Texte intégral
- 1 « […] ich will auf einen andern Platz, […] es würde mir genügen knapp neben mir zu stehn, es würde (...)
- 2 Lettres, 26 juin 1922, III, 1145.
« […] je veux changer de place ; […] il me suffirait d’être placé juste à côté de moi, il me suffirait de pouvoir concevoir comme une autre la place qui est la mienne »1
« Ma condamnation de moi-même est […] vérité, mais d’un autre côté elle est inévitablement aussi méthode »2
1Dans l’œuvre de Kafka se déploie une littérature qui amorce une certaine solidarité entre un discours sur le lieu et/ou l’espace, que nous appellerons topologie pour la dimension philosophique, mais que nous pourrions tout aussi bien nommer topographie pour sa dimension littéraire, et un discours sur la Loi, nomographie à l’œuvre par exemple dans la Colonie pénitentiaire, mais que nous développerons sous l’intitulé de nomologie, selon des significations que nous serons amenés à préciser.
2Ainsi par exemple le jeune Karl arrive en Amérique au terme d’une longue traversée, dont la raison est de prime abord de peu de moralité (il aurait engrossé une bonne), même si par la suite, le lecteur apprend que Karl est au pire autant victime que coupable, au mieux plus victime que véritablement coupable. L’oubli de son parapluie le conduit cependant, au moment du débarquement, à abandonner sa valise sur le pont pour courir chercher ce parapluie qu’il ne trouvera pas. Il s’enfonce dans les profondeurs du navire, et se perd dans des coursives labyrinthiques :
- 3 « Unten fand er zu seinem Bedauern einen Gang, der seinen Weg sehr verkürzt hätte, zum erstenmal ve (...)
« En bas, il y avait un passage qui aurait bien raccourci son chemin ; malheureusement il le trouva barré. […] Il dut chercher péniblement son chemin au travers d’une quantité de petites salles, de couloirs changeant sans cesse de direction, de courts escaliers – qui se succédaient toujours et encore –, […] jusqu’à ce que […] il se trouvât réellement perdu »3.
3Il fera ainsi connaissance du soutier, et par là-même se verra confronté à une injustice présumée d’abord, à un tribunal ensuite, qui se tient dans une salle remarquable :
- 4 « Der Heizer klopfte respektvoll an der Türe an und forderte, als man herein rief, Karl mit einer H (...)
« Le chauffeur frappa respectueusement à la porte et, quand on cria entrez, invita Karl d’un geste de la main à entrer sans crainte. Il entra également, mais resta sur le pas de la porte. […] Oui, vraiment dans cette pièce on savait où on était »4.
4Tous deux se trouvent alors face à un jury qui permet au soutier de maladroitement s’expliquer tandis que Karl s’efforce d’assurer, sans grand succès, sa défense.
5En ce début de l’Amérique, l’errance labyrinthique mène à un lieu qui impressionne et fonctionne comme tribunal, comme si savoir où l’on est était la garantie de la justice, ou comme si la justice ne pouvait être rendue qu’en un lieu qui, d’une certaine manière, s’atteste lui-même, et qui pourtant n’est atteint qu’au terme de multiples détours : le lieu du pouvoir. Les lecteurs de Kafka savent que, le plus souvent, l’absurdité de la procédure juridique s’associe à une spatialité déconcertante pour déterminer l’étrang(èr)eté du monde, de ce monde que l’on dit alors kafkaïen, comme en témoigne cet extrait qui fait écho à ce début de l’Amérique :
- 5 « “Wie bin ich hierhergekommen ?” rief ich. Es war ein mäßig großer von mildem elektrischem Licht b (...)
« “Comment suis-je arrivé là ?”, m’exclamai-je. C’était une salle moyennement grande, inondée d’une douce lumière électrique, et je passais devant ses murs. Il y avait bien plusieurs portes, mais quand on les ouvrait, on se trouvait en face d’une paroi de rocher sombre et lisse qui se dressait à un pouce du seuil, montait tout droit et se perdait des deux côtés dans un lointain incalculable. Il n’y avait pas d’issue par là. Il n’y avait qu’une porte, qui s’ouvrait sur une petite chambre, là la vue donnait plus d’espoir, mais ne déconcertait pas moins que devant les autres portes. On apercevait une pièce princière où le rouge et l’or dominaient, il y avait plusieurs miroirs hauts comme les murs et un grand lustre de cristal »5.
- 6 Prenons par exemple l’étude de Stefan Grandmann Topographie / Text : Stifter und Kafka, Frankfurt a (...)
6Notre première hypothèse de lecture sera donc que la topographie de Kafka répond et correspond à la thématique juridique, et même éthique, dans la mesure où l’éthique est aussi et surtout une posture vis-à-vis de la règle ou de la loi, en dehors de toute légalité juridique ou politique. Pour le dire en d’autres termes, la spatialité des situations et des personnages constitue un dispositif littéraire au service du propos kafkaïen sur la Loi. La thématique de la Loi et la thématique de la spatialité dans l’œuvre de Kafka ont été chacune et pour elle-même fréquemment étudiées (cf. la bibliographie). Il ne semble pourtant pas que l’analyse des correspondances entre la spatialité à l’œuvre chez Kafka et la problématique de la Loi ait donné lieu à une étude systématique6. Nous nous proposons d’indiquer quelques éléments d’analyse pour une telle étude.
7Notre deuxième hypothèse, qui fournit le titre de cet article, est que le personnage principal des écrits de Kafka est, d’un point de vue juridique autant que politique, le plus souvent hors-la-Loi, tout à la fois hors-la-Loi et hors-le-lieu, dans une double extériorisation, la deuxième extériorisation permettant la manifestation littéraire de la première.
8Notre troisième hypothèse vient en quelque sorte en conclusion : Kafka dans son œuvre nous confronte par la littérature à une éthique de l’être-au-monde dans sa dimension juridico-politique, éthique défaillante ou déficiente, plus précisément éthique de la défaillance face à l’ordre juridico-politique, seule à même de nous fait prendre conscience du phénomène de la Loi.
- 7 « Meine Gefängniszelle – meine Festung »,[FTV, Bd. 11, S. 183].
- 8 S. Grandmann Topographie / Text : Stifter und Kafka, Frankfurt am Main : Verlag Anton Hain, 1990.
9Nous pouvons reprendre les déterminations spatiales dans la perspective analytique des oppositions constitutives de notre rapport à l’espace et aux lieux, comme le fait Stefan Gradmann8, et envisager les oppositions du haut et du bas, de l’intérieur et de l’extérieur, du proche et du lointain, du chez-soi et de l’étranger, du recoin où l’on s’enferme et de l’échappatoire, de la limite (fenêtre, porte, seuil).
10Nous observerons la différence chez Kafka du haut et du bas, pour mettre en évidence le principe de confusion à l’œuvre dans sa littérature, et partant, le principe de désorientation, puis nous indiquerons rapidement la systématicité de ce principe de confusion relativement aux autres oppositions spatiales.
- 9 « Selten erscheint das “Ich” der Aufzeichnungen in einer erhöhten Position oder im Aufstieg begriff (...)
11La hauteur n’acquiert pas un statut supérieur chez Kafka9 : monter n’est en aucun cas la manifestation d’une libération, d’un arrachement ou l’approximation de quelque transcendance.
12Dans l’Amérique, Karl, après une poursuite qui lui permet d’échapper, sinon à la justice, du moins à la police, est emmené par Delamarche jusqu’à l’appartement de Brunelda, où les attend Robinson :
- 10 « “Wir sind gleich oben”, sagte Delamarche einigemale während des Treppensteigens, aber sein Voraus (...)
« […] Ils arrivèrent à l’escalier qui conduisait chez Delamarche […]. “Nous y sommes tout de suite”, répéta-t-il au cours de cette ascension ; mais cette prédiction ne s’accomplissait pas, il restait toujours un étage, un escalier de plus à grimper, dans une nouvelle direction à peine différente de la précédente. Karl […] se sentait désarmé devant une telle altitude. “L’appartement est très haut, en effet, fit Delamarche” […]
Enfin sur un palier Robinson apparut devant une porte fermée : ils se trouvaient à destination ; l’escalier ne finissait d’ailleurs pas là, il continuait à monter dans la pénombre sans que rien n’indiquât qu’il dût cesser bientôt »10.
13Si l’ascension lui permet ainsi d’échapper à la police, ce n’est que pour le mener dans un appartement dont il ne pourra s’échapper, grâce à un escalier tortueux et qui n’en finit pas.
14Dans le Procès, les hauteurs sont des lieux oppressants ou dangereux, comme on peut le voir dans l’exemple de l’escalier qui mène chez le peintre Titorelli :
- 11 « Im dritten Stockwerk mußte er seinen Schritt mäßigen, er war ganz außer Atmen, die Treppe ebenso (...)
« Au troisième étage, hors d’haleine, il dut ralentir son allure ; l’escalier, comme les étages, était démesurément haut, et le peintre habitait une mansarde. L’air était oppressant ; nulle cour d’aération me donnait sur la cage d’escalier resserrée entre de grands murs percés seulement de loin en loin, dans leur partie la plus haute, de minuscules lucarnes »11.
15Une fois dans la mansarde de Titorelli et au cours de l’entretien sur les trois modes d’acquittement pour qui est « complètement innocent » (l’acquittement réel, l’acquittement apparent et l’atermoiement illimité), K. suffoque :
- 12 « Er war darauf vorbereitet, selbst den Nebel mit offenem Mund einzuatmen. Das Gefühl hier von der (...)
« Il était prêt à respirer de tous ses poumons le pire brouillard. La sensation d’être complètement isolé de l’air dans cet endroit lui causait un vertige »12.
16Lieux oppressants et dangereux, les greniers le sont d’autant plus que là s’y trouve l’administration judiciaire, et K. ne sort de la mansarde de Titorelli qu’en entrant dans les locaux du tribunal :
- 13 « Was ist das ? fragte er den Maler. Worüber staunen Sie ? fragte dieser, seinerseits staunend. Es (...)
« Qu’est-ce là ? demanda-t-il au peintre. – de quoi êtes-vous étonné ? Questionna l’autre tout aussi surpris. Ce sont les bureaux de la justice : Ne saviez-vous pas qu’il y en avait ici ? Il y en a dans presque tous les greniers, pourquoi n’y en aurait-il pas ici ? »13.
- 14 Première souffrance, t. II, p. 639 [FTV, Bd1, S. 251].
17C’est aussi dans les hauteurs du palais de justice que sont relégués les bureaux des avocats, le trapéziste ne quitte pas son trapèze, quand bien même : « cette barre unique dans les mains… est-ce une vie ? »14.
18Si les greniers et les hauteurs sont dangereux, suffocants, et même les lieux de l’administration judiciaire, si monter ou séjourner en haut n’a que peu de sens, c’est pourtant là que Kafka nous indique qu’il faut aller :
- 15 « Hast Du einen Weg begonnen, setze ihn fort, unter allen Umständen, Du kannst nur gewinnen. Du lau (...)
« Si, par conséquent, tu t’es engagé dans un chemin, continue, en toutes circonstances, tu ne peux qu’y gagner, tu ne cours aucun danger ; peut-être à la fin tomberas-tu dans un précipice, mais si tu avais fait demi-tour dès les premiers pas et si tu avais redescendu l’escalier en courant, c’est dès le début que tu serais tombé […]. Si donc tu ne trouves rien dans les couloirs, ouvre les portes ; si tu ne trouves rien derrière ces portes, il y a d’autres étages ; si tu ne trouves rien en haut, rien n’est perdu, élance-toi vers de nouveaux escaliers […] »15.
19Kafka en une même phrase place l’interlocuteur du discours « en haut », qui vient après les couloirs, après les portes, après les étages, c’est-à-dire là où il n’y a plus d’étages, mais en même temps face à de nouveaux escaliers qui permettraient de monter plus haut, chose impossible, absurde, mais qui cependant ne paraît pas totalement illogique, ainsi décrite, quoique fort dérangeante, ce qui est sans doute l’objectif recherché.
20Mais en même temps, il faut vouloir séjourner dans les profondeurs :
- 16 « Du sagst daß ich noch weiter hinuntergehn soll, aber ich bin doch schon sehr tief, es verschlägt (...)
« Tu dis que je dois continuer à descendre, mais je suis déjà à une grande profondeur, et maintenant, si cela doit en être ainsi, je veux rester là. Quel espace ! C’est sans doute l’endroit le plus profond. Mais je veux rester là, surtout ne me force pas à descendre encore »16.
21Là encore, le texte place un protagoniste à « sans doute l’endroit le plus profond », en même temps qu’il ménage la possibilité d’une descente plus profonde encore, ce qui a pour conséquence que l’on ne sait pas trop ce qu’il faut croire, de l’estimation du locuteur ou de l’injonction éventuelle d’une autorité supérieure, qui exigerait d’aller encore plus bas, quand bien même on a le sentiment d’être au plus bas. Ce qui est dessous est en effet le plus souvent le lieu de la chute :
- 17 « […] der Boden wird weich, ich versinke mit einem Fuß, dann mit dem andern, die Schreie der Mädche (...)
