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La constitution de l’expérience d’autrui

Approche phénoménologique et expérimentale
Charles Lenay et François D. Sebbah
p. 159-174

Résumés

Pour un arbitrage entre la théorie cognitive de l’esprit et la phénoménologie de l’intersubjectivité la technologie simule une situation de croisement perceptif dans un espace virtuel, où la reconnaissance par un agent de la présence d’un autre repose uniquement sur l’interaction comportementale. À la justification de Merleau-Ponty et Varela quant au caractère non représentationnel ni inférentiel de la reconnaissance d’autrui, en dissociant celle-ci d’avec une détermination spatiale, on ajoutera un analogon technologique de l’expérience du « visage » comme halo de présence non objectivable, d’après Levinas.

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Notes de l’auteur

Cet article a été élaboré dans le cadre du programme de recherche TTH (Technologies et Traces de l’Homme), projet soutenu par la Région Picardie et le FEDER, Université de Technologie de Compiègne.

Texte intégral

Introduction

  • 1 Ch. LENAY et F.‑D. SEBBAH, « La constitution de la perception spatiale. Approches phénoménologique (...)

1Cet exposé s’inscrit dans la continuation de notre « La constitution de la perception spatiale : approches phénoménologique et expérimentale » que nous présentions en 20011. L’une des exigences principales qui le soutient est la suivante : ne pas naturaliser la phénoménologie, que la naturalisation soit « forte » ou « faible », dès lors que le geste de naturalisation semble impliquer l’annulation de la réduction phénoménologique, mais ne pas faire de cette exigence l’occasion d’un non-rapport à la nature au sens des sciences de la nature. Une troisième voie est possible, qui n’est pas de compromis. Nous l’avions nommée : « méthode des répondants ». Il s’était agi de mettre en contact des descriptions phénoménologiques prenant en compte le vécu, comme constituant irréductible à tout constitué (dont le donné scientifique) avec des moments de savoir produits scientifiquement : le « donné » satisfaisant les exigences de la science. Qu’en est-il de ce rapport ? Nous le pensons de la manière suivante : respecter autant que possible les exigences propres à chaque registre : la description phénoménologique et l’explication de psychologie expérimentale (une méthode minimaliste qui révèle les actes de construction grâce à un dispositif technologique) en nous efforçant de prendre pour guide les acquis de l’un dans l’investigation conduite dans le cadre de l’autre. En application de ce programme, la description phénoménologique merleau-pontienne orienta la construction des protocoles d’étude de la perception spatiale; tandis que les phénomènes mis au jour grâce à la méthode expérimentale étaient traités comme des phénomènes à reprendre dans la description phénoménologique, quitte à enrichir voire déplacer cette dernière.

2Nous avions en 2001 suivi cette méthode à propos de la dimension de profondeur dans la constitution de l’espace ; nous voudrions la suivre ici à propos de la constitution / construction de la perception d’autrui, en confrontant certaines cette fois des descriptions phénoménologiques (empruntées à Merleau-Ponty, Sartre ou Levinas) avec des résultats expérimentaux concernant le « croisement des regards » obtenus grâce à des protocoles de psychologie expérimentale dans en contexte technologiquement réduit.

3La difficulté est, cette fois, redoublée du fait qu’autrui tend à mettre en crise la phénoménologie elle-même dans la mesure où la reconnaissance de son existence peut paraître en transgresser la méthode solipsiste classique ; parallèlement, le doute concernant la possibilité de capturer l’expérience d’autrui dans le cadre d’une démarche scientifique expérimentale pourra sembler en être radicalisé – au point que la collaboration des deux approches devienne difficile voire impossible ? À moins qu’une aporie homomorphe à celle qu’a rencontrée la méthode phénoménologique ne « réponde » à cette dernière dans le registre de l’expérimentation – par où l’aporie se convertirait en fécondité ?

4Le travail scientifique que nous avons mené sur la question de la reconnaissance d’autrui a été marqué par une série de remises en questions et approfondissements tour à tour provoqués par la résistance des observations empiriques – les résultats expérimentaux demandant de nouvelles élaborations théoriques – et par l’exigence phénoménologique – les explications proposées dans l’objectivité scientifique devant aussi pouvoir être ressaisies dans une description en première personne par le sujet se prêtant à ces expériences (sur la base de son vécu pur).

5Pour donner à comprendre les conditions épistémologiques et philosophiques de notre travail, nous décrivons rapidement trois moments de cette histoire qui montreront à l’œuvre les ressorts de notre méthode des répondants.

