Texte intégral
- 1 J.-L. Nancy, « Ipso facto cogitans ac demens », 2019, p. 143.
- 2 R. Descartes, Cogitationes privatae, Adam/Tannery (désormais AT) X, 218, 5-6. Il y a une raison p (...)
« Avant la profération d’ego sum il y a comme une prière, comme une imploration qui, d’un même souffle, accueille l’autre et ploie sous sa charge – ce qui s’appelle aimer. »1
« Una est in rebus activa vis : amor, charitas, harmonia. »2
- 3 Thèse soutenue à l’Université de Toulouse-Le Mirail, devant un jury composé de MM. Gérard Granel (...)
1Dans le rapport du jury de la thèse d’État soutenue par Jean-Luc Nancy le 16 septembre 1987, intitulée « L’expérience de la liberté »3, l’intervention de Jacques Derrida, membre du jury, commence par un éloge du candidat qui mérite d’être cité ici :
- 4 Extrait du rapport de soutenance, tapuscrit original (provenance : archives Lucien Braun, Bibliot (...)
« Jacques Derrida exprime son admiration et sa reconnaissance envers Jean-Luc Nancy. Depuis vingt ans sa pensée est pour lui une ressource et une référence exemplaires. Après avoir rappelé les grandes étapes de ce trajet, l’“ampleur et l’immense portée de l’œuvre, mais aussi sa diversité, son inventivité impressionnante, son écriture aiguë, minutieuse, micrologique et fidèle dans l’analyse du concept et l’explication avec les textes”, après avoir aussi évoqué ces “grands livres” que sont La remarque spéculative, Le discours de la syncope [Logodaedalus] et Ego sum (“parmi les plus irruptifs, originaux, bouleversants qu’on ait publiés depuis des décennies sur Hegel, Kant et Descartes”), Jacques Derrida insiste sur ce qu’a de singulier et d’idiomatique la “signature pensante” de Jean-Luc Nancy »4.
Comme le rappelle et y insiste ce préambule, Derrida ne s’est donc pas seulement découvert cette singulière affinité élective qui l’a lié « à vie » à Jean-Luc Nancy du simple fait de leur commune appartenance à la nébuleuse intellectuelle aujourd’hui désignée sous le nom ridicule de « French theory ». Bien en deçà de cette appartenance à la nouvelle vague de la pensée française des années 1970, il y a quelque chose d’essentiel qui les relie : le rapport au corpus le plus classique de la philosophie occidentale – Descartes, Kant, Hegel… – et le fait que leurs positions, pour originales et « irruptives » qu’elles soient, ne sont pas séparables d’une pratique de l’enseignement et du commentaire des textes. Comme Nancy le rappelait dès le discours introductif de la soutenance, en évoquant la mémoire de ses maîtres Georges Canguilhem et Paul Ricoeur : « […] enseigner [la philosophie] c’est d’abord se livrer à l’épreuve et au travail de la pensée devant ceux qui sont à l’écoute ».
- 5 Sur cette thématique, voir J.-L. Marion : « Du pareil au même. Ou : comment Heidegger permet de r (...)
- 6 M. Heidegger, Nietzsche II, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski, p. 148 et p. 150. Rappel (...)
2« Aiguë, minutieuse, micrologique », l’écriture de Jean-Luc Nancy l’est certainement, et sa fidélité aux textes qu’elle s’applique à commenter peut s’entendre comme un a-priori méthodologique directement opposé au nivellement des discours philosophiques que leur impose « l’histoire de la métaphysique », (non-)histoire selon laquelle, reconduites aux « positions fondamentales » qui les gouvernent à leur insu, les philosophies de Descartes, de Kant et de Nietzsche disent strictement la même chose5. Ainsi pouvait-on lire dans le Nietzsche de Heidegger, que mettre avec Nietzsche le corps à la place de l’âme « ne change rien », mais atteste au contraire l’étroite dépendance de Nietzsche par rapport à la « position métaphysique » de Descartes, quoi qu’il pense la contredire, et détruire ce faisant le privilège métaphysique de l’homme, que Nietzsche porte au contraire à son accomplissement ultime dans la pensée du « Surhomme »6. Fallait-il se soumettre à ce fatum métaphysique qui plonge l’histoire de la pensée dans la grisaille onto-théologique, et qui ôte à toute philosophie sa part constitutive d’inventivité, jusqu’à en effacer la « signature pensante » ?
