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  • 1 Cabanis, né à Cosnac en Corrèze en 1757, meurt à Rueil, dans le Val-d’Oise, en 1808.

1L’ambition de ce dossier est à la fois d’affirmer l’importance de la réception de l’œuvre de Pierre Jean Georges Cabanis1 durant toute la première moitié du XIXe siècle, et de montrer que, tant dans le domaine philosophique que médical, psychophysiologique plus précisément, la lecture des Rapports du physique et du moral de l’homme a été déterminante pour la construction d’une nouvelle science de l’homme.

  • 2 P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, Paris, Crapart – Caille et Ravier, a (...)
  • 3 P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, 3e éd., Paris, Caille et Ravier, 181 (...)
  • 4 L’une et l’autre à Paris, la première, chez Béchet jeune et la deuxième, dans les Œuvres complètes (...)
  • 5 P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme [précédé de « Essai sur les principes (...)

2L’importance de cette réception n’est en soi guère contestable. Rappelons en guise d’illustration qu’en 1843 et 1844 deux nouvelles éditions de Rapports du physique et du moral de l’homme sont publiées à Paris à quelques mois d’intervalle. La première est due à l’initiative du Dr Laurent Cerise, qui revendiquait un lien étroit entre physiopathologie et psychologie, et qui fut l’un des fondateurs des Annales médico-psychologiques. La deuxième, celle du polygraphe et journaliste Louis Peisse, est accompagnée d’un important appareil de notes. Elle constitue, à notre connaissance, la première édition proprement critique des Rapports. Ces éditions s’ajoutent à celles parues en France en 1802 et 18052, du vivant de Cabanis, à celle de 18153, augmentée de la remarquable « Table analytique » de Destutt de Tracy et d’une table alphabétique par Pierre Sue, sans oublier les deux éditions qui se succèdent coup sur coup en 18244, et celle que fait paraître en 1830 le « Bureau de la bibliothèque choisie ». C’est ainsi que Cerise et Peisse présentent tous les deux l’ouvrage de Cabanis avec la même formule : « livre célèbre »5.

  • 6 P. J. G. Cabanis, Über die Verbindung des Physischen und Moralischen in dem Menschen : […] mit eine (...)
  • 7 P. J. G. Cabanis, Rapporti del Fisico e del Morale dell’Uomo, s. l., s. n., 1820.
  • 8 Du degré de certitude de la médecine est traduit en espagnol en 1816 : P. J. G. Cabanis, El Grado d (...)
  • 9 P. J. G. Cabanis, Sketch of the Revolutions of Medical Science, and Views Relating to Reform, A. He (...)
  • 10 P. J. G. Cabanis, An Essay on the Certainty of Medicine, R. La Roche (trad.), Philadelphie, Desilve (...)

3Quarante ans après sa publication, ce texte, le plus ambitieux de Cabanis, jouit donc toujours d’une grande renommée en France, alors que son auteur est mort depuis bien longtemps et que l’Idéologie, le courant philosophique avec lequel on l’identifie, a été bannie de l’enseignement par Napoléon. Traduit en plusieurs langues, avec d’autres ouvrages de Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme a également fait l’objet d’une réception très importante bien au-delà des frontières françaises. Il est traduit en allemand dès 18046, en italien en 18207 et en espagnol en 18268, alors qu’une version anglaise de Coup d’œil sur les révolutions et sur la réforme de la médecine (Paris, 1804) paraît à Londres en 18069 et que Du degré de certitude de la médecine (Paris, 1798 et 1803) paraît en anglais, à Philadelphie, en 182310.

  • 11 I. J. Kapstein, « Shelley and Cabanis », PMLA, vol. 52, n° 1, 1937, p. 238-243.
  • 12 La littérature sur cette question est immense. Elle couvre un vaste champ, qui va du « lieu commun  (...)
  • 13 Entre autres, on peut retenir : B. Guyon, La pensée politique et sociale de Balzac, Paris, A. Colin (...)
  • 14 Ici encore les études sont nombreuses. On citera, en particulier, les travaux de Luca Badini Confal (...)

