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Dossier

Deux sciences de l’homme : Idéologie et Contre-Révolution dans le débat anthropologique du premier XIXe siècle

Flavien Bertran de Balanda
p. 71-84

Résumés

La fin des années 1810 est souvent considérée comme le moment d’une liquidation posthume de l’Idéologie par ses adversaires, en particulier les tenants de la réaction catholique. Triomphe de l’homme moral sur l’homme physique, cet ultime avatar de la « guerre des deux écoles » aurait tendu à éluder toute étude scientifique de l’homme, rendu à des seuls déterminants sociaux ou spirituels. Partant de postulats opposés, se réclamant de traditions philosophiques inconciliables, déployant des méthodes intellectuelles antithétiques pour servir deux visions antagonistes du politique, n’assiste-t-on pas malgré tout, de part et d’autre, à une tentative d’expliquer l’humanité, de lui réassigner une place dans le cosmos, de la ré-humaniser par ce travail de redéfinition ? Dès lors peut-être apercevrait-on l’instantané d’un tableau plus vaste ; celui d’un essai bifide, témoin d’enjeux épistémologiques nouveaux, de constituer les bases de ce qu’on commence alors à peine à appeler une anthropologie.

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Texte intégral

  • 1 L. de Bonald, Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales [abrégé e (...)
  • 2 Voir la recension des Recherches par l’Ami de la religion et du roi, 8 avril-16 mai 1818.
  • 3 La supériorité de l’« homme moral » sur l’« homme physique » est une constante du discours bonaldie (...)

1Si l’on considère sommairement l’Idéologie comme un projet de continuation des Lumières et la Contre-Révolution comme une lutte contre celles-ci se prolongeant en un combat contre celle-là au tournant du siècle, l’équation est aisée qui pose Pierre Jean Georges Cabanis et Louis Gabriel Ambroise de Bonald en figures de proue de deux navires ne pouvant croiser dans les mêmes eaux sans faire feu l’un contre l’autre. L’époque ne s’y est du reste pas trompée : la publication des Recherches philosophiques1 du député ultra en 1818 a bel et bien été perçue comme une réfutation en bonne et due forme, aussi acrimonieuse qu’elle était posthume, des axiomes posés par le médecin dans ses Rapports du physique et du moral de l’homme2. Le titre même de l’ouvrage terminé en 1802 semble en faire le lieu tout trouvé d’une réception houleuse chez un penseur s’étant précisément donné pour tâche de dissocier radicalement ces deux forces rivales et de réancrer définitivement l’homme, égaré dans les limbes dangereux du physique, dans une conception morale, seule rédemptrice3. Bonald évacuant sciemment l’humain pour le diluer dans une totalité sociale écrasante tandis que Cabanis, à l’inverse, le résumerait aux lois de la physiologie et à la dictature de la sensation ; deux lectures bien évidemment fausses car incomplètes et simplistes, mais qui laissent entrevoir la possibilité d’une troisième : partant de postulats opposés, se réclamant de traditions philosophiques inconciliables, déployant des méthodes antithétiques pour servir, in fine, deux visions antagonistes du politique, n’assiste-t-on pas malgré tout, de part et d’autre, à une tentative d’expliquer l’homme, de lui réassigner une place dans le cosmos, et, par deux démarches en miroir inversé, mais riche chacune de ses paradoxes et de ses ambivalences, de réhumaniser l’humanité par ce travail de redéfinition ? « Physique » versus « moral », « intérieur » versus « extérieur » ne formeraient alors que deux couples significatifs d’une même volonté axiologique, dont les termes seraient tout simplement intervertis.

  • 4 S. Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l’homme : Bonald et Cabanis dans la “guerre de (...)

2Dès lors, davantage qu’un « dialogue de sourds », pour reprendre l’expression de Stéphane Zékian4, on aperçoit peut-être l’instantané d’un tableau plus vaste ; celui d’un essai bifide, témoin des débats intellectuels les plus brûlants du moment, de constituer les bases de ce qu’on ne commence alors qu’à peine à appeler une anthropologie. L’homme comme intelligence d’abord, l’homme dans son être au monde ensuite, l’homme dans son destin enfin pourraient provisoirement fournir trois grilles de lecture susceptibles de faire la part des apories inévitables et des tangences inattendues.

Du cerveau à l’âme : organisation de la pensée et pensée de l’organisation

  • 5 L. de Bonald, Recherches, p. 142.

3Le principal point d’achoppement entre Bonald et Cabanis, et le plus généralement invoqué, résiderait dans la fonction du cerveau. Dans un célèbre passage des Recherches, Cabanis se voit nommément accusé par son adversaire d’une définition réductrice de ce qui ne serait que « le digesteur spécial, l’organe sécréteur de la pensée »5, ne produisant pas l’idée, mais la révélant simplement par un processus semblable au travail de l’estomac. Au-delà de la virulence du raccourci polémique, relevant d’un topos propre au discours anti-idéologique davantage que d’une lecture approximative des Rapports, c’est l’articulation entre le physiologique et l’intellectuel qui est en jeu ; articulation dont le cerveau est bien entendu à la fois le lieu et la synecdoque, et qui recadre le débat sous un angle plus large :

  • 6 Ibid., p. 25.

La question fondamentale de tous les systèmes philosophiques, le point précis de leur opposition réciproque, est la question de l’origine des idées, puisque c’est dans nos idées, quelle qu’en soit d’ailleurs la source, que l’on doit rechercher le principe de nos connaissances, problème le plus important que la philosophie ait pu se proposer6.

  • 7 Ibid., p. 155 ; cf. chap. V et VI. Saint-Lambert était déjà explicitement visé par l’introduction d (...)
  • 8 Cf. L. de Bonald, Recherches, p. 145, n. 1 : l’auteur renvoie au « Discours préliminaire » de son D (...)
  • 9 Ainsi, dans l’article de la Gazette de France de 1810, présente-t-il sa « définition » comme « nobl (...)