Premier moment

6Sur le plan scientifique, notre position théorique de départ était l’expression d’une réticence vis-à-vis des approches classiques qui prétendent rendre compte de la reconnaissance d’autrui comme simple « attribution d’intentionnalité » : un observateur extérieur déciderait sur la base de critères définis, s’il doit ou ne doit pas attribuer une intentionnalité à un système observé. Notons que cette première orientation théorique avait déjà pour origine un questionnement d’ordre phénoménologique, puisque ce qui nous paraissait insatisfaisant dans les explications de la tâche de la reconnaissance d’autrui en termes de calcul interne sur des représentations (neuronales ou computationnelles), c’est qu’elles laissaient de côté la question de l’expérience vécue de la perception d’autrui.

7Comme alternative, pour rendre compte de l’immédiateté et de la puissance du sentiment de la présence d’autrui, nous faisions l’hypothèse qu’autrui doit se reconnaître à même l’activité perceptive quand celle-ci rencontre une autre activité perceptive. En effet, autrui semble d’abord m’apparaître comme intentionnalité perceptive. C’est pourquoi nous avons étudié les situations de croisement perceptif, où deux activités perceptives de même genre se rencontrent.

8Notre méthode expérimentale s’appuie sur un paradigme minimaliste assurant un contrôle strict des actions perceptives et des retours sensoriels : deux sujets dans deux pièces séparées ne peuvent interagir que via le dispositif que nous avons mis en place. Ils ont les yeux bandés. Ils ne peuvent que déplacer un champ récepteur dans un espace numérique unidimensionnel (mouvements droite-gauche d’une souris d’ordinateur). Quand ce champ récepteur rencontre un pixel noir, il active un stimulateur tactile sur un doigt de la main libre (il n’y a donc qu’un bit d’information sensorielle à chaque instant). Cet espace numérique unidimensionnel est partagé entre les deux sujets (voir figure 1).

Figure 1 : dispositif pour un croisement perceptif minimaliste.

Figure 1 : dispositif pour un croisement perceptif minimaliste.

Chaque poste est dans une pièce séparée. Chacun reçoit un stimulus tactile (en tout ou rien) quand le champ récepteur qu’il manipule de droite à gauche dans l’espace virtuel unidimensionnel croise un pixel noir. Il n’y a d’interaction possible que via le réseau dans l’espace virtuel partagé.

  • 2 C. LENAY, M. AUVRAY, F. D. SEBBAH, and J. STEWART « Perception of an intentional subject: An enacti (...)

9Dans notre première expérience chaque sujet ne peut rencontrer que trois types d’objets tous semblables (segments de 4 pixels) : un objet fixe, un objet mobile et le champ récepteur du partenaire. Notre hypothèse était que même dans un environnement aussi pauvre le sujet pouvait reconnaître la présence d’un autre sujet, dès lors que leurs activités perceptives se croisaient. Pour tester cette hypothèse nous avons fait en sorte que l’objet mobile ait un comportement objectivement aussi complexe que celui du récepteur du partenaire. Pour cela, l’objet mobile est attaché au champ récepteur du partenaire par un lien virtuel constant. Il le suit donc, comme son ombre (à 150 pixels de distance), partageant exactement les mêmes mouvements. Ainsi, la seule différence entre ce leurre et le champ récepteur du partenaire est que chaque fois qu’un sujet perçoit le champ récepteur de son partenaire, celui-ci perçoit en retour le champ récepteur de ce sujet (croisement perceptif), alors que quand le sujet perçoit le leurre, son partenaire ne le perçoit pas2. On demande aux sujets de cliquer quand ils pensent être en face de leur partenaire. On cherche ainsi à montrer que c’est bien spécifiquement le fait d’être perçu par autrui qui est l’indice de sa présence, et non pas tout autre comportement de déplacement.

  • 3 M. AUVRAY, C. LENAY, and J. STEWART, « Perceptual interactions in a minimalist virtual environment  (...)

10Les résultats de cette expérience ont été tout d’abord surprenants par l’ampleur du succès : 66 % des clics sur le champ récepteur du partenaire, 23 % des clics sur le leurre mobile, et 11 % des clics sur l’objet fixe, et ceci alors que les mouvements objectifs du leurre mobile et du champ récepteur du partenaire sont exactement semblables3.

11En même temps, les conditions expérimentales choisies étaient de nature à satisfaire l’exigence scientifique d’une explication des résultats observés. En effet, notre dispositif permet un enregistrement complet des mouvements effectués et des stimulations reçues par les sujets. Et c’est nécessairement à même ces trajectoires que doivent se trouver les conditions qui ont conduit les sujets à faire leurs choix.

