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AccueilNuméros53Auguste Comte par lui-même

Auguste Comte par lui-même

Le lien organique entre la vie et le système
Auguste Comte by Himself: The Organic Bond between Life and System
Laurent Fedi
p. 75-96

Résumés

Le but de cet article est de montrer quelles fonctions joue la référence autobiographique dans le système d’Auguste Comte. Un système doit tout expliquer, y compris la biographie de son auteur. Comte donne un sens à sa vie à travers son système, sans laisser aucune place au hasard. Mais des événements de sa vie ont aussi provoqué une évolution de sa pensée. Le fondateur du positivisme a voulu maîtriser l’unité de l’ensemble en construisant sa propre légende, avec sa part de déni et de mystification. Cette attitude prend tout son sens à mesure que le positivisme devient une nouvelle religion.

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Texte intégral

  • 1  H. Gouhier, Bergson et le Christ des Évangiles, ch. IV, Paris, Vrin, 1987, p. 83.

Toute philosophie sérieuse a une dimension biographique.
Henri Gouhier1

  • 2  Cf. F. Cossutta, « Le statut du biographique dans le discours philosophique », p. 121-152.
  • 3  Voir les deux importants articles que Christophe Giolito a consacrés à la relation Comte/Clotilde (...)
  • 4  « Une scène de ménage, une querelle académique, une explosion sentimentale perdent toute banalité (...)
  • 5  Ch. Giolito, « Une liaison philo-graphique : le discours d’Auguste Comte sur Clotilde de Vaux », p (...)
  • 6  Comme le note H. Gouhier (La Vie d’Auguste Comte, p. 257), Comte apprenait l’humilité en regardant (...)

1Que l’on pense qu’une approche biographique en philosophie est vouée à l’échec parce que l’esprit crée les conditions de sa propre transformation par l’attention qu’il se porte à lui-même, ou que l’on juge au contraire avec Nietzsche et quelques autres que la bonne méthode pour étudier un système est de le déconstruire en le rapportant aux idiosyncrasies de son auteur2, cela ne changera rien au fait que certains philosophes ont intégré à leur système des éléments biographiques qu’il est impossible d’ignorer. Comte en est un bel exemple. Quiconque s’intéresse à sa pensée sait l’importance qu’il faut accorder à sa biographie, de sa rencontre avec Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon à sa rupture avec Émile Littré en passant par ses crises de démence, ses déboires professionnels, et bien sûr sa passion pour Clotilde de Vaux3. Tout cela, Comte l’a raconté avec la volonté manifeste de s’exposer, voire, comme le note Henri Gouhier, de transformer le lecteur en spectateur indiscret4. Jamais il n’a séparé sa vie et son système : il a donné un sens à sa vie en la reliant à son système, comme il a justifié les évolutions de son système en référence à des événements de sa vie. C’est donc très justement que l’on a pu parler à son sujet de « l’imbrication réciproque du philosophique et du biographique »5. Celle-ci est remarquable jusque dans le détail. Que l’on songe par exemple à sa théorie de la domesticité (Système de politique positive, tome II) à l’arrière-plan de laquelle se profile l’humble Sophie Bliaux6, qu’il chérissait comme sa fille adoptive et qui devint un de ses trois « anges gardiens » (ill. 1).

Ill. 1 : Auguste Comte et ses trois anges d’après un portrait original d’Antoine Etex (1852). Archives Maison d’Auguste Comte, 1R4.

2En un sens, il ne pouvait en être autrement, car un système doit tout embrasser, tout expliquer, il doit épuiser toute extériorité. Le lien entre la vie et le système n’est donc pas ici une hypothèse interprétative, mais un objet philosophique aux multiples facettes. À l’évidence, Comte ne voulait pas laisser sa vie à l’état contingent, car on ne voit pas comment les conditions d’émergence d’un système fondamentalement déterministe pourraient échapper à toute loi ou détermination sans porter atteinte à son principe. Comte a donc d’abord intégré sa vie à ses théories, sous deux formes : en démontrant que son système n’était pas né ex nihilo, et en utilisant des événements personnels pour vérifier les lois qu’il avait découvertes. Mais à partir de la rencontre avec Clotilde de Vaux, le rapport entre la vie et le système revêt une nouvelle signification : sans renoncer à la perspective nomologique qui est la sienne, Comte utilise les épreuves qu’il traverse – la passion puis le deuil – dans une direction plus expérimentale, tel un savant qui teste sur lui-même une substance récemment découverte. Dans le même temps, le système change de forme : il passe de la philosophie positive à la religion (le culte de l’Humanité) et se présente désormais non plus seulement comme un édifice théorique mais comme une parole performative destinée à convertir l’humanité. Comte, devenu pontife et chef d’école, construit sa propre légende, avec sa part de déni et de mystification. Nous atteignons ici le niveau « littéraire » de la « mise en récit ». Cette fois, ce n’est plus le système qui doit éclairer la vie en la rationalisant, c’est le récit autobiographique qui est censé dévoiler la cohérence et l’unité des deux « carrières » de Comte et rendre raison de la solidité du système. Pour cela, Comte n’hésite pas à manipuler les faits, comme nous le verrons, moins par malhonnêteté que par obsession systématique. Mais si ces fonctions autobiographiques répondent à des exigences internes du système, elles en montrent également les limites. Lui qui voulait maîtriser les événements de sa vie en les insérant dans une trame systématique, est finalement débordé, submergé par sa vie : celle-ci finit par envahir et coloniser sa pensée. Situation pathétique qui révèle peut-être – telle sera notre thèse en conclusion – un problème plus général de la pensée spéculative.

Interpréter sa vie à la lumière de ses théories

  • 7  A. Comte, Cours de philosophie positive (désormais CPP) VI, p. V/II, p. 465 (Préface personnelle).

3Le premier passage ouvertement autobiographique de Comte se trouve dans la Préface personnelle qui ouvre le tome VI du Cours de philosophie positive, en 1842. Comte y explique « les motifs, essentiellement personnels, qui ont prolongé pendant douze ans cette nouvelle élaboration philosophique »7.

La jeunesse

  • 8Idem, IV, p. 229-230/II, p. 82 (47e leçon).
  • 9  « Je me suis toujours félicité d’être né dans le catholicisme, hors duquel ma mission aurait diffi (...)

4Il commence par exposer sa situation personnelle, en prenant celle-ci comme un témoignage sur la situation intellectuelle du xixe siècle. Il résume en quelques pages sa vie passée : ses origines méridionales, le milieu familial catholique et monarchiste, le besoin, ressenti à quatorze ans, d’une régénération philosophique et politique, son application à étudier l’astronomie, la physique, la biologie et l’histoire, sa découverte de la loi des trois états, ses relations avec Saint-Simon. Comte porte ici un regard réflexif sur les conditions d’émergence de sa propre philosophie. On retiendra la situation historique de l’auteur : il est né au lendemain de la Révolution. Or, comme l’explique la 47e leçon du Cours de philosophie positive, la notion de progrès ne pouvait s’élever au rang de concept sociologique qu’à la suite d’un changement structurel et non plus conjoncturel8. Plus tard, Comte appliquera la même démarche de sociologie réflexive à la fondation du positivisme religieux, en montrant qu’il fallait à la fois un terreau religieux, le milieu catholique de ses origines, et un esprit précocement émancipé, comme le sien9.