4L’enjeu est donc multiple, embrassant tout à la fois la nature de la pensée, son rapport à la perception, les modalités de sa formation comme sa spécificité en tant qu’aliment, rouage et production de l’esprit humain. Tenter d’apporter une réponse à ce bouquet d’interrogations mène immanquablement à caractériser l’homme en fonction de l’ordre selon lequel ces éléments prennent position. Ou bien, comme l’avance Saint-Lambert, il est « une masse organisée et sensible qui reçoit de tout ce qui l’environne et de ses besoins »7, ou bien on doit revenir à la formule bonaldienne le présentant comme une « intelligence servie par des organes », précocement présente dans son œuvre doctrinale8 et dont il n’hésite pas à se féliciter régulièrement9.

  • 10 Autant, raille Bonald, définir le Télémaque comme « une masse de papier imprimé où il y a des avent (...)
  • 11 Ibid., p. 151-154.
  • 12 « L’homme est la société en abrégé, la société est un homme en grand » (L. de Bonald, Théorie du po (...)
  • 13 L. de Bonald, Recherches, p. 151-152.
  • 14 Ibid., p. 386-387.

5Refuser la première proposition, y compris par l’ironie et par l’absurde10, revient à nier dans le même geste l’image d’une totalité sans hiérarchie interne, la primauté de la sensation dont elle serait tributaire, l’action de l’environnement et des besoins, au sens le plus mécanique, comme seule force guidant l’action de l’ensemble. Le matérialisme, le sensationnisme, le sensualisme sont rejetés dos à dos, et, par ricochet, le hasard et la contingence. Développer le paradigme bonaldien, en revanche, permet de raisonner non plus en creux sur une masse indéterminée et passive, mais à la considérer positivement, en affirmant le primat de l’esprit, manifestation de l’âme, et en rendant à la volonté son statut de principe actif et de puissance agissante. Le cerveau n’est plus alors que le « premier ministre » d’une monarchie dont l’âme est le souverain et les organes les simples sujets, eux-mêmes discriminés en fonction de la noblesse de leur usage11. Par une inversion notionnelle – ou plutôt un rétablissement –, Bonald reconstitue le jeu d’intrication entre le microcosme humain et le macrocosme social12, rattachant le tout à une trinité métaphysique Pouvoir / Ministre / Sujet dont découle l’évidence politique. L’incursion sur ce dernier terrain est du reste assumée, discréditant en aval l’Idéologie comme terreau du relativisme et de l’anarchie13. La condamnation du matérialisme n’implique pas, en effet, de verser dans un spiritualisme qui n’en serait que le double monstrueux, celui d’un monde sans réalité14 ; le vicomte entend au contraire laisser se lier harmonieusement l’esprit et la matière, la supériorité de l’une sur l’autre donnant à la transcendance les conditions de sa réalisation permanente.

6Une autre divergence majeure se dessine au même moment, creusant l’écart entre les deux conceptions. La question de l’origine des idées soulève plus largement celle des origines tout court, et du principe même de génération. Il s’agit donc de dissocier ce qui tient de l’inné et ce qui tient de l’acquis, et d’envisager la possibilité d’une génération spontanée, telle qu’admise par certains Idéologues ; partant, le dilemme génétique embrasse tout à la fois la pensée, la parole, et l’évolution de l’espèce humaine.

  • 15 Ibid., chap. II et III.

7Bonald pense résoudre ce triple faisceau par un argumentaire remobilisant la théorie du langage qu’il avait déjà développée dans sa Législation primitive ; si, comme l’a suggéré Rousseau, la pensée est nécessaire à la parole autant que la parole l’est à la pensée, aucune ne peut procéder de l’autre, et seule une Révélation initiale peut fournir une explication plausible. Les conséquences de ce postulat, qu’il n’hésite pas à étendre à la naissance de l’écriture15, sont multiples : preuve irréfutable – ou censée l’être – de l’existence de Dieu, il suppose que les conditions de la civilisation – le verbe, la grammaire, la loi – ont été données de façon première, collective et exhaustive. La variété idiomatique n’exprime que des variations autour d’une langue-mère, démontrant en retour l’unicité de la race humaine :

  • 16 Ibid., p. 80.

L’homme est un par toute la terre, quoique, dans quelques climats, les individus diffèrent de figure et de couleur ; mais l’homme noir et à figure asiatique n’est pas autrement homme que le blanc et l’Européen16.

  • 17 Ibid., p. 192.

8Dès lors, toute vision différentialiste dans la lignée des théories de Montesquieu est invalidée par avance, ainsi que l’idée, chère à l’Idéologie, selon laquelle la pensée varierait selon les groupes humains, le contexte, voire l’humeur ou l’âge de l’individu. La langue, son expression et sa transmission font bloc pour Bonald, qui peut alors définir l’ensemble comme une combinaison d’inné et d’acquis ; le sens des mots, les concepts sont innés, car ils appartiennent à ce substrat globalement offert une fois pour toutes à l’humanité. L’expression est en revanche acquise, puisque la parole s’apprend. « Ainsi », conclut-il, « l’on peut dire que l’idée est à la fois innée et acquise, innée en elle-même, acquise dans son expression ; et dans ce sens, tout, dans l’homme, et même la vie, est à la fois inné et acquis »17. Nulle place en somme pour des « sensations transformées » qui feraient du langage un processus immanent, pas plus que pour des conceptions transformistes de l’espèce telles qu’ébauchées par Lamarck.

  • 18 Ibid., p. 244.

