement à une tradition, qui n’est pas ici une détermination empirique, mais une structure de la conscience. En effet, chaque homme a son style d’historicité et, également, de culture à culture ce n’est pas le même style qui se manifeste ; il y a un style propre de l’humanité européenne que Husserl s’attache à élucider dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale ainsi que dans tous les textes de cette période. Bien sûr, le projet est bien de montrer que l’Europe n’est pas un style relatif à une période ou à un lieu, ce qu’elle est aussi, mais qu’elle porte en elle l’idée d’une autre historicité issue de la pure raison et est donc un style qui devient une norme pour tous les autres styles. Si la philosophie est pour Husserl le phénomène originaire de l’Europe spirituelle, c’est que l’idéalisation ouvre un nouveau style d’existence par l’infinitisation de cette existence et par la possibilité de devenir un spectateur désintéressé41. Cela ouvre à une nouvelle socialisation, puisque l’homme entre alors dans une communauté d’intérêts purement idéaux dans le don de soi aux Idées infinies. L’Europe est donc bien pour Husserl le style de l’homme libre et responsable, qui répond absolument de lui-même et du sens du monde, à partir d’un héritage qu’il assume comme un devoir. Autrement dit, il se possibilise, ouvre ses horizons d’attente, à partir des idées infinies et des valeurs absolues. Seule une philosophie peut décrire le style et les changements de style de vie, notamment le changement de style de vie téléologique qui consiste à passer des buts finis à des buts infinis.
26Husserl maintient donc le terme de style des textes sur la perception de l’objet jusqu’aux textes sur la fonction archontique du philosophe, en passant par des textes sur les objets culturels, comme si la structure d’horizon mise en évidence dans la perception de l’objet sensible se retrouvait de manière identique dans toute conscience d’objet. Certes, le terme de style n’est pas un concept thématique de la phénoménologie de Husserl, néanmoins il s’agit bien d’un concept opératoire absolument incontournable dans une phénoménologie de la raison, qui énonce cette structure d’attente de toute expérience possible. Reste à savoir si le possible se comprend de la même manière pour les choses et les personnes ou si la possibilisation de soi ne relève pas d’une autre compréhension ne se fondant pas sur l’analyse de la perception sensible.
- 42 E. Husserl, Expérience et jugement…, § 65.
27Husserl consacre quelques analyses – qui pour lui sont dérivées – à l’œuvre d’art comme objet investi d’esprit ayant également une typique générale et une typique singulière42, mais il ne fait pas de l’œuvre d’art un lieu privilégié de l’élucidation du style, et, selon lui, c’est au contraire à partir de la mise en évidence de la structure d’attente de l’expérience du monde sensible qu’il devient possible d’étudier l’œuvre d’art à titre de phénomène. Derrière cette question de savoir si l’œuvre d’art est oui ou non un lieu nécessaire de l’élaboration du concept de style, question qui peut sembler à première vue purement historique et factuelle, il y a en réalité des enjeux décisifs sur la nature même du phénomène. Tant que se maintient une forme d’empirisme, avant Husserl et après lui chez certains de ses élèves qui refusent le sens complet de la réduction dans un réalisme modéré, le style se comprend d’abord dans le domaine de l’art, en tant qu’il demeure une catégorie importée par la subjectivité de l’historien d’art afin de déterminer historiquement son objet. Si Husserl écarte toute idée d’un privilège de l’art, ce n’est pas parce qu’il serait plus sensible à la science qu’à l’art, mais c’est parce que la phénoménologie déploie une tout autre intelligence du phénomène dans laquelle une chose se comprend à partir de sa propre manifestation. Enfin, le retour du privilège de l’art (bien sûr pas au sens de Winckelmann ou de Dilthey) dans la philosophie de Heidegger, renouant ici avec Nietzsche et ses analyses sur le grand style, marquera encore une autre compréhension de la résistance du phénomène, de façon à montrer que le réel est bien au-delà de ce qui est attendu.
- 43 Voir l’usage de cette expression par l’historien d’art R. Recht, Leçon inaugurale faite le 14 mars (...)
- 44 E. Husserl, Analysen zur passiven Synthesis : aus Vorlesungs- und Forschungsmanuskripten (1918-1926 (...)
28Pour en rester pour l’instant à Husserl, on peut bien dire que le style est la forme du sens43, néanmoins en philosophie une telle proposition ne prend une signification que si on définit ce qu’il faut entendre par « forme » et par « sens », afin de ne pas tomber dans de graves confusions. Toute la phénoménologie de Husserl vise à montrer que le phénomène n’est pas construit et donc que le style lui-même n’est pas une fiction méthodologique, puisqu’il est l’une des dimensions du « comment » de la donnée de la chose. En effet, la réduction phénoménologique n’a d’autre but que d’écarter réalisme et subjectivisme, afin d’accéder à la donnée absolue du phénomène pur. L’alternative entre Dilthey et Husserl est donc la suivante : soit le phénomène est ce qui a lieu et ce qui fait l’objet d’une construction par abstraction, soit le phénomène est une donnée en personne, une auto-donnée, et donc un phénomène pur qui ne se pense qu’à partir de lui-même. Dès lors, soit le style est un idéal-type construit, soit le style est une forme en devenir qui ne sacrifie pas la diversité à l’unité. Pour reprendre une thèse fondamentale de la phénoménologie de Husserl développée dès 1907 dans L’idée de la phénoménologie, le voir ne se laisse ni démontrer, ni déduire. Le style lui-même est alors une donation accompagnée de la croyance que l’objet continuera à se donner de la même façon. Pour reprendre une expression de Husserl dans De la synthèse passive44, le phénomène se donne lui-même comme une genèse et le sens n’est ni objectif, ni subjectif, puisqu’il est ce qui se constitue dans l’immanence de la conscience. En conséquence, le style n’est plus ce qui ne peut être saisi qu’après et à travers les cas particuliers, et, contre toute théorie de l’abstraction, Husserl défend l’idée qu’il est une donnée. La croyance que le monde continuera à se donner selon le même style est quasi indéracinable, ce qui n’empêche pas bien sûr qu’elle puisse être remise en cause par l’expérience ou par la réflexion transcendantale qui la suspend momentanément pour mieux en élucider ses sources subjectives. Ainsi, on peut dire que le style est une forme, néanmoins cette forme n’a rien d’extérieur et elle est elle-même ce qui se donne à la conscience. On peut alors avancer comme hypothèse que l’usage du terme de style par Husserl tient souvent au souci d’une philosophie de la vie d’échapper à la conceptualité issue d’Aristote et de Porphyre, qui distingue individu, espèce, genre, genre suprême, afin de pouvoir penser toute la richesse de l’expérience. Par suite, le style serait une catégorie venant de l’objet lui-même comme guide transcendantal dans l’étude de sa phénoménalité et non d’une réflexion du sujet sur lui-même. Ainsi, le sens, transcendantalement compris, tient à l’activité du sujet, sans être pour autant une simple signification produite par le sujet, puisqu’il ne s’agit pas de mettre un sens là où il n’y en a pas. Le sens intentionnel est ce vers quoi la compréhension se porte ; il ne s’agit donc plus de chercher une chose en soi derrière les phénomènes, puisque l’objet lui-même devient la norme de sa connaissance. Le style est alors un terme qui permet de dire l’identité vivante du phénomène dans sa genèse. De ce point de vue, le style devient une catégorie de la vie intentionnelle quand on reconduit le sens à sa source subjective en le libérant de son isolement et de sa fixité liés à l’abstraction. Par le style, le sens entre dans l’histoire du sujet par une instauration (et non une production) et porte en lui un horizon de possibilités ; il est ainsi la vie du sens dans l’auto-temporalisation du sujet, qui peut également se transmettre de génération en génération, telle la géométrie en tant que tradition transcendantale. En accédant au style du voir géométrique, on fait de l’idée infinie de son déploiement son avenir dans une certitude d’horizon, et cela à partir d’une réappropriation et d’une réactivation continue du passé.