4Les historiens de la littérature ont souvent signalé que Cabanis apparaît comme une référence importante chez nombre d’écrivains du premier XIXe siècle. Ainsi, dans un travail pionnier publié en 1937, Israel James Kapstein étudie avec précision la présence de Cabanis dans la poésie de Shelley11. La figure de Stendhal, lecteur à la fois enthousiaste et déçu des Rapports, a retenu l’attention de nombreux critiques12. De même, la présence des idées de Cabanis dans La comédie humaine13 a été très souvent remarquée. En Italie, plusieurs études ont été consacrées à l’influence de Cabanis sur Manzoni14 et, à travers lui, sur le courant romantique italien.

5Dans le domaine philosophique, en revanche, aucune recherche n’a été jusqu’ici consacrée entièrement à la réception de l’œuvre de Cabanis. Pourtant, et c’est ce dont témoignent les articles qui suivent, Cabanis a été lu et considéré avec sérieux par les philosophes. Une des raisons du désintérêt à l’égard de cette réception vient peut-être de l’idée, exprimée notamment par Michel Foucault, que l’Idéologie, avec Cabanis et Tracy, clôt une période, celle, en gros, de l’épistémè classique et des grammaires générales, et ne s’inscrit pas dans les nouvelles formes de théorisation inaugurées par le XIXe siècle. Il convient donc, afin de souligner l’intérêt qu’il y a à étudier cette réception et d’en mesurer sans a priori l’ampleur et la valeur philosophique réelle, de lever certaines hypothèques concernant le rapport de Cabanis au Projet idéologique, dont ce dernier était, avec Tracy, le cofondateur.

  • 15 Ce n’est, semble-t-il, qu’avec Taine, et avec ce que Picavet a appelé la « Renaissance de l’idéolog (...)

6La réception des Rapports a laissé de côté des aspects essentiels du projet, notamment sur deux points : d’une part son inscription globale au sein de l’Idéologie, et en particulier son articulation avec l’Idéologie rationnelle développée par Destutt de Tracy ; d’autre part sa dimension politique et son désir de donner une base scientifique aux « sciences morales ». Il n’y a peut-être que dans des contextes politiques particuliers, comme en Argentine, ainsi que le montre Mariano di Pasquale, où il s’agissait d’organiser une jeune République, que ces deux aspects essentiels ont été au centre des débats. Mais dans l’ensemble, durant la première moitié du XIXe siècle, la réception philosophique des Rapports s’est essentiellement focalisée sur des questions de psychophysiologie, en faisant assez largement abstraction des orientations idéologiques et politiques15.

  • 16 A. Destutt de Tracy, Éléments d’Idéologie, t. I : Idéologie proprement dite, H. Gouhier (éd.), Pari (...)
  • 17 Voir P. J. G. Cabanis, Rapports, Mémoire X, sect. II, « De la sympathie », § VII, Peisse, p. 551, L (...)
  • 18 A. Destutt de Tracy, Éléments d’Idéologie, Première partie : Idéologie proprement dite, Paris, Vve  (...)

7Il faut en effet séparer, certainement contre l’aveu même des intéressés, l’œuvre de Cabanis de celle de Destutt de Tracy. L’Idéologie telle que la concevaient ces auteurs était un projet cohérent et commun, auquel chacun travaillait, et, s’il y avait bien une « spécialisation » dans cette collaboration, celle-ci ne se déployait que sur le fond d’une indissociable complémentarité. L’Idéologie physiologique était plutôt le domaine de Cabanis, et l’Idéologie rationnelle (« l’histoire de nos moyens de connaître »16 : l’Idéologie proprement dite, la Grammaire et la Logique) celui de Tracy : Cabanis ne pousse ainsi l’analyse physiologique de la sympathie et de ses effets moraux que jusqu’au point où l’Idéologie et la morale prennent le relais17, et Tracy affirme que l’Idéologie est une partie de la physiologie18. Or, à la question de savoir si ce projet commun et complémentaire a ou non fonctionné, si les textes de ces deux auteurs réfléchissent ou non la symbiose dans laquelle la petite société d’Auteuil vivait et pensait, l’histoire de la réception a répondu en grande partie par la négative, et a en quelque sorte non pas seulement distingué, mais séparé Cabanis de Tracy. Il y a incontestablement une réception de l’œuvre de Cabanis qui, chez Comte, chez les spiritualistes, mais aussi bien chez Schopenhauer et même dans certains milieux post-kantiens, est assez largement indépendante de l’Idéologie rationnelle.