9Deux visions concurrentes s’opposent donc, mais dont on pourrait se demander, parvenu à ce point, si elles ne conduisent pas toutes deux à une même conclusion aporétique qui, à force de définir l’homme comme lieu et résultat d’une organisation, dénie à ce dernier toute autonomie d’intellection et le confine en quelque sorte dans une hétéronomie existentielle. Si la pensée bonaldienne n’est que convocation inconsciente de préjugés issus d’un fonds commun immémorial, et que son expression n’est qu’un mécanisme froid et finalement indifférencié, alors « la vraie liberté […] n’est autre chose, pour chacun de nous, que l’indépendance de toute autorité humaine et particulière, et par conséquent de l’autorité de notre propre esprit »18 ; l’autorité de l’évidence et l’évidence de l’autorité, pour reprendre deux autres formules chères au vicomte, constituent le cadre rigide et universel résumant la pensée à la réitération performative de vérités générales. À première vue, le libre arbitre devient tout aussi évanescent dans ce carcan métaphysique que dans sa réfutation physiologiste, qu’elle considère les mouvements internes comme spontanés – et donc possiblement irrationnels – ou comme induits par les sens – et donc réductibles à une impulsion purement exogène. Le propos en jeu peut désormais se résumer en termes plus simples, engageant une confrontation dialectique entre intériorité et extériorité, ne pouvant continuer le projet d’une définition de l’homme qu’en empruntant le détour épistémologique d’une redéfinition de la science et de la philosophie.

L’univers pour usufruit : de l’humanité de l’homme

  • 19 J.-L. Guichet, « La question de l’animalité, pivot du matérialisme et de la définition de l’humain (...)
  • 20 L. de Bonald, Recherches, p. 42.
  • 21 Ibid., p. 272, n. 1.
  • 22 Ibid., p. 42.
  • 23 Cf. L. Clauzade, L’organe de la pensée. Biologie et philosophie chez Auguste Comte, Besançon, Press (...)

10La « science de l’homme » que se propose Cabanis19 se voit en apparence opposer la « science de Dieu, de l’homme et de la société »20 de Bonald, qui est moins cheminement que réaffirmation ininterrompue de certitudes assurant par leur continuité la cohésion entre passé, présent et avenir21 et agissant comme le critérium de toute philosophie22. Si l’élément humain est le seul commun aux deux propos, il est tentant de mettre en balance l’étude d’un « homme intérieur » propre à l’Idéologue et celle d’un « homme extérieur » bonaldien23. Mais ne s’agit-il là que d’une joute interminable – car non terminable – entre matérialisme et théologie, entre une réduction au règne sans partage de la nature et une autre, tout aussi hermétiquement cloisonnée, à celui de la société ? Les écrits de Cabanis et ceux de Bonald, considérés dans le contexte de leur production, s’inscrivent en effet dans une démarche agonistique dont ils ne sont que deux hérauts, mettant comme on l’a dit en présence une « science physique » et une « science morale » prétendant chacune à la sujétion, voire à l’assujettissement de l’autre, au nom d’un Progrès dont l’une ou l’autre seule pourrait être le dépositaire et le vecteur exclusifs. À cette dichotomie se superpose une autre, d’autant plus rassurante qu’elle semble définitivement clore le débat : pour des Idéologues tout empreints de l’héritage empiriste, de la fécondité du doute mêlée d’une assurance méthodologique aristotélicienne, tout resterait à découvrir, tandis que l’école qu’on devait bientôt appeler rétrograde, figée dans un platonisme ayant trouvé sa forme ultime dans la patristique, affirmerait arbitrairement que tout a été dit une fois pour toutes. Ici encore, des interprétations plus nuancées peuvent être avancées au prisme d’une relecture des deux penseurs, qui soulèvent indubitablement des enjeux plus complexes.

  • 24 L. de Bonald, Recherches, p. 234. Voir également les « Réflexions philosophiques sur le beau moral  (...)
  • 25 Cf. « De l’industrie » et « Du paupérisme », Gazette de France, 29 juin et 6 septembre 1837.
  • 26 P. J. G. Cabanis, « Lettre sur un passage de la Décade philosophique, et en général sur la perfecti (...)
  • 27 Voir ibid., p. 154 [Lehec et Cazeneuve, p. 516]. Cabanis invite en effet « à ne rien concevoir à de (...)
  • 28 Ibid., p. 151 [Lehec et Cazeneuve, p. 514].
  • 29 Ibid.
  • 30 Ibid., p. 153 [Lehec et Cazeneuve, p. 515].

11Le refus des idées « vagues » chez Cabanis et la non prise en compte de la métaphysique apparaissent en effet comme une forme de mise entre parenthèses de critères pouvant parasiter la démarche scientifique plutôt qu’une élision sine die de toute philosophie ; inversement, la défense bonaldienne de la littérature, cette « expression de la société », vise davantage à prévenir la dilution des belles-lettres dans une culture purement scientiste qu’à freiner le progrès des sciences. Il demande seulement que celles-là conservent leur rôle social de garantes du Beau moral24, et que celles-ci privilégient les connaissances utiles au bien-être des hommes, les lois physiques demeurant fixées indépendamment de l’affinement des connaissances qu’on en a. Loin de répudier le progrès technique comme facteur potentiel d’une amélioration de la condition matérielle participant d’un bonheur mieux assuré25, il ne le condamne que comme ultima ratio occultant l’aperception des lois morales, éternelles elles aussi, mais menaçant de se dérober si la société cesse de les rappeler à tout instant. Dans les deux cas – et ce sont moins ici les Rapports qui nous renseignent sur ce point que la « Lettre sur la perfectibilité »26 –, nous assistons à un recentrage épistémologique permettant l’énonciation juste d’idées entières27 et l’établissement de règles susceptibles de « fortifier l’empire des vertus »28 ; Cabanis, dans ce passage, ne met cette métaphysique fondée sur « les modèles du beau moral »29 au passé que pour la décliner au présent sous une forme renouvelée, celle d’une « science des méthodes »30.