3En aucun cas Jean-Luc Nancy n’aurait eu la naïveté d’estimer (ou la mauvaise foi de feindre) que la thèse de Heidegger sur la « métaphysique des Temps modernes » est de celles qu’on peut simplement ignorer, pour mieux se consacrer à faire paraître l’originalité de la sienne. Au contraire, comme en avertissent les premières pages de son explication avec Descartes :
- 7 Jean-Luc Nancy, Ego Sum, p. 28. Rappelons que la collection « La philosophie en effet » où est pa (...)
« On reconnaît ici le commentaire heideggerien de Descartes. Il est constamment présupposé dans ces pages, de même qu’il y est constamment présupposé que ce commentaire ne constitue pas une “interprétation” parmi d’autres de Descartes, mais l’élucidation inévitable de sa pensée. Ces prémisses ne comportent aucun arbitraire : on verra que nos analyses ne peuvent tenter de déborder le commentaire heideggerien que dans la mesure où elles le confirment »7.
- 8 Le recueil de 1979 ne s’appuie pratiquement que sur le Nietzsche, les développements sur Descarte (...)
Pour aborder Descartes, il faut donc « inévitablement » en passer par Heidegger, et pour déborder Heidegger, il faut répéter celui-ci, et l’excéder comme du dedans. Et comme Heidegger a interprété Nietzsche à la lumière de Descartes (raison pour laquelle ce commentaire ou cette “élucidation” de Descartes est intégrée au deuxième volume du Nietzsche, tardivement paru en 19618), montrant que, loin de le détruire, Nietzsche répète ce dont Descartes n’a fait qu’annoncer le projet – celui de l’accomplissement (métaphysique) de la métaphysique comme technique et domination planétaire, ou celui du renversement du chaos pulsionnel en organisation totalitaire du réel – il faut, pour se donner une chance de surmonter le « nihilisme européen », refaire le même chemin mais en sens inverse, et, avec Nancy, lire cette fois Descartes à la lumière de Nietzsche, plutôt que Nietzsche à la lumière de Descartes. C’est précisément ce que fait Ego sum (1979), proposant ainsi une des lectures de Descartes parmi les plus puissantes et effectivement les plus « irruptives » qu’ait données le xxe siècle, tout en restant étonnamment proche et fidèle à la lettre du texte cartésien. Ce retour à Descartes, pour spéculatif qu’il soit, n’en est pas moins appuyé sur une lecture attentive, méticuleuse et précise de ce que les énoncés cartésiens disent, avant de risquer des hypothèses aussi hasardeuses qu’autoritaires sur ce qu’ils veulent dire.
- 9 Le premier texte, « Dum scribo », est une paraphrase en première personne de la Règle XII. Il se (...)
- 10 J.-L. Nancy, Ego sum, p. 29. Si Nancy estime « ne pouvoir que trouver dans ces propositions un ap (...)
4Ego sum réunit quatre études publiées principalement dans des publications anglo-américaines en 1977-1978. Quoique marquées par un certain esprit du temps et les circonstances de leur publication – certains lecteurs pourront s’agacer d’une certaine préciosité stylistique, et d’une surexploitation de la langue, fastidieuse à force d’être systématiquement facétieuse9 –, ces études témoignent d’une excellente connaissance du commentaire académique sur Descartes le plus classique et le plus actuel. On y voit l’ancien étudiant de Sorbonne commenter aussi bien Jean Laporte, Martial Gueroult ou le livre tout juste paru de Jean-Marie Beyssade, La philosophie première de Descartes10.
- 11 J.-L. Nancy, Ego sum, p. 83.
- 12 Sur la relecture et l’interprétation du « larvatus prodeo » (Cogitationes privatae, AT X, 213, 4- (...)
