Gadamer et l’héritage grec de l’Europe
Texte intégral
- 1 H.-G. Gadamer, Das Erbe Europa, Francfort, Suhrkamp Verlag, 1989, littéralement : « L’h (...)
- 2 H.-G. Gadamer l’a analysé et critiqué dans « Die phänomenologische Bewegung », Neuere (...)
- 3 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, édition et traduction citées, p. 93.
1Il est significatif que dans les textes réunis pour L’héritage de l’Europe1 dont le trait commun est la référence aux sciences européennes, Gadamer ne fasse aucune mention de l’ouvrage posthume de Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale2. La ligne de réflexion qu’appelle de notre part cette remarque sera d’abord une comparaison entre les deux pensées de l’Europe, en tenant compte du fait que celle de Husserl a été formulée dans les années trente, avant la catastrophe allemande, alors que celle de Gadamer l’a été bien après, puisque tous les articles réunis dans ce volume – sauf un de 1967 – datent des années quatre-vingt. Dans ces quelques lignes, je voudrais montrer que l’interprétation et le remède envisagés par Husserl continuent de relever assez étroitement d’une théorie des sciences et d’un héroïsme éthique de la science dont je rappellerai les difficultés, voire les apories souvent mentionnées. De façon très différente, l’analyse de l’héritage philosophique européen par Gadamer relève d’un côté d’une herméneutique du sens – dans laquelle non seulement les sciences, mais l’art, la politique, la religion sont caractérisés par un état de « tension » globale très éloigné de celui des seules sciences des années trente, tel du moins que Husserl en a posé le diagnostic. De l’autre côté, ce que l’on pourrait nommer le « remède herméneutique » est à chercher, non dans une prise de conscience héroïque et un courage théorique (Husserl), mais dans le dialogue à ouvrir entre les différentes formes scientifiques et esthétiques d’une même culture, ainsi qu’entre les cultures de civilisations historiquement hétérogènes (« le dialogue mondial dans lequel nous entrons »3), voire, à la limite, entre ces cultures et la nature, dialogues que rend possibles, au moins dans le principe, notre situation, « post-guerre mondiale », donc post-husserlienne.
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- 4 Cf. par exemple la recension des Idées directrices pour une phénoménologie pure par P. (...)
- 5 Husserl fut satisfait de la réception positive que Dilthey donna à ses Recherches logiq (...)
2La situation dans laquelle Gadamer interrogeait l’héritage européen n’était plus celle d’une crise des fondements des sciences telle qu’elle paraissait indubitable à Husserl dans les années trente. Il s’agissait alors de reconnaître que, d’une part, les sciences de la nature ou sciences d’objets « chosistes », occultaient totalement leur relation à la subjectivité dont elles étaient pourtant seulement des constructions phénoménales. Cet oubli motivait la reconstitution du fondement subjectif de l’objectivité qui était la tâche que se donnait parallèlement à la phénoménologie le néokantisme de Marbourg, notamment sous la figure de P. Natorp avec lequel Husserl était en étroite liaison4. D’autre part, il fallait reconnaître que les sciences de la nature, déjà oublieuses de leur fondement constituant, prétendaient imposer avec violence leurs méthodes objectivantes à l’immense domaine des sciences de l’esprit, notamment sous l’aspect de la psychologie et des sciences sociales. En tant que naturalisation de l’esprit, le naturalisme a toujours représenté le danger d’aliénation suprême de l’esprit pour Husserl. Ici aussi, un effort parallèle à celui de Husserl pour conférer aux sciences de l’esprit leur spécificité avait été mené par Dilthey, avec lequel Husserl avait entretenu d’étroites relations, toujours amicalement critiques5. La crise présentait donc deux aspects critiques étroitement liés, puisque, dans l’un et l’autre cas, il s’agissait pour la science positive de se séparer [krinein] de la subjectivité qui la fondait transcendantalement, tant comme science en général que comme théorie fondée à partir d’une expérience de la vie préscientifique, vie culturelle dont elle ne pouvait nier être une élaboration dont l’essence génétique était redevable d’une phénoménologie de l’histoire européenne. Husserl en appelait donc finalement au courage d’une éthique de la connaissance se mettant en œuvre sur les deux plans de la phénoménologie, le plan transcendantal et le plan éidétique.
- 6 Cette critique fondamentale du concept clé mais restreint de l’agir dans la Krisis est (...)
- 7 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 93.
3Je ne reviendrai pas longuement sur les difficultés voire les apories souvent pointées dans l’analyse et dans la riposte de Husserl face à cette crise, difficultés au moins au nombre de deux. En premier lieu, Husserl ne montre pas de façon convaincante comment s’effectue la genèse de la subjectivité scientifique – en tant que subjectivité transcendantale – à partir de son immersion première dans le monde de la vie préscientifique et pratique, scientifiquement naïve. Concernant ce premier point, c’est sans doute le privilège excessif accordé à la production technique dans la vie naïve, au détriment du langage, fort peu présent dans cette généalogie, qui empêche Husserl de nous convaincre. Gadamer a mis en question le concept de l’agir auquel se limite Husserl pour penser l’émergence des sciences à partir du monde de la Lebenswelt, en lui reprochant surtout d’avoir restreint le concept de l’agir humain à l’agir technique comme « application extérieure d’un savoir à des objets », sans comprendre que le fondement de nos décisions de vie se situe dans un agir comme praxis au sens où l’entendait déjà Aristote, sens qui sera également celui d’une activité immanente à la vie morale chez Kant et chez Hegel6. Mais peut-on, autrement qu’en référence au langage et à la praxis comme action de soi sur soi qu’il commande et commente, ainsi que le fera Gadamer, comprendre comment le discours de langue, avec son schématisme mytho-poétique de l’espace et du temps, a pu se métamorphoser autocritiquement en langage de science, se dotant d’un schématisme mathématique et géométrique contrôlable universellement ? La genèse de la science à partir du monde de la vie est une genèse du logos, qui implique d’ailleurs, en Europe, tout un effort et tout un travail sur soi (cf. la praxis, à nouveau), dialectique dont on trouve plus d’une trace dans les Dialogues de Platon et dans la critique du langage mythique préscientifique menée par Aristote. C’est déjà sur ce point que la référence à la mémoire de l’héritage grec de l’Europe trouve son plein-emploi, lorsqu’il est question de la science, tant il est vrai que, « quand il s’agit de science, la nécessité s’impose de réfléchir à l’Europe, à l’unité de celle-ci et à son rôle dans le dialogue mondial où nous entrons »7.
- 8 E. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse [1911], Q. Lauer (trad.), Paris, PU (...)
- 9 Ibid., p. 122-123.
- 10 E. Husserl, La crise de l’humanité européenne [Vienne, 1935], P. Ricœur (trad.), Paris, (...)
- 11 Ibid., p. 105.
- 12 Ibid.
- 13 Ibid.
- 14 Husserl a en effet prononcé des Cours sur Fichte, de même que des Cours sur (...)