« Le sol devient meuble, je m’enfonce avec un pied, puis avec l’autre, les cris des petites filles me poursuivent dans la profondeur dans laquelle je coule à pic, dans un puits, qui a exactement le diamètre de mon corps, mais une profondeur infinie »17,
ou de l’errance phénoménologique :
- 18 Journaux, 27 décembre 1911, t. III, p. 203 [FTV, Bd 9, S. 252], nous traduisons.
« Le sentiment de faux que j’ai en écrivant pourrait être rendu par l’image suivante : un homme, attend devant deux trous dans le sol (vor zwei Bodenlöchern) une apparition qui n’a le droit de surgir que du côté droit. Mais tandis que ce trou précisément reste fermé par un obturateur que l’on distingue vaguement, une apparition après l’autre s’élève du trou de gauche, s’efforce d’attirer le regard et y parvient finalement sans peine en prenant une ampleur croissante, qui va, quelque résistance qu’on lui oppose, jusqu’à boucher l’ouverture véritable »18.
- 19 « un homme, placé dans un grenier devant deux lucarnes, attend une apparition qui n’a le droit de s (...)
22Ce qui est remarquable, c’est que si la différence du haut et du bas est préservée chez Kafka, il n’y a pas plus de salut à s’élever qu’à choir, pas plus d’avantages à se rapporter en bas ou en haut, à un point tel que Marthe Robert, qui traduit l’extrait précédent, place l’homme, non devant deux trous dans le sol, mais devant deux lucarnes dans un grenier19, comme si cela s’équivalait !
- 20 Aristote, Physique, IV, 1, 208b21.
23Mais sans doute cela s’équivaut pour Kafka. Selon Aristote, « dans la nature […] chaque détermination est définie absolument »20, le bas est le lieu propre du grave, tandis que le haut est le lieu propre du léger, mais
- 21 Aristote, Physique, IV, 1, 208b14.
« pour nous en effet elles ne sont pas constantes mais dépendent de la position que prend la chose pour nous, selon son orientation ; par suite une chose peut, en restant sans modifications, être à droite et à gauche, en haut et en bas, en avant et en arrière »21.
24Si une chose peut sans se modifier être à droite, à gauche, en bas ou en haut, c’est que nous nous sommes modifiés, qui la percevons ici ou là. Cela signifie que quelque chose s’est modifiée en nous (ou pour nous), très précisément notre position dans l’espace ou le lieu (Aristote parle de topos). L’orientation dépend de la position que prend la chose pour nous, c’est-à-dire aussi de la position que nous prenons vis-à-vis de la chose.
25Kafka dans son œuvre travaille à modifier notre rapport aux choses, aux lieux et au monde en jouant à intervertir les déterminations spatiales familières. Il travaille à notre désorientation en confondant les orientations habituelles et fondatrices :
- 22 « In welcher Gegend ist es ? Ich kenne sie nicht. Alles entspricht dort einander, sanft geht alles (...)
« Dans quelle contrée est-ce ? Je ne la connais pas. Là toutes les choses se correspondent, toutes les choses se fondent doucement. Je sais que cette contrée est quelque part, je la vois même, mais je ne sais pas où elle est et je ne peux pas m’en approcher »22.
26Cette désorientation ne concerne pas simplement les déterminations du haut et du bas, qui fait que le monde de Kafka peut bien être dit sens dessus-dessous.
- 23 « Wir sind, mit dem irdisch befleckten Auge gesehn, in der Situation von Eisenbahnreisenden, die in (...)
« Nous sommes, dans la perspective de l’œil terrestre sensible, dans la situation de voyageurs en train accidentés dans un long tunnel, et même à un endroit d’où l’on ne voit plus la lumière de son début, à peine la lumière de sa fin, à tel point que le regard toujours doit la chercher et toujours la perd, nonobstant que le début et la fin du tunnel ne sont même pas certains »23.
L’avant et l’arrière sont affectés par cette confusion, tout comme la gauche et la droite :
- 24 « Als eine Grundregel für das Verhalten eines Angeklagten erschien es ihm, immer vorbereitet zu sei (...)
« Il lui semblait que la grande règle devait être pour un accusé de se trouver toujours prêt à tout, de ne jamais se laisser surprendre, de ne pas regarder à droite quand son juge se trouvait à gauche, et c’était justement contre cette grande règle qu’il recommençait toujours à pécher »24.
Cette confusion touche de même à la valeur des lieux selon le chez-soi et l’étranger :
- 25 « Sonderbar ! sagt der Hund und strich sich mit der Hand über die Stirn. […] Ich fürchte mich vor d (...)
« Bizarre ! dit le chien en se passant la main sur le front. Où suis-je donc allé courir ? […] J’ai peur de cette course sans but, de ces vastes espaces déserts […] Et puis il n’y a absolument rien qui m’attire loin d’ici, ma place est dans cette ferme, voilà ma niche, voilà ma chaîne. […] De plus, je ne me sauverais jamais de mon plein gré, je suis bien ici »25.
Si le chien de ce récit est heureux dans cette ferme, auprès de sa niche ou de sa chaîne, et le reconnaît volontiers, il ne peut cependant s’empêcher de courir par les chemins. La ferme, la niche, tout cela est à la fois le havre de paix désiré voire assumé, et en même temps ce que le chien fuit presque quotidiennement pour une « course sans but », de « vastes espaces déserts ».
27Souvent, le lecteur de Kafka assiste à une métamorphose du lieu :
- 26 « Immer wieder verirre ich mich, es ist ein Waldweg, aber deutlich erkennbar […]. Und doch das fort (...)
« Je perds continuellement mon chemin, c’est un sentier forestier, mais facile à reconnaître […]. Mais me voilà maintenant continuellement, désespérément égaré, et puis : si je fais un pas en dehors du chemin, je me trouve aussitôt à mille pas en forêt, si abandonné que je voudrais me laisser tomber et rester couché à jamais »26.
Ou encore :
- 27 « Ich war völlig verirrt in einem Wald. Unverständlich verirrt, denn noch vor kurzem war ich zwar n (...)
« J’étais complètement égaré dans un bois. Incompréhensiblement égaré, car peu de temps auparavant je marchais encore sinon sur un chemin, du moins à proximité d’un chemin que je n’avais jamais perdu de vue. Et maintenant, j’étais égaré, le chemin avait disparu, tous mes efforts pour le retrouver avaient échoué »27.
Le moindre écart transforme le chemin forestier facile à reconnaître en un égarement désespérant, le foyer protecteur, la forteresse est à tout moment susceptible d’être prison, et la prison devenir ce lieu protecteur car imprenable : « Meine Gefängniszelle – meine Festung ».
- 28 Le Procès, t. I, p. 461-462 [FTV, Bd 3, S. 236].
28Mais l’emprisonnement pas plus que la sécurité d’un chez-soi ne sont certains chez Kafka. Le Procès s’ouvre sur l’arrestation (die Verhaftung) de Joseph K., qui pourtant reste libre de ces faits et gestes, et même lorsqu’au terme du Procès, il est emmené par deux messieurs « en redingote, pâles et gras, et surmontés de hauts de forme »28, c’est lui qui en quelque sorte mène la danse :
- 29 « Sie duldeten es jetzt, daß er die Wegrichtung bestimmte und er bestimmte sie nach dem Weg, den da (...)
« Ils le laissaient maintenant choisir la direction et K. les mena sur les traces de la jeune fille […]. Les messieurs obéissaient déjà docilement à ses moindres mouvements […] »29,
à tel point que K. en est même « un peu honteux de leur docilité » (ibid.).
29La promenade certes s’achèvera sur l’exécution de Joseph K., mais le motif de la prison ouverte n’est pas rare chez Kafka :
- 30 « der Gefangene war eigentlich frei, er konnte an allem teilnehmen, nichts entging ihm draußen, sel (...)
« Le prisonnier était à vrai-dire libre, il pouvait prendre part à tout, rien ne lui échappait dehors, il aurait même pu quitter la cage, les barreaux étaient en effet largement espacés, il n’était même pas prisonnier »30.
Ou bien la prison s’ouvre sur quelque précipice :
- 31 « Es war keine Gefàngniszelle, denn die vierte Wand war völlig frei. Die Vorstellung, daß auch dies (...)
« Ce n’était pas une cellule de prison, car le quatrième mur était complètement dégagé. Certes, l’idée que ce côté aurait pu être muré ou pourrait l’être encore par la suite était horrible, car alors, étant donné les dimensions de la pièce qui avait un mètre de large et n’était guère qu’un peu plus haute que moi, je me serais trouvé dans un cercueil de pierre dressé verticalement. Mais pour l’instant ce côté n’était pas muré, je pouvais étendre librement les mains à l’extérieur et même, en me tenant à un piton de fer fixé au plafond, pencher prudemment la tête au dehors, très prudemment toutefois, car j’ignorais à quelle distance du sol était la cellule. Elle paraissait située à une grande hauteur, car en bas, comme d’ailleurs à droite, à gauche ou au loin, je ne voyais qu’une vapeur grise qui semblait ne s’éclaircir un peu qu’au-dessus de moi »31,
L’appartement accueillant n’échappe pas au risque du précipice :
- 32 « Es war kein Balkon, nur statt des Fensters eine Tür, die hier im dritten Stock unmittelbar ins Fr (...)
« Il n’y avait pas de balcon, seulement, à la place de la fenêtre, une porte qui menait directement du troisième étage dans le vide. Elle était ouverte par cette soirée de printemps. Un étudiant travaillait tout en marchant de long en large dans la pièce. Chaque fois qu’il arrivait à la porte-fenêtre, il effleurait le seuil de sa semelle, comme on passe rapidement la langue sur une friandise qu’on s’est réservé pour plus tard »32.
- 33 Un Artiste de la faim, t. II, p. 649 [Bd 1, S. 263], trad. Modifiée.
- 34 Le Souci du père de famille, t. II, p. 523 [Bd 1, s. 223].
- 35 Ibid., p. 524 [S. 223].
- 36 Ibid.
- 37 « In diesem Hohlraum hatte ich mich immer, und wohl kaum mit Unrecht, den schönsten Aufenthalt vorg (...)
30Nous pourrions ainsi multiplier les exemples. Comme nous pouvons le lire dans les extraits précédemment cités, les portes s’ouvrent sur une falaise si proche que l’on ne peut se glisser dans l’interstice entre le mur et la falaise, une pièce voisine (ein Nebenzimmer) devient à la ligne suivante une pièce princière (ein Fürstenzimmer), le haut et le bas s’équivalent, quand bien même il n’y a plus rien au-dessus, il faut s’efforcer de monter encore, et quand bien même on a certainement atteint le point le plus bas, il se pourrait qu’il nous faille encore descendre. La chute pourtant semble vertigineuse, et les greniers s’apparentent à de suffocants enfers. Les prisons sont ouvertes, parfois sur un précipice, tout comme les appartements. Qui est en état d’arrestation est libre de se déplacer comme bon lui semble, qui désire la quiétude de la ferme et de la niche ne peut résister à l’inquiétude des courses sans but, à peine s’est-on d’un pas écarté du chemin que l’on se retrouve irrémédiablement perdu, le trapéziste voyage dans un filet du compartiment de train, l’artiste de la faim raconte « les anecdotes de sa vie de nomade [Geschichten aus seinem Wanderleben] »33 mais reste enfermé dans une cage, surveillé jour et nuit. Odradek, ce petit objet technique, « extraordinairement mobile, on ne peut pas l’attraper »34, qui vit comme un animal mais répond comme s’il était humain « sans domicile fixe [unbestimmter Wohnsitz] »35 quand on lui demande où il habite, se rencontre « tantôt au grenier, tantôt dans l’escalier, tantôt dans les couloirs et tantôt dans le vestibule »36. L’animal du Terrier rêve d’une citadelle isolée et séparée de la terre environnante (« je m’étais toujours figuré, et ce non sans quelque raison, que cet espace vide m’offrirait un séjour rêvé »37), et en vient à se sentir plus en sécurité en dehors du terrier qu’à l’intérieur :
- 38 « Eine völlige Umkehrung der Verhältnisse im Bau, der bisherige Ort der Gefahr ist ein Ort des Frie (...)
« c’est un complet revirement des circonstances : l’endroit dangereux jusqu’ici est devenu un asile de paix, alors que la place forte a été envahie par le bruit du monde et de ses périls »38,
etc.
31Kafka au travers de son écriture réalise des paradoxes spatiaux à la manière de Maurits Cornelis Escher avec ses tableaux spatialement impossibles, comme ces escaliers qui montant ou descendant se rejoignent de toute façon (Montée et descente, lithographie, 1960, ou encore Relativité, lithographie, 1953), ou cette eau qu’un petit canal mène du bas de la roue à aubes jusqu’au-dessus de cette même roue à aubes (Mouvement perpétuel, lithographie, 1961).