5D’emblée le propos intéresse ce qui fait l’unité du style cartésien, et un aspect bien connu de ce style – auquel Heidegger n’accorde pas la moindre attention : la question du masque, de la dissimulation, de la feinte, du double-jeu ou du double-fond, bref ce qu’on peut appeler la Mètis cartésienne, feinte omniprésente dans le discours philosophique cartésien, ce chef-d’œuvre de fausse ingénuité feignant de succomber à l’illusion pour mieux triompher de toute possible malignité. Descartes a si bien habitué le lecteur à cet art de la feinte, de l’illusion et du trompe-l’œil que, lorsqu’il annonce avoir trouvé en cette constatation parfaitement triviale ego sum, ego existo la pierre angulaire de toute doctrine de la vérité, le lecteur peut à bon droit se demander s’il n’a pas affaire à une énième et ultime feinte : « il est dès lors inévitable de soupçonner que le cogito lui-même, le lumineux cogito, sert encore de masque à quelque chose qui n’est, en toute rigueur, ni âme, ni Dieu, ni monde »11. Propos dans lequel il y avait d’ailleurs quelque chose d’inchoatif, aventureux, et risqué. Jean-Luc Nancy savait que derrière le Descartes objet de tous les commentaires académiques les plus ennuyeux, il y a toujours, tapi dans l’ombre, quelque chose de terriblement énigmatique, rusé, et opaque. Et c’est cette opacité qu’il a essayé de manifester au regard philosophique, donnant ainsi au célèbre motif cartésien du « larvatus prodeo » une dimension authentiquement spéculative, qui là encore n’est pas sans affinité avec la problématique nietzschéenne du masque, de l’ironie et de la dissimulation : « Alles was tief ist, liebt die Maske » disait Nietzsche, qui semblait bien, sans le citer, commenter « Descartes »12.
- 13 R. Descartes, Le Monde ou Traité de la lumière, ch. VI, AT XI, 34, 19-25 : « Car Dieu a si mervei (...)
6À la recherche d’une compréhension unitaire de la philosophie cartésienne, Nancy se refusait à lire Descartes comme la superposition de deux projets autonomes, sinon contradictoires : celui d’une épistémologie critique (qui correspond grosso modo au Descartes du néo-kantisme), et celui d’une métaphysique idéaliste (celle que récuse le même néo-kantisme). Certes, tout commentaire philosophique doit rechercher et proposer une interprétation d’ensemble, unifiante, d’une philosophie. Il faut aussi réconcilier sa substance spéculative et les circonstances ou motivations supposément contingentes et inessentielles qui déterminent son régime discursif. La voie qu’a empruntée Nancy consiste à réinscrire l’énoncé du cogito dans le prolongement de la « fable du monde », et à souligner la parenté formelle entre la fiction du chaos dans le Monde13 et la fiction radicale des Méditations, celle-ci n’étant en somme que la superstructure de celle-là :
- 14 J.-L. Nancy, Ego sum, p. 89. Voir également p. 137 : « Le mouvement fondamental des Méditations n (...)
« Dans toute la mesure où le cogito vaut et fonctionne comme la pointe d’une feinte ou d’une fiction véri-fiée, il trouve au moins son équivalent, au plus son origine dans cette matière du chaos »14.
- 15 Sur l’étymologie possible de « cogitatio » comme « co-agitatio », voir déjà Heidegger, Nietzsche (...)
- 16 On parle d’intellect hylétique, ou matériel, non parce qu’il aurait en lui ou par devers lui quoi (...)
- 17 De anima, III, 4, 429a24.
Le cogito est un co-agito, non au sens où l’ego accompagne toujours ses propres pensées – le « Je » ne saurait être un simple complément d’agent, comme le voulaient, chacun à leur manière, Leibniz ou Kant – mais au sens d’une agitation informe et originaire, d’un invisible et indicible tohu-va-bohu qui fait à bon droit parler de chaogito plus que de co-agito15. Voilà qui n’est donc « ni Dieu, ni âme, ni monde », une bouche d’ombre, qui n’est pas l’inconcussum quid, donné dans l’évidence et comme celle-ci, mais plutôt l’informe de toute forme, l’impensable de toute pensée – et qui, soit dit en passant, ne nous semble pas très éloigné de ce que la noétique arabe a désigné sous le nom d’intellect hylétique ou possible16. En effet, la double caractéristique de l’intellect qui, selon la formule d’Aristote, « n’est rien [en acte] avant de penser les intelligibles »17 (indéterminabilité ontique et analogie avec le lieu pris comme emplacement vide de toute forme) est exactement inscrite et transcrite par le terme unique d’« aréalité », que Nancy emploie dans le double sens, homonymique, du alpha privatif (l’ego est dépourvu de toute réalité au sens de la réalité intra-mondaine, de la res corporea, ou même au sens plus général de la Vorhandenheit), et d’une « aréalité » comprise comme l’archi-spatialité qui est l’ouverture de l’ego à lui-même, et le lieu de son ipséité même :
- 18 J.-L. Nancy, Ego sum, p. 38, p. 162-163. Cette thématique de l’archi-spatialité de l’ego (en écho (...)