  • 10  A. Comte, SPP I, p. 64. Cf. aussi A. Comte, Synthèse subjective, p. 259-260, où Comte rapporte qu’ (...)

5Lorsqu’il se situe ainsi dans l’histoire, en s’objectivant, Comte parle de lui-même à la troisième personne : « la vraie science sociale et la vraie philosophie ne pouvaient donc surgir que quand une jeune intelligence, imbue de l’ardeur révolutionnaire, s’approprierait spontanément tout ce qu’une telle élaboration renfermait de précieux sur l’appréciation historique de l’ensemble du Moyen Âge »10. L’enjeu est tel que l’usage du « je » serait dérisoire. Il refusera le terme de « comtisme », préférant le mot « positivisme », de même qu’on dit « mécanisme » et non pas « galiléisme ». D’où il ressort que la mégalomanie peut parfois faire obstacle au narcissisme…

  • 11  H. Gouhier, La Vie d’Auguste Comte, p. 10.

6Dix ans plus tard, le voici en Grand Prêtre d’une religion appelée à devenir à l’âge industriel l’équivalent de ce que fut le christianisme dans l’antiquité tardive et au Moyen Âge. Il découpe le siècle (qu’il fait commencer en 1789) en trois générations délimitées par ses œuvres : le Plan a été écrit en 1822 (33 ans après la Révolution), le Système s’achève à la veille de 1855 (33 ans après) et ouvre une ère nouvelle désignée comme « l’état final » de l’Humanité. De ce délire typiquement romantique, Gouhier tire l’essentiel : « En se tournant vers l’Histoire, Comte s’est vu dans l’Histoire. Toutes ses aventures sont la suite de celle-là »11. Comte a trouvé un sens à sa vie, et ce sens est historique. Il a poussé la logique de son système jusqu’à déterminer le sens de sa vie par le sens de l’Histoire.

Les crises de démence

  • 12  Cf. J.-F. Braunstein, La Philosophie de la médecine d’Auguste Comte, p. 5-23.
  • 13  A. Comte, CPP III, p. 333-335/I, p. 695-696 (40e leçon).
  • 14  A. Comte, SPP III, p. 20 et 570.

7Dans une note de cette Préface, il explique comment il a tiré une utilité « philosophique » de sa « crise cérébrale » de 1826. Comte aura connu plusieurs crises de démence, en 1826, 1838, 1842, 1845, chacune consécutive à une période de surmenage intellectuel. La plus grave fut celle de 182612. Traîné de force par sa femme Caroline à l’asile de Charenton, il fut soigné par Jean-Etienne Dominique Esquirol qui diagnostiqua un état de « manie » et prescrivit un traitement à base d’isolement, de douches froides et de saignées. Comte se rétablit fin 1827. Cette crise mentale lui aura permis de vérifier sur lui-même la loi des trois états. Lors de ses troubles, il aurait en effet parcouru cette évolution d’abord régressivement, jusqu’au fétichisme, puis progressivement, sans manquer aucune étape. Il explique également, après avoir lu François Broussais (De l’Irritation et de la folie, 1828), que cette crise n’est pas quelque chose de totalement étranger à l’état normal, car l’état pathologique ne diffère de l’état physiologique que selon une variation d’intensité13. Le « principe de Broussais » permettra à Comte d’interpréter la maladie comme l’équivalent d’une expérimentation. Dans le Système, il présentera la folie comme un « excès de subjectivité » dans lequel les images intérieures deviennent plus vives que les sensations, comme l’illustre le cas de Don Quichotte14.

Les échecs professionnels

  • 15  La lettre dénonce « l’abus des habitudes algébriques trop exclusives, qui disposent à mal concevoi (...)

8Comte revient également sur ses candidatures malheureuses au poste de professeur à l’École polytechnique. Il faut rappeler sa situation professionnelle. En 1832, sur l’invitation d’Henri Navier, il est introduit à Polytechnique en qualité de répétiteur d’analyse et de mathématique rationnelle. Il estime que cette fonction n’est pas à la hauteur de ses compétences et s’adresse à François Guizot pour lui demander la création d’une chaire d’histoire générale des sciences au Collège de France, mais sans succès. Il va se battre pour obtenir une chaire de professeur à Polytechnique. Il échoue une première fois en 1836. En 1837, on ajoute à sa fonction celle d’examinateur d’admission. En 1840, la mort de Siméon Denis Poisson libère une chaire d’analyse transcendante et de mécanique rationnelle. L’avenir semble s’éclaircir. Son concurrent, Charles Sturm, est membre de l’Académie des sciences. Comte envoie au président de l’Académie une lettre dans laquelle il dénigre l’étroitesse d’esprit des savants, trop spécialisés, et en appelle à l’esprit philosophique pour diriger l’enseignement des sciences15. À la demande de son ami Henri-Marie Ducrotay de Blainville, la lettre est lue en séance, mais après deux paragraphes, certains académiciens estiment en avoir assez entendu. Comte envoie alors sa lettre à la presse. Sans surprise, c’est Sturm qui est élu par le Conseil d’instruction de l’École.

  • 16  « D’après une telle appréciation générale de la corrélation nécessaire qui lie aujourd’hui ma posi (...)
  • 17Idem, p. XXX/II, p. 477. Sur les probabilités, cf. A. Comte, CPP IV, p. 512-515/II, p. 168 (49e le (...)

9Comte va interpréter cet échec personnel comme le symptôme d’un état général des institutions scientifiques en France qui doit être porté à l’attention de l’opinion publique16. Cette situation révèle à ses yeux l’impérialisme des mathématiques, une tendance à l’usurpation qui s’atteste notamment dans l’abus du calcul des probabilités que les mathématiciens voudraient étendre jusqu’au domaine des faits sociaux. Les mathématiciens, qui devraient théoriquement soutenir les adeptes de la philosophie positive, se conduisent en adversaires parce qu’ils perçoivent la science sociale comme une menace pour leur présidence encyclopédique. Comte décrit un monde savant morcelé, rongé par ses rivalités et ses intérêts corporatistes. La science est devenue un terrain d’affrontement entre la base et le sommet de l’échelle encyclopédique17.

  • 18  A. Comte, CPP VI, p. 452/II, p. 625 (57e leçon). Cf. déjà CPP IV, p. 213-220/II, p. 77-78 (46e leç (...)
  • 19Idem, p. 456/II, p. 626 (57e leçon).

