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1Les études de réception en philosophie, notamment dans le cadre de l’étude des transferts culturels, recoupent aujourd’hui des enjeux qui vont bien au-delà de ce qu’on appelait autrefois les phénomènes d’« influence ». Il suffit, pour s’en convaincre, de relever quelques problématiques qui ressortent des recherches contemporaines (années 2000-2020).

  • 1  Cf. G. Fondu & J. Quétier, « Comment traduire Marx en français ? », in : Marx une passion français (...)
  • 2  Villers et Degérando « lisaient la philosophie allemande en allemand, mais ils parlaient la langue (...)
  • 3  Joseph Willm, Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel, Paris, Ladrange, Str (...)

2La question de la langue. La génération actuelle des traducteurs de Marx montre que les choix de traduction, déjà discutés du vivant de Marx, ont pu conduire à détourner la doctrine de son sens, en produisant par exemple l’image d’un Marx scientiste, ou ont édulcoré son originalité en banalisant les concepts marxistes d’inspiration hégélienne ou fichtéenne, dont le remaniement apporte une précision indispensable à la compréhension du texte1. Il n’y a pas de réception d’une philosophie étrangère qui ne rencontre ce problème du « biais » de la langue. Le philosophe kantien Jakob Friedrich Fries affirmait déjà que Charles de Villers et Joseph-Marie Degérando avaient mal rendu la philosophie allemande qu’ils prétendaient expliquer, parce qu’ils pensaient en français et réduisaient tout à l’empirisme2 ! Les traducteurs français du xixe siècle ne l’entendaient pas ainsi : selon Joseph Willm, la clarté de la langue française ne pouvait que rendre service à la compréhension des auteurs et même à « la philosophie en général »3

  • 4  Cf. M. Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, p. 20-24.

3La différence culturelle. Lorsqu’une théorie franchit une frontière qui sépare deux espaces culturels, il s’opère une série de transformations qui ont pour résultat l’acclimatation de cette théorie à son nouveau substrat. Ces transformations sont liées à différents facteurs, et notamment à la prégnance de modèles préexistants, méthodologiques ou axiologiques, qui orientent la lecture des théories émanant d’autres traditions philosophiques. Dire que la métaphysique allemande a eu quelque peine à s’implanter au pays du rationalisme cartésien, n’est pas céder à un stéréotype : c’est décrire une réalité qui mériterait évidemment, suivant les cas, d’être nuancée. Une théorie ne fait pas seulement son entrée dans un espace culturel nouveau, elle s’insère dans un champ de forces où préexistent des théories concurrentes qui peuvent faire obstacle à son introduction ou infléchir l’interprétation qui en sera donnée. Il n’y a pas de transplantation sans une réinterprétation4.

4Le poids du contexte. Si la philosophie est l’analyse de problèmes et de concepts qui ne sont pas réductibles à des déterminations sociales ou institutionnelles, il n’en reste pas moins que les éléments de contexte – qui vont de l’institutionnalisation de la philosophie aux rivalités internationales – traversent l’histoire de la réception des philosophies et singulièrement en ce qui concerne le cas franco-allemand. Laisser à l’écart de la recherche les récupérations idéologiques et instrumentalisations diverses sous prétexte qu’elles polluent la philosophie reviendrait à tomber dans une histoire mythifiée très problématique.

  • 5  Cf. déjà J.-L. Amselle, « Métissage, branchement et triangulation des cultures », Revue germanique (...)
  • 6  P. Macherey, Études de philosophie « française ». De Sieyès à Barni, p. 15.

5L’étude des phénomènes de réception s’est renouvelée sous l’influence de trois approches dominantes dans le champ universitaire depuis les années 1990 : l’étude des transferts culturels incluant les processus de sélection et les figures de médiation (Michel Espagne, Michael Werner), la confrontation de la philosophie avec les conditions de production de son discours (Pierre Macherey, Jean-Pierre Cotten), la sociologie culturelle et institutionnelle (Jean-Louis Fabiani, Louis Pinto). Récemment élargie aux problématiques d’hybridation culturelle ou de transculturalité5, l’approche interculturelle appliquée à la philosophie porte en elle, inéluctablement, une tendance à objectiver le discours philosophique de manière à l’inclure dans la catégorie des constructions culturelles. Que le discours philosophique soit un objet empiriquement situé, voire historiquement déterminé à travers une langue et une somme d’héritages, c’est un fait que personne n’oserait nier, mais c’est aussi un problème pour la philosophie, dont la mission universaliste suppose un droit de reprise sur cette « culturalité », un nécessaire détachement, une mise à distance critique de ses conditions de production et de ses limites géographiques ou géopolitiques. Comme le souligne P. Macherey, on parle de philosophie française comme de cuisine française, mais « renifler dans les préparations que concocte le philosophe des relents de terroir, c’est confiner la philosophie dans des pratiques de dégustation qui, tout autant qu’elles lui prêtent une gamme indéfiniment variée de saveurs, gomment le caractère qu’elle devrait revendiquer en premier lieu, à savoir d’être philosophique et non “française”, ou “norvégienne” […] »6. Quelle que soit l’aire culturelle dans laquelle s’élabore un discours philosophique, celui-ci a vocation à s’internationaliser par le sens dont il est porteur et parce qu’il s’agit de philosophie.

