La mauvaise conscience de l’Européen. Levinas devant Lévi-Strauss
Texte intégral
À la mémoire de Claude Lévi-Strauss, disparu en cette année 2009.
- 1 E. Levinas, « Entre deux mondes », conférence de 1959, Difficile liberté [1963] [désormais DL], Par (...)
L’athéisme moderne, ce n’est pas la négation de Dieu, c’est l’indifférentisme absolu de Tristes tropiques. Je pense que c’est le livre le plus athée qu’on ait écrit de nos jours, le livre le plus désorienté et le plus désorientant1.
1En se référant à une telle formule, on pourrait croire qu’Emmanuel Levinas, le phénoménologue, n’avait pour Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue, que distance et antipathie. Ces deux philosophes semblent n’avoir rien en commun. Le penseur structuraliste n’a-t-il pas dénoncé de manière acharnée les illusions de la subjectivité alors que Levinas, penseur de l’extériorité pure, retrouve aussi bien le droit et la valeur de la subjectivité et même de l’intériorité ? L’athéisme bien sûr, qui ne signifie pas pour Levinas la non-croyance en Dieu au sens courant (ontologique) mais l’oubli du sens absolu de la responsabilité pour l’autre homme, n’est-il pas également un abîme qui les sépare ? Comment alors le philosophe de la différence comme non-indifférence pourrait-il se sentir quelque proximité avec le relativisme éthique de son contemporain, avec ce qu’il nomme son « indifférentisme » (qui renvoie aux déclarations lévi-straussiennes sur l’absence d’importance de l’éventualité de la disparition de l’espèce humaine mais sans doute aussi au relativisme éthique de l’auteur) ? Le structuralisme lévi-straussien n’est-il pas, à ses yeux, une pensée anonyme, du Neutre, de l’impersonnel, de l’oubli du visage, de la désorientation dans la forêt des significations jamais absolues ?
2Il ne faut nullement en rester là.
3Le relativisme éthique de Lévi-Strauss, son antihumanisme ou indifférentisme, procèdent selon Levinas de la générosité, d’une éthique absolue. Sa critique de l’universalisme est une mauvaise conscience d’Européen.
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4Hors magnum opus, glissées presque « sous le manteau », deux formules de Levinas sur l’Europe :
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- 2 « Quand je dis que l’Europe, c’est la Bible et les Grecs, je ne pense pas uniquemen (...)
- 3 Benny Lévy entend distinguer les termes Europe et Occident dans la pensée (...)
- 4 E. Levinas, Éthique et infini, Paris, Fayard, 1982, p. 126.
- 5 Sur la théologie du Nouveau Testament – et non sur le Nouveau Testament lui-même – (...)
« L’Europe, c’est la Bible et les Grecs », dit – plus que n’écrit – parfois Levinas2. Non pas simplement les Grecs, mais aussi la Bible : un tel énoncé sonne alors inéluctablement comme un correctif – un ajout – apporté à Husserl et à sa célèbre conférence de Vienne de 1935, mais également aux autres penseurs de la tradition phénoménologique qui peuvent ancrer l’esprit européen sur le sol de la philosophie grecque. Cette définition de Levinas, répétée à l’envi, en rivalité avec les penseurs de sa propre tradition, pourrait surtout, d’abord, paraître fort banale tant il est rituel de considérer que la pensée européenne a deux (doubles) sources, gréco-romaine d’un côté, et judéo-chrétienne de l’autre. Mais cette formule n’en ouvre pas moins fort aisément à plusieurs contresens. Tout d’abord, l’antéposition en elle de « la Bible » sur « les Grecs », ne doit pas masquer que, de manière constante dans les textes de Levinas, le pôle grec – celui de la politique, ou d’une certaine politique, et de la connaissance rationnelle ramenant l’Autre au Même – domine ce qui est appelé la pensée occidentale ou européenne, ces deux dernières expressions étant chez lui équivalentes3. Ensuite, avec « les Grecs », il ne s’agit pas de la Grèce comme d’un monde particulier, mais de la capacité propre à cette culture de s’arracher à ses particularismes et à viser l’universel que sont le Vrai et le Juste (politique) ; « la Bible » : non pas, là non plus, un monde particulier, celui des Hébreux, ou des premiers chrétiens, mais ce qu’il a reconnu lui transcender, qui n’est pas tant un Dieu-étant pour Levinas (perspective « économique » récusée comme manquant, par sa dimension théontologique, le sens même du mot Dieu), que le visage et son sens – sens d’une altérité, celle d’autrui, qui ne peut être ramenée au Même, sens éthique d’une responsabilité originairement non choisie et éprouvée dans une pure passivité. Ainsi entendue, « la Bible » peut être dans la Grèce, dans Homère4, et dans « la Grèce », dans Platon qui est à la fois, comme nous le verrons, « grec » et « juif », et alors : ce serait cet helléno-judaïsme qui pourrait bien, d’un point de vue levinasien compliquant l’opposition léostraussienne, s’opposer à un certain romano-christianisme (le christianisme comme théologie du Nouveau Testament qui s’exprime en latin5) et non pas simplement Athènes à Jérusalem.
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- 6 E. Levinas, « Détermination philosophique de l’idée de culture », conférence du con (...)
- 7 E. Levinas, Humanisme de l’autre homme [désormais HAH], Saint-Cléme (...)
- 8 Par exemple, le musée des Mémoires indiennes (La Casa Lonja, Archivos de Indias) de (...)
Mais Levinas parle aussi, dans les années quatre-vingt, de la « mauvaise conscience de l’Europe » ou de l’Européen6. Cette fois, avec la mauvaise conscience qui est la conscience morale elle-même ou la conscience même, c’est le pôle éthique qui se trouve mis en exergue et qui définit à lui seul l’Europe. Cette dernière a ou même est mauvaise conscience, telle serait son essence, qui peut certes s’attester dans les faits mais également être contrefactuelle et recouverte par d’autres strates de significations, d’autres dimensions culturelles ou même essentielles (provenant de son hellénisme) en sorte que l’Europe peut alors connaître une absence à soi qui est une perte de soi, une « Krisis », que Levinas pour sa part précise comme « crise du sens »7. Celle-ci exprime non pas une pénurie de significations mais une pléthore, une surabondance de valeurs, d’orientations possibles qui s’entrechoquent de manière chaotique tant que le sens-un du visage se trouve occulté : telle est la forme moderne de l’athéisme pour Levinas, le relativisme, qui n’est nullement la non-croyance en un Dieu-un-étant ou la croyance en la non-existence de ce Dieu-être, mais le voilement du sens éthique inconditionnel, l’oubli du visage. Toutefois, si cette essence de l’Europe peut être recouverte – songeons notamment au rapport de l’Espagne actuelle à son passé colonisateur en Amérique centrale et du Sud8 –, cette deuxième formule sur la mauvaise conscience essentielle de l’Europe n’en suggère pas moins assez irrépressiblement que la culture européenne aurait, plus que d’autres, non pas certes la capacité de ne pas commettre d’horreurs – elle dispose même de lourds moyens technico-industriels pour ce faire – mais une aptitude propre de s’en repentir, d’en éprouver de la honte, et donc de s’autocritiquer. Contestation alors de l’Europe par elle-même et non pas vraiment au nom de la lumière de la raison, du pôle « Grèce », mais de la conscience éthique, du pôle « Bible ».