  • 31 L. de Bonald, Recherches, chap. X, p. 248 sq.
  • 32 « L’auteur des Rapports a senti la force de ces vérités, et, pour n’être pas entraîné par leurs con (...)
  • 33 Voir M. Espagne, « Claude Fauriel en quête d’une méthode, ou l’Idéologie à l’écoute de l’Allemagne  (...)
  • 34 L. de Bonald, Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, Paris, Leclère, 18 (...)
  • 35 Ibid., p. 414.
  • 36 M. Espagne, « Claude Fauriel en quête d’une méthode… », p. 11-12.

12Lesdites méthodes divergent bien entendu chez les deux penseurs, tout comme les prémisses et les conclusions. Là encore cependant, des zones de recoupement se présentent parfois là où on les attendait le moins. Ainsi les Recherches consacrent-elles un long chapitre à la Cause première31, cet alpha universel qui est également l’oméga, et dont Bonald déplore que son adversaire feigne de lui refuser une quelconque intelligibilité tout en acceptant implicitement son principe32. Bonald eut-il connaissance, en 1824, de la publication posthume de la Lettre à M. F. sur les causes premières33 ? Toujours est-il qu’en 1830, dans sa Démonstration philosophique34 dont l’introduction reprend les Recherches comme point d’ancrage, il continue de fustiger sans ménagement Condillac et Saint-Lambert, et dresse de nouveau la liste des Idéologues qu’il entend continuer de combattre, mais détachant de leur nomenclature « M. Cabanis (revenu depuis à des idées plus saines) »35. Sans entrer ici dans le détail de cette « intelligence voulante » et sur la possible réinterprétation des Rapports dont le matérialisme se verrait spiritualisé ou historicisé a posteriori36, notons d’ores et déjà une possible réconciliation quant à ce souffle premier qui animerait le monde – au sens étymologique du terme – et n’est nullement incompatible avec la théologie bonaldienne, fondée sur une causalité logique qui l’éloigne de la religiosité traditionnelle des autres contre-révolutionnaires.

  • 37 L. de Bonald, « Sur les causes finales », Gazette de France, 29 janvier 1810.
  • 38 Ibid.

13Plus problématique reste en revanche la notion de Cause finale, ou plutôt des Causes finales. C’est du reste sur ce point que Bonald entame dès 1810 sa réfutation de Cabanis dans les colonnes de la Gazette de France, par un article éponyme37 formant la matrice du chapitre des Recherches consacrées au sujet – ouvrage dont il est alors probablement en train d’entamer la rédaction. Non sans un respect courtois pour « feu M. Cabanis », le publiciste lui accordait déjà le bénéfice du doute, supputant que loin de contester leur existence, l’auteur des Rapports les aurait escamotées comme par dépit, admettant en même temps leur valeur explicative. Pour Bonald, l’affaire est pourtant simple : « c’est le genre humain, avec les générations passées, présentes et futures, qui est la cause finale de l’univers, et non l’individu », et ce non pas par son « importance physique », mais « uniquement par l’intelligence », laquelle fait de l’homme « la fin de l’univers matériel »38. Si le pluriel passe au singulier, c’est que l’homme n’est qu’une de ces Causes finales : il partage ce titre avec Dieu, Cause première certes, mais également but de sa propre Création au même titre que la Créature ; pour sa part, ainsi que les Recherches vont tenter de le démontrer, c’est elle qui en serait la Cause seconde. Imago dei, l’homme bonaldien partage donc avec le Créateur le double et sublime privilège de commencer et de finir le cosmos.

  • 39 Pour une réévaluation de la place de l’individu dans la doctrine bonaldienne dans son rapport à la (...)
  • 40 L. de Bonald, Recherches, p. 222-223.
  • 41 Ibid., p. 345.
  • 42 T. Lavabre-Bertrand, « Le philosophe Louis de Bonald… », p. 128-129.

14Si l’individu s’efface un instant – mais ne se voit nullement annihilé ontologiquement39 –, ce n’est que pour mieux le subsumer dans une espèce humaine qui, faute d’éternité divine, jouit d’une éternité terrestre – elle vivra autant que vivra le monde – doublée, par l’immortalité de l’âme, d’une promesse d’immortalité céleste. Microcosme de la monarchie comme on l’a dit, il est en retour « maître universel du grand domaine de la terre »40 du fait qu’il appartient à cette humanité, « fille unique sur la terre de l’intelligence suprême »41, cœur d’une cosmologie anthropocentrée42. L’homme est extérieur en ce qu’il s’insère dans deux maillages collectifs, l’espèce et la société. L’espèce, qui se définit comme une communauté des seuls êtres dotés d’une âme, primitivement et définitivement coupés de l’animalité – en ce sens, la brute n’est pas un homme incomplet ni un semi-animal, puisque l’humanité possède l’éventail complet de ses facultés depuis sa création, mais un homme qui a provisoirement involué dans un état d’incomplétude ; la société qui, formant son organisation naturelle, le civilise à la fois collectivement en l’insérant dans un maillage harmonieux d’interdépendances fécondes qui en font une personne, et individuellement en ce qu’elle maintient en chacun les principes moraux domptant passions et instincts : dans un cas comme dans l’autre, c’est par son appartenance à l’humanité que chaque homme se définit dans son humanité. L’extériorité bonaldienne ne gomme pas l’intériorité, elle n’en est que le principe et le but, encadrant en quelque sorte une intériorité qui peut ainsi sainement se déployer ; l’âme et l’esprit, ainsi armés d’une notion claire du bien et du mal, peuvent sans danger exercer leur volonté, cet autre privilège que l’homme partage avec Dieu seul.

  • 43 L. de Bonald, Recherches, p. 345.

