Avant-propos
Texte intégral
1L’histoire de la métaphysique est portée par la recherche d’un sens unitaire des mots être ou étant (εἶναι / ὄν, esse / ens), que ce sens soit constitué comme un concept universel et intégrateur, recherché comme une « unité focale de signification » ou conçu comme un fondement. Aussi la plupart des histoires de la métaphysique sont-elles écrites du point de vue de cette visée unitaire directrice et leurs inflexions sont-elles le plus souvent associées à l’émergence de compréhensions nouvelles du sens premier ou du sens commun de l’être.
2Pour autant, cette visée directrice de l’unité de l’être ne constitue qu’un aspect de l’entreprise métaphysique. Car s’il est vrai qu’il ne peut y avoir de science unitaire de ce qui est que s’il existe un concept non équivoque de l’être, le motif premier d’une telle science, celui qui en forme autant l’origine que le ressort permanent, reste la pluralité au moins relative des sens dans lesquels ce qui est peut être dit « être ». Distinguer ces sens de l’être et les ordonner constituent donc des tâches tout aussi essentielles de l’entreprise métaphysique, singulièrement dans ses formes systématiques et scolaires.
- 1 Mentionnons, parmi les rares études consacrées aux diviseurs de l’être, celles de Jean Écol (...)
3Or force est de constater l’extrême rareté des études consacrées à ce que nous proposons d’appeler les diviseurs de l’être, autrement dit à ces notions ou, plus exactement, à ces couples de notions qui, à l’instar de l’être en puissance et de l’être en acte d’Aristote, de l’être fini et de l’être infini de Jean Duns Scot, de l’être en soi et de l’être pour soi de Hegel, de l’être dépendant et de l’être indépendant de Husserl, permettent au métaphysicien d’ordonner la diversité des sens de l’être et de distinguer des classes hiérarchisées d’étants1.
4Ces diviseurs de l’être soulèvent pourtant deux problèmes fondamentaux. Le premier concerne leur statut logique et, par conséquent, celui des divisions, des classifications et des hiérarchisations qu’ils permettent d’opérer. Si, en effet, l’être n’est pas un genre, les diviseurs de l’être ne sauraient être assimilés à ces diviseurs canoniques, dans la théorie des divisions conceptuelles, que sont les différences spécifiques. De là, dans l’histoire de la métaphysique, une série de compréhensions successives de ces diviseurs de l’être où voisinent aussi bien des notions bien connues comme celles de catégories ou de genres de l’être, que des notions moins travaillées, mais peut-être non moins discriminantes, comme celles de modi essendi, d’affectiones entis, de transcendantaux disjonctifs, etc. La multiplicité de ces expressions, autant que leur emploi dans le seul cadre de la métaphysique, est à tout le moins l’indice de la singularité des divisions ontologiques comme de la relative obscurité de leur statut logique.
5Au-delà de ce problème de statut, qui commande, en dernière analyse, une compréhension de la nature de l’entreprise métaphysique, la grande variété, selon les époques et selon les auteurs, de ces diviseurs de l’être engage à procéder à leur dénombrement, à les soumettre eux-mêmes à une classification et, surtout, à essayer de comprendre ce qui motive leur entrée en métaphysique. Car si l’histoire de la métaphysique peut être lue à partir des inflexions qui modifient le sens paradigmatique de l’être, elle peut tout autant être lue comme le produit de la remise en chantier régulière des grandes divisions de l’étant. De ce point de vue, une distinction doit sans doute être établie entre des diviseurs apparemment pérennes comme les couples per se / in alio ou concret / abstrait et des diviseurs plus distinctifs ou plus critiques comme les couples fini / infini, objectif / subjectif, complet / incomplet, pour ne pas parler de distinctions plus idiosyncrasiques comme celles que l’on rencontre dans les écrits d’un Meinong ou d’un Heidegger.
6Le présent volume, issu d’un colloque organisé par l’équipe « Identité et subjectivité » (EA 2129) à l’université de Caen Basse-Normandie, ne saurait prétendre soumettre les diviseurs de l’être à l’enquête systématique dont nous venons d’esquisser les contours. Les cinq contributions qu’on trouvera ci-après constituent plutôt comme une série de coups de sonde dans cette dimension encore trop peu explorée de la métaphysique et de son histoire qu’est celle de la fabrique de ses divisions et, par là, de son architectonique.
Notes
1 Mentionnons, parmi les rares études consacrées aux diviseurs de l’être, celles de Jean École, « Contribution à l’histoire des propriétés transcendantales de l’être », Filosofia Oggi, vol. XIX, nº 76, oct.-déc. 1996, p. 367-394 et de Jean-François Courtine, Suarez et le système de la métaphysique, Paris, PUF, 1990.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Vincent Carraud et Stéphane Chauvier, « Avant-propos », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 46 | 2009, 7-8.
Référence électronique
Vincent Carraud et Stéphane Chauvier, « Avant-propos », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 46 | 2009, mis en ligne le 03 septembre 2020, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1197 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1197
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