12Les analyses révélaient un résultat étonnant (et décevant) : si l’on catégorise en fonction des causes respectives (objet fixe, champ récepteur du partenaire, leurre mobile) les stimulations reçues par les sujets au long des expériences, on découvre que 52 % de ces stimulations sont dues au champ récepteur du partenaire, 33 % à l’objet fixe et seulement 15 % au leurre mobile. Dès lors, rapportée à la fréquence des stimulations, la probabilité de cliquer sur le partenaire n’est pas plus grande que celle de cliquer sur le leurre ! Donc, si les sujets réussissent la tâche, ce n’est pas parce qu’ils ont pu catégoriser les stimulations, mais parce qu’ils reçoivent beaucoup plus de stimulations dues au partenaire. On découvre, en effet, l’existence d’un attracteur des activités perceptives des deux sujets. Elles s’accrochent entre elles comme dans le domaine visuel s’accrochent les regards.

13Cet attracteur des déplacements des deux sujets peut facilement s’expliquer. En effet, la stratégie perceptive la plus générale, pour les sujets immergés dans cet espace unidimensionnel, consiste à explorer l’espace et à inverser leur mouvement dès qu’un retour sensoriel se produit. Si c’est un objet fixe qui est présent, cette stratégie va produire un balayage régulier autour de la position de cette stimulation sensorielle. Si c’est le leurre mobile qui est rencontré, quand le sujet inverse son mouvement, il ne retrouve plus la stimulation, puisque le leurre s’est rapidement déplacé. Mais, si c’est le champ récepteur du partenaire qui est rencontré, au moment où le sujet revient sur ses pas, il y a beaucoup de chance que son partenaire, qui était lui-même en train d’explorer l’espace et qui a lui aussi reçu une stimulation sensorielle, soit aussi en train de revenir sur ses pas. Les deux trajectoires perceptives entrent ainsi dans une danse, oscillant autour d’un centre instable. C’est l’attracteur du croisement perceptif.

14C’est seulement au niveau de la dynamique d’interaction que peut se comprendre cet attracteur. Si maintenant les sujets cliquent avec la même probabilité quand ils rencontrent quelque chose de mobile, ils cliqueront plus souvent sur le champ récepteur du partenaire que sur le leurre mobile, pour la seule raison que ce champ récepteur est plus fréquemment la cause des stimulations qu’ils reçoivent.

  • 4 T. FROESE and E.A. Di PAOLO, « Modelling social interaction as perceptual crossing: an investigatio (...)
  • 5 M. ROHDE and E. Di PAOLO, « Embodiment and Perceptual Crossing in 2D », p. 83-92.
  • 6 H. IIZUKA and E. Di PAOLO, « Minimal Agency Detection of Embodied Agents », p. 485-94. http://link. (...)
  • 7 T. FROESE et al., « Embodied Social Interaction Constitutes Social Cognition in Pairs of Humans : A (...)

15Ainsi, la tâche de la « reconnaissance d’autrui » (« reconnaissance » étant à entendre ici au sens de la psychologie expérimentale) semble réalisée, non par les individus qui constituent la dyade mais par cette dyade elle-même. Il y a réussite commune sans réussite individuelle. Cette expérience a été répliquée avec diverses variantes par différents groupes de recherche (Angleterre4, Allemagne5, Japon6, Mexique7).

  • 8 La TOM, pour Theory Of Mind, est la théorie qui consiste à attribuer des états mentaux (représentat (...)
  • 9 F.J. VARELA, Autonomie et connaissance ; F.J. VARELA et al., The embodied mind: Cognitive science a (...)
  • 10 H. De JAEGHER et al., « Can social interaction constitute social cognition? », p. 441-447 ; H. De J (...)
  • 11 Cf. M. MERLEAU-PONTY, La phénoménologie de la perception. Pour un débat sur la manière dont la pens (...)
  • 12 On se reportera alors au MERLEAU-PONTY tardif, celui de Le visible et l’invisible, cité ici dans l’ (...)

