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La représentation de l’élément germanique 
dans la philosophie d’Auguste Comte

Laurent Fedi
p. 37-84

Résumé

La considération de « l’élément germanique » chez Comte participe d’un projet de réorganisation européenne. Madame de Staël avait légué l’image d’une Allemagne rêveuse et métaphysicienne. Comte développe une autre représentation : celle d’un pays marqué par l’esprit protestant (négatif et critique) et la philosophie de la nature (un panthéisme philosophique). Ces caractéristiques incitent Comte à dégrader le rang de l’Allemagne dans le classement des cinq nations européennes susceptibles de participer à la construction d’une république occidentale positiviste. Toutefois, Comte a hésité avant de déclasser l’Allemagne, car celle-ci possède aussi un formidable atout : le sens des généralités et de la systématisation, indispensable à la philosophie positive. C’est la « situation » de l’Allemagne qui est jugée, et non la nation allemande. Ainsi est-ce à travers l’histoire, et la loi qui en règle le cours, qu’il convient d’étudier cette question.

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Notes de l’auteur

Ouvrages cités en sus de la bibliographie générale (voir avant-propos)

Texte intégral

  • 1 V. E. Pépin, « Terre et peuples. Rôle du facteur géographique sur les formations nationales et les (...)

« Vouée au service exclusif de la force, la Prusse périrait par la force […] En proclamant fièrement sa mission sacrée à la défense commune, l’Allemagne s’assurerait justement la présidence de la République occidentale » 1.
V. E. Pépin, 1904.

Un programme européen

  • 2 Le mot est écrit avec un h minuscule dans le Cours et avec une majuscule dans le Système. Quand cel (...)

1L’article qu’on va lire prend place dans l’étude des transferts culturels franco-allemands. Certes, Auguste Comte n’a pas cherché, comme Victor Cousin l’a fait avec Hegel, à populariser une doctrine d’importation. Il ne lisait d’ailleurs pas l’allemand, il connaissait en revanche l’italien, l’anglais et suffisamment d’espagnol pour lire Cervantès dans le texte. La difficulté, lorsqu’on aborde l’image de l’Allemagne dans ses écrits philosophiques, est d’abord d’identifier l’objet. L’Allemagne, c’est tout à la fois la nation allemande, l’esprit allemand, la langue allemande, une culture, un territoire. Mais précisons-le d’emblée : l’Allemagne n’a pas pour Comte d’identité propre ou de « destin », étant donné que, pour lui, l’unique sujet de l’histoire est l’Humanité2, dont le développement constitue la civilisation, un processus collectif de dimension planétaire. Comte évoque en revanche ce qu’il nomme « l’élément germanique » comme une pièce du puzzle européen, une composante de la république positiviste occidentale dont il planifie la réalisation. C’est donc par l’idée d’Europe qu’il nous faut commencer cette enquête.

  • 3 Comme Henri gouhier l’a montré dans des études qui ont fait date (La vie d’Auguste Comte, Paris : G (...)
  • 4 De la réorganisation de la société européenne ou de la nécessité et des moyens de rassembler les pe (...)
  • 5 Juliette Grange, « Auguste Comte, républicanisme et sciences », Zénon, n° 2, 2e semestre 2004, p. 7 (...)

2Comme Saint-Simon, dont il a été le secrétaire (août 1817-avril 1824), Comte appartient à la lignée des précurseurs de la construction européenne3. Après l’ébranlement révolutionnaire qui a déclenché une crise européenne, « l’élite de l’humanité » n’attend plus qu’une « coordination générale » pour constituer « le nouveau système social » (C, 57e l., p. 651). Dans un opuscule rédigé en 1814 par son secrétaire Augustin Thierry (auquel Comte devait succéder) à l’adresse des parlements français et anglais, Saint-Simon proposait d’édifier une confédération européenne, avec une constitution et un parlement européen composé de négociants, savants, magistrats et administrateurs4. Comte juge qu’on ne traite pas les questions dans le bon ordre en commençant par les institutions, surtout si celles-ci doivent être parlementaires, mais il est d’accord avec Saint-Simon au moins sur un point : à une crise européenne, il faut une solution européenne. Il propose une réorganisation de la société fondée sur des convictions partagées, sur une communion intellectuelle et morale. Comme l’explique Juliette Grange, « il s’agit de s’inspirer de la manière dont l’unité religieuse et culturelle s’est réalisée dans le passé pour trouver une proposition équivalente adaptée à la réalité sociale du monde industriel »5. L’Europe ne peut plus être unifiée par la foi chrétienne, mais son existence ne saurait davantage reposer sur une base exclusivement matérielle, économique ou industrielle. La généralisation progressive des conceptions positives et des valeurs partagées par les savants européens donne à penser que le temps est venu de fonder un nouveau pouvoir spirituel sur un système de conceptions entièrement positives, que parachève une nouvelle discipline scientifique : la physique sociale ou sociologie.

3Pour Comte, l’Europe est le résultat d’une succession d’étapes historiques qui a produit un modèle de civilisation commun mais aussi, en un certain sens, un embryon d’unité politique. Cette histoire remonte à la conquête romaine qui a consisté à incorporer différents peuples à un seul empire, à les soumettre à une même domination. Le rattachement des nations progressivement conquises à « un peuple prépondérant » apparaît comme le premier mode, et le seul possible à l’époque, d’extension de « la société humaine » (C, 53e l., p. 320). L’« agrégation forcée » devait précéder « l’association volontaire » (SPP, IV, p. 372). En même temps, l’impossibilité de maintenir la domination politique dans toutes les provinces romaines à partir d’un gouvernement central a dû favoriser la formation d’une puissance spirituelle indépendante. Il reviendra ensuite au pouvoir pontifical de constituer cette puissance à l’échelle de l’Occident.

  • 6 Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne ou de la nécessité et des moyens de rass (...)
  • 7 Joseph de Maistre, Du Pape, Genève : Droz, 1966, Livre second, ch. X, p. 194. Comte avait lu cet ou (...)

4Saint-Simon invitait ses amis libéraux, encore fascinés par la philosophie des Lumières, à reconsidérer le Moyen Age, l’Europe étant née, selon lui, avec la chrétienté médiévale6. Comte reprend l’idée et la développe (cf. C, 54e l., p. 366). Il existait au Moyen Age « un ordre européen », une « chevalerie européenne » (C, 54e l., p. 356-357), et les hommes vivant à cette époque se sentaient concitoyens de toute la chrétienté. L’idée d’une solidarité de tous les peuples baptisés était depuis longtemps un lieu commun, mais Comte avait médité les passages de Joseph de Maistre où sont évoquées « toutes les souverainetés chrétiennes réunies par la fraternité religieuse en une sorte de république universelle sous la suprématie mesurée du pouvoir spirituel suprême »7.

  • 8 Jürgen Habermas, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, traduit de l’allemand p (...)

5Par la suite, la dissolution de l’ordre catholique, sous l’influence de l’esprit métaphysique et du principe de liberté de conscience illimitée, va accentuer « les divergences nationales » (C, 56e l., p. 561) et engendrer les notions « d’indépendance », « d’isolement national », de « non intervention mutuelle » (C, 46e l., p. 33). La décomposition de l’Occident en « nationalités indépendantes » (C, 60e l., p. 782) va entraîner une conception étroite de la nation, qui fait pendant à l’individualisme de l’esprit métaphysique, base de « l’anarchie moderne » (CG, VI, p. 346). Comte esquisse ainsi une genèse des idées de repli national : celles-ci sont liées à la logique du mouvement moderne qui débute au xive siècle et atteint son point culminant avec la Révolution française. Malgré l’universalisme de la Révolution et « une constante sollicitude, non moins généreuse que rationnelle », à écarter « tout attribut de nationalité » qui aurait pu nuire à son rayonnement (C, 57e l., p. 624), les idées de repli propres à cette phase critique demeurent dominantes. Comte déplore les tentatives politiques purement nationales « où la communauté occidentale est essentiellement oubliée » (C, 57e l., p. 665), question reprise de nos jours par Jürgen Habermas qui souligne le potentiel contenu dans « la conception normative qu’a d’elle-même la modernité européenne »8. Comte dénonce cet « esprit absolu de nationalité exclusive » que la métaphysique révolutionnaire a fini par consacrer (C, 46e l., p. 33). Le fait que le jeu politique soit encore commandé par « le sentiment de rivalité nationale » et « les inspirations d’un patriotisme féroce et absurde » (SA, p. 35), explique en partie la nécessité, évidente à ses yeux, de commencer l’organisation du nouveau système par le pouvoir spirituel.

  • 9 Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne…, Livre II, ch. I, p. 52.

6C’est, en effet, dans le domaine intellectuel que le lien européen s’est renforcé à l’époque moderne, comme l’illustre l’ouverture des académies scientifiques à des savants de différents pays. La communauté des savants forme une « ligue indissoluble », une « sainte alliance » qui a plus de force pour opérer la réorganisation sociale que ne pourrait en avoir, pour lui barrer la route, « la coalition de toutes les baïonnettes européennes » (SA, p. 34). Saint-Simon envisageait la possibilité de « faire sortir le patriotisme hors des bornes de la patrie » pour engendrer un « patriotisme européen »9. Comte parle, à propos des savants, « d’un actif patriotisme européen », qu’il oppose au « stérile cosmopolitisme » (C, 57e l., p. 666) des penseurs des Lumières. La science ne connaît pas de frontières, sauf exception due au contexte politique (voir la polémique de Newton contre Leibniz, sur laquelle nous reviendrons). L’art est également un facteur de rapprochement entre les peuples : dans le programme d’éducation positive, l’initiation aux beaux-arts permet à l’enfant d’acquérir un sentiment plus complet de l’Humanité. C’est finalement sur le plan industriel que la coopération semble le moins assurée, même si celle-ci n’est pas complètement inexistante (SA, p. 35). Le positivisme mettra fin au « nationalisme industriel » (SPP, IV, p. 327) en dirigeant nos travaux, comme nos savoirs et nos désirs, vers l’Humanité : les industriels européens seront alors incités à collaborer pour la postérité.