32Que le peintre puisse représenter des espaces, ou des perspectives, ou des trajets impossibles n’étonnera pas le philosophe qui appréciera le paradoxe. C’est précisément parce que le peintre représente les corps étendus dans les espaces et les lieux qu’il peut le mieux représenter des espaces ou des lieux impossibles, irrationnels, illogiques.
33Que Kafka au travers de sa littérature réalise le même geste que M. C. Escher décontenance le lecteur de son œuvre, au point que l’adjectif kafkaïen en est venu à désigner, mais aussi à masquer l’inquiétude provoquée par les situations des héros et protagonistes de cette œuvre. Même le philosophe s’étonne : ne sait-il pas que l’objet de la peinture en tant qu’art est le corps dans l’espace, quand l’objet de la poésie en tant qu’art est l’action :
- 39 « Gegenstände, die nebeneinander oder deren Teilen nebeneinander existieren, heissen Körper : Folgl (...)
« Les objets, qui ou dont les parties existent à côté les uns des autres se nomment des corps : par voie de conséquence, les corps sont avec leur propriétés visibles les objets propres de la peinture.
Les objets, qui ou dont les parties se suivent se nomment avant tout des actions. Par voie de conséquence les actions sont les objets propres de la poésie »39.
34Il faut pourtant nous rendre à l’évidence, ce que Kafka représente dans ses écrits, ce ne sont pas tant des actions que les lieux de ces actions. La topologie de Kafka décide de la spatialité des situations, et dans bien des cas des faits et gestes.
- 40 Georges-Arthur Goldschmidt, Celui que l’on cherche habite juste à côté – Lecture de Kafka, Lagrasse (...)
- 41 « Meistens wohnt der den man sucht nebenan. Zu erklären ist dies nicht ohne weiters, man muß es zun (...)
35Il faut nous départir de la conception de Lessing, et donc frayer un autre chemin que par exemple Georges-Arthur Goldschmidt, qui intitule son ouvrage40, sous-titré lecture de Kafka, d’une citation de Kafka, « Celui que l’on cherche habite juste à côté »41.
36La lecture de Goldschmidt prend en effet son départ sur le seuil événementiel qui décide, en quelque sorte temporellement, du sort des personnages de Kafka :
« C’est selon les lois en vigueur que K. veut se maintenir dans l’horizon familier des faits, mais l’ordre selon lequel il est arrêté n’est pas d’ici ni d’ailleurs, il se manifeste simplement : on assiste au déclenchement d’un fait »42,
ou encore :
« L’événement initial – et tout instant en est un – inaugure une série dont l’aboutissement fera voir la succession à celui-là seul qui dans sa continuité propre en établit la succession »43.
37Il nous semble cependant qu’il faut comprendre cette formule comme on comprend l’affichette sur la devanture du barbier et qui annonce : « demain on rase gratis ». Si demain est un autre jour, cet autre jour sera l’actualité nouvelle et toujours renouvelée de l’annonce en même temps que le report toujours différé de sa réalisation, de sorte que jamais personne ne profitera de la générosité du barbier.
- 44 G.-A. Goldschmidt, Celui que l’on cherche habite juste à côté – Lecture de Kafka, p. 25.
38« Celui que l’on cherche habite juste à côté » signifie alors que, quand bien même nous allons « à côté », c’est pour y découvrir que « celui que l’on cherche habite juste à côté ». Tout lieu dans le monde est contigu à un autre lieu, qui se trouve « juste à côté », et le propre de la littérature de Kafka est de nous placer « juste à côté » du personnage, dans le même monde, ou de placer ce personnage « juste à côté » de nous, dans le monde que lui et nous habitons, puisqu’aussi bien et tout comme nous, il « habite juste à côté », nonobstant le fait que « l’à-côté ne sera jamais de l’ici »44.
- 45 Nous n’entrerons pas dans le cadre de cet article dans le questionnement de l’impact du déracinemen (...)
- 46 De la même manière, nous pourrions redéfinir l’anachronisme, qui certes consiste en une confusion c (...)
39D’à-côté en à-côté, Kafka déplace ou renverse le lieu de celui qui pourtant familièrement habite le monde, notre monde, le même que nous mais irrémédiablement ailleurs, monde familier, habitable même, en tout cas habité et pourtant unheimlich. Kafka est l’écrivain de l’anatopisme, et nous ne désignons pas par ce terme une affection mentale affectant les personnes déracinées45, mais la propension de Kafka à nous placer “ana”, “à côté”, “le long” de notre topos familier46.
- 47 Nous renvoyons à l’étude de Patrick Werly, « Kafka, le terrier et le monde : difficiles va-et-vient (...)
40L’anatopisme de Kafka est une topologie littéraire, qui travaille systématiquement à transformer en lieux inquiétants les lieux habituels et quotidiens, ou qui nous nous donne l’illusion que des lieux à vrai-dire angoissants sont cependant perçus de manière positive. Le court récit Le Terrier, de ce point de vue, est un véritable chef-d’œuvre de déterminations contradictoires interchangeables et constamment interverties, et mériterait à lui tout seul une analyse patiente et rigoureuse qui malheureusement ne trouve pas sa place dans le cadre de la présente étude47.
41Pour autant, notre hypothèse initiale, selon laquelle la spatialité des situations et des personnages constitue un dispositif littéraire au service du propos kafkaïen sur la loi reste à fonder.
42Certes, c’est pour fuir la police que Karl grimpe jusqu’à l’appartement de Delamarche et Brunelda. Certes le prisonnier de la prison ouverte est bel et bien prisonnier, et donc sous le coup de la loi. Bien sûr Joseph K. ne réchappe pas au coup de couteau qui signifie sa culpabilité, lui qui pouvait aller et venir à sa guise alors qu’il était en état d’arrestation. De toute évidence le chien qui ne veut pas quitter sa niche et ne peut pas ne pas courir la campagne risque d’être réprimandé par son maître. Parfois c’est le représentant de l’ordre lui-même qui se refuse à aider le piéton pressé et perdu :
- 48 « Ich mußte mich beeilen, der Schrecken über diese Entdeckung ließ mich im Weg unsicher werden, ich (...)
« […] il fallait me dépêcher ; l’effroi que me causa cette découverte me fit hésiter sur mon chemin, je ne m’y reconnaissais pas encore bien dans cette ville ; il y avait heureusement un agent de police à proximité, je courus vers lui et lui demandait hors d’haleine mon chemin. Il se mit à me sourire et me dit : “C’est de moi que tu veux apprendre ton chemin ? – Oui, lui dis-je, puisque je ne peux pas le trouver tout seul. – Abandonne, abandonne ! ” dit-il en se détournant de moi d’un geste large, comme font les gens qui ont envie de rire en toute liberté »48,
ou bien encore le gardien qui temporise lors d’une soudaine transformation de la situation spatiale du protagoniste :
- 49 « Ich war in ein undurchdringliches Dornengebüsch geraten und rief laut den Parkwächter. Er kam gle (...)
« Je m’étais engagé dans un buisson d’épines impénétrable et j’appelai à grands cris le gardien du parc. Il vint tout de suite, mais ne put avancer jusqu’à moi. “Comment êtes-vous arrivé en plein milieu de ce buisson d’épines, s’écria-t-il, vous ne pouvez donc pas ressortir par le même chemin ? – impossible, criais-je, je ne retrouve pas le chemin. Je me promenais tranquillement, perdu dans mes pensées, et je me suis soudain trouvé là […]. Je ne pourrai pas ressortir, je suis perdu […]. – Vous êtes comme un enfant, dit le gardien, d’abord vous vous engagez par un chemin défendu à travers le fourré le plus sauvage, puis ensuite vous geignez. Vous n’êtes tout de même pas dans une forêt vierge, vous êtes dans un parc public, […]. – Mais un buisson comme ça n’est pas à sa place dans un parc, dis-je […]” »49.
43En fait, il nous faudra chercher la nomologie au travers d’un autre motif, récurrent et le plus marquant de la spatialité à l’œuvre chez Kafka, le labyrinthe.
- 50 « Wo ist F. ? […] F ist in einem Labyrint, er wird wohl kaum mehr herauskommen. […] In einem Labyri (...)
- 51 Nous n’adoptons pas plus la définition que la distinction entre labyrinthe et dédale d’Hervé le Bra (...)
- 52 Sarah Kofman, Comment s’en sortir ?, Paris : Galilée, 1983.
44Le labyrinthe51 peut se définir comme la mise en place rationnelle d’un dispositif spatial défiant la rationalité de notre rapport à l’espace : ainsi l’arpenteur, technicien de la géométrie, n’arrive jamais au château. Le labyrinthe est à ce titre paralysant, s’oppose au dynamisme du déplacement qui nous mène physiquement d’un lieu à un autre, et désorientant. Dans un labyrinthe, on ne sait jamais où l’on est, ni où il faut aller. Le labyrinthe n’est pas à proprement parler aporétique, puisqu’il y a toujours un chemin, et pourtant on peut constamment s’y poser comme Sarah Kofman la question : « comment s’en sortir ? »52.
45Le labyrinthe est donc inquiétant par bien des aspects, par exemple l’enchaînement de corridors et d’escaliers comme au début de l’Amérique, ou encore dans la villa de Monsieur Pollunder, lorsque Karl, pour chercher cette fois son chapeau, ressort de sa chambre, dans laquelle il a été amené (et quelque peu malmené) par Clara, la fille de Monsieur Pollunder :
- 53 « Es war ein langsames Vorwärtskommen und der Weg schien dadurch doppelt lang. Karl war schon an gr (...)
« Karl avait naturellement pris à gauche dans la direction opposée à la porte de Clara. […] C’était une avance pénible et le chemin en paraissait doublement long. Karl avait déjà abattu un grand parcours sans trouver de portes […]. Et puis soudain, tout n’était plus que portes et il chercha à en ouvrir plusieurs ; elles étaient fermées et donnaient sur des pièces évidemment inhabitées. […] Comme le couloir ne voulait pas finir, que nulle fenêtre ne permettait de voir dehors et que rien ne remuait ni en haut, ni en bas, Karl pensa qu’il passait son temps à se promener en circuit fermé et il espérait déjà retrouver la porte de sa chambre, mais ni elle ni la balustrade ne revinrent »53.
46Il apparaît également sous la forme du chemin qui mène à l’inaccessible que l’on aperçoit et sait être proche. Nous sommes cette fois au début du Château, K. est arpenteur, et c’est la raison apparente de sa venue. Il échoue cependant à l’auberge après s’être perdu :
- 54 « Ich wollte mir den Marsch durch den Schnee nicht entgehn lassen, bin aber leider einigemal vom We (...)
« Je n’ai pas voulu me priver d’une promenade dans la neige mais j’ai perdu malheureusement plusieurs fois mon chemin et c’est pourquoi je suis arrivé si tard »54,
et n’a guère plus de succès dans son approche du château :
- 55 « So ging er wieder vorwärts, aber es war ein langer Weg. Die Straße nämlich, diese Hauptstraße des (...)
« Il poursuivit donc son chemin ; mais que ce chemin était long ! En effet la route qui formait la rue principale du village ne conduisait pas à la hauteur sur laquelle s’élevait le château, elle menait à peine au pied de cette colline, puis faisait un coude qu’on eût dit intentionnel, et, bien qu’elle ne s’éloigna pas davantage du château, elle cessait de s’en rapprocher. […] Finalement il s’arracha à cette route qui le gardait prisonnier et s’engagea dans une ruelle étroite ; […] et soudain il dut s’arrêter, il ne pouvait plus avancer »55.
Nous sommes là dans une forme figurée du labyrinthe, qui cependant se voit décrite au sens propre dans Le Terrier, et qui concerne le constructeur lui-même du labyrinthe :
- 56 « Die Pein dieses Labyrinthes muß ich also auch körperlich überwinden, wenn ich ausgehe, und es ist (...)
« Je dois donc surmonter physiquement aussi le tourment que me cause ce labyrinthe ; je me sens furieux et touché à la fois quand je me perds un instant au sein de mon propre ouvrage et qu’il a l’air, à moi dont la conviction est faite depuis longtemps, de me prouver encore sa raison d’être »56.
47Mais l’originalité de Kafka en ce domaine est de présenter toujours les choses sous un aspect positif après en avoir montré le caractère inquiétant, et vice-versa. Le labyrinthe du Terrier fonctionne comme un sas, tout à la fois empêchant d’entrer et décourageant de sortir :
- 57 « Es hat immer eine gewisse Feierlichkeit, wenn ich mich dem Ausgang nähere. In den Zeiten des häus (...)
« Je sens toujours une certaine solennité quand je m’approche de la sortie. Dans mes périodes de coin du feu je l’évite, j’évite même de pénétrer dans les couloirs qui me mèneraient à la galerie qui y conduit ; il n’est d’ailleurs pas facile d’évoluer dans ce secteur, car j’y ai creusé un labyrinthe de boyaux déconcertant ; […] – “Voilà l’entrée de ma maison”, disais-je alors ironiquement aux invisibles ennemis que je voyais déjà périr d’étouffement dans ce labyrinthe »57.