[…] l’espèce humaine voyait avec orgueil cette aïeule auguste à la tête de sa noble généalogie, l’homme en retraçait, quoiqu’à une distance infinie, l’intelligence dans sa raison, la puissance dans ses œuvres, la bonté dans ses affections, l’immensité même dans ses désirs, et jusque dans ses yeux, et sur son front, on retrouvait quelque empreinte de sa céleste origine. […] Usufruitier de l’univers, héritier substitué de génération en génération à ce noble patrimoine, il y régnait comme le premier né de la création, et rendait hommage à la supériorité de son esprit43.

  • 44 Ibid.
  • 45 Sur cette réfutation de la définition thomiste, voir T. Lavabre-Bertrand, « Le philosophe Louis de (...)
  • 46 Le projet de Cabanis se caractériserait par « la rematérialisation du matérialisme, la réanimalisat (...)

15L’usage de l’imparfait est sans équivoque : ce n’est pas la place de l’homme qui a changé, c’est l’« hommage » qu’il est censé se rendre à lui-même qu’on tente de faire cesser par des « systèmes abjects »44 lui prétendant une communauté d’origine, et donc une parenté essentielle, avec l’animal. Ce n’est pas seulement le transformisme qui est ici dénoncé dans l’invalidation de la Genèse biblique qu’il insinue, c’est aussi et surtout ce cousinage monstrueux dénaturant le caractère unique de l’homme, qui ne saurait être un simple animal raisonnable45. Le fossé se creuse dès lors de nouveau avec tout projet de définition de l’humain par sa réanimalisation, caractérisant précisément, pour Jean-Luc Guichet, l’anthropologie de Cabanis46 ; le même auteur, cependant, nuance la réduction de cette dernière à une pure physiologie de la sensation, et rappelle que l’homme intérieur de Cabanis est également un homme antérieur, dont la vie interne est en partie forgée par des déterminismes prénataux et par ce qu’on ne nomme pas encore un inconscient. Il serait hasardeux de s’aventurer ici plus avant dans ces régions de la psychologie, qui nous tireraient aussi facilement hors de notre propos qu’elles le feraient rapidement basculer dans l’anachronisme et l’illusion rétrospective. Notons seulement une ébauche possible pour des réflexions qui gagneraient à être poussées plus avant dans le cadre d’une étude spécifique du principe de conscience chez les deux penseurs : dans les deux cas la conscience immédiate, la conscience consciente, subit l’implacable impulsion d’un en-deçà ou d’un au-delà, qu’il s’agisse des abysses encore insondables du psychisme chez Cabanis, ou de l’acceptation tacite d’un code normatif socialisé et socialisant chez Bonald. La dyade intériorité/extériorité apparaît moins comme une bipolarité induisant un choix épistémologique sans retour que comme une mise en regard de catégories complémentaires, susceptibles de porosités diverses et, quel que soit l’angle adopté, autorisant l’ambition d’une appréhension élargie et approfondie de la spécificité de l’homme.

16Pour ce faire, un tel décloisonnement ne constitue qu’une étape dans une démarche que Cabanis tout autant que Bonald refusent d’envisager comme purement statique. Étudier l’homme équivaut à étudier la vie, et donc à effectuer une projection dynamique.

La perfectibilité ou l’euphorie téléologique

17Si l’on revient à la question de la Cause première et des Causes finales, un sentiment d’incomplétude apparente peut nous saisir à la lecture de Bonald comme à celle de Cabanis. L’un en donne une explication majestueuse, mais qu’il impose davantage qu’il ne la propose : en ramenant tout à l’évidence théologique, son raisonnement est dogmatique au propre comme au figuré, rassurant certes dans la fermeté de son architecture, mais se dérobant par là même à toute discussion, qui se verrait ipso facto taxée d’hérésie. L’autre, par la plasticité de sa réflexion en la matière, semble succomber au péché opposé, celui d’une indétermination tenant d’une forme de procrastination indéfinie. Demeure à mesurer, une fois de plus, le degré d’éloignement ou de complémentarité paradoxale en un domaine propice à l’exaspération de tous les conflits, à savoir celui de l’homme envisagé dans son destin.

  • 47 L. de Bonald, Recherches, p. 355.
  • 48 Ibid., p. 373.

18Pour Bonald, le seul fait d’en avoir un lui est propre, et cela le distingue de nouveau intrinsèquement de l’animal. Celui-ci naît parfait, réalisant dès sa naissance la pleine étendue de ses potentialités, tandis que celui-là est perfectible. Parfait est synonyme de fini, soit d’« instruit en naissant et formé à tout ce qu’il doit pratiquer » ; à l’inverse de l’homme qui, en venant au monde, doit encore pour sa part « apprendre de ses semblables tout ce qu’il doit savoir »47, et se trouve par là littéralement infini48.

  • 49 C. Blanckaert, « La perfectibilité, sous conditions ? Éducation d’espèce, flexibilité d’organisatio (...)
  • 50 J.-L. Guichet, « La question de l’animalité… », p. 380.
  • 51 S. Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l’homme… », p. 63 (en ligne : § 34).
  • 52 F. Lotterie, « L’ordre et le progrès. La perfectibilité selon la contre-révolution “théocratique” » (...)
  • 53 P. Macherey, « Bonald et la philosophie », Revue de synthèse, n° 1, janvier-mars 1987, p. 3-30, ici (...)