Heidegger et le style comme présence
- 45 M. Merleau-Ponty, La prose du monde, C. Lefort (éd.), Paris, Gallimard (Tel ; 218), 1969, p. 79.
- 46 E. Husserl, Erste Philosophie (1923-1924). Zweiter Teil : Theorie der phänomenologischen Reduktion, (...)
- 47 Voir A. Schütz, « Type and Eidos in Husserl’s Late Philosophy », in Collected Papers III, Phaenomen (...)
- 48 Voir M. Heidegger, Phänomenologie des religiösen Lebens, GA 60 [pour Gesamtausgabe, t. 60, édition (...)
29Il est certain que Husserl a ouvert un nouvel horizon à la réflexion sur le style en le libérant d’une conception purement empiriste ou purement subjectiviste, afin de montrer que le style relève d’une concordance de l’expérience et donc qu’il est un mode de l’intentionnalité. Merleau-Ponty reconnaîtra un tel héritage, non sans le modifier sensiblement, en disant que « Husserl a introduit, pour traduire notre rapport original au monde, la notion de style »45. En cela, l’effet de rupture propre à Husserl consiste à montrer que le monde possède son propre rythme, qu’il y a un rythme des choses dans leur donation, et que constituer, c’est toujours s’accorder à ce rythme. Bien sûr, ce n’est déjà plus là vraiment le vocabulaire de Husserl, néanmoins une telle idée se trouve impliquée dans la thèse selon laquelle la philosophie est une « archéologie »46 remontant aux sources du sens. Cette nouvelle perspective est ce qui met fin définitivement à toute compréhension biologique purement morphologique du style, comme à toute détermination simplement historique. Toute la difficulté était d’arracher le style, que ce soit pour le monde, la personne ou une culture, à toute forme d’histoire naturelle. Heidegger, notamment dans ses premières œuvres, partage ce souci d’une philosophie de la vie qui cherche des déterminations issues de la vie elle-même, et c’est pourquoi il pousse plus loin les analyses de Husserl, s’émancipe de la seule perspective épistémologique d’une remise en cause de la conception kantienne des formes catégoriales, et met fin à la relative confusion entre type et style en décrivant le style comme un mode de la présence et non de la représentation, même au sens de l’identification. Selon Heidegger, la typique eidétique de Husserl est ce qui risque encore de manquer la vie en la figeant à partir de la notion d’a priori. L’herméneutique de la vie facticielle du jeune Heidegger prend ses distances avec une typique eidétique qui risque de figer ce qui est intuitionné et donc de manquer le caractère mobile de la totalité qui se donne. Comme le suggérait également Alfred Schütz47, le type eidétique selon Husserl n’est pas clairement distingué du genre suprême à partir duquel on distingue des genres et des individus. C’est là toute la question du style : si on fait du style un genre, on le perd comme expression de la vie. Or, c’est l’ambiguïté de ce terme : il peut tout aussi bien appartenir à la terminologie objectivante que permettre de rompre avec elle. Néanmoins, Heidegger se méfie tout autant de la subjectivisation du style qui en ferait l’expression directe d’un sujet créateur ne répondant que de lui-même et à lui-même. Dès lors, si Husserl comprend encore le style comme la concordance d’une expérience, Heidegger va chercher à montrer que le style est une figure de la réponse en tant qu’interprétation de la vie. Certes, Husserl envisage toute une vie passive et des habitudes sédimentées, cependant cela ne suffit pas pour tenir compte de la facticité de notre être au monde et du coup le style demeure toujours compris comme une expression de la volonté. Dans ses premiers textes, Heidegger s’attache donc à écarter ce qu’il nomme lui-même la « voie platonicienne », qui est selon lui la voix objectivante de la typologisation comme optique purement théorétique de considérer l’histoire faisant perdre l’histoire elle-même48. Le style demeure une simple loi extérieure tant que la vie n’est pas comprise à partir d’elle-même, mais à partir d’une détermination a priori.
- 49 M. Heidegger, Ontologie. Hermeneutik der Faktizität, GA 63, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, (...)
- 50 Ibid., p. 61 ; trad. fr., p. 88.
- 51 Voir M. Heidegger, Wegmarken, GA 9, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1976, p. 39.
- 52 M. Heidegger, Einführung in die phänomenologische Forschung, GA 17, Francfort-sur-le-Main, V. Klost (...)