48Dans Le Terrier, il y a même en quelque sorte un labyrinthe qui protège du labyrinthe : « les couloirs qui me mèneraient à la galerie qui y conduit [au labyrinthe] ».
49Kafka place les personnages de son œuvre dans un espace intermédiaire, et le fait en confondant les déterminations topologiques. En les confondant, cela signifie en superposant des déterminations contradictoires : le labyrinthe est à la fois inquiétant et rassurant, à la fois ce qui protège et ce dont il faut se garder, fût-ce en interposant à titre de médiation un labyrinthe devant le labyrinthe.
- 58 « Le temps doit être considéré comme un labyrinthe », H. Le Bras, op. cit., p. 163.
50Le labyrinthe est chez Kafka le trope principal d’une “topologie anatopique”, qui se réalise selon les figures diverses des déterminations spatiales contradictoires, de l’inversion des repères spatiaux, de l’itinéraire de l’égarement, des médiations sans fin, y compris les médiations temporelles ou les intermédiaires humains. L’attente est labyrinthe58, et à ce titre, l’homme de la campagne qui attend toute sa vie devant la sentinelle de la Loi est prisonnier d’un labyrinthe, et c’est encore le labyrinthe que conseille le négociant Block à Joseph K. :
- 59 Le Procès, t. I, p. 418 [Bd 3, S. 185].
« J’ai vu, dit K., ces messieurs faire antichambre là-bas, et leur attente m’a paru si inutile ! L’attente n’est pas inutile, dit le négociant. Ce qui est inutile, c’est de se mêler personnellement de son procès »59.
- 60 Le Procès, t. I, p. 416 [Bd 3, S. 182].
- 61 Le Procès, t. I, p. 391 [Bd 3, S. 155].
51Il faut non seulement emprunter le labyrinthe du temps qui passe quand rien ne se passe, emprunter le labyrinthe des intermédiaires, grands avocats, petits avocats, avocats de bas étages (Winckeladvokaten)60, peintre officieusement « homme de confiance de la justice »61, quand ce n’est pas aussi telle soubrette qui introduit à l’avocat alité, mais également accepter, quand on est innocent, le verdict le plus probable de « l’atermoiement illimité ».
52Il convient dès lors de s’enquérir de l’étymologie du terme et de l’origine de la chose “labyrinthe” :
- 62 Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Dictionnaires le Robert, (...)
« Labyrinthe : n. m. est emprunté, sous la graphie labarinthe (1418) puis labyrinthe (1540) au latin labyrinthus “bâtiment dont il est difficile de trouver la sortie”, attesté à basse époque au figuré et lui-même emprunté au grec laburinthos, employé aussi au figuré pour des raisonnements tortueux, mot que sa finale –inthos fait regarder comme préhellénique. Une hypothèse souvent admise le rapproche de labrus qui serait un nom lydien de la hache, et l’interprète comme “la maison de la double hache, insigne de l’autorité” »62.
53On trouve bien évidemment une étymologie similaire dans le Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache de F. Kluge :
- 63 Friedrich Kluge, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, 23. erweiterte Auflage, Berlin, N (...)
« Das Wort gehört wohl zu vor-griechisch *lábrys “Axt”. So benannten in Kreta eingewanderte Griechen den verwirrend aufgebauten und vielfach gegliederten Palast von Knossos, der an vielen Stellen mit dem Symbol der Doppelaxt, einer Königsinsignie, versehen war. Das “Doppelaxt-Haus” wurde dann vor allem wegen seiner verwirrenden Struktur genannt und konnte so zum Appellativum werden »63.
- 64 R. S. W. Hawtrey, Commentary on Plato’s Euthydemus, Philadelphie : American philosophical society, (...)
- 65 Platon, Euthydème, 291b7. Il n’y a également chez Aristote qu’une seule occurrence du terme, dans H (...)
54Si l’on en croit Hawtrey64, c’est dans l’œuvre de Platon, et pour la seule et unique occurrence, que l’on trouve le premier usage métaphorique du terme labúrinthos65, le plus remarquable à notre sens étant qu’il intervient dans un passage qui porte sur l’art politique et l’art royal, mais sans référence à une hache à double tranchant (Doppelaxt).
55Certes, Joseph K. ne meurt pas la gorge tranchée par une telle hache, à tout le moins cependant par un coup au cœur d’un couteau à double tranchant, dont le bourreau a auparavant pris le soin de soin de vérifier les fils à la lumière. Cela ne saurait cependant constituer un motif suffisant de la conjonction d’une topologie et d’une nomologie chez Kafka.
56Bien plus faut-il insister sur ce qui caractérise la civilisation mycénienne pré-Hellénique :
- 66 Jean-Pierre Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris : PUF Quadrige (4e éd.), 1990, p. 18- (...)
« La vie sociale apparaît centrée autour du palais, dont le rôle est tout à la fois religieux, politique, militaire, administratif, économique. Dans ce système d’économie palatiale, comme on l’a appelé, le roi concentre et unifie en sa personne tous les éléments du pouvoir, tous les aspects de la souveraineté. Par l’intermédiaire de scribes, formant une classe professionnelle fixée dans la tradition, grâce à une hiérarchie complexe de dignitaires du palais et d’inspecteurs royaux, il contrôle et règlemente minutieusement tous les secteurs de la vie économique, tous les domaines de la vie sociale. […] Royauté bureaucratique, a-t-on pu dire »66.
- 67 Nous pourrions rajouter le motif du stockage de la nourriture, la question de la nourriture apparai (...)
Ce que nous permet ici Jean-Pierre Vernant, c’est d’établir une relation entre l’architecture labyrinthique, l’administration bureaucratique67, la question, sinon de la loi, du moins du pouvoir et l’œuvre de Kafka, c’est-à-dire ses tropes labyrinthiques.
57Que la loi s’inscrive dans le lieu ne saurait nous surprendre. Empiriquement, elle est ce qui marque (ou est marquée par) les seuils, la frontière, la limite, celle du public et de l’intime, du tien et du mien, du sacré et du profane, du roi et du peuple, du permis et de l’interdit. Toute topologie est aussi et du même coup nomologie. Nous emploierons ce terme de “nomologie” non dans l’acception première d’étude des lois qui président aux phénomènes naturels, mais tel que le définit Carl Schmitt.
58Carl Schmitt identifie dans le verbe nemein, qui signifiait “partager”, mais également “faire paître”, le partage dans l’ordre du pouvoir se réalisant d’abord dans l’étendue spatiale. Le nomos devient ainsi le
- 68 Carl Schmitt, Le Nomos de la terre, traduction Lilyane Deroche-Gurcel, Paris : PUF, Leviathan, 2001 (...)
« fait fondamental de partition de l’espace, essentiel à chaque époque historique, de la conjonction structurante de l’ordre et de la localisation dans la coexistence des peuples »68.
Si le nomos « réunit en lui localisation et ordre »69, le talent de Kafka nous place à côté des déterminations spatiales et des lieux habituels, son écriture ana-topique délocalise et désordonne, et devient la marque d’un ana-nomisme : elle nous fait éprouver l’être hors-la-loi.
59Le nomos au sens de Carl Schmitt ne saurait cependant être confondu avec une loi particulière, il est bien plutôt le fondement de toute loi, « un événement historique constituant, un acte de légitimité grâce auquel seulement la légalité de la simple loi commence à faire sens »70. Nous écrirons “Loi” ce nomos de Schmitt ou ses équivalents, pour le distinguer d’une loi particulière.
60Cette conception de Carl Schmitt continue à un autre niveau la réflexion de Mircéa Éliade. Dans Le Mythe de l’éternel retour, Éliade explique que les contrées nouvelles correspondent au modèle mythique du chaos, et qu’il s’agit avant toute appropriation de « cosmiser » le territoire :
- 71 Mircéa Éliade, Le Mythe de l’éternel retour, Paris : Gallimard, folio essais, 1969, p. 23.
« Tout territoire occupé dans le but d’y habiter ou de l’utiliser comme “espace vital” est préalablement transformé de “chaos” en “cosmos” ; c’est-à-dire que par l’effet du rituel, il lui est conféré une “forme”, qui le fait ainsi devenir réel »71.
61En amont de la « prise de terres » de Carl Schmitt s’effectue selon Éliade l’acte rituel qui répète « la transformation du chaos en Cosmos par l’acte divin de la Création »72, et cet acte est un acte de « formalisation ».
- 73 Forme dont il nous faudrait chercher les déterminations ontologiques chez Aristote, cf. à ce propos (...)
62C’est Rousseau qui peut nous aider à comprendre cette “forme”73. Considérons pour cela la définition que donne Rousseau de la loi dans le Contrat social :
- 74 Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social (1762), livre II, ch. VI, Paris : Gallimard, La Pléiade, 1 (...)
« […] quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui--même ; et s’il se forme alors un rapport c’est de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui sta-tue. C’est cet acte que j’appelle une loi »74.
63Cette définition succède à une analyse conceptuelle du tout et de la partie, qui a pour fonction d’illustrer l’incompatibilité de la volonté générale et de l’objet particulier. Cette volonté générale ne saurait s’appliquer sur une partie extérieure au tout, c’est-à-dire sur un objet hors de l’Etat, car « une volonté qui lui est étrangère n’est point générale par rapport à lui » (ibid.). Pareillement, une volonté générale ne saurait porter sur une partie seulement incluse dans le tout, puisque dans ce cas, « le tout moins une partie n’est point le tout » (ibid.), et le rapport de la volonté à l’objet ferait qu’« il n’y a plus de tout, mais deux parties inégales » (ibid.). Toutes les parties du tout doivent être concernées par la volonté générale, si l’on veut qu’elle soit bien générale.
64La première conséquence pour Rousseau est que « l’objet des lois est toujours général » (ibid.), et donc que « la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière » (ibid.).
65Ce qui nous intéressera dans cette analyse de Rousseau, c’est le jeu d’exclusion et d’inclusion induit par la loi, mais également la métamorphose du corps social qui en résulte.
66Commençons par cette « métamorphose » du corps social, qui est en fait la constitution du corps social, par information d’une matière. Lorsque « tout le peuple statue sur tout le peuple », nous dit Rousseau, alors « il se forme […] un rapport […] de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre -point de vue » : ces différents « points de vue » sont explicités à la phrase suivante, il s’agit de la matière et de la volonté : « la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui sta-tue ».
67Il n’y a phénoménalement pas de matière sans forme, sinon sous la forme improbable et insaisissable du chaos. Ainsi toute matière doit pour nous être toujours déjà informée, il en va de même pour la matière du corps social. Des gens ensemble et sans loi, absolument a-politiques, c’est cela l’objet entier sous le premier point de vue, simple matière qui n’a d’autre forme, imaginée et indistincte, que l’étendue et la proximité spatiale.
68Mais cette matière première ne reste pas à ce premier point de vue, puisqu’elle en vient au second point de vue, celui de la volonté générale. La volonté générale (l’autorité qui statue) est ce qui vient former, informer, et pour tout dire métamorphoser la matière première : la Loi donne à la matière (une pluralité anarchique de sujets humains) une forme qui en fait un corps, le corps social, elle en fait une chose, composée de matière et de forme, la chose publique. La Loi est, ainsi définie par Rousseau, essentiellement constituante. Elle est la forme (diverse du fait de la géographie de ses manifestations et changeante du fait de leur histoire) qui unifie le divers chaotique et anarchique des sujets.
69La Loi est la forme du corps politique, que l’on se place ou non dans la perspective rousseauiste du contrat social. Quand bien même la Loi est celle du despote ou du monarque, elle est forme de la communauté politique, tout comme les rites décrits par Mircéa Éliade assurent la forme cosmique de ce qui était auparavant chaos.
70Il faut donc ne pas en rester à une phénoménologie de la Loi qui se manifesterait dans les clôtures, les frontières et les seuils, il faut se placer à un autre niveau d’analyse que Carl Schmitt, pour lequel la nomologie se fonde dans une « prise de terre » :
- 75 C. Schmitt, Le Nomos de la terre, p. 50.
« […] les prises de terres et les fondations de cités entraînent toujours une première mensuration et une première répartition du sol utilisable. Ainsi apparaît une première mesure qui contient en elle toutes les mesures ultérieures »75.
71Nous sommes en effet avec Schmitt dans l’extériorité de l’étendue spatiale. Rousseau et Éliade nous invitent à concevoir la loi comme une forme a priori de notre rapport au monde, un existential de l’être-au-monde, pour le dire dans une terminologie heideggérienne.
- 76 Martin Heidegger, Être et temps, traduction Martineau, édition Authentica hors-commerce, Paris : 19 (...)
- 77 Op. cit., chap. III, § 15, p. 70 [Sein und Zeit, S. 66].
- 78 Ibid.
- 79 Op. cit., chap. III, § 15, p. 71 [Sein und Zeit, S. 68].