- 9 Levinas dénonce « l’impérialisme pris pour universalité » dans le passage d’Entre nous… (...)
5Apparaissent en tout cas diverses tensions avec le discours levinasien sur l’Europe. Tension interne tout d’abord, entre le pôle grec qui entend ramener l’Autre au Même et le pôle Bible qui fait valoir l’altérité irréductible de l’Autre au Même, mais tension aussi – que l’on aperçoit aussitôt – entre ce discours lui-même et ce que l’esprit du temps peut admettre, puisqu’au privilège rationnel qu’Husserl accordait à l’Europe spirituelle, Levinas semble bien ajouter, avec la conscience morale et la honte, un certain privilège moral de l’Europe, allant alors jusqu’à revendiquer, de manière très conséquente, une certaine centralité de l’Europe. De ce point de vue, c’est l’opposition de Levinas à Lévi-Strauss qui doit être instruite. Le discours de ce dernier ayant suffisamment marqué la pensée universitaire (il atteint sans doute l’apogée de son influence dans les années 60-70 en France) comme celle d’un plus large public, et épousant naturellement le relativisme éthique de notre modernité, la contre-position levinasienne semble pour cela, dans la netteté de son énoncé qui fait sa « violence », en porte à faux avec son temps, inactuelle, et sans doute même « politiquement incorrecte », et donc particulièrement irritante, du moins pour une compréhension immédiate et superficielle – alors même qu’elle entendait aussi rendre justice, ce que l’on oublie trop par basse polémique, aux positions du célèbre anthropologue qui lui était contemporain. Car est-il besoin de préciser que Levinas, lui aussi, sait dénoncer le colonialisme ou encore les méfaits – pour lui mésusages idéologiques – de l’universalisme9 ? L’universel est bifrons ou, plutôt, ses usages sont doubles, rappelle l’œuvre, mécontemporaine, de Levinas. En quel sens donc l’eurocentrisme levinasien, s’il en est un, entend-il se légitimer en dépit de la critique lévi-straussienne de l’eurocentrisme ? Il nous faudra comprendre, au minimum, qu’il s’agit chez Levinas d’un eurocentrisme paradoxal. Et si nous parvenions à considérer que la critique lévi-straussienne de l’eurocentrisme est à la fois marquée d’un relativisme éthique, critiqué par Levinas, et en même temps ce qui procède, toujours selon la lecture du phénoménologue, d’une authentique dimension éthique, nous nous approcherions à la fois d’une juste entente de la lecture de Lévi-Strauss par Levinas et d’une juste compréhension de la centralité européenne que ce dernier revendique, à la fois du bout des lèvres – lors d’entretiens – et cependant nettement à qui sait l’entendre. En effet, le geste lévi-straussien de dénonciation des méfaits de l’eurocentrisme – et non le relativisme moral qui l’accompagne – constitue justement une mauvaise conscience d’Européen expressive, selon Levinas, de l’Europe elle-même et de sa centralité ouverte : la critique de l’eurocentrisme s’autoréfute ainsi dès qu’elle s’énonce, tel est le paradoxe non ignoré par Lévi-Strauss mais thématisé par Levinas, qui ouvre, chez ce dernier, à une conception elle-même paradoxale de la particularité de l’Europe et à un paradoxal eurocentrisme que l’on ne saurait confondre, sinon de mauvaise foi ou par la mise en œuvre d’une abyssale herméneutique du soupçon, avec un eurocentrisme naïf ou idéologique.
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6En 1986, Levinas écrit :
- 10 Ibid., p. 211.
L’Europe a mauvaise conscience et se conteste jusqu’à mettre en question sa centralité et l’excellence de sa logique, jusqu’à exalter – aux sommets de ses universités – des pensées qui autrefois passaient pour primitives sinon pour sauvages10.
7Lors d’un entretien avec François Poirié, la même année, il commente :
- 11 F. Poirié, FP, p. 114.
L’Européen, je ne sais pas si c’est très populaire de dire cela, pour moi l’homme européen est central, malgré tout ce qui nous est arrivé en ce siècle, malgré la « Pensée sauvage » […]. La « Pensée sauvage », c’est une pensée qu’un Européen a su découvrir, ce ne sont pas les penseurs sauvages qui ont retrouvé notre pensée11.
- 12 Lévi-Strauss conteste bien sûr avant tout l’universalisme éthique, par exemple celui de (...)
8Se trouve ici « lâché » le terme de centralité pour définir l’Europe et, avec lui, implicitement reconnu un certain eurocentrisme : option opposée à celle de Lévi-Strauss sans nul doute visé comme l’un de ceux ayant décrit la pensée dite sauvage et ayant condamné l’eurocentrisme et le colonialisme, conséquences selon lui de l’universalisme12. Si l’on accorde à Levinas d’avoir intégré cette critique, et de ne pas se situer en deçà d’elle, quel est alors le sens de son assomption malgré tout de l’eurocentrisme ? Le phénoménologue n’aurait-il pu, en effet, réévaluer l’universalisme, montrant que l’universel ne saurait être réduit à sa face négative et idéologique (à visée dominatrice), critiquant sur ce point l’anthropologue, mais sans assumer pour autant un eurocentrisme si déconsidéré et pour tout dire irritant pour ses contemporains ? La formule levinasienne donnée à François Poirié laisse entendre que la mise en cause par l’Europe de sa centralité dans l’anthropologie de l’époque est corrélative d’une ouverture faite de curiosité à l’égard de son altérité, ouverture curieuse en cela qu’elle ne saurait être réduite à une visée dominatrice : la mise en cause – en Lévi-Strauss – par l’Europe de sa prétendue centralité serait alors, finalement, telle serait la clé, sa centralité même, d’une nouvelle forme toutefois, ni fermée sur soi – puisque curieuse de l’Autre – ni ouverte pour régner – non dominatrice – ni… ni… sur lequel nous aurons à revenir, centralité inclusive plus qu’exclusive. Levinas devine ici, mais sans l’expliciter car elle va pour lui de soi, une contradiction performative chez Lévi-Strauss. Précisons-la.
- 13 C. Lévi-Strauss, « Race et histoire » [1952], Anthropologie structurale deux, Paris, Pl (...)
- 14 À ceux qui reprochent à l’ethnologie d’avoir partie liée avec le colonialisme, Lévi-Str (...)
- 15 Si Lévi-Strauss est naturaliste au sens où les diverses cultures sont pour lui des part (...)