- 15 Thèse de doctorat soutenue sous la direction du néokantien P. Natorp.
- 16 Spécialité à laquelle, rappelons-le, n’était nullement formé Heidegger.
- 17 Habilitation soutenue en 1928 sous la direction de M. Heidegger.
- 18 Titre du cinquième chapitre de L’héritage de l’Europe, p. 93.
- 19 Cf. sur cet aspect de la pensée gadamérienne, Gadamer et les Grecs, J.-C. Gens, P. Kont (...)
4En second lieu, Husserl fait appel, dans sa conférence, aux vertus proprement éthiques de la subjectivité philosophique pour administrer la correction que la phénoménologie transcendantale et eidétique devrait apporter aux sciences européennes. Dans son grand article antérieur de 1911, après avoir rappelé que le philosophe qui construit une Weltanschauung le fait parce qu’il « […] y est appelé comme adepte de hauts intérêts pratiques, religieux, éthiques, juridiques »8, il avait déclaré que la phénoménologie comme science rigoureuse s’y refuserait, puisque son projet est de se distinguer de toute « vision du monde ». Mais il ne peut s’empêcher à son tour d’évaluer moralement la volonté d’une philosophie comme science rigoureuse, « la grande volonté, orientée en pleine conscience vers la fin et employant toutes les énergies scientifiques disponibles »9, ce qui introduit de façon apparemment contradictoire une exigence éthique (non fondée) dans l’impératif théorique. Or, s’étant fermé étroitement à la thématique des valeurs « pratiques » par souci de ne réfléchir théoriquement que des valeurs elles-mêmes objectivement et intentionnellement théoriques (sciences physiques, logique, mathématiques), Husserl se trouve ici condamné à « opérer » naïvement avec les premières, sans les avoir « thématisées ». Ce sont pourtant ces valeurs qui font un retour en force de façon non pleinement réfléchie dans la conférence de Vienne (1935) sur La crise de l’humanité européenne. La seule alternative envisagée à la « crise d’existence de l’Europe »10 est « un héroïsme de la raison »11, contre la « lassitude »12, « en bons européens »13. Malheureusement, aucune de ces valeurs pratiques – courage, ethos rationnel moral – n’a fait l’objet d’une autoréflexion génétique dans une œuvre personnelle publiée par Husserl, qui les articulerait, au sein de la phénoménologie transcendantale, à celles de la raison technique et de la raison scientifique. Ces dernières ont retenu seules l’attention interprétative véritablement exprimée et publiée à titre personnel par Husserl14. Plus gravement, dans la mesure où il ne s’appuie pas sur une « philosophie pratique » explicitée, on ne voit guère comment son appel à l’éthique personnelle du chercheur philosophe aurait pu, sans ce relais indispensable de la conscience collective de l’éthique et du droit, fournir une médiation suffisante, susceptible de convaincre qu’on peut enrayer les aspects culturels de la crise européenne. Sous cet aspect également, l’analyse de Gadamer a pu se montrer plus complètement compréhensive des liens unissant, dans la distinction, théorie et pratique. Depuis L’essence du plaisir dans les dialogues de Platon15 (1922) et ses études de philologie grecque classique16 (1925), puis L’éthique dialectique de Platon17 (1931) jusqu’à L’idée du bien entre Platon et Aristote (1978), il n’a cessé de méditer sur ces liens qui font que nous sommes « citoyens de deux mondes »18, en reprenant la thèse kantienne de la distinction entre liberté et nature, de même que celle de la prévalence de la raison pratique sur la raison théorique. Reste toutefois à penser les conditions sinon d’une identité stricte du moins d’une unité entre les deux, dans un contexte qui n’est plus kantien ni même post-kantien du moins au sens idéaliste de l’expression. C’est pour la solution de cette question que Gadamer élabore la thèse centrale de tout l’ouvrage consistant à chercher dans la philosophie grecque19 (Platon et Aristote) la possibilité de tirer la leçon d’un héritage oublié, susceptible de poser les conditions d’une réconciliation entre théorie et pratique, physique et éthique, et dont nous aurons en terminant à évaluer à notre tour les limites.
- 20 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 147.
5Au moment où, dans les années quatre-vingt du XXe siècle, Gadamer remet en chantier la question de l’appropriation historique de l’Europe par la philosophie, il ne lui semble pas nécessaire de parler d’une « crise » [« Krisis »] des sciences européennes et nous aurons d’abord à nous expliquer ce fait. Gadamer se contente de parler, en 1986, de « la situation de notre monde tendu, fragmentaire, en péril »20. On dira qu’une situation tendue, fragmentaire et périlleuse a tout d’une situation de crise. Certes, néanmoins, si Gadamer évite d’utiliser le mot, nous pouvons faire l’hypothèse que c’est parce que, si crise européenne il y a eu, au moins jusque dans les toutes premières années d’après-guerre, elle ne saurait sans confusion être assimilée à une crise des fondements scientifiques comme celle que Husserl diagnostiquait quelque cinquante ans plus tôt avant la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, la reprise du terme de « crise », dans un contexte herméneutique qui reste chez Gadamer fortement phénoménologique, aurait sans doute été trop chargée de glissements de sens et d’équivoques husserliennes. Gadamer sait trop bien que la crise diagnostiquée phénoménologiquement était caractérisée par Husserl comme un divorce et une aliénation à l’égard de ses fondements épistémologiques par la theoria. Force nous est alors d’expliciter les modifications intervenues entre-temps selon lui dans l’interprétation du rapport desdites sciences avec leurs propres fondements spirituels et historiques, modifications susceptibles d’avoir pu résorber l’aspect épistémologique, fondamental (ou fondationnel), de la crise pour la métamorphoser en « situation tendue-fragmentaire-périlleuse ». La transformation décisive de l’autocompréhension de la theoria toujours considérée, par Gadamer comme par Husserl, comme caractéristique de la culture européenne, est l’élargissement de l’horizon de cette autocompréhension auquel a procédé l’herméneutique et que n’a pu effectuer la phénoménologie conscientielle de Husserl. En d’autres termes, c’est en situant la culture théorique dans l’horizon global des formes de la culture européenne (politique, art, religion) que Gadamer prétend montrer qu’une crise « situationnelle » ou une « situation de crise », non étroitement et épistémologiquement « fondationnelle », a été préparée bien avant le XXe siècle sur un terrain qui est celui du rapport à la tradition.