30Il est donc possible avec Heidegger d’approfondir l’idée que le style est l’autre nom du phénomène, qu’il est le phénomène pur de tout processus objectivant. Pour cela, il faut montrer que le style est là en tant que lui-même, qu’il n’est pas représenté d’une manière ou d’une autre, qu’il n’est pas ressaisi d’une manière indirecte ou encore construit. En effet, le style, s’il est autre chose qu’un genre, est la manière propre dont une chose est présente, et, pour montrer cela, il est nécessaire de s’affranchir des sciences de l’esprit, même si le terme de style vient en partie dans la modernité de la philologie et de l’histoire de l’art, dans la mesure où ces sciences n’envisageaient pas d’autres méthodes et d’autres conceptualités que celles des sciences de la nature, qui objectivent tout depuis un point de vue surplombant. En conséquence, une philosophie de la vie cherchant à penser le style se doit de ne pas le figer d’emblée en une catégorie, pour le comprendre comme un mode d’accès, comme un mode de saisie, comme une façon de pouvoir être en prise. De ce point de vue, la phénoménologie est le contre-mouvement de l’abstraction, comme l’art est pour Nietzsche le contre-mouvement du nihilisme, et si Heidegger peut penser le style au-delà de la représentation, c’est parce qu’il doit beaucoup à Nietzsche. De plus, les quelques pages que Heidegger consacre à la question du style montrent bien que c’est pour lui l’occasion de revenir à la possibilité même de la phénoménologie. En effet, revenir au style, cela revient à être reconduit au temporel lui-même, au concret, antérieurement à toute typique qui ne vise qu’à poser un ordre sur le monde à partir des exigences du sujet connaissant. La phénoménologie se gagne elle-même contre cette réduction de la pensée à un « classement typifiant » qui produit « un système figé [qui] est déjà constitué » dans lequel « la différence importe peu »49. Comme si la culture n’était qu’un ensemble de matériaux qu’il n’y aurait plus qu’à ranger dans des types, ou dans des styles quand on envisage la conscience historique50. Dans cette signification objectivante, le style n’est qu’un type appliqué à un matériau temporel. Il est même possible d’ajouter, avec Heidegger, que cette élucidation du phénomène de la vie perd la vie, puisque du type au style il s’agit de raconter de multiples histoires tout en passant complètement à côté de l’essence profondément historique de l’existence51. Plus radicalement encore que Husserl, Heidegger voit dans l’historicisme de Dilthey et son classement typifiant de l’histoire des différents styles, la dégradation même de l’histoire en « collection d’exemples pour cogitations philosophiques »52. L’oubli du style comme temps et sa dégradation en simple détermination du temps correspond à l’oubli du Dasein historique. Il s’agit donc de parvenir à surmonter la considération de l’histoire comme un ensemble de types, car cela conduit à figer l’histoire en une galerie de figures ; pour cela, il est nécessaire de retrouver l’histoire comme une vie, comme ce qui possède une mobilité propre. C’est dire alors que le style d’une époque ne peut être saisi qu’à partir du style que nous sommes ; c’est à partir de notre histoire, portée par un avenir, que nous pouvons avoir accès à l’histoire, et alors le style peut devenir un concept herméneutique et non plus logique. On peut certes penser que Heidegger ne fait que déployer ce qui se trouvait en germe dans les textes de Dilthey et dans ceux de Husserl, néanmoins ce serait perdre la radicalité de la rupture qu’il effectue en montrant que le style n’est pas une « production », qu’il n’est pas une forme permettant d’organiser un matériau. La production est une certaine manière de comprendre l’être de l’étant dans la perspective de l’essentia et de l’existentia ne pouvant que manquer la différence originelle du style, qui n’est pas produite, mais rencontrée.
- 53 Voir M. Heidegger, Grundprobleme der Phänomenologie, semestre d’hiver 1919-1920, GA 58, Francfort-s (...)
- 54 M. Heidegger, Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis) (1936-1938), GA 65, Francfort-sur-le-Main, V. (...)
31Certes Heidegger n’a pas souvent recours au terme de style dans le cadre de l’analytique existentiale, néanmoins les quelques occurrences du terme suffisent pour donner à penser que le style est une manifestation de l’être à laquelle il s’agit de parvenir par-delà toutes les strates de l’interprétation objectivante des catégories d’Aristote à Dilthey. Cela permet de comprendre en quoi le style n’est ni objectif, ni subjectif, et doit plutôt être vu comme la manière de répondre à ce qui se donne dans l’intuition. De ce point de vue, le style est l’ensemble signifiant d’une situation ; il est le mouvement dans lequel émerge toute signification. Encore une fois, c’est parce que la vie est histoire, parce que le sens est historique, que le style peut devenir un terme respectant les méandres de la vie facticielle. Dès lors, le style se donne à comprendre comme le rythme de l’expérimenter53, comme le comment de l’être au monde, comme la manière dont l’existant se temporalise dans sa rencontre du monde. En effet, tout est expérimenté selon un certain style fondamental, selon ce que Heidegger va nommer une tonalité, comme par exemple l’inquiétude pour la vie chrétienne, ou la pudeur pour le phénoménologue qui se laisse saisir par l’étrangeté de la manifestation. Le style compris ainsi n’est donc plus du tout pensé par rapport à l’idée d’un sujet créateur qui serait en quelque sorte souverain par rapport au monde. Néanmoins, Heidegger n’utilise pas vraiment le terme de style pour dire la transcendance propre du Dasein, son mode singulier de l’être-à, et ce terme ne revient vraiment qu’à l’occasion du changement de langue propre à la pensée de l’Ereignis qui se situe au-delà de la différence ontologique, quand l’être n’est plus compris comme l’être de l’étant, ce qui permet de comprendre l’appartenance de l’homme à la parole de l’être. On peut également penser que dans ce changement de langue Heidegger cherche à éviter la dimension sans doute trop psychologisante à ses yeux du vocabulaire de la tonalité. Heidegger montre alors que la retenue [Verhaltenheit] est « le style de la pensée initiale, uniquement parce que la retenue devra, un jour, être le style de l’être-homme à venir, un être-homme ayant trouvé sa fondation dans l’être-le-là [Da-sein] »54. La retenue est l’authentique temporalisation, qui est en quelque sorte l’avenir de l’homme, le style de l’homme par-delà la métaphysique et par-delà le nihilisme de toute pensée de la représentation. De ce point de vue, le style ne peut pas être réduit à une norme ou à un écart par rapport à une norme, ni à une quelconque production du sujet, dans la mesure où le vrai style se fonde dans notre ouverture au monde dans laquelle l’être lui-même s’adresse au Dasein et le requiert. Le style est donc cette fois le rythme dans lequel le Dasein répond à ce qui a lieu, s’y accorde, c’est-à-dire également se laisse transformer.