9Si dans l’ordre de ce que l’on nomme, avec l’anthropologie, la « clôture ethnocentrique », le barbare, c’est l’étranger, l’autre, du point de vue de cet autre maintenant, c’est le premier qui est autre, étranger et barbare : la notion de barbarie n’a donc aucune absoluité selon cette approche : elle s’est évanouie, évaporée. Selon cette première perspective, le barbare est l’autre et c’est celui qui le dit, de son point de vue bien sûr, qui ne l’est pas, mais l’on peut changer de point de vue en un va-et-vient infini. Pour redonner alors consistance à la notion de barbarie, et afin d’empêcher sa dissolution relativiste pure et simple, Lévi-Strauss écrit la formule sans doute la plus célèbre de tout son corpus : « le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie »13, autrement dit : le barbare n’est pas l’autre mais celui qui dit que le barbare est l’autre et, cette fois, c’est celui qui le dit, du point de vue de l’anthropologue, qui l’est car, le disant, il infériorise l’autre, s’apprête à le coloniser, le civiliser, le cultiver, s’autorise pour ce faire à l’acculturer et, s’il résiste, à le tuer. Mais les difficultés de cette position sont les suivantes : outre que la perspective lévi-straussienne rend impossible la condamnation d’une pratique culturelle chez d’autres peuples, une telle condamnation étant aussitôt lue comme barbare – ce pourquoi la formule qui vise à redonner consistance à la notion de barbarie finit par constituer le slogan même du relativisme –, cette perspective repose de surcroît sur la contradiction performative qui consiste, alors que l’on dénonce la barbarie de la phraséologie universaliste-eurocentriste débouchant sur la domination des autres cultures, à être soi-même un Européen qui s’ouvre, mais sur un mode d’intérêt pur et non de domination, à d’autres cultures que la sienne, lesquelles, qui plus est, sont autocentrées. Si l’on veut, il y a au moins une ouverture non dominatrice et européenne sur l’altérité, c’est l’anthropologie, dont celle de Lévi-Strauss, lequel avait parfaitement conscience de cette contradiction performative lorsqu’il disait que l’anthropologie « sauvait », en quelque sorte bien sûr, l’Europe des abominations qu’elle avait commises à l’égard de son « altérité »14. Allons même un pas plus loin, mais sous forme d’hypothèse : peut-être Lévi-Strauss avait-il conscience non seulement de cette contradiction performative dont il s’accommodait, mais aussi que, s’il avait déplacé l’inflexion, il n’aurait de toute façon pas échappé au paradoxe : s’il avait en effet changé son fusil d’épaule et considéré que l’Europe est ouverture non dominatrice aux autres cultures – ainsi Hérodote dans l’Antiquité grecque, Montaigne au XVIe siècle, les philosophes des Lumières au XVIIIe siècle, l’anthropologie (lui-même !) au XXe siècle –, cultures jugées égales et également dignes d’intérêt, il n’aurait pu éviter de considérer que la culture affirmant l’égalité de toutes les cultures est supérieure à celles, autocentrées, qui ne l’affirment pas. Aurait-il pu s’empêcher d’affirmer la supériorité, elle-même paradoxale, de la culture qui justement ne s’octroie pas de supériorité et qui incarne finalement plus que d’autres la valeur de l’égalité ? N’est-ce pas au fond cette deuxième posture paradoxale qu’assume une partie de la tradition phénoménologique en estimant que nous comprenons certes au sein d’un monde particulier, avec les évidences qui lui sont liées, mais que nous pouvons aussi, en certaines expériences, nous déprendre de ce particulier et accéder à l’universel, possibilité d’arrachement qui est considérée, d’un côté, comme humaine, réalisable en principe par tous, mais dont il est aussi affirmé, d’un autre côté, que certaines cultures peuvent davantage la réaliser, la favoriser comme leur fond propre, en sorte qu’elles sont alors supérieures par leur particularité qui consiste non à cultiver les particularismes mais l’universel ? Europe n’est-il pas le nom donné à cette culture particulière qui cultive le non particulier – le Vrai, le Juste, le Bien absolus ? Si telle est bien l’attitude qui sous-tend chez Husserl ou Levinas l’usage du nom Europe et qui ouvre la perspective d’un eurocentrisme, ce dernier, qu’il faut s’empresser de qualifier de paradoxal, n’a alors rien à voir avec un ethnocentrisme ou encore avec un eurocentrisme idéologique arrogant visant la justification de la domination des autres cultures par l’européenne mais constitue une position qui permet autant l’autocritique que l’hétéro-critique – alors que Lévi-Strauss, condamnant toute hétéro-critique comme barbare, rend impossible la critique de la barbarie de l’autre (comme si, au fond, elle n’existait pas ou ne pouvait pas exister) et oublie, d’un point de vue levinasien, la responsabilité devant le visage – autrui – qui vaut par lui-même et non en tant qu’élément d’un tout ou représentant d’une culture particulière. Lévi-Strauss, avec son culturalisme15 et le principe de l’égalité de toutes les cultures, ne sort pas entièrement du relativisme éthique, mettant en œuvre à la fois un principe éthique absolu, qui se traduit en révolte contre le colonialisme, et un relativisme éthique.
- 16 E. Levinas, HAH, p. 34.
L’ethnographie la plus récente, la plus audacieuse et la plus influente, maintient sur le même plan les cultures multiples. L’œuvre politique de la décolonisation se trouve ainsi rattachée à une ontologie – à une pensée de l’être, interprétée à partir de la signification culturelle, multiple et équivoque. Et cette multivocité des sens de l’être – cette essentielle désorientation – est, peut-être, la forme moderne de l’athéisme16.
- 17 Voir Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « Tolérance ».
- 18 Voir Léo Strauss qui montre, dans Droit naturel et histoire, la contradiction du princi (...)
10L’ethnographie la « plus récente », la « plus influente », qui accompagne « l’œuvre politique de la décolonisation » – comment ne pas voir ici une allusion à l’œuvre de Lévi-Strauss ? – est animée, selon Levinas, d’un principe éthique absolu, celui dont s’est emparée notre modernité, l’Égalité, mais n’en est pas moins enfoncée dans le relativisme éthique, lui-même si présent dans la pensée du XXe siècle, qui est la forme moderne de l’athéisme. Lévi-Strauss est alors, aux yeux de Levinas, athée : non pas simplement parce qu’il ne croit pas en un Dieu-étant Seigneur du réel – cela est entendu et Levinas n’y croit pas davantage que lui –, mais est athée au sens où sa pensée est marquée par l’oubli du visage et du sens unique qui transcende les significations culturelles particulières. Or, l’inconvénient du relativisme éthique, c’est qu’il peut certes engendrer une attitude de tolérance – l’impossibilité de fonder une valeur éthique absolue ouvrant alors au respect de toutes les valeurs jugées également dignes17 – mais aussi un simple rapport de forces où chaque camp cherche à faire triompher ses principes qui ne parviennent pas à trouver d’autre forme de fondation18 : c’est la « guerre des dieux » dont parlait Max Weber qui entendait par là une guerre des systèmes de valeur quand ceux-ci ne relèvent plus d’autre chose que d’une décision pure, non rationalisable. Mais encore faut-il maintenant se demander pourquoi le refus d’un sens éthique absolu, l’assomption du relativisme éthique, ouvre chez Lévi-Strauss non pas à la guerre des systèmes de valeur, jusqu’à éventuellement la justification de la force, mais à la tolérance. Cette dernière ne serait-elle pas au fond présupposée, toujours déjà admise par lui ? N’y aurait-il pas, chez l’anthropologue, une reconnaissance d’un sens éthique absolu qui précède ou surmonte son relativisme axiologique ? Un principe de générosité, d’ouverture, avant toute considération autre, et qui se trouve soustrait à la discussion, n’est-il pas secrètement introduit en sa pensée sans justification ? La réponse levinasienne est affirmative : si le platonisme – revendiqué par Levinas – est ouverture à un monde de significations qui transcendent les significations particulières, relatives, culturelles, ouverture à un monde absolu d’idéalités et de valeurs « en soi », il se trouve vaincu au XXe siècle par le relativisme culturel qui dénonce ses dangers, reconnus par Levinas ; toutefois, ce relativisme culturel, aux yeux du phénoménologue, se trouve lui-même animé, du moins dans l’anthropologie dominante, d’une dimension absolue de générosité, en sorte que c’est l’Europe qui alors, en elle, par son anthropologie, en Lévi-Strauss, s’autocritique, et que c’est encore le platonisme qui triomphe du platonisme :
- 19 E. Levinas, HAH, p. 31.