6Gadamer déplace et élargit donc l’angle d’analyse de la situation européenne, de sorte que c’est le rapport à une tradition commune qui était le sol unitaire sur lequel s’élevaient les sciences de la nature et les premières formes des sciences de l’esprit sans même qu’elles aient encore conscience de cette séparation menant à l’aliénation des secondes par les premières qu’avait repérée Husserl dans les premières années du XXe siècle. Si crise des fondements il y a bien eu, et si cette crise perdure sous l’aspect de la situation culturelle globale d’après-guerre affectant l’art, la religion et la philosophie, on peut estimer que, dans la perspective de l’herméneutique, il ne s’agit pas d’une crise des sciences dont la subjectivité transcendantale et l’éthique de la science seraient le dernier mot. La décentration de la compréhension herméneutique a entraîné son déplacement, à la suite de la destruction heideggerienne de la métaphysique de la subjectivité (fût-elle transcendantale) et de l’égologie, vers l’ontologie d’un Dasein historique :
- 21 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 102.
le questionnement radical de Heidegger sur le sens de l’Être – qu’il cherchait dans l’horizon du temps – a commencé là [écrit Gadamer] et j’ai moi-même tenté, en partant de lui, d’éclairer un peu plus avant la constitution herméneutique fondamentale du « monde vécu »21.
- 22 C’est cette rupture qu’analyse Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit, VI. L’Esprit, (...)
- 23 H.-G. Gadamer, « Les trois formes de Lumières », in Lumières et romantisme, G. Hottois (éd.), (...)
- 24 Platon et Aristote dans deux registres divers.
7La crise épistémologique pointée par Husserl n’est que la manifestation contemporaine d’une dissociation aliénante qui, en Europe, a affecté de façon régulière les unités de sens que constituèrent les différentes époques de ce continent. Si l’unité de la cité grecque s’est défaite sous les coups des Empires méditerranéens ; si à ces derniers succédèrent les unités républicaines et impériales romaines, dont la décadence laissa place à son tour à l’unité de l’Europe médiévale chantée par Novalis dans son essai La chrétienté ou l’Europe, cette unité se défit elle-même avec la rupture introduite par le protestantisme et l’avancée des Lumières du XVIIIe siècle22. C’est de cette dernière rupture que s’est trouvée héritière, sur le plan particulier des sciences, la crise pointée par Husserl au début du XXe siècle. Concernant les Lumières européennes et leur force critique momentanément dissolvante, Gadamer sera amené à en distinguer trois formes successives23 : les Lumières grecques avec la critique de la poésie mythique24 ; les Lumières du XVIIIe siècle vis-à-vis des dogmatismes qu’ils soient politiques ou religieux, scientifiques ou métaphysiques ; et les Lumières du XXe siècle dans la critique de l’aliénation technologique et totalitaire. Réinsérés dans ce mouvement d’ensemble, le naturalisme et le physicalisme pointés par Husserl dans les sciences sont interprétables comme une lointaine retombée de la critique de la métaphysique de l’esprit sous l’aspect dogmatique qu’elle avait pu revêtir chez Leibniz et que reprendra Hegel. Mais c’est précisément l’aveuglement contradictoire sur elle-même de cette critique démesurée qui explique alors le naturalisme et le réductionnisme physiques auxquels elle aboutit : les Lumières en sont venues à s’aveugler sur leurs fondements et leurs limites. Autant il peut paraître légitime de critiquer une métaphysique dogmatique du sujet, autant il peut paraître absurde d’oublier que cette critique émane d’un esprit lui-même libre qui ne peut se penser comme déterminé mécaniquement à la critique ; et autant il peut paraître absurde d’étendre la critique de la substantialisation de l’esprit à des sciences qui, justement, respectent l’autonomie de sa donation de sens dans les domaines de la psychologie, de la sociologie et de l’histoire. Le positivisme, le naturalisme et l’objectivisme scientistes étaient donc des figures de la critique de l’aliénation théorique, devenues elles-mêmes aliénées, c’est-à-dire étrangères à leur fondement historique et ontologique.
- 25 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 147.
8Mais de même que les unités de sens de la culture européenne se sont régulièrement défaites au cours de l’histoire passée de l’Europe, de même se sont-elles régulièrement refaites en de nouvelles unités, ce qui rend compte du ton et du style gadamériens non tragiques dans l’analyse de la « situation », en particulier si on les compare au pathos inquiet, quasi grandiloquent, de la conférence husserlienne de Vienne. Notons d’abord que « la situation de notre monde tendu et fragmentaire »25 n’est plus celle d’un déchirement entre sciences ni d’une aliénation d’un groupe de sciences de l’esprit par les sciences naturelles. Du strict point de vue méthodologique, les sciences de la nature semblent avoir renoncé à imposer leur modèle et leur « modelage » aux sciences de l’esprit, comme c’était le cas dans les années husserliennes. Sans doute, à l’intérieur de chacun de ces groupes, les blocs disciplinaires ont perdu de leur distance entre eux,
- 26 Ibid., p. 78.
[…] dans la mesure où les anciennes frontières disciplinaires se sont enchevêtrées, à tel point que la plus étonnante lumière, dans la recherche, peut soudain venir d’un côté totalement inattendu26.
Entre les deux types de science, par contre, on devrait plutôt parler de cette situation tendue et fragmentée comme d’une coexistence froide et polie, voire d’une indifférence mutuelle de deux ensembles scientifiques juxtaposés. Plutôt que d’une Krisis de séparation par déchirement conflictuel, comme c’était possible au début du siècle, il serait préférable de parler actuellement d’une Krisis de séparation par simple distanciation. Toutefois, cette espèce d’émiettement des ensembles épistémiques n’en est pas moins inquiétante aux yeux du philosophe, d’autant plus qu’elle va de pair avec un émiettement général, une sorte d’indifférenciation réciproque de toutes les formes de la culture dans notre société devenue libérale et démocratique. Ceci est encouragé par son extrême tolérance, en favorisant toutes les formes d’indépendance et de distanciation singulières. Gadamer s’arrête en particulier à la situation de l’art contemporain dont il fait remonter la « crise » au constat hégélien de ce que l’art, n’étant plus lié à une figure de l’esprit absolu (qu’elle soit religion ou métaphysique), semble être devenu indifférent à la recherche du sens de l’existence :
- 27 Ibid., « Fin de l’art ? De la théorie hégélienne du caractère révolu de l’art jusqu’à l (...)
on a vu surgir au XIXe siècle une nouveauté décisive qui a déterminé le cours ultérieur de l’art. C’était la fin de la grande évidence de la tradition christiano-humaniste. Avec elle se perdit le mythe commun à tous27.
L’art s’est donc séparé des autres formes de l’esprit, de même qu’il a éclaté en une multiplicité de courants tous « abstraits » au sens où « ils se séparent par la pensée les uns des autres » en cherchant à tout prix à innover. Gadamer laisse toutefois transparaître ici l’expression de son interprétation dialectique des crises d’aliénation de la culture européenne, une lecture qui voit dans le plus grand déchirement la condition nécessaire d’une plus profonde – quoiqu’à nouveau éphémère – réconciliation :
- 28 Ibid., p. 73.
c’est précisément pourquoi tout artiste de maintenant est obligé de faire appel à des distanciations [Verfremdungen], afin que la force de conviction inhérente à sa création parvienne réellement à irradier, et retransforme la distanciation en une nouvelle familiarité [Heimatlichkeit]28.
- 29 Ibid.
- 30 Ibid.
