- 1 Michel Henry, Entretiens, Paris : sulliver, 2007, p. 73.
1Si Michel Henry a su mêler, avec un succès certes très variable, les attributs du philosophe et ceux de l’écrivain sans jamais pour autant les confondre, il subsiste une part d’ombre gigantesque ayant trait au rapport exact qu’il a entretenu avec la littérature. Le patient et méticuleux travail actuellement effectué au « Fonds Michel Henry » de l’université catholique de Louvain-La-neuve, peut laisser croire que ce vide devrait se voir résorber dans un futur relativement proche. L’humeur est donc à l’optimisme, bien qu’il ne faille pas trop se prêter au jeu très incertain des prévisions dans le cadre de la réception d’une pensée, aussi grande fût-elle. D’autant que – l’histoire de la philosophie nous en fournit hélas des exemples récurrents – les intérêts pour une pensée peuvent s’accélérer dans une excitation subite, au gré des époques et de la mode, comme décroître lentement, au point de disparaître et de se consumer parfois sans plus de bruit. Quoiqu’il en soit, force est de constater que le destin d’une pensée demeure soumis à maintes variables insoupçonnables et imprévisibles, au zèle et à la liberté de ses différents interprètes. Pourtant, on ne cessera probablement pas de le répéter, il apparaît difficile de penser un problème ponctuel, repéré et circonscrit comme tel, dans une pensée de l’origine ne cessant de s’amplifier de sa propre unité indéfectible, évoluant à la faveur d’une intuition originelle dont l’intensité ne faiblit jamais. Il est vrai qu’il ne faudrait pas céder à la tentation de grossir le trait, muni d’une loupe déformante, ayant pour effet de renverser un ensemble si bien échafaudé. En revanche, une trop grande frilosité à l’égard de cette pensée ne peut être que néfaste ; car, en effet, serait-ce un jeu de domino magnifiquement agencé, « sous verre », et dont la seule approche devrait nous faire tressaillir de peur ; ou bien s’agit-il d’une pensée en mouvement constant qui n’est « sacrée » que pour une seule et unique raison : celle d’être précisément risquée et « dangereuse » comme le déclarait explicitement Michel Henry lors d’un entretien1 ? C’est pourquoi, selon nous, il n’existe pas de problème dit « mineur » pour une phénoménologie de vie, mais seulement des perspectives qui progressivement ébranlent nos idées reçues à son sujet tout en dévoilant un horizon de pensée de plus en plus large. Aussi, prenons-en le parti. Que voulons-nous sous-entendre ici ? Lorsque Henry semble, par exemple, ne prêter qu’une attention distraite au problème de la réception des écrivains ou encore à celui de la littérature, sans désavouer leur importance, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne décrive pas les conditions de possibilité permettant d’établir ce type de questionnement. Par conséquent, il nous faut considérer la phénoménologie de la vie comme une longue invitation à penser plus que comme un bréviaire rendant gloire à la vie pathétique immanente en ne s’alimentant que de sa propre répétition étouffante.
- 2 M. Henry, « Narrer le pathos » in Phénoménologie de la vie (tome III) : de l’art et du politique, P (...)
2Posons la question d’entrée de jeu : Pourquoi Kafka ? Pourquoi Kafka peut-il, à la lumière de ce court préambule en forme de mise en garde, s’imposer comme le point de départ d’un tel questionnement concernant la place de la littérature dans une phénoménologie matérielle ? Dans un extrait ahurissant, car on n’y pressent aucune forme d’hésitation, et s’il ressort bien que la littérature a déjà exprimé la vie2, Henry ne déclare-t-il pas que ses écrivains de prédilection ont pour nom Brontë, Boulgakov ou encore Pavese ? en ce sens, de quelle façon Kafka – auquel il n’est pas fait allusion dans ce passage – peut-il se prévaloir d’une place de choix dans ce palmarès et aspirer ainsi à une affinité particulière avec le phénoménologue français, tout en voyant son nom gravé, contre toute attente, au fronton de cette pensée de la vie subjective ; qui ferait de K. ou de Joseph K., de Gregor Samsa ou encore de Karl, « héros » bien malgré eux, le nom du Soi invisible, pathétique et immanent, que s’efforce de décrire la phénoménologie matérielle tout au long de son parcours ?
3En dépit du caractère paradoxal de cette question, telle est bien, à nos yeux du moins, la situation, du reste connue de la plupart des lecteurs attentifs : à n’en pas douter, Franz Kafka est l’écrivain privilégié de Michel Henry. Aucun ouvrage, aucun article ou aucune conférence prononcée par le phénoménologue français ne peut venir jeter un voile d’ombre sur cette proposition. Sa présence – certes extrêmement discrète puisqu’aucun article n’est consacré en propre à l’écrivain praguois – est attestée de L’Essence de la manifestation à Paroles du Christ au travers de multiples références – le plus souvent de courtes phrases, citées en dehors de leur contexte et issues, en majeure partie, du Journal de l’écrivain. Toutefois, cette relation semble assortie d’un mystère indéniable qui ne prétend pas se voir élucider à l’aide d’une méthode herméneutique habituelle. Dès lors, le mystère de cette affinité pêche-t-il par manque de clarté ? nonobstant ce flou inconfortable, c’est dans un tout autre sens en vérité qu’il faut interpréter les brèves allusions laconiques à l’écrivain et le manque général de prolixité à son sujet. En effet, tout se passe comme si Michel Henry, par l’entremise de ses références éparses à Kafka, se refusait à une exposition de leur relation privilégiée à l’orée d’un « monde » qu’il appelle à congédier séance tenante, selon son programme phénoménologique mettant en lumière le « comment » de l’« apparaître » lui-même à partir d’un « dualisme ontologique » scindant le « réel » et « l’irréel ». De sorte que cette relation entre Kafka et Henry demeure toujours en retrait d’une explication usant d’une pensée « réflexive », qui la percerait à jour et qui ne peut, en tout état de cause, lui convenir. Plus encore : alors que les textes se succèdent, Michel Henry entretient et alimente ce secret de manière très consciente. Telle est, en l’espèce, derrière l’apparente absence de toute herméneutique, l’enjeu de la performativité du langage au sein d’une phénoménologie matérielle qui s’aperçoit, ce faisant, dans toute sa splendeur ; tandis que Kafka ne cesse de s’introduire dans cette pensée, s’y mouvant toujours en arrière-fond, pareil à une ombre chinoise.
- 3 Jad Hatem, Le Sauveur et les viscères de l’être. Sur le gnosticisme et Michel Henry, Paris : L’Harm (...)
- 4 M. Henry, « narrer le pathos », art. cit., p. 318.
4Nous devons à Jad Hatem3 la mise en lumière heureuse, mais hélas si tardive, de l’affinité partagée entre le philosophe français et l’écrivain tchèque à la faveur de ces quelques bribes recueillies qui parsèment les textes. Mettre Henry en dialogue avec l’écrivain tchèque nous semble sans nul doute une tâche dès plus pressante au risque de voir leur belle amitié connaître quelques orages. Cependant, faire de Kafka un « phénoménologue matériel » n’est pas sans entraîner de confusion et, admettons-le, une certaine perplexité. C’est pourquoi notre question ne sera pas celle-ci (bien qu’on eût pu s’y attendre) : Kafka aurait-il pu être le « Kandinsky » d’une hypothétique « esthétique du roman »4 à laquelle Henry fait référence au cours d’un entretien ?