Il existerait, pour Platon, une culture privilégiée qui s’en approche [du monde des significations idéales] et qui est capable de comprendre le caractère provisoire et comme enfantin des cultures historiques ; il existerait une culture qui consisterait à déprécier les cultures purement historiques et à coloniser en quelque façon le monde, à commencer par le pays où surgit cette culture révolutionnaire, cette philosophie dépassant les cultures19.
- 20 Ibid., p. 55.
- 21 Ibid.
11La philosophie accède à elle-même en se dégageant de la culture d’où elle émerge, s’apprêtant à coloniser les cultures particulières et d’abord celle-là même où elle a pris naissance. Colonisation des autres cultures par la philosophie, cela consiste à « libérer la vérité de ses présupposés culturels » pour la contempler pure, attitude qui « n’est pas sans danger », estime Levinas20 qui ajoute que l’émancipation des esprits peut « fournir prétexte à l’exploitation et la violence »21. Mais, ajoute-t-il alors aussitôt, si le platonisme est vaincu,
- 22 Ibid.
il est vaincu au nom de la générosité même de la pensée occidentale qui, apercevant l’homme abstrait dans les hommes, a proclamé la valeur absolue de la personne et a englobé dans le respect qu’elle lui porte jusqu’aux cultures où ces personnes se tiennent et où elles s’expriment. Le platonisme est vaincu grâce aux moyens mêmes qu’a fournis la pensée universelle issue de Platon, cette décriée civilisation occidentale et qui a su comprendre les cultures particulières, lesquelles n’ont jamais rien compris à elles-mêmes22.
- 23 Pour Nietzsche, le christianisme, platonisme populaire, valorisation de l’intelligible (...)
12Autrement dit : l’universel émerge à lui-même en se dégageant d’une culture particulière qui le porte davantage que d’autres, qui se laisse aussi bien cultiver par lui qu’elle le cultive, en prend soin, culture particulière qui cultive également d’autres cultures au nom de l’universel, les cultive-colonise en les menant – ou prétendant les mener – à l’universel, ce qui n’est point sans danger. L’expérience historique nous apprenant la réalité de ce danger, ses diverses formes, l’universel est alors condamné au nom de la générosité, qui se veut absolue, non discutable, et qui est donc elle-même une forme d’universel, de platonisme. La critique du particulier par l’universel se mue ainsi, dans l’anthropologie du XXe siècle, en une critique de l’universel au nom du particulier, laquelle ne saurait provenir, dans l’interprétation de Levinas, du pur particulier ou d’un pur particularisme mais bien d’une générosité absolue : la générosité pour l’autre culture particulière a pour origine essentielle une responsabilité pour le visage. La responsabilité devant autrui et pour autrui, pour l’homme singulier, se dilate donc en attention et générosité pour l’autre culture, ce qui fait qu’en cette ouverture aux autres cultures particulières l’universalisme – le platonisme – est encore vaincu par l’universalisme. Et cette réorientation de l’absolu, de la générosité, des individus vers les ensembles, est caractéristique de l’anthropologie moderne qui cherche à comprendre les particularités culturelles qui ne se comprennent finalement pas elles-mêmes dans la mesure où ces dernières restent prises dans la clôture ethnocentrique : non pas qu’elles n’aient alors aucune compréhension d’elles-mêmes bien entendu mais, en tant qu’autocentrées, elles n’ont tout au contraire qu’une compréhension d’elles-mêmes – évidente, immédiate, « naturelle » – compréhension d’elles-mêmes alors à partir d’elles-mêmes, en sorte qu’elles ne se comprennent pas comme particulières. Le platonisme s’est vaincu lui-même, explique Levinas en reprenant un thème nietzschéen qu’il retourne contre Nietzsche : ce dernier voyait le platonisme-christianisme se retourner contre lui-même23, mais sans porter l’insistance, comme le fait après lui Levinas, sur le fait que c’est encore le platonisme qui est sujet, et pas seulement objet, de ce retournement, qu’il reste donc une réalité agissante – effective au sens hégélien d’à l’œuvre [wirklich] – dans ce retournement, et pas simplement sa victime. Ce platonisme est ici métonymique de la civilisation occidentale « tant décriée », précise Levinas, qui cherche alors à la réévaluer, déjà parce qu’elle est justement capable, par son platonisme, par sa culture de l’universel, de cette autocritique.
13Dans le texte que nous venons de citer d’Humanisme de l’autre homme, le platonisme semble à lui seul, bien étrangement, le propre de l’Europe, alors que l’Europe est par ailleurs dite « la Bible et les Grecs » par Levinas, ou encore « mauvaise conscience », et donc cette fois « la Bible » seule. Il faut bien sûr comprendre que « la Bible », en tant qu’universel éthique, n’est pas seulement dans la Bible, elle est dans la Grèce, ou réciproquement que « la Grèce » est aussi « la Bible », selon des insistances différentes. Le platonisme grec est souci de l’universel : du Vrai (qui s’impose à celui qui admet le dialogue mais sans que l’on puisse par le dialogue persuader celui qui s’y refuse à y entrer, comme le dit Platon et y insiste Levinas), du Juste (politique) – le Même ici domine l’Autre – tandis que le platonisme juif est souci du Bien (éthique) : Platon envisage un επεκεινα της ουσιας, un « au-delà de l’essence » que Levinas interprète comme une dimension non thématisable pour la conscience qui ne peut que le recevoir dans une passivité pure, d’où le sens pour lui éthique de cet au-delà de l’Idée qui est un éclair de transcendance ou d’altérité dans l’horizon grec d’immanence. Le platonisme vu par Levinas est à la fois grec et juif et, à ce double titre, critique du particularisme. Dans l’anthropologie moderne, c’est alors le Platon juif, la générosité, qui anime la critique de l’universalisme, lequel a connu des versions négatives, criminelles à l’égard des cultures particulières dénigrées et colonisées. Un platonisme, une éthique absolue, anime ainsi encore Lévi-Strauss qui revendique certes l’universalité de certaines structures anthropologiques, mais qui refuse pourtant essentiellement l’universalisme éthique. Mais sa pensée, mauvaise conscience d’Européen, n’en exprime pas moins implicitement, selon Levinas, une générosité absolue et donc ce retournement de l’universel par lui-même.
14Demeure toutefois encore un dernier retournement, que considère Levinas, et qui l’éloigne cette fois de Lévi-Strauss. Car si avec l’anthropologie moderne l’universel a critiqué l’universel, et ses dangers, ce mouvement de la modernité, en débouchant sur le culturalisme, n’est pas lui-même sans produire un danger propre. Quel est-il ?