  • 19 Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 255.
  • 20 Il n’en reste pas moins que les textes de Foucault soulignent de façon assez systématique l’idée qu (...)

8De là une conséquence immédiate : les débats autour des thèses de Cabanis n’étant pas concernés par les positions de Tracy sur la grammaire générale, le jugement foucaldien, selon lequel l’Idéologie serait « la dernière des philosophies classiques »19, ne leur est pas applicable. Le texte de Foucault est d’ailleurs relativement clair sur ce point : le jugement en question ne vaut que pour la conception tracéenne de la science des idées et de son rapport au langage20.

  • 21 Ibid., p. 330.
  • 22 P. J. G. Cabanis, Rapports, Mémoire II, § VII, Peisse, p. 138, Lehec et Cazeneuve, p. 196.
  • 23 M. Foucault, Les mots et les choses, p. 329.
  • 24 Voir G. Canguilhem, « Mort de l’homme ou épuisement du cogito ? », Critique, t. XXIV, n° 242, 1967, (...)

9Ce dont il est question dans cette réception, c’est bien de savoir si la connaissance physiologique peut servir à construire une science de l’homme. Les Rapports constituent en effet un des premiers textes qui affirment et explorent systématiquement cette dépendance en mobilisant l’ensemble des connaissances médicales alors disponibles. La querelle autour de la pertinence de la méthode psychologique, à laquelle Jouffroy, Broussais ou Comte ont pris part, est à cet égard exemplaire. Cabanis est une référence commune à tous les acteurs de ce débat qui consiste en grande partie à décider si la théorie de la connaissance est ou non dépendante d’un savoir empirique de type biologique : pouvait-on admettre, pour reprendre les mots de Foucault, « que la connaissance avait des conditions anatomo-physiologiques, qu’elle se formait peu à peu dans la nervure du corps, qu’elle y avait peut-être un siège privilégié, que ses formes en tout cas ne pouvaient pas être dissociées des singularités de son fonctionnement »21 ? Et c’est bien cette dépendance qui était en jeu lorsque toute l’époque réagissait à l’idée que « le cerveau digère en quelque sorte les impressions »22. Derrière cette interrogation, était déjà clairement engagée la figure du « doublet empirico-transcendantal »23 : si bien que Canguilhem, dans sa revue des Mots et les choses, en évoquant Comte comme « cas à suivre de plus près », aurait pu tout aussi bien rappeler, aux côtés de Gall et de Condorcet, les Rapports de Cabanis comme une première tentative, certes moins complexe et moins aboutie que celle de Comte, « d’un traitement empirique du projet transcendantal conservé »24.

  • 25 É. Schwartz, Les Idéologues et la fin des grammaires générales raisonnées, Lille, Atelier national (...)
  • 26 Voir A. Comte, Cours de philosophie positive, Paris, Bachelier, 1838, t. III, 45e leçon, p. 776-777 (...)
  • 27 M. Foucault, Les mots et les choses, p. 254.
  • 28 Voir É. Schwartz, Les Idéologues…, p. 487-515 ; voir aussi R. Goetz, Destutt de Tracy…, p. 81-105.
  • 29 Ce qui ne signifie pas qu’en dehors de l’Idéologie rationnelle, Destutt de Tracy n’ait pas eu une r (...)

10La réception des Rapports a donc le mérite de faire apparaître une dimension qui n’était pas explicitement pensée par Cabanis lui-même. Pour reprendre l’analyse d’Élisabeth Schwartz, Cabanis « reste condillacien » et ne pense pas l’élargissement qu’il fait subir à la sensation condillacienne comme incompatible avec une Idéologie analytique25. On peut d’ailleurs affirmer que la différence entre la réception de Cabanis et celle de Tracy ne vient pas du fait que ce dernier n’a pas intégré les résultats de l’analyse physiologique. Il est possible sur ce point de ne pas être d’accord ni avec Auguste Comte, qui reprochait à Tracy d’avoir annulé le principe qu’il avait proclamé au début de l’Idéologie, à savoir qu’elle était « une partie de la zoologie »26, ni avec Michel Foucault, qui suggère, à partir de cette même citation, que l’analyse chez Tracy ne touche que par « son bord le plus extérieur » aux conditions physiologiques complexes qui peuvent rendre compte de la sensation, et qui fourniront plus tard le domaine « d’une science naturelle de l’homme »27. Même si les commentateurs sont parfois nuancés, il est en effet indéniable que Tracy est allé assez loin dans la prise en compte des résultats de l’Idéologie physiologique, notamment sur la question de l’existence des corps extérieurs et sur celle de la volonté28. Si Tracy n’a pas connu le même type de réception que Cabanis, c’est en grande partie parce que son travail a porté sur des sujets, la grammaire générale et la logique sensationniste, qui ont été délaissés par les débats philosophiques en cette première moitié du XIXe siècle, et n’étaient guère récupérables dans la perspective d’une science de l’homme qui sortait définitivement de la pensée de la représentation29.