19Nous rentrons donc sur un terrain connu – ou censé l’être –, celui de la querelle de la perfectibilité qui, depuis Condorcet, cristallise le débat intellectuel. La place tenue par Cabanis et Bonald sur cet échiquier a pu donner lieu à des analyses diverses : ainsi, pour Claude Blanckaert, l’« optimisme rationaliste » en la matière ramène-t-il à une tautologie ou à un « article de foi »49, sans trop éclairer le débat ; Jean-Luc Guichet rappelle que la perfectibilité indéfinie de Cabanis est une faculté seconde, résultant de la capacité d’imitation, d’imagination et de mémorisation50. Stéphane Zékian lui oppose la perfectibilité surdéterminée de Bonald, simple « retour au foyer unique des vérités immuables »51, tandis que Florence Lotterie y voit le fruit d’un « innéisme » impliquant « une redéfinition de la perfectibilité [comme] l’instrument d’un dessein transcendant qui trouve sa traduction politique dans la conservation sociale »52, proche de cette « production perpétuelle de l’ordre » analysée par Pierre Macherey53.

  • 54 P. J. G. Cabanis, « Lettre sur un passage… », p. 150 [Lehec et Cazeneuve, t. II, p. 513] : « […] l’ (...)
  • 55 Ibid.

20Autant d’exégèses qui invitent à tenter de continuer ce travail d’investigation en cherchant une possible cohérence entre ces deux visions de la marche de l’humanité vers son optimum. Un premier constat s’impose, qui la présente comme une nécessité incontournable d’une part, et dont la réalisation, d’autre part, se fait à l’échelle individuelle en même temps qu’à l’échelle collective54 ; c’est la nature de cette évidence qui peut diverger dans son interprétation : pour Cabanis, qui reconnaît l’ancienneté de la connaissance de cet impératif, c’est précisément l’Histoire qui révèle ce dernier, lequel, en retour, donne à l’Histoire sa lisibilité ; il permet d’en mieux saisir le cours par-delà ses incohérences apparentes, de réordonner les moments critiques dans un continuum devenant enfin explicable55. Dès lors, rendre l’homme meilleur cesse d’être une chimère pour devenir une utopie réalisable, mieux, en cours de réalisation, ce qui relativise singulièrement son caractère indéfini.

  • 56 Cf. L. de Bonald, « De l’état natif et de l’état naturel », Mercure de France, 3 août 1800.
  • 57 Ici encore, toute une réflexion mériterait d’être développée quant à la place de l’éducation chez B (...)
  • 58 Cette idée d’une religion donnant la mesure de leur pouvoir aux souverains et celle de leurs devoir (...)

21Chez Bonald, la perfectibilité est inhérente à l’homme même, et précède en quelque sorte l’Histoire, qui n’est qu’une des voies qu’elle emprunte. Elle ne désigne en fait ni une harmonie à conquérir au prix d’un geste prométhéen, ni la simple redécouverte d’un trésor premier provisoirement dérobé à ses yeux pour la punir de sa Chute et la forcer à trouver les âpres chemins de sa rédemption ; plus exactement, elle tient un peu de tout cela mais ne saurait s’y résumer. État naturel de l’homme, à ne pas confondre avec le sophisme rousseauiste qui le ferait coïncider avec son état primitif – que Bonald nomme natif56 –, il s’agirait plutôt d’une sorte de suggestion cosmique, d’injonction divine à épouser peu à peu les lois de l’ordre naturel, à trouver et retrouver une forme initialement donnée mais jamais acquise. L’homme et la société se civilisent l’un l’autre, la Civilisation désignant autant le télos devant couronner le processus que l’énergie qui l’anime. Acte millénaire de conciliation et de réconciliation, la perfectibilité ne se réduit pas à de simples retrouvailles entre le Créateur et la Créature, elle est transposition du temps divin dans le temps humain, aspiration du second vers le premier, effort logique, que rien ne devrait contrarier – et, en ce sens, le chaos révolutionnaire a moins agi comme un ralentisseur que comme un révélateur – guidant le monde vers la félicité promise de la nature accomplie. Tout n’est cependant pas gagné par avance : perfectibilité signifie certes possibilité de perfection, et tendance universelle à la réalisation de ce possible ; elle requiert néanmoins la coopération de l’homme qui, s’il peut ponctuellement s’écarter du plan qui lui a été assigné, doit accepter que la nature reprenne ses droits et lui indique le chemin qu’il a quitté. Ainsi la Révolution a-t-elle été une convulsion de l’Histoire dont les acteurs supposés n’ont été que les jouets malheureux et presque pardonnables. Il serait en revanche impardonnable de contrarier la pulsion du grand balancier rétablissant l’Histoire dans son axe et réajustant la symétrie de ses plateaux provisoirement déséquilibrés. L’acceptation consciente que l’homme doit faire de sa condition, quand bien même il ne l’a nullement décidée, tient en cela de l’acte volontaire. Car, contrairement à Maistre, Bonald lui refuse l’intercession d’une Providence venant le récompenser ou le châtier de ce qui a été réparé ou détruit ; seule la vérité morale révélée par Dieu, incarnée par le Christ, transmise par la religion et entretenue par l’éducation57 peut lui donner le baromètre de ses devoirs58.

22Il est vrai qu’ici, sciences physiques et sciences morales semblent n’avoir plus rien à se dire, la morale cessant du reste d’être une science, du moins au sens spéculatif ou expérimental, pour devenir vérité en action, résolution sublime du tragique des contradictions terrestres. Mais autre chose était-il en définitive dévolu aux premières ? Citons encore Bonald :

  • 59 L. de Bonald, « Sur les causes finales ».

La science de la morale et celle de la physique sont entre elles comme deux puissances éloignées l’une de l’autre, qui n’ont ensemble que des rapports d’amitié et de bienveillance, sans aucun traité particulier d’entente ou de commerce59.

23Le verdict est clair, qui rappelle qu’il n’incombait alors en effet ni à Bonald ni à Cabanis de signer pareille alliance diplomatique. La lecture de ces lignes en laisse néanmoins entrevoir l’heureuse éventualité, avant que d’autres ne se chargent d’une telle concertation en haut lieu, d’une forme d’entente cordiale entre ces « deux cultures » pas entièrement inconciliables, du moment qu’aucune n’usurpe le territoire de l’autre.