16Sur le plan phénoménologique, on peut dire que ce que nous « montre » l’expérimentation, c’est qu’autrui est à même son comportement et non pas enfermé dans la forteresse de lui-même. Et que le sujet qui fait l’expérience d’autrui, lui aussi, n’est nulle part ailleurs que dans son comportement, dans la danse, et non pas dans un calcul sur des représentations produit dans l’enfermement en soi-même à propos d’une autre forteresse dont il faudrait percer la muraille (le phénomène « construit » est donc rétif à la « TOM » et au mind reading8). On retrouve ici l’un des grands enseignements de la Gestalttheorie en général ; et en particulier la manière dont Merleau-Ponty prolongea ces analyses. Plus précisément, et cette précision aussi nous est suggérée par l’expérimentation, la danse elle-même indique 1) que ce n’est qu’en agissant que je perçois, ce n’est qu’en agissant que je perçois autrui en tant qu’autrui, 2) autrui lui-même agissant, et agissant dans une action corrélée à mon action par la perception qu’il a de mon action – en une espèce de symétrie originaire. On trouve ici confirmation de la pensée de l’enaction ressaisie en son origine varélienne9 : l’action et la perception sont comme les deux faces d’une même intentionnalité tout à la fois motrice et perceptive, à même les comportements se déployant en un « monde » (fût-il « minimalisé »). C’est ce cadre théorique enactif qui est exigé par le « phénomène » construit (au sens de mis au jour) par l’expérimentation ; il est exigé par le phénomène pour autant que ce n’est qu’à l’intérieur de ce cadre que le phénomène se trouve être décrit de manière pleinement intelligible. Et, en retour, le cadre théorique enactif permet de dégager la constitution du sens de l’expérience d’autrui, comme cette danse entrelaçant toujours déjà action et perception de l’un et de l’autre10. Une précision s’impose alors : à la racine même de la théorie enactive, c’est la phénoménologie merleau-pontienne11 que le phénomène minimaliste construit a appelé : le phénomène observé en troisième personne s’est doté d’un sens dès lors 1) qu’on l’a corrélé à l’expérience vécue en première personne que décrit Merleau-Ponty, et 2) que mettant hors jeu la mondanité constituée, on en a dégagé la portée constituante. Il y va de la constitution même du sens d’autrui, indépendamment des comportements objectivés et donnés qui auront été construits et isolés par l’expérimentation, même si seule cette dernière (en ceci tout sauf superfétatoire) aura pu y donner accès. La « réponse » de la phénoménologie merleau-pontienne à « l’appel » de l’expérimentation minimaliste ne s’arrête pas là. La phénoménologie merleau-pontienne donne à cette dernière tout un contexte de signification en l’inscrivant dans une ontologie phénoménologique, que nous nous contentons ici de signaler. Si la description nous impose de prendre en compte qu’il n’y a de « vu » que d’un « voyant » en une symétrie et une réversibilité originaire, alors il faut dire qu’il n’y a Moi et autrui que comme deux feuillets ou deux « plis » dans la structure plus originaire de l’anonymat du Monde12.

17Nous n’ouvrons pas le débat ici, mais il est vrai qu’on pourra toujours demander si, dans la mesure où nous prétendons remonter en amont de la subjectivité qui fait l’épreuve d’autrui, il n’y a pas quelque contradiction à présenter une description de l’anonymat originaire. Dès lors que je ne suis plus – ou pas encore – là pour attester d’une telle épreuve, qu’est-ce qui garantit qu’il ne s’agit pas d’une construction spéculative ? Mais, déjà, le fait même de pouvoir aiguiller l’expérimentation sur un tel débat, et, réciproquement, que ce débat soit impliqué par une expérimentation de psychologie expérimentale minimaliste, n’est-il pas une preuve de la fécondité de notre méthode des répondants ?

18Cependant, aussi bien du point de vue de la science expérimentale que du point de vue phénoménologique, nous n’étions pas satisfaits. Tout cela ne rendait pas compte du fait que les sujets rapportaient avoir bel et bien l’impression de réussir la tâche, c’est-à-dire d’avoir l’expérience individuelle de rencontrer autrui quand ils cliquent. Or notre méthode des répondants exige de chercher des explications scientifiques qui rendent justice à l’expérience vécue des sujets.

  • 13 T. FROESE et al., « Embodied Social Interaction Constitutes Social Cognition in Pairs of Humans : A (...)

19Notre problème devenait donc de découvrir les conditions de la réappropriation individuelle de cette réussite commune, autrement dit, de rendre compte du vécu en première personne de l’expérience d’autrui au-delà de la description en extériorité de la danse intersubjective. Pour cela deux types de solutions ont été explorés. D’une part, nous avons défini des différences sensorielles associées aux différents objets rencontrés. Nous allons y revenir dans un troisième moment. D’autre part, une autre variante de notre expérience, proposée par Tom Froese13, permet aussi de proposer une réponse. (Dans l’ordre d’exposition que nous adoptons ici, nous présentons cette expérience en un deuxième temps dans le souci de clarifier le plus possible les éléments emmêlés de notre double histoire de phénoménologie et de science expérimentale).