10Cette situation met également en évidence les excès de la spécialisation scientifique au détriment de l’esprit d’ensemble. C’est un point sur lequel Comte avait insisté dans sa campagne contre l’académisme et qu’il va théoriser dans la 46e et la 57e leçon du Cours. La tendance aux divisions analytiques, nécessaire au temps de Bacon et de Descartes, devient anachronique dans un siècle où l’esprit des études biologiques et sociologiques réclame un sens supérieur des généralités et un esprit de synthèse. Force est de constater, pourtant, que la science est aux mains de purs techniciens, incompétents pour exercer la haute destination sociale qui leur semblait promise18. En termes imagés, « les maçons actuels ne veulent plus souffrir d’architectes »19. De ce point de vue, une différence se dessine, là encore, entre le premier et les derniers degrés de l’échelle encyclopédique. En effet, tandis que les biologistes éprouvent la réalité de leur dépendance à l’égard des autres sciences, les mathématiciens cultivent un sentiment d’autonomie dû au caractère déductif de leurs opérations. Blainville et François Arago, les deux savants qui ont joué un rôle dans la carrière de Comte, l’un pour lui apporter son soutien, l’autre pour lui nuire, sont ainsi érigés en exemples paradigmatiques d’une grande opposition qui structure le champ institutionnel. On voit ici de quelle manière Comte se sert de son propre exemple pour ébaucher une sociologie de la communauté scientifique.

Faire le compte rendu expérimental de son vécu

  • 20  A. Comte, Lettre à A. Hadery du 27 octobre 1856, CG VIII, p. 332. On pourrait ici discuter l’inter (...)
  • 21  F. Waquet, Une histoire émotionnelle du savoir, xviie-xxie siècle, p. 299.
  • 22  La raison invoquée contre l’observation intérieure est bien connue : l’esprit ne peut se dédoubler (...)
  • 23Alain, Éléments de philosophie, p. 327-329.

11La passion de Comte pour Clotilde et l’expérience du deuil marquent le passage de la philosophie à la religion. Cette transformation du système, liée aussi à un changement de contexte politique, marque une nouvelle étape. L’élément autobiographique prend alors une dimension exploratoire qui va justifier l’évolution du système. Selon une formule qui doit retenir notre attention, Comte s’oblige désormais à « tout sentir après avoir tout compris »20. S’agit-il d’une exception à « l’occultation d’un moi subjectif et émotionné »21 dont parle Françoise Waquet à propos des sciences sociales émergentes ? Pas vraiment, car la recherche méthodique sur les affects s’accompagne de la certitude d’une possible systématisation (ce sera l’objet du « tableau cérébral »). Comte n’est pas de ces philosophes qui, comme Maine de Biran, ont fait de l’observation intérieure le foyer de leur réflexion. Il n’a pas de journal intime et rejette la psychologie d’introspection pour des raisons méthodologiques22. Comme plus tard Alain, il pense que c’est en se mettant en action qu’on découvre ce qu’on veut, ce qu’on aime et finalement qui l’on est réellement23. En revanche, il décrit les effets de l’amour comme un savant qui observe sur lui-même les effets d’une drogue, dans un but scientifique. Si certaines de ses observations ne font que confirmer des théories préexistantes, d’autres en revanche influencent sa construction systématique dans des proportions qui font toujours débat au sein des spécialistes.

L’expérience affective

  • 24  A. Comte, Testament, p. 29.
  • 25  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive à la mémoire de mon éternelle amie, CG IV, p.  (...)
  • 26Idem, p. 60.
  • 27  A. Comte, Huitième confession annuelle, CG VII, p. 94.
  • 28Idem, p. 91.
  • 29  A. Comte, Lettre à A. Sabatier du 16 septembre 1856, CG VIII, p. 301.
  • 30  A. Comte, Lettre à P. Laffitte du 4 septembre 1849, CG V, p. 151.
  • 31  À terme, Clotilde sera célébrée par la « postérité reconnaissante » ; cf. A. Comte, Septième confe (...)

12Le roman sentimental d’Auguste et de Clotilde est trop connu pour qu’on ait à y revenir en détail. Il adresse sa première lettre à cette jeune veuve de trente ans le 30 avril 1845. Elle meurt de phtisie le 5 avril 1846. L’« année sans pareille » aura été un bouleversement dans sa vie et un tournant dans sa pensée. Comte va rendre hommage à cette « angélique compagne »24, qu’il nomme aussi, au fil des années, son « éminente collègue »25, son « immuable compagne »26, sa « chaste épouse »27, sa « noble patronne »28, sa « sainte collègue subjective »29, en l’immortalisant comme la Béatrice de Dante30, en lui vouant un culte qui deviendra bientôt le modèle du culte privé de la nouvelle religion, en érigeant sa figure en symbole de l’Humanité, en faisant d’elle un de ses « anges gardiens »31. Bref, Comte lui donne une série de rôles ou de fonctions symboliques qui s’ajoutent au fil du temps, à mesure qu’il parachève son système.

  • 32  Il revient sur la privation de sentiments durant sa jeunesse dans A. Comte, SPP I, p. 8.
  • 33  A. Comte, Troisième confession annuelle, CG IV, p. 161.
  • 34  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive…, CG IV, p. 56.
  • 35  A. Comte, Testament, p. 93 (Prières quotidiennes).
  • 36  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive, CG IV, p. 51.

13Comte attribue à sa relation avec Clotilde une prise de conscience qui était nécessaire à son élaboration philosophique. Il lui sait gré de l’avoir arraché à la sécheresse théorique32. Il lui doit son appréciation de l’élément féminin dans la régénération finale, l’importance désormais du « point de vue social qui est propre aux femmes »33 et de « l’active coopération des deux sexes »34. Il remercie Clotilde de lui avoir fait découvrir le lien véritable entre bonheur et altruisme. Le positivisme avait un but moral, mais encore trop abstrait : il manquait à Comte cette expérience intime sans laquelle la prépondérance systématique de l’amour universel n’aurait pu lui être assez familière35. Cette expérience aura été une initiation indispensable à sa vocation politique et religieuse, car il est impossible, remarque-t-il, de convaincre autrui d’opérer une « révolution » que l’on n’aurait pas éprouvée soi-même intérieurement36.

  • 37Idem, p. 58.

14L’expérience du deuil fournit ensuite à Comte une clef d’interprétation des phénomènes religieux. La défunte reste vivante par le souvenir et la prière. « Loin de t’oublier, je dois m’efforcer de te supposer vivante »37, s’exclame Comte, qui va bientôt inventer la notion de « vie subjective » : les morts continuent de vivre en nous et travers nous, d’une vie différente, logée dans notre appareil cérébral. La prière et la commémoration ont une fonction cathartique : en adorant des figures idéalisées, nous améliorons notre existence.

  • 38  Comte préfère parler des « rapports du physique et du moral ». Le rejet de la psychologie comme sc (...)
  • 39  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive, CG IV, p. 61.
  • 40  A. Comte, Quatrième confession annuelle, CG V, p. 32.
  • 41  Comte appelle logique « le concours normal des sentiments, des images, et des signes pour nous ins (...)
  • 42  A. Comte, SPP II, p. 241.