« L’aréalité n’est pas non plus la forme transcendantale de l’espace ; antérieure au régime transcendantal […], plus “primitive”, l’aréalité s’étend comme le lieu inassignable de l’expérience informe que fait le “sujet” de son “propre” chaos.
La bouche est l’ouverture de Ego, Ego est l’ouverture de la bouche. Ce qui s’y passe, c’est qu’il s’y espace. […] Mais l’homme est cela qui s’espace, et qui peut-être jamais ne demeure ailleurs qu’en cet espacement, dans l’aréalité de sa bouche […] »18.
Difficile de ne pas voir ce que cette caractérisation du « lumineux cogito » comme la profération dissimulante de l’obscurité qui le borde doit à la thèse nietzschéenne selon laquelle toute « science » et toute « intelligence » ne sont jamais qu’une certaine imposition de l’ordre au chaos pulsionnel, constitutif du « sujet » dans son être le plus propre :
- 19 F. Nietzsche, Fragments posthumes, hiver 1883, 24 [18] ; je donne ici la traduction complète du f (...)
« La science – cela consistait jusque-là dans l’élimination de la complète confusion des choses par le moyen d’hypothèses qui “expliquent” tout – donc à cause de l’aversion que l’intellect éprouve à l’endroit du chaos [aus dem Widerwillen des Intellekts an das Chaos] ; cette même aversion me saisit dans la considération de moi-même : je voudrais aussi me représenter le monde intérieur par un schéma qui m’en donne la représentation figurée, et me permette de venir à bout de cette confusion intellectuelle »19.
- 20 J.-L. Nancy, Ego sum, p. 34 : « Descartes ne refuse rien avec autant d’obstination que d’introdui (...)
C’est en ce sens que le « chaogito » de Jean-Luc Nancy peut se comprendre comme une interprétation nietzschéenne de Descartes, diamétralement opposée, en un sens, ou du moins en intention, à la lecture cartésienne de Nietzsche proposée par Heidegger. Ce chaogito forme bien, d’une certaine manière, l’envers ou le négatif de la formule que Heidegger attribuait à Descartes, cogito me cogitare, et dont Nancy fut peut-être le premier à signaler qu’elle était directement récusée par Descartes et contredite par les textes20. Le cogito n’est ni intuitif, ni déductif, ni réflexif ; il ne s’accomplit pas dans le régime de la représentation qui est celui du savoir certain, et de la pensée rationnelle qui n’atteint par définition que des objets.
7Quelque importance décisive que ce moment hautement spéculatif ait pu revêtir dans l’itinéraire philosophique de Jean-Luc Nancy, il n’a pourtant pas le caractère d’une doctrine stable ni d’une thèse définitivement établie. On ne saurait non plus éviter la question de sa réussite à se déprendre du schème herméneutique imposé par Heidegger – lequel voulait d’ailleurs moins mettre en évidence ce qui fait la spécificité, la singularité, voire l’exception cartésienne, que ce qui, à travers lui, s’énonçait comme le point de départ et la loi de la métaphysique « moderne », cette loi à laquelle la philosophie critique de Kant et la philosophie au marteau de Nietzsche sont aussi bien soumises l’une que l’autre. De fait, il n’est pas toujours évident que la confrontation de Nancy avec la lecture heideggerienne de Descartes permette, par ce retournement palinodique d’un Nietzsche cartésien en un Descartes nietzschéen, de « dépasser » Heidegger, ou de régresser à une compréhension plus originelle de Descartes lui-même. La ligne directrice que suit Ego sum, dans les années 1970, consiste à aborder le cogito comme un acte de langage, et s’intéresse donc à l’énoncer comme tel, à « l’énoncer de l’énoncé ». En apparence, ce type d’approche laisse complètement de côté le thème heideggerien de l’ego comme préposé de la « représentation » ; mais, dans les faits, et à bien relire le Nietzsche de 1940, la chose est loin d’être aussi claire, et l’on pourrait tout au contraire souligner que la tentative de « déborder » Heidegger par l’énonciation du c[ha]ogito ne fait qu’exposer l’essence même de la représentation – pour la bonne et simple raison que la « proposition » au sens linguistique du terme (hoc pronuntiatum, Ego sum, ego existo, AT VII, 25) dit exactement la même chose que l’allemand vor-stellen, comme Heidegger lui-même l’a d’avance objecté à ses objecteurs :
- 21 M. Heidegger, Nietzsche, II, p. 134 [GA 6.2, 166].