Deuxième moment

20L’expérience de Tom Froese est exactement semblable à la nôtre, sauf qu’il met les paires de sujets dans l’esprit d’une tâche collaborative (ils se considèrent comme une équipe qui doit accumuler le plus possible de bons clics par rapport aux autres équipes) et il demande à chaque sujet de ne cliquer qu’une fois pour chaque session d’une minute, ce qui renforce cette attention collaborative. Ces changements de consignes sont alors suffisants pour que l’on obtienne 88,5 % de bons clics, 8,6 % sur le leurre mobile et 2,9 % sur l’objet fixe. Avec 73 % de stimulations dues au champ récepteur du partenaire, 13 % dues au leurre mobile et 14 % dues à l’objet fixe, ces résultats démontrent que, même au niveau individuel, la probabilité de cliquer est plus grande pour une stimulation due au champ récepteur du partenaire que pour celle qui est due au leurre mobile.

  • 14 On pourrait remarquer que dans la première expérience aussi, si l’on ne conserve que les clics qui (...)

21L’examen des trajectoires perceptives montre alors que les sujets réussissent la tâche parce qu’ils mettent en place une dynamique d’interaction plus riche. En effet, la grande différence par rapport à la première expérience est qu’il n’y a maintenant qu’un seul clic pour chaque sujet à chaque session. L’objectif partagé avec le partenaire devient alors d’écarter les « faux-amis » (les périodes de rencontre avec le leurre qui pourraient me tromper parce que par malchance il semblerait s’attacher à moi). C’est seulement à la suite d’une interaction suffisamment longue qu’ils prennent le risque du clic14. Il s’agit simplement d’une mise à l’épreuve prolongée diminuant le risque d’erreur.

22De plus, les trajectoires montrent très souvent l’émergence d’une organisation générale suivant un jeu de turn taking : un des deux sujets s’immobilise quelques instants, s’offrant comme objet pour la perception d’autrui, puis il reprend ses mouvements perceptifs tandis que son partenaire s’immobilise, à son tour, pour s’offrir comme objet. Ainsi, entrerait en jeu une sorte de dialogue ou de lutte entre sujets tentant de s’objectiver mutuellement, et n’y réussissant qu’au prix d’une alternance des rôles de sujet et d’objet.

  • 15 Cf. J.-P. SARTRE, L’être et le néant, en particulier la troisième partie, « le pour-autrui », et pl (...)

23Pour ce second moment de notre recherche, on peut reconnaître, sur le plan de l’objectivité, les répondants de la description phénoménologique de la lutte d’objectivation réciproque que décrit Jean-Paul Sartre dans l’Être et le néant15. On sait le noyau de sens de la description de l’épreuve d’autrui par Sartre : autrui est ce phénomène récalcitrant qui ne veut pas se laisser constituer, ou plus largement « objectiver » : en tant qu’autre conscience, il a une égale prétention à pouvoir constituer et objectiver ; il est donc pour moi un rival et une menace, puisqu’il tend à me réduire à la condition d’objet. En cela, la relation entre moi et autrui se révèle une relation dialectique, au sens ou un « tourniquet » se met en place entre moi et autrui dans l’échange des rôles de sujet et d’objet – étant entendu que je ne puis attester que de ce que je vis en première personne (autrui refusant de se laisser constituer par moi et me menaçant). L’expérience de T. Froese semble construire le répondant objectif de la description phénoménologique, avec une dimension supplémentaire : la rivalité dialectique pacifiée en une relation de solidarité par le turn taking.

24Cependant, là encore, nous ne sommes pas satisfaits aussi bien du point de vue psychologique que du point de vue phénoménologique.

25Du point de vue psychologique, le moment correspondant à l’expérience de la présence d’autrui est difficile à capturer. Il semble que la résolution de la tâche devienne plus déductive que proprement perceptive. La décision de cliquer pourrait alors être ramenée à un calcul internaliste (comme celui qui résulterait d’un détecteur individuel de contingence repérant la façon dont ce qui est perçu réagit à mes actions ou me suit dans une alternance de rôles).

26Du point de vue phénoménologique, la description sartrienne pourrait aussi être critiquée, sur deux points en particulier : 1) elle présuppose un rapport à autrui fait de prise objectivante, réifiante – or, faire l’expérience d’autrui est-ce vraiment le saisir ?, peut-on attester d’une telle évidence dans le vécu pur de l’expérience d’autrui ? 2) Est-il donc si évident que je puisse projeter sur autrui qu’il est, lui aussi, comme moi, un pouvoir de réification à l’œuvre ? (L’alternative est entre projection de ce que je me sens être, une conscience objectivante, et empathie, capacité à me mettre à la place d’autrui). Là aussi, ne glisse-t-on pas de la description vers une construction spéculative non attestée par l’expérience ?

27En tout cas, remarquons qu’ici la réussite de la tâche semble devoir passer par des moments d’objectivation active d’autrui, suivis de moments de passivité réceptive eu égard à des stimuli indéterminés. Pour le comprendre mieux, on peut concevoir une autre expérimentation de nature à distinguer la composante déterminable d’autrui, comme chose connaissable du monde, et la composante propre de son altérité comme indéterminé, échappant à l’objectivation.