  • 30 R. Goetz, Destutt de Tracy…, p. 104-105.

11D’une certaine manière, on peut être d’accord avec Rose Goetz, en posant que l’Idéologie, dans son projet original, à la fois rationnel et physiologique, se situe dans un entre-deux : elle ne participe pas vraiment à l’histoire des sciences humaines qui va suivre, mais elle ne doit pas non plus être réduite à l’anthropologie du XVIIIe siècle30. Il reste cependant que les textes de Cabanis, par leur réception, échappent en grande partie à cet entre-deux, et se trouvent engagés dans des débats qui vont contribuer à faire émerger une figure nouvelle de l’homme.

  • 31 Nous tenons à remercier les institutions qui ont permis ce colloque : la Société française pour l’h (...)

12Les raisons que nous venons d’exposer nous ont donc conduits à organiser en octobre 2018, au département de Philosophie de l’université de Caen, un colloque qui a constitué la première tentative d’une étude méthodique de cette réception31. Nous avons délibérément circonscrit le champ de nos recherches à la première moitié du XIXe siècle, en raison même de la richesse du sujet. Après 1845-1850, l’histoire de la réception de Cabanis est étroitement liée à l’histoire de la psychiatrie dans l’ensemble du monde occidental, ainsi qu’à celle des nombreux courants philosophiques qui surgissent alors. Par ailleurs, tout en accordant une place importante à la façon dont Cabanis a été lu en France même, nous nous sommes efforcés de montrer sa réception à l’étranger, dont on verra qu’elle représente un phénomène remarquable. Le caractère international de ce colloque est, en effet, une de ses particularités et donne une signification toute spéciale aux actes que nous publions aujourd’hui.

13Les contributions que nous avons rassemblées ici explorent la réception de l’œuvre de Cabanis, de l’époque de la publication des Rapports en France jusqu’à son influence dans les luttes politiques et de territoire qui agitent le Río de la Plata de 1813 à 1852. La contribution de notre collègue argentin, Mariano Di Pasquale, nous a permis de mettre l’accent sur ce Cabanis « américain » peu connu en France. L’étude de Mariana Saad consacrée à la réception immédiate dans la presse parisienne des écrits de Cabanis et, singulièrement, de Rapports, permet de constater son importance, puisque tous les journaux qui ne sont pas de simples feuilles d’information politique publient des articles sur Cabanis. Elle montre également comment les lectures de Cabanis se nouent, dès la publication des œuvres, autour de thèmes essentiels tels que le matérialisme et le libre arbitre.

14Il est ainsi intéressant de comparer les critiques adressées par les journaux antirépublicains et la lecture philosophique d’un opposant politique tel que Bonald. Flavien de Balanda s’efforce cependant de nuancer l’antagonisme frontal – et attendu – entre l’auteur des Rapports et le penseur contre-révolutionnaire, et préfère parler de deux démarches en miroir inversé, justifiant cet essai de rapprochement par une ambition et une situation communes, à savoir fonder une anthropologie avec des moyens théoriques appartenant peut-être au passé, les Lumières d’un côté, la théologie catholique de l’autre. Le cas de Gérando, abordé par Antoine Bocquet, permet de voir en quoi, sur la question de la charité et des secours publics, le « positivisme spiritualiste » du penseur lyonnais mène à une conception nouvelle du rôle de l’État, lequel, contrairement aux thèses de Cabanis, ne doit pas intégralement prendre en charge l’assistance publique, mais plutôt organiser et coordonner, grâce à la centralisation administrative, la philanthropie et les œuvres privées.