  • 7  Cf. notamment P. Cabanel, La Question nationale au xixe siècle, et A.-M. Thiesse, La Création des (...)
  • 8  Cf. C. König-Pralong, La Colonie philosophique, ch. 4.

6Cela étant précisé, les phénomènes de transferts et d’importation en philosophie demeurent équivoques, car s’ils permettent certes de faire évoluer des particularismes, ils n’arrivent pas toujours à s’en affranchir. L’internationalisation n’est pas en soi un critère d’universalité, elle est seulement la marque d’un décloisonnement qui peut prendre, suivant les cas, différentes significations. Il est remarquable qu’en France, au xixe siècle, dans le contexte européen de constitution des États-nations7, l’ouverture vers la philosophie allemande ait coïncidé avec l’édification nationale de la discipline, selon un double mouvement d’internationalisation et de construction identitaire observable en différents points du continent. En France, comme en Allemagne, il fallait sauver la philosophie de l’isolement nationaliste qui risquait d’en compromettre la portée universelle sans lui faire perdre pour autant son caractère national, incarné dans une méthode et dans une langue dont les savants étaient invités à vanter les mérites et l’adaptation particulière à la fonction8. Ce double mouvement est théorisé en 1835 par l’Alsacien Joseph Willm, un des principaux médiateurs entre la France et l’Allemagne dans cette période.

  • 9  Joseph Willm, « Essai sur la nationalité des philosophies », in : Jugement de M. de Schelling sur (...)

Il y a des sentiments et des idées qui sont de tous les temps, et de tous les degrés de latitude et de civilisation : ils constituent la conscience du genre humain et le fondement de la philosophie universelle […]. Il est ensuite des pensées et des sentiments qui appartiennent plus particulièrement à tout un peuple, qui sont le résultat et l’expression de son histoire et de son génie, et qui constituent une sorte de philosophie nationale, ou, pour dire plus vrai, qui donnent à la philosophie parmi ce peuple un caractère de nationalité ; mais cette nationalité est toujours plus ou moins restreinte et neutralisée par le développement général de l’humanité et par l’esprit des nations contemporaines et circonvoisines9.

  • 10  Idem, p. xxx.

C’est ainsi que s’élabore en Europe la vision d’une « philosophie véritable » qui est « toujours nationale » mais qui ne doit pas être « exclusivement nationale »10.

  • 11  Cf. Jacques Billard, De l’école à la république, Guizot et Victor Cousin, Paris, PUF, 1998 ; Patri (...)

7Vue de France, l’élaboration d’une telle philosophie passe essentiellement par des échanges franco-allemands. C’est alors surtout à Victor Cousin, grand maître de l’Université sous la monarchie de Juillet11, que l’on doit à la fois la diffusion de la philosophie allemande en France et l’institutionnalisation d’une philosophie proprement française :

  • 12  Victor Cousin, Cours de l’histoire de la philosophie moderne. Introduction à l’Histoire de la phil (...)

Les deux grandes nations philosophiques de l’Europe sont aujourd’hui l’Allemagne et la France. […] Qu’est-ce à dire, Messieurs ? L’Allemagne prend garde à la France ; la France, qui s’était pour ainsi dire isolée du reste de l’Europe, tourne les yeux vers l’Allemagne. À l’idéalisme subjectif a succédé en Allemagne une philosophie qui tire sa gloire de s’appeler la philosophie de la nature ; et en France, sinon sur les ruines, du moins en face du sensualisme, s’élève une philosophie à laquelle on ne peut refuser un caractère prononcé de spiritualisme. Que faut-il conclure de ces changements ? Il en faut conclure que le règne des systèmes exclusifs du sensualisme en France et de l’idéalisme subjectif en Allemagne est passé ; que la philosophie française par le nouvel idéalisme, la philosophie allemande par la doctrine de la nature, aspirent à se rencontrer et à se donner la main, et qu’il se forme en silence un véritable éclectisme dans la philosophie européenne12.

Ce mouvement de conciliation et de constitution conjointe de la philosophie allemande et de la philosophie française, décrit et animé par Cousin dans ce cours de 1828, débute officiellement une vingtaine d’années plus tôt, en 1801 avec l’ouvrage de Charles de Villers, Philosophie de Kant. À compter de cette date, la philosophie kantienne et postkantienne est plus largement et systématiquement diffusée en France, notamment grâce à la première édition, en 1804, de l’Histoire comparée des systèmes de philosophie relativement aux principes des connaissances humaines de Joseph Marie Degérando, à l’Essai sur l’existence, et sur les derniers systèmes de métaphysique qui ont paru en Allemagne de Frédéric Ancillon en 1809, ou encore à De l’Allemagne de Germaine de Staël, en 1813. C’est ensuite l’enseignement de Victor Cousin, entre 1815 et 1830, qui donne une large place à la philosophie allemande, en intégrant ses apports, dûment sélectionnés, à la philosophie de « l’éclectisme ».