Il y a bien là une dialectique historique de l’art contemporain qui doit, non pas réconcilier l’homme avec un absolu synonyme d’infinité religieuse ou métaphysique, mais réconcilier une humanité moderne dans « […] l’existence terriblement fragmentée où se meut le monde actuel »29 avec sa propre capacité de liberté créatrice et d’autonomie finie. Une nouvelle familiarité et un nouvel accord entre les hommes au sein même de leur finitude peuvent donc être suscités par un art qui les met en face de leur dénominateur commun lorsque manque, désormais, un rattachement religieusement précompris et pressenti à l’égard de l’infini. Ce dénominateur est la liberté d’œuvrer et de se faire reconnaître comme coagissant dans une société libérale caractérisée par le droit à une vie tissée de libres choix finis : « la fin de l’art, une fin de cette volonté de création sans repos, de rêves, d’aspirations, ne surviendra pas aussi longtemps que les humains donneront figure à leur propre vie »30.
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- 31 Ibid., titre du quatrième développement, p. 75.
- 32 Ibid., p. 83.
- 33 Ibid., p. 75
9Il est donc temps d’en venir à l’examen de la ressource grecque mise en avant par Gadamer dans la perspective de cette réunion de l’homme avec lui-même dans un monde où les sciences et les techniques, elles, continuent de pratiquer la séparation mutuelle alors même que l’art s’efforce d’anticiper fictivement – comme son imaginaire l’y autorise – une nouvelle conciliation de l’humain. Comme l’état des sciences et plus fondamentalement « le fait de la science »31 caractérise « la base de toute la culture occidentale des temps modernes »32, il faut commencer par remarquer que l’opposition entre les sciences de l’esprit et les sciences de la nature qui, « il y a cinquante ans […] était virulente à un point que nous ne pouvons imaginer aujourd’hui »33, s’est considérablement atténuée ou plutôt, comme nous le soulignions plus haut, s’est d’abord muée en distance voire en une indifférence polie. « Le fait de la science » étant un article datant de 1967, Gadamer fait ici allusion au contexte de crise des années dix et vingt en Allemagne – où nous retrouvons le néokantisme (il nomme H. Cohen) et la phénoménologie naissante en référence à Husserl.
- 34 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 78.
- 35 H.-G. Gadamer, Années d’apprentissage philosophique [1977], E. Poulain (éd. et trad.), (...)
10À cette situation conflictuelle a peu à peu succédé – en s’accélérant dans les années cinquante de l’après-guerre – « […] la condition d’une nouvelle solidarité des sciences »34 qui a d’ailleurs pris successivement plusieurs aspects, allant en se renforçant. L’indifférence polie et la distance réciproque ont sans doute caractérisé approximativement surtout la première décade d’après-guerre au cours de laquelle les demandes sociales de rationalité et de fécondité faites aux sciences, de part et d’autre, en vue de la reconstruction de l’Europe, n’ont pu que favoriser une division du travail intellectuel, souvent oublieuse de la complémentarité et du dialogue qu’elle impliquait pourtant dans le principe. Gadamer évoque la situation faite aux sciences morales à propos de la reconstruction de l’université de Leipzig dont il était doyen dans les années quarante : « durant toutes ces années de reconstruction si riches en décisions où nous défendions la forme traditionnelle de notre Université […] le poids de la tradition historique qui nous portait nous conféra alors notre dignité »35. Cette division s’inscrivait elle-même dans la division politique Est-Ouest (communisme-libéralisme) qui pouvait sembler interdire jusqu’à l’usage du mot « Europe », comme le rappelle Gadamer en relatant l’invitation qu’il fit à Jean Hyppolite à Heidelberg en 1950 pour un entretien radiodiffusé :
- 36 Ibid., p. 208.
en raison de la situation politique de la France, il est caractéristique qu’Hyppolite ait posé comme condition à l’entretien « politique » que nous allions mener, que le mot « Europe » n’y figure pas. À l’époque, c’était tabou pour les intellectuels français de gauche36.
Sciences physiques et sciences morales avaient en quelque sorte à « se refaire » dans l’urgence et à faire la preuve de leur capacité à rebondir après l’immense naufrage dû au déficit de rationalité qui avait entraîné la catastrophe européenne. Chacune pour soi, donc !
- 37 Ibid.
- 38 Ibid., « Les limites de l’expert », p. 133.
11En une seconde étape, cette unité des sciences de la nature et des sciences de l’esprit a résulté d’abord, si j’ose dire, de leur « être-pour-autrui », c’est-à-dire de l’image et des besoins qu’elles ont fait naître dans la société. C’était là un effet des exigences éprouvées par la société européenne d’après-guerre : un besoin de savoir accru, un besoin d’efficacité technique pour une « reconstruction » demandée tant sur le plan matériel que social et psychologique, dont on a naturellement pensé que c’était aux sciences, indistinctement alors, de les satisfaire. On en est venu dans les divers domaines physiques, techniques, sociaux, psychologiques, juridiques, à exalter « l’idéal de l’expert »37, médiation et consultation désormais obligées pour une société qui avait payé un lourd tribut à des responsabilités politiques autrefois prises de façon incontrôlée du point de vue rationnel. Toutefois, les sciences savaient bien elles-mêmes, en leur être « pour-soi », combien d’illusions – à nouveau dogmatiques – risquent de s’engendrer dans la conscience sociale et l’opinion publique au sujet de leurs prétendues certitudes définitives et de leurs supposées garanties absolues : « c’est plutôt l’illusion des Lumières rationalistes du XVIIIe comme du XXe siècle [de croire] qu’il existe des experts pour toutes les décisions s’offrant au choix »38. D’où le nouveau et second facteur d’un début d’unité – cette fois-ci plus réelle – qui est résultée comme un effet de réaction à cette unification d’abord fictive :
- 39 Ibid., p. 79.
[la] conscience commune […] de n’acquérir que des connaissances toujours partielles, toujours provisoires, sans cesse vouées à se dépasser les unes les autres, et de ne pouvoir assumer la responsabilité que voudrait confier à « la science » une société politique craignant désormais toute responsabilité39.
- 40 J.-C. Gens souligne avec raison que « Gadamer invite à remonter à une expérience hermén (...)
C’est ce qui a permis aux sciences – mais ce « fait de science » s’amorçait dans les rencontres et dialogues entre savants et philosophes – d’en venir à une reconnaissance méthodologique mutuelle non plus de leurs différences spécifiques – cela étant déjà acquis dès après la guerre40 – mais de leur communauté de « formation » [« Bildung »] dans la continuité d’une tradition européenne de la conscience rationnelle de soi de la science.