Conclusion : la science de l’homme entre chien et loup

  • 60 S. Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l’homme… », p. 47-48 et 66-67 (http://books.op (...)
  • 61 L’expression est de Gérard Gengembre, La Contre-Révolution ou l’histoire désespérante, Paris, Imago (...)

24Ce rapide examen de deux postures intellectuelles radicalement divergentes et la suggestion de possibles tangences, aussi étroites et fugaces fussent-elles, nous mènent en effet, encore et toujours, à replacer dans son contexte ce qui ne fut ni vraiment un dialogue, ni vraiment une dispute, mais plutôt l’amorce d’une discussion passionnée. La fausse discorde qui enflamme Cabanis et Bonald est celle de deux mondes au crépuscule : l’Idéologie, cette grande perdante du XIXe siècle60, tente de donner un souffle ultime aux Lumières du XVIIIe avant que celles-ci ne soient diversement reformulées par le libéralisme, le scientisme, le saint-simonisme, le socialisme et autres désignants promis à une fortune plus ou moins longue. La Contre-Révolution, qu’elle soit désespérée ou désespérante61, entame quant à elle son baroud d’honneur avant de se figer dans le traditionalisme stricto sensu des légitimistes intransigeants, ou de se fondre dans un catholicisme social au sort tout aussi riche en rebondissements – qu’on songe à l’itinéraire d’un Lamennais. Ces années postrévolutionnaires ne sont pas pour autant le lieu du flamboiement romantique d’univers révolus qui se salueraient avant d’être emportés par le fleuve bouillonnant et impitoyable de l’Histoire ; on peut au contraire y voir un moment inédit, entre chien et loup, de reconfiguration épistémologique dont la « guerre des sciences et des lettres » n’est qu’un leurre ou une métonymie dont le trait a été quelque peu forcé : à travers l’exemple de Bonald et de Cabanis, n’assiste-t-on pas à une remodélisation plus vaste des régimes de savoirs, voyant la métaphysique s’essayer à la rationalisation et la physiologie se laisser séduire par l’acceptation d’un principe de transcendance ? Un tel constat, à s’en tenir là, ne signifierait que la remise en jeu d’une partie entamée au temps de l’Encyclopédie. Il est peut-être permis de voir un peu plus loin, et de se demander si l’improbable fraternisation des deux penseurs n’allait pas s’effectuer dans un creuset où l’ordre et la science, la raison et le Progrès devaient se mêler en une étrange alchimie dont le spirituel ne serait pas le moindre des éléments : on sent se profiler l’ombre d’Auguste Comte.

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Notes

1 L. de Bonald, Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales [abrégé en Recherches], Paris, Leclère, 1818. La pagination renvoie ici à l’édition Leclère des Œuvres complètes en 7 volumes, 1847-1854. Sur Cabanis, voir notamment : Y. Pouliquen, Cabanis. Un idéologue. De Mirabeau à Bonaparte, Paris, O. Jacob, 2013 ; M. Saad, Cabanis. Comprendre l’homme pour changer le monde, Paris, Classiques Garnier (Histoire et philosophie des sciences ; 10), 2016.

2 Voir la recension des Recherches par l’Ami de la religion et du roi, 8 avril-16 mai 1818.

3 La supériorité de l’« homme moral » sur l’« homme physique » est une constante du discours bonaldien, développée dès la Théorie du pouvoir de 1796 et reprise dans le « Discours préliminaire » de la Législation primitive de 1802.

4 S. Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l’homme : Bonald et Cabanis dans la “guerre des sciences et des lettres” », in Le moment idéologique. Littérature et sciences de l’homme, Y. Citton et L. Dumasy (dir.), Lyon, ENS Éditions, 2013, ici p. 48 (disponible en ligne, http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/enseditions/2543 ; § 2).

5 L. de Bonald, Recherches, p. 142.

6 Ibid., p. 25.

7 Ibid., p. 155 ; cf. chap. V et VI. Saint-Lambert était déjà explicitement visé par l’introduction de la Législation primitive. Bonald qualifie ailleurs l’ouvrage de « morale lubrique » : « Un dernier mot sur le Catéchisme universel de Saint-Lambert », Gazette de France, 2 septembre 1810.

8 Cf. L. de Bonald, Recherches, p. 145, n. 1 : l’auteur renvoie au « Discours préliminaire » de son Divorce considéré au XIXe siècle de 1801.

9 Ainsi, dans l’article de la Gazette de France de 1810, présente-t-il sa « définition » comme « noble et précise ».

10 Autant, raille Bonald, définir le Télémaque comme « une masse de papier imprimé où il y a des aventures » (L. de Bonald, Recherches, p. 156).

11 Ibid., p. 151-154.

12 « L’homme est la société en abrégé, la société est un homme en grand » (L. de Bonald, Théorie du pouvoir, p. 336).

13 L. de Bonald, Recherches, p. 151-152.

14 Ibid., p. 386-387.

15 Ibid., chap. II et III.

16 Ibid., p. 80.

17 Ibid., p. 192.

18 Ibid., p. 244.

19 J.-L. Guichet, « La question de l’animalité, pivot du matérialisme et de la définition de l’humain chez Cabanis », Dix-huitième siècle. L’animal des Lumières, n° 42, 2010/1, p. 367-384, ici p. 369.

20 L. de Bonald, Recherches, p. 42.

21 Ibid., p. 272, n. 1.

22 Ibid., p. 42.

23 Cf. L. Clauzade, L’organe de la pensée. Biologie et philosophie chez Auguste Comte, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, p. 38-40.

24 L. de Bonald, Recherches, p. 234. Voir également les « Réflexions philosophiques sur le beau moral », Mercure de France, 3 janvier 1807.