  • 10 Montesquieu, Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, Œuvres complètes, t. II, Oxford : V (...)
  • 11 Voltaire, Histoire de la guerre de 1741, Paris : Garnier Frères, 1971, « Avant-propos », p. 3.
  • 12 Emer de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux a (...)

7On peut rappeler que depuis le milieu du xviiie siècle l’idée d’Europe se fondait de moins en moins sur la chrétienté et de plus en plus sur un idéal de civilisation inconnu du reste du monde. En 1734, Montesquieu écrivait : « aujourd’hui les Peuples tous policés sont, pour ainsi dire, les Membres d’une grande République »10. En 1756, Voltaire se flatte d’écrire en bon citoyen, et surtout en citoyen de l’Europe »11. Le juriste Emer de Vattel soutient en 1758 que « l’Europe fait un système politique, un corps, où tout est lié par les relations et les divers intérêts des nations » : l’Europe n’est plus « un amas confus de pièces isolées », elle est devenue « une espèce de République dont les membres indépendants, mais liés par l’intérêt commun, se réunissent pour y maintenir l’ordre et la liberté »12. Pour Comte, l’effondrement du système catholique n’a pas ruiné le modèle de civilisation européen. Celui-ci s’est poursuivi, en dépit des rivalités et des passions nationales, grâce à « la continuelle influence réciproque » (C, 48e l., p. 112) entre les peuples occidentaux. La République chrétienne, puis la République des Lettres et l’Europe des académies débouchent sur une « grande nation » d’Europe occidentale, « dont les membres ont réciproquement des droits, moins étendus sans doute, mais de même nature que ceux des différentes portions d’un Etat unique » (P, p. 67).

  • 13 Jean-François Braunstein, « Auguste Comte, l’Europe et l’Occident », in Françoise Chenet-Faugeras ( (...)
  • 14 Jean-Jacques Rousseau y voit un facteur de sécurité pour l’équilibre européen (Extrait du projet de (...)

8Comme le remarque Jean-François Braunstein, Comte, à partir de 1842, préfère employer, à la place du terme d’« Europe », le terme d’« Occident » ou de « République occidentale »13. Le mot « République » est à comprendre dans le sens antique, redécouvert par Machiavel : la république occidentale s’oppose à l’empire d’Orient. Elle englobe les peuples du Nord et ceux du Midi mais se divise surtout en cinq « éléments » – Italie, Espagne, France, Angleterre, Allemagne – auxquels Comte adjoint leurs « appendices naturels » : pour l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande et l’Union américaine ; pour l’Allemagne (qui inclut l’Autriche), la Hollande, la Flandre, les îles danoises, la péninsule scandinave et même la Pologne, « extrêmes limites boréales et orientale de notre synergie européenne » (C, 56e l., p. 491). Géographiquement, l’Allemagne se situe au centre de l’Europe14, mais si l’on ne considère de l’Europe que sa partie occidentale, c’est la France qui occupe cette position privilégiée. Comte relève aussi les changements historiques de métropole : après Rome, le centre s’est déplacé à Paris, foyer de la révolution occidentale (SPP, IV, p. 372). L’occidentalité est une notion culturelle, voire spirituelle, plutôt que géographique. Dans cette cartographie stylisée, envisagée sociologiquement et abstraitement, les grands ensembles culturels formés sur la longue durée ont plus d’importance que les frontières nationales qui admettent une plus grande part de contingence et sont largement conventionnelles (ces « restrictions », précise-t-il, « n’offrent jamais un caractère vraiment naturel », SPP, IV, p. 32).

9L’Humanité a autant de centres virtuels qu’il y a de nations, quoiqu’elle ne puisse réellement prendre conscience d’elle-même et s’unifier en un « Grand-Etre » qu’à partir d’un seul foyer (SPP, I, p. 630), étant donné que toute synthèse exige un unique centre de coordination. Comte aborde la question des nations pour insister sur l’interdépendance des peuples et pour rappeler la loi sociologique de réaction du tout sur les parties. Les familles sont des parties de la nation, comme les nations sont des parties de l’Humanité : celles-ci et celles-là sont des « préambules nécessaires de l’Humanité » (SPP, IV, p. 32). Le patriotisme est l’intermédiaire nécessaire entre l’affection domestique et l’amour universel. Comte prévoit la décomposition des nations en patries de petite taille (Hollande, Toscane, Belgique), fondées sur le principe historique de l’agrégation des campagnes autour d’une ville. On évitera l’exclusivisme et la xénophobie qui entachaient le patriotisme des cités antiques en assignant aux peuples un but universel qui restera toujours extérieur et ne pourra par conséquent entraîner aucune rivalité. Aussi n’est-ce pas un hasard si, au moment d’évoquer le renouveau occidental qui se prépare en France, Comte ressent le besoin de justifier cet apparent favoritisme en se défendant de tout chauvinisme (C, 56e l., p. 523). A ce propos, on notera qu’il se trouve dans une position comparable à celle de Fichte, invitant les individus à dépasser leurs intérêts personnels par l’assimilation d’une science de la raison qui ne saurait être la possession exclusive d’un peuple singulier et réservant pourtant aux Allemands le privilège de former une nation. A la différence de Fichte, Comte veut lever toute équivoque : le privilège de la France dans la mission qui lui échoit ne tient pas à une qualité particulière qui serait spécifique au peuple français, mais résulte de la position centrale de cette nation et de la trajectoire qui l’a placée dans les derniers temps à l’avant-garde du mouvement historique. Il invoque la « situation » de la France à un moment précis de l’histoire et relativise ce privilège en rappelant que, dans le passé, les cinq grandes nations eurent l’avantage, dans tel ou tel domaine, d’occuper tour à tour le devant de la scène.

  • 15 En allemand : Übergang (Hegel, Die Vernunft in der Geschichte, Hamburg : Felix Meiner Verlag, 1994, (...)
  • 16 Voir R. Eucken, « Zur Würdigung Comte’s und des Positivismus », Philos. Aufsätze, Eduard Zeller und (...)
  • 17 Principale pratique institutionnelle du positivisme religieux, la commémoration passe par l’élabora (...)

10Ici s’esquisse un possible rapprochement de Comte avec Hegel pour qui « l’esprit d’un peuple » parvenant à sa maturité représente une étape de la lutte par laquelle « l’esprit du monde » conquiert sa conscience et sa liberté. Les peuples qui, dans leur vitalité agissante, accomplissent tour à tour, par transitions successives15, le processus absolu de l’Esprit, expriment le mouvement universel de l’histoire dans sa vérité et sa nécessité intérieure. En effet, l’universalité de l’histoire n’est pas à comprendre en un sens empirique, mais comme universalité du contenu même de l’Esprit qui, étape par étape, s’est opposé à lui-même, s’est posé comme obstacle à surmonter pour atteindre son propre concept. Comte a été impressionné par cette philosophie de l’histoire mais s’est toujours demandé « ce que Hegel voulait dire avec son Esprit ». Il n’en demeure pas moins que chez lui également – et Rudolf Eucken fut un des premiers à en tirer ce rapprochement16 – l’histoire des peuples illustre une histoire générale dont le sens universel est donné non point certes par une rationalité sous-jacente, mais par la nécessité d’une loi de développement : la loi des trois états. Une telle histoire pourrait s’écrire comme une histoire abstraite, comme un récit sans noms de peuples. Le mode grec et le mode romain se rapportent ainsi explicitement à des « situations générales qu’on ne pourrait qualifier abstraitement que par des locutions trop compliquées » (C, 53e l., p. 313). Des phénomènes tels que l’art hollandais ou le déclin de la monarchie française représentent des « situations » que l’humanité a traversées au cours de son évolution. Expliquer un phénomène social, pour Comte, c’est en effet le rapporter à l’ensemble de « la situation » à laquelle il correspond. La situation historique d’un peuple se mesure à sa position sur une courbe d’évolution dont seule la science sociale peut donner une vue générale, et à des normes de développement internes, car tout est lié et dépend du régime de l’esprit qui s’est imposé (polythéisme sacerdotal, esprit métaphysique, etc.) ; mais même si tout se tient, les institutions peuvent, à un moment donné, être en retard sur la morale, ou les conceptions scientifiques en avance sur les modes d’activité : aucune société n’est parfaitement adéquate à elle-même dans tous ses aspects et (Comte en a l’intuition tout comme Hegel) cette tension intérieure est un facteur d’évolution – même si chez Comte c’est en général le progrès qui crée cette tension plutôt que l’inverse. Dans le positivisme de Comte, comme plus tard dans l’historiographie de l’école républicaine, ces « situations » sont incarnées par des personnages illustres. Ces figures symboliques, canonisées dans le calendrier positiviste (Charlemagne pour la civilisation féodale, Dante pour l’épopée moderne, etc.)17, fonctionnent comme des marqueurs historiques mais rappellent aussi, dans un but civique et pédagogique, la participation de tous les groupes de la famille humaine et, dans un passé récent, la contribution des cinq nations occidentales au progrès général de la civilisation. Etudier la représentation de l’élément germanique dans la philosophie de Comte suppose donc de localiser celui-ci dans chacune de ces situations et de repérer les figures correspondantes dans le calendrier positiviste.