12C’est là le troisième et le plus fondamental facteur d’unité dont on peut espérer qu’il dénoue cette crise d’indifférence et de tension qui était due à la fragmentation toujours résiduelle et rémanente des formes rationnelles de la culture. Il s’agit de la conscience rationnelle d’une critique de soi qui, dans l’espace cognitif, reconnaît ses limites et, dans le temps cognitif, sa réceptivité d’un passé repris de l’histoire, face à une société s’illusionnant dangereusement sur la toute-puissance de la science :
- 41 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 88.
voici un point où les sciences de l’esprit peuvent se sentir totalement solidaires des sciences de la nature : nous aussi, dans les sciences de l’esprit, nous obtenons ou nous cherchons à obtenir, par l’enseignement, la recherche, que personne ne croie plus aveuglément à ce qui est écrit dans le journal, que personne ne reprenne quoi que ce soit sans examen préalable, sans avoir consulté les éléments de vérification – bref, nous enseignons qu’il faut se méfier des manuels d’enseignement si l’on veut aboutir à la science41.
- 42 Ibid., p. 90.
- 43 Ibid.
- 44 Ibid.
- 45 Ibid.
- 46 Ibid., p. 90-91.
- 47 Ibid.
Sur ces conditions d’une prise de conscience commune aux deux catégories de science et de leur possibilité d’une réponse, voire d’une riposte unitaire aux pressions exercées par la société politique et technique, pressions exacerbées par l’opinion publique des sociétés démocratiques contemporaines, Gadamer s’exprime ainsi : « je peux indiquer ces conditions le plus facilement à travers le terme si décrié de “formation” [Bildung] »42. Or, ce que le philosophe entend ici par la formation, c’est tout simplement l’acquisition d’une « forme [Gestalt] qui fait maintenant d’une chose ce qu’elle est »43. Il est évident qu’il s’agit alors de la constitution progressive d’une forme de conscience scientifique compréhensive mais critique, soucieuse de se limiter après avoir expérimenté les limites de validité de ses hypothèses, en un renvoi de l’idée totale au détail de la réalité éprouvée, et réciproquement. Gadamer, ici comme dans d’autres textes, rapproche donc la « formation » structurée circulairement dans les sciences herméneutiques (et l’herméneutique générale qui définit selon lui la philosophie) de « l’expérimentation »44 dans les sciences de la nature. Une même prudence pratique, lointaine héritière de la phronèsis aristotélicienne, définit en fin de compte « cette solidarité qui unit les deux catégories de sciences »45, et cela « non seulement dans leur méthodologie, mais surtout dans quelque chose qui me semble plus important que toutes les méthodes que l’on peut apprendre et transmettre, car c’est leur présupposé moral »46, cet aspect de la culture et de la formation que Gadamer préfère d’ailleurs nommer « discipline »47.
- 48 Ibid., dans le chapitre suivant, « Citoyens de deux mondes », p. 105.
- 49 Ibid.
- 50 Ibid.
- 51 Ibid.
- 52 Ibid.
- 53 Ibid.
- 54 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 105.
13C’est, me semble-t-il, l’introduction de ces notions de « formation », de « morale » et de « discipline » communes à tout esprit scientifique européen qui permet à Gadamer de poser beaucoup plus explicitement et radicalement un peu plus loin la question de « savoir si nous n’avons pas quelque chose à apprendre de l’héritage grec au sein de notre pensée »48. En réalité, l’héritage grec de l’Europe est double : c’est celui d’abord de « la dialectique de Platon »49 et celui, ensuite, de la « praxis » : « ici on peut apprendre d’Aristote »50. Dans la droite ligne d’une appropriation de Platon, il s’agit de la dialectique de la « connaissance comme reconnaissance »51, estime Gadamer. La leçon de Platon toujours bonne à prendre consiste en ce que la connaissance de ce qui nous paraît d’abord étranger – le monde intellectuel des idées aussi bien que le monde naturel des forces et le monde social des règles – est en réalité déjà obscurément connu de nous, déjà familier comme un souvenir enfoui, mais dont nous n’avons pas encore la mémoire claire et vive. C’est bien le cas de cette reconnaissance d’une coappartenance morale et disciplinaire des deux catégories de sciences européennes à un même ethos rationnel originaire que le philosophe a pour tâche d’aviver et d’expliciter en pleine clarté. Mais cette reconnaissance qui fait en sorte que l’autre redevienne ce même qu’il était toujours déjà, qui identifie donc en quelque manière les différents, ne se peut constituer qu’au sein de « l’expérience » [« Erfahrung »]52 d’un dialogue comme il en allait déjà chez Socrate et Platon. L’héritage de l’Europe est donc bien ici mémoire, anamnèse au sens fort, et dialogue, dialectique de l’intercompréhension. La leçon donnée par Aristote complète alors celle de son maître, puisqu’il nous rend attentifs à une dimension de l’agir qui n’est point celle de la fabrication (poiesis) requérant une technè fondée sur l’exactitude (n’oublions pas la réduction husserlienne de l’agir à cette sorte d’activité), mais celle d’une activité de soi sur soi, d’un agir réflexif dont l’acte de vivre fournit un modèle-origine et qui, dans le monde humain, requiert un savoir qui est prudence, sagesse pratique (phronèsis)53. Si, en ce sens, l’effort de la mémoire et de la compréhension de l’autre dans le monde scientifique constitue une praxis faisant vivre ou revivre une communauté de savoir, elle requiert une phronèsis généralisée que seule la philosophie comme herméneutique a pour fonction d’assumer. C’est à la philosophie, en effet, de constituer une « sagesse pratique » en un sens large, « […] tel que l’a développé la réflexion grecque »54.
- 55 Ibid., p. 109.
14Si la mémoire herméneutique de l’Europe est devenue nécessaire pour dénouer les tensions de la situation entre les sciences d’après-guerre, elle ne l’est pas moins pour tâcher de vaincre la situation d’atomisme et d’indifférence réciproque que tend également à engendrer le libéralisme de nos démocraties européennes présentes, non seulement entre les individus qui les habitent, mais entre elles et les cultures n’ayant ni la même histoire ni la même organisation politique : « au sein de notre monde qui se resserre de plus en plus, se rencontrent des cultures, des religions, des mœurs, des valeurs profondément différentes »55. Cette indifférence à l’altérité de l’autre est d’ailleurs loin d’être passive, puisqu’elle est souvent au service d’une tentative d’exploitation économique ou idéologique des plus violentes. De l’avis de Gadamer, l’herméneutique peut jouer ici aussi un rôle, dans la mesure où sa position fondamentale est que les diverses langues des peuples, racines de toutes leurs différences visibles, ne font que les ouvrir à un même monde selon de multiples perspectives qui, loin de se présenter comme extérieures les unes vis-à-vis des autres (ou supérieures les unes aux autres), sont bien plutôt complémentaires et s’enrichissant mutuellement par le dialogue. Il estime que Heidegger a eu, ici comme ailleurs pour lui, un rôle d’initiateur :
- 56 H.-G. Gadamer, Années d’apprentissage philosophique, p. 263. L’auteur peut faire allusi (...)
personne ne s’est aventuré aussi loin que lui sur le sol branlant des concepts non conventionnels, tellement loin que les expériences humaines des autres cultures, en particulier celles de l’Asie, se sont dessinées pour la première fois à l’horizon, comme des modalités possibles de nos propres expériences56.