15Il en tire un certain nombre d’enseignements d’ordre psychologique (même s’il n’emploie pas ce terme38). L’amélioration, qui est d’abord morale et affective, rejaillit sur la vie mentale, en vertu d’une réaction naturelle des affections sympathiques sur nos pensées. Comte se félicite de l’inspiration que lui procure sa muse et qui lui donne la force nécessaire pour épurer ses sentiments, agrandir ses pensées, ennoblir sa conduite39 (suivant la tripartition des fonctions résumées dans le « tableau cérébral »). Son imagination devient plus nette et plus vive, il dirige mieux ses méditations vers leur but en liant l’image de l’Humanité à celle de Clotilde40. Il fait évoluer sa théorie du langage en instituant une « logique des images » qui fait pendant à la « logique des sentiments », l’une et l’autre ignorées depuis trop longtemps au profit de la seule « logique de signes ». Selon sa théorie, une logique complète41 suppose « que chaque mot rappelle, autant que possible, une image, et chaque image un sentiment »42.

  • 43  A. Comte, Deuxième confession annuelle, CG IV, p. 117 : « […] ma vie intime devient maintenant une (...)
  • 44  A. Comte, Deuxième confession annuelle, CG IV, p. 116.
  • 45  A. Comte, Troisième confession annuelle, idem, p. 164.

16Comte est un fondateur de religion. À partir de 1849, il épouse entièrement cette vocation et ne fait plus aucune différence entre sa vie personnelle et sa mission apostolique. Le culte privé, la vie publique, l’exemplarité du chef spirituel et la construction du système ne font plus qu’un. L’année sans pareille a joué un rôle primordial dans la possibilité d’une telle fusion. Comte intègre sa vie intime à sa philosophie au point que l’une n’est plus que l’application de l’autre43. Il fait l’expérience quasi-mystique d’une parfaite unité : unité entre sa vie privée et sa vie publique, unité de toutes les facettes de son existence, chaque impression se rattachant à l’image centrale de Clotilde44. Il découvre ainsi concrètement la « synthèse » qui est, selon lui, le vrai sens de la religion. « Tout se tient dans l’existence finale45. »

  • 46  A. Comte, Lettre à A. Sabatier, 17 octobre 1856, CG VIII, p. 320 ; et déjà Catéchisme positiviste, (...)

17Il expérimente le rôle de la prière, nous l’avons dit. Il pratique aussi d’autres exercices spirituels qui font partie du quotidien d’un homme d’Église : lectures rituelles (un chapitre de l’Imitation de Jésus-Christ le matin et un chant de Dante le soir), régime alimentaire (conçu comme religieux et médical à la fois, en vertu des communications entre l’âme et le corps), hygiène cérébrale (consistant à sélectionner ses nourritures psychiques). Ces pratiques de soi, vécues comme des moyens de perfectionnement, renvoient au modèle des sagesses antiques où vivre et philosopher ne faisaient qu’un. Elles le rapprochent des anciens théocrates – auxquels il s’identifie de plus en plus – qui rassemblaient, selon lui, en une même personne, les fonctions sacerdotales, scientifiques, poétiques et thérapeutiques46.

  • 47  A. Comte, Synthèse subjective, Préface, p. IX.
  • 48  A. Comte, Lettre à G. Audiffrent du 4 décembre 1855, CG VIII p. 154-155. Cf. Frédéric Dupin, « Par (...)

18Certaines expériences psychologiques pourraient être rapprochées de la mode du spiritisme, comme celle qu’il fait en écrivant son testament en novembre 1855. Persuadé que l’histoire lui donnera raison et qu’il sera célébré comme un grand fondateur, il se projette dans l’avenir et s’adresse à ses contemporains d’une « tombe anticipée » pour leur parler un « langage posthume qui sera mieux affranchi des divers préjugés, surtout théoriques, dont nos descendants se trouveront préservés »47. Revenant de ce séjour comme s’il avait rendu visite à la postérité, il affirme que cette expérience lui a procuré une saine « réaction cérébrale » et lui a donné un nouveau sentiment d’unité et de dignité48.

Les expérimentations sociales

19Le tournant religieux du positivisme est aussi l’occasion pour Comte de pratiquer des sortes d’expérimentations sociales. D’où l’importance, à nouveau, de la composante biographique.

  • 49  A. Comte, Lettre à Miss Harriet Martineau du 19 janvier 1854, CG VII, p. 176.

20On peut mentionner en ce sens l’institution du subside sacerdotal. Là encore, tout part d’un événement biographique : en 1852, Comte perd sa place de répétiteur à Polytechnique et se retrouve sans emploi. Il ne peut compter pour sa subsistance que sur la contribution annuelle de ses adhérents – français, hollandais, britanniques, irlandais – qui donnent par ce geste volontaire un gage de leur dévouement. Mais ce qui n’était au début qu’un expédient va bientôt devenir une véritable institution : le « subside positiviste » se transforme en « subside sacerdotal ». Comte se félicite d’être placé dans « la situation normale du sacerdoce régénérateur »49 qui exige le renoncement aux richesses matérielles. La contribution annuelle devient un devoir pour les disciples. Le pontife rendra un compte détaillé de ses dépenses. Tout cela s’intègre à une éthique sacerdotale dont il fait la théorie.

  • 50  A. Comte, SPP IV, p. 312.
  • 51  A. Comte, SPP I, p. 140.

21L’autre expérimentation sociale est l’obligation qu’il s’impose de « vivre au grand jour ». La morale positiviste comporte en effet deux injonctions : « vivre pour autrui » et « vivre au grand jour ». Chacun est invité à soumettre ses actes au jugement de l’opinion publique pour compenser l’insuffisance naturelle de notre sens moral. Ce principe acquerra une force particulière lorsque l’opinion publique, principal régulateur des actions politiques, résultera d’une communion fondée sur des principes universels. Comte pense que cette exigence de transparence doit s’appliquer à la vie privée, parce que la pureté des sentiments s’exprime dans des actes, et que les qualités essentielles à la vie civique sont plus faciles à exercer dans l’espace privé. Vivre au grand jour, y compris dans les actions domestiques, sera bientôt une garantie de civisme50. D’après Comte, cette obligation est plus efficace que les règles édictées par la morale religieuse et la morale métaphysique, bien connues pour leur casuistique et leurs accommodements51. Comte s’appliquera ce principe, en exposant ses effusions et ses prières à Clotilde, en affichant le montant des donations, en réglant publiquement ses comptes avec ses adversaires, en publiant ses lettres aux journalistes et aux officiels.

Écrire le roman de sa vie, construire sa légende

L’unité d’une vie

  • 52  A. Comte, Testament, p. 14. Cf. aussi Neuvième confession annuelle, CG VII, p. 252 ; Onzième confe (...)
  • 53  Lettre à Valat du 18 novembre 1825, CG I, p. 165.
  • 54  Ph. Lejeune, Le Pacte autobiographique, p. 173.
  • 55  G. Gusdorf, La Découverte de soi, p. 251.