72Quoi qu’ait omis Heidegger sur ce point, un être-pour-la-Loi définit l’être-au-monde, l’être-pour-la-Loi est une détermination existentiale de tout Dasein. Il est possible de suivre Heidegger dans l’analytique existentiale, lorsqu’il considère le monde de l’être-au-monde comme « ce “où” un Dasein factice “vit” en tant que tel »76, on peut encore le suivre lorsqu’il entreprend l’analyse de la mondanéité ambiante et de la mondanéité en général « au fil conducteur de l’être-au-monde quotidien »77, c’est-à-dire « l’usage que, dans le monde, nous avons de l’étant intramondain »78, c’est-à-dire des “choses”. Heidegger rappelle fort justement que « les Grecs avaient, pour parler de “choses”, un terme approprié : prágmata »79, mais ne développe pas la richesse sémantique, et donc aussi phénoménale, et donc ontologique de ce mot qui signifiait effectivement les choses, au premier rang desquelles les choses humaines, les affaires humaines, politiques, ou en général les causes, comme le rappelle Gilbert Romeyer-Dherbey :
- 80 Gilbert Romeyer-Dherbey, « Chose, cause et œuvre chez Aristote » , in Archives de Philosophie du Dr (...)
« prágmata possède en grec un riche éventail de significations. Il désigne d’abord en un sens large ce que l’on fait, ce que l’on entreprend, donc la tâche. Cette tâche peut être difficile, pénible, embarrassante ; prágmata prend alors un sens péjoratif et signifie “désagréments” […]. Mais cette tâche peut être aussi haute et noble, elle peut être la tâche par excellence de l’homme ; la notion prend alors un sens politique et désigne tout ce qui touche aux affaires publiques […]. La cité est bien en effet l’affaire de tous, la “chose” de chacun de nous, autrement dit la cause commune […]. On sait que pour les Grecs la question qui se trouve au cœur du problème politique, c’est la question de la justice ; on ne s’étonne pas dès lors de voir tà prágma désigner, comme nous l’avons vu, la cause juridique : ce qui en elle est d’importance en effet, c’est la justice »80.
- 81 M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?, Paris : Tel Gallimard, 1971, p. 17-18 : Heidegger distingue (...)
73Il faut alors considérer comme une lacune de Sein und Zeit la délimitation de l’analytique existentiale au seul outil (le même geste est reproduit dans Qu’est-ce qu’une chose ? 81). Dès lors, dans la prédonation du monde est inclus, non pas simplement l’usage de l’étant intra-mondain, mais la forme sociale ou socialisée de l’étendue spatiale, cosmisée pour Éliade, légalisée pour Rousseau, partagée pour Schmitt. Nous avons là trois niveaux d’interprétation phénoménologique de l’inscription de la Loi dans le sujet, et deux niveaux de phénoménalité de la Loi.
74Ce qui apparaît phénoménalement pour Schmitt dans la visibilité des lignes de partage se manifeste sans apparaître en tant que tel dans les conceptions d’Éliade et de Rousseau. Car la réalité en soi n’a pas changé avant et après le rite, ce qui change, c’est la manière dont les sujets se rapportent au nouveau territoire. En suivant Rousseau, nous nous plaçons de manière intermédiaire entre le marquage spatial sensible et la mise en ordre symbolique qui imite et reproduit l’acte de création, création d’un corps social, dont chacun participe de la forme.
- 82 Heidegger, Être et temps, traduction Martineau, édition Authentica hors-commerce, Paris : 1985, cha (...)
75L’être-au-monde, ce sujet phénoménologique indissociable de son monde, « ce “où” un Dasein factice “vit” en tant que tel »82, est donc aussi existentialement un être-pour-la-Loi, tant il est vrai que la Loi est la forme de ce “où”, forme qui apparaît en tant que telle, ou se manifeste dans notre rapport au monde.
76Il faut compléter ce développement par l’analyse de la définition de la loi selon Rousseau relativement à la détermination du concept de hors-la-Loi. Est hors-la-Loi la partie qui n’est pas dans le tout. Cela se peut si la partie est d’emblée située hors du tout (par exemple le sujet du territoire voisin : « une volonté qui lui est étrangère n’est point générale par rapport à lui »), cela se peut également si cette partie est dans le tout mais non concernée, soit comme matière, soit comme forme, par la volonté générale, et dans ce cas « il n’y a plus de tout, mais deux parties inégales »83.
- 84 « “Interdicere aqua et igni” the exclusion of a culprit from the common life with his fellow countr (...)
- 85 « Autour de 1300, l’auteur anonyme du Miroir des justices rapporte même qu’il fut un temps où l’on (...)
77Être hors-la-Loi, c’est ainsi former une partie singulière au sein du tout, c’est être à l’intérieur de la Loi et s’exclure, et/ou être exclu par la Loi. Ce rejet a pour conséquence que le hors-la-Loi perd la sécurité de la loi civile, se voit déchu de ses droits et de ses propriétés, il n’est pas seulement interdit d’eau et de feu (“Interdicere aqua et igni”)84, mais condamné à l’exil s’il veut survivre, car il peut être mis à mort par quiconque85.
78Si le hors-la-Loi fut une figure courante du droit européen :
- 86 R. Jacob, « La Question romaine du sacer », Revue historique 3/2006, n° 639, p. 524.
« Le condamné que la Loi salique déclare wargus, les lois anglo-saxonnes outlaw, les formules de bannissement du Moyen Âge allemand verachtet, se trouvait dans la même condition que le sacer. Le proscrit était « mis au ban » de l’ordre social, c’est-à-dire projeté à l’extérieur du champ du ban, de la loi ou du droit (ban, law, acht), déchu de tous les attributs du sujet de droit, promis à une mort que n’importe qui pouvait lui donner à la première occasion »86,
l’outlawry n’est pas un acte anodin de la Loi. Il ne s’agit pas d’une sanction pour crime et délit, car dans ce cas le coupable n’est pas hors-la-Loi, il y reste, en plein dedans, sous son pouvoir, endurant sa rigueur mais aussi sa protection. Par voie de conséquence, l’exclusion par la Loi hors de la Loi relevait d’une juridiction particulière :
- 87 Sir Frederick Pollock and Frederic William Maitland, The History of english law before the time of (...)
« One act of jurisdiction, one supreme and solemn act, could be performed only in the county courts and in the folk-moot of London, the act of outlawry. Even the king’s court did not perform it »87.
On voit en effet tout le risque pour la Loi à trop exclure les sujets du Droit. Si l’outlawry institue une partie au sein du tout qui en fait deux parties inégales, son verdict trop fréquent entraînerait l’augmentation de la partie face au tout, et l’affaiblissement de ce dernier, c’est-à-dire de la Loi elle-même.
- 88 Alors oui ! Joseph K. est bien coupable, coupable de n’avoir pas pris son procès au sérieux, coupab (...)
- 89 L’impétrant est « celui qui impètre », et impétrer signifie « obtenir (quelque chose) de l’autorité (...)
- 90 « Das Gericht will nichts von Dir. Es nimmt Dich auf wenn Du kommst und entläßt Dich wenn Du gehst (...)
- 91 Et il ne s’agit bien évidemment pas de dire qu’il faut respecter toutes lois, et encore moins défor (...)
79Au demeurant, l’outlawry consistait en un verdict qui ne faisait qu’entériner le fait pour l’accusé de se soustraire à la juridiction de la Loi. Ne pas se présenter au tribunal, refuser de se défendre88, c’est là ce qui exposait le paradoxal impétrant89 à l’exclusion. Refuser d’exécuter sa peine relève du même ordre, et l’on sait que Socrate aura bu la cigüe de ne pas vouloir être hors-la-Loi, car « La justice ne veut rien de toi, elle te prend quand tu viens et te laisse quand tu t’en vas »90, entendez : la Loi te reconnait quand tu la reconnais et respectes, elle t’exclut lorsque tu l’ignores et la fuis91.
80En quoi consiste le geste de Kafka dans son œuvre ? Il consiste à nous présenter littérairement, ou poétiquement, dirait Lessing, un héros ou protagoniste hors-la-Loi, caractérisé existentialement par une défaillance à l’encontre de la Loi. Ou bien plutôt, mais il s’agit en fait de la même chose, Kafka nous présente la dimension intrinsèquement juridique de notre nature existentiale, au travers d’un rapport à la Loi paradoxal et défaillant. Comment Kafka nous présente-t-il cette déficience juridique ? Non pas seulement en présentant des protagonistes injustement accusés ou condamnés, car ils seraient alors victimes d’une erreur de justice, ce qui n’est pas être hors-la-Loi. Nous ne savons jamais rien de ce qui (peut-être) est reproché à K. ou à l’arpenteur. Mais nous savons, parce que tels Kafka nous les présente et les décrit, qu’ils sont dans un labyrinthe, aux multiples figures.
- 92 Héraclite, B xliv (Diogène Laërce, Vies, ix, 2).
81Le labyrinthe est en effet une forteresse spatiale à la structure désorientante, mais le labyrinthe est aussi une forteresse administrative, tout comme il est la source de la loi, le lieu inatteignable du pouvoir, il est aussi prison. « Le peuple doit combattre pour sa loi comme pour son rempart »92, disait Héraclite : défendre la Loi, c’est défendre le rempart, la forteresse, mais aussi la prison. A contrario, se heurter au rempart, se perdre dans la forteresse, c’est se heurter à la Loi. De quoi “Labyrinthe” peut-il alors être dit la figure ?
82C’est la question du propre et du figuré qui ici se pose. “Labyrinthe” a d’abord été le signifiant de la hache, symbole du roi (par métonomynie), lui-même personnification du pouvoir. Puis le terme a désigné le lieu marqué par ce symbole, l’édifice architectural aux innombrables salles et couloirs et détours (par synecdoque). Puis le terme a désigné un dispositif spatial conçu exprès (tel le labyrinthe de l’hôtel Overlook du film Shining de Stanley Kubrick), puis enfin un raisonnement tortueux qui nous ramène au point de départ (par métaphore), à moins que le labyrinthe “d’agrément” ne soit la réalisation matérielle, par copie du palais de Knossos, du raisonnement tortueux mentionné par Platon ?
83La question se pose d’autant plus que Kafka récusait les métaphores (et sans doute aussi les synecdoques et métonymies), ce qui ne saurait signifier qu’il soit possible chez Kafka de tout prendre à la lettre :
- 93 « Die Metaphern sind eines in dem Vielen, was mich am Schreiben verzweifeln läßt. Die Unselbeständi (...)
« Les métaphores sont l’une des choses qui me font désespérer de la littérature.
La création littéraire manque d’indépendance, elle dépend de la bonne qui fait du feu, du chat qui se chauffe près du poêle […]. Tout cela répond à des fonctions autonomes ayant leurs lois propres, seule la littérature ne puise en elle-même aucun secours, n’habite pas en elle-même, est à la fois jeu et désespoir »93.
84Lorsque Kafka écrit que F. est dans un labyrinthe, quel est le sens propre ? Qu’est-ce que cela signifie à la lettre ? Le labyrinthe au sens de l’hôtel Overlook, le raisonnement tortueux et an-heuristique de Platon, ou bien le lieu du pouvoir du roi Knossos ?
- 94 Au terme de l’errance de Karl dans le labyrinthe de la maison de Pollunder, Kafka écrit : « La mais (...)
- 95 Kant montre que l’orientation dans la pensée est la transposition analogique de l’orientation dans (...)
- 96 [FTV, Bd 7, S. 179].
85La littérature n’est pas la réalité, et Kafka n’échappe pas à cette loi, il ne peut empêcher que “Labyrinthe” se transforme en tropes, tels que le château (der Schloss), la forteresse (die Festung), la prison (die Gefängnis), le terrier (der Bau), la maison de maître (die Villa)94, le chemin (der Weg), la porte (die Tür), mais aussi la confusion des déterminations spatiales habituelles, la métamorphose soudaine des lieux, les intermédiaires innombrables et l’attente indéterminée. Chez Kafka, le labyrinthe comme ses tropes provoquent la désorientation intellectuelle95 du lecteur, signifient l’édifice architectural où l’on se perd, la Loi ou le Pouvoir qui s’impose et tranche. C’est le monde tel que nous ne pouvons pas y être que représente et nous présente Kafka : « Où est F. ? […] F. est dans un labyrinthe, il n’en sortira certes plus »96.
86Ainsi l’homme de la campagne qui attend devant la porte de la Loi est bien dans un trope de labyrinthe, qui lui refuse l’accès à un bâtiment dont le texte ne nous dit strictement rien, sinon qu’il se compose a minima d’une enfilade de gardiens, intermédiaires entre l’impétrant et la Loi ou le Pouvoir. L’homme de la campagne est bel et bien hors-la-Loi, tandis que le gardien, lui, est dans la Loi.
87Certes, c’est la Loi qui semble arrêter l’homme de la campagne, elle s’applique donc bien à lui, le dire hors-la-Loi apparaît alors comme un contresens. Justement pas, c’est la défaillance de celui qui ne va pas jusqu’au bout dans son rapport à la loi et ce, quelle qu’en soit la raison, qui entraine l’exclusion.
- 97 Aristote, De l’âme, III, 2, 425b22, trad. Richard Bodéüs, Paris : GF-Flammarion, 1993.
- 98 Heidegger, op. cit., § 16, p. 74 [S. 73].