- 5 Knud Ejler Løgstrup, M. Henry, « L’ontologie de Kierkegaard », in Annales de philosophie, universit (...)
5C’est ici qu’intervient un tiers : Søren Kierkegaard. Sans lui, nous ne pourrons pas comprendre la relation à Kafka. Preuve en est, le philosophe français, lui-même, dans un colloque organisé en 1966 et intitulé Kierkegaard et la philosophie moderne5 n’avait-il pas tendance à les rapprocher, invoquant une forme de « communication indirecte » entre les deux, parlant de « bribes et grésillements » ? Nicole Hatem, qui a consacré des études au rapport entre Michel Henry et le penseur de Copenhague, déclare dans sa communication au colloque de Montpellier :
- 6 J. Hatem, « Le secret partagé : Kierkegaard- Michel Henry » in Michel Henry. Pensée de la vie et cu (...)
« Henry nous semble avoir pratiqué une sorte de communication indirecte, évoquant Kafka pour indiquer ce que lui-même a retenu de Kierkegaard, car ce qu’il cite de l’écrivain praguois correspond à une thèse fondamentale de sa propre philosophie »6.
6Kierkegaard et Kafka seraient-ils donc inséparables pour Michel Henry ? Prend-il, à certains moments, l’un pour l’autre ? Kierkegaard, chevalier de la foi au visage triste, Kafka, Sancho Pansa enfoncé dans son chapeau et calfeutré dans son grand pardessus sombre ? Ces trompe-l’œil de fêtes foraines, ces jeux de miroirs, sont-ils le reflet d’un irréductible lieu, point de rencontre originaire, avant la transcendance inévitable de la pensée ? si la philosophie arrive toujours trop tard, tel le carabinier d’Offenbach, et au risque de mépriser la vie qui la porte, est-ce qu’une autre communication a déjà eu lieu, dans cette présence à soi de la vie toujours déjà présente à elle-même en son auto-manifestation, pareil à une forme de passé transcendantal, déjouant les notions communes charriées par la temporalité ek-statique grâce à « l’instant », « l’éternel » ou l’« immémorial » ? Comment Henry peut-il oser affirmer que le message de Kierkegaard – et sans aucun doute celui de Kafka – est en fin de compte plus oral qu’écrit ? Bien évidemment, il nous est impossible d’expliciter dans toute son ampleur cette triple relation, nous nous contenterons donc de l’indiquer à de multiples endroits au fil du texte.
- 7 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 506 : « ici doit être entendue la parole qui (...)
- 8 Jean Wahl, Esquisse pour une histoire de l’existentialisme suivie de Kafka et Kierkegaard, Paris : (...)
- 9 M. Henry, Le jeune officier, Paris : Gallimard, 1954.
- 10 M. Henry, Phénoménologie matérielle, Paris : PuF, coll. « épiméthée », 1990, p. 5.
7Se refusant à « interpréter » Kafka d’une quelconque manière, sous prétexte de lui laisser la « parole » car celle-ci est bien celle de l’absolu lui-même7, Henry se coupe de manière nette de toute la réception courante de l’écrivain par la philosophie française qui, hâtivement, avait tôt fait de faire de ce dernier le héraut de l’existentialisme naissant. À ce propos, les écrits de Jean Wahl8 s’imposent sans nul doute, sur ce point précis, comme le meilleur diagnostic en notre possession afin de saisir l’ambiance particulière de cette première réception dans les milieux français et allemands de l’époque. À la charnière de la Seconde Guerre mondiale, Michel Henry baigne incontestablement dans ce climat et son premier ouvrage (un roman), Le jeune officier9, est une preuve flagrante de la porosité du monde philosophique de jadis à l’égard de Kierkegaard et de Kafka. Alors que germe sa vocation philosophique, il sait probablement déjà que son intuition majeure va résider, entre autres, dans une prise de position radicale à l’adresse de la réception de Kierkegaard et de Kafka ; contre ce qu’il nommera bien plus tard, et avec une pointe d’aigreur, « les modes parisiennes »10.
- 11 Dans une note de bas page décisive, M. Henry se distancie de l’interprétation heideggérienne qui, o (...)
- 12 Gilles deleuze et Felix Guattari, Kafka : pour une littérature mineure, Paris : editions de Minuit, (...)
8En somme, les cibles sont connues à l’avance ; au point qu’on ne peut que feindre la surprise à les entendre énumérer : Sartre, Merleau-Ponty, Heidegger, Camus et, de manière générale, ce que Michel Henry range sous la catégorie du « structuralisme », comprenant adorateurs et apologues obséquieux du « texte ». Sans le dire explicitement, du moins dans son œuvre publiée, c’est contre le « Kafka » et, à plus forte raison encore, contre le « Kierkegaard » de l’existentialisme, surtout celui de Heidegger11 et, bien plus tard, contre le « Kafka politique », celui de « l’écriture impersonnelle » et des « agencements collectifs d’énonciations » de Dealeuse et Guattari12, que se dresse toute la pensée henryenne et ce dès sa naissance, à la manière d’un acte de fondation.
9Cependant, peut-on affirmer, derechef, qu’il existe une véritable pensée henryenne concernant Kafka ou faut-il, a contrario, et puisqu’il dénie toute force à l’herméneutique, affirmer que la pensée henryenne est « kafkaïenne » en son essence même, nonobstant le caractère imprécis et flottant de cette formulation ? Ces questions apparaissent à vrai dire bien inutiles dans l’économie de notre texte ; tant et si bien qu’elles nous semblent prématurées et peut-être mêmes vides de sens au regard de ce qui va suivre.
10Rien ne sert en effet de relire à la hâte les romans de Kafka, se jetant avidement sur eux, pour y déceler un hypothétique Henry « avant l’heure ». Il ne s’agit pas de jouer à ce jeu des comparaisons et des signes avant coureurs. Plus que la question de la comparaison, qui très vite aurait pour principale conséquence de creuser un fossé entre les deux auteurs et de souligner certaines approximations ou empressements de la part de Michel Henry, c’est la question de la « parole » et de la « lecture » qui entre en jeu à travers cette relation étrange. À savoir : celle de la vérité, de son énonciation, de sa réception et de sa répétition ; autrement dit : de la vérité et de « son » dire, de la vérité qui se dit, de la vérité qui parle. En effet, la performativité du langage et, en l’occurrence, du langage de la phénoménologie matérielle elle-même, s’établit, non sur sa seule force de persuasion ou à partir d’un argument de principe, mais bien selon un certain rapport aux auteurs que Michel Henry lit, n’a cessé de lire, de relier et de faire entrer en concordance ainsi qu’en consonance (au mépris parfois de l’histoire des idées), et qu’il met en scène de façon méthodique, certes parcimonieuse, à l’intérieur de son propre discours selon un réseau de « paroles ». Celles-ci forment un tissu de résonance pathétique enveloppant le discours philosophique tout entier.