  • 13  M. Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, p. 224.
  • 14  J. Willm, Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel.
  • 15  Christian Bartholmess, Histoire philosophique de l’Académie de Prusse depuis Leibniz jusqu’à Schel (...)
  • 16  Jacques Matter, La Vie et les Travaux de Christian Bartholmess, Paris, Grassart/Strabourg, Heitz, (...)

8L’introduction en France de la philosophie allemande, notamment idéaliste, doit beaucoup à des voyageurs et à des intellectuels cosmopolites tels que August Wilhelm Schlegel, figure majeure du groupe de Coppet, ou Heinrich Heine, qui, selon Michel Espagne, a autant contribué à l’identité de la France qu’il a aidé à forger une identité allemande, « fondant ainsi une imbrication radicale des littératures »13. Il faudrait citer aussi le réseau des protestants alsaciens, avec Joseph Willm, traducteur et auteur d’une importante histoire de la philosophie allemande en quatre volumes14, Christian Bartholmess, spécialiste de l’Académie de Prusse15, et Jacques Matter, qui dira à propos des précédents qu’ils furent « nourris tous deux de la philosophie allemande, sur les confins de l’Allemagne », ce qui ne les empêcha nullement de professer « cette philosophie essentiellement française, lucide et paisible, mais aussi solide que nette qu’on appelle éclectisme »16.

  • 17  Auguste Barchou de Penhoën, Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu’à Hegel, Pa (...)

9On doit également cette première réception à une constellation de traducteurs : Jules Barni, Francisque Bouillier, Paul Grimblot, Auguste Véra, Claude Joseph Tissot, Charles Bénard, Joseph-Daniel Guignaud, Auguste Barchou de Penhoën. Beaucoup d’entre eux sont des normaliens passés par les mains de Cousin au moment de l’agrégation et ont collaboré au Dictionnaire des sciences philosophiques (1842-1852) dirigé par Adolphe Franck. L’interprétation qu’ils donnent des auteurs qu’ils traduisent se ressent de la fréquentation de Cousin (cf. l’article d’Andrea Bellantone sur Véra). D’autres viennent d’un horizon différent : Barchou de Penhoën, par exemple, est un officier de carrière ; il publie en 1833 une traduction de la Destination de l’homme de Fichte et en 1836 une histoire de la philosophie allemande en deux volumes17.

10Ces moments de diffusion et d’exposition des systèmes philosophiques allemands sont complétés par un processus d’interprétation, de critique ou d’appropriation de la philosophie allemande par des auteurs comme Victor Cousin, Pierre Leroux, Émile Saisset, Jules Barni ou Félix Ravaisson. Le plus souvent les traductions interviennent après coup, une fois que les philosophes allemands ont reçu une place estampillée dans les débats idéologiques français.

  • 18  Henri Maret, Essai sur le panthéisme dans les sociétés modernes, Paris, Debécourt, 1840.

11De Villers à Ravaisson en passant par Madame de Staël et Cousin, la philosophie française du xixe siècle, en particulier le spiritualisme et le néocriticisme, se construit en grande partie relativement à la représentation que les Français se font de l’idéalisme allemand kantien et postkantien. L’ont-ils toujours bien compris ? Loin s’en faut si l’on prend l’exemple de la réception de Fichte et de son prétendu idéalisme subjectif (cf. l’article d’Ives Radrizzani). Mais l’usage qui est fait des auteurs allemands n’en demeure pas moins fécond. Pour Cousin, l’Allemagne philosophique est associée à une métaphysique hypothétique qu’il s’agit de rectifier, ce qui lui permet de spécifier une méthode psychologique et analytique qu’il veut proprement française et qu’il inscrit dans la filiation cartésienne (cf. l’article de Sarah Bernard-Granger). La nouvelle philosophie allemande et la figure schellingienne en particulier permettent inversement aux philosophes français, Félix Ravaisson ou Pierre Leroux notamment, de développer une philosophie alternative au spiritualisme cousinien. D’autres encore, à l’instar de l’abbé Henri Maret, associent la philosophie allemande postkantienne, celle de Hegel et de Schelling notamment, au panthéisme et à l’athéisme et en déplorent l’importation en France18.

  • 19  Expression que l’on trouve sous la plume de Charles Renouvier (Lettre de Renouvier à Secrétan du 2 (...)

12La représentation de l’Allemagne qui avait nourri l’imaginaire romantique s’inverse après 1870 dans le contexte de la défaite française. À la fiction poétique d’un peuple rêveur popularisé par Madame de Staël se substitue l’image inquiétante d’une nation militarisée et disciplinée. La réception des philosophes d’outre-Rhin est alors biaisée par la méfiance entretenue à l’égard de l’élément « méphistophélique » de la pensée allemande19. C’est dans ce contexte que sont lus et commentés Arthur Schopenhauer et Eduard von Hartmann. Lorsqu’on remonte à Schelling, c’est souvent pour en dégager le fonds d’irrationalisme censé représenter l’aspect ténébreux de l’esprit germanique. Hegel est également réinterprété dans le sens d’un penseur organiciste qui justifie par sa philosophie de l’histoire la politique du fait accompli.