22À la différence d’Henri Bergson, qui ne livrait rien de sa biographie et voulait disparaître entièrement dans son œuvre, Comte a beaucoup exposé sa vie et s’est livré au lecteur dans des formes qui se prêtaient au genre : les préfaces, les confessions annuelles, les circulaires annuelles, les dédicaces, le testament. Initialement, les confessions annuelles n’étaient pas destinées au public, mais il prévoit finalement la publication d’un ensemble comprenant, outre ses confessions, le récit de sa vie et de celle de Clotilde, leur correspondance, un poème sur sa seconde vie, ainsi que son testament et ses prières quotidiennes52. Comte a teinté cette narration d’une dimension romanesque. Il n’a que vingt-sept ans lorsqu’il confie à son ami Valat : « C’est un roman que le fond de ma vie, et un roman qui paraîtrait bien extraordinaire, si jamais je le publiais sous des noms supposés »53. Aussi le récit qu’il nous livre à travers ces textes soulève-t-il les questions classiques de l’autobiographie littéraire. On y trouve, en effet, aussi bien la dimension d’engagement sur laquelle insiste Philippe Lejeune (l’autobiographie n’est pas seulement un discours, c’est un acte, celui d’un auteur qui s’engage à parler de soi dans un souci de vérité54), que la mystification dont parle Georges Gusdorf, avec la fonction spéciale que ce dernier a identifiée : le mythe réaliserait « la forme que l’homme a voulu donner à sa vie »55.

  • 56  Cf. Ch. Giolito, « Les raisons du cœur : Lectures de la relation de Comte à Clotilde », p. 35.
  • 57  A. Comte, Septième confession annuelle, CG VI, p. 277 : « dans l’ordre régulier, chacun doit, vers (...)
  • 58  A. Comte, Lettre à A. Hadery du 3 avril 1856, CG VIII, p. 243.
  • 59  A. Comte, SPP I, p. 1. Cf. A. de Vigny, Cinq-Mars, Paris, Gosselin, 4e éd., 1829, p. 243 (1re éd., (...)

23De toute évidence, Comte a participé à la construction de sa légende. En plaçant Clotilde sur un piédestal, il a doté sa religion d’un mythe fondateur56. Il a mis chaque élément à sa place dans un système où rien ne devait apparaître comme fortuit. À l’en croire, si sa rencontre avec Clotilde intervient alors qu’il est quadragénaire, c’est que nous sommes tous appelés à avoir deux vies dont la seconde commence vers quarante-deux ans, conformément à sa division septénaire des âges de la vie57. S’il a perdu son poste à Polytechnique, c’est qu’il devait se consacrer entièrement à sa nouvelle mission. Si les pouvoirs publics lui refusent la salle dans laquelle il devait faire son cours annuel, c’est que le gouvernement a senti confusément que l’enseignement ne correspondait plus à sa nouvelle dignité sacerdotale58. Cette rationalisation des événements, dont le cours semble quasi-providentiel, permet d’écarter toute causalité externe dans les évolutions du système. Comte affirme la cohérence et la continuité de ses deux carrières en mettant en exergue du Système cette citation de Vigny : « Qu’est-ce qu’une grande vie ? Une pensée de la jeunesse, exécutée par l’âge mûr »59.

24Un système se doit de rendre compte de tout, y compris de la manière dont il est fabriqué. Comte ne pouvait laisser au hasard l’interprétation des rapports entre sa vie et son œuvre. Il lui importait de montrer que le passage de la philosophie positive au positivisme religieux n’était pas dû à un événement extérieur venu percuter sa trajectoire mais à une cause occasionnelle dont la nécessité surgit rétrospectivement. Il avait à prouver, contre une interprétation qui allait bientôt se répandre, que la religion positiviste était autre chose que la dérive d’un homme qui n’a pas su faire son deuil et qui érige un monument à une morte pour continuer de vivre avec elle.

Le mythe et la réalité

  • 60  A. Comte, Lettre à C. de Blignières, 19 août 1852, CG VI, p. 337. Comte oppose aussi « la vierge m (...)
  • 61  Cette addition fut publiée dans la seconde édition du Testament en 1896, insérée dans le fac simil (...)
  • 62  Cf. la présentation de M. Pickering à l’édition scientifique de la correspondance A. Comte/C. Mass (...)
  • 63  Cf. par exemple D. Labeure et A. Petit (dir.), Femmes et positivismes, 2020.
  • 64  On lira à ce sujet Ph. Lejeune, Écrire sa vie. Lejeune rapporte l’intérêt qu’il a pris à lire une (...)

25Faut-il prendre la version de Comte au pied de la lettre ? Seule une enquête scrupuleuse peut fournir la réponse à cette question. Nous savons aujourd’hui que Comte a produit une vision faussée de Caroline Massin en forgeant l’image de « l’indigne épouse », dominatrice et infidèle, qui est passée à la postérité. Il a codifié les rôles de Clotilde et de Caroline pour aboutir à la représentation dualiste de l’ange et du démon60. Dans une « addition secrète » à son testament il révèle que Caroline est une ancienne prostituée qu’il rencontra au Palais Royal61. Les registres de police ayant disparu, il est impossible de vérifier cette assertion. Comte avait pris les devants en prétendant que le nom de Caroline avait été supprimé des fichiers par un officier de la paix, témoin à son mariage. Cette version des faits, que, durant un siècle, les commentateurs n’avaient pas songé à mettre en doute, présente cependant des incohérences, relevées par Mary Pickering62. Le témoin de mariage était un commerçant (Louis Oudan) et non un officier de la paix. De plus Caroline ne fut jamais dans une situation matérielle qui l’aurait obligée à se prostituer. S’agit-il d’une pure et simple diffamation ? Il est difficile de trancher, mais il est certain que l’intention de Comte était de faire pression sur son ex-épouse pour l’obliger à abandonner ses droits sur l’héritage. Cette affaire trouble ne sera sans doute jamais élucidée, mais on notera que la volonté de rouvrir ce dossier intervient dans un contexte marqué par les études de genre : on commence, depuis peu, à s’intéresser à ces femmes qui vécurent dans l’entourage de Comte pour les mettre en pleine lumière en les délivrant des représentations officielles dans lesquelles elles restèrent trop longtemps séquestrées63. Manifestement, Caroline n’était pas le démon que décrit Comte. Elle refusait d’être une épouse soumise, mais elle fut présente pour s’occuper de lui durant ses crises de démence. Elle supporta pendant des années son humeur nerveuse, jalouse et paranoïaque. Après leur rupture définitive, elle continua à le lire ; elle assistait aussi à ses cours publics. Lorsque son cours sur l’histoire générale de l’humanité fut suspendu, elle monta au créneau et plaida sa cause auprès du ministre. Elle fut toute sa vie admirative du génie de son mari. En revanche, elle n’appréciait pas le culte de la femme qu’il rendait à Clotilde en public, et jugeait ne pas mériter un tel mépris après le dévouement dont elle avait fait preuve pendant tant d’années. En façonnant l’image qu’il voulait laisser à la postérité, Comte a en quelque sorte retardé l’enquête objective. Exposer sa vie soi-même, n’est-ce pas un bon moyen d’échapper à la curiosité d’un éventuel détective ? À cela s’ajoute le piquant du jeu avec la réalité : le mensonge et le secret sont, de l’avis des meilleurs spécialistes, des ingrédients essentiels du genre autobiographique64.

  • 65  A. Comte, SPP I, p. 379 ; II, p. 451 ; III, p. XXXI ; IV, p. 2, p. 524, etc. Cf. A. Petit, « Condo (...)
  • 66  A. Comte, Lettre à H. Lewes du 12 août 1852, CG VI, p. 330. Cf. aussi la lettre à J. M’Clintock du (...)
  • 67  Sans entrer dans le détail, on peut citer plusieurs thèmes essentiels empruntés à Saint-Simon : la (...)