- 13 M. Henry, C’est moi la vérité, Paris : Seuil, 1996, p. 291.
- 14 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 506.
11Or, en pratiquant cela, il nous adresse une question en apparence très simple : que veut dire lire un auteur ? Que veut dire lire l’évangile, évangile qui peut provoquer en nous une « ouverture émotionnelle » de la Vie absolue en son auto-génération inlassable, comme il l’affirme explicitement dans C’est moi la vérité13 ? De fait, « entendre » la « parole de la vie » dans toute sa « simplicité »14, comme le déclare Michel Henry, ne va pas, semble-t-il, de soi. Que peut signifier cette parole qui n’est pas le rappel d’un passé, mais la répétition d’un présent à jamais présent ? À quel travail ou à quel exercice devrions-nous nous astreindre pour acquérir la simplicité du ton (pour celui qui s’exprime) et la force revigorante de l’écoute (pour celui qui entend) ? en retour, un autre questionnement se fait jour : comment lire Michel Henry lui-même et le « discours » qu’il propose, selon cette « simplicité » qu’il avance comme décisive en tant que méthodologie implicite de lecture et d’écriture ?
12On va le voir, il va s’agir de penser, assez paradoxalement, une expression et une parole « sans sortie », sans décalage, sans effort de compréhension, relevant d’une espèce d’auto-saisie, et se présentant en sa nudité, sans temporalité ni médiation. De sorte que cette expression colle à soi et à l’affect qui, en se révélant, la déclenche et précisément refonde la question de l’extérieur, du visible tout entier ; déplace la notion de « texte », le fait vaciller, modifie sa compréhension et sa saisie à partir de l’immanence tout en réinstituant par le même coup le sens insigne de la « communication » et de la « relation » entre les vivants.
- 15 Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Paris : Le livre de poche, 2004.
13Toutefois, cette communication n’apparaît guère plus comme une simple transmission d’informations, mais bien comme un partage de forces, de la jouissance et de la souffrance de s’éprouver soi-même d’une vie pathétique commune. Ainsi donc, c’est la possibilité de parler, à savoir le « Dire » et non le « dit » ou le « non-dit » qu’il faut s’apprêter à penser d’après le programme mis sur pieds par une phénoménologie matérielle. Dans cette mesure, s’il y a un « mot » qui dit l’être et non plus l’étant – bien qu’il ne dise pas l’être comme l’étant (le reproche adressé à Heidegger) – c’est parce qu’il y a bien une vie qui parle en venant en sa chair invisible. Il n’est donc plus question à ce niveau d’un « Dire » qui parasiterait un « dit », s’échinant à le dé-dire, l’interrompant en l’empêchant de se scléroser dans un discours figé selon l’égotisme fermé d’un sujet, comme Levinas s’accordait à le penser15.
- 16 Mais pas seulement. dans L’Essence de la manifestation, la problématique du « langage naturel » ou (...)
14Chez Michel Henry, principalement dans ses derniers textes16, là où la question du langage s’affiche ouvertement comme une problématique de premier plan, la vie ne parle pas de soi (selon une espèce de monologue intérieur superflu) mais à partir de soi et de son épreuve radicalement immanente. Bien sûr, cette vie subjective, ne parle, en se révélant à soi, que d’elle-même, mais pas selon les apparats d’une tautologie ; en ce sens précis que la vie ne dit pas le Même de façon sempiternelle à la manière d’une litanie intempestive : la vie parle et ne cesse d’autant plus de générer la réalité dont elle parle, à chaque fois radicalement singulière.
- 17 M. Henry, « Phénoménologie matérielle et langage (ou pathos et langage) » in Phénoménologie de la v (...)
15Or, si la vie ne dit qu’elle (et non pas « quelque chose ») dans son inlassable venue en soi qui ne cesse de s’auto-différencier, elle ne s’adresse qu’à soi et ne parle qu’aux vivants, en chacune des modalités de leur vie. S’éprouver en tant que Soi vivant signifie donc primitivement : entendre la « parole de la vie ». Par conséquent, le premier caractère du vivant est d’être « entendant », de vivre précisément parce qu’il entend à jamais, comme l’écrivait joliment Henry, « le bruit de sa naissance »17. Si par ailleurs la vie fonde le langage du monde (en tant qu’elle délimite son intelligibilité première), elle n’introduit pas de désordre dans l’ordonnancement initial de ce dernier. Elle y semble parfaitement indifférente (la fluidité de la langue henryenne la rend étrangère à toute acrobatie ou démantèlement syntaxique). C’est pourquoi, on le comprend mieux, Michel Henry n’a pas cherché une langue primitive, celle qui a tant fasciné d’autres auteurs (l’avant Babel), mais le fait primitif et originaire du langage lui-même, c’est-à-dire le fait que l’origine se confond avec sa parole. Ainsi, la parole ne diffère (au sens donc de la « différance ») pas de l’auto-révélation pathétique de soi immédiate, homogène et unitaire, faisant de l’acte de la parole, et à vrai dire de chaque acte, un acte foncièrement vivant puisque parlant.
- 18 À la notion de « tonal » s’ajoute, au sujet de l’affectivité, celle de « frémissement intérieur » o (...)
16En d’autres termes, la question se présente de cette manière : pourquoi la vie est-elle parlante et, par la même occasion, « tonale »18 ? Comment il n’est pas inutile de préciser que Henry s’oppose ici farouchement à la fameuse « voix de l’ange » en laquelle l’homme met ce qui lui plaît selon Sartre ; prétextant que la « révélation originelle » se moque bien de ce que les hommes pensent ou se représentent à son égard. L’entendons-nous, nous vivants, et comment percevons-nous son rythme subtil et ses multiples tempos ; comment ces fameux « passages » affectifs inclus dans la structure transcendantale de l’immanence, ces alternances entre le « jouir » et le « souffrir » se matérialisent-ils en diverses secousses et résonances, tapissant l’intériorité absolue des soi vivants d’une musicalité et d’une narration antérieures et tout à la fois irrémédiablement « présentes » ? en d’autres mots, comment contourner le problème du texte et de sa « médiation » sinon en laissant présager un endroit dans le texte où celui-ci estompe son cours ?
17Pour en revenir plus précisément au rôle de Franz Kafka dans cet agencement, il faut demander : quelles « questions » philosophiques, « transcendantales » bien entendu – sans quoi l’intérêt pour Kafka reste indécidable – posent son œuvre ? si Michel Henry trouve chez Kafka des « réponses », c’est précisément parce qu’il lui fait poser des « questions ». Peu importe ici de savoir si Kafka se les pose explicitement. Ces questions sont celles-ci : qu’est-ce que l’être ou la vérité ? Comment dire cette vérité, ou plutôt comment cette vérité nous parvient-elle précisément en étant parlante ? enfin, comment se transmet-elle, comment la parole peut-elle être édifiante et peut-elle, dans le même temps, se perdre et se dégrader dans la cacophonie du « monde » et ses logorrhées inutiles ? en conséquence de quoi, Henry s’interroge : dans quelle mesure ces réponses/questions relèvent-t-elles d’une description phénoménologique nouvelle qui bouleverse notre compréhension de la phénoménalité, c’est-à-dire notre conception phénoménologique de la problématique du langage, de la « parole », de la vérité et du mensonge compris dans leur possibilité la plus radicale à la lumière de l’auto-révélation immédiate et pathétique d’un Soi vivant ?