L’Allemagne dans la philosophie comtienne de l’histoire

11La première apparition de la « Germanie » dans la philosophie comtienne remonte à « l’incorporation romaine ». Celle-ci comporte trois phases essentielles : l’extension à l’Italie, puis à l’Espagne, enfin à la Gaule. La conquête de l’Espagne a été préparée par la guerre contre Carthage et trouve son complément dans la conquête de la Grèce qui s’étend ensuite à l’Asie Mineure et à l’Egypte. Comte rappelle « la position intermédiaire de la Gaule » (SPP, III, p. 379) pour en faire la pierre angulaire du « système romain » et annoncer ainsi la vocation future de la France dans la construction d’une république occidentale positiviste. Ces remarques se trouvent dans le Système où Comte ne se contente plus de mettre en évidence la loi des trois états, mais repère dans le passé des moments qui préfigurent la synthèse finale. Comte veut fonder la synthèse universelle sur « la suprématie, à la fois théorique et pratique, de la morale » (SPP, IV, p. 530) et oriente sa lecture de l’histoire en conséquence. A une date où, comme nous le verrons, il insiste sur la priorité des pays méditerranéens dans la réorganisation sociale, et diffère la participation de l’Allemagne, il lui paraît opportun de montrer que le rôle subalterne de l’élément germanique était inscrit depuis longtemps dans les faits. Le couple septentrional formé par la Bretagne et la Germanie, explique-t-il, fut incorporé tardivement, après bien des luttes et des négociations. L’assimilation ne devient possible que par la « libre agrégation envers les populations assez préparées » (SPP, III, p. 393). Les Romains n’ont fait qu’ébaucher l’adjonction de ces deux contrées. C’est au Moyen Age que celles-ci participeront à l’ensemble formé par les cinq éléments. Enfin, il reviendra au positivisme de réaliser l’union complète et, d’ailleurs, bien au-delà de l’Occident, puisqu’il a vocation « à rallier toutes les civilisations » (SPP, III, p. 379).

  • 18 Voir par exemple Montesquieu, Lettres persanes, CXXXVI, Œuvres complètes, texte présenté par Roger (...)
  • 19 L’abbé Dubos prétendait que les Francs avaient pénétré en Gaule avec la bienveillance des Romains. (...)

12Comte présente les migrations de la fin de l’Antiquité comme une conséquence de l’expansion romaine. L’empire romain, en refoulant les peuples nomades à ses marges, s’exposait à un retour de ces populations, acculées par leurs conditions d’existence à se déplacer vers des espaces moins inhospitaliers. Comte se démarque du mythe des brutales invasions barbares (Montesquieu, Voltaire)18 et insiste sur la continuité d’un processus qui s’est déroulé dans un temps assez long, ce dont témoigne notamment la politique d’incorporation des barbares aux armées romaines (C, 54e l., p. 352). On le voit prendre implicitement parti dans la querelle opposant germanistes et romanistes au xviiie siècle19 : il conteste l’origine germanique des institutions du Haut Moyen-Age et prétend que l’organisation militaire du système féodal peut s’expliquer comme une conséquence de la situation, indépendamment du phénomène des invasions. Enfin, le « complément germanique » devait servir de zone tampon et de barrière contre les invasions septentrionales, mais, trop sujette aux pressions extérieures, la Germanie ne put jouer ce rôle dans les premiers siècles du Moyen Age, et c’est d’abord en France que se concentra le « monothéisme défensif ». Comte rend hommage au « grand Othon » (SPP, IV, p. 477) qui pacifia les marges belliqueuses nordiques et slaves, rétablit les marches de l’Est (l’actuelle Autriche) et reçut de Rome la mission de défendre l’ordre et la paix de la chrétienté. Othon le Grand est célébré dans le calendrier positiviste pour le mois de Charlemagne dédié à la civilisation féodale.

13Comte fait remonter le mouvement moderne au xive siècle et non à la Renaissance, mais l’autonomisation de l’individu par rapport à l’autorité théologique et aux hiérarchies féodales se prépare déjà dans l’essor industriel qui se traduit par le commerce des villes italiennes et la naissance de la ligue hanséatique (xiiie siècle) :

« Avant la fin du Moyen Age, la république occidentale avait spontanément institué sa nouvelle activité, dont le commun essor survécut ensuite à la dissolution des liens politiques et religieux […]. Sagement réglées par d’éminents négociants, dignes précurseurs de la systématisation finale, les relations du commerce italien avec la ligue germanique s’accomplirent sous l’entremise des villes flamandes, après la merveilleuse création de la Hollande » (SPP, III, p. 479).

14Seule la vie pratique peut produire une véritable sociabilité. Ainsi les conséquences de l’essor industriel à la fin du Moyen Age débordent-elles le cadre de la vie économique. La chrétienté médiévale avait institué une puissante morale qui touchait toutes les classes de la population, mais l’Eglise dédaignait l’existence civique et prêchait le mépris du monde. La morale qu’elle enseignait ne concernait que l’existence personnelle (en termes hégéliens : la sainteté opposée à l’éthicité), tandis que l’essor industriel et scientifique des derniers siècles du Moyen Age annonce une morale plus complète et, à terme, réellement universelle.

  • 20 Par sa conception progressiste de l’histoire, Comte se démarque ici de Bonald pour qui le traité de (...)

15Comte divise le mouvement moderne en deux phases. Deux siècles de décomposition du système théologique et militaire (xive-xvie siècles) constituent la phase spontanée, pendant laquelle l’affaiblissement de l’autorité pontificale et le morcellement de la hiérarchie catholique en clergés nationaux confortent la supériorité du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel et réduisent l’indépendance de ce dernier. A partir du xvie siècle, s’ouvre une nouvelle phase, systématique. La désorganisation, orchestrée par une entreprise spéculative critique, déconstructrice, se généralise jusqu’à opposer le progrès à l’ordre comme deux points de vue antithétiques. Cette phase se subdivise en deux périodes, marquées, la première par le phénomène du protestantisme, la seconde par la crise révolutionnaire. La vacance du pouvoir spirituel ayant ouvert une période de rivalité entre Etats, il revint à la diplomatie de travailler à l’équilibre des puissances. Comte rend hommage au « généreux esprit de pacification universelle et permanente » illustré par « la mémorable utopie du bon Henri IV » et par le « grand traité de Westphalie » qui fut la grande réussite de la diplomatie moderne (C, 55e l., p. 422)20.

16Le protestantisme, fondé sur le libre examen et la raison individuelle, eut pour principal effet, aux yeux de Comte, d’accélérer le « grand mouvement de décomposition ». La vision d’un protestantisme fossoyeur de l’unité européenne est assez répandue à l’époque. On la trouve par exemple chez Novalis qui souligne deux aspects majeurs de la Réforme : l’émancipation à l’égard de l’autorité pontificale, qui marque le triomphe des individus, et le culte de l’exégèse individuelle au détriment du mystère, qui est une violence faite au sens de l’invisible. Certaines analyses de Novalis ont leur équivalent chez Comte : la Réforme est un premier pas vers les Lumières, elle conduit à la multiplication des centres de pouvoir, à une division de la religion, désormais livrée aux intérêts nationaux. Pour l’un et l’autre, l’Europe ne pourra se reconstituer que sur la base d’un lien spirituel et d’une communauté de foi. Mais à la différence de Novalis, Comte ne songe pas à restaurer cette communion en retrouvant le sens du surnaturel. Aussi est-ce plutôt avec Saint-Simon que l’on peut établir des recoupements pertinents. Prenons les textes. Saint-Simon :

  • 21 Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne…, p. 25-26 (« Aux parlements… »).

« Luther, en ébranlant dans les esprits ce vieux respect qui faisait la force du clergé désorganisa l’Europe. La moitié des Européens s’affranchit des chaînes du papisme, c’est-à-dire brisa le seul lien politique qui l’attachât à la grande société »21.

Et Comte :

« L’attaque de Luther et de ses coréformateurs contre l’autorité pontificale a renversé de fait le pouvoir spirituel, comme pouvoir européen : ce qui était son véritable caractère politique. En même temps, elle a sapé radicalement l’influence qui restait encore à l’autorité théologique en détruisant le principe de la croyance aveugle, en remplaçant ce principe par le droit d’examen qui, restreint d’abord dans des limites assez étroites, devait inévitablement s’agrandir continuellement et embrasser enfin un champ indéfini » (SA, p. 10).

  • 22 H. Gouhier, La jeunesse d’Auguste Comte…, t. 3, p. 278.
  • 23 Germaine de Staël, De l’Allemagne, Paris : Garnier-Flammarion, 1968, t. II, p. 244.
  • 24 « Tout l’Occident participe à la décomposition spontanée ; mais la négation systématique ne prévaut (...)

Cet extrait est tiré d’un opuscule de jeunesse – Sommaire appréciation de l’ensemble du passé moderne – publié à l’époque où Comte travaillait encore pour Saint-Simon. « Les grandes lignes de cette fresque rappellent les esquisses de Saint-Simon », observe Henri Gouhier22. Par la suite, Comte mettra plutôt l’accent sur l’absence de rupture ou de saut brusque dans le déroulement historique. Chaque étape de l’évolution humaine développe intrinsèquement les conditions de possibilité du passage de l’esprit à l’étape suivante, en même temps qu’elle réalise ce que les moments antérieurs avaient graduellement ébauché. Le principe du libre examen, notamment, n’est pas pour lui une invention luthérienne : « ce dogme n’est autre chose que la traduction d’un grand fait général, la décadence des croyances théologiques » (P, p. 52). Selon Madame de Staël, « l’esprit humain était arrivé à une époque où il devait nécessairement examiner pour croire »23. Comte fait observer que le libre examen était en usage dans les discussions du xive siècle sur le pouvoir européen des papes et dans les débats du xve siècle sur l’indépendance des clergés nationaux à l’égard de Rome. Luther n’a fait que consacrer un principe à la formation duquel toutes les forces sociales avaient concouru pendant les deux siècles précédents. Le rôle de Luther a consisté à étendre à tous les croyants une prérogative dont les rois et les docteurs avaient amplement usé et qui tendait à se répandre dans toutes les classes de la société. « C’est ainsi que l’esprit général de discussion inhérent à tout monothéisme, et surtout au catholicisme, avait hautement devancé, dans toute l’Europe, l’appel direct du protestantisme » (C, 55e l., p. 425). Le phénomène du protestantisme lui-même n’est pas un événement soudain qui serait dû à la personnalité d’un ou plusieurs réformateurs. Il faut le comprendre plutôt comme le résultat de la décomposition progressive de l’ordre médiéval, en rapport avec le morcellement du pouvoir du pape et la nationalisation des clergés enclins à se placer sous la direction de chefs temporels. L’apparition du protestantisme dans un pays tel que l’Allemagne s’explique, en partie du moins, comme une réaction à l’identité italienne de la papauté, de plus en plus mal ressentie par les pays éloignés du centre romain (C, 55e l., p. 407-408) : voir son succès en Hollande et en Angleterre24.