- 24 E. Levinas, HAH, p. 55-56.
La sarabande des cultures innombrables et équivalentes, chacune se justifiant dans son propre contexte, crée un monde, certes dés-occidentalisé, mais aussi un monde désorienté. Apercevoir à la signification une situation qui précède la culture, apercevoir le langage à partir de la révélation de l’Autre, – qui est en même temps la naissance de la morale – dans le regard de l’homme visant un homme précisément comme abstrait, dégagé de toute culture, dans la nudité de son visage – c’est revenir d’une façon nouvelle au platonisme24.
- 25 Le « culturalisme » comme culte du particularisme : il ne s’agit pas seulement d’un jeu (...)
- 26 Ce sont ceux auxquels il s’intéresse le plus : « Je défends donc ces petits peuples qui (...)
- 27 E. Levinas, DL, p. 279-280.
- 28 Je me permets de renvoyer, sur cette approche levinasienne du catholicisme, de la théol (...)
15Autrement dit : la critique de l’universel, de l’Europe, au nom de ses méfaits crée un monde « dés-occidentalisé », nihiliste, pour lequel aucun sens n’est plus orientant, monde alors désorienté autant que désoccidentalisé, monde en crise. Le culturalisme lévi-straussien est – ou tend inéluctablement vers – un culte du particularisme25 qui occulte le singulier, l’autre dans son abstraction, le visage dans sa nudité. La nudité phénoménologiquement entendue d’autrui signifie son découvrement, par un effort d’abstraction, des catégories mondaines, naturelles ou sociales qui, de prime abord projetées sur lui, nous le font manquer comme autrui. Voir autrui comme tel ou le visage comme visage, c’est accéder, par réduction de tout éclairage culturel, mondain, au sens pur de sa « manifestation », sens d’un effort d’être, d’une faiblesse, d’un appel, d’un ordre qui résonne en moi comme responsabilité irrécusable et incessible. Le danger du culturalisme est alors de faire valoir chaque culture avant chaque homme singulier, chaque tradition avant chaque individu. Ainsi, au nom des traditions, et de l’antiracisme bien sûr, comme le cannibalisme n’est plus à l’ordre du jour, on entend toujours dans les prétoires des avocats prendre la défense des exciseurs et des exciseuses. Le culturalisme, issu de la générosité absolue, issu du platonisme, élargit son souci de l’autre jusqu’aux ensembles, jusqu’aux autres particuliers, mais risque de perdre le souci des autres singuliers, uniques, signifiant par eux-mêmes, κατ αυτο, dit fréquemment Levinas à la manière de Platon. D’où le retour levinasien au platonisme, puisqu’aussi bien sa contestation culturaliste en provenait et qu’il restait vivant, souterrainement agissant dans sa disparition même : il faut juste souffler sur les braises non complètement éteintes. Lévi-Strauss qui récuse la philosophie de l’histoire hégélienne en tant qu’elle hiérarchise les cultures au sein d’un processus orienté, et orienté vers l’Occident, ne constitue pas pour autant une philosophie plus à même que celle de Hegel, selon Levinas, de juger l’histoire à partir d’une valeur absolue supra historique. C’est qu’il refuse certes une philosophie de l’histoire de l’humanité, laquelle hiérarchise les peuples et nie leur égalité, mais accepte encore et toujours l’histoire, celle propre à chaque peuple (même si certains semblent statiques26), qui façonne sa manière d’être, comme absolu : « À côté de son interprétation hégélienne et marxiste où elle apparaît dirigée inéluctablement vers un but, il existe une interprétation d’après laquelle elle n’irait nulle part : toutes les civilisations se vaudraient », écrit Levinas visant Lévi-Strauss27. Si le relativisme peut déboucher sur le choix voltairien pour la tolérance de Lévi-Strauss, rien n’empêche plus ce choix en principe, même si cela ne s’est pas avéré en fait chez l’anthropologue, de se retourner contre la générosité qui l’a animé, d’où l’intérêt de trouver à sa source un sens éthique absolu, comme le fait le phénoménologue. Au fond, ce qui alors distancie infiniment Levinas de Lévi-Strauss, c’est le judaïsme lui-même, s’il est entendu (on sent l’influence de Rosenzweig) comme scission par rapport à l’histoire, scission qui n’est pas sans lien, écart qui n’est pas indifférentisme, capacité alors de la juger, témoignage du visage. Entendu en ce sens levinasien, le judaïsme de Lévi-Strauss lui permet seulement de juger la Weltgeschichte kantienne ou hégélienne – son cri pour l’égalité est bien une générosité qui vient du sens pur du visage – mais non de se dégager d’elle complètement – ce qui peut aussi faire perdre le sens du visage. Lévi-Strauss serait alors, dans le vocabulaire du phénoménologue, bien plutôt « catholique », si ce dernier terme désigne chez lui une attention, qui risque de devenir fascination, au monde, aux contextes culturels traversés (καθ ολος) par la parole biblique. Au reste, si l’Europe est, pour Levinas, « la Bible et les Grecs », la « Bible » n’est certes pas seulement, à ses yeux, l’Ancien Testament mais aussi le Nouveau, ainsi qu’il le dit, mais non la théologie du Nouveau Testament, laquelle, typologique, pense en termes de figures, et oublie, par englobement, les personnes ; elle n’est pas non plus le « catholicisme », qui pourtant en provient, car le risque de sa mission, par sa dimension adaptatrice qui est soucieuse des particularités, est de perdre sa provenance, le visage, le souci des singuliers, là aussi de les « englober »28.
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- 29 La crise de l’esprit est composée de deux lettres parues en 1918 et 1919 dans une revue (...)
- 30 P. Valéry, Œuvres, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1957, t. I, p. 995.
- 31 Il y a d’abord une conférence, donnée à Turin en 1990, puis publiée l’année suivante da (...)