  • 20  Célestin Bouglé, âgé de vingt-cinq ans, publie ses observations sous un nom d’emprunt : Jean Breto (...)
  • 21  Joseph Delboeuf, Examen critique de la loi psychophysique. Sa base et sa signification, Paris, Ger (...)

13Cependant, cette incidence du contentieux franco-allemand ne doit pas masquer d’autres phénomènes de réception non moins déterminants. De même que la référence au modèle universitaire allemand devient une donnée essentielle de la politique scientifique, on s’intéresse de près aux évolutions récentes de la philosophie allemande sous la pression des sciences naturelles, des sciences sociales et de la philologie. Wilhelm Wundt fonde en 1878 le premier laboratoire de psychologie expérimentale à Leipzig, qui devient en quelques années un bastion de la philosophie positive, où les jeunes agrégés français (Gabriel Séailles, Émile Durkheim, Célestin Bouglé20) effectuent leur voyage d’études (cf. l’article de Serge Nicolas). Le développement de la psychophysique fait dire à Joseph Delboeuf que, grâce à Gustav Fechner, « la question des rapports de l’âme et du corps est sortie aujourd’hui des usages de la métaphysique pour n’y plus rentrer jamais »21. Taine et Ribot relaient ces théories pour justifier la critique de la métaphysique spiritualiste. Bergson discute pied à pied les théories psychophysiques et psychophysiologiques pour mettre en doute leurs présupposés et sauver la métaphysique en la renouvelant. Mais que retient-on de ces grands savants-métaphysiciens allemands ? L’« effet Ribot » focalise la réception sur la science au détriment de la métaphysique, comme dans le cas de Hermann Lotze (cf. l’article de Charlotte Morel). On mentionnera de nouveau les Alsaciens et professeurs strasbourgeois pour leur rôle dans ces transferts de l’Allemagne vers la France : Jacques Matter, Charles Dollfus et Henri Schoen pour Lotze, Abel Bouchard et Ferdinand Monoyer pour Wundt.

14Un mouvement parallèle s’opère dans les sciences sociales. Une génération de philosophes attend d’Allemagne des solutions aux problèmes contemporains. Durkheim, attentif à ce qui se passe en Allemagne, se verra accuser de plagier les sociologues d’outre-Rhin et organisera sa défense en citant stratégiquement un auteur peu suspect de germanophilie : Charles Renouvier. Dans un exposé plus complet, il faudrait également faire une place au rôle joué par la philologie allemande dans la conception qu’Ernest Renan se fait des fonctions respectives de la science et de la philosophie et qui présente bien des points communs avec celle de David Strauss.

  • 22  Cité par Henri Bonnet, Alphonse Darlu. Le maître de philosophie de Marcel Proust, Paris, Nizet, 19 (...)
  • 23  Désiré Nolen, Kant et la philosophie du xixe siècle, discours prononcé le 23 décembre 1876 à l’ouv (...)

15Dans ces années fondatrices de la Troisième république, la philosophie de Kant est assimilée au modèle laïque français et intégrée au système d’enseignement dont elle devient, plus qu’un moment incontournable, un point culminant (« l’Himalaya » disait Darlu22). Désiré Nolen rappelle, en 1876, l’importance acquise par la pensée kantienne en Allemagne et en France pour faire contrepoids au positivisme et au matérialisme. Nolen en profite pour opérer une captation nationale, en donnant de Kant l’image d’un philosophe postcartésien imprégné de « bon sens français » (ainsi que d’esprit pratique anglais) qui l’empêche de se perdre dans les illusions de la théosophie et les spéculations du panthéisme23. À la fin du siècle, Kant est enseigné dans les écoles normales d’instituteurs, au lycée, à l’université. Les cours de Jules Lachelier, Émile Boutroux, Alphonse Darlu, Jules Lagneau, Félix Pécaut, Paul Janet, Gabriel Séailles, nous montrent quel usage en est fait et à quelles discussions le criticisme est soumis, notamment sur le plan de la philosophie morale (cf. l’article de Laurent Fedi). Le kantisme assimilé par l’enseignement de la Troisième république participe à la synthèse d’idéalisme, de rationalisme et d’intellectualisme qui constitue la ligne éditoriale de la Revue de métaphysique et de morale, et qui va inspirer ensuite la philosophie de Léon Brunschvicg, un des maîtres de l’université française dans l’entre-deux-guerres.

  • 24  Dans l’ordre : Ainsi parlait Zarathoustra (1898), La Généalogie de la morale (1900), Aurore (1901) (...)
  • 25  Henri Lichtenberger, La Philosophie de Nietzsche, Paris, Alcan, 1898.
  • 26  J. Le Rider, Nietzsche en France, p. 92.
  • 27  En 1900, il existe deux éditions de l’Unique et sa propriété : celle d’Henri Lasvignes (édition de (...)