15Plusieurs études sont consacrées à des philosophes comme Maine de Biran, Auguste Comte ou encore Schopenhauer, qui ont maintenu un véritable dialogue avec Cabanis. Le cas célèbre de Maine de Biran, qui semblait, dans ses premiers écrits, destiné à prendre la relève des fondateurs de l’Idéologie, mais qui s’en détache ensuite nettement, est ainsi étudié en détail par Anne Devarieux. Elle met en lumière la façon dont Biran maintient une définition de la sensibilité qu’il veut entièrement différente de celle de Cabanis et Tracy dans la construction de sa psychologie. Cabanis a aussi été pour Auguste Comte une référence constante, de ses tout premiers écrits à ses derniers ouvrages : c’est ainsi que Comte, dans le Système de politique positive, prétend avoir enfin réalisé la doctrine « ébauchée par Cabanis » des rapports du physique au moral. Cependant, comme le montre Laurent Clauzade, cette reprise positiviste ne va pas sans ambiguïté, et prend pour cadre une conception quasi dualiste des rapports entre le cerveau et le corps.

16Un des apports de notre dossier est de souligner l’importance de la réception de Cabanis en Allemagne. Jean-Paul Ferrand traite ainsi de l’héritage « paradoxal » des Rapports dans l’œuvre de Schopenhauer, et met en lumière l’influence décisive de la lecture de Cabanis dans l’élaboration d’une interprétation physiologique du transcendantal. Ronan de Calan montre comment Cabanis est devenu, en Allemagne, le fondateur de la psychophysiologie. Il insiste sur ce que cette interprétation a pu avoir de restrictif non seulement pour ses lecteurs au XIXe siècle, mais aussi pour une perception juste de sa place dans l’histoire des idées.

17On voit ici le rôle essentiel que Cabanis a joué dans la naissance de la psychologie moderne. C’est dans ce domaine précisément que Jacqueline Carroy retrace le destin de deux anecdotes rapportées par Cabanis dans ses études sur le sommeil et le rêve, reprises maintes fois au cours du siècle suivant. Là encore, on peut constater à la fois la diversité des réactions à l’œuvre de Cabanis et à quel point sa présence est prégnante. Telle est, en effet, la constatation à laquelle l’ensemble de ces études nous conduit : l’œuvre de Cabanis n’a pas cessé de nourrir la philosophie, la médecine et, nous tenons à le souligner, la politique du XIXe siècle : l’Idéologie physiologique, loin d’être mise à l’écart et oubliée avec la chute de la première République, a continué d’être une référence essentielle.

Note bibliographique

18Dans ce dossier, les références aux ouvrages de Cabanis ont été harmonisées.

19Les références aux Rapports du physique et du moral de l’homme (titre abrégé en Rapports) sont données, sauf référence explicite à une édition déterminée, dans les deux éditions suivantes (respectivement désignées par « Peisse » et « Lehec et Cazeneuve ») :

  • P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, 8e éd. [augmentée de notes et précédée d’une « Notice historique et philosophique sur la vie, les travaux et les doctrines de Cabanis » par L. Peisse], Paris, J.-B. Baillière, 1844.
  • P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, in Œuvres philosophiques de Cabanis, C. Lehec et J. Cazeneuve (éd.), Paris, PUF, 1956, t. I, p. 105-631.

20Les références aux autres œuvres de Cabanis sont données dans l’édition critique de C. Lehec et J. Cazeneuve :

  • Œuvres philosophiques de Cabanis, C. Lehec et J. Cazeneuve (éd.), Paris, PUF, 1956, 2 vol.
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Notes

1 Cabanis, né à Cosnac en Corrèze en 1757, meurt à Rueil, dans le Val-d’Oise, en 1808.

2 P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, Paris, Crapart – Caille et Ravier, an X (1802), 2 vol. ; et seconde édition en 2 vol., « revue, corrigée et augmentée par l’auteur », Paris, Crapart – Caille et Ravier, 1805.

3 P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, 3e éd., Paris, Caille et Ravier, 1815, 2 vol.

4 L’une et l’autre à Paris, la première, chez Béchet jeune et la deuxième, dans les Œuvres complètes publiées par J.-B. Baillière.