- 19 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 514.
18L’une des premières choses à analyser avec précaution est tout d’abord le statut de l’« écrivain » au sein de la phénoménologie de la vie. Ce dernier pose plusieurs difficultés qui ne sont pas sans faire écho à d’autres problématiques, ici et là évoquées par les commentateurs : quel est le statut du penseur ou, plus généralement, du philosophe faisant droit à la vie, c’est-à-dire qui en produit la remémoration en acte, sans se contenter de l’étudier ou d’en témoigner ? non seulement, Michel Henry préfère parler de Kafka en tant que « penseur religieux »19, sans toutefois définir à proprement parler cette appellation, mais, en outre, Kafka lui-même tergiverse de manière illimitée sur ce statut, énigmatique à ses yeux, de « l’écrivain » qu’il peine – pour des raisons incalculables si on se réfère à son Journal – à s’octroyer. En soi, penser Kafka sous la catégorie du « religieux » n’est certainement pas une idée neuve pour la critique puisqu’il consiste à souligner la proximité avec Kierkegaard et la fameuse question des « stades de l’existence » qui n’échappe pas à Kafka lors de ses propres lectures. Max Brod lui-même, à qui nous devons d’ailleurs la mise en avant de cette relation, et bien qu’il y souscrive avec réserve, parlait déjà en ces termes de son ami lorsqu’il discutait son œuvre :
- 20 Max Brod, Franz Kafka, trad. Hélène Zylberberg, Paris : Gallimard, 1945, p. 85.
« C’est dans la catégorie de la sainteté, et non pas, comme on pourrait le croire, dans celle de la littérature qu’il faut ranger l’œuvre et la vie de Kafka »20.
19Si Kafka n’est jamais seulement un « écrivain » pour Michel Henry, ceci ne fait pas pour autant de lui un « philosophe » ironiste de la machine désirante (cf. Deleuze et Guattari), et lorsqu’il tend à l’assimiler à un « penseur religieux » c’est parce qu’il refuse en outre de le considérer comme un penseur/poète de l’ontologie, un « gardien de l’être » comme dirait Heidegger. Dans cette perspective, Kafka ne se présente alors jamais comme un poète de la maladie moderne ou un chantre de l’absurde, mais précisément comme un phénoménologue au sens le plus radical et le plus profond qui soit, comme le sont par ailleurs Kandinsky ou encore Mandelstam, tous deux assumant cette fonction aux yeux de Michel Henry. Même si Kafka ne peut sans doute jouir, dans le sillage de ces deux génies, de la même « unanimité » auprès du penseur français. Nous verrons plus loin pourquoi l’écrivain ne peut pas tout à fait s’accorder à cet optimisme majeur qui caractérise, par certains aspects, la pensée henryenne faisant d’elle une « grande santé » pour parler à la manière de Nietzsche.
20C’est parce que Michel Henry lie immanquablement Kafka à une autre figure, celle de Kierkegaard donc, selon une pratique interprétative qui fait appel à la fameuse notion de « contemporanéité », qu’il donne la priorité à la « parole » de l’insaisissable lui-même, son « incommunicabilité », et problématise ainsi d’entrée de jeu la notion de « langage » au sein de L’Essence de la manifestation en tant que paradigmatique du problème général du « monisme ontologique ». Ce qui a pour conséquence d’accentuer le fossé entre l’oralité auto-réceptionnée d’un « dire » originel qui est déjà chair, subjectivité et immanence, telle que thématisée des années plus tard dans Paroles du Christ, avec la « lettre » irréelle et postérieure du texte qui se perd dans la désignation et l’interprétation. Autrement dit : qui ajoute au secret la confusion d’une énigme, à laquelle correspondent plusieurs faux problèmes.
21Or, on le remarque aisément, les sentences que cite Michel Henry à propos de Kafka sont, à l’exception d’une ou deux, d’ordre strictement théorique (et non particulièrement « pathétique » au sens courant du terme), relatives à « l’affectivité transcendantale », au « sentir » et non aux sens ou aux sentiments, aux affections ou aux opinions. Ce qui permet d’inscrire l’œuvre du « penseur » Kafka, non comme un apport extérieur ni comme une œuvre lue par la phénoménologie de la vie, mais bien comme une œuvre que la phénoménologie de la vie atteste telle quelle en lui assignant le rôle d’une phénoménologie de l’intériorité absolue. C’est alors le sens précis de l’usage philosophique de Kafka et, a fortiori de toutes les références littéraires, qui se précise doucement à l’intérieur de la pensée henryenne.
22Lire Kafka pour Michel Henry ne consiste pas à produire un discours herméneutique – philosophique – sur son œuvre à l’aide de techniques qui recevraient leurs définitions de sphères de compréhensions extérieures à la profusion du discours lui-même. Si le discours vaut pour lui-même, ce n’est cependant pas en tant que celui-ci appartiendrait à une discipline linguistique particulière, ni en tant que discours littéraire ou théologique, mais bien au sens d’une pratique authentique et phénoménologique de la « lecture ».
23En effet, Michel Henry pose le problème en deçà de la question des genres littéraires et surtout en deçà du statut officiel du texte et de son auteur, dont il ignore très consciemment les enjeux. Néanmoins, le rejet de la pratique herméneutique – si elle déplace le problème de la compréhension de soi vers une question d’entente de soi transcendantale – ne préconise pas pour autant une lecture ingénue, en sa pureté virginale, qui tout aussi naïvement s’affirmerait par sa seule position dépourvue de toute méthode.
24Ainsi, selon nous, l’usage de Kafka – car il faut bien parler à cet endroit d’un certain « usage » bien qu’il ne soit pas clairement identifié – n’est pas anarchique mais relève d’une méthodologie référée à l’objet de la description transcendantale de la phénoménalité pure. Ceci doit principalement nous fournir les conditions rhétoriques concrètes dans lesquelles le discours de Kafka pourra, non pas faire sens, mais bien être « entendu » en sa réalité pathétique. Bref, comment une « parole de la vie » peut-elle faire irruption dans un texte qui semble, par essence, lui faire entrave et barrer l’accès à une oralité première ?
25Lire Kafka engage donc une question méthodologique, car il faut déterminer en quoi son usage est nécessaire à la détermination onto-phénoménologique de la vie comprise comme auto-révélation pathétique. Par conséquent, ce qui doit être entendu n’est pas tant la personnalité extraordinaire de Franz Kafka, dont nous apercevons les livres à disposition sur l’étagère de la bibliothèque, mais bien une voix qui n’est pas rendue particulière par son contexte d’énonciation – un juif de Prague au début du siècle dernier – mais bien par sa situation originelle (le concept de « situation », qui relève de l’existentialisme sartrien, étant dûment critiqué) dans la générativité immanente du Soi vivant : la parole de Kafka a pour caractéristique d’être l’expression d’un Soi vivant.