16À la fin des années 1890, on assiste également à l’introduction de Nietzsche en France. Considéré comme un penseur, un moraliste, un poète, un visionnaire, et non comme un philosophe dans le sens traditionnel, c’est à ce titre qu’il est apprécié d’André Gide et de Paul Valéry, qui le découvrent à travers les traductions d’Henri Albert (de son vrai nom : Henri-Albert Haug24), chroniqueur des lettres allemandes au Mercure de France et proche d’Élisabeth Förster-Nietzsche, gardienne des Archives Nietzsche à Weimar. L’autre introducteur de Nietzsche, également d’origine alsacienne (décidément !), est Henri Lichtenberger, auteur du premier livre en français consacré à Nietzsche25. Nietzsche intéresse une nouvelle génération qui ne perçoit plus la relation franco-allemande sous l’angle de la guerre de 1870. Comme l’a montré Jacques Le Rider, cette première réception est « aussi contradictoire que diverse »26, Nietzsche passant auprès des philosophes républicains pour un dangereux apologiste du Surhomme, et auprès des nationalistes français pour un « Allemand d’exception » (Pierre Lasserre) et un critique avisé de la démocratie. La diffusion de Nietzsche en France est aussi perçue comme une réaction contre « le moralisme métaphysique de Kant » (Jules de Gaultier). Si la première grande étude universitaire sur cet auteur est celle de Charles Andler (Nietzsche, sa vie et sa pensée, 6 vol.), qui synthétise des recherches menées de 1908 à 1921, il faut mentionner l’importante production d’articles et comptes rendus où reviennent régulièrement les noms de Daniel Halévy, Georges Palante, Theodor de Wyzewa, Jules de Gaultier, Lucien Arréat. Il faut également rappeler que l’introduction de Max Stirner en France est associée à celle de Nietzsche, et passe souvent par les mêmes canaux27.

  • 28  Cf. notamment l’article de Pierre Trotignon, « Bergson et la propagande de guerre », in : La Récep (...)
  • 29  Émile Boutroux, « L’Allemagne et la guerre », Revue des deux mondes, t. XXIII, 15 octobre 1914, p. (...)
  • 30  Pour prendre la mesure de l’impact idéologique de la guerre, il vaut la peine de citer cet extrait (...)
  • 31  Bergson lui-même jugera le comportement de Boutroux disproportionné et devra prendre, à fronts ren (...)
  • 32  Victor Basch, « La philosophie et la littérature classiques de l’Allemagne et les doctrines panger (...)

17La guerre de 1914 interrompt brutalement les relations intellectuelles bilatérales et relance en France la question de savoir s’il faut ou non distinguer « deux Allemagnes », celle de Kant et celle de Bismarck. Certains philosophes s’engagent idéologiquement dans l’effort de guerre. Bergson participe à l’aventure patriotique avec ses discours de guerre et notamment son célèbre exposé sur « la force qui s’use et celle qui ne s’use pas »28, mais Boutroux va plus loin encore dans cette voie, en essentialisant la culture allemande. Il décèle dans la philosophie de Fichte un principe d’absolutisation, selon lui typiquement allemand, qui s’applique aussi bien au moi s’affirmant face au non-moi, qu’au sujet collectif allemand dans sa domination des autres peuples29 ; puis il remonte jusqu’à la doctrine kantienne, dans laquelle il découvre une justification morale de l’esprit de discipline, le formalisme ouvrant la voie à n’importe quel acte pourvu qu’il soit ordonné comme un « devoir » par une « autorité légitime »30 – une interprétation qui préfigure étrangement l’argument rapporté par Hannah Arendt au cours du procès Eichmann. D’autres auteurs, tels Léon Brunschvicg et Edmond Goblot, réagissent, au nom d’une conception universaliste de la culture, contre cette instrumentalisation de la philosophie qui confine à la falsification des doctrines31. Certains n’hésitent pas, en ces temps troublés, à prendre la défense des philosophes allemands, comme Victor Basch, qui distingue la double nature, rationaliste et mystique, de la philosophie classique en Allemagne et la disculpe de toute connivence, même chez Fichte32, avec le pangermanisme moderne.

  • 33  Georges Gurvitch, « La philosophie phénoménologique en Allemagne. I. Edmund Husserl », Revue de mé (...)
  • 34  Jean Hering, Phénoménologie et Philosophie religieuse. Étude sur la théorie de la connaissance rel (...)
  • 35  Cf. G. Gurvitch, Les Tendances actuelles de la philosophie allemande, p. 64-66.