« Ainsi c’est la proposition cogito sum [der Satz cogito sum] qui est elle-même le subjectum – la “proposition” en effet, non pas comprise en tant que teneur et formation conçue grammaticalement, ni non plus dans son “contenu de signification” [Bedeutungsgehalt] prétendument arbitraire et en soi concevable, mais la “proposition” [der „Satz“] selon ce qui s’exprime soi-même, en tant que le proprement « essencifiant » [das eigentlich Wesende] en elle et ce qui la porte elle-même en sa propositionnelle essence [in seinem Satzwesen]. Qu’est-ce que ceci ? Réponse : la pleine essence de la représentation »21.
Autrement dit on ne prend pas congé de Heidegger aussi facilement, et surtout pas en cédant aux sirènes des philosophies – fussent-elles phénoménologiques – de ceci ou de cela (philosophie du langage, philosophie du corps, philosophie analytique, etc.) ; d’où la nécessité de retours à Descartes qui sont autant de tentatives pour tracer de nouvelles voies ou esquisser de nouvelles possibilités pour y découvrir un sol plus originel, plus « primitif » (Nancy) ou « sauvage » (Merleau-Ponty) que celui, prétendument ultime, de la certitude de soi.
- 22 J.-L. Nancy, Ego sum, p. 34 et n. 7.
- 23 Vide supra, n. 1.
- 24 J.-L. Nancy, Derrida, suppléments, p. 141. Voir à ce sujet la remarque de Heidegger, Vom Wesen de (...)
8Chacun sait que, dans cet effort, dans cette épreuve inlassablement recommencée, Jean-Luc Nancy a trouvé un guide et un appui indéfectible en la personne et l’œuvre de Jacques Derrida. Que le « cogito » de Derrida ait accompagné toutes les pensées philosophiques de Jean-Luc Nancy est tellement notoire qu’il est presque inconvenant et absurde de le rappeler ici. L’introduction à Ego sum désignait d’ailleurs le texte de 1963, « Cogito et histoire de la folie », comme constituant, après Heidegger, la « seconde condition de possibilité de son propos »22. Plus d’une dizaine d’années plus tard, J.-L. Nancy écrit derechef, à partir de Derrida et pour lui, un texte d’une exceptionnelle densité philosophique : « Ipso facto cogitans ac demens »23. Ce texte introduit dans la querelle métaphysique et le débat avec Heidegger une question qui intéresse l’éthique – comprise comme l’authentique philosophie première. C’est l’amour, en tant qu’il précède l’ego sum « d’une antécédence immémoriale et anoriginelle », ou bien en tant que l’amour est plus intime à l’ego que lui-même. Amour, mais de qui ? et de quoi ? Écoutons-le : « L’amour n’est jamais autre chose que l’amour de soi au point précis où il perd son objet même »24. L’amant sera donc, pour Jean-Luc Nancy – dans un geste qui n’est pas sans rappeler les précédents d’Emmanuel Levinas et de Jean-Luc Marion – l’ultime figure de l’ego. Amant entre âme et corps, entre sagesse et folie, entre présence et absence, à la vie à la mort, amant à qui revient donc de pouvoir prononcer lui-même l’imprononçable mot d’adieu :
- 25 R. Descartes, Passions de l’âme, art. LXXX, AT XI, 387 ; on notera que la principale différence e (...)