- 57 H.-G. Gadamer, Vérité et méthode, édition intégrale revue et complétée, Paris, Seuil, 1 (...)
- 58 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 110.
Loin qu’il s’agisse ici d’imposer au reste de l’humanité, en particulier extrême-orientale, un modèle européen de pensée, il s’agit plutôt, en approfondissant radicalement notre propre langue pensante, de rejoindre, comme par en dessous, la convergence avec des mots et des énoncés fondamentaux et correspondants des langues asiatiques. Dans « le dialogue que nous sommes »57, les langues sont donc autant de perspectives historiquement finies sur un même Tout mondain, et permettent en cela, par principe, une possibilité d’unité : « là aussi nous devrons veiller à sauvegarder, jusqu’au sein de la pensée conceptuelle, le dialogue entre les langues et entre les possibilités d’entente inscrites dans toutes les langues »58.
15Reste un dernier aspect de la situation tendue et fragmentée du monde présent : celui de notre rapport à la nature. Gadamer semble être sensible à la spécificité de cette situation de crise, celle d’une scission radicale entre l’homme et la nature, le premier en étant venu à considérer entièrement la seconde comme un moyen extérieur de survie, un matériau de construction ou encore un décor à exploiter pour ses fins ludiques ou de « loisir » :
- 59 Ibid., « La diversité de l’Europe, héritage et avenir », p. 20.
ce dont il s’agit maintenant, c’est de la totalité de l’existence de l’homme dans la nature, c’est de cette tâche qui consiste à prendre sous contrôle l’évolution de son savoir-faire et de sa maîtrise des forces naturelles, de sorte que la nature ne soit pas détruite et ravagée par notre intermédiaire, mais qu’elle se maintienne avec notre existence sur cette terre59.
Mais il semble qu’ici l’héritage de l’Europe soit bien plus négatif que positif : n’est-ce pas l’Europe qui institua la science exacte et la technique efficace dans ses impératifs premiers ? N’est-ce pas encore l’Europe qui, en prônant un humanisme puis un libéralisme anthropocentré, a exalté cette mise en demeure puis cette mise à sac de la nature ? Comment pourrait-on alors trouver dans « l’héritage de l’Europe » les normes et les moyens de conjurer une situation critique qui excède de beaucoup les possibilités et les avantages d’un dialogue compréhensif entre catégories de sciences, de même qu’un dialogue entre les normes culturelles de civilisations différentes ? Pourtant,
- 60 Ibid., « Les bases anthropologiques de la liberté humaine », p. 114.
l’humanité se trouve devant la nouvelle tâche de se savoir citoyenne du monde […] et […] d’empêcher la destruction de l’économie naturelle en péril, cette économie naturelle dans laquelle nous avons tous à nous inscrire si nous ne voulons pas anéantir le fondement de notre propre vie60.
Gadamer ne peut ici qu’en appeler à une troisième tradition à côté de la tradition européenne de la theoria et de la technè, et à côté de la tradition non moins européenne et grecque, selon Gadamer, du libéralisme et de la démocratie, qui, nous venons de le souligner, à s’en tenir à elles, ne pourraient guère ni légitimer objectivement ni motiver subjectivement un véritable « respect » de la nature tel qu’il entraîne impérativement la limitation de son exploitation économique et ludiquement (ou oisivement) libérale. Cette troisième tradition n’est autre que l’enseignement de cette « prudence pratique », de cette phronèsis dont l’herméneutique peut montrer qu’elle a été et sera toujours nécessaire pour médiatiser la dualité entre la nature et l’homme ou, dit en en termes kantiens et non plus aristotéliciens, la nature et la liberté. Gadamer y revient sans cesse dans chacune des huit « contributions » qui composent le livre. Si la phronèsis est l’introduction d’une relation d’activité comme praxis, c’est-à-dire comme un faire ou un agir respectant l’identité de l’autre avec nous dans sa différence demeurant néanmoins spécifique, il va de soi que les nouvelles sciences de la vie (évolutionnisme, génétique), aussi bien – étonnamment et paradoxalement – que certaines traditions religieuses et esthétiques, sont à même de faire se restaurer cette praxis (action de soi sur soi) et ce dialogue de l’homme avec la nature dont l’interruption avait été instaurée par le développement séparé des deux autres traditions de la même Europe culturelle. C’est en effet trois lignes de tradition grecques que Gadamer a été amené en quelque sorte à tirer en direction de notre présent : theoria et technè ; eleutheria et demos ; praxis et phronèsis. Preuve une nouvelle fois que les transformations ultérieures de ces traditions spécifiques n’entretinrent pas que des rapports harmonieux mais que ces rapports engendrèrent bien des crises les affectant elles-mêmes.
- 61 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 104.
- 62 Comme le note J.-C. Gens, « l’absence d’interrogation du concept traditionnel de nature (...)
- 63 E. Kant, Critique de la faculté de juger, § 86, A. Philonenko (trad.), Paris, Vrin, 196 (...)
- 64 Ibid., § 42, p. 134. Kant fait ici référence au symbolisme éthique inévitablement attac (...)
- 65 G. W. F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, I, § 55, Remarque, B. Bourgeo (...)
- 66 Ibid. Cf. aussi G. W. F. Hegel, Philosophie de la religion, J. Gibelin (trad.), Paris, (...)
- 67 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 19, souligné par nous.
- 68 L’œuvre de H. Jonas, en tant que phénoménologie et éthique de la vie, me semble aller p (...)
- 69 Comme en témoigne le courant interprétatif de l’« anthropie », tant dans sa version « f (...)
- 70 J’ai développé cette hypothèse de la praxis d’un soi naturel physique (« phusique ») da (...)
- 71 H.-G. Gadamer, « Der Naturbegriff bei den Griechen und in der modernen Physik », in Col (...)
- 72 Nous l’avons tenté dans les ouvrages cités dans une note précédente.
- 73 En particulier dans son Introduction à la philosophie [1933], Lausanne, Éditions L’Âge (...)
- 74 Cf. notamment, O. F. Bollnow, Das Doppelgesicht der Wahrheit, Stuttgart, Kohlhammer, 19 (...)