26Autre exemple de déformation des faits : la négation de toute filiation intellectuelle avec Saint-Simon. Pour dissiper le soupçon d’une possible influence exercée sur sa pensée par celui dont il fut le secrétaire pendant sept ans, Comte se livre à une double opération : il survalorise Condorcet, qu’il présente comme son « éminent précurseur »65 et, inversement, il déprécie Saint-Simon, en le décrivant comme un ambitieux, un arriviste, « un jongleur superficiel et dépravé, fort inférieur à Cagliostro sous tous les rapports »66. Comte prétend n’avoir rien appris auprès de lui, sinon quelques notions puisées chez Charles Dunoyer, l’économiste libéral dont Saint-Simon s’était rapproché. Cette version a longtemps prévalu. Elle transparaît dans les commentaires de Gouhier, dont l’intention était peut-être de contrebalancer la réhabilitation de Saint-Simon par Émile Durkheim, qui, par une stratégie similaire à celle de Comte, essayait ainsi de dissimuler sa dette envers son prédécesseur immédiat. En revanche, il ne fait aujourd’hui plus de doute que Comte était dans le déni et que sa dette à l’égard de Saint-Simon demande à être réévaluée67.

L’illusion projective

27Comte n’a pas un tempérament de faussaire : il croit certainement à sa version. Sur ces sujets comme sur d’autres, il se ment à lui-même par excès d’orgueil et mégalomanie.

  • 68  A. Comte, Lettre à B. Profumo du 24 décembre 1850, CG V, p. 224 ; SPP II, p. 196. La vie subjectiv (...)
  • 69  On notera que Comte utilise à partir de 1851 ce qu’il appelle la « méthode subjective ». Celle-ci (...)

28Dans les dernières années de son existence, il donne le sentiment que le monde gravite autour de lui et de sa petite communauté de fidèles. Plus il s’enferme dans sa pensée systématique et dogmatique, plus il s’accoutume à prendre ses représentations pour la réalité même. Il suffit pour s’en convaincre d’énumérer quelques propositions : le mariage chaste, dérivé de sa relation avec Clotilde, et qui trouvera peu d’adeptes ; le veuvage éternel, qui correspond à sa situation, mais qu’il justifie comme le dernier complément de l’institution occidentale de la monogamie (le remariage équivaudrait à une polygamie « subjective »)68 ; ou encore le projet de suppression de l’École polytechnique (nous avons déjà évoqué ses déboires) et son remplacement par une école axée sur la formation des médecins (le mouvement positiviste comptait beaucoup de médecins). Selon Comte, la projection du moi sur le monde est la caractéristique du fétichisme. Or à la fin de sa vie, il soutient la thèse selon laquelle le positivisme complet est une forme de nouveau fétichisme. Bien qu’il n’ait pas assumé consciemment la projection de son moi sur le monde, on constate en le lisant qu’il n’est pas immunisé contre ce penchant69.

  • 70  J. Piaget, Études sociologiques, p. 68-74.

29L’illusion projective dans laquelle il semble s’être laissé piéger n’est pas sans rapport avec le phénomène d’« égocentrisme » analysé par Jean Piaget. Ce dernier montre que le jeune enfant commence par se représenter le monde de son point de vue propre sans en avoir conscience, parce qu’il n’est pas encore capable de se décentrer et de se situer dans le monde. Ce que montre également Piaget, c’est que l’on trouve un équivalent de l’« égocentrisme » enfantin dans le « sociocentrisme » des idéologues et philosophes : ces derniers ont tendance à prendre pour une vérité objective une représentation socialement déterminée qui reste inconsciente d’elle-même faute de se soumettre au contrôle d’un jugement extérieur. Certains penseurs essaient de bonne foi d’aller au-devant des faits, mais leur approche du réel ne peut leur apporter aucun démenti, vu qu’elle est filtrée par une représentation du monde préalablement posée70.

30Piaget analyse l’égocentrisme et le sociocentrisme comme des structures mentales liées à un déficit de communication et de réciprocité. Or le problème de Comte, surtout à la fin de sa vie, est bien son isolement. Il n’est pas fou, comme on l’a prétendu, mais il est replié sur lui-même et sur sa petite communauté de disciples, et ne voit plus le monde qu’à travers ce prisme. Persuadé qu’il a une haute mission à accomplir, coûteuse en temps comme en énergie, il estime qu’il n’a pas une minute à perdre à discuter avec des contradicteurs qui ne comprennent pas ou n’admettent pas ses principes. Il pratique une hygiène cérébrale en s’abstenant de toute lecture inutile et ne fréquente plus les auteurs contemporains. Quand il recueille des avis extérieurs, c’est aussitôt pour les interpréter comme des signes d’approbation qu’il s’empresse d’extrapoler à toute une catégorie de la population pour y percevoir la validation empirique de ses théories, tombant à pieds joints dans ce qu’on appelle aujourd’hui un biais de confirmation. Tout, même ce qui vient démentir son succès, est interprété comme le signe d’un avènement prochain. Cette vie romancée est donc aussi une vie fantasmée et un destin imaginaire.

Conclusion

  • 71  Voir les critiques que J. Piaget adresse aux phénoménologues et à Bergson, en 1968, dans Sagesse e (...)
  • 72  J. Hersch, L’Illusion philosophique, p. 140.
  • 73Idem, p. 102-103.
  • 74  H. de Lubac, Le Drame de l’humanisme athée, p. 236.

31Comte a construit sa propre légende, sculpté son personnage, façonné l’image qu’il désirait voir célébrée à titre posthume. Mais il s’est pris au piège de cette construction. Cédant à une sorte d’égocentrisme ou de sociocentrisme inconscient, il n’a pas mesuré à quel point le facteur personnel était devenu envahissant dans les idées qu’il essayait de diffuser. À mesure qu’il avance dans son programme social, il se met à projeter sur la société une image agrandie de sa propre existence. Mais, après tout, n’est-ce pas la dérive qui guette tout penseur enfermé dans sa tour d’ivoire ? Si l’on suit Piaget, c’est la philosophie en général qui prend le risque de manquer d’objectivité, du fait qu’elle n’est pas une science soumise à des règles de contrôle et à des normes de vérification rigoureusement impersonnelles71. Ce péril n’est pas sans rapport avec ce que Jeanne Hersch appelle « l’illusion philosophique ». D’après elle, « la philosophie doit croire à son caractère scientifique sans pouvoir l’acquérir jamais »72 ; il y a toutefois une différence entre le consentement à faire comme si la philosophie avait le même pouvoir que la science en matière de vérité, et la naïveté avec laquelle certains philosophes se sont pris au jeu. Selon J. Hersch, les philosophes qui ont échappé à ce piège sont ceux qui n’ont pas assigné à la philosophie une tâche objective. Kant, par exemple, n’étudie aucun objet, mais la possibilité pour un sujet d’avoir un objet. Dans une discipline spéculative, une prétention trop forte à l’objectivité se solde par une illusion projective. J. Hersch décèle ce problème dans l’objectivisme des postkantiens : « Pour considérer l’histoire, Hegel part donc de lui-même et de son temps. Sa foi, sa vie, la situation de son pays, tels sont ses points de départ et d’aboutissement »73. On en dirait autant de Comte. Le Père Henri de Lubac, dans un ouvrage qu’il faudrait relire entièrement, se demandait si la vie religieuse de notre auteur n’avait pas été finalement qu’une « illusion vécue » : « Clotilde était pour son adorateur le symbole de l’Humanité, mais l’Humanité, dans la mesure où elle provoquait tant d’effusion, n’était-elle pas surtout l’irradiation de Clotilde ? »74. Quoi qu’il en soit, ce que l’histoire retiendra de Comte, c’est une grande pensée, aussi originale que féconde. Quant à sa vie, avec ses aspects touchants et pathétiques, elle restera un objet de curiosité pour les biographes et les spécialistes de la période romantique.