18La guerre une fois terminée, les relations reprennent et plusieurs courants philosophiques nouveaux sont introduits en France. C’est le cas notamment de la phénoménologie, dont les premiers exposés en français sont dus à deux élèves de Husserl, l’un et l’autre installés à Strasbourg : Jean Hering (ou Héring) qui suivit les cours à Göttingen dès 1909 et Emmanuel Levinas auditeur à Fribourg-en-Brisgau en 1928, ainsi qu’à Georges Gurvitch, qui avait donné un « cours libre » sur la philosophie de Husserl, à la Sorbonne, en 192833. Héring a l’idée d’appliquer la méthode phénoménologie que aux phénomènes religieux, en infléchissant toutefois la phénoménologie dans le sens d’une philosophie objective et prenant la maxime du « retour aux choses mêmes » comme un mot d’ordre réaliste34. Levinas lit Husserl à travers le prisme de Heidegger et, recherchant une intentionnalité qui ne soit pas objectivante, corrige les tendances encore trop « théoriques » de Husserl par la philosophie de l’existence. Quant à Gurvitch, qui tient compte des derniers remaniements de la pensée de Husserl, il juge insuffisante la méthode pour mettre en évidence l’irréductibilité des essences, mais salue les acquisitions précieuses de cette nouvelle école35.

19La réception de la phénoménologie concerne également la philosophie de Max Scheler. Comme l’a montré Olivier Agard, Scheler fait même l’objet d’une double réception, phénoménologique et personnaliste. Louis Lavelle et René Le Senne prennent en compte la dimension phénoménologique, et Emmanuel Mounier, personnaliste, se réfère à Jean Wahl et à Levinas. L’intérêt des phénoménologues français pour le thème du Mitsein et pour la philosophie des valeurs doit beaucoup à la lecture de Scheler.

  • 36  Jean Wahl, Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, Paris, Rieder, 1929.
  • 37  Alexandre Koyré, Hegel à Iéna, Paris, Alcan, 1934.
  • 38  Le séminaire de Kojève sur Hegel à l’École pratique des hautes études se déroula de 1933 à 1939 et (...)
  • 39  A. Bellantone, Hegel en France, vol. 2 : De Vera à Hyppolite, p. 121-286.
  • 40  Idem, p. 127.
  • 41  Jean Wahl, « Note sur les démarches de la pensée de Hegel », Revue philosophique de la France et d (...)

20À la fin des années 1920 et au début des années 1930, on assiste, avec Jean Wahl36, Alexandre Koyré37 et Alexandre Kojève38, au réveil des études hégéliennes et à la naissance des « laboratoires hégéliens » dont le caractère expérimental a été souligné par Andrea Bellantone39. Irrigué par le marxisme et l’existentialisme, ce renouveau interprétatif rompt avec l’image de Hegel forgée au temps de Cousin et de Véra. Il s’agit de chercher une nouvelle logique, dévoilant « la raison de ce qui n’a pas de raison »40. Pour un commentateur comme Wahl, qui consacre son premier article à Hegel en 192641, la dialectique n’est plus seulement un instrument logique, mais l’expression d’une contradiction réelle que l’on ne peut comprendre que si l’on va au fond de la pensée hégélienne.

  • 42  Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Paris, Gallimard, 1960, p. 177.

21L’approche compréhensive en sciences sociales, représentée par Wilhelm Dilthey, Max Weber, Georg Simmel, Heinrich Rickert, pénètre en France par le canal des revues. La Revue internationale de Sociologie, les Annales de l’institut international de Sociologie, la Revue de métaphysique et de morale et L’Année sociologique publient des articles de Simmel avant 1900. La Revue de synthèse historique, fondée par Henri Berr en 1900, publie en 1901 un article de Rickert, « Les quatre modes de l’universel dans l’histoire ». Maurice Halbwachs rend compte de la théorie de Weber sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme dans la Revue d’histoire et de philosophie religieuse de Strasbourg en 1925. La même année, Vladimir Jankélévitch publie dans la Revue de métaphysique et de morale un article sur « Georg Simmel, philosophe de la vie ». En 1926, l’Introduction à la philosophie allemande depuis Nietzsche de Bernard Groethuysen relaie les théories de ces sociologues et philosophes de la culture. Groethuysen, qui a étudié en Allemagne, devient, par sa participation régulière aux décades de Pontigny, un passe-frontière efficace. S’agissant de Rickert (cf. l’article de Guillemette Leblanc), on soulignera le rôle, à nouveau, de Gurvitch, et celui de Raymond Aron. À son retour d’Allemagne, où il avait séjourné de 1930 à 1933, Aron publie, en attendant de terminer sa thèse, un petit livre d’introduction à la sociologie allemande (La Sociologie allemande contemporaine, 1935) dans lequel il aborde, outre Weber, Simmel et Ferdinand Tönnies, des auteurs peu connus en France comme Leopold von Wiese, continuateur de Simmel, Karl Mannheim, pionnier de la sociologie de la connaissance (abondamment commenté, plus tard, par Paul Ricoeur) et Alfred Verkandt, sociologue-phénoménologue qui demeure moins connu, aujourd’hui encore, qu’Alfred Schütz. Ce travail lui fut suggéré par Célestin Bouglé, alors directeur de l’École normale supérieure, lui-même très intéressé par Simmel, comme en témoignent ses leçons de sociologie. Rappelons aussi la scène mythique rapportée par Simone de Beauvoir42 : Aron, lors d’une soirée au « Bec de Gaz », en 1933, faisant découvrir à Sartre la méthode de Husserl à propos de leur cocktail à l’abricot, et convainquant son camarade que la phénoménologie est peut-être la philosophie qui répond aux questions qui le taraudent.