32Le style propre d’une vie humaine ne consiste plus alors dans une manière singulière d’accomplir volontairement l’essence de l’homme comme animal rationnel dans une époque et dans un monde social particulier, mais il consiste au contraire à s’ajuster à la vérité de l’être, ce qui est la seule véritable aventure, la seule temporalisation ouverte. Ainsi, le style cesse d’être une coquetterie de l’étant, puisque par lui, à travers lui, l’homme devient le là par lequel les choses viennent en présence ; c’est en cela qu’il est une unité en devenir, qui ne sacrifie pas la pluralité, et que se trouvent dépassées les ambiguïtés du style comme genre. Heidegger peut alors ajouter :
- 55 Ibid., p. 33 ; trad. fr., p. 52, l’auteur souligne.
Retenue – comme style – : avoir en soi l’inébranlable confiance qui permet d’établir une règle pour que fondamentation il y ait ; être le là en réussissant à ne pas s’effondrer face au déchaînement du ravage. Elle donne le ton au style parce qu’elle est la tonalité fondamentale [Grundstimmung]55.
33La retenue comme style est plus originaire que le comment singulier de nos faits et gestes dans le monde, car elle est la manière dont nous nous tenons dans le monde, non à partir d’une Selbstständigkeit, mais à partir de la vérité de l’être. Le § 31 des Beiträge zur Philosophie précise :
- 56 Ibid., p. 69 ; trad. fr., p. 91-92, l’auteur souligne.
Style : être soi en toute conscience tout en étant le là, qui légifère en opérant la fondation et en tenant tête au déchaînement du ravage.
Le style de la retenue, parce que cette dernière traverse de fond en comble et donne le ton à l’instance [Inständlichkeit] qui n’est autre que l’attente, elle-même en souvenance, de l’avenance [Ereignis].
Cette retenue traverse aussi, en lui donnant le ton, toute bataille où se joue le litige entre monde et terre56.
34Dans cette attente souvenante de l’événement appropriant qu’est le style, il s’agit de laisser l’être venir en présence, de le laisser avancer au plus près du non-retrait. Dès lors, le style décrit tout autant la façon dont nous nous portons au monde que la manière dont l’être vient à nous, séjourne dans le non-retrait. Le style n’est donc plus compris comme une capacité du sujet, même comme le génie, et n’est pas non plus un simple type empirique, puisqu’il est la façon dont notre identité se trouve confiée à autre chose que soi. Cela suppose de rompre avec la représentation de l’homme liée à l’essence de la technique comme fond permanent à disposition et comme simple persistance. Le style suppose finalement de se libérer de toute pensée du fondement, afin d’envisager une identité qui est pure réponse à l’entrée en présence [Anwesenheit].
35Le style de la retenue est ainsi celui qui donne la possibilité de quitter le chemin de la représentation, afin de sauter au cœur de l’espace de l’être. Il est cette instantialité qui soutient le face-à-face avec la vérité. En cela, le litige entre monde et terre et le fait que le mode de donnée de la terre soit d’être à la fois ouverte et impénétrable, permettent de préciser la différence entre le type et le style : le type, en classant, ne fait que dévoiler, que rendre transparent, que mettre à nu, en disant par exemple que tel bâtiment est néogothique, alors qu’il y a un nécessaire clair-obscur du style par lequel une chose se met en vue et se réserve, car elle n’est pas seulement un phénomène se donnant selon un horizon. Le style d’une œuvre ne saurait se réduire à une exhibition par le savoir de l’historien, qui ne peut que manquer cette réserve de l’être, cet avenir. Dans cette perspective, la vérité n’est plus l’expression d’un pouvoir du sujet et elle devient un trait fondamental de l’être ; c’est pourquoi le style est toujours un rapport à la vérité. Il faut même dire que le style est le phénomène originaire en tant que dévoilement-voilement de l’être lui-même. Ni la chose, ni l’œuvre d’art, ni autrui, ni soi-même, ne sont de simples objets à mieux déterminer ou des codes à déchiffrer ou encore des informations à structurer. Ainsi, le style de la retenue signifie que l’homme ne possède un style que dans la mesure où il laisse les choses se manifester en leur style et même les prend en garde. On ne peut être soi qu’à veiller de cette façon sur le secret des choses et le style est ce qui se rend visible en préservant sa part d’invisibilité, et même en la renforçant. Dès lors, ce style de la retenue est la vraie familiarité vivant de cette réserve, qui n’est pas l’inconnu ou l’étranger. C’est ainsi que Heidegger, dans ce § 31 des Beiträge zur Philosophie, ne se contente pas d’utiliser le mot style, mais cherche à être à l’écoute de la parole qu’il contient. Fidèle en cela à Nietzsche, Heidegger reprend ici l’idée que le style comme question suppose de se libérer de tout platonisme expliquant le monde à partir des Idées, afin d’accepter le monde dans la plénitude de son apparence. En conséquence, le style ne s’explique pas par la constance d’une norme empirico-typique, qui convient à tous sans convenir à personne, comme le romantisme, mais relève d’un autre mode du voir, qui n’est plus grec et tient à l’éclaircie [Lichtung] comme percée, venue en présence, Ereignis. De cette façon, comprendre le style comme éclaircie, c’est également libérer le phénomène des prédéterminations de la métaphysique. Ainsi, la métaphysique a toujours compris le style comme le fait qu’un étant se présente de manière constante, alors qu’en lui l’étant se donne aussi comme autre qu’il n’est, comme gros d’un avenir dont je ne peux avoir la conscience potentielle et qui est plutôt la dimension sauvage du phénomène, puisque le style est celui d’un surgissement. Dès lors, parce que la chose s’éclaire et m’éclaire, elle m’approprie à elle et me permet de me révéler en mon propre style. Dans cette co-appartenance le style dit aussi l’étrangeté, l’Unheimlichkeit, du phénomène de la chose et de mon propre phénomène. Le style n’est donc pas ce qui me permet de m’assurer des choses et de moi-même, car les choses surgissent en se réservant et cette réserve est la source où puise sans cesse l’alèthéia. De même, je ne suis moi-même que dans l’incertitude de ce que j’ai à répondre, à être, à faire, donc depuis cette réserve de mon être à laquelle ce qui se donne à moi me reconduit. Ce secret est son avenir et également le mien, celui de ma réponse inquiète et jamais assurée. Finalement, un philosophe qui aurait déjà son style, qui s’assurerait de lui-même, serait dépourvu de style au sens propre, car son œuvre serait derrière lui ; il n’aurait plus la vie devant lui. Heidegger a donc bien montré que contre le style comme type classifiant, comme représentation figée, il s’agit de revenir au litige, au combat, c’est-à-dire à l’épreuve de l’étrange dont vit la pensée.