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Bibliographie

Bibliographie

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Waquet Françoise, Une histoire émotionnelle du savoir, xviie-xxie siècle, Paris, CNRS éditions, 2019.

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Notes

1  H. Gouhier, Bergson et le Christ des Évangiles, ch. IV, Paris, Vrin, 1987, p. 83.

2  Cf. F. Cossutta, « Le statut du biographique dans le discours philosophique », p. 121-152.

3  Voir les deux importants articles que Christophe Giolito a consacrés à la relation Comte/Clotilde (cf. bibliographie).

4  « Une scène de ménage, une querelle académique, une explosion sentimentale perdent toute banalité lorsqu’on pense à la mission qu’elles pourraient compromettre. Le passant discret aimerait mieux ne pas entendre certaines confidences ; mais le philosophe ouvre ses fenêtres et nous prie d’écouter » (H. Gouhier, La Vie d’Auguste Comte, Préface, p. 10). Sur le rapport de Gouhier à la biographie de Comte, cf. l’article d’Annie Petit, dans Henri Gouhier, historien des philosophes français (1898-1994).

5  Ch. Giolito, « Une liaison philo-graphique : le discours d’Auguste Comte sur Clotilde de Vaux », p. 118. .

6  Comme le note H. Gouhier (La Vie d’Auguste Comte, p. 257), Comte apprenait l’humilité en regardant vivre cette femme qui ne savait pas lire. En complément de sa théorie de la famille, Comte consacre quelques développements à la domesticité, et lui réserve une fête annuelle dans la cité positiviste. Cf. A. Comte, Système de politique positive (désormais SPP) II, p. 200-202 ; IV, p. 139-140.

7  A. Comte, Cours de philosophie positive (désormais CPP) VI, p. V/II, p. 465 (Préface personnelle).

8Idem, IV, p. 229-230/II, p. 82 (47e leçon).

9  « Je me suis toujours félicité d’être né dans le catholicisme, hors duquel ma mission aurait difficilement surgi, par suite des dangers, intellectuels et moraux, propres à l’éducation protestante ou déiste. Mais depuis l’âge de treize ans, je suis spontanément dégagé de toutes les croyances surnaturelles, sans excepter les plus fondamentales et les plus universelles, d’où les Occidentaux tirèrent tous les dogmes catholiques. Quels qu’aient été pour moi les inconvénients d’une émancipation aussi précoce, je reste convaincu qu’elle fut indispensable à ma destination, puisque je ne pouvais vraiment systématiser le culte de l’Humanité qu’après avoir entièrement éliminé Dieu » (A. Comte, Testament, p. 9).

10  A. Comte, SPP I, p. 64. Cf. aussi A. Comte, Synthèse subjective, p. 259-260, où Comte rapporte qu’il avait conçu l’espace, vers l’âge de vingt ans, comme ayant son origine dans notre subjectivité (c’est-à-dire dans l’intériorité). Rétrospectivement, ce « début décisif d’un philosophe encore adolescent » annonce la théorie des milieux subjectifs élaborée dans la dernière phase du positivisme, sorte de fiction animiste pour géomètres.

11  H. Gouhier, La Vie d’Auguste Comte, p. 10.

12  Cf. J.-F. Braunstein, La Philosophie de la médecine d’Auguste Comte, p. 5-23.

13  A. Comte, CPP III, p. 333-335/I, p. 695-696 (40e leçon).

14  A. Comte, SPP III, p. 20 et 570.

15  La lettre dénonce « l’abus des habitudes algébriques trop exclusives, qui disposent à mal concevoir la relation générale de l’abstrait au concret, une vicieuse prépondérance des signes sur les idées, qui tend bien plus à orner la mémoire qu’à exercer le jugement, enfin un penchant trop commun à faire prévaloir la considération isolée de l’instrument analytique sur celle des phénomènes dont il est éminemment destiné à perfectionner l’étude rationnelle » (A. Comte, Correspondance générale (désormais CG) I, p. 347).

16  « D’après une telle appréciation générale de la corrélation nécessaire qui lie aujourd’hui ma position privée à la situation fondamentale du monde intellectuel, chacun doit maintenant sentir combien cette préface était vraiment indispensable pour placer directement […] la suite entière des travaux ultérieurs […] sous le noble patronage d’une opinion publique non seulement française mais aussi européenne » (A. Comte, CPP VI, p. XXXII/II, p. 478).

17Idem, p. XXX/II, p. 477. Sur les probabilités, cf. A. Comte, CPP IV, p. 512-515/II, p. 168 (49e leçon) ; VI, p. 341/II, p. 581 (56e leçon).

18  A. Comte, CPP VI, p. 452/II, p. 625 (57e leçon). Cf. déjà CPP IV, p. 213-220/II, p. 77-78 (46e leçon).

19Idem, p. 456/II, p. 626 (57e leçon).

20  A. Comte, Lettre à A. Hadery du 27 octobre 1856, CG VIII, p. 332. On pourrait ici discuter l’interprétation de Ch. Giolito qui pense pouvoir affirmer que « ce sont des discours plutôt que des personnes qui entrent en relation » (« Une liaison philo-graphique… », p. 116-117). Il nous semble que cette interprétation, subtile et originale, fait trop de concessions à la théorie structuraliste (défendue par Barthes notamment) selon laquelle il n’y a pas de « hors-texte ».

21  F. Waquet, Une histoire émotionnelle du savoir, xviie-xxie siècle, p. 299.

22  La raison invoquée contre l’observation intérieure est bien connue : l’esprit ne peut se dédoubler pour se regarder agir (A. Comte, CPP, 1re leçon, I, p. 33-38/33-35). Comme le note Georges Gusdorf (La Découverte de soi, p. 64), ce problème est le même que celui que l’on rencontre en microphysique, où le rayon incident de la lumière projetée sur le corpuscule dont on veut étudier le trajet modifie la course de celui-ci.

23Alain, Éléments de philosophie, p. 327-329.

24  A. Comte, Testament, p. 29.

25  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive à la mémoire de mon éternelle amie, CG IV, p. 53.

26Idem, p. 60.

27  A. Comte, Huitième confession annuelle, CG VII, p. 94.

28Idem, p. 91.