26C’est dire si lire Kafka importe moins au sens d’une relecture novatrice – telle qu’une théorie de la littérature en a fourni bon nombre et continue d’en produire – qu’à un art de la lecture dont la phénoménologie matérielle entend jeter les bases propédeutiques en définissant la situation absolue et pétrie d’angoisse, d’une part du lecteur à l’écoute de la vie et, d’autre part, de l’auteur qui parle tout en s’effaçant au profit du pur résonner de la vie elle-même. Immédiatement, la question se posait, pour Michel Henry, en ces termes : comment le discours de Kafka peut-il (et doit-il) « apparaître » au sein du discours philosophique de la phénoménologie matérielle – que Henry ne définit pas clairement – et sous quelle modalité ce dernier vient soit enrayer la présence de Kafka ou, au contraire, la favoriser en s’en laissant affecter totalement et, à plus forte raison, pervertir. Pour cette raison précise, lire Kafka entraînait, on le pressent, une question de fond sur le discours de Michel Henry lui-même, sur sa constitution, sa prétention à la validité et, plus encore, sur la possibilité pour la philosophie de faire fausse route, a fortiori de mentir. À cet effet, Henry mobilise donc un réseau d’auteurs sensé constitué un contre-discours face au discours prétendument neutre de la science philosophique absolue qui se fourvoie au sujet de la vérité en faisant d’elle son « objet ».
27En outre, lire Kafka consistait, pour Henry, en une véritable « pratique » de la réduction eidétique. La « pratique », pour lui, ne fait pas que s’opposer à un acte théorique mais possède bien la même essence explicative que tout autre acte, qui n’est autre que l’acte de « culture » propre à la vie et relative à son essence dynamique d’auto-transformation et d’accroissement de soi. L’acte de lecture étant l’acte d’un soi s’éprouvant lui-même, celui-ci met en jeu la connexion essentielle des pouvoirs de cette subjectivité, c’est-à-dire son développement dans l’intensification de ses moyens de s’éprouver. Aussi, la lecture ne peut simplement s’apparenter à une « pratique de lecture » interprétative désolidarisée, mais bien à une pratique de « répétition » impliquée dans la révélation même de la « parole ». Néanmoins, cette répétition n’est jamais précisément un ressouvenir, celle d’une vie lointaine, source qui nous appellerait au loin et que nous avons oubliée, que nous cernerions par bribes imaginaires et très imparfaitement ; non, la répétition qu’engage l’acte de lecture définit la condition d’un lire qui se fait écoute en la certitude de son épreuve de soi : lire comme acte anti-représentatif immédiat.
28Lire se traduit donc en la certitude d’une écoute. Toutefois, le texte ne génère pas de la différence, mais c’est la vie qui vient trouer et cribler le texte de « non-lieu » ; elle vient tout simplement interrompre le flux du discours et le suspendre violemment pour indiquer un Avant, tout en convoquant le vivant. En fait, la « parole de la vie » n’est pas un « ce que ça dit » mais toujours une adresse : qui parle et à qui la parole s’adresse-t-elle ? C’est dire si la « parole de la vie » n’est pas un « faire-voir » ce que nous lisons ou entendons. Bien sûr, on allèguera que nous pouvons très bien ne rien entendre à ce que nous lisons. Et de fait, dans le monde, nous n’entendons rien ; car le rythme ne provient pas du choc des syllabes, dans l’interstice d’un flottement silencieux. Cela n’est encore que l’absence de bruit. Le vrai silence, celui qui parle précisément dans les plis de la chair vivante, n’habite pas le monde.
29Lire Kafka consiste donc à « entendre » et non à faire parler le romancier ou extraire ce qu’il a vraiment voulu dire. Étant donné que l’étalon de véracité se voit inversé par rapport au monde des objets, il faut plutôt entendre, en ce cas, un vivant qui parle à travers une parole qui dit tout en faisant ce qu’elle dit et en étant ce qu’elle dit : le fait brut de l’auto-impressionnalité. L’invisible retentit et nous voilà immédiatement transis, rendus à la vie qui jamais ne nous quitte. Partant, l’acte de lecture est donc marqué d’une gravité, car il nous remet aussi devant notre mensonge et sa possibilité première.
30Dès lors, pourquoi s’étonner que toutes ces « phrases » soient « scandées », presque « psalmodiées » à travers l’œuvre de Michel Henry ? C’est dire à nouveau si le but est bien d’outrepasser la lettre, car quelque chose se joue avant et après elle, dont elle est certes le support, le substrat dans lequel va s’ouvrir une toute autre expérience transcendantale, une expérience d’« excédence » dirons-nous avec Paul Audi, qui n’est autre que celle de la vie divine. Chez Henry, le texte, parce qu’il est soudainement démis de sa fonction textuelle, devient foncteur de divin ; il devient dépositaire de la vie en tant que la parole inscrite ne se réduit pas à son expression syllabique ou à son syntagme. Ceci a pour corrélat qu’il faut envisager la continuité entre « Kafka » et sa parole, qui n’est pas simplement la parole de la finitude à propos de l’infini : celle qui viendrait exploser, au travers du texte, de manière « baroque ». La parole fait venir la vie, non pas d’un ailleurs, mais bien en se tenant en son Dire. En l’occurrence, lire équivaut à se repositionner dans l’acte même de donation de la vie qui parle, se re-positionner là où la vie parle de soi à soi-même, et cela je ne peux le réaliser qu’à travers mon écoute, non l’écoute d’un dehors qui se porte sur les choses, mais qui se fait écoute dans l’acte même de la vie qui est « parole ». En tentant de reposer dans un dire, dans l’écoute infinie d’un soi qui vient et advient à soi-même selon des modulations affectives et « tonales » (non au sens de la métaphore), tout vivant porte son écoute à l’intérieur du procès qui le fait Soi et qui ne cesse d’entrer en musicalité.
31Afin de réaliser ce projet, il faut que Kafka soit « homme vérace » pour pourvoir la parole en tant que telle. Cependant Kafka, en tant qu’homme, n’est pas plus Dieu que le Christ. À l’instar de tout homme, il a accès aux évangiles. Seulement tout « dire » n’est pas « parole ». Cela, il l’a compris mieux que tout autre, ce qui crée sa méfiance envers toute écriture, et particulièrement la sienne. Comment l’homme qu’il est, ou qu’il pense être, peut-il bien être vérace et donc proférer un « dire » qui ait valeur de vérité ? L’unité de la parole et de l’épreuve interne transcendantale est bien le niveau qu’à recherché Kafka et dont il a envisagé, dans sa plus grande acuité, la profanation, la banalisation et la vulgarisation : ces hommes qui parlent de ce dont ils ignorent ; les instances de la Loi à propos desquelles chacun possède un avis ; ces êtres boursouflés de mensonges jusque dans le tréfonds de leur chair. C’est tout le problème qui occupe et mobilise Kafka à chaque instant : penser qu’il est « un mensonge qui dit la vérité » pour paraphraser Cocteau.