- 99 Heidegger, op. cit., § 40, p. 74-75 [S. 73].
- 100 Heidegger, op. cit., § 40, p. 144-145 [S. 186-188].
88Nous savons au moins depuis Aristote que c’est par la défaillance d’une faculté que nous en prenons conscience : « Car, lorsque nous ne voyons pas, c’est encore par la vue que nous jugeons de l’obscurité et de la lumière, mais pas de la même façon »97. Heidegger l’aura bien compris, pour qui la mondialité du monde ambiant s’annonce par la défaillance de l’outil appréhendé (zuhandensein) qui ne laisse plus subsister que le simple sous-la-main (vorhandensein)98 d’abord découvert du fait de son indisponibilité (Unzuhandeneheit)99, ou pour lequel se révèle l’être du Dasein par une non moindre défaillance, ainsi par exemple le phénomène de l’angoisse, peur devant rien, qui dévoile l’être-au-monde comme tel100.
89C’est par la vue que nous voyons que nous sommes aveuglés : il est donc impossible d’être aveuglé. Impossible pour celui qui n’a pas la vue en partage, car il ne sait pas même ce que signifie voir, impossible pour celui pour qui a la vue en partage, car c’est alors qu’il voit qu’il ne voit rien, c’est alors qu’il perçoit ce que c’est que voir, et même mieux, il perçoit ce que c’est que ne rien voir quand on le peut.
90Le héros kafkaïen est hors-la-Loi comme le lecteur de ces lignes serait aveuglé, ébloui par une trop vive lumière ou plongé soudainement dans l’obscurité. Ce n’est que du fait de la Loi que nous pouvons être hors-la-Loi : c’est parce que nous avons dans notre rapport au monde la faculté existentiale d’être-pour-la-Loi, que nous pouvons faillir à cette faculté, percevoir ce que c’est que transgresser la loi, percevoir même et mieux ce que c’est qu’être hors-la-loi, privé de Loi comme nous pouvons être privé de la vision.
- 101 Jacques Derrida, « Préjugés – devant la loi », in La Faculté de juger (textes rassemblés par Jean-F (...)
91Dès lors, il ne faut pas se tromper d’interrogation lorsque l’on se demande pourquoi Joseph K. est exécuté « comme un chien », pourquoi l’arpenteur ne parvient jamais au château, pourquoi le prisonnier puis l’officier de la colonie pénitentiaire sont torturés par l’écriture de la loi ? La question n’est pas : qu’ont-ils fait pour mériter ou non le traitement qui leur est infligé ? La question n’est pas non plus celle de la nature de la loi. Derrida, dans son commentaire de « Devant la loi » de Kafka, inscrit son interrogation dans une posture philosophique étonnamment réaliste : « Ici, das Gesetz, on ne sait pas ce que c’est, on ignore qui c’est »101, ou encore : « Le récit (de ce qui n’arrive jamais) ne nous dit pas quelle espèce de loi se manifeste ainsi dans sa non-manifestation : naturelle, morale, juridique, politique » (p. 124), ou « la loi se tait, et d’elle il ne nous est rien dit » (p. 125).
92Derrida qui reconnaît au texte de Kafka d’être de la littérature adopte à notre sens une posture trop philosophique, au sens de théorique :
« Nous sommes devant ce texte qui, ne disant rien de clair, ne présentant aucun contenu identifiable au-delà du récit même, sinon une différance interminable jusqu’à la mort, reste néanmoins intangible »102.
93C’est que nous ne sommes pas devant un texte littéraire, soit nous en sommes à l’extérieur et il ne nous dit rien, soit nous sommes dans le texte, il nous prend, nous transforme et nous rejette autre au terme de la lecture, autre, c’est-à-dire marqué au plus intime, c’est sans doute une différence de la littérature d’avec la philosophie, et qui fait qu’il peut y avoir de la littérature dans la philosophie, lorsqu’elle nous touche, ou mieux encore nous enveloppe, et qu’il peut y avoir de la philosophie dans la littérature, lorsqu’elle semble nous condamner à rester devant, ouvrant ainsi la porte à toutes les interprétations.
94La question ne concerne donc pas l’essence ou la nature de la loi, ou la culpabilité des uns et des autres, elle est plutôt : pourquoi Kafka nous (re)présente-t-il les choses telles qu’elles apparaissent sous son écriture ?
- 103 Cf. également : « J’ai de tout temps nourri un certain soupçon envers moi-même [Ich habe seit jeher (...)
95La réponse est simple, mais demanderait à être développée, elle est tout entière dans cet extrait de sa correspondance : « Ma condamnation de moi-même est […] vérité, mais d’un autre côté elle est inévitablement aussi méthode »103.
96Qui veut percevoir la Loi en-dedans et en-dehors de nous doit méthodiquement se poser en hors-la-Loi, sans pour autant avoir jamais rien fait de mal, sans rien faire de plus face à la Loi que celui qui ferme les yeux pour savoir ce que c’est que voir, et ne pas voir. Jacob Rogozinski dans L’Énigme de la loi envisage l’hypothèse selon laquelle il serait possible :
- 104 Jacob Rogozinski, Le Don de la loi, Kant et l’énigme de l’éthique, Paris : PUF, bibliothèque du col (...)
« que la singularité de sa prescription – le fait qu’elle te soit « destinée à toi seul » – soit la condition même du jugement éthique, d’une éthique affranchie de la forme logique de l’universalité »104.
- 105 Aristote, Ethique à Nicomaque, II, I, 1103a17 (cf. également sur ce point Platon, Lois, VII, 792e).
97Nul ne peut emprunter à l’autre l’expérience de la Loi, comme on ne voit pas avec les yeux d’autrui, et l’on ne fait pas l’expérience de la Loi au travers d’un commerce quotidien et le plus souvent servile avec les lois. Il s’agit d’une posture éthique, au sens aussi où l’éthique est habitude (c’est-à-dire aussi une forme d’habitation), comme le rappelle Aristote qui joue sur l’homonymie entre ἔθος (coutume, usage) et ἦθος (vertu)105, et cette posture éthique n’apparaît elle-même que dans des situations inhabituelles, pour ne pas dire extraordinaires, et en tout cas fort singulières.
98L’œuvre de Kafka nous expose à cette éthique de la Loi, non pas en nous décrivant une donation de la loi qui apparaitrait dans sa grande et majestueuse essence, mais en nous montrant à quel point elle exige une posture inhabituelle (pour ne pas dire héroïque, cf. Socrate) face au corps politique et juridique, à quel point cela se manifeste dans un rapport anatopique à notre monde, à quel point elle est pour lui comme pour nous, sujets singuliers éprouvants, unheimlich.
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Notes
« […] ich will auf einen andern Platz, […] es würde mir genügen knapp neben mir zu stehn, es würde mir genügen, den Platz, auf dem ich stehe, als einen anderen erfaßen zu können », Franz Kafka, Journaux, 24 janvier 1922, III, p. 527 [FTV, Bd 11, S. 207].
Nos références à l’œuvre de Kafka renvoient pour l’édition française aux œuvres complètes publiées par Gallimard : Franz Kafka, Œuvres complètes, tome I, trad. Alexandre Vialatte, éd. présentée et annotée par Claude David, Paris : 1976 ; tome II, trad. Jean-Pierre Danès, Claude David, Marthe Robert, Alexandre Vialatte, Paris : 1980 ; tome III, Jean-Pierre Danès, Claude David, Marthe Robert, Alexandre Vialatte, Paris : 1980 ; tome IV, trad. Jean-Pierre Danès, Claude David, Marthe Robert, Alexandre Vialatte, Paris : 1989. Sauf mention expresse, nous reprenons la traduction de l’édition de la Pléiade.
Dans la mesure du possible nous citons également le texte original. Nos références au texte original renvoient à l’édition Fischer Taschenbuch Verlag (FTV) in XII Bänden, hrsg. Hans-Gerd Koch, 2008, complétée pour Beschreibung eines Kampfes usw., par l’édition Brod, Bd V, Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuch verlag, 1976.
Dans un souci de concision, nous réduisons les références à l’œuvre de Kafka à la mention du titre de l’œuvre, suivi du tome et de la page de la Pléiade, suivi entre crochets et en italiques de l’édition (FTV ou S.FV), du tome et de la page des éditions H.-G. Koch.
Lettres, 26 juin 1922, III, 1145.
« Unten fand er zu seinem Bedauern einen Gang, der seinen Weg sehr verkürzt hätte, zum erstenmal versperrt […] und mußte sich seinen Weg durch ein Unzahl kleiner Räume, fortwährend abbiegende Korridore, kurze Treppen, die einander aber immer wieder folgten […] bis er sich tatsächlich […] ganz und gar verrirt hatte », L’Amérique, I, p. 3-4 [FTV, Bd 2, S. 9-10] (nous traduisons).
« Der Heizer klopfte respektvoll an der Türe an und forderte, als man herein rief, Karl mit einer Handbewegung auf, ohne Furcht einzutreten. Er trat auch ein, aber blieb an der Türe stehn. […] Ja in diesem Zimmer wußte man, wo man war », L’Amérique, tome I, p. 10-11 [FTV, Bd 2, S. 18] (nous traduisons).
« “Wie bin ich hierhergekommen ?” rief ich. Es war ein mäßig großer von mildem elektrischem Licht beleuchterter Saal, dessen Wand ich abschritt. Es waren zwar einige Türen vorhanden, öffnete man sie aber, dann stand man vor einer dunklen glatten Felswand, die kaum eine Handbreit von der Türschwelle entfernt war und geradlinig aufwärts und nach beiden Seiten in unabsehbare Ferne verlief. Hier war kein Ausweg. Nu reine Tür führte in ein Nebenzimmer, die Aussicht dort war hoffnungsreicher aber nicht weniger befremdend als bei den andern Türen. Man sah in ein Fürstenzimmer, Rot und Gold herrschte dort vor, es gab dort mehrere wandhohe Speigel und einen großem Glasluster », Récits et fragments narratifs, t. II, p. 641 [Bd 8, S. 10-11].
Prenons par exemple l’étude de Stefan Grandmann Topographie / Text : Stifter und Kafka, Frankfurt am Main : Verlag Anton Hain, 1990, qui porte sur la fonction de la constitution de modèles spatiaux dans les œuvres d’Adalbert Stifter et de Franz Kafka (« Zur Funktion räumlicher Modellbildung in den Werken von Adabert Stifter und Franz Kafka »), mais qui ne cite et ne commente pas l’extrait du Procès, plus connu sous l’intitulé « devant la loi ».
« Meine Gefängniszelle – meine Festung »,[FTV, Bd. 11, S. 183].
S. Grandmann Topographie / Text : Stifter und Kafka, Frankfurt am Main : Verlag Anton Hain, 1990.
« Selten erscheint das “Ich” der Aufzeichnungen in einer erhöhten Position oder im Aufstieg begriffen, und wenn dies doch der Fall ist, so ist dieser Vorgang keinesweg positiv konnotiert, ist vielmehr zumindest ein ambivalentes Erlebnis, oder gar mit der Vernichtung des “Ich”Körpers verbunden », S. Grandmann Topographie / Text : Stifter und Kafka, Frankfurt am Main : Verlag Anton Hain, 1990, p. 143.
« “Wir sind gleich oben”, sagte Delamarche einigemale während des Treppensteigens, aber sein Voraussage wollte sich nicht erfüllen, immer wieder setzte sich an eine Treppe eine neue in nur unmerklich veränderter Richtung an. […]. Endlich erschien auf einem Treppenabsatz Robinson vor einer geschlossenen Wohnungstür und nun waren sie angelangt ; die Treppe war noch nicht einmal zu Ende sondern führte im halbdunkel weiter, ohne daß irgendetwas auf ihren baldigen Abschluß hinzudeuten schien », L’Amérique, t. I, p. 179 [FTV, Bd. 2, S. 223].
« Im dritten Stockwerk mußte er seinen Schritt mäßigen, er war ganz außer Atmen, die Treppe ebenso wie die Stockwerke waren übermäßig hoch und der Maler sollte ganz oben in einer Dachkammer wohnen. Auch war die Luft sehr drückend, es gab keinen Treppenhof, die enge Treppe war auf beiden Seiten von Mauern eingeschlossen, in denen nur hie und da fast ganz oben kleine Fenster angebracht waren », Le Procès, t. I, p. 385-386 [FTV, Bd 3, S. 148].
« Er war darauf vorbereitet, selbst den Nebel mit offenem Mund einzuatmen. Das Gefühl hier von der Luft ganz abgesperrt zu sein verursachte ihm Schwindel », Le Procès, t. I, p. 399 [FTV, Bd 3, S. 163].
« Was ist das ? fragte er den Maler. Worüber staunen Sie ? fragte dieser, seinerseits staunend. Es sind die Gerichtskanzleien. Wußten Sie nicht, daß hier Gerichtskanzleien sind ? Gerichtskanzleien sind doch fast auf jedem Dachboden, warum sollten sie gerade hier fehlen ? », Le Procès, t. I, p. 407 [FTV, Bd 3, S. 172-173].