  • 25 Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Vrin, 1970, p. 263-346 (« Le monde germanique »).

17La réforme de Luther affecte inégalement les différentes composantes de la religion. Elle n’atteint le dogme que superficiellement : « le droit individuel d’examen, quoique pleinement proclamé, reste […] contenu entre les limites plus ou moins étendues de la théologie chrétienne » (C, 55e l., p. 395). Elle respecte, pour l’essentiel, la hiérarchie de l’Eglise. En revanche, elle sape la discipline avec l’abolition du célibat ecclésiastique et la suppression de la confession universelle. Le protestantisme se caractérise par son caractère transitoire, mais Comte insiste sur le fait qu’il s’agit, pour ainsi dire, d’une demi-transition. Il évoque la « demi-émancipation » des protestants (C, 55e l., p.449 ; CG, VI, p. 433), les « demi-satisfactions » que leur doctrine procure à la raison (C, 55e l., p. 413). Luther n’a pas véritablement ruiné la discipline ecclésiastique, il l’a plutôt adaptée à une transformation qui la soumet au pouvoir temporel. Comte ne découvre pas dans la Réforme cette conscience concrète de la liberté de l’esprit qui, selon Hegel, ordonne l’Etat à la rationalité25. Dans les grandes nations indépendantes, le protestantisme n’a pu s’organiser provisoirement en religion d’Etat qu’à une époque où le système catholique tenait encore debout, il a profité ainsi paradoxalement de ce qui résistait à son action destructrice (C, 55e l., p. 430).

  • 26 C, 47e l., p. 82, note. On trouve une remarque similaire chez Heinrich Heine : « Dans le Nord de l’ (...)
  • 27 CG, VI, p. 208.

18Au point de vue intellectuel, le protestantisme est loin d’être une doctrine éclairée. Comte dénonce « les obscures divagations de la théologie luthérienne sur le mérite suffisant de la foi indépendamment des œuvres, d’après le dogme étrange de l’inamissibilité de la justice, et pareillement les sophismes, non moins dangereux, de la théologie calviniste sur la prédestination des élus » (C, 55e l., p. 437n). La supériorité de la loi de Jésus sur celle de Moïse avait ébauché une première notion du progrès en formulant l’idée d’un état nouveau plus parfait que l’ancien ; au lieu de cela, le protestantisme remet à l’honneur « la partie la plus arriérée et la plus dangereuse des saintes Ecritures, c’est-à-dire celle qui concerne l’Antiquité judaïque »26 (tandis que Comte réduit le contenu « systématique » de la Bible aux épîtres de Paul27). En outre, les incohérences ne manquent pas. Par exemple, en invalidant l’infaillibilité pontificale, les protestants n’ont pas supprimé « le droit d’inspiration divine », mais l’ont au contraire renforcé (C, 54e l., p. 340).

19A l’époque de Comte, le protestantisme a épuisé sa fonction d’émancipation et retarde désormais le véritable progrès (C, 58e l., p. 727). Là où il avait triomphé politiquement, les peuples qui avaient pris de l’avance sur le terrain du progrès social arrivèrent bientôt derrière les nations catholiques dans « le développement final du mouvement révolutionnaire » (C, 55e l., p. 413) :

« Tout affranchissement ultérieur de la raison humaine devenait alors beaucoup plus antipathique encore au protestantisme officiel qu’au catholicisme lui-même, malgré la dégénération mentale dont celui-ci était irrévocablement frappé, en faisant spontanément ressortir l’insuffisance radicale de la vaine réformation spirituelle qu’on venait ainsi d’instituer à grands frais » (C, 55e l., p. 449).

20Le protestantisme est un mouvement critique, non organique. Comte en tire argument contre l’entrée de Luther dans le calendrier positiviste :

« On n’y trouvera donc ni Luther, ni Calvin, ni Rousseau […] Malgré leur utilité passagère, ces services négatifs exigent trop peu de valeur intellectuelle, et supposent de trop vicieuses dispositions morales » (« Explication préliminaire sur la nouvelle division de l’année », CG, V, p. 301).

  • 28 Cours de sociologie ou philosophie de l’histoire professé par M. Auguste Comte au Palais Cardinal e (...)
  • 29 Ce courant prend sa source dans les passages où de Maistre critique l’aveuglement de ses contempora (...)
  • 30 SPP, III, p. 551-552 ; IV, 368 ; CG, VII, p. 104.
  • 31 « La vraie nature de cette immense maladie réserve nécessairement aux philosophes son principal tra (...)
  • 32 Charles Maurras, Devant l’Allemagne éternelle, Paris : « A l’étoile », 1937, p. 255.
  • 33 « L’Allemagne n’a pas fait de révolution directe contre ses princes et ses rois, elle en a fait une (...)
  • 34 Dans sa lecture de l’histoire de France, C. Maurras défend la thèse des romanistes. « Le grand méro (...)
  • 35 C. Maurras, Réflexions sur la Révolution de 1789, Paris : Les îles d’or, 1948, p. 9.
  • 36 C. Maurras s’en prend « au Germain éternel », qui, des barbares antiques à Hitler, en passant par l (...)

21Au point de vue social, le protestantisme est un ferment d’anarchie. Comte n’hésite pas à parler d’une abolition de la morale privée et donne l’exemple de Philippe Ier de Hesse qui, bien qu’étant toujours marié à Christine de Saxe, reçut l’accord de Luther pour épouser morganatiquement Marguerite von der Saale28. Au-delà de la Réforme, c’est toute l’idéologie individualiste et libérale qui est ici visée. Aussi faut-il rappeler que le courant qui va de Maistre à Maurras transite par Comte29, même si la pensée de Comte croise également d’autres axes en sens inverse. Comte dénonce notamment l’erreur commise par les protestants et les déistes (autrement dit par bon nombre de philosophes des Lumières) qui attribuent l’efficacité du christianisme à la doctrine et rejettent comme néfaste l’organisation catholique, commettant ainsi un double contresens (C, 54e l., p. 358). Tandis que les protestants et les déistes ont toujours attaqué la religion au nom de Dieu, le positivisme, lui, écarte Dieu au nom de la religion (CG, V, p. 98). Le libre examen conduit à ériger la raison individuelle « en suprême arbitre de toutes les questions sociales » (C, 55e l., p. 423) ; il entraîne la croyance en une illusoire égalité des intelligences ; il consacre la notion d’indépendance nationale absolue qui peut mener à une forme d’isolement politique. Le protestantisme est un premier pas vers l’égalitarisme et la négation de toute autorité : « le principe d’examen individuel supposait directement l’égalité comme condition fondamentale, et ne comportait d’autre autorité que la suprématie du nombre » (SPP, III, p. 551). Par suite, Comte fustige « l’espèce d’anarchie intellectuelle consacrée par le protestantisme » (C, 55e l., p. 437 n). Dans sa seconde carrière (après 1845-1848), le libre examen individuel lui apparaît comme une « insurrection de l’individu contre l’espèce »30 ; il y voit un phénomène typique de l’état métaphysique et une pathologie de la société31. Maurras reprend cette expression, « insurrection de l’individu contre l’espèce », pour présenter Luther comme l’initiateur d’un mouvement dissolvant qui passe par Rousseau et Kant et mène à la république dreyfusarde32. Luther incarne la démesure d’un esprit jaloux et destructeur, le droit de l’individu à contester l’ordre social, la révolte contre l’ordre établi, un pouvoir dissolvant qui menace dans ses fondements mêmes la civilisation33. On trouve chez Maurras et Comte une origine et une fibre méridionales communes, auxquelles Maurras fut certainement sensible34, mais d’un préjugé favorable aux peuples du Midi, on passe chez Maurras à un antigermanisme de combat qui s’explique par la défaite de 1870. L’image de Luther s’ethnicise et symbolise « l’individualisme des populations germaniques »35 c’est-à-dire un sentiment de supériorité nationale pouvant déboucher sur les revendications les plus agressives, dont Hitler est la figure la plus récente36.