- 26 J.-L. Nancy, Derrida, suppléments, p. 144.
« L’amour est pour Descartes une des actions ou une des propriétés de la res cogitans […] Il consiste à se conjoindre à un autre jusqu’à le considérer comme un autre soi-même25. […] Un autre qui m’emporte alors que je le porte.
Cet emportement est une folie. Cette folie est la raison d’une pensée. Cette pensée est le développement rigoureux et conséquent de ce qui depuis si longtemps s’est engagé au titre du porter et du supporter : hypokeimenon, soubassement, suppôt, sujet – la substructure et la substance de cet accident que nous sommes »26.
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Bibliographie
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Notes
J.-L. Nancy, « Ipso facto cogitans ac demens », 2019, p. 143.
R. Descartes, Cogitationes privatae, Adam/Tannery (désormais AT) X, 218, 5-6. Il y a une raison purement contingente et accidentelle à l’écriture de cet hommage : lorsque Jean-Luc Nancy m’a accueilli en 1996 à l’Université de Strasbourg, il était prévu qu’il devînt codirecteur de la thèse – sur les premières pensées de Descartes – que j’avais entreprise sous la direction de Jean-Luc Marion, à Paris IV. Très vite, des circonstances défavorables ont rendu ce projet impossible, mais j’ai eu alors le privilège d’avoir avec Jean-Luc (Nancy) quelques conversations sur le thème cartésien de l’union de l’âme et du corps qui m’avaient fait immédiatement mesurer l’acribie et la profondeur de cette pensée, proprement effrayante pour l’étudiant que j’étais alors. J’en garde un souvenir émerveillé et un sentiment de gratitude sans fin, dont ces quelques pages sont un modeste témoignage.
Thèse soutenue à l’Université de Toulouse-Le Mirail, devant un jury composé de MM. Gérard Granel (Université de Toulouse, rapporteur), Jacques Derrida (École des hautes études en sciences sociales, Paris), Jean Toussaint-Desanti (Université Paris-1), Jean-François Lyotard (Université Paris-8), Georges Mailhos (Université de Toulouse) et Lucien Braun (Université Strasbourg-2, président du jury). La thèse se compose d’un recueil d’articles et d’ouvrages, classés par ordre chronologique de parution : La Remarque spéculative (Galilée, 1973) ; Logodædalus (Flammarion, 1976) ; Ego sum (Flammarion, 1979) ; « La juridiction du monarque hégélien », in : Rejouer le politique (Galilée, 1981) ; Le Partage des voix (Galilée, 1982) ; L’Impératif catégorique (Flammarion, 1983) ; « Des lieux divins », in : Qu’est que Dieu ? (Bruxelles, 1983) ; « La joie d’Hypérion » (Les Études philosophiques, 1983/2) ; « L’offrande sublime » (Poésie, no 30, 1984) ; « Dies irae », in : La Faculté de juger (Minuit, 1985) ; La Communauté désœuvrée (Christian Bourgois, 1986) ; « L’Amour en éclats », Aléa no 7, 1986 ; L’Oubli de la philosophie (Galilée, 1986) et le tapuscrit de 175 pages intitulé L’Expérience de la liberté [Galilée, 1988].
Extrait du rapport de soutenance, tapuscrit original (provenance : archives Lucien Braun, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, p. 4).
Sur cette thématique, voir J.-L. Marion : « Du pareil au même. Ou : comment Heidegger permet de refaire “l’histoire de la philosophie” », p. 131-160.
M. Heidegger, Nietzsche II, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski, p. 148 et p. 150. Rappelons ici que la traduction de Klossowski a permis à Jean-Luc Nancy et à sa génération de se familiariser avec ce texte essentiel, et qu’elle a mis la figure de Nietzsche au cœur du débat philosophique de l’époque. C’est le colloque Nietzsche de Cerisy (1972) qui marque le commencement de la carrière internationale de Jean-Luc Nancy.
Jean-Luc Nancy, Ego Sum, p. 28. Rappelons que la collection « La philosophie en effet » où est paru ce recueil en 1979 était déjà dirigée par Jacques Derrida, Sarah Kofman, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy. Sur Nietzsche, il faut signaler le recueil d’études de Sarah Kofman : Nietzsche et la métaphore, puis Nietzsche et la scène philosophique.