5 P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme [précédé de « Essai sur les principes et les limites de la science des rapports du physique et du moral » par le Dr Cerise], Paris, Fortin, 1843, « Introduction », p. XI et P. J. G. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, 8e éd. [augmentée de notes et précédée d’une « Notice historique et philosophique sur la vie, les travaux et les doctrines de Cabanis » par L. Peisse], Paris, J.-B. Baillière, 1844, « Notice … », p. viij.

6 P. J. G. Cabanis, Über die Verbindung des Physischen und Moralischen in dem Menschen : […] mit einer Abhandlung über die Grenzen der Physiologie und der Anthropologie, Halle – Leipzig, Ruff, 1804.

7 P. J. G. Cabanis, Rapporti del Fisico e del Morale dell’Uomo, s. l., s. n., 1820.

8 Du degré de certitude de la médecine est traduit en espagnol en 1816 : P. J. G. Cabanis, El Grado de Certidumbre de la Medicina, Dr Don L. Guarnerio y Avallavenia (trad.), Madrid, Repullès, 1816. Révolutions et réforme de la médecine fait l’objet d’une traduction en espagnol en 1820 : P. J. G. Cabanis, Compendio Histórico de las Revoluciones, y Reforma de la Medicina, D. S. M. (trad.), Madrid, Repullès, 1820. P. J. G. Cabanis, Relaciones de lo Físico y Moral del Hombre, s. n. (trad.), Paris, J. Smith, 1826.

9 P. J. G. Cabanis, Sketch of the Revolutions of Medical Science, and Views Relating to Reform, A. Henderson (trad.), Londres, J. Johnson, 1806.

10 P. J. G. Cabanis, An Essay on the Certainty of Medicine, R. La Roche (trad.), Philadelphie, Desilver, 1823.

11 I. J. Kapstein, « Shelley and Cabanis », PMLA, vol. 52, n° 1, 1937, p. 238-243.

12 La littérature sur cette question est immense. Elle couvre un vaste champ, qui va du « lieu commun », de Paul Bourget dans ses Essais de psychologie contemporaine, publiés en 1883, à Victor Del Litto dans La vie intellectuelle de Stendhal. Genèse et évolution de ses idées (1802-1821) de 1962, en passant par L’histoire de la peinture en Italie et les plagiats de Stendhal de Pierre Arbelet de 1913. L’inventaire des publications récentes qui reprennent ce thème dépasse les limites d’une simple note, mais on en trouvera les plus importantes répertoriées dans Le moment idéologique. Littérature et sciences de l’homme, Y. Citton et L. Dumasy (dir.), Lyon, ENS Éditions, 2013.

13 Entre autres, on peut retenir : B. Guyon, La pensée politique et sociale de Balzac, Paris, A. Colin, 1967 ; C. Nesci, La femme mode d’emploi. Balzac, de La Physiologie du mariage à la Comédie humaine, Lexington, French Forum, 1992 ; Balzac, l’aventure analytique, C. Barel-Moisan et C. Couleau (dir.), Saint-Cyr-sur-Loire, C. Pirot, 2009.

14 Ici encore les études sont nombreuses. On citera, en particulier, les travaux de Luca Badini Confalonieri et son ouvrage publié en français : Les régions de l’aigle et autres études sur Manzoni, Berne, P. Lang, 2005.

15 Ce n’est, semble-t-il, qu’avec Taine, et avec ce que Picavet a appelé la « Renaissance de l’idéologie » (F. Picavet, Les Idéologues. Essai sur l’histoire des idées et des théories scientifiques, philosophiques, religieuses, etc. en France depuis 1789, Paris, Alcan, 1891, p. 567), que l’Idéologie a de nouveau été envisagée comme un tout. Le travail de Picavet lui-même témoigne, à la fin du siècle, de l’importance de l’Idéologie pour la IIIe République.

16 A. Destutt de Tracy, Éléments d’Idéologie, t. I : Idéologie proprement dite, H. Gouhier (éd.), Paris, Vrin, 1970, Appendice III, p. 434.

17 Voir P. J. G. Cabanis, Rapports, Mémoire X, sect. II, « De la sympathie », § VII, Peisse, p. 551, Lehec et Cazeneuve, p. 578 [pour les références au texte des Rapports, voir la note bibliographique à la fin de cette introduction].