Première souffrance, t. II, p. 639 [FTV, Bd1, S. 251].
« Hast Du einen Weg begonnen, setze ihn fort, unter allen Umständen, Du kannst nur gewinnen. Du laufst keine Gefahr, vielleicht wirst Du am Ende abstürzen, hättest Du aber schon nach den ersten Schritten Dich zurückgewendet und wärest die Treppe hinuntergelaufen, wärest Du gleich am Anfang abgestürzt […]. Findest Du also nichts hier auf den Gängen, öffne die Türen, findest Du nichts hinter diesen Türen, gibt es neue Stockwerke, findest Du oben nichts, es ist keine Not, schwinge Dich neue Treppen hinauf […] », Défenseurs, t. II, p. 645 [FTV, Bd 8, S. 15], trad. modifiée.
« Du sagst daß ich noch weiter hinuntergehn soll, aber ich bin doch schon sehr tief, es verschlägt mir schon das Atem, auch hier ist es fast schon zu tief, aber, wenn es so sein muß, will ich hier bleiben. Es ist wahrscheinlich schon der tiefste Ort. Aber ich will hier bleiben, nur zum weiteren Hinabsteigen zwinge mich nicht », Récits et fragments, t. II, p. 584 [FTV, Bd 7, S. 153].
« […] der Boden wird weich, ich versinke mit einem Fuß, dann mit dem andern, die Schreie der Mädchen verfolgen mich in meine Tiefe, in die ich lotrecht versinke, durch einen Schacht, der genau den Durchmesser meines Körpers, aber eine endlose Tiefe hat », Tagebücher, 29 mai 1914 (nous traduisons).
Journaux, 27 décembre 1911, t. III, p. 203 [FTV, Bd 9, S. 252], nous traduisons.
« un homme, placé dans un grenier devant deux lucarnes, attend une apparition qui n’a le droit de se produire qu’à la lucarne de droite » ; le texte allemand est le suivant : « Dieses Gefühl des Falschen das ich beim Schreiben habe, ließe sich unter dem Bilde darstellen, daß einer vor zwei Bodenlöchern auf eine Erscheinung wartet, die nur aus dem zur rechten Seite herauskommen darf ».
Aristote, Physique, IV, 1, 208b21.
Aristote, Physique, IV, 1, 208b14.
« In welcher Gegend ist es ? Ich kenne sie nicht. Alles entspricht dort einander, sanft geht alles in einander über. Ich weiß das diese Gegend irgendwo ist, ich sehe sie sogar, aber ich weiß nicht wo sie ist und ich kann mich nicht nähern », Journaux, Septembre/décembre 1920, t. III, p. 505 [FTV, Bd 7, S. 153].
« Wir sind, mit dem irdisch befleckten Auge gesehn, in der Situation von Eisenbahnreisenden, die in einem langen Tunnel verunglückt sind, und zwar an einer Stelle, wo man das Licht des Anfangs nicht mehr sieht, das Licht des Endes aber nur so winzig, daß der Blick es immerfort suchen muß und immerfort verliert wobei Anfang und Ende nicht einmal sicher sind » [FTV, Bd 6, S. 163], nous traduisons et soulignons.
« Als eine Grundregel für das Verhalten eines Angeklagten erschien es ihm, immer vorbereitet zu sein, sich niemals überraschen zu lassen, nicht ahnungslos nach rechts zu schauen, wenn links der Richter neben ihm stand – und gerade gegen diese Grundregel verstieß er immer wieder », Le Procès, t. I, p. 407 [Bd 3, S. 173].
« Sonderbar ! sagt der Hund und strich sich mit der Hand über die Stirn. […] Ich fürchte mich vor diesem zwecklosen Herumlaufen, vor diesen grossen öden Räumen. […] Es lockt mich auch gar nichts dazu, von hier wegzulaufen, hier im Hof ist mein Ort, hier ist meine Hütte, hier ist meine Kette […]. Ich würde auch niemals aus eigenem Willen von hier weglaufen, ich fühle mich hier wohl », t. II, p. 646 [FTV, Bd. 8, S. 16]
« Immer wieder verirre ich mich, es ist ein Waldweg, aber deutlich erkennbar […]. Und doch das fortwährende, verzweifelte Verirren, und außerdem mache ich einen Schritt vom Weg bin ich gleich tausend Schritt im Wald, verlassen daß ich umfallen möchte und liegen bleiben für immer », Journaux, Septembre/décembre 1920, t. III, p. 506 [FTV, Bd 7, S. 152].
« Ich war völlig verirrt in einem Wald. Unverständlich verirrt, denn noch vor kurzem war ich zwar nicht auf einem Weg, aber in der Nähe des Weges gegangen, der mir auch immer sichtbar geblieben war. Nun aber war ich verirrt, der Weg war verschwunden, alle Versuche ihn wiederzufinden waren mißlungen », Récits et fragments narratifs, t. II, p. 716 [FTV, Bd. 8, S. 113].
Le Procès, t. I, p. 461-462 [FTV, Bd 3, S. 236].
« Sie duldeten es jetzt, daß er die Wegrichtung bestimmte und er bestimmte sie nach dem Weg, den das Fräulein vor ihnen nahm […]. Jeder kleinen Bewegung, die K. machte, gaben die Herren jetzt bereitwillig nach », Le procès, t. I, p. 464 [FTV, Bd 3, S. 238-239].
« der Gefangene war eigentlich frei, er konnte an allem teilnehmen, nichts entging ihm draußen, selbst verlassen hätte er den Käfig können, die Gitterstangen standen ja meterweit auseinander, nicht einmal gefangen war er », Beschreibung eines Kampfes usw., Hrsg. Brod, Bd V, Fischer Taschenbuch verlag, 1976, p. 216, nous traduisons.
« Es war keine Gefàngniszelle, denn die vierte Wand war völlig frei. Die Vorstellung, daß auch diese Wand vermauert sein oder werden könnte, war entsetzlich, denn dann war ich bei dem Aussmaß des Raumes, der ein Meter tief war und nur wenig höher als ich, in einem aufrechten steinernen Sarg. Nun, vorläufig war sie nicht vermauert, ich konnte die Hände frei hinausstrecken und, wenn ich mich an einer eisernen Klammer festhielt, die oben an der Decke stak, konnte ich auch den Kopf vorsichtig hinausbeugen, vorsichtig allerdings, denn ich wußte nicht, in welcher Höhe über dem Erdboden sich meine Zelle befand », Récits et fragments narratifs, t. II, p. 598 [FTV, Bd. 7, S. 168].
« Es war kein Balkon, nur statt des Fensters eine Tür, die hier im dritten Stock unmittelbar ins Freie führte. Sie war jetzt offen an dem Frühlingsabend. Ein Student ging lernend auf dem Zimmer auf und ab, kam er zur Fenstertür strich er immer mit der Sohle draußen über die Schwelle, so wie man flüchtig mit der Zunge an etwas süßem leckt, das man sich für spätere Zeiten zurückgelegt hat », t. II, p. 120 [FTV, Bd. 8, S. 119].
Un Artiste de la faim, t. II, p. 649 [Bd 1, S. 263], trad. Modifiée.
Le Souci du père de famille, t. II, p. 523 [Bd 1, s. 223].
Ibid., p. 524 [S. 223].
Ibid.
« In diesem Hohlraum hatte ich mich immer, und wohl kaum mit Unrecht, den schönsten Aufenthalt vorgestellt, den es für mich geben könnte », Le Terrier, t. II, p. 759 [Bd 8, S. 192].
« Eine völlige Umkehrung der Verhältnisse im Bau, der bisherige Ort der Gefahr ist ein Ort des Friedens geworden, der Burgplatz aber ist hineingerissen worden in den Lärm der Welt und ihrer Gefahren », Le Terrier, t. II, p. 765-766 [Bd 8, S. 200].
« Gegenstände, die nebeneinander oder deren Teilen nebeneinander existieren, heissen Körper : Folglich sind Körper mit ihren sichtbaren Eigenschaften die eigentlichen Gegenstände der Malerei. – Gegenstände, die aufeinander, oder deren Teile aufeinander folgen, heissen überhaupt Handlungen. Folglich sind Handlungen der eigentliche Gegenstand der Poesie », Gotthold Ephraïm Lessing, Laokoon oder über die Grenzen der Malerei und der Poesie, in Werke, Ed. Göpfert, Bd VI, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft 1974, nous traduisons.
Georges-Arthur Goldschmidt, Celui que l’on cherche habite juste à côté – Lecture de Kafka, Lagrasse : Verdier, 2007.
« Meistens wohnt der den man sucht nebenan. Zu erklären ist dies nicht ohne weiters, man muß es zunächst als Erfahrungstatsache hinnehmen. Sie ist so tief begründet daß man von diesem gesuchten Nachbar nicht weiß. Man weiß nämlich weder daß man ihn sucht, noch daß er daneben wohnt, dann aber wohnt er ganz gewiß daneben. Die allgemeine Erfahrungstatsache als solche darf man natürlich kennen, diese Kenntnis stört nicht im allermindesten, selbst wenn man sie absichtlich sich immer gegenwärtig hält » [Tagebücher, 2. August 1917, FTV, Bd 11, S. 147].
p. 15.
Ibid., p. 21.
G.-A. Goldschmidt, Celui que l’on cherche habite juste à côté – Lecture de Kafka, p. 25.
Nous n’entrerons pas dans le cadre de cet article dans le questionnement de l’impact du déracinement sur Kafka, Juif pragois écrivant en allemand, mais il est évident qu’il faudrait le faire, tout comme il faudrait revenir sur les adresses, les voyages et les correspondances. Cf. à ce propos Hervé Le Bras : « Un bon tiers des lettres de Kafka est consacré aux tentatives d’harmonisation des envois de courrier. Kafka et Felice utilisent quatre modes de courrier, les recommandés, les express, les lettres simples ou cartes postales et les télégrammes et ils ont quatre adresses possibles, leurs deux domiciles et leurs deux bureaux. Il s’en suit un cafouillage général, les télégrammes doublant les lettres, les arrivées au domicile devançant celles au bureau ou l’inverse selon l’horaire des levées et des distributions, les jours fériés différant en Allemagne et dans l’Empire austro-hongrois causent des déphasages supplémentaires. “Felice chérie, la poste se moque de nous, j’ai reçu ta lettre de mardi soir, et celle de la nuit de lundi que je me plaignais de ne pas avoir, voilà que je l’ai reçue ce matin au premier courrier. Il y a apparemment à l’intérieur de cet organisme postal si précis, un fonctionnaire diabolique qui joue avec nos lettres et les fait partir à son seul caprice, si encore il les faisait partir toutes !” [Lettre du 28 novembre 1912] », in « La métaphore du labyrinthe chez Kafka », Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XXXVIII-117 | 2000, mis en ligne le 17 décembre 2009. http://ress.revues.org/719, p. 161.
De la même manière, nous pourrions redéfinir l’anachronisme, qui certes consiste en une confusion chronologique. Non pas celle, comme au sens courant, qui fait placer à une autre époque un évènement survenu à une époque donnée, mais la confusion qui nous place comme à côté du temps qui passe, et c’est Proust alors qu’il faudrait invoquer.
Nous renvoyons à l’étude de Patrick Werly, « Kafka, le terrier et le monde : difficiles va-et-vient », in Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, n° 33, 2013, infra, p. 197-218.
« Ich mußte mich beeilen, der Schrecken über diese Entdeckung ließ mich im Weg unsicher werden, ich kannte mich in dieser Stadt noch nicht sehr gut aus, glücklicherweise war ein Schutzmann in der Nähe, ich lief zu ihm und fragte ihn atemlos nach dem Weg : Er lächelte und sagte : “Von mir willst Du den Weg erfahren ?” “Ja”, sagte ich, “da ich ihn selbst nicht finden kann”. “Gibs auf, gibs auf”, sagte er und wandte sich mit einem großen Schwunge ab, so wie Leute, die mit ihrem Lachen allein sein wollen », Récits et fragments, t. II, p. 727 [Bd 8, S. 130].
« Ich war in ein undurchdringliches Dornengebüsch geraten und rief laut den Parkwächter. Er kam gleich, konnte aber nicht zu mir vordringen. Wie sind Sie denn dort mitten in das Dorngebüsch gekommen”, rief er, “können Sie nicht auf dem gleichen Weg wieder zurück ?, “Unmöglich”, rief ich, “ich finde den Weg nicht wieder. Ich bin in Gedanken ruhig spazieren gegangen und plötzlich fand ich mich hier, […]. Ich komme nicht mehr hinaus, ich bin verloren” […]. “Sie sind wie ein Kind”, sagte der Wächter, “zuerst drängen Sie sich auf einem verbotenen Weg durch das wildeste Gebüsch und dann jammern Sie. Sie sind doch nicht in einem Urwald sondern im öffentlichen Park und man wird Sie herausholen”. “So ein Gebüsch gehöhrt aber nicht in einem Park”, sagte ich » Récits et fragments, t. II, p. 666 [Bd 8, S. 39].