Troisième moment

  • 16 C. LENAY and J. STEWART, « Minimalist Approach to Perceptual Interactions ».

28Cette variante reprend le protocole expérimental initial, mais cette fois, il n’y a plus de stimulation tactile : les trois objets (objet fixe, leurre mobile, champ récepteur du partenaire) sont associés à trois sons différents faciles à distinguer16. L’association des trois sons aux trois objets change de façon aléatoire à chaque session expérimentale. La tâche est de déterminer à chaque session quel son est associé au champ récepteur du partenaire. Dans ces conditions les sujets réussissent presque parfaitement la tâche (85 % d’identification correcte du partenaire à la 4session de deux minutes).

29L’examen des trajectoires perceptives permet d’expliquer ce résultat : comme dans la première expérience, il y a un attracteur des activités perceptives des deux partenaires. Mais maintenant, les retours sensoriels peuvent être différenciés. Il est alors facile pour les sujets de reconnaître qu’ils se retrouvent bien en face du partenaire et non en face d’un leurre dont les rencontres sont bien moins fréquentes. Maintenant, le croisement perceptif définit une propriété d’un objet reconnu par ailleurs. Dans cette troisième étude expérimentale, la dynamique collective émergente est la même que pour la première étude, mais cette fois elle peut être ressaisie par le sujet en associant l’indétermination de position avec un objet suffisamment déterminé. On peut alors détailler plus précisément ce qui se réalise pour chaque sujet lors de sa perception de la présence d’autrui.

30On a vu que dans le monde réduit où se trouvent les sujets, la détermination de la position spatiale d’un objet consiste à maîtriser une loi sensorimotrice réversible, ici un balayage par aller-retour autour d’une singularité (le changement de stimulation sensorielle). De même le mouvement d’un objet peut être déterminé, mais à la condition que le sujet puisse déplacer son champ récepteur plus vite que cet objet. Un des intérêts de notre situation expérimentale minimaliste est là : si autrui est, comme moi, engagé dans une perception active, les déplacements de son champ récepteur sont nécessairement trop rapides pour que je puisse les déterminer spatialement, puisque, justement, il est lui-même en train d’essayer de déterminer les mouvements de mon propre champ récepteur. Il n’y a pas de détermination spatiale, faute de régularité sensorimotrice. Mais en même temps, autrui cherchant à me percevoir, comme je cherche à le percevoir, me poursuit sans me saisir. Il y a donc un attracteur de nos activités perceptives sans spatialisation précise. Cette situation est à mi-chemin entre l’indétermination complète du leurre mobile qui, tout à fait indifférent, se déplace trop vite pour être perçu ; et la détermination complète de l’objet fixe. Je suis pris dans un halo de stimulations qui se produisent sans que je puisse les déterminer.

31Si l’on comprend bien comment le sujet se sépare d’un objet inerte en le devançant d’un déplacement réversible de vitesse supérieure, on comprend en même temps pourquoi la détermination d’autrui n’est toujours que partielle, jamais tout à fait complète, jamais tout à fait absente. Autrui me fuit autant qu’il se laisse saisir, et il me fuit dans la mesure même où il tente de me saisir (on retrouve Sartre). Il est comme un halo de présence qui se refuse à toute détermination spatiale achevée (on va voir que cela est plutôt proche de Levinas). Chacun associe ce halo de présence à un son qu’il peut reconnaître, mais seulement comme signe d’une absence de détermination spatiale.

  • 17 E. LEVINAS, Totalité et infini. Cf. en particulier, la deuxième partie intitulée « le visage et l’e (...)

32On trouve ainsi dans l’objectivité de l’explication scientifique, le moyen de répondre de l’impossibilité pour le sujet de réaliser la détermination objective de son partenaire. Et c’est précisément à la rencontre entre une image déterminée (le son spécifique reconnu) et cette indétermination, que s’impose la reconnaissance d’autrui. Quoiqu’image déterminée dans l’objectivité, le son n’en désigne pas moins la lacune où cette objectivité est impossible à déterminer. C’est là, nous semble-t-il un répondant possible de la description du visage telle que proposée par Emmanuel Levinas dans Totalité et infini17.