- 57 Ibid., p. 69 ; trad. fr., p. 92.
36La retenue est donc le style de la pensée commençante dans une époque moderne marquée par la technique et la volonté de fondement, et c’est pourquoi elle marque un ton nouveau, celui de la mise en œuvre de la vérité. Le style est alors « particulièrement saisi dans le champ de l’art »57, même s’il doit être élargi à l’être-le-là en tant que tel de manière à surmonter tout nihilisme. Toute la difficulté, notamment en art, était de ne plus penser le style à partir de l’homme seul afin de le comprendre comme la façon dont le Dasein est en accord avec le déploiement de l’être dans une époque qui est à la fois celle du nihilisme et celle du nouveau commencement. Par rapport à Husserl, le style n’est plus cette attente que le monde continue à se donner de la même façon et devient cette attente au-delà de toute intention qu’est le rapport à l’Ereignis. Il est cette tension propre à l’ouvert et non un acte de la subjectivité sédimenté en habitus. Même dans l’œuvre d’art il n’est pas ce qui saute aux yeux et s’il est aussi imperceptible pour soi que le son de sa voix, ou que l’expression de son visage, ou encore que le toucher de sa main, ce n’est pas seulement à cause de l’impossibilité de se retourner totalement sur soi, et c’est d’abord parce qu’il vit de la rencontre des choses. Il n’est plus une manière d’informer l’expérience, mais est une façon de se laisser informer par la vérité des choses. On peut alors dire que le style est une promesse qui ne cesse de se formuler en nous et qui permet de résister au désœuvrement, à la dévastation qui transforme tout en désert, parce qu’il n’y a plus que des généralités et donc une impossibilité d’être ce rapport au commencement, de penser au sens fort du terme.
- 58 Voir M. Heidegger, Zur Auslegung von Nietzsches II. Unzeitgemässer Betrachtung : „Vom Nutzen und N (...)
- 59 Cf. les analyses de J.-L. Chrétien, L’arche de la parole, Paris, PUF (Épiméthée), 1998.
- 60 M. Heidegger, Zur Auslegung von Nietzsches…, p. 55 ; Interprétation de la “Deuxième considération i (...)
37Dans ses commentaires de la seconde des Considérations inactuelles de Nietzsche, Heidegger insiste sur l’idée nietzschéenne selon laquelle la barbarie est l’absence de style ou le mélange chaotique de tous les styles58. En effet, le style s’adapte à ce dont nous parlons et il y aurait quelque chose d’inhumain à pouvoir parler de tout de la même façon. Une telle parole serait de pur survol et ne considérerait pas, par exemple, le texte que nous commentons comme une hospitalité nous donnant la parole59. Heidegger trouve sans doute dans la pensée de Nietzsche la confirmation que le style n’est pas une simple marque ou un simple signe, mais qu’il est la vérité en devenir, qui est encore souvent à trouver, et qui ne se trouve la plupart du temps que très tardivement60 pour un peuple. Le style n’est donc pas dans l’œuvre une loi qui serait contenue, mais il est plutôt cette puissance d’unification ouvrant l’espace de manifestation de l’œuvre. Il est un mode de la présence et non de la représentation :
- 61 Ibid., p. 60 ; trad. fr., p. 78.
[…] le style – n’est pas l’unification mais le contraire. Le fondement des oppositions les plus radicales et de leur unité61.
38Dès lors, le style qui se réserve, qui ne se voit pas de prime abord, est bien le phénomène originaire comme singularité de présence et non singularité de représentation. Pour avoir confondu les deux, la métaphysique n’aurait jamais su penser le singulier. On peut donc dire que le style est l’unité qui demeure un avenir, qui n’est pas toujours déjà là, qui peut se perdre, qui peut dégénérer en simple marque extérieure dans un oubli de la vie, dans un oubli de notre réponse.