« Wo ist F. ? […] F ist in einem Labyrint, er wird wohl kaum mehr herauskommen. […] In einem Labyrint ? Ja », [FTV, Bd 7, S. 179].
Nous n’adoptons pas plus la définition que la distinction entre labyrinthe et dédale d’Hervé le Bras dans son article qui présente cependant des éléments d’analyse pertinents relativement à notre propos : « […] le labyrinthe ne signifie donc pas un égarement dans un lieu dont on ne trouve pas la sortie, mais un cheminement dans un sentier tortueux. C’est toute la différence entre le labyrinthe et le dédale. Dans un labyrinthe, dès qu’on commence à avancer, on est sûr d’atteindre la sortie. Il n’y a qu’un seul chemin possible, mais il accumule les détours qui vous donnent l’impression d’être perdu. Dans un dédale au contraire, il faut choisir à chaque croisement son chemin si bien qu’un grand nombre d’itinéraires sont possibles dont la plupart ramènent sur vos pas ou aboutissent à un cul-de-sac », op. cit. Il nous semble en effet que l’on peut parfaitement bien se perdre dans un labyrinthe et n’en trouver jamais la sortie, que les chemins peuvent mener à des impasses, c’est aussi ce que savait Kafka.
Sarah Kofman, Comment s’en sortir ?, Paris : Galilée, 1983.
« Es war ein langsames Vorwärtskommen und der Weg schien dadurch doppelt lang. Karl war schon an großen Strecken der Wände vorübergekommen, die gänzlich ohne Türen waren […]. Dann kam wieder Tür an Tür, er versuchte mehrere zu öffnen, sie waren versperrt und die Räume offenbar unbewohnt. […] Da der Gang kein Ende nehmen wollte, nirgends ein Fenster einen Ausblick gab, weder in der Höhe noch in der Tiefe sich etwas rührte, dachte Karl schon daran, er gehe immerfort im gleichen Kreisgang in der Runde und hoffte schon, die offene Tür seines Zimmers vielleicht wieder zu finden, aber weder sie noch das Gelände kehrte wieder », L’Amérique, t. I, p. 59-60 [FTV, Bd. 2, S. 77-79].
« Ich wollte mir den Marsch durch den Schnee nicht entgehn lassen, bin aber leider einigemal vom Weg abgeirrt und deshalb erst so spät angekommen », Le Château, t. I, p. 494 [FTV, Bd 4, S. 11].
« So ging er wieder vorwärts, aber es war ein langer Weg. Die Straße nämlich, diese Hauptstraße des Dorfes führte nicht zum Schloßberg, sie führte nur nahe heran, dann aber wie absichtlich bog sie ab und wenn sie sich auch vom Schloß nicht entfernte, so kam sie ihm doch auch nicht näher. […] – endlich riß er sich los von dieser festhaltenden Straße, ein schmales Gäßchen nahm ihn auf […] plötzlich stand er still und konnte nicht mehr weiter », Le Château, t. I, p. 502 [FTV, Bd 4, S. 19-20].
« Die Pein dieses Labyrinthes muß ich also auch körperlich überwinden, wenn ich ausgehe, und es ist mir ärgerlich und rührend zugleich, wenn ich mich manchmal in meinem eigenen Gebilde für einen Augenblick verirre und das Werk sich also noch immer anzustrengen scheint, mir, dessen Urteil schon längst feststeht, doch noch seine Existenzberechtigung zu beweisen », Le Terrier, t. II, p. 746 [FTV, Bd 8, S. 175] (traduction modifiée).
« Es hat immer eine gewisse Feierlichkeit, wenn ich mich dem Ausgang nähere. In den Zeiten des häuslichen Lebens weiche ich ihm aus, vermeide sogar den Gang, der zu ihm führt in seinen letzten Ausläufern zu begehn, es ist auch gar nicht leicht dort herumzuwandern, denn ich habe dort ein kleines tolles Zickzackwerk von Gängen angelegt ; […] – hier ist der Eingang zu meinem Haus, sagte ich damals ironisch zu den unsichtbaren Feinden und sah sie sämtlich schon in dem Eingangslabyrint ersticken », Le Terrier, t. II, p. 744-745 [FTV, Bd 8, S. 173-174].
« Le temps doit être considéré comme un labyrinthe », H. Le Bras, op. cit., p. 163.
Le Procès, t. I, p. 418 [Bd 3, S. 185].
Le Procès, t. I, p. 416 [Bd 3, S. 182].
Le Procès, t. I, p. 391 [Bd 3, S. 155].
Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Dictionnaires le Robert, 1993.
Friedrich Kluge, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, 23. erweiterte Auflage, Berlin, New-York : Walter de Gruyter, 1995.
R. S. W. Hawtrey, Commentary on Plato’s Euthydemus, Philadelphie : American philosophical society, 1981, p. 131, cité par Monique Canto, note 171, p. 211 de sa traduction de l’Euthydème, Paris : G.-F. Flammarion, 1989.
Platon, Euthydème, 291b7. Il n’y a également chez Aristote qu’une seule occurrence du terme, dans Histoire des animaux (499b25), il signifie le palais ou la forteresse, et sert à décrire « un os tarabiscoté comme les reproductions du labyrinthe ».
Jean-Pierre Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris : PUF Quadrige (4e éd.), 1990, p. 18-19, nous soulignons.
Nous pourrions rajouter le motif du stockage de la nourriture, la question de la nourriture apparaissant dans les Recherches d’un chien (t. II, p. 674-713 [Bd 8, S. 48-93]) ou dans la nouvelle Un artiste de la faim (t. II, p. 648-658 [Bd 8, S. 18-30]).
Carl Schmitt, Le Nomos de la terre, traduction Lilyane Deroche-Gurcel, Paris : PUF, Leviathan, 2001, p. 83.
Ibid., p. 71.
Ibid., p. 77.
Mircéa Éliade, Le Mythe de l’éternel retour, Paris : Gallimard, folio essais, 1969, p. 23.
Ibid., p. 22.
Forme dont il nous faudrait chercher les déterminations ontologiques chez Aristote, cf. à ce propos Gilbert Romeyer-Dherbey, Les choses mêmes – la pensée du réel chez Aristote, Lausanne : L’âge d’Homme, 1983.
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social (1762), livre II, ch. VI, Paris : Gallimard, La Pléiade, 1964, p. 379.
C. Schmitt, Le Nomos de la terre, p. 50.
Martin Heidegger, Être et temps, traduction Martineau, édition Authentica hors-commerce, Paris : 1985, chap. III, § 14, p. 69 [Sein und Zeit, S. 65].
Op. cit., chap. III, § 15, p. 70 [Sein und Zeit, S. 66].
Ibid.
Op. cit., chap. III, § 15, p. 71 [Sein und Zeit, S. 68].
Gilbert Romeyer-Dherbey, « Chose, cause et œuvre chez Aristote » , in Archives de Philosophie du Droit, tome XXIV : Les Biens et les choses. Paris : Sirey, 1979, p. 127-137.
M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?, Paris : Tel Gallimard, 1971, p. 17-18 : Heidegger distingue bien la chose au sens du à-portée-de-main [des Vorhandenen], au sens du débat, de l’affaire, ce que qui advient, et enfin la chose au sens de tout ce qui est nommé, qui est un quelque chose et n’est pas rien, mais c’est pour rabattre immédiatement le champ d’analyse au premier sens de l’étant intra-mondain.
Heidegger, Être et temps, traduction Martineau, édition Authentica hors-commerce, Paris : 1985, chap. III, § 14, p. 69 [Sein und Zeit, S. 65].
Ibid.
« “Interdicere aqua et igni” the exclusion of a culprit from the common life with his fellow countrymen (interdiction of fire and water). Interdicere was pronounced by the senate or a high magistrate when the accused left the community before the condemnatory sentence was passed and went into voluntary exile. Practically interdicere meant banishment connected with loss of citizenship and property. In case of return without permission the interdicus was deprived of legal protection and outlawed. He might be killed by anybody who met him within the boundaries of the country from which he was banished. Interdicere disappeared under the early Principate when the criminal procedure was reorganized », Adolf Berger, “Interdicere aqua et igni”, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, Transactions of the american philosophical society, new series, vol. 43, part 2, Philadelphia : the american philosophical society, reprinted 1991, p. 507.
« Autour de 1300, l’auteur anonyme du Miroir des justices rapporte même qu’il fut un temps où l’on offrait indifféremment la même prime d’abattage d’un décime de marc à quiconque ramenait à la cour du comté la tête d’un loup ou d’un banni. Il est difficile de marquer avec plus d’énergie qu’aux yeux du droit, l’outlaw n’est plus qu’une chose, une chose d’ailleurs dépourvue de toute valeur d’usage, dont seule la destruction peut avoir un prix, lui-même aligné sur celui de la bête la plus malfaisante », Robert Jacob, « banissement et rite de la langue tirée au Moyen Âge – du lien des lois et de sa rupture », in Annales. Histoire, Sciences Sociales, 55e année, n° 5, 2000, p. 1044. Sans doute pouvons-nous rappeler ici que Joseph K. meurt « comme un chien ! [wie ein Hund !] » (Le Procès, t. I, p. 466, [Bd 3, S. 241].
R. Jacob, « La Question romaine du sacer », Revue historique 3/2006, n° 639, p. 524.
Sir Frederick Pollock and Frederic William Maitland, The History of english law before the time of Edward I, Cambridge : Cambridge University Press, 1898 (nous citons la réédition Indianapolis : liberty fund, inc, 2010 [http://files.libertyfund.org/files/2313/Pollock_1541-01_LFeBk.pdf], p. 583.
Alors oui ! Joseph K. est bien coupable, coupable de n’avoir pas pris son procès au sérieux, coupable de n’avoir pas cherché à se défendre, coupable de n’avoir pas même compris pourquoi on l’arrêtait (cf. supra Coralie Camilli, « Joseph K. est-il coupable ? », in Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, n° 33, p. 85-108)
L’impétrant est « celui qui impètre », et impétrer signifie « obtenir (quelque chose) de l’autorité compétente, à la suite d’une requête », Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. L’Outlaw est ainsi celui qui obtient de la Loi qu’elle entérine son rejet d’elle, en le rejetant à son tour.
« Das Gericht will nichts von Dir. Es nimmt Dich auf wenn Du kommst und entläßt Dich wenn Du gehst », Le Procès, t. I, p. 461 [Bd 3, S. 235].
Et il ne s’agit bien évidemment pas de dire qu’il faut respecter toutes lois, et encore moins déformer tel Eichmann l’impératif kantien.
Héraclite, B xliv (Diogène Laërce, Vies, ix, 2).
« Die Metaphern sind eines in dem Vielen, was mich am Schreiben verzweifeln läßt. Die Unselbeständigkeit des Schreibens, die Abhängigkeit von dem Dienstmädchen das einheizt, von der Katze, die sich am Ofen wärmt […]. Alles dies sind selbstständige, eigengesetzliche Verrichtungen, nur das Schreiben ist hilflos, wohnt nicht in sich, ist Spaß und Verzweiflung », Journaux, (6 déc. 1921), t. III, p. 517-518 [Bd 11, S. 196], nous soulignons (trad. modifiée).
Au terme de l’errance de Karl dans le labyrinthe de la maison de Pollunder, Kafka écrit : « La maison était une forteresse, pas une villa » [das Haus war eine Festung, keine Villa], Le Procès, t. I, p. 60 [Bd 1, S. 79], nous traduisons.
Kant montre que l’orientation dans la pensée est la transposition analogique de l’orientation dans l’espace, c’est-à-dire « 1° enracinée dans le sujet, 2° irréductible à la pure pensée logique » (Alexis Philonenko, « introduction », Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, Paris : Vrin, 1993, p. 66). La désorientation spatiale littéraire de Kafka entraîne pareillement ou renforce une désorientation intellectuelle relativement aux repères du monde, au rang desquels se trouve la Loi.
[FTV, Bd 7, S. 179].
Aristote, De l’âme, III, 2, 425b22, trad. Richard Bodéüs, Paris : GF-Flammarion, 1993.
Heidegger, op. cit., § 16, p. 74 [S. 73].
Heidegger, op. cit., § 40, p. 74-75 [S. 73].
Heidegger, op. cit., § 40, p. 144-145 [S. 186-188].
Jacques Derrida, « Préjugés – devant la loi », in La Faculté de juger (textes rassemblés par Jean-François Lyotard), Paris : Éditions de Minuit, 1985, p. 124.
Ibid., p. 128.
Cf. également : « J’ai de tout temps nourri un certain soupçon envers moi-même [Ich habe seit jeher einen gewissen Verdacht gegen mich gehabt] », Je m’appelle Kalmus […], t. II, p. 672 [FTV, Bd. 8, S. 47].
Jacob Rogozinski, Le Don de la loi, Kant et l’énigme de l’éthique, Paris : PUF, bibliothèque du collège international de philosophie, 1999, p. 10.
Aristote, Ethique à Nicomaque, II, I, 1103a17 (cf. également sur ce point Platon, Lois, VII, 792e).
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