22Les articles assemblés dans ce numéro sont issus pour partie d’une journée d’études organisée à l’École normale supérieure de Lyon par Delphine Antoine-Mahut, Jean-François Goubet et Sarah Bernard-Granger, le 10 juin 2022, et de contributions de spécialistes que nous avons sollicités. Que toutes les personnes qui ont permis, directement ou indirectement, la réalisation de ce numéro soient vivement remerciées. Les articles qu’on va lire viennent compléter et enrichir un domaine de recherche qui s’est épanoui depuis une vingtaine d’années et qui nous apporte une vision de plus en plus nette de la vie des idées de part et d’autre d’une frontière.

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Bibliographie

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Notes

1  Cf. G. Fondu & J. Quétier, « Comment traduire Marx en français ? », in : Marx une passion française, p. 113-123.

2  Villers et Degérando « lisaient la philosophie allemande en allemand, mais ils parlaient la langue de l’empirisme français lorsqu’ils transposaient les pensées de la philosophie allemande en français ». Cité par C. König-Pralong, La Colonie philosophique. Écrire l’histoire de la philosophie aux xviiie et xixe siècles, p. 143. Schelling émet une opinion similaire concernant Villers. Cf. Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, « Notice sur les tentatives de Monsieur Villers pour introduire la philosophie kantienne en France », tr. fr. P. Cerutti, Revue germanique internationale, 18, 2013, p. 7-26. Voir aussi la lettre de Humboldt à Schiller du 23 juin 1798 (F. Azouvi & D. Bourel, De Königsberg à Paris, la réception de Kant en France (1788-1804), p. 111-112). Sur ces questions, on lira O. Bloch et J. Moutaux, Traduire les philosophes.

3  Joseph Willm, Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel, Paris, Ladrange, Strasbourg, Derivaux, 1846-1849, t. I, p. vii.

4  Cf. M. Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, p. 20-24.

5  Cf. déjà J.-L. Amselle, « Métissage, branchement et triangulation des cultures », Revue germanique internationale, 21, 2004, p. 41-51. Et plus récemment Peter K. J. Park, Africa, Asia and the history of philosophy, Albany, New York Press, 2013.

6  P. Macherey, Études de philosophie « française ». De Sieyès à Barni, p. 15.

7  Cf. notamment P. Cabanel, La Question nationale au xixe siècle, et A.-M. Thiesse, La Création des identités nationales : Europe, xviiie-xxe siècle.

8  Cf. C. König-Pralong, La Colonie philosophique, ch. 4.

9  Joseph Willm, « Essai sur la nationalité des philosophies », in : Jugement de M. de Schelling sur la philosophie de M. Cousin, Paris/Strasbourg : F.-G. Levrault, 1835, p. xxxii.

10  Idem, p. xxx.

11  Cf. Jacques Billard, De l’école à la république, Guizot et Victor Cousin, Paris, PUF, 1998 ; Patrice Vermeren, Le Jeu de la philosophie et de l’État, Paris, L’Harmattan, 1995.

12  Victor Cousin, Cours de l’histoire de la philosophie moderne. Introduction à l’Histoire de la philosophie, t. 1, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Didier, 1847, leçon 13, p. 295 sq.

13  M. Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, p. 224.

14  J. Willm, Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel.

15  Christian Bartholmess, Histoire philosophique de l’Académie de Prusse depuis Leibniz jusqu’à Schelling, Paris, Librairie de France, 1850-1851, 2 vol.

16  Jacques Matter, La Vie et les Travaux de Christian Bartholmess, Paris, Grassart/Strabourg, Heitz, 1856, p. 4.

17  Auguste Barchou de Penhoën, Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu’à Hegel, Paris, Charpentier, 1836.

18  Henri Maret, Essai sur le panthéisme dans les sociétés modernes, Paris, Debécourt, 1840.

19  Expression que l’on trouve sous la plume de Charles Renouvier (Lettre de Renouvier à Secrétan du 26 avril 1872, Correspondance de Renouvier et Secrétan, Paris, A. Colin, 1910, p. 72).

20  Célestin Bouglé, âgé de vingt-cinq ans, publie ses observations sous un nom d’emprunt : Jean Breton, Notes d’un étudiant français en Allemagne : Heidelberg, Berlin, Leipzig, Munich, Paris, Calmann-Lévy, 1895.

21  Joseph Delboeuf, Examen critique de la loi psychophysique. Sa base et sa signification, Paris, Germer Baillière, 1883, p. 66.

22  Cité par Henri Bonnet, Alphonse Darlu. Le maître de philosophie de Marcel Proust, Paris, Nizet, 1961, p. 34.

23  Désiré Nolen, Kant et la philosophie du xixe siècle, discours prononcé le 23 décembre 1876 à l’ouverture du cours de philosophie, Montpellier, J. Martel, 1877, p. 39.