Conclusion : le style de la présence
39La phénoménologie a pu se donner comme tâche de libérer le style de la simple histoire des idées, de la simple détermination extérieure qui en fait une figure de la vie, avec la thèse implicite selon laquelle la vie poursuivrait un idéal d’harmonie. Le style ne doit plus rentrer dans l’intention de construire une image du monde, projet qui est la disparition même de la philosophie. L’idée d’une typologie des philosophies et même l’idée d’une typologie des disciplines à l’intérieur de la philosophie sont un oubli de la question qui anime le philosophe, celle du comment de l’expérience. Le style n’est donc ni une objectivité construite scolairement, ni une posture, mais il est le mode de notre réponse à l’appel de l’être. Tout en suivant certaines intuitions de Dilthey, mais en rompant avec toute idée de typologie, Husserl et Heidegger ont pu montrer que le style d’une œuvre, d’un texte, d’une personnalité ou encore d’un peuple, n’est pas un type empirique qui se laisserait déchiffrer, pas plus qu’il n’est une loi prédéterminant l’avenir. Un style est un mode singulier de présence qui se rencontre et qui ne peut pas se laisser enfermer dans une forme close. En lui se conjuguent le jaillissement de ce qui se donne et la décision d’en répondre, fut-ce par un simple cri. Il n’est donc pas une catégorie d’entendement déterminant à l’avance la phénoménalité et il n’est pas non plus un a priori des choses, car l’idée même d’a priori semble désormais incompatible avec celle de style. Il est ce que l’on ne commence à entrevoir que dans l’épreuve en tant que rythme de ce qui se donne, dans une co-appartenance du style de la chose et du style du Dasein. Le style est alors une dimension constitutive de mon acte de présence, si on entend par présence la co-appartenance de la présence à l’homme de ce qui est et de la présence de l’homme à ce qui est. Il est alors un mode de la proximité : je suis là où se manifeste la vérité de l’être, et c’est pourquoi par rapport à l’affairé qui se limite aux tracas du quotidien, le philosophe de grand style peut être celui qui s’élève à mille lieux au-dessus de toute chose humaine, comme disait Nietzsche à l’occasion de la découverte de l’Éternel retour. Il n’y a de style authentique que dans l’épreuve de la vérité de l’être et dans l’engagement d’en répondre par sa vie. En cela, parce qu’il est est une tâche d’être, il est une façon de se manifester sans se manifester qui ne fige pas le sens en représentation. Le style est donc bien le phénomène originaire, avant toute mise en forme par le sujet, et c’est pourquoi seule une œuvre peut dire quel est son style à celui qui veut bien se mettre à son écoute. Celui qui écoute ne peut lui-même approcher de son style que dans le courage de sa réponse, qui est le déploiement toujours exposé de son être. Le grand style est celui de l’humilité et de la retenue, qui ne force jamais la présence de ce qui vient, mais le laisse libre de se dire. C’est l’hospitalité de la patience dans laquelle nous répondons à l’appel de notre nom qui nous confère notre style, notre manière unique de nous rassembler dans notre écoute et notre parole. Tout style est une réponse et comme l’écrit Jean-Louis Chrétien :
- 62 J.-L. Chrétien, L’effroi du beau, Paris, Cerf, 1987, p. 90.
Ce qu’il y a de plus neuf dans une œuvre, ce par quoi elle invente des formes inédites et un style inouï, lui vient de son effort même pour répondre à la beauté qui l’a requise62.
Notes
1 Voir sur cette question la présentation synthétique d’A. Compagnon dans Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, 1998. Voir également, selon une autre perspective, l’article de W. G. Müller, « Stil », in Historisches Wörterbuch der Philosophie, J. Ritter, K. Gründer, G. Gabriel (dir.), Bâle, Schwabe, t. 10, 1998, col. 150-159.
2 « Diesem unabänderlichen Stil unserer Erfahrungswelt » (E. Husserl, Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie, Husserliana VI, W. Biemel [éd.], La Haye, M. Nijhoff, 1954, p. 358 ; trad. fr. : La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, G. Granel [trad.], Paris, Gallimard [Tel ; 151], 1989, p. 395).
3 La voie ouverte par Husserl est alors sans aucune continuité avec ce que fait, par exemple, Winckelmann dans son ouvrage de 1764, Histoire de l’art de l’Antiquité, dans lequel, sans définir le style, il distingue le style ancien et le grand style de l’art grec ; l’ancien style serait fondé sur un système consistant dans des règles empruntées à la nature. Le style n’est ici qu’un ensemble de caractères permettant de reconnaître une œuvre et la catégorie devient normative, puisque les mains de Polyclète dénoteraient ce qu’il y a de plus exquis en fait de main. Il est intéressant de noter que selon Winckelmann le beau style est celui d’une beauté idéale, mesure des autres, qui est la beauté des dieux et des héros. Cette grâce, cet accord parfait des parties dans la sublimité de l’expression ne se donne à voir qu’à l’esprit et Winckelmann renvoie explicitement à Platon. Il conviendra de se demander en quoi Husserl change totalement la manière même d’interroger le style et en quoi ceux qui mélangent la voie ouverte par la phénoménologie et celle qui vient de l’histoire de l’art risquent de se fourvoyer.
4 « Nous désignons sous le nom de typique l’essentiel ainsi dégagé de la réalité. La pensée engendre des concepts, la création artistique des types. Ceux-ci renferment donc tout d’abord une majoration des données de l’expérience, non pas toutefois dans le sens d’une idéalité vide, mais en vue d’une représentation du divers dans quelque chose d’imagé dont la structure puissante et claire rend intelligible la signification des expériences moins remarquables et mêlées qu’offre la vie. Au demeurant, tout est typique dans l’œuvre poétique. Typiques sont les caractères : autrement dit l’essentiel de leur structure, la loi de leur formation en quelque sorte, est mis en relief ». Dilthey ajoute encore : « Dans la réalité, tout ceci ne se présente jamais avec son maximum d’énergie et pur de tout élément contingent ; ici par contre, ce qui est indifférent pour le type est éliminé et chaque facteur est porté à son maximum de réalité et d’efficacité. La manière même de peindre les choses est typique ; car le souffle qui anime le héros, sa passion comme sa destinée, doit se répandre à travers l’œuvre entière et l’animer jusque dans ses rythmes et ses images. La grandeur sauvage de l’époque a marqué de son sceau chaque personnage et chaque phrase du Roi Lear et Cordélia elle aussi est de la même race inflexible » (W. Dilthey, « L’imagination poétique », in Le monde de l’esprit, M. Rémy [trad. fr.], Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1947, t. 2, p. 189-190).
5 « Mais l’art représentatif offre plus que des reproductions de la vie humaine. La vue est la représentation du typique et sa façon de donner dans le réel la loi de ce qui arrive. […] Ainsi se forme un type d’exécution adéquate pour chaque partie des manifestations de la vie humaine. Celui-ci constitue leur norme au milieu des déviations de part et d’autre. Une manifestation typique de la vie en représente dès lors toute une catégorie. C’est le premier sens dans lequel nous employons le concept du typique. Mais, en accentuant ou en marquant, pour ainsi dire, plus fortement les traits d’un tel type qui exprime ce que le groupe entier a de régulier, je peux aussi qualifier de type ce qui se trouve mis en relief de la sorte. Le concept de type désigne alors ce qui ressort de commun. Là encore le type conserve son caractère imagé » (W. Dilthey, « Contribution à l’étude de l’individualité », in ibid., t. 1, p. 283).
6 Voir G. Fagniez, Comprendre l’historicité. Heidegger et Dilthey, Paris, Hermann, 2019, p. 94-101.
7 Ibid., p. 284.
8 Sur les deux significations du type chez Dilthey ainsi que sur la confrontation entre Husserl et Dilthey, voir L. Perreau, Le monde social selon Husserl, Phaenomenologica 209, Dordrecht – Heidelberg – Londres, Springer, 2013, p. 149-151.