22Pour Comte, le rôle du protestantisme aura principalement consisté à accélérer la dissolution du système théologico-féodal devenu rétrograde depuis l’épuisement de sa fonction sociale. En son temps, il a pu accompagner certains progrès. Le libre examen crée un état de « demi-indépendance mentale » (C, 56e l., p. 558) qui profite à la philosophie naturelle et à l’astronomie : Comte cite les exemples de Kepler et de Huygens (on notera cette attention au contexte de découverte qui classe Comte parmi les précurseurs de la sociologie des sciences). Le protestantisme favorise également « l’activité personnelle » (C, 56e l., p. 519), les « efforts personnels » (CP, p. 293), en bref, ce que nous appelons aujourd’hui l’initiative et l’esprit d’entreprise. Enfin, on lui doit deux « révolutions préliminaires » : l’une par laquelle la Hollande s’est affranchie de la domination espagnole, l’autre qui devait aboutir à « l’admirable dictature de Cromwell » (CP, p. 293). En raison notamment de sa situation géographique, l’Allemagne est restée à l’écart des conquêtes coloniales qui ont stimulé l’industrie dans toute l’Europe (C, 56e l., p. 520). A la suite de Melon, Montesquieu et Benjamin Constant, Comte pense que l’industrie doit se substituer progressivement à la vie militaire, ce qui correspond chez lui à une évolution psychologique ou anthropologique : l’instinct constructeur, originellement faible, prend alors le pas sur l’instinct destructeur. Or le protestantisme a réagi sur l’esprit militaire en détournant les peuples européens du désir de conquête et en occupant les armées à contenir les troubles intérieurs. A cela s’ajoute l’influence exercée par « la tendance antimilitaire propre aux mœurs protestantes » (C, 55e l., p. 420) bien illustrée par l’exemple des quakers (C, 55e l., p. 431). (Il aurait pu citer également le piétisme morave). Certes, le protestantisme n’empêche pas la guerre, mais celle-ci change de direction. De la guerre de Trente ans à la paix d’Utrecht, les conflits armés prolongent « la lutte universelle » entre catholicisme et protestantisme et portent « l’empreinte révolutionnaire » (C, 55e l., p. 421). Au siècle suivant, la situation religieuse des Etats s’étant fixée, les guerres changent d’enjeux et deviennent commerciales. Cependant, loin d’établir un lien direct entre le protestantisme et l’esprit du capitalisme (comme le fera plus tard Max Weber), c’est au régime aristocratique que Comte attribue la constitution de « communautés industrielles ». L’esprit d’entreprise ne suffit pas : il faut une organisation du travail. La variable protestante joue ici plutôt à contre-courant à cause de son attachement à des principes théologiques par nature incompatibles avec l’esprit industriel et parce que l’ambiance anarchique qui caractérise ce mouvement donne facilement carrière aux « aberrations individuelles » (C, 56e l., p. 519).

  • 37 C, 56e l., p. 535.
  • 38 On sait que Comte est rebelle au concept de « Renaissance ». Pour lui, le rejet spontané du système (...)
  • 39 Par exemple le mosaïsme qui fait un saut du fétichisme au monothéisme au lieu de passer par l’étape (...)
  • 40 Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris : Flammarion, 198 (...)

23Dans le domaine scientifique, le monde germanique a pris de l’avance avec les découvertes astronomiques de Copernic, Tycho-Brahé et Kepler. Le mouvement astronomique fait reculer l’esprit métaphysique et accompagne le déclin des entités dans les sciences cosmologiques durant le premier tiers du xviie siècle. Comte estime que ce progrès de l’esprit positif s’est accompli pour l’essentiel en Angleterre, en Italie et en France, avec Bacon, Galilée et Descartes, tandis que l’Allemagne était trop absorbée par ses conflits religieux pour y participer (C, 56e l., p. 570). Le regard du sociologue se déplace en fonction de la série d’où est venue l’impulsion qui a ébranlé les autres séries (progrès intellectuel, moral, technique, etc.). Chaque peuple produit, à un moment ou à un autre, une avancée qui rejaillit sur l’ensemble de la civilisation, avant que celle-ci ne conditionne de nouveaux changements. Ces transitions s’effectuent non comme chez Hegel dans l’immanence téléologique d’un vouloir s’universalisant, mais dans la régularité immanente aux lois de la société. C’est ainsi que, généralement, l’évolution industrielle précède l’évolution esthétique et scientifique (l’essor industriel stimule jusque dans les masses l’activité intellectuelle sans laquelle les productions artistiques ne sauraient pas même être comprises, et apporte une sécurité matérielle indispensable aux jouissances intellectuelles et esthétiques ; en retour, l’art corrige le rétrécissement mental et moral qui a tendance à se produire quand l’activité industrielle occupe une place croissante dans l’existence humaine37). Entre l’évolution esthétique et l’évolution scientifique, l’ordre est généralement celui-ci : les arts précèdent les sciences. Comte rencontre cependant un problème avec le cas allemand : pour lui, en effet, l’Allemagne a connu un développement scientifique notable au xvie siècle, mais n’a pas connu l’évolution esthétique qui s’est produite en Italie, en Hollande, en Espagne et en France38. Ainsi, Holbein est-il le seul artiste allemand de cette époque à figurer dans le calendrier positiviste (Dürer n’y étant pas cité). On imagine Comte appréciant ses portraits de bourgmestres et de marchands de la Hanse, qui incarnent l’esprit moderne, industriel et commerçant, et peut-être n’était-il pas indifférent au destin d’un artiste qui quitta Bâle quand la ville, passée à la Réforme, tomba aux mains des iconoclastes. L’exception allemande semble prouver qu’à ce niveau de précision, il est plus difficile de mettre en évidence des régularités et Comte (qui a déjà rencontré ailleurs d’autres « anomalies »39) estime que le cas mériterait « une analyse spéciale » (C, 56e l., p. 491). La solution est dévoilée dans le Système. Les Germains ayant été incorporés plus tard et moins complètement à l’empire romain (c’est-à-dire au modèle de civilisation occidental) se trouvèrent être, au xvie siècle, « les moins cultivés de tous les Occidentaux, et les moins dégagés des mœurs guerrières » (SPP, III, 549). Comte évoque aussi « la réaction sceptique due au protestantisme » dont la littérature espagnole fut préservée (CG, VI, p. 154). Ainsi, le décalage esthétique des Allemands tient à deux facteurs : à l’agitation protestante d’une part, au retard linguistique d’autre part, la langue allemande étant de constitution plus tardive que l’italien et le néerlandais (SPP, III, p. 568-569). (On notera au passage la supériorité attribuée à la Hollande, considérée par Comte comme l’avant-garde de la Germanie). Le tardif perfectionnement de la langue allemande était, il faut le rappeler, une opinion assez répandue, que l’on trouvait également chez Condorcet et Madame de Staël40.

  • 41 Bach n’est pas cité. On notera que le choix des compositeurs n’est pas indifférent. Gluck (1714-178 (...)

24La littérature allemande se développe au xviiie siècle, avec Klopstock, Lessing, Goethe et Schiller : tous ces poètes et dramaturges sont présents dans le calendrier positiviste. Comme Byron, Goethe étend au protestantisme la pleine émancipation venue du « centre occidental » qu’est la France (SPP, I, p. 298). Byron et lui ont pressenti la grandeur morale de l’homme affranchi de la religion, mais n’ont abouti qu’à « des types insurrectionnels, conformes à leur office révolutionnaire » (SPP, I, p. 342). Goethe aurait pu être « un éminent philosophe » dans un contexte social moins défavorable (SPP, I, p. 310). Il faut rappeler qu’à mesure qu’il progresse dans l’élaboration du positivisme religieux, Comte rapproche le génie philosophique et le génie poétique. Mais les performances intellectuelles ou pratiques des grands hommes – savants, poètes ou souverains - se rapportent à leur « nature » et à leur « situation » comme à deux paramètres essentiels (CG, V, p. 167) : l’appréciation de leurs mérites individuels exige donc de tenir compte de l’influence « dépressive ou stimulante » de la situation historique (CG, V, p. 302). Pour comte, le point fort des Allemands semble être la musique : celle-ci, en particulier la musique dramatique, atteint son apogée au cours de la deuxième moitié du xviiie siècle en Italie et dans « l’Allemagne catholique » (C, 57e l., p. 621), c’est-à-dire la Bavière et l’Autriche des Habsbourg. Gluck, Mozart, Beethoven, ainsi que Haendel et Weber (au rang des noms accessoires), figurent dans le calendrier positiviste41, aux côtés de compositeurs d’opéras italiens que Comte (abonné au Théâtre Italien pendant dix ans) appréciait particulièrement : Pergolèse, Sacchini, Rossini, Bellini.

  • 42 CPSS, p. 181.
  • 43 C, 57e l., p. 585. Sur le mysticisme comme particularité allemande, cf. G. de Staël, De l’Allemagne(...)

25Politiquement, le bloc germanique partage – mais en partie seulement – le sort des Etats aristocratiques protestants. Comte divise la politique moderne en deux modes de gouvernement, tous deux liés à la « concentration temporelle » : dictature monarchique et dictature aristocratique. Dans les pays protestants, le pouvoir spirituel disparaît ou se fait absorber par le temporel ; dans les pays restés catholiques, une tendance comparable se dessine : le clergé est placé sous la dépendance de l’Etat et se prête à cette transformation « en s’empressant de relâcher les liens qui l’unissaient au gouvernement central pour se nationaliser »42 (allusion au gallicanisme). Le protestantisme épiscopal vient seconder principalement la monarchie, le protestantisme presbytérien, l’aristocratie (en Angleterre et en Suède). Dans les pays monarchiques, le protestantisme pouvait donner à une noblesse en déclin l’espoir de se redresser, comme ce fut le cas en France. Dans l’ensemble, la dictature aristocratique est presque toujours associée au protestantisme (C, 57e l. p. 584). L’analyse politique de cette période se concentre donc autour de l’opposition entre « politique monarchique et catholique » et « dictature aristocratique et protestante » (C, 56e l., p. 519). Chacune a ses atouts et ses défauts. Le système aristocratique favorise « la spontanéité des vocations » et « l’originalité des travaux » (C, 56e l., p. 558). Mais intellectuellement, la dictature monarchique s’est révélée, notamment en France, plus propice au développement de « la vraie positivité rationnelle » : c’est ainsi que les philosophes français du xviiie siècle (en particulier Fontenelle et Diderot) échappèrent à la fois à « l’empirisme anglais » et au « mysticisme allemand »43. Importante remarque quand on sait que, pour Comte, « le véritable esprit positif n’est pas moins éloigné, au fond, de l’empirisme que du mysticisme » qui sont « deux aberrations également funestes » (EP, § 15, p. 72). En évitant « la halte trompeuse du protestantisme » (C, 46e l., p. 49), la France est passée directement de la situation catholique à l’entière émancipation intellectuelle.