32À l’aune de la pensée henryenne, la parole de Kafka est à la fois une « parole de vie » et une parole vivifiante. Le vivant doit être sa propre énonciation, car la parole donne vie littéralement. La parole fait ce qu’elle dit – en tant que performative – mais surtout vit ce qu’elle dit, en tant que la venue de sa parole est sa propre advenue à soi en tant que vie pathétique : il s’agit donc bien d’une double expérience. Lire Kafka revient à attester d’un autre langage, mais aussi de décrire celui-ci comme une expérience subjective. La performativité de l’attestation se complète ainsi par une expérience vivante de la performativité elle-même, la jouissance d’un dire qui fait et qui accomplit sa propre parole. Non seulement entendre la parole relève du fait attesté et de la certitude de soi mais, qui plus est, ce plan ne requiert aucune justification (on n’authentifie pas une parole qui précède toujours). En ce sens, la parole n’apporte aucun réconfort au vivant, autre que celui de vivre cette attestation comme étant la sienne, c’est-à-dire la manière avec laquelle la vie se révèle en soi comme sa vie.
- 21 Voir à ce sujet : nathalie depraz, Ecrire en phénoménologue : une autre époque de l’écriture, Paris (...)
33Ce qui veut dire que notre corpus de parole peut n’être pas très grand et qu’il importe surtout non pas de « répéter » – au sens trivial – la parole (ce qui peut d’ailleurs se faire de manière impersonnelle) ; car la parole que nous avons sous les yeux se présente à la manière de n’importe quel texte. Il faut plutôt répéter le processus analogique qui met en jeu, en tension, tout dire vivant et le maintient dans cette éventualité, non de dire vrai ou faux, mais d’être tout simplement la vérité du « Dire ». Il faut donc répéter le « faire » du « Dire », à savoir l’acte même du « Dire » en l’entendant. Se donner la possibilité d’entendre, implique à la fois un laisser-être et une attention pour que l’entente consiste précisément en une reprise ou une relance du vivant au sein du processus transcendantal de génération du Soi vivant21.
34Étant donné que la parole dépasse la question du sens ou du simple silence, de ce qui ne serait pas dit ou serait encore à dire ou à redire, il faut déporter le problème de l’expression vers celui du corps tout entier, en direction de la réception d’une oralité originelle. Plus que l’expression ou la création de nouveaux syntagmes délirants (comment ne pas évoquer ici encore le classicisme de la langue de Kafka), c’est le désir de l’expression qu’il faut interroger en ce cadre, le désir de parler et le désir d’entendre, de se faire parlant, parfois sans signes, sans mots, ni propositions. Que veut dire alors « parler » et « écouter » selon un tel référentiel ? Plus encore, que peut signifier « écrire » ? Parler parce qu’il n’y a rien à dire, avant de « voir » ce qu’il y a à dire ; écrire pour ne plus rien faire « voir ». Écouter, avant le « dire » et la signification, un véritable dire qui serait le dire vrai de la pleine signifiance du pâtir en sa révélation invisible immanente, définissant l’être parlant de la parole bien avant la distinction du « vrai » et du « faux ». Comment penser le lien entre « prendre parole » et être incarné, l’être parlant de la parole et cette chair invisible ?
- 22 M. Henry, Incarnation, Paris : Seuil, 2000, p. 166.
35L’œuvre littéraire de Michel Henry s’est construite contre une idée fondamentale – au demeurant fort simple – et qui se trouve évoquée dans L’Essence de la manifestation de façon très implicite : la philosophie n’est pas de la littérature. Comme telle, cette idée désigne le reproche manifeste à l’encontre de Merleau-Ponty et de son style prestigieux22. Or ce qui pourrait apparaître comme une surévaluation de la pensée (la coquetterie du rationaliste outré face à la frivole littérature) ne relève en fin de compte que d’une tentative autrement plus singulière auprès de Henry : sauver la singularité – dans le sens Henryen du terme – du « roman », de la « narration », de la « parole » face aux « idées », face à la « pensée » qui ne peut venir entacher la forme du récit imaginaire ou n’importe quelle « parole de la vie ». La phénoménologie radicale, en tant qu’elle laisse la parole à la vie, qu’elle en fait son thème et son obsession, peut-elle dès lors clairement établir les conditions de possibilité d’une littérature, peut-elle expliquer les conditions de création d’une parole littéraire et fixer le statut d’une certaine poétique du roman ?
- 23 Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » in Dits et écrits, Paris : Gallimard, coll. « Quarto (...)
36S’ouvre en ce cas une immense question dont il n’est pas certain qu’elle soit correctement formulée en l’état : la « parole » du roman Henryen peut-elle, par exemple, entrer en concurrence avec une parole de Kafka ou de l’évangile, sans poser instantanément le problème de la valeur de l’écrivain et de sa prose ? Et derrière ceci une autre question redoutable s’immisce, celle que posa, en son temps et avec brio, Michel Foucault : « qu’est-ce qu’un auteur ? »23. L’auteur est-il celui qui s’efface au profit de la parole de la vie ou, au contraire, prend la parole en relevant le défi du mensonge et de l’intégrité ? Pourquoi une telle phénoménologie a-t-elle pu, et surtout, a-t-elle dû favoriser une place à un autre discours, si ce n’est en faisant un usage philosophique de ce dernier ? Pourrait-on évoquer la « disparition » de l’auteur (des auteurs) en vertu d’un « dispositif », pour reprendre l’expression foucaldienne, de paroles de la vie ? serait-ce alors une toute autre solution qui apparaîtrait en filigrane de l’œuvre henryenne faisant écho à la figure de Kierkegaard, bien qu’elle n’y fasse pas allusion sur ce point :
- 24 Paul Audi, L’Autorité de la pensée, Paris : PUF, coll. « Perspectives », 1997, p. 127.
« La pseudonymie a toujours été le moyen mis en œuvre pour réduire l’anonymat constitutif de la représentation au nom, au profit de la pensée vivante et agissant au nom de soi »24.
- 25 M. Henry, Entretiens, op. cit., p. 11.
- 26 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 850-851 : « C’est dans la structure de l’être (...)
- 27 J. Wahl, Esquisse d’une histoire de l’existentialisme, op. cit., p. 93.
37À ce niveau, peut-être faut-il se rappeler cette simple constatation : le nom de la vie est le Soi, à savoir l’être du je, et non le « je » ou le « moi », celui de la « conscience de soi » des idéalismes ou encore celui du psychologisme, de l’inconscience anonyme de la psychanalyse. On se plaint à tort du « manque » d’affect dans la pensée de Michel Henry. On se demande encore pourquoi il rechignait à se décrire en quelques mots25, arguant qu’on ne pouvait concéder la subjectivité à une notice biographique, la compromettre dans une collecte de « faits » ou d’évènements mondains. On oublie pourtant la leçon qu’il retient de Kierkegaard : le Traité du désespoir, s’il se présente à la manière hégélienne, en est tout à la fois un détournement sans précédent26. En ce sens, il est faux de croire, comme Levinas le pensait en répondant à Jean Wahl, que Heidegger a su faire entendre « philosophiquement » Kierkegaard27 qui sinon aurait dû se cantonner au rôle du littérateur existentiel. Michel Henry a pris Kierkegaard au sérieux et il a voulu peaufiner son geste consistant à conférer un sens ontologique (et par la suite strictement phénoménologique) au concept de vie intérieure.