18 A. Destutt de Tracy, Éléments d’Idéologie, Première partie : Idéologie proprement dite, Paris, Vve Courcier, 1817, « Préface de l’édition de 1801 », p. XIII. Voir aussi Éléments d’Idéologie, Troisième partie : Logique, Paris, Courcier, 1805, p. VIII.

19 Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 255.

20 Il n’en reste pas moins que les textes de Foucault soulignent de façon assez systématique l’idée que l’Idéologie en général n’arrive pas à sortir du cadre analytique étroit proposé par la pensée classique. C’est ainsi qu’il montre, dans la Naissance de la clinique (Paris, PUF, 1963, p. 148-149), que Cabanis est resté rivé à une conception de la connaissance de la vie « qui s’appuie de plein droit sur l’essence du vivant », alors que Bichat, en fondant cette connaissance sur la mort, réussissait à renouveler les cadres analytiques du savoir médical. Il y a certainement un « biais » ou une conséquence de la méthode archéologique qui utilise l’Idéologie, en se focalisant sur la question de l’analyse, pour différencier (voir Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 223) l’épistémè classique de celle qui est censée apparaître, là avec Kant, ici avec Bichat. Cette lecture reste insensible aux éléments nouveaux qui émergent, notamment chez Cabanis, pour élaborer une science de l’homme originale.

21 Ibid., p. 330.

22 P. J. G. Cabanis, Rapports, Mémoire II, § VII, Peisse, p. 138, Lehec et Cazeneuve, p. 196.

23 M. Foucault, Les mots et les choses, p. 329.

24 Voir G. Canguilhem, « Mort de l’homme ou épuisement du cogito ? », Critique, t. XXIV, n° 242, 1967, p. 615.

25 É. Schwartz, Les Idéologues et la fin des grammaires générales raisonnées, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1981, p. 481.

26 Voir A. Comte, Cours de philosophie positive, Paris, Bachelier, 1838, t. III, 45e leçon, p. 776-777. La formule de Tracy citée plus haut (Idéologie proprement dite, p. XIII) a souvent été comprise comme une affirmation de la dépendance de l’Idéologie rationnelle à l’égard de l’Idéologie physiologique : ce n’est sans doute pas le sens premier de cette formule, qui affirmerait plutôt une naturalisation de l’Idéologie : voir R. Goetz, Destutt de Tracy. Philosophie du langage et science de l’homme, Genève, Droz (Histoire des idées et critique littéraire), 1993, p. 83-84.

27 M. Foucault, Les mots et les choses, p. 254.

28 Voir É. Schwartz, Les Idéologues…, p. 487-515 ; voir aussi R. Goetz, Destutt de Tracy…, p. 81-105.

29 Ce qui ne signifie pas qu’en dehors de l’Idéologie rationnelle, Destutt de Tracy n’ait pas eu une réception importante, notamment dans le domaine de l’économie politique.

30 R. Goetz, Destutt de Tracy…, p. 104-105.

31 Nous tenons à remercier les institutions qui ont permis ce colloque : la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme, la Maison d’Auguste Comte, et bien sûr l’EA 2129 « Identité et subjectivité », ainsi que l’université de Caen-Normandie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Clauzade et Mariana Saad, « Introduction »Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 57 | 2020, 7-16.

Référence électronique

Laurent Clauzade et Mariana Saad, « Introduction »Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 57 | 2020, mis en ligne le 11 février 2021, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1430 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1430

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Auteurs

Laurent Clauzade

EA 2127 « Identité et subjectivité »

Laurent Clauzade est maître de conférences en philosophie à l’université de Caen-Normandie. Il travaille sur l’histoire des sciences au XIXe siècle et sur la philosophie française du XIXe siècle. Il édite les œuvres d’Auguste Comte.

Articles du même auteur

Mariana Saad

IHMC

Docteur en philosophie (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1997), Mariana Saad a soutenu une thèse portant sur Santé et maladie dans l’œuvre de P. J. G. Cabanis et a publié de nombreux articles sur l’Idéologie, l’histoire du matérialisme et des idées politiques, ainsi que l’histoire de la médecine à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Elle est l’auteur de Cabanis. Comprendre l’homme pour changer le monde, Paris, Classiques Garnier, 2016.

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