  • 44 SPP, III, p. 578. En France, la centralisation prend une tournure rétrograde dans la seconde moitié (...)
  • 45 Voir Pierre Gaxotte, Frédéric II, Paris : Fayard, 1972, ch. IX, p. 284-328.
  • 46 CG, V, p. 130, 199, VI, p. 164, 354, etc.
  • 47 Comte signale qu’il vient de proposer « envers la philosophie positive, un noble patronage public, (...)

26Comte fait l’éloge de l’administration politique de la France mise en place par Louis XI et renforcée par Richelieu. D’après lui, « la prépondérance du pouvoir central est tellement normale que malgré le protestantisme, épiscopal ou même presbytérien, elle caractérisa deux nobles exceptions, dans la Prusse et la Hollande »44. Le cas de la Prusse est si exceptionnel que Comte suggère de lui consacrer, dans « une histoire concrète », une analyse spéciale pour expliquer « la conciliation anormale qui s’y est établie entre la suprématie légale du protestantisme et l’ascendant réel de la royauté » (C, 56e l., p. 519). Comte n’aura pas l’occasion d’écrire lui-même une telle étude, qu’il réservait sans doute aux chercheurs de son école, mais dans le Cours, il rend hommage à Frédéric II qui fut, avec Charlemagne, un des rares souverains capables d’apprécier les sciences (C, 56e l., p. 555), et dans le Système, il présente « l’incomparable Frédéric » comme le digne successeur de César et Charlemagne (SPP, III, p. 583), l’équivalent dans le domaine pratique de ce que Diderot représente pour la théorie. Le calendrier positiviste lui donne la présidence du mois dédié à la politique moderne. On pourrait s’étonner de voir Comte glorifier un chef d’Etat qui consacra autant d’efforts à augmenter la puissance militaire de son pays en plein milieu du xviiie siècle. Il justifie cet hommage en soulignant la manière dont se sont conjuguées sous son règne la tendance critique et la tendance organique (SPP, IV, p. 146). On sait que ce souverain fut un homme d’ordre et de pouvoir, qui maintint les structures autocratiques mises en place par ses prédécesseurs et poussa assez loin l’effort de centralisation, exceptionnel en Allemagne (Henri Pirenne dira que le despotisme éclairé est la rationalisation de l’Etat). Mais il incarna aussi le progrès des idées : il fut cet « incroyant notoire » (Pierre Gaxotte) qui donna au pouvoir un autre fondement que l’institution divine, un droit positif qui lui est propre45. Il améliora la législation, l’administration de la justice, l’agriculture, et mit en place un système d’enseignement auquel Comte fait déjà allusion dans un écrit de jeunesse (SA, p. 37). Mais cette promotion du despote éclairé a aussi une autre explication. Dans les années 1850, Comte s’adresse à plusieurs autocrates pour les convaincre d’adopter le positivisme comme la seule doctrine sociale garante de la famille et de la propriété46, le seul projet de réorganisation capable de satisfaire l’opinion publique et de maintenir l’ordre sans nuire au progrès. Il rêve alors de trouver un chef temporel qui lui accorderait sa protection officielle et jouerait pour la philosophie organique le rôle que Frédéric avait rempli pour la philosophie critique du siècle précédent. Le parallèle est explicite dans la lettre-manifeste du 20 décembre 1852 au tsar Nicolas (CG, VI, p. 472), où Comte ne manque pas de citer également Catherine II (qui restera cependant absente du calendrier). Il y revient dans les lettres adressées à ses disciples47. On a ici l’illustration d’une des nombreuses interférences entre la vie de Comte et les ajustements de sa doctrine.

Comte lecteur des philosophes allemands

27Comte ne maîtrise pas l’allemand et sa connaissance des auteurs est celle d’un Français cultivé de son temps : beaucoup de Leibniz, un peu de Kant, quelques notions sur les contemporains par l’entremise de ses correspondants (d’Eichthal dans les années 1820, Ewerbeck dans les années 1850) ou des comptes rendus qui lui sont tombés sous la main.

28De nombreuses pages consacrées à Leibniz mettent en évidence le progrès scientifique que représente la méthode infinitésimale. Comte y voit une technique très féconde, plus rapide et plus économique que les autres pour la formation des équations entre des grandeurs auxiliaires.

« C’est à son usage que nous devons la haute perfection qu’ont enfin acquise toutes les théories générales de la géométrie et de la mécanique. Quelles que soient les diverses opinions spéculatives des géomètres sur la méthode infinitésimale, envisagée abstraitement, tous s’accordent tacitement à l’employer de préférence, aussitôt qu’ils ont à traiter une question nouvelle » (C, 6e l., p. 121).

La méthode « aux limites » de Newton est à l’abri de certaines objections logiques adressées à Leibniz, mais offre moins de ressources pour la résolution des problèmes et n’a pas la même étendue ni la même généralité. « C’est très péniblement, par exemple, qu’on parvient à étendre la théorie de Newton aux fonctions de plusieurs variables indépendantes » (C, 6e l., p. 122). L’obstination de Newton contre les notations infinitésimales de Leibniz (doublée d’un procès pour réclamer la paternité de l’invention) est une mauvaise querelle que Comte attribue à l’orgueil national du gouvernement anglais.

« Cette longue querelle si bien sentie par Fontenelle et ensuite si bien sentie par Lagrange […] offrit pendant presque tout son cours un mémorable contraste entre la rectitude et la loyauté de Leibniz ainsi que de la plupart de ses partisans, et les injustes subtilités de la politique anglaise. La conduite de Newton, en cette grave occasion, fut assurément très peu honorable : puisque, d’un seul mot, il pouvait terminer cette scandaleuse discussion, en se déclarant personnellement convaincu […] de la parfaite originalité de Leibniz » (C, 56e l., p. 563).

Comte rappelle ainsi ce que les mathématiques doivent à Leibniz : l’impulsion analytique « émanée de la grande révolution cartésienne » (C, 56e l., p. 564) se prolonge dans l’analyse ordinaire ou transcendante tendant à généraliser et à coordonner toutes les conceptions géométriques et mécaniques.

  • 48 Fontenelle, Œuvres complètes, Paris : Fayard, 1994, t. VI, p. 380.
  • 49 Voir L. de Bonald, Essai analytique…, p. 42. On notera que Bonald se représente Leibniz comme « le (...)
  • 50 Voir Jacques-André Emery, Esprit de Leibnitz ou recueil de pensées choisies sur la religion, la mor (...)
  • 51 J.-A. Emery, Esprit de Leibnitz , t. II, p. 9-12, p. 65 et suivantes, etc.

29Comte aborde également, quoique de manière allusive, les idées de Leibniz sur la nécessité d’un nouveau gouvernement moral, réclamé par l’état présent des nations civilisées (CPS, p. 184). Il évoque la convergence de vues du roi Henri IV et de Leibniz sur le rôle de la diplomatie dans la construction d’une république à l’échelle de l’Occident (C, 55e l. p. 423). A l’évidence, il fait ici allusion aux causes défendues par Leibniz en matière politique et religieuse. Pendant les tractations qui allaient déboucher sur la paix de Nimègue, Leibniz s’engagea en faveur des princes de l’Empire dans un écrit intitulé Cesarini Furstenerii de Jure Suprematus. Fontenelle en résume le contenu dans son Eloge de Leibniz : « Il prétendait que tous les Etats chrétiens, ceux d’Occident, ne font qu’un corps dont le Pape est le chef spirituel, et l’Empereur le chef temporel […] »48. L’autre épisode intéressant est la tentative de conciliation entre luthériens et catholiques romains. A la suite des propositions de l’évêque Spinola (Regulae circa christianorum omnium ecclesiasticam reunionem) et des conditions imaginées par Molanus, abbé de Lockum, pour rétablir la concorde (Methodus reducendae unionis ecclesiasticae), Leibniz avait rédigé une profession de foi (Systema theologicum) et avait entamé un échange épistolaire avec Bossuet. Leibniz était luthérien mais il ne s’opposait pas à l’hypothèse d’une autorité religieuse et pensait que les protestants et les catholiques pourraient à nouveau s’unir dans une même société en cédant les uns et les autres sur quelques points de discorde qu’il jugeait secondaires. On peut affirmer avec certitude que Comte connaissait cette tentative de conciliation (qui dans les faits échoua), car il possédait dans sa bibliothèque un recueil de textes assez répandu à l’époque (Bonald s’y réfère également49) rassemblant les principales pièces de ce dossier : Esprit de Leibnitz par Jacques-André Emery. L’éditeur, un membre de la Compagnie de Saint-Sulpice, y présente Leibniz comme un catholique de sentiment50 et donne de larges extraits concernant « la constitution de la république chrétienne » et le Concile de Trente51, où Leibniz imagine un « sénat général des chrétiens » qui, sous la double autorité du pape et de l’empereur, réglerait les différends qu’on continue de trancher à grands renforts de négociations et de traités. Comte admire en Leibniz le savant et le philosophe (un esprit encyclopédique dans lequel il pouvait reconnaître un devancier de même envergure) mais aussi le politique ou le diplomate dont la perspicacité est plusieurs fois soulignée. Comte place Leibniz à un rang élevé parmi les grandes figures de la philosophie qui s’intercalent entre Aristote et lui-même.

  • 52 Comte, Cours, Préface personnelle précédant la 56e leçon, p. 479 note.