25 Cf. « De l’industrie » et « Du paupérisme », Gazette de France, 29 juin et 6 septembre 1837.

26 P. J. G. Cabanis, « Lettre sur un passage de la Décade philosophique, et en général sur la perfectibilité de l’esprit humain », La décade philosophique, littéraire et politique, 3e trimestre an VII, 19 avril 1799, p. 149 sq. [Lehec et Cazeneuve, t. II, p. 512 sq.].

27 Voir ibid., p. 154 [Lehec et Cazeneuve, p. 516]. Cabanis invite en effet « à ne rien concevoir à demi, à ne rien admettre d’incertain, à ramener chaque idée à son énonciation la plus précise » (ibid.).

28 Ibid., p. 151 [Lehec et Cazeneuve, p. 514].

29 Ibid.

30 Ibid., p. 153 [Lehec et Cazeneuve, p. 515].

31 L. de Bonald, Recherches, chap. X, p. 248 sq.

32 « L’auteur des Rapports a senti la force de ces vérités, et, pour n’être pas entraîné par leurs conséquences, il s’efforce d’en rompre la chaîne » (ibid., p. 282).

33 Voir M. Espagne, « Claude Fauriel en quête d’une méthode, ou l’Idéologie à l’écoute de l’Allemagne », Romantisme, n° 73, 1991, p. 7-18.

34 L. de Bonald, Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, Paris, Leclère, 1830.

35 Ibid., p. 414.

36 M. Espagne, « Claude Fauriel en quête d’une méthode… », p. 11-12.

37 L. de Bonald, « Sur les causes finales », Gazette de France, 29 janvier 1810.

38 Ibid.

39 Pour une réévaluation de la place de l’individu dans la doctrine bonaldienne dans son rapport à la physiologie : Thierry Lavabre-Bertrand, « Le philosophe Louis de Bonald et la Faculté de médecine de Montpellier », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, 2015, p. 125-137.

40 L. de Bonald, Recherches, p. 222-223.

41 Ibid., p. 345.

42 T. Lavabre-Bertrand, « Le philosophe Louis de Bonald… », p. 128-129.

43 L. de Bonald, Recherches, p. 345.

44 Ibid.

45 Sur cette réfutation de la définition thomiste, voir T. Lavabre-Bertrand, « Le philosophe Louis de Bonald… », p. 129.

46 Le projet de Cabanis se caractériserait par « la rematérialisation du matérialisme, la réanimalisation de l’animal et, enfin, la réanimalisation de l’homme » (J.-L. Guichet, « La question de l’animalité… », p. 370).

47 L. de Bonald, Recherches, p. 355.

48 Ibid., p. 373.

49 C. Blanckaert, « La perfectibilité, sous conditions ? Éducation d’espèce, flexibilité d’organisation et échelle d’aptitude morale en anthropologie (1750-1820) », in L’homme perfectible, B. Binoche (dir.), Seyssel, Champ Vallon, 2004, p. 114-144, ici p. 123.

50 J.-L. Guichet, « La question de l’animalité… », p. 380.

51 S. Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l’homme… », p. 63 (en ligne : § 34).

52 F. Lotterie, « L’ordre et le progrès. La perfectibilité selon la contre-révolution “théocratique” », Cahiers d’histoire des littératures romanes, nos 1-2, 2000, p. 25-33, ici p. 26.

53 P. Macherey, « Bonald et la philosophie », Revue de synthèse, n° 1, janvier-mars 1987, p. 3-30, ici p. 17.

54 P. J. G. Cabanis, « Lettre sur un passage… », p. 150 [Lehec et Cazeneuve, t. II, p. 513] : « […] l’homme est perfectible ; […] il, l’est, pris individuellement, […] il l’est surtout, considéré collectivement ou en corps de nation ».

55 Ibid.

56 Cf. L. de Bonald, « De l’état natif et de l’état naturel », Mercure de France, 3 août 1800.

57 Ici encore, toute une réflexion mériterait d’être développée quant à la place de l’éducation chez Bonald et Cabanis, qui la définissent tous deux comme la condition et le produit de la perfectibilité humaine.

58 Cette idée d’une religion donnant la mesure de leur pouvoir aux souverains et celle de leurs devoirs aux sujets est un leitmotiv de la pensée bonaldienne, qui résume volontiers l’équilibre social à ce binôme. Voir son testament philosophique inédit Du pouvoir et du devoir dans la société (1834, Archives du Monna).

59 L. de Bonald, « Sur les causes finales ».

60 S. Zékian, « Les enjeux littéraires de la science de l’homme… », p. 47-48 et 66-67 (http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/enseditions/2543 : § 1 et 41).

61 L’expression est de Gérard Gengembre, La Contre-Révolution ou l’histoire désespérante, Paris, Imago, 1989.

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Pour citer cet article

Référence papier

Flavien Bertran de Balanda, « Deux sciences de l’homme : Idéologie et Contre-Révolution dans le débat anthropologique du premier XIXe siècle »Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 57 | 2020, 71-84.

Référence électronique

Flavien Bertran de Balanda, « Deux sciences de l’homme : Idéologie et Contre-Révolution dans le débat anthropologique du premier XIXe siècle »Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 57 | 2020, mis en ligne le 31 décembre 2021, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1457 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1457

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Auteur

Flavien Bertran de Balanda

Centre d’histoire du XIXe siècle (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Membre du Centre d’histoire du XIXe siècle (Paris 1, Paris 4), spécialiste de Bonald, à qui il a consacré, outre diverses publications, sa thèse de doctorat, Flavien Bertran de Balanda travaille également sur la question de la liberté de la presse sous la Restauration. Il collabore à la réédition des Œuvres politiques de Chateaubriand (Champion). Ces chantiers s’inscrivent dans un projet de recherche plus large : Violence(s) et légitimité(s). Redéfinitions conceptuelles du politique dans la France postrévolutionnaire 1796-1871.

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