29  A. Comte, Lettre à A. Sabatier du 16 septembre 1856, CG VIII, p. 301.

30  A. Comte, Lettre à P. Laffitte du 4 septembre 1849, CG V, p. 151.

31  À terme, Clotilde sera célébrée par la « postérité reconnaissante » ; cf. A. Comte, Septième confession annuelle, CG VI, p. 279.

32  Il revient sur la privation de sentiments durant sa jeunesse dans A. Comte, SPP I, p. 8.

33  A. Comte, Troisième confession annuelle, CG IV, p. 161.

34  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive…, CG IV, p. 56.

35  A. Comte, Testament, p. 93 (Prières quotidiennes).

36  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive, CG IV, p. 51.

37Idem, p. 58.

38  Comte préfère parler des « rapports du physique et du moral ». Le rejet de la psychologie comme science ne l’empêche pas de faire de la psychologie, bien au contraire. Cf. A. Petit, « Quelle place pour la psychologie dans le positivisme ? ».

39  A. Comte, Dédicace du Système de politique positive, CG IV, p. 61.

40  A. Comte, Quatrième confession annuelle, CG V, p. 32.

41  Comte appelle logique « le concours normal des sentiments, des images, et des signes pour nous inspirer les conceptions qui conviennent à nos besoins, moraux, intellectuels, et physiques » (Synthèse subjective, p. 27). La référence à la vérité, qui appartient à une culture trop exclusivement analytique, n’est plus essentielle.

42  A. Comte, SPP II, p. 241.

43  A. Comte, Deuxième confession annuelle, CG IV, p. 117 : « […] ma vie intime devient maintenant une simple application individuelle de la nouvelle philosophie ». D’après la Cinquième confession annuelle (CG V, p. 152), la pratique de son culte privé est de plus en plus liée à la construction publique de la nouvelle religion.

44  A. Comte, Deuxième confession annuelle, CG IV, p. 116.

45  A. Comte, Troisième confession annuelle, idem, p. 164.

46  A. Comte, Lettre à A. Sabatier, 17 octobre 1856, CG VIII, p. 320 ; et déjà Catéchisme positiviste, p. 61.

47  A. Comte, Synthèse subjective, Préface, p. IX.

48  A. Comte, Lettre à G. Audiffrent du 4 décembre 1855, CG VIII p. 154-155. Cf. Frédéric Dupin, « Parler d’une tombe anticipée : l’existence posthume d’Auguste Comte ».

49  A. Comte, Lettre à Miss Harriet Martineau du 19 janvier 1854, CG VII, p. 176.

50  A. Comte, SPP IV, p. 312.

51  A. Comte, SPP I, p. 140.

52  A. Comte, Testament, p. 14. Cf. aussi Neuvième confession annuelle, CG VII, p. 252 ; Onzième confession annuelle, CG VIII, p. 310 ; Lettre à A. Papot du 10 janvier 1856, CG VIII, p. 184.

53  Lettre à Valat du 18 novembre 1825, CG I, p. 165.

54  Ph. Lejeune, Le Pacte autobiographique, p. 173.

55  G. Gusdorf, La Découverte de soi, p. 251.

56  Cf. Ch. Giolito, « Les raisons du cœur : Lectures de la relation de Comte à Clotilde », p. 35.

57  A. Comte, Septième confession annuelle, CG VI, p. 277 : « dans l’ordre régulier, chacun doit, vers l’âge de la pleine maturité, obtenir une vie nouvelle, en résultat naturel d’une complète préparation du cœur, de l’esprit et du caractère. Une telle transformation […] ne devient exceptionnelle aujourd’hui que par l’avortement trop ordinaire de l’initiation privée et publique en un temps de désordre intellectuel et moral ».

58  A. Comte, Lettre à A. Hadery du 3 avril 1856, CG VIII, p. 243.

59  A. Comte, SPP I, p. 1. Cf. A. de Vigny, Cinq-Mars, Paris, Gosselin, 4e éd., 1829, p. 243 (1re éd., 1826).

60  A. Comte, Lettre à C. de Blignières, 19 août 1852, CG VI, p. 337. Comte oppose aussi « la vierge morte » à « l’impudique vivante ».

61  Cette addition fut publiée dans la seconde édition du Testament en 1896, insérée dans le fac simile.

62  Cf. la présentation de M. Pickering à l’édition scientifique de la correspondance A. Comte/C. Massin.

63  Cf. par exemple D. Labeure et A. Petit (dir.), Femmes et positivismes, 2020.

64  On lira à ce sujet Ph. Lejeune, Écrire sa vie. Lejeune rapporte l’intérêt qu’il a pris à lire une autobiographie familiale lorsqu’il a découvert à sa grande surprise que celle-ci était mensongère.

65  A. Comte, SPP I, p. 379 ; II, p. 451 ; III, p. XXXI ; IV, p. 2, p. 524, etc. Cf. A. Petit, « Condorcet “médité” par Auguste Comte ».

66  A. Comte, Lettre à H. Lewes du 12 août 1852, CG VI, p. 330. Cf. aussi la lettre à J. M’Clintock du 7 août 1852, CG VI, p. 323-326 ; SPP III, p. XV-XVII, et déjà la Préface personnelle de 1842 (CPP VI, p. VII-IX note/p. 466 n.).

67  Sans entrer dans le détail, on peut citer plusieurs thèmes essentiels empruntés à Saint-Simon : la réorganisation de la société, la politique érigée en science d’observation, la distinction entre les époques critiques et les époques organiques, le thème de l’âge d’or qui serait devant nous, et même la théorie de l’humanité comme espèce invasive ayant bloqué le perfectionnement des autres espèces, entre autres exemples…

68  A. Comte, Lettre à B. Profumo du 24 décembre 1850, CG V, p. 224 ; SPP II, p. 196. La vie subjective est l’existence post-mortem lorsque nous revivons en autrui.

69  On notera que Comte utilise à partir de 1851 ce qu’il appelle la « méthode subjective ». Celle-ci se définit comme la marche qui va de « l’homme au monde » par opposition au procédé objectif qui va « du monde à l’homme ». Ce retournement méthodologique se prête à plusieurs interprétations, parmi lesquelles celle que nous suggérons ici.

70  J. Piaget, Études sociologiques, p. 68-74.

71  Voir les critiques que J. Piaget adresse aux phénoménologues et à Bergson, en 1968, dans Sagesse et illusions de la philosophie.

72  J. Hersch, L’Illusion philosophique, p. 140.

73Idem, p. 102-103.

74  H. de Lubac, Le Drame de l’humanisme athée, p. 236.

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Table des illustrations

Légende Ill. 1 : Auguste Comte et ses trois anges d’après un portrait original d’Antoine Etex (1852). Archives Maison d’Auguste Comte, 1R4.
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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Fedi, « Auguste Comte par lui-même »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 53 | 2023, 75-96.

Référence électronique

Laurent Fedi, « Auguste Comte par lui-même »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En ligne], 53 | 2023, mis en ligne le 30 mai 2023, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cps/6405 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cps.6405

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Auteur

Laurent Fedi

UR 2326 CRePhAC, Université de Strasbourg

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