16Même s’il s’agit de conclure, il n’est certes guère levinasien, c’est le moins que l’on puisse dire, de remonter du platonisme jusqu’au mythe : autorisons-nous donc une brève entorse à son état d’esprit – que nous visons modestement ici à expliciter – ne serait-ce que pour poursuivre notre hommage à Lévi-Strauss, grand analyste de mythes. Cet eurocentrisme paradoxal envisagé par le phénoménologue, le mythe ne le disait-il pas, en effet, avant la philosophie ? Il narrait qu’Eurôpè, fille d’un Seigneur d’Asie mineure, fut enlevée par Zeus. Ce dernier ainsi la dépaysa, l’arracha à son lieu de naissance, puis l’amena en Crète pour s’unir à elle. Eurôpè engendra des enfants qui furent les premiers Européens, certes nés d’une femme d’Asie, mais après un rapt, une rupture, un arrachement aux siens. Europe est donc déjà ici, avant la phénoménologie, le nom d’une déprise à l’égard des évidences de son monde propre. Et quand Paul Valéry écrivit son opuscule si décrié, La crise de l’esprit29, n’était-il pas lui aussi encore l’héritier de cette conception ? Nous y trouvons, en effet, la célèbre formule sur l’Europe comme « petit cap du continent asiatique »30, abondamment commentée par Jacques Derrida dans L’autre cap31. Mais si ce dernier signale bien que « cap » vient de caput, capitis, la tête, le chef, d’où le « capitaine » – celui qui donne les ordres, domine –, et aussi l’extrême, le bout, le but – ainsi la fin, l’eskhaton –, il n’oublie rien moins en cette déconstruction que l’attitude phénoménologique de Valéry. Car, si l’on fait un instant abstraction du contexte de la formule, de l’ensemble des deux lettres fort marqué par l’époque, il apparaît que la formule elle-même, qui présente l’Europe dans un continuum spatial avec l’Asie, présuppose un geste intellectuel mais d’abord corporel d’arrachement avec une vision eurocentrée, tant il faut se déprendre du regard de l’Europe à partir d’elle-même, élever la tête puis élargir le regard – prendre de la hauteur par rapport à la carte de géographie, geste culturel et physique – pour ne voir en elle qu’un petit cap d’un ensemble plus vaste, bref la tête d’un corps, démesurément plus grand qu’elle, et en lui noyée. Alors que Derrida lisait la formule inversement, en insistant sur la tête en tant que tête du corps, et donc sur sa capacité de commander et, finalement, même si elle est bout, sur sa centralité dominatrice, il y avait au moins une autre possibilité de lecture que la derridienne dénonçant l’idéologie dominatrice sous-jacente à la formule, une lecture plus « naïve » de l’Europe comme tête du corps asiatique, où le génitif est bien plus subjectif qu’objectif. « Naïve » veut dire ici non pas irréfléchie, ignorant la dimension ou possible dimension idéologique du discours valéryen mais qui, la sachant, ne veut pas réduire ce discours à cette dimension connue, ressassée de manière lancinante et, pour parler comme Derrida mais contre lui, épuisée et épuisante (si tant est que la fatigue puisse être un critère épistémologique pertinent…).
- 32 « Y a-t-il donc un “aujourd’hui” tout neuf de l’Europe au-delà de tous les programmes é (...)
- 33 J.-M. Salanskis nous apprend, dans un livre dernièrement paru (Derrida, Paris, Les Bell (...)
17Car l’attitude de Derrida par rapport à l’Europe, plus précisément, récuse explicitement l’alternative de l’eurocentrisme et de l’antieurocentrisme comme usée et usante32. On peut alors avoir le sentiment que la mise en œuvre de sa démarche de déconstruction ne débouche sur aucun discours affirmatif, et constitue davantage une posture qu’elle n’ouvre à une position – posture de la non-posture en quelque sorte. Mais si l’on cherchait à remplir ce résultat apparemment négatif de ce que la démarche comporte d’inavoué, il faudrait dire, sans doute, qu’il n’y a en elle non pas une récusation de l’alternative de l’eurocentrisme et de l’antieurocentrisme mais de l’européisme lui-même, l’Europe que Derrida perçoit, et celle qu’il voit advenir, étant une Europe capitaliste qu’il rejette (tout en soutenant, comme on sait, la dissidence tchèque sous le régime communiste et étant même arrêté à Prague alors qu’il donnait des séminaires clandestins)33. On pourrait pour cette raison se demander si une telle récusation de l’alternative de l’eurocentrisme et de l’antieurocentrisme n’est pas alors bien plutôt levinasienne que derridienne. N’est-ce pas en effet ce ni… ni…, ainsi que nous l’avons déjà suggéré, qui détermine la paradoxalité de l’Europe telle que le grand phénoménologue l’entend ? Car la centralité qu’il revendique, assume en la nommant, n’est ni celle d’un centre s’ouvrant sur le mode de la domination ni celle d’un centre fermé sur lui-même, d’où il découle que l’eurocentrisme paradoxal qui caractérise, selon nous, sa position constitue à la fois une récusation de l’eurocentrisme idéologique, qui se sert – mésuse, abuse – de l’universel comme un prétexte afin de justifier les visées de domination (politico-économique), mais aussi une récusation de l’antieurocentrisme qui, tout à l’inverse, prenant prétexte cette fois des mésusages de l’universel, le dénonce purement et simplement. Levinas assume la contradiction qui consiste à affirmer l’excellence de la civilisation qui affirme l’égalité de toutes, s’ouvre à toutes et dénonce en elles toutes la négation du visage, à la fois contre la contradiction de la position lévi-straussienne et l’intenable non-position derridienne qui ne peut finalement assumer de refuser les contradictions précédentes que parce qu’elle est sans doute animée d’un refus de l’Europe qui se fait jour au nom d’un idéal communiste. Lire cette position lévinasienne comme un retour en deçà de la leçon de Lévi-Strauss, une justification du colonialisme, est pure calomnie, et en deçà de la leçon de la déconstruction derridienne, est la naïveté même du soupçon.
18Il nous faut alors terminer notre propos en soulignant encore que si l’opposition de Lévi-Strauss aux philosophies de l’universel, de l’histoire, de l’Europe, est bien frontale, l’opposition de Levinas à Lévi-Strauss, quant à elle, loin d’être violente, consiste à la « déconstruire » en devinant une générosité absolue à sa racine. Elle consiste aussi à la prendre au mot, à la pousser dialectiquement jusqu’à la conséquence à laquelle elle mène et qui l’expose au danger d’oublier le visage dont elle provient. Le particularisme n’est ni à rejeter, ce que nous apprend Lévi-Strauss contre l’idéologie du métissage culturel, ni à valoriser pour lui-même sans souci de l’universel, car alors c’est aussi bien autrui dans sa singularité qui risque d’être lésé, ainsi que nous l’apprend Levinas dans l’écart qu’il adopte par rapport à l’anthropologue. Leçon, aussi bien, dont doivent se souvenir tous les déconstructeurs de cette paradoxalité de l’Europe. Lévi-Strauss nous est indispensable. Levinas nous manque déjà.
Notes
1 E. Levinas, « Entre deux mondes », conférence de 1959, Difficile liberté [1963] [désormais DL], Paris, Albin Michel, 1976, p. 280.
2 « Quand je dis que l’Europe, c’est la Bible et les Grecs, je ne pense pas uniquement à la Bible juive, mais aussi à la Bible telle qu’elle a été connue et répandue par le christianisme », mais « tout se trouve déjà dans la Bible juive » (« Entretien avec Élisabeth Weber », in É. Weber, Questions au judaïsme, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p. 149) ; « Je dis toujours – mais sous le manteau – que la seule chose sérieuse dans l’humain sont les Grecs et la Bible ; tout le reste est danse » (« Intention, Ereignis und der Andere », Gespräch zwischen E. Levinas und Ch. v. Wolzogen, in E. Levinas, Humanismus des anderen Menschen, L. Wenzler (éd. et trad.), Hambourg, Felix Meiner (Philosophische Bibliothek), 2005, p. 140. Cet entretien de Levinas a été donné par lui en allemand).