33En effet, quoi qu’il ait été parfois attaqué au motif d’un supposé détournement de la phénoménologie, on ne remarquera jamais assez que Levinas est en un sens le plus déflationniste des phénoménologues de l’épreuve d’autrui : il en décrit strictement l’épreuve comme « mise en question » du Moi et de son intentionnalité spontanée ; ce qui, d’un point de vue perceptif, se donne comme trouble de la perception (autrui comme contre-phénomène ; trace, toujours déjà, de ce qui ne se laisse pas phénoménaliser, à même la phénoménalité). Ce qui veut dire : contrariété pour ma visée intentionnelle, et rien que cette contrariété. Ainsi Levinas ne s’autorise pas à projeter comme autrui une « autre conscience réifiante rivale » (Sartre) ; il ne s’autorise pas à faire parler une parole de l’originaire anonyme en amont de Moi et Autrui (Merleau-Ponty), ni à projeter toute la complexité d’une apprésentation imaginative et/ou empathique (charriant avec elle toutes les difficultés de cette opération complexe) (Husserl, par exemple). À bien des égards, on peut donc considérer que la description lévinassienne de l’épreuve d’autrui s’en tient plus strictement que les autres au vécu du phénomène d’autrui (sans ajouts spéculatifs). Au passage, l’expérimentation aura permis d’écarter un contre-sens possible : certes « visage » chez Levinas est tout sauf une métaphore, une tournure de langage, pour signifier autrui (comme nudité, vulnérabilité, etc.) ; mais « visage » ne nomme pas la partie du corps humain que nous désignons de ce nom (le croire serait une naïveté pré-réductive, pré-épochè) : le « halo de présence » produit dans l’expérimentation minimaliste « fait visage » ; tout autant que la « face-organe » du corps humain il est le répondant objectif du « contre-phénomène visage ».

Conclusion

  • 18 Pour une réflexion sur ces rapports, cf. « phénoménologie et sciences cognitives, de la naturalisat (...)

34Tout au long de ces moments et de leurs enchaînements les démarches scientifique et phénoménologique se répondent sans se confondre18. Cela nous semble possible parce que, sur le plan scientifique, lequel par définition s’inscrit dans l’objectivité, nous avons tenté d’effectuer un travail respectueux des descriptions de la philosophie phénoménologique, même lorsque celle-ci rencontre ses propres limites. Nous espérons ainsi montrer que la recherche scientifique peut, sans prétendre ramener l’intentionnalité phénoménologique à une causalité physique, proposer des explications qui conservent pleinement le sens du phénomène à expliquer, ici l’expérience d’autrui. Les explications que nous proposons ne réduisent pas leur objet, au sens où elles ne l’éliminent pas (comme lorsque l’on prétend expliquer l’intentionnalité par une dynamique neuronale), mais peuvent être ressaisies en première personne pour mieux décrire l’expérience vécue. Ainsi, on peut même, comme nous avons essayé de le montrer, rendre compte du point de vue de l’objectivité, de l’expérience d’autrui comme rupture dans la construction même de l’objectivité pour un sujet, bon répondant de la façon dont Lévinas nous montre que cette expérience d’autrui produit une déchirure de la phénoménologie elle-même.

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Bibliographie

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Notes

1 Ch. LENAY et F.‑D. SEBBAH, « La constitution de la perception spatiale. Approches phénoménologique et expérimentale », p. 45-85 ; Ch. LENAY et P. STEINER, « Beyond the internalism/externalism debate: the constitution of the space of perception », p. 938-952.

2 C. LENAY, M. AUVRAY, F. D. SEBBAH, and J. STEWART « Perception of an intentional subject: An enactive approach », p. 37-38.

3 M. AUVRAY, C. LENAY, and J. STEWART, « Perceptual interactions in a minimalist virtual environment », p. 32-47.

4 T. FROESE and E.A. Di PAOLO, « Modelling social interaction as perceptual crossing: an investigation into the dynamics of the interaction process », p. 43-68 ; E.A. Di PAOLO et al., « Sensitivity to social contingency or stability of interaction? Modelling the dynamics of perceptual crossing », p. 278-94; FROESE, T. and E.A. Di PAOLO, « Toward minimally social behavior: Social psychology meets evolutionary robotics », p. 426-33.

5 M. ROHDE and E. Di PAOLO, « Embodiment and Perceptual Crossing in 2D », p. 83-92.

6 H. IIZUKA and E. Di PAOLO, « Minimal Agency Detection of Embodied Agents », p. 485-94. http://0-link-springer-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/chapter/10.1007/978-3-540- 74913-4_49.

7 T. FROESE et al., « Embodied Social Interaction Constitutes Social Cognition in Pairs of Humans : A Minimalist Virtual Reality Experiment ».

8 La TOM, pour Theory Of Mind, est la théorie qui consiste à attribuer des états mentaux (représentations, connaissances, croyances, désirs…) internes aux êtres intentionnels (S. BARON-COHEN, « Precursors to a theory of mind: Understanding attention in others ») ; le mind reading correspond à l’utilisation des indices comportementaux ou verbaux nécessaires pour déduire ces états mentaux chez autrui (S. GALLAGHER, « Direct perception in the intersubjective context », p. 535-543).