Le recueil de 1979 ne s’appuie pratiquement que sur le Nietzsche, les développements sur Descartes du ch. V (1940) intégrant l’essentiel de ce qu’on pouvait déjà lire dans l’essai Die Zeit des Weltbildes (« L’époque des conceptions du monde »), texte tiré d’une conférence donnée en 1938 et reprise dans les Holzwege (Chemins qui ne mènent nulle part). Ces précisions chronologiques sont importantes, car elles autorisent à considérer que la conférence de 1938 et le cours de 1940 sont immédiatement postérieurs à l’épisode obscur du Congrès Descartes de 1937, congrès auquel Heidegger n’a pas participé pour des raisons que la thèse de V. Farias, si bien documentée soit-elle, laisse en partie dans l’ombre (cf. Heidegger et le nazisme, p. 261-267, et R. Safranski, Heidegger et son temps, p. 460-463).
Le premier texte, « Dum scribo », est une paraphrase en première personne de la Règle XII. Il se conclut par un jeu de mots d’apparence ésotérique : « la vérité est une calamité » (p. 60) – en jouant à la Raymond Roussel sur le double sens du mot « calame », plume pour écrire/désastre météorologique. Derrière ce jeu de mots, ou dans ce jeu des mots tracés par une plume dont les divers mouvements commandent d’infinies variations de pensée, s’avance une réflexion inouïe sur le sujet de l’écriture, et donc l’écriture du sujet, ce que plus tard Jean-Luc Nancy thématise et désigne comme l’« excrit ».
J.-L. Nancy, Ego sum, p. 29. Si Nancy estime « ne pouvoir que trouver dans ces propositions un appui contre toutes les espèces de réduction du cogito à quelque forme d’immédiateté que ce soit », il se dit pourtant loin « de trouver un accord d’ensemble avec ce livre », et s’étonne notamment « qu’on puisse aujourd’hui proposer [une interprétation générale du cartésianisme] sans entreprendre la moindre analyse de la lecture heideggerienne de Descartes ».
J.-L. Nancy, Ego sum, p. 83.
Sur la relecture et l’interprétation du « larvatus prodeo » (Cogitationes privatae, AT X, 213, 4-7), voir J.-L. Nancy, Ego sum, p. 91-94, puis Nietzsche, Jenseits von Gut und Böse, § 40. On notera que ce paragraphe développe, comme le fait Descartes, la question de la « pudeur » (« Scham ist erfinderisch » [la pudeur est inventive], ibid. ; cf. « ut comoedi, moniti ne in fronte appareat pudor, personam induunt : sic ego… »).
R. Descartes, Le Monde ou Traité de la lumière, ch. VI, AT XI, 34, 19-25 : « Car Dieu a si merveilleusement établi les lois ordinaires de la nature, qu’encore que nous supposions qu’il ne crée rien de plus que ce que j’ai dit […] mais qu’il en compose un chaos le plus confus et le plus embrouillé que les Poètes puissent décrire : elles sont suffisantes pour faire que les parties de ce chaos se démêlent d’elles-mêmes… ».
J.-L. Nancy, Ego sum, p. 89. Voir également p. 137 : « Le mouvement fondamental des Méditations n’est pas celui du détour par une fiction d’où il faudrait ensuite revenir (comme d’un quelconque artifice de démonstration) à la réalité, il est celui de la feinte comme auto-position du Je, et qui fournit à la fois la butée et la source de toute démonstration réelle ».
Sur l’étymologie possible de « cogitatio » comme « co-agitatio », voir déjà Heidegger, Nietzsche II, p. 346 et 376.
On parle d’intellect hylétique, ou matériel, non parce qu’il aurait en lui ou par devers lui quoi que ce soit de matériel au sens d’une matière corporelle, mais au contraire au sens où il n’est rien, une sorte de néant, c’est-à-dire rien en soi ni en acte avant de recevoir les formes ou espèces intelligibles ; l’intellection n’étant pas une opération qui modifie son objet mais une pure réceptivité, ce qui permet de décrire métaphoriquement l’intellect comme le « lieu des formes » (cf. Aristote, De anima, III, 4, 429a27, en écho à Platon, Timée, 50d).