3 Benny Lévy entend distinguer les termes Europe et Occident dans la pensée du phénoménologue français en forçant son texte de la manière suivante : l’Occident ne serait chez Levinas qu’une pensée du Même oubliant l’Autre et le judaïsme serait porteur à lui seul du sens de l’altérité dont l’Occident serait dépourvu. Approche (plus ou moins volontairement) fausse, déjà parce que la philosophie occidentale ou européenne, pour Levinas, comporte de nombreuses percées vers le sens de l’altérité mentionnées de façon récurrente tout au long de l’œuvre. Approche qui bute alors sur les formules levinasiennes élogieuses sur l’Europe : B. Lévy trouve la solution en opérant une distinction entre le mauvais Occident et la bonne Europe, ce qui ne cadre guère avec le texte levinasien. Voir mon article : « Levinas et l’universalisme. Premiers éléments d’une critique de la lecture de Benny Lévy », Revue philosophique de Louvain, vol. 103, no 4, 2005, p. 587-612.
4 E. Levinas, Éthique et infini, Paris, Fayard, 1982, p. 126.
5 Sur la théologie du Nouveau Testament – et non sur le Nouveau Testament lui-même – voir p. 127, note 27.
6 E. Levinas, « Détermination philosophique de l’idée de culture », conférence du congrès de Montréal de 1983, publiée dans les Actes du congrès en 1986, puis reprise dans Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre [désormais EN], Paris, Grasset, 1991, p. 211 ; « Paix et proximité », article de 1984 repris dans Altérité et transcendance, Saint-Clément-de-Rivière, Fata Morgana, 1995 ; « Entretiens avec François Poirié », in F. Poirié, Emmanuel Levinas, qui êtes-vous ? [désormais FP], Lyon, La Manufacture, 1987 ; « La cattiva coscienza dell’Europa », entretien avec Renato Parascandolo pour la Rai Educational (www.educational.rai.it), 1988 – cet entretien a bien été donné initialement en français, voir : http://www.levinas.fr/levinas_Mauvaise_Conscience_Europe.rm.
7 E. Levinas, Humanisme de l’autre homme [désormais HAH], Saint-Clément-de-Rivière, Fata Morgana, 1972, p. 38 : si la crise du sens se trouve parfois reliée par ses contemporains à la crise du monothéisme entendu comme croyance en un Dieu un et étant, Levinas entend relier cette crise à la crise du monothéisme entendu en un tout autre sens, au sens où le mot Dieu exprime non pas un Être un, ni l’être en quelque manière, mais ce qui sera nommé plus tard l’« autrement qu’être », l’« ouverture de l’ouverture » – ouverture non ouverte volontairement mais toujours déjà ouverte devant autrui, et donc une « passivité plus passive que toute passivité » : la « crise du sens » est, chez Levinas, la perte du sens du visage, d’une responsabilité non choisie, perte du « sens unique », l’unicité du Sens (ma responsabilité) s’explicitant elle-même doublement, venant d’une part de son hétérogénéité par rapport aux significations culturelles, unicité de son absoluité par rapport à la relativité de ces dernières, mais aussi d’autre part de ce que le sens éthique oriente à contre-sens de l’être, constitue l’inversion de son énergie, du conatus, indiquant alors une ouverture dont la réciprocité n’est pas dans la visée voire, selon les formules les plus radicales de Levinas, qui exige la non-réciprocité : l’œuvre exige « une ingratitude de l’Autre » (ibid., p. 41). Il ne s’agit pourtant nullement, chez Levinas, de condamner l’être ou la vie, mais de limiter sa perspective par la dimension éthique.
8 Par exemple, le musée des Mémoires indiennes (La Casa Lonja, Archivos de Indias) de Séville ressemble bien plus au musée de l’oubli des massacres perpétués. La fascination pour Cortés et les vainqueurs ne s’y accompagne guère d’autocritique, ce qui trouve selon moi à s’expliquer par le côté très récent de la démocratie, et d’une culture démocratique, en Espagne.
9 Levinas dénonce « l’impérialisme pris pour universalité » dans le passage d’Entre nous… déjà cité (EN, p. 211).
10 Ibid., p. 211.
11 F. Poirié, FP, p. 114.
12 Lévi-Strauss conteste bien sûr avant tout l’universalisme éthique, par exemple celui de la Critique de la raison pratique, et ne refuse pas tout universel : ainsi dans Les structures élémentaires de la parenté, il accorde à la prohibition de l’inceste le statut d’universel par excellence. De même, dans Mythologiques, il différencie la poésie, discours qui ne peut être traduit, du mythe dont on ne saurait dire qu’il doit impérativement être inscrit dans la culture particulière qui lui a donné naissance afin d’être compris, étant au contraire un type de discours qui peut être raconté de plusieurs manières, en étant raccourci, étendu, transformé, transposé, d’où la possibilité de trouver des structures communes aux mythes de différents peuples.
13 C. Lévi-Strauss, « Race et histoire » [1952], Anthropologie structurale deux, Paris, Plon, 1996, p. 384.
14 À ceux qui reprochent à l’ethnologie d’avoir partie liée avec le colonialisme, Lévi-Strauss rétorque – nous employons volontairement une terminologie levinasienne – qu’à l’opposé du colonialisme qui ramène l’Autre au Même elle sauvegarde l’Autre dans son altérité et, d’une certaine manière aussi, ce faisant, « rachète », en quelque sorte bien sûr, l’Europe du mal colonial commis : si « c’est un fait historique que l’ethnologie est née et s’est développée à l’ombre du colonialisme. Toutefois, à la différence et même à l’opposé de l’entreprise coloniale, les ethnologues ont cherché à sauvegarder des croyances et des genres de vie dont les cultures perdaient la mémoire à un rythme accéléré », ce qui fait aussi que lorsque, « après les destructions dont ils ont été victimes, les peuples indigènes veulent renouer avec leur passé, il arrive souvent qu’ils recourent aux livres des ethnologues pour les y aider. J’en connais maints exemples » (« Entretiens de Claude Lévi-Strauss avec Didier Éribon », in C. Lévi-Strauss, De près et de loin [désormais LS-DE], Paris, O. Jacob, 1988, p. 214).
15 Si Lévi-Strauss est naturaliste au sens où les diverses cultures sont pour lui des particularisations de structures universelles qui caractérisent la nature de l’esprit humain ou le fonctionnement du cerveau de l’homme et n’est pas culturaliste au sens où ce dernier terme indique qu’il y aurait seulement une condition humaine et non pas une nature humaine, il n’en est pas moins culturaliste au sens où ce dernier terme exprime que toutes les cultures humaines particulières se valent et ne sauraient être jugées à partir d’un principe éthique absolu transcendant ces cultures. En ce sens, Lévi-Strauss pourrait être dit culturaliste en dépit de son naturalisme et montaignien ou voltairien en dépit de son rousseauisme.
16 E. Levinas, HAH, p. 34.
17 Voir Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « Tolérance ».
18 Voir Léo Strauss qui montre, dans Droit naturel et histoire, la contradiction du principe de tolérance recevant comme également dignes toutes les valeurs alors qu’il est impossible de les fonder absolument mais récusant le point de vue qui mettrait en cause son absoluité, sa portée universelle : absoluité de la valeur (de tolérance) qui récuse l’absoluité des valeurs. De la relativité des valeurs, on pouvait pourtant conclure non à la tolérance, jugée efféminée, mais à la force, à la capacité de vaincre, de dominer, comme le fait Nietzsche qui récuse le critère (selon lui) hégélien du succès – quand il se trouve lié à une métaphysique du progrès – mais qui récupère pour son propre compte un tel critère. Je me permets de renvoyer à mon article : « Du succès en philosophie. La double lecture nietzschéenne de Hegel », Le Cercle herméneutique, no 5-6, 2005, p. 116-139.