24  Dans l’ordre : Ainsi parlait Zarathoustra (1898), La Généalogie de la morale (1900), Aurore (1901), Le Gai Savoir (1901), Le Voyageur et son ombre (1902), La Volonté de puissance (1903), Crépuscule des idoles (1906), Considérations inactuelles (1907), Ecce homo (1909).

25  Henri Lichtenberger, La Philosophie de Nietzsche, Paris, Alcan, 1898.

26  J. Le Rider, Nietzsche en France, p. 92.

27  En 1900, il existe deux éditions de l’Unique et sa propriété : celle d’Henri Lasvignes (édition de la Revue blanche, 1900) et celle de Robert L. Reclaire (Stock, 1899-1900). Signalons aussi une thèse de la Sorbonne : Albert Lévy, Stirner et Nietzsche, Paris, Société nouvelle de librairie, 1904.

28  Cf. notamment l’article de Pierre Trotignon, « Bergson et la propagande de guerre », in : La Réception de la philosophie allemande en France aux xixe et xxe siècles, p. 207-215, et le t. 7 des Annales bergsoniennes (2014).

29  Émile Boutroux, « L’Allemagne et la guerre », Revue des deux mondes, t. XXIII, 15 octobre 1914, p. 385-401.

30  Pour prendre la mesure de l’impact idéologique de la guerre, il vaut la peine de citer cet extrait d’une conférence donnée par É. Boutroux à la British Academy, le 9 décembre 1914 : « […] Or la notion de devoir comme impératif catégorique purement formel, c’est-à-dire vide de tout contenu, dépourvu de toute matière, est d’une application singulièrement dangereuse. Dans la vie réelle on ne peut se contenter d’un vouloir purement formel : il faut nécessairement vouloir quelque chose, il faut insérer quelque matière dans ce moule vide. Mais l’impératif catégorique demeure muet quand on l’interroge sur ce qu’il commande. On est donc amené à chercher non plus dans le monde de la volonté, mais dans l’autre, dans le monde visible, le seul que nous puissions connaître, la matière indispensable à la réalisation d’un acte réel. Cependant les deux mondes, le physique et le moral sont, par hypothèse, entièrement hétérogènes et indifférents l’un à l’autre. On aboutit, dès lors, à la conclusion suivante : n’importe quel acte, pourvu qu’il soit accompli sous l’idée du devoir, peut revêtir un caractère moral ». Boutroux poursuit : « Soit, par exemple, une action que la morale vulgaire taxe de cruauté, telle que le massacre, à la guerre, des enfants, des femmes et des vieillards. Si cette cruauté est purement animale, elle est indifférente. Si elle est indisciplinée elle est coupable, en tant que violation de la discipline. Et si elle a été ordonnée par l’autorité légitime, si c’est une cruauté disciplinée […] c’est un acte juste et méritoire » (« Certitude et vérité », Proceedings of the British Academy, vol. 6, 1914, p. 486).

31  Bergson lui-même jugera le comportement de Boutroux disproportionné et devra prendre, à fronts renversés, la défense de Kant…

32  Victor Basch, « La philosophie et la littérature classiques de l’Allemagne et les doctrines pangermaniques », Revue de métaphysique et de morale, 22e année, 6, 1914, p. 784.

33  Georges Gurvitch, « La philosophie phénoménologique en Allemagne. I. Edmund Husserl », Revue de métaphysique et de morale, t. 35, 4, p. 553-597, repris dans Les Tendances actuelles de la philosophie allemande, E. Husserl, M. Scheler, E. Lask, M. Heidegger, Préface de Léon Brunschvicg, Paris, Vrin, 1930.

34  Jean Hering, Phénoménologie et Philosophie religieuse. Étude sur la théorie de la connaissance religieuse, Paris, Vrin, 1926.

35  Cf. G. Gurvitch, Les Tendances actuelles de la philosophie allemande, p. 64-66.

36  Jean Wahl, Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, Paris, Rieder, 1929.

37  Alexandre Koyré, Hegel à Iéna, Paris, Alcan, 1934.

38  Le séminaire de Kojève sur Hegel à l’École pratique des hautes études se déroula de 1933 à 1939 et fut suivi notamment par Bataille et Lacan.

39  A. Bellantone, Hegel en France, vol. 2 : De Vera à Hyppolite, p. 121-286.

40  Idem, p. 127.

41  Jean Wahl, « Note sur les démarches de la pensée de Hegel », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. 101, 1926/1, p. 281-289.

42  Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Paris, Gallimard, 1960, p. 177.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Fedi et Sarah Bernard-Granger, « Présentation »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 54 | 2023, 7-23.

Référence électronique

Laurent Fedi et Sarah Bernard-Granger, « Présentation »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En ligne], 54 | 2023, mis en ligne le 12 décembre 2023, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cps/6994 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cps.6994

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Auteurs

Laurent Fedi

UR 2326 CRePhAC, Université de Strasbourg

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Sarah Bernard-Granger

IHRIM, UMR 5317, École Normale Supérieure de Lyon,
STL, UMR 8163, Université de Lille

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