9 E. Husserl, Phänomenologische Psychologie, Husserliana IX, W. Biemel (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 1968, appendice 32, p. 534 ; trad. fr. : Psychologie phénoménologique, P. Cabestan, N. Depraz, A. Mazzù (trad.), Paris, J. Vrin, 2001, p. 329.
10 Ibid., p. 15 ; trad. fr., p. 20.
11 Ibid., p. 17 ; trad. fr., p. 23.
12 Ibid., p. 89 ; trad. fr., p. 86.
13 Ibid., p. 109 ; trad. fr., p. 105.
14 Ibid., p. 125-126 ; trad. fr., p. 120.
15 Ibid., p. 138 ; trad. fr., p. 132.
16 Ibid., p. 141 ; trad. fr., p. 134.
17 Ibid., p. 215 ; trad. fr., p. 202. Sur cette individualité spirituelle, voir mon ouvrage Personne et sujet selon Husserl, Paris, PUF (Épiméthée), 1997.
18 Ibid., p. 215 ; trad. fr., p. 203.
19 Ibid., p. 323 ; trad. fr., p. 264.
20 Ibid., p. 345 ; trad. fr., p. 284 : « C’est ainsi que devient possible une philosophie transcendantale comme science rigoureuse sur le sol absolu de l’être et sur le sol d’expérience de l’intersubjectivité transcendantale, en lieu et place d’une spéculation sans assise (c’est-à-dire ne reposant sur aucune expérience correspondante) qui dès lors est toujours prête à sombrer dans une métaphysique mythique ».
21 D. Pradelle, « Y a-t-il un platonisme phénoménologique ? Primat de l’idea et “langage de l’expérience encore muette” », Philosophie, no 141, mars 2019, p. 35-62.
22 « L’attente n’est en général pas sans équivoque, elle a ses horizons aperceptifs de déterminabilité indéterminée, à l’intérieur d’un cadre intentionnel qui la circonscrit ; elle concerne précisément l’un des modes de comportement qui correspond au style » (E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Zweites Buch : Phänomenologische Untersuchungen zur Konstitution, Husserliana IV, M. Biemel [éd.], La Haye, M. Nijhoff, 1952, p. 270 ; trad. fr. : Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures. 2- Recherches phénoménologiques pour la constitution, É. Escoubas [trad.], Paris, PUF [Épiméthée], 1982, p. 365).
23 Sur cette question de la possibilité, voir l’ouvrage tout à fait remarquable de C. Serban, Phénoménologie de la possibilité. Husserl et Heidegger, Paris, PUF (Épiméthée), 2016.
24 E. Husserl, Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge, Husserliana I, S. Strasser (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 1950, p. 82 ; trad. fr. : Méditations cartésiennes, M. de Launay (trad.), Paris, PUF (Épiméthée), 1994, p. 90.
25 E. Husserl, Formale und transzendentale Logik : Versuch einer Kritik der logischen Vernunft, Halle, M. Niemeyer, 1929, p. 222 ; trad. fr. : Logique formelle et logique transcendantale : essai d’une critique de la raison logique, S. Bachelard (trad.), Paris, PUF (Épiméthée), 1957, p. 336-337.
26 E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Erstes Buch : Allgemeine Einführung in die reine Phänomenologie, Husserliana III, vol. 2, Ergänzende Texte (1912-1929), K. Schuhmann (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 1976, appendice 78, p. 634 ; trad. fr. : Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, J.-F. Lavigne (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2018, p. 624.
27 « Le monde, qui est présent à la conscience comme horizon, a dans la validité continue de son être le caractère subjectif général de la fiabilité, car il est un horizon d’étants connu en général, mais par là même encore inconnu dans ce qui relève des particularités individuelles. Cette confiance générale indéterminée se répand sur tout ce qui accède à la validité singulière comme tel étant ; chacun a ainsi pour forme une forme familière, à l’intérieur de laquelle jouent toutes les différences ultérieures entre connu et inconnu » (E. Husserl, Erfahrung und Urteil : Untersuchungen zur Genealogie der Logik, L. Landgrebe [éd.], Hambourg, F. Meiner, 1985, p. 33 ; trad. fr. : Expérience et jugement : recherches en vue d’une généalogie de la logique, D. Souche [trad.], Paris, PUF [Épiméthée], 1970, p. 43).
28 « Là-même où nous ne reconnaissons pas dans son universalité la contrainte de l’applicabilité des méthodes et des idéaux des sciences “exactes” de la nature, le style de ce mode de connaissance nous est cependant devenu exemplaire, au point que subsiste en nous la conviction préalable que les objets de notre expérience sont déterminés en soi, et que l’activité de connaissance consiste précisément à découvrir par approximation ses déterminations subsistant en soi, à les établir “objectivement”, telles qu’elles sont en soi » (ibid., p. 40 ; trad. fr., p. 49-50).
29 E. Husserl, Zur phänomenologischen Reduktion : Texte aus dem Nachlass, 1926-1935, Husserliana XXXIV, S. Luft (éd.), Dordrecht – Boston – Londres, Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 159 ; trad. fr. : De la réduction phénoménologique : textes posthumes (1926-1935), J.-F. Pestureau, M. Richir (trad.), Grenoble, J. Millon, 2007, p. 159.
30 E. Husserl, Die Krisis…, p. 326 ; trad. fr. : La crise…, p. 360.
31 E. Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Zweites Buch : Phänomenologische Untersuchungen…, p. 270 ; trad. fr. : Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures. 2- Recherches phénoménologiques…, p. 365.
32 Ibid.
33 E. Husserl, Zur Phänomenologie der Intersubjektivität : Texte aus dem Nachlass. Dritter Teil : 1929-1935, Husserliana XV, I. Kern (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 1973, p. 404, je traduis.
34 E. Husserl, Cartesianische Meditationen…, p. 101 ; trad. fr. : Méditations cartésiennes, p. 114-115.
35 Sur cette question, je renvoie à mon ouvrage Personne et sujet selon Husserl ; mais également à l’ouvrage plus récent et très complet de L. Perreau, Le monde social selon Husserl, notamment au chapitre 8.3 intitulé « La genèse du familier ».