19 E. Levinas, HAH, p. 31.
20 Ibid., p. 55.
21 Ibid.
22 Ibid.
23 Pour Nietzsche, le christianisme, platonisme populaire, valorisation de l’intelligible sur le sensible, en développant le souci du vrai idéal et absolu, suscite in fine la dimension de l’intériorité critique, la volonté de ne pas être trompé, et ainsi la critique de la religion, de l’intelligible, du « monde vrai ».
24 E. Levinas, HAH, p. 55-56.
25 Le « culturalisme » comme culte du particularisme : il ne s’agit pas seulement d’un jeu de mots facile mais de l’attitude lévi-straussienne (voir note 15), proche en cela du romantisme allemand, lequel, contrairement à ce que l’on croit parfois, ne sombre pas forcément dans ce que l’on appelle le « romantisme politique » au sens d’une politique agressive d’exclusion de l’autre culture. Le romantisme allemand débouche d’abord, logiquement, sur une politique de sauvegarde de l’originalité ou génialité de chaque culture, chacune pouvant admirer chaque autre ayant su également préserver son originalité : ce que l’on appelle, le plus souvent péjorativement, le « romantisme politique » est le passage du souci des différences culturelles à l’hostilité à l’égard des cultures différentes de la sienne. La politique du romantisme – et non le « romantisme politique » – nous semble bien être l’attitude propre de Lévi-Strauss. À propos de la polémique suscitée par « Race et culture » [1971], texte commandé, comme « Race et histoire » vingt ans auparavant, par l’Unesco, Lévi-Strauss déclare : « À la fin de Race et histoire, je soulignais un paradoxe. C’est la différence des cultures qui rend leur rencontre féconde. Or ce jeu commun entraîne leur uniformisation progressive : les bénéfices que les cultures retirent de ces contacts proviennent largement de ces écarts qualitatifs ; mais, au cours de ces échanges, ces écarts diminuent jusqu’à s’abolir […]. Que conclure de tout cela, sinon qu’il est souhaitable que les cultures se maintiennent diverses, ou qu’elles se renouvellent dans la diversité ? Seulement – et c’est ce que signalait le second texte [Race et culture] – il faut consentir à en payer le prix : à savoir que des cultures attachées chacune à un style de vie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes » (LS-DE, p. 206-207). Il nous apparaît ici que c’est Lévi-Strauss, et non Levinas, qui devient inactuel et n’est plus guère « populaire » : mais si Lévi-Strauss heurte l’idéologie du métissage culturel en revalorisant le particularisme, et se met à dos l’intelligentsia qui a soutenu cette idéologie, la critique levinasienne n’est pas celle de cette intelligentsia, n’épouse pas l’air du temps, ne montre toujours pas « patte blanche », elle indique plutôt la perte potentielle du souci d’autrui comme singulier – et du sens de l’universel lié à sa rencontre – qu’implique ce culturalisme. Ce n’est pas la courageuse revalorisation lévi-straussienne du particulier que Levinas critique, mais une revalorisation du particulier pour lui-même et non en vue de l’universel, et qui risque donc d’obérer le souci d’autrui comme singulier.
26 Ce sont ceux auxquels il s’intéresse le plus : « Je défends donc ces petits peuples qui entendent rester fidèles à leur mode de vie traditionnel, à l’écart des conflits qui divisent le monde moderne », déclare Lévi-Strauss à D. Éribon (LS-DE, p. 213).
27 E. Levinas, DL, p. 279-280.
28 Je me permets de renvoyer, sur cette approche levinasienne du catholicisme, de la théologie du Nouveau Testament, à mon Levinas critique de Hegel, Bruxelles, Ousia, 2006, p. 86-87, p. 126-128 et p. 176-178.
29 La crise de l’esprit est composée de deux lettres parues en 1918 et 1919 dans une revue littéraire londonienne.
30 P. Valéry, Œuvres, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1957, t. I, p. 995.
31 Il y a d’abord une conférence, donnée à Turin en 1990, puis publiée l’année suivante dans J. Derrida, L’autre cap, Paris, Éditions de Minuit, 1991.
32 « Y a-t-il donc un “aujourd’hui” tout neuf de l’Europe au-delà de tous les programmes épuisés, épuisants mais inoubliables (nous ne pouvons ni ne devons les oublier car ils ne nous oublient pas), de l’eurocentrisme et de l’anti-eurocentrisme ? Est-ce que j’abuse du “nous” en commençant par dire que, les connaissant maintenant par cœur, et par épuisement, parce que ces programmes inoubliables sont épuisants et épuisés, nous ne voulons plus aujourd’hui ni de l’eurocentrisme ni de l’anti-eurocentrisme ? » (J. Derrida, L’autre cap, p. 18-19). Ce critère derridien de l’épuisement, de l’usure, rappelle étrangement le critère hégélien de l’ennui [Langeweile] : voir notamment G. W. F. Hegel, Phänomenologie des Geistes, Vorrede, § 11 et mon commentaire : La préface de la Phénoménologie de l’esprit, Bruxelles, Ousia, 2003, p. 56-63.
33 J.-M. Salanskis nous apprend, dans un livre dernièrement paru (Derrida, Paris, Les Belles Lettres (Figures du savoir ; 47), 2010), quelle fut l’ambiguïté ou plutôt le « balancement » de Derrida qui, dans un temps où la politique était conçue avec les catégories de l’arrachement, de l’évasion ou du renversement, refusait d’un côté de telles figures de la radicalité et se trouvait bien plutôt proche d’un réformisme de gauche interne à la démocratie parlementaire mais, d’un autre côté, n’en rejoignait pas moins régulièrement certaines mobilisations sociales qui étaient généralement conçues comme liées à la critique du capitalisme et de ses idéologies au sens large (soutien au mouvement en faveur de l’égalité des femmes, des homosexuels, de la condition animale, et bien sûr des aires géographico-culturelles malmenées par l’Occident au nom d’une soi-disant supériorité culturelle). On pourrait bien sûr objecter – en toute amitié et avec un immense respect bien sûr – que ces luttes procédaient de la démocratie comme processus et donc de la dynamique égalitaire interne aux sociétés démocratiques elles-mêmes, lesquelles « creusent » toujours davantage, c’est-à-dire approfondissent les applications de leur principe fondamental d’égalité, non soumis à la discussion parlementaire (voir notamment l’évolution des déclarations des droits de l’enfant). Mais il n’empêche : à l’avant-scène de telles luttes se trouvaient de fait avant tout mobilisés ceux qui voulaient en finir avec un système capitaliste jugé aliénant et source de tous les maux.
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Référence papier
Ari Simhon, « La mauvaise conscience de l’Européen. Levinas devant Lévi-Strauss », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, 47 | 2010, 113-130.
Référence électronique
Ari Simhon, « La mauvaise conscience de l’Européen. Levinas devant Lévi-Strauss », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 47 | 2010, mis en ligne le 02 septembre 2020, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cpuc/1148 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cpuc.1148
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