De anima, III, 4, 429a24.
J.-L. Nancy, Ego sum, p. 38, p. 162-163. Cette thématique de l’archi-spatialité de l’ego (en écho aux analyses d’Être et Temps sur la spatialité du Dasein – cf. à ce sujet Didier Franck : Heidegger et le problème de l’espace, Paris, Minuit, 1986) sert de cadre thématique et problématique aux recherches que Jean-Luc Nancy a encadrées à l’Université de Strasbourg dans les années 1990. On relira donc avec profit la postface au tout premier numéro des Cahiers philosophiques de Strasbourg
(J.-L. Nancy, « L’époque de l’espace », p. 149-151) ; dans ce même numéro, voir en particulier l’étude suggestive de Claude Romano, « L’unité de l’espace et la phénoménologie » (ibid., p. 107-135), qui prolonge la thématique husserlienne de la dualité chair / corps en direction de Merleau-Ponty, non sans une attention particulière à l’œuvre du strasbourgeois Maurice Pradines (voir sa Philosophie de la sensation, I, Livre II : Le problème de l’espace et de la perception extérieure, p. 77-169).
F. Nietzsche, Fragments posthumes, hiver 1883, 24 [18] ; je donne ici la traduction complète du fragment partiellement cité par Jean Granier dans « La pensée nietzschéenne du chaos », p. 129-166, ici p. 152. On voit clairement dans ce fragment l’intériorisation du chaos par Nietzsche, qui ne désigne plus une réalité cosmologique mais psychologique. Sur la question du chaos, de la matière et du lieu dans la pensée grecque, telle que Nietzsche la comprend et l’expose dans ses cours, voir ses Écrits philologiques, vol. VIII : Platon, § 35, p. 208-209.
J.-L. Nancy, Ego sum, p. 34 : « Descartes ne refuse rien avec autant d’obstination que d’introduire une pensée de la pensée, une réflexivité dans le cogito ». Signalons en particulier, pour les lecteurs cartésiens, le lieu devenu classique des Septièmes Réponses, que Jean-Luc Marion et Michel Henry ont fait valoir contre la formule heideggerienne « cogito me cogitare » (introduite par Heidegger dès Sein und Zeit, § 82). Cf. É. Mehl, « Les Septièmes objections et réponses », dans Les Méditations métaphysiques, Objections et Réponses de Descartes. Un commentaire, p. 393.
M. Heidegger, Nietzsche, II, p. 134 [GA 6.2, 166].
J.-L. Nancy, Ego sum, p. 34 et n. 7.
Vide supra, n. 1.
J.-L. Nancy, Derrida, suppléments, p. 141. Voir à ce sujet la remarque de Heidegger, Vom Wesen des Grundes, p. 133-134 : « L’énoncé de cette thèse que la réalité humaine existe à dessein de soi [Das Dasein existiert umwillen seiner] ne renferme aucun but égoïste d’ordre ontique, proposé à l’aveugle amour de soi que professerait tel ou tel être humain existant en fait. Tout au contraire, elle fournit la condition à laquelle il est possible que l’être humain puisse se comporter, ou bien “de façon égoïste” ou bien “de façon altruiste” ».
R. Descartes, Passions de l’âme, art. LXXX, AT XI, 387 ; on notera que la principale différence entre l’amour et le désir est que le premier fait considérer comme effectivement réalisé et présent ce que le second attend dans un horizon temporel indéfini. Par « se joindre volonté » il faut comprendre qu’il est question, dans l’amour, de ce « consentement par lequel on se considère dès à présent comme joint avec ce qu’on aime », là où le désir est une « passion à part & se rapporte à l’avenir » (nos italiques). L’amour donc, n’attend rien, ni satisfaction future ni réciprocité, puisqu’il est l’état de la volonté affranchie de l’objectivité, de l’individuation et de la séparation des consciences (voir également Passions de l’âme, art. LXXXII, AT XI, 389 : un père qui aime ses enfants d’un amour pur « ne désire rien avoir d’eux », et « ne craint pas de se perdre pour les sauver »).
J.-L. Nancy, Derrida, suppléments, p. 144.
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