- 28 Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris : gallimard, 1947, p. 255.
- 29 M. Henry, « Philosophie et subjectivité » in Phénoménologie de la vie (tome II) : de la subjectivit (...)
38Pas de littérature « biographique » donc. Pas de littérature de ses « petits malheurs », des petites vicissitudes que nous réserve la vie de manière implacable. Encore moins « d’auto-fiction ». Et voilà le Kafka de Henry qui se dessine : toute une œuvre étrange et complexe pour ne parler que de Soi, ou plutôt du Soi et non simplement de la « condition humaine »28 comme le pensait Sartre. Le Soi et son bestiaire imaginaire, le Soi et ses personnages à la limite de l’anonymat et qui meurent « comme des chiens » : la réalité la plus vérace face au réalisme le plus plat du monde objectif, de cette objectivité qui engloutit la vie, détruit l’infini, ne permet plus l’intériorité. Cette objectivité qui glose à propos de la méthode et propose des chemins où l’on ne cesse de s’égarer. Puisque l’être est subjectif, il peut être anonyme : il peut user de l’anonymat, se maquiller, se déguiser, « devenir animal » comme disait Deleuze. Mieux : faire jouer l’anonymat contre lui-même. C’est bien pourquoi l’impersonnel et l’anonymat ainsi que le sens de l’animalité dans l’œuvre de Kafka doivent être repensés avec rigueur sous l’angle d’une pensée de la singularité radicale qui attaque en bloc le principe même de neutralité, non pour sa froideur, mais selon l’erreur philosophique qu’il commet implicitement. Or si « la pensée de la subjectivité est à faire »29, comme le déclarait de manière un peu péremptoire Michel Henry, c’est précisément parce qu’elle n’est plus subjective, personnelle ou solipsiste. Cette révolution qui fait de l’être la subjectivité même, cette ontologie de la vie intérieure, entraîne, en plus d’un détournement du discours philosophique et de son faux « sérieux », une refonte de la pratique littéraire et de la parole qu’elle laisse poindre. La littérature joue, pour la contraindre, avec l’impersonnalité, l’anonymat et « l’objectivité comme avec des moyens qu’elle ne craint pas d’employer, tentant par ce geste d’indiquer et de faire sentir le clivage éternel entre une subjectivité encore et toujours à l’œuvre dans l’invisible immanence et un « monde » déréalisant : le sens profond peut-être « d’un homme sans qualité » qui, pour parler de Soi, use du monologue sous la forme du discours indirect libre.
- 30 Leena elitta, “Art as religious commitment : Kafka’s debt to Kierkegaardian ideas and their impact (...)
39La vérité indivisible, ce que Kafka nomme das Unzerstorbare, et que l’on peut traduire comme « l’indestructible », Leena elitta en donne une bonne définition : « das Unzerstorbare est quelque chose que nous possédons tous de manière individuelle et qui est à la fois partagé par toute l’humanité »30. Jean Wahl lui aussi insiste sur cette foi ultime et « sans condition » de Kafka dans l’indestructible. Le philosophe français cite cette parole prodigieuse et fondamentale pour notre étude :
- 31 Cité par J. Wahl, Esquisse pour une histoire de l’existentialisme, op. cit., p. 137.
« Nous sommes trop faibles, pour reconnaître à tout instant ce monde véritable. Mais il existe. Partout la vérité est visible. Elle perce à travers les mailles de la prétendue réalité »31.
40C’est Kafka qui parle et c’est de lui à tout moment qu’il nous entretient. Les autres personnages, c’est encore lui. Il est le seul et unique personnage de ses romans et pourtant il se dédouble. a la recherche d’une unité perdue, il crée de la disparité. Le roman « subjectif » de Kafka ne conduit alors pas à la vérité du sujet mais à son mensonge, à l’impossibilité de se connaître soi-même et de se prendre pour unique mesure. Et s’il existe, comme on le sait, la possibilité d’un combat contre le monde, il n’est pas possible de partir d’une vraie unité singulière, l’individu étant déjà déchiré par des forces contraires. En ce sens, redisons-le, le problème premier de Kafka est bien l’hypocrisie et le mensonge et non seulement l’erreur ou le recouvrement de la vérité, puisque le mensonge co-existe avec la vérité. Parce que la possibilité du mensonge réside, en sa pleine positivité donc, dans le principe lui-même, on ne peut considérer celui-ci comme un simple accident se produisant à la lisière de la vie subjective, mais bien comme une possibilité toujours imminente qui requiert par conséquent toute notre attention et notre vigilance.
- 32 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 564. Henry ajoute deux pages plus loin : « [… (...)
- 33 M. Henry, Paroles du Christ, Paris : seuil, 2002, p. 118. nous renvoyons ici, sans l’expliciter, à (...)
41Or, ce que l’œuvre de Kafka va porter à la lumière, sans doute elle-même éclairée par le propos de Kierkegaard – et qui souligne la thèse henryenne – c’est le problème de l’incarnation du mal, de sa naissance et sa concomitance avec le bien. Ce qui fait découvrir à Henry « l’essence du christianisme »32, en cette forme particulière – la plus « tragique »33 – que représente l’innocence coupable ou diabolique (rappelant les développements de Kierkegaard sur cette question dans Le Concept d’angoisse). En effet, Kafka ne raconte rien sur l’intérieur lui-même, il n’a rien à en dire et s’efforce de garder le silence ; il ne l’indique pas non plus, pas plus qu’il ne le désigne, mais, par contre, il précise, en la circonscrivant, sa situation (pas plus spatiale que temporelle) à l’égard de cet « intérieur » phénoménologique que constitue le fait d’être donné et rivé à Soi. Chez Kafka, tout devient incommunicable, « l’individuel » autant que le « général ». Rien n’est plus atteignable, tout se transforme en « relation ». C’est pourquoi il voulait creuser le sol qui retenait ses pieds et ce, quitte à le faire à l’aide de ses dents, persuadé qu’on ne peut passer dans la vie que par des personnes, par son corps, par des paroles et non par l’entremise de choses inondées de lumière. Mais cela, Kafka pensait-il pouvoir le faire dans tous les sens du terme : la « possibilité » avait-elle à la fois pour lui valeur de capacité et de permission ?
42Il est un fait reconnu : Kafka ne sait pas « prendre » la parole, il ne sait pas la saisir à « bras le corps ». Quelque chose est corrompue au sein même de cette nécessité à parler qu’il ressent pourtant avec une virulence atypique. Dès lors, il ment non parce qu’il se trompe d’expression, son problème n’est pas de l’ordre d’un simple égoïsme transcendantal ; non, il ment déjà depuis longtemps, depuis toujours à vrai dire, depuis la chute, longtemps avant d’avoir parlé et écrit. Son problème est un problème éthique/religieux lié inextricablement à la « question » de la faute du langage. Or le « péché » du langage n’est pas tant de dire autre chose que la vérité (il ne sait pas faire autrement), le problème, pour Kafka, est que des hommes – lui en particulier – mentent bien avant de parler, au moment même de la réception originelle de la parole.