30De Kant, Comte n’a qu’une connaissance de seconde main, comme il le reconnaît en 1842 (« Je n’ai jamais lu […] ni Vico, ni Kant, ni Herder, ni Hegel ; je ne connais leurs divers ouvrages que d’après quelques relations indirectes et certains extraits fort insuffisants »52). Cela ne l’empêche pas de voir en lui le plus grand des métaphysiciens modernes, à qui l’on doit la distinction de l’ordre objectif et de l’ordre subjectif. Comte rapproche la philosophie kantienne de sa propre théorie de la connaissance qui envisage le savoir comme résultant d’une relation entre le sujet et l’objet, relation qui trouve un ancrage anthropologique dans le rapport de l’humanité à son milieu de vie, le monde. L’intelligence est l’instance où s’équilibrent deux influences réciproques, du réel vers le sujet et du sujet vers l’objet de la connaissance : l’invariabilité des lois naturelles rejaillit sur l’esprit, lui apporte une fixité et une discipline, tandis que l’esprit coordonne les informations qu’il reçoit, et, par son activité propre, construit ses représentations. Comte interprète la philosophie kantienne de la connaissance, telle qu’il se la figure, comme une sorte d’application de la théorie biologique du milieu :

« Toutes nos spéculations quelconques sont donc à la fois profondément affectées, aussi bien que tous les autres phénomènes de la vie, par la constitution extérieure qui règle le mode d’action, et par la constitution intérieure qui en détermine le résultat personnel, sans que nous puissions jamais établir, en chaque cas, une exacte appréciation partielle de l’influence uniquement propre à chacun de ces deux inséparables éléments de nos impressions et de nos pensées. C’est à l’équivalent très imparfait de cette conception biologique que Kant était seulement parvenu, à sa manière, avec les divers inconvénients graves […] qui restaient inhérents à sa marche métaphysique » (C, 58e l., p. 728).

  • 53 La construction d’une filiation qui passe par « l’école organique » de Diderot et Condorcet (son «  (...)

31Dans le Cours, Comte crédite le philosophe allemand d’une avancée non négligeable qui cependant ne pouvait fructifier dans un milieu aussi imprégné d’esprit métaphysique et aussi peu réceptif à une philosophie entièrement relative, ce que confirmera le revirement post-kantien en faveur de l’absolu (C, 58e l., p. 727). Dans le Système, il relativise l’apport de Kant en suggérant que ce dernier n’ajoute finalement rien de fondamental aux réflexions de Hume sur la causalité et à la Lettre sur les aveugles de Diderot53, mais oriente en revanche les matériaux préparatoires à « la synthèse subjective » dans une voie métaphysique sans issue (SPP, III, p. 588-589).

  • 54 Victor Cousin, Leçons sur la philosophie de Kant, Paris : Ladrange, 1844, p. 355.
  • 55 V. Cousin, Cours de l’histoire de la philosophie moderne, Paris : Ladrange, Didier, t. I, p. 364.
  • 56 Arthur Schopenhauer, Le fondement de la morale, traduit de l’allemand par A. Burdeau, introduction (...)
  • 57 Pierre-Joseph Proudhon, De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, Paris : Marcel Rivière, (...)
  • 58 EP, § 52, p. 171-175. Voir aussi SPP, III, p. 606, où Comte évoque « une hypocrisie analogue à cell (...)
  • 59 Comte critique la réprobation dont fait l’objet tout le Moyen Age et retrouve certains arguments de (...)
  • 60 Le positivisme religieux comporte deux maximes morales fondamentales : « Vivre pour autrui » et « V (...)

32Comte s’est aussi exprimé sur la philosophie pratique de Kant, dont il n’avait également qu’une connaissance sommaire. Selon une interprétation assez commune aux philosophes français du milieu du xixe siècle, Kant, sceptique en métaphysique, fut dogmatique en morale et reprit d’une main ce qu’il avait lâché de l’autre. Cette lecture, qui est celle de Victor Cousin54, puis de Jules Barni, l’un des premiers traducteurs de Kant, permettait d’assimiler une partie de l’héritage kantien au spiritualisme français et de sauvegarder l’indépendance de la philosophie sans froisser les autorités catholiques. La « théologie morale » du kantisme fournissait pour cela un bon appui : il suffisait de la renforcer et d’aller chercher dans les postulats moraux de quoi justifier les places respectives de la philosophie et de la religion, ces deux sœurs incarnant l’une le devoir, l’autre l’espérance55. Mais d’autres auteurs se montrent beaucoup plus critiques envers la morale de Kant. Schopenhauer dénonce un recyclage des idées théologiques de loi et de commandement sous une apparente déduction rationnelle qui conduit Kant à se mystifier lui-même56. Proudhon ironise sur le « saut de carpe » par lequel « l’incomparable Kant, après avoir renversé par sa critique de la raison pure toutes les prétendues démonstrations de l’existence de Dieu, l’a retrouvée dans la raison pratique »57. De son côté, Comte n’hésite pas à parler à ce propos d’« hypocrisie ». Cependant, il prend du recul et replace Kant dans son contexte historique : le cas de Kant illustre ce qui arrive quand l’esprit théologico-métaphysique continue à jouer un rôle dominant dans le domaine moral en un temps où il est devenu impossible d’empêcher l’exercice de la raison chez les esprits cultivés. Il résulte de cette situation « une sorte d’hypocrisie collective » car alors, pour maintenir le peuple dans la soumission à l’autorité religieuse, une pression s’exerce sur les penseurs pour les contraindre d’affecter le respect des croyances. Kant ne fait que refléter cette situation équivoque, lui qui, après avoir solidement établi que les idées théologiques ne comportent aucune possibilité de démonstration, soutient avec force la nécessité de maintenir indéfiniment leur emprise58. Pour Comte, la connaissance des lois de l’histoire oblige à porter sur les hommes comme sur les périodes un jugement équitable59. Kant bénéficie donc de circonstances atténuantes : il s’est trouvé entraîné sur cette pente dangereuse « quoique sa haute moralité fût vraiment digne de son éminente intelligence » (le sage de Königsberg est immortalisé dans le calendrier positiviste où il a Fichte pour adjoint). L’exemple de Kant est un argument supplémentaire pour accélérer l’harmonisation de l’opinion et mettre en adéquation les pensées, les sentiments et les institutions, car aucun projet de réorganisation impliquant le peuple ne peut se construire sur la base du mensonge et du mépris des supérieurs envers les inférieurs. Si Kant n’est pas blâmable à titre personnel, son exemple n’en montre pas moins aux intellectuels ce qu’ils doivent éviter de faire. Dans le contexte du positivisme religieux, Comte pensera régler le problème en ajoutant à la maxime morale « Vivre pour autrui » cette autre maxime fondamentale, « Vivre au grand jour »60, qui ne manquera pas d’être critiquée par la suite comme une exigence abusive et inquiétante de transparence absolue.

  • 61 CG, V, p. 120.
  • 62 Voir le rejet de cette notion par son disciple le député Maurice Ajam dans le débat sur l’Alsace-Mo (...)

33L’emprise de l’esprit métaphysique sur les Allemands se reflète dans ce que Comte appelle « le panthéisme germanique »61 (sans doute en référence aux disciples de Hegel et Schelling et à la fameuse querelle du panthéisme dont Victor Cousin avait été la cible) et qui fait pendant au déisme français. La métaphysique, explique Comte, est ce mode d’explication qui, ayant remplacé les volontés divines par des entités, concentre celles-ci dans une grande entité générale, qui triomphe au xviiie siècle : la Nature. Substituée au créateur suprême, la Nature suscite une espèce de culte, plus abstrait et élitiste que le culte chrétien, mais au fond non moins incompatible avec le positivisme, puisqu’il repose sur un fondement fictif. Comte analyse la percée de l’athéisme au xviiie siècle comme un moment de décomposition avancée du système social catholique et non comme un moment fondateur. L’athéisme n’est même souvent que l’habillage d’une philosophie qui n’ose s’avouer comme une régression vers « un fétichisme vague et abstrait » (SPP, I, p. 48). Le père du positivisme tient d’autant plus à se démarquer d’un tel courant que le rejet de la croyance en Dieu – qu’il partage avec lui – présente un risque d’amalgame. Dans ses aspects les plus systématiques et religieux, le positivisme conserve la distinction entre le vivant et l’inorganique. Nier ce dualisme à l’époque moderne, c’est rétrograder. Tandis que le fétichisme accompagna les premiers efforts théoriques de l’humanité, cette « savante parodie » qu’est le panthéisme actuel pousse la raison vers « une ténébreuse rétrogradation » (SPP, I, p. 440). En réalité, le « panthéisme ontologique » (C, 55e l., p. 446) n’est qu’un avatar de la « théologie métaphysique » dont il conserve la négativité. Lorsqu’il apparaît dans une doctrine, il est à mettre au compte des « aberrations métaphysiques ». Du protestantisme à ce panthéisme qui est la phase extrême de la philosophie négative, la philosophie allemande peut donc être désignée comme profondément métaphysicienne : profondément mais non pas irréductiblement, car c’est un enchaînement de phénomènes historiques ou sociaux qui a produit cet état de fait, et non une quelconque propriété interne à « l’âme d’un peuple »62.

  • 63 J.-F. Braunstein, « Comte, de la nature à l’humanité », in Olivier Bloch (dir.), Philosophie de la (...)
  • 64 Il est intéressant de lire, en parallèle, le chapitre où G. de Staël décrit les effets de l’idéalis (...)