16Or c’est ici, en terminant, que les analyses de Gadamer nous semblent parfois manquer sur leur propre plan d’une ouverture complète et d’une efficacité herméneutique suffisante. Tout d’abord, il est étonnant que jamais, dans cet ouvrage, lorsqu’il reprend à son compte la position kantienne de la dualité nature-liberté (« vision fondamentale de Kant : nous sommes citoyens de deux mondes »61), il ne reprenne pas, ipso facto, tout l’effort de médiation entre ces deux mondes déployé dans la troisième Critique par l’introduction du jugement de finalité de l’organisme62, dont « [le] principe dirige l’attention sur les fins de la nature et suscite l’examen du grand art incompréhensible [unbegreiflich grossen Kunst] caché sous les formes de celles-ci, afin de donner occasionnellement grâce aux fins naturelles une confirmation [Bestatigung] aux Idées fournies par la raison pratique »63. Ces fins « […] comprennent en quelque sorte une langue, qui rapproche la nature de nous et qui paraît posséder une signification plus haute »64. Hegel avait reconnu qu’il s’agissait là d’une reprise du concept aristotélicien, dans la mesure où, dans la praxis de la vie, cause et effet, matière et forme, moyen et fin, sont circulairement réfléchis l’un dans l’autre, à la différence des rapports qu’ils entretiennent dans « l’art » (Kant) ou dans la poiesis (Aristote) : « avec le concept de finalité interne, Kant a fait renaître l’Idée en général et en particulier celle de la vie »65. Qu’il s’agisse d’une « renaissance » et donc, d’une certaine manière, de la reprise d’un « héritage grec », cela est attesté par la définition aristotélicienne de la vie comme praxis qui contenait « déjà »66 la finalité interne au sens kantien. Gadamer reconnaît pourtant au passage que « nous n’avons pas le droit d’oublier qu’en notre qualité d’êtres vivants nous sommes par nature empêtrés dans beaucoup de choses, c’est-à-dire complètement impliqués dans la praxis »67. Non seulement Gadamer fait ici silence sur cette médiation que j’oserai dire « grecque » de Kant, mais il ne semble pas percevoir tout ce que le jugement kantien réfléchissant de finalité peut apporter de clarté interprétative pour certaines données de la biologie68 et de la physique contemporaines. Cela aurait constitué un second relais, plus contemporain, pour une possible « herméneutique de la nature » : certains phénomènes d’autorégulation corpusculaire au sein de l’atome, de même que certaines hypothèses cosmologiques concernant les premiers états et les premiers constituants de l’univers sont interprétables en termes d’un jugement de réflexion finale69. Dès lors, tant dans ses phénomènes infrastructuraux que dans ses phénomènes d’origine, la nature est bien interprétable comme l’analogon d’un soi ou d’une ipséité qui serait « pour-soi », en d’autres termes : d’une phusis70. Gadamer n’est pourtant pas allé jusqu’à considérer que les concepts de jeu et de praxis régulatrice des Grecs, y compris présocratiques, soient ici une voie de relais, à l’exception des suggestions faites dans « Der Naturbegriff bei den Griechen und in der modernen Physik » (1996)71. C’est d’ailleurs par analogie avec notre praxis réflexive (subjectivement par-soi-pour-soi) que cette praxis naturelle d’un soi pré-subjectif pourrait être envisagée72. Une telle démarche interprétative de réflexion mutuelle de la nature et du soi humain s’inscrirait dans une relation que Theodor Litt avait définie comme « l’être-l’un-pour-l’autre »73. Je parlerai ici volontiers de deux voies pour une herméneutique de la nature. La première serait une voie esthétique, empruntée par une interprétation de notre perception émue des choses et des vivants nous adressant une expression d’eux-mêmes, mais à un niveau humainement prélangagier. Telle est par exemple la direction prise par O. F. Bollnow vers une herméneutique de « la voix de la nature »74, direction d’un chemin qui a été prétracé en Europe par un Paracelse, un Boehme et un Goethe, un Novalis et un peintre romantique comme Runge. En effet, de cette voix, ou de cette « adresse », peuvent nous persuader, non seulement notre expérience perceptive prélangagière, mais les sollicitations reçues de la poésie et de la peinture. La seconde voie serait une voie épistémologique – celle que nous avons parcourue nous-mêmes, sans exclure l’apport de la première – interprétant, à partir des données textuelles des sciences, le sens exprimé d’un « soi naturel » [« physiches Selbst »] dont la dimension « séique » n’est pas épuisée par l’approche mathématique et causale, faisant pourtant état de propriétés résiduelles, à la fois spatiales et temporelles, constatées et décrites mais non complètement « comprises » épistémiquement. C’est de ces propriétés qu’une interprétation de la nature, informée de l’episteme physique, cherche à se saisir et à rendre compte au moyen d’une analogie rigoureuse du jugement, engageant les concepts réflexifs de praxis et de dialectique de la nature : tout soi est une libre praxis.
- 75 J.-C. Gens, « Gadamer et les deux voies de l’herméneutique… », p. 215.
17En reprenant les mots d’une analyse de J.-C. Gens, je pourrais donc dire que « la nature est un des noms de cette altérité : elle nomme quelque chose à quoi nous appartenons et qui excède ou déborde le champ interrogé par une herméneutique comme celle de Gadamer »75. Et pourtant, par rapport aux deux seules lignes d’héritage européen qu’a pleinement interrogées Gadamer jusqu’au bout, celle de la théorie et de la technè, et celle de la liberté et du demos, la troisième ligne d’héritage grec de l’Europe, celle de la praxis et de la phronèsis, aurait pu et sans doute dû le mener à l’interprétation d’un sens de l’étant naturel comme celui, sinon d’un autre « moi » – d’un alter ego ou d’un « Tu » – du moins d’un autre « soi » [Selbst] agissant sur soi et prudemment réglé dans ses limites avec les autres, y compris avec ce soi qui est devenu un « sujet » : l’homme.
Notes
1 H.-G. Gadamer, Das Erbe Europa, Francfort, Suhrkamp Verlag, 1989, littéralement : « L’héritage Europe » ; trad. P. Ivernel, L’héritage de l’Europe, Paris, Payot et Rivages, 1996.
2 H.-G. Gadamer l’a analysé et critiqué dans « Die phänomenologische Bewegung », Neuere Philosophie, Tübingen, J. C. B. Mohr (Gesammelte Werke ; 3), I, 1987, p. 128-136. Nous reviendrons plus bas sur cette analyse critique.
3 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, édition et traduction citées, p. 93.
4 Cf. par exemple la recension des Idées directrices pour une phénoménologie pure par P. Natorp dans Die Geisteswissenschaften [1913], traduction française dans Philosophie, nº 74, 2002.
5 Husserl fut satisfait de la réception positive que Dilthey donna à ses Recherches logiques en saluant le livre comme « la première contribution fondamentalement nouvelle dans la philosophie depuis le temps de Mill et de Comte », d’après K. Schuhmann, Husserl-Chronik, La Haye, Nijhoff (Husserliana Dokumente ; 1), 1977, p. 87. Il consacra un séminaire au deuxième volume des Recherches logiques et entretint dès lors une correspondance avec Husserl (cf. J.-C. Gens, « La correspondance Dilthey-Husserl », Philosophie, nº 46, 1995).
6 Cette critique fondamentale du concept clé mais restreint de l’agir dans la Krisis est développée dans l’article « La science du monde de la vie » [1969], traduit dans H.-G. Gadamer, Langage et Vérité, J.-C. Gens (éd. et trad.), Paris, Gallimard, 1995, p. 216-231.
7 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 93.
8 E. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse [1911], Q. Lauer (trad.), Paris, PUF, 1954, p. 122.
9 Ibid., p. 122-123.
10 E. Husserl, La crise de l’humanité européenne [Vienne, 1935], P. Ricœur (trad.), Paris, Aubier, 1977, p. 103. Cf. aussi le monumental manuscrit de La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale [1936].