36 Voir sur cette question, Les “Méditations cartésiennes” de Husserl, J.-F. Lavigne (dir.), Paris, J. Vrin, 2008.
37 E. Husserl, Cartesianische Meditationen…, p. 149 ; trad. fr. : Méditations cartésiennes, p. 169.
38 Voir E. Husserl, Zur Phänomenologie der Intersubjektivität : Texte aus dem Nachlass. Dritter Teil : 1929-1935, p. 143-144.
39 « Un style d’expérience délirant quelconque ne prouve rien quant au non-être du monde, il n’en va pas de même d’un style d’expérience universel qui ne comporterait absolument aucune possibilité réale de vérification concordante » (E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, p. 150).
40 E. Husserl, Grenzprobleme der Phänomenologie : Analysen des Unbewusstseins und der Instinkte, Metaphysik, späte Ethik. Texte aus dem Nachlass (1908-1937), Husserliana XLII, R. Sowa, T. Vongehr (éd.), Dordrecht – Heidelberg – Londres, Springer, 2014, p. 213, 430-431, 450. Voir mon étude « La phénoménologie et l’essence du suicide », in Le suicide. Regards croisés, F.-X. Putallaz, B. N. Schumacher (dir.), Paris, Cerf, 2019, p. 370-402.
41 « Déployer systématiquement le style de cette vie en tant que vie-du-monde, et de nous-mêmes en tant que nous y vivons, conduit naturellement aussi au style d’historicité qui est celui de cette vie : le présent factuel est celui d’un passé, et il a devant lui l’avenir, et il en est ainsi pour tout présent imaginable par libre variation du présent factuel et quelle que soit aussi la variation des possibilités qui, au-delà du factum connu, et dans la possibilité d’une expérience, viendraient à être connues » (E. Husserl, Die Krisis…, p. 500 ; trad. fr. : La crise…, p. 554).
42 E. Husserl, Expérience et jugement…, § 65.
43 Voir l’usage de cette expression par l’historien d’art R. Recht, Leçon inaugurale faite le 14 mars 2002 : Collège de France – Chaire d’histoire de l’art européen médiéval et moderne, Paris, Éditions du Collège de France, 2002, p. 24.
44 E. Husserl, Analysen zur passiven Synthesis : aus Vorlesungs- und Forschungsmanuskripten (1918-1926), Husserliana XI, M. Fleischer (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 1966, p. 121 ; trad. fr. : De la synthèse passive : logique transcendantale et constitutions originaires, B. Bégout, J. Kessler (trad.), Grenoble, J. Millon, 1998, p. 194.
45 M. Merleau-Ponty, La prose du monde, C. Lefort (éd.), Paris, Gallimard (Tel ; 218), 1969, p. 79.
46 E. Husserl, Erste Philosophie (1923-1924). Zweiter Teil : Theorie der phänomenologischen Reduktion, Husserliana VIII, R. Boehm (éd.), La Haye, M. Nijhoff, 1959, p. 29 ; trad. fr. : Philosophie première : 1923-1924. Deuxième partie – Théorie de la réduction phénoménologique, A. L. Kelkel (trad.), Paris, PUF (Épiméthée), 1972, p. 40.
47 Voir A. Schütz, « Type and Eidos in Husserl’s Late Philosophy », in Collected Papers III, Phaenomenologica 22, La Haye, M. Nijhoff, 1975, p. 92-115.
48 Voir M. Heidegger, Phänomenologie des religiösen Lebens, GA 60 [pour Gesamtausgabe, t. 60, édition intégrale de Heidegger en cours de publication chez Vittorio Klostermann], Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1995, p. 48 ; trad. fr. : Phénoménologie de la vie religieuse, J. Greisch (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2012, p. 57-58.
49 M. Heidegger, Ontologie. Hermeneutik der Faktizität, GA 63, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1988 ; trad. fr. : Ontologie. Herméneutique de la factivité, A. Boutot (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2012, p. 87.
50 Ibid., p. 61 ; trad. fr., p. 88.
51 Voir M. Heidegger, Wegmarken, GA 9, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1976, p. 39.
52 M. Heidegger, Einführung in die phänomenologische Forschung, GA 17, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 2006, p. 93 ; trad. fr. : Introduction à la recherche phénoménologique, A. Boutot (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2013, p. 110.
53 Voir M. Heidegger, Grundprobleme der Phänomenologie, semestre d’hiver 1919-1920, GA 58, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1993, p. 258. Dans le § 77 d’Être et temps, Heidegger accuse également Dilthey d’esthétisme, et il entend par là une perspective purement extérieure ne s’attachant pas à la phénoménalité.
54 M. Heidegger, Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis) (1936-1938), GA 65, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1989, p. 33 ; trad. fr. : Apports de la philosophie. De l’avenance, F. Fédier (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2013, p. 51.
55 Ibid., p. 33 ; trad. fr., p. 52, l’auteur souligne.
56 Ibid., p. 69 ; trad. fr., p. 91-92, l’auteur souligne.
57 Ibid., p. 69 ; trad. fr., p. 92.
58 Voir M. Heidegger, Zur Auslegung von Nietzsches II. Unzeitgemässer Betrachtung : „Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben“, GA 46, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 2003, p. 55 ; trad. fr. : Interprétation de la “Deuxième considération intempestive” de Nietzsche, A. Boutot (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de philosophie), 2009, p. 73.
59 Cf. les analyses de J.-L. Chrétien, L’arche de la parole, Paris, PUF (Épiméthée), 1998.
60 M. Heidegger, Zur Auslegung von Nietzsches…, p. 55 ; Interprétation de la “Deuxième considération intempestive”…, p. 73.
61 Ibid., p. 60 ; trad. fr., p. 78.
62 J.-L. Chrétien, L’effroi du beau, Paris, Cerf, 1987, p. 90.
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Référence papier
Emmanuel Housset, « Style et phénomène. Dilthey, Husserl et Heidegger », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 58 | 2021, 33-62.
Référence électronique
Emmanuel Housset, « Style et phénomène. Dilthey, Husserl et Heidegger », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 58 | 2021, mis en ligne le 01 mai 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1645 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1645
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