34Malgré cette critique de l’idée de Nature, Comte trouve certains mérites à la Naturphilosophie, qu’on appelle alors en France le « naturisme ». Il aborde cette école philosophique à travers Lorenz Oken, qu’il connaît principalement grâce à Blainville et dont il a pu lire l’Esquisse du système d’anatomie, de physiologie et d’histoire naturelle parue en français en 1821. Oken a son nom dans le calendrier. Lorsque Comte, en février 1850, ajoute Blainville (qui vient de mourir) comme adjoint de Lamarck au mois de Bichat (la science moderne), cette promotion ne fait aucun tort à Oken qui au contraire « monte en grade » puisqu’il devient « adjoint de Buffon » (CG, V, p. 128). Les naturistes allemands sont crédités d’un esprit synthétique et généralisateur qui, d’après Comte, est plus prononcé en Allemagne qu’ailleurs. Comte apprécie chez Oken l’esprit de système et le goût des classifications, et il le félicite aussi d’avoir compris que la méthode comparative est la méthode fondamentale en biologie. L’anatomie comparée lui permet, ainsi qu’à Goethe, d’élaborer « la saine théorie anatomique » (C, 45e l., p. 866) qui fait du crâne un prolongement de la colonne vertébrale, laquelle est le véritable centre du système nerveux. Oken a bien montré le rôle de l’air et de l’eau dans le milieu des êtres vivants. En revanche, Comte déplore chez le savant allemand une simplification excessive fondée sur l’hypothèse vague d’un principe d’économie de la nature qui revient à prendre nos désirs pour la réalité. La réduction du nombre des éléments chimiques se recommande à tort d’Aristote qui au contraire « n’hésita point à compliquer l’idée abstraite qu’on se formait auparavant de la matière, uniquement pour la rendre plus réelle » (C, 36e l., p. 593). Les naturistes allemands poussent les comparaisons jusqu’à identifier la « vie » et l’« activité spontanée », mais comme tous les corps naturels sont actifs, ils ne peuvent attribuer au concept de vie « aucune signification scientifique nettement déterminée » (C, 40e l., p. 679). Comme le montre J.-F. Braunstein dans un article consacré à ce thème, Comte reproche finalement à Oken « de se prononcer sur la nature des êtres au lieu de se contenter d’en décrire les réalités phénoménales à partir des sciences constituées »63. En résumé, il faut partir des sciences pour faire de la philosophie et non l’inverse64.

  • 65 Voir E. Troeltsch, Die Dynamik der Geschichte nach der Geschichtsphilosophie des Positivismus, Berl (...)
  • 66 « Une des grandes erreurs de ce siècle est de croire […] qu’on peut faire une constitution comme un (...)

35Comte est également attentif aux évolutions de l’Allemagne dans le domaine des études historiques, qui, explique-t-il, progressent depuis Bossuet vers des vues d’ensemble de moins en moins soumises au providentialisme. Ses références essentielles vont à Herder et – comme cela n’a pas échappé à Ernst Troeltsch65 – à l’école du droit historique de Friedrich Carl von Savigny, dont Comte a eu connaissance en 1824 par l’entremise de son ami Gustave d’Eichthal. Dans sa lettre à d’Eichthal du 5 août 1824, Comte distingue deux écoles allemandes : l’école « métaphysique » et l’école « historique » dans laquelle il range Herder, Buchholz, Heeren, Savigny et Meyer (CG, I, p. 104-110). Certes, Comte n’a pu avoir qu’un aperçu de leur œuvre ; mais Madame de Staël avait déjà contribué à introduire en France les idées de Herder, et Guizot, qui avait lu Herder, en parlait à Comte sur un ton élogieux (CG, I, p. 105). Pour Herder, chaque culture nationale constitue un tout organique qu’il faut étudier comme une réalité spécifique qui est à soi sa propre fin. L’idée génétique de germination et de croissance s’oppose aux constructions politiques échafaudées sur des bases préconçues et plaquées artificiellement sur le destin des peuples. Comte, qui, à l’instar de Maistre66, jugeait vaines les structures politiques confectionnées de toutes pièces selon des plans arbitraires, ne pouvait qu’être sensible à une telle idée. Comme Herder, Comte refuse d’assujettir le jugement historique à une rationalité niveleuse et orgueilleuse, qui jette le discrédit sur l’ensemble d’une époque ou sur la vie d’un peuple. Il va moins loin que Herder dans le rejet des Lumières puisqu’il conserve le schéma qui place la modernité européenne au point d’aboutissement de la rationalité, mais son organicisme social et son idée relativiste de la philosophie de l’histoire sont des motifs de rapprochement.

  • 67 Sur les rapports de l’école historique du droit avec la notion de Volksgeist, voir Simone Goyard-Fa (...)

36L’école du droit historique allemand marque peut-être un progrès encore plus frappant du fait que, depuis le xviiie siècle, les juristes forment, selon Comte, la classe métaphysique par excellence. Savigny et les autres fondateurs de cette école, Gustav Hugo et K. F. Eichhorn, critiquent le rationalisme juridique de l’Aufklärung en invoquant eux aussi le caractère génétique des institutions. Savigny définit le droit comme « moment de la vie d’un peuple » et condamne l’esprit du Code Napoléon en reprochant à ses rédacteurs d’avoir vidé le droit de sa source vive. Dans la continuité des idées de Herder, il soutient que le droit n’est pas une réalité autonome, uniquement livrée aux décisions législatives, mais qu’il est un élément d’une structure riche et articulée, comprenant en outre les langues, les coutumes et la religion. Le droit coïncide à chaque moment avec l’esprit du peuple qui s’incarne dans le système tout entier de la culture67. Il ne s’agit plus de créer des lois nouvelles d’après les principes de la raison, mais d’expliquer ce qui existe grâce à une archéologie permettant de mettre au jour le caractère organique du droit. Comte note, en 1824, que cette manière historique de traiter la législation s’oppose à la manière « métaphysique » représentée par les théories du contrat social et des droits de l’homme (CG, I, p. 133-138). Dans les Considérations philosophiques sur les sciences et les savants, il mentionne, à côté de Kant et de Herder, « une école qui conçoit la législation comme toujours déterminée nécessairement par l’état de la civilisation » (CPSS., p. 156-157). Il y revient dans le Cours lorsqu’il évoque « une école spécialement qualifiée d’historique et qui, en effet, a pris pour tâche de lier, à chaque époque du passé, l’ensemble de la législation avec l’état correspondant de la société » (C, 47e l., p. 98). Savigny ne pouvait pas avoir son nom dans le calendrier puisqu’il mourut en 1861. En revanche, Herder y figure comme « adjoint » de Vico.

  • 68 Comte retient notamment ce que Winckelmann dit au sujet des beaux-arts : « qu’une prévention favora (...)
  • 69 On trouvera une comparaison plus approfondie dans notre ouvrage : Laurent Fedi, Comte, Paris : Les (...)

37Pour achever cet inventaire, on remarquera la présence, dans le calendrier comtien, de Winckelmann68 (dans les noms accessoires) et de Hegel (dans les noms quotidiens). Comte s’est peu exprimé sur Hegel, mais les échos qui lui étaient parvenus lui avaient sans doute laissé entrevoir d’importantes analogies avec sa propre démarche. De fait, les affinités sont notables. L’avènement de la sociologie comme aboutissement des progrès d’un sujet général qui, parvenu à son état définitif, se prend lui-même pour objet, rappelle Hegel qui restitue le mouvement de l’esprit universel s’accomplissant dans la culture selon un processus qui élève la conscience jusqu’à sa détermination finale dans un savoir où l’objet et le sujet (là aussi) coïncident. L’incorporation du fétichisme au positivisme dans la Synthèse subjective pourrait même évoquer pour nous l’idée hégélienne selon laquelle le processus d’aliénations et de reconquêtes de l’esprit, tout en conduisant jusqu’au savoir final, le présuppose comme l’élément vivifiant les déterminations antécédentes et s’auto-posant par leur entremise. Pour autant, il serait assez problématique de présenter Comte comme un « Hegel français ». En effet, l’hégélianisme est un monisme spéculatif axé sur l’absolutisation de la conscience dans l’élément du savoir absolu entendu comme concept général de la science. Or dans le savoir total qu’est le savoir absolu, c’est la forme de la conscience, la différence du sujet et de l’objet, qui disparaît, tandis que la sociologie comtienne, au contraire, demeure un savoir relatif, limité par son objet : l’humanité. En poussant l’interprétation assez loin, on pourrait presque voir dans la revendication de la distinction du sujet et de l’objet, dualisme irréductible, le drame de la conscience scientifique qui appelle une « religion » (voir le drame de l’humanisme athée selon de Lubac). Hegel, lui, n’est pas un fondateur de religion : il mène jusqu’à son terme spéculatif l’identité « divine » du moment humain et du moment divin de l’esprit69.

Quand l’Allemagne devient… le cinquième élément

  • 70 Cf. notamment Plan, p. 91, Cours, 57e l., p. 665.

38Pour Comte, la marche de l’humanité, qu’il convient d’étudier dans son unité de développement, peut être symbolisée par un personnage unique progressant toujours, selon une image empruntée à Pascal et reprise par Condorcet. Mais l’humanité ne progresse pas à la même vitesse dans toutes les parties du monde : la civilisation européenne incarne la trajectoire historique la plus complète et représente ainsi « l’avant-garde » de l’espèce humaine (C, 57e leçon, p. 692), tandis que les autres permettent de retrouver notre évolution à des stades antérieurs de développement (Comte adopte la thèse des comparatistes du xviiie siècle qui cherchaient les traces du passé dans les sociétés primitives ou moins avancées). Le programme positiviste devra donc s’appliquer par étapes. Dans l’hypothèse d’une réorganisation sociale à grande échelle, seules des populations suffisamment avancées et présentant d’assez fortes similitudes pourront participer à la construction d’une république positiviste70. Dans un premier temps, seules les nations d’Europe occidentale sont concernées. Ensuite viendra le tour des pays d’Europe orientale et de la Russie, où les entreprises d’arts et métiers sont encore aux mains de la classe féodale (SA, p. 22), puis le mouvement gagnera l’ensemble de la race blanche avant de s’étendre à la totalité de l’espèce humaine « convenablement préparée » (C, 60e l