11 Ibid., p. 105.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Husserl a en effet prononcé des Cours sur Fichte, de même que des Cours sur l’éthique, au semestre d’été 1903, deux ans après la publication de ses Recherches logiques. Il enseigne un cours sur l’ouvrage de Fichte, Bestimmung des Menschen, repris au semestre d’été de 1915 et en automne 1918, mais il n’y pas là de constitution phénoménologique indépendante et personnelle de l’éthique.
15 Thèse de doctorat soutenue sous la direction du néokantien P. Natorp.
16 Spécialité à laquelle, rappelons-le, n’était nullement formé Heidegger.
17 Habilitation soutenue en 1928 sous la direction de M. Heidegger.
18 Titre du cinquième chapitre de L’héritage de l’Europe, p. 93.
19 Cf. sur cet aspect de la pensée gadamérienne, Gadamer et les Grecs, J.-C. Gens, P. Kontos et P. Rodrigo (éd.), Paris, Vrin, 2004.
20 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 147.
21 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 102.
22 C’est cette rupture qu’analyse Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit, VI. L’Esprit, B. L’esprit étranger à soi ; la culture.
23 H.-G. Gadamer, « Les trois formes de Lumières », in Lumières et romantisme, G. Hottois (éd.), Paris, Vrin, 1989, p. 11-16.
24 Platon et Aristote dans deux registres divers.
25 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 147.
26 Ibid., p. 78.
27 Ibid., « Fin de l’art ? De la théorie hégélienne du caractère révolu de l’art jusqu’à l’anti-art d’aujourd’hui », p. 57.
28 Ibid., p. 73.
29 Ibid.
30 Ibid.
31 Ibid., titre du quatrième développement, p. 75.
32 Ibid., p. 83.
33 Ibid., p. 75
34 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 78.
35 H.-G. Gadamer, Années d’apprentissage philosophique [1977], E. Poulain (éd. et trad.), Paris, Critérion, 1992, p. 168.
36 Ibid., p. 208.
37 Ibid.
38 Ibid., « Les limites de l’expert », p. 133.
39 Ibid., p. 79.
40 J.-C. Gens souligne avec raison que « Gadamer invite à remonter à une expérience herméneutique et donc à un savoir plus originaire que celui des sciences, mais il ne remet pas pour autant en question la dichotomie entre les sciences de l’esprit et celles de la nature » (« Gadamer et les deux voies de l’herméneutique post-diltheyenne », in L’héritage de Hans-Georg Gadamer, G. Deniau et J.-C. Gens (dir.), Paris, Le Cercle herméneutique, 2004, p. 209).
41 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 88.
42 Ibid., p. 90.
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 Ibid., p. 90-91.
47 Ibid.
48 Ibid., dans le chapitre suivant, « Citoyens de deux mondes », p. 105.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Ibid.
53 Ibid.
54 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 105.
55 Ibid., p. 109.
56 H.-G. Gadamer, Années d’apprentissage philosophique, p. 263. L’auteur peut faire allusion ici à « L’entretien avec un philosophe japonais » édité par Heidegger dans Acheminement vers la parole, où il s’agit par exemple de faire se correspondre aistheton et noeton avec Iro et Konou, Paris, Gallimard, 1976, p. 87-140.
57 H.-G. Gadamer, Vérité et méthode, édition intégrale revue et complétée, Paris, Seuil, 1996, p. 401.
58 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 110.
59 Ibid., « La diversité de l’Europe, héritage et avenir », p. 20.
60 Ibid., « Les bases anthropologiques de la liberté humaine », p. 114.
61 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 104.
62 Comme le note J.-C. Gens, « l’absence d’interrogation du concept traditionnel de nature par Gadamer demanderait à être examinée de plus près, par exemple à la lumière de ses interprétations de la troisième Critique de Kant » (L’héritage de Hans-Georg Gadamer, p. 222).
63 E. Kant, Critique de la faculté de juger, § 86, A. Philonenko (trad.), Paris, Vrin, 1968, p. 252.
64 Ibid., § 42, p. 134. Kant fait ici référence au symbolisme éthique inévitablement attaché à certaines formes et activités de la nature.
65 G. W. F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, I, § 55, Remarque, B. Bourgeois (trad.), Paris, Vrin, 1970, p. 317.
66 Ibid. Cf. aussi G. W. F. Hegel, Philosophie de la religion, J. Gibelin (trad.), Paris, Vrin, 1959, I, p. 182.
67 H.-G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 19, souligné par nous.
68 L’œuvre de H. Jonas, en tant que phénoménologie et éthique de la vie, me semble aller plus loin dans cette direction que celle de Gadamer.
69 Comme en témoigne le courant interprétatif de l’« anthropie », tant dans sa version « forte » que dans sa version dite « faible ».
70 J’ai développé cette hypothèse de la praxis d’un soi naturel physique (« phusique ») dans deux de mes ouvrages, La dialectique réflexive. Lignes fondamentales d’une ontologie du soi, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2006, et Être, soi, sens. Les antécédences herméneutiques de la dialectique réflexive, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2008.
71 H.-G. Gadamer, « Der Naturbegriff bei den Griechen und in der modernen Physik », in Colloquium Philosophicum (Annali del Dipartemento di Filosofia, Università degli Studi Roma Tre), Florence, Leo S. Olschki Editore, 1996. Cf. sur cet inaccomplissement d’une herméneutique de la nature chez Gadamer, J.-C. Gens, « L’actualité herméneutique du concept de phusis », in Gadamer et les Grecs, p. 167-185.
72 Nous l’avons tenté dans les ouvrages cités dans une note précédente.
73 En particulier dans son Introduction à la philosophie [1933], Lausanne, Éditions L’Âge d’Homme, 1983, voir notamment « La réciprocité humaine » (être de l’un-pour-l’autre), p. 158-166 et « L’être-l’un-pour-l’autre et la structure du monde », p. 209-210.
74 Cf. notamment, O. F. Bollnow, Das Doppelgesicht der Wahrheit, Stuttgart, Kohlhammer, 1975, et Zwischen Philosophie und Pädagogik, Aix-la-Chapelle, N. F. Weitz, 1988. Cf. sur cette herméneutique J.-C. Gens, « L’idée d’une expérience herméneutique de la nature », in Expérience et herméneutique (Actes de colloque, Nantes, juin 2005), G. Deniau et A. Stanguennec (dir.), Paris, Le Cercle herméneutique (Phéno), 2006, p. 145-161.
75 J.-C. Gens, « Gadamer et les deux voies de l’herméneutique… », p. 215.
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Référence papier
André Stanguennec, « Gadamer et l’héritage grec de l’Europe », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 47 | 2010, 145-164.
Référence électronique
André Stanguennec, « Gadamer et l’héritage grec de l’Europe », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 47 | 2010, mis en ligne le 02 septembre 2020, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1161 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1161
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