9 F.J. VARELA, Autonomie et connaissance ; F.J. VARELA et al., The embodied mind: Cognitive science and human experience.

10 H. De JAEGHER et al., « Can social interaction constitute social cognition? », p. 441-447 ; H. De JAEGHER, « Social understanding through direct perception? Yes, by interacting », p. 535-542.

11 Cf. M. MERLEAU-PONTY, La phénoménologie de la perception. Pour un débat sur la manière dont la pensée varélienne fait usage de la phénoménologie merleau-pontienne, cf. « L’usage de la méthode phénoménologique dans le paradigme de l’enaction » de F.‑D. SEBBAH et « La réduction phénoménologique à l’écoute de l’expérience : réponse à F.‑D. Sebbah » de F. VARELA.

12 On se reportera alors au MERLEAU-PONTY tardif, celui de Le visible et l’invisible, cité ici dans l’édition Tel, 1983. Dans les « Notes de travail » en fin d’ouvrage, on peut par exemple lire : « C’est la chair des choses déjà qui nous parle de notre chair, et qui nous parle de celle d’autrui (…) », p. 246 ; « Le chiasma au lieu du Pour Autrui : cela veut dire qu’il n’y a pas seulement rivalité moi-autrui, mais co-fonctionnement. Nous fonctionnons comme un corps unique » (p. 268), et encore : « Je, vraiment, c’est personne, c’est l’anonyme (…) », p. 299. Enfin citons la page 317 : « En réalité il n’y a ni moi ni autrui comme positifs, comme subjectivités positives. Ce sont deux antres, deux ouvertures (…) qui appartiennent toutes deux au même monde (…). Il n’y a pas le Pour Soi et le pour Autrui. Ils sont l’autre côté l’un de l’autre ».

13 T. FROESE et al., « Embodied Social Interaction Constitutes Social Cognition in Pairs of Humans : A Minimalist Virtual Reality Experiment ».

14 On pourrait remarquer que dans la première expérience aussi, si l’on ne conserve que les clics qui suivent un assez grand nombre de stimulations, alors la probabilité de bonne réponse augmente nécessairement.

15 Cf. J.-P. SARTRE, L’être et le néant, en particulier la troisième partie, « le pour-autrui », et plus ponctuellement encore, le sous-chapitre IV du premier chapitre (L’existence d’autrui), intitulé « Le Regard », p. 298. On peut y lire entre autres formulations suggestives : « C’est la honte ou la fierté qui me révèlent le regard d’autrui et moi-même au bout de ce regard, qui me font vivre, non connaître, la situation de regardé » (p. 307), ou encore : « Et l’autre, comme regard, n’est que cela : ma transcendance transcendée » (p. 309).

16 C. LENAY and J. STEWART, « Minimalist Approach to Perceptual Interactions ».

17 E. LEVINAS, Totalité et infini. Cf. en particulier, la deuxième partie intitulée « le visage et l’extériorité ». On peut y lire par exemple : « Le visage se refuse à la possession, à mes pouvoirs. Dans son épiphanie, dans l’expression, le sensible, encore saisissable se mue en résistance totale à la prise » […] « Le visage, encore choses parmi les choses, perce la forme qui cependant le délimite » p. 172.

18 Pour une réflexion sur ces rapports, cf. « phénoménologie et sciences cognitives, de la naturalisation à la négociation », de F.‑D. SEBBAH, p. 47 sq. in : Usages contemporains de la phénoménologie, de F.‑D. SEBBAH et J.‑M. SALANSKIS.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : dispositif pour un croisement perceptif minimaliste.
Légende Chaque poste est dans une pièce séparée. Chacun reçoit un stimulus tactile (en tout ou rien) quand le champ récepteur qu’il manipule de droite à gauche dans l’espace virtuel unidimensionnel croise un pixel noir. Il n’y a d’interaction possible que via le réseau dans l’espace virtuel partagé.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cps/docannexe/image/450/img-1.png
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Pour citer cet article

Référence papier

Charles Lenay et François D. Sebbah, « La constitution de l’expérience d’autrui »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 38 | 2015, 159-174.

Référence électronique

Charles Lenay et François D. Sebbah, « La constitution de l’expérience d’autrui »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En ligne], 38 | 2015, mis en ligne le 03 décembre 2018, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cps/450 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cps.450

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Auteurs

Charles Lenay

Professeur de philosophie, sciences cognitives et philosophie des sciences à l’Université de Technologie de Compiègne, EA 2223.

François D. Sebbah

Professeur de philosophie contemporaine, Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.

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Droits d’auteur

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