43En d’autres mots : qu’avons-nous fait de cette parole que nous feignons de recevoir, cette parole que nous sommes et que nous prétendons être ? Ce « langage du monde », que dit-il sur elle ? Rien. En ce sens, la « parole de la vie » juge Kafka à chaque instant. Chaque mot écrit, tracé sur le papier, vient en retard. Et ce scandale de l’écriture ne représente rien d’autre que le constat d’un homme déjà coupable parce qu’il sait. Alors que Kafka ne veut écrire que dans l’invisible, l’extériorité du mot l’écarte et le ramène à son mensonge originel. Chez lui, de manière tout à fait étonnante, le mensonge semble se phénoménaliser et apparaître dans l’apparaître à soi lui-même, à l’endroit même de l’absolu et de sa révélation affective, à la source de toute possibilité et de toute réalité. Tandis que, chez Henry, l’immanence se révèle comme « charge à soi » selon les alternances entre le « souffrir » et le « jouir ». Seulement la « charge à soi », au prisme de l’écrivain, s’enraille et se bloque ; elle prend cet aspect effrayant d’être une « charge de mensonge » qui dédouble la charge originelle. Kafka est celui qui sait qu’en étant vivant, il ment ; il a déjà menti, car le mensonge ne semble pas résulter d’un choix particulier ni d’une curiosité malsaine. Kafka semble ajouter, d’une certaine façon, de la faute et du péché à son propre désespoir. Lui, qui ne veut que la pureté, se décrit comme l’homme le plus « impur » à Milena. N’étant que Soi, il était toujours Kafka. S’immergeant dans l’absolu, se situant à l’essence du moi comme le décrivait Kierkegaard, il ne trouve encore et toujours que « lui ». Le mensonge ne vient donc pas le frapper de l’extérieur. C’est pourquoi le monde est presque moins coupable que lui-même. Kafka atteint et gagne le stade religieux, mais comme s’il n’avait pas effectué les autres stades. Perdu dans l’absolu, il veut revenir sur ses pas, comme s’il prétendait retourner dans le monde alors qu’il n’avait désiré que la solitude. Car comment est-il dans cet absolu ? en écrivant. Écrire pour y être, c’est ce que déteste Kafka. Il veut y être de tout son être et cela, hélas, il n’en aura jamais l’impression puisqu’il ne prend aucune décision, sinon celle de mettre en scène le fait de ne rien faire, de vicier l’absolu lui-même en y étant comme il est, c’est-à-dire : comme un homme qui ne fait rien. Comble du paradoxe : Kafka ne s’avilit pas seulement lui-même, il avilit l’absolu, et ainsi il s’efforce de décrire tout possible comme une entreprise impossible justement ; son œuvre ne fait que rajouter à la confusion ambiante, car il n’y a rien à « ajouter » au mystère de l’absolu lui-même sinon à s’y tenir.
- 34 Michel Henry cite pour l’occasion une phrase de Kafka (in « À propos de Kierkegaard et de Heidegger (...)
- 35 Le propos de L’Essence de la manifestation s’achève sur une considération étrange concernant une id (...)
- 36 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 857.
- 37 Léon Chestov, Une Philosophie de la tragédie (Dostoïevski et Nietzsche), trad. Boris de schloezer, (...)
- 38 M. Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., p. 857.
44Ainsi donc, le combat de Kafka, magnifique puisque perdu d’avance, réside dans la possibilité du « dire », de « l’entendre » et l’intrication de ces deux problématiques avec celle du « vouloir dire » qui caractérise l’attitude par excellence de l’écrivain. Pour cette raison, son œuvre rayonne dans une infinité de directions, toutes plus confuses les unes que les autres, s’annulant et se reprenant sans cesse ; car, au lieu même de « l’entendre » du Soi de la vie, Kafka ne peut dire. Or Kafka, et tel est bien le drame, voulait pouvoir dire l’impossible et l’incommunicable. Il ne voulait dire que cela en vérité. De la même façon, il voulait pouvoir l’impossible, et par ce fait, parce qu’il désirait cela plus que tout, et que cela ne lui était précisément pas possible, il est celui pour qui tout « possible » fut soudain, en une inversion effroyable, marqué du sceau d’une « impossibilité » insurmontable : la possibilité d’écrire était devenue pour lui la plus grande impossibilité d’écrire. Kafka n’écrit pas quand il en a envie, il n’écrit pas parce qu’il y a quelque chose à écrire, il écrit quand il est impossible d’écrire quoi que ce soit, parce qu’il est précisément impossible d’écrire quoi que ce soit, et ceci non pas tant parce que le langage « ment » ou « induit » en erreur mais bien parce que la parole a déjà parlé et que rien ne prouve qu’il puisse s’arroger le droit de « parler » à son tour. Tout le monde parle dans les livres de Kafka, mais ne se dit que la confusion. Dès lors, il s’attela patiemment à ne pas vouloir surmonter ce problème, à en faire son problème d’écrivain. élaborant à cet endroit même son œuvre, il donna conjointement le sens profond au « tout est grâce » du curé de campagne de Bernanos et à la certitude sans l’espoir34 que chercha Michel Henry. Croyant certainement que « la vie est bonne » comme Henry ne cessa lui-même de le répéter, Kafka ne fut jamais assuré que lui l’était, indiquant dès lors la portée résolument éthique de sa position plus qu’ambigüe vis-à-vis de l’absolu. Aussi, Kafka, en sa position tragique et tellement étrange, signe peut-être là les prémisses d’une description phénoménologique radicale de la finitude et de ses enjeux, voire des pathologies entraînées par la relation à l’infini et à la structure transcendantale du Soi vivant. Mieux que personne, Kafka a démontré que résider à l’endroit même de l’absolu était loin d’être une sinécure. Prenant le risque d’être trop « esprit »35, il confirmait le sens essentiel des notions kierkegaardiennes de « désespoir » et d’« angoisse » (Kafka ayant introduit, si l’on veut, de l’angoisse et du péché dans son propre désespoir, expliquant pourquoi son désespoir ne passe pas précisément, car il n’est pas « transparent »36 et pervertit l’absolu lui-même). Kafka pose une redoutable question à Michel Henry : quelle est la nécessité exacte d’un « saut », d’un repositionnement à même la vie subjective, et comment se traduit-il en possibilité réelle pour un vivant ? Si la phénoménologie matérielle peut sembler avoir fait droit, selon certaines de ses positions extrêmes, à une mystique du soi vivant, elle n’est pas pour autant un simple eudémonisme et encore moins un hédonisme exaltant et triomphant de la vie subjective et de ses petites joies savamment réparties ni, pis encore, une profession de foi. Bien au contraire, s’affiche-t-elle plutôt comme une pensée de la tragédie intégrale – au sens où l’entendait Léon Chestov37 – s’adressant aux « hommes du souterrain ». Ceux qui oseront encore, après Kafka, désespérer ; car « parce qu’il est éternel, le désespoir est passager, il est le passage, et ce qui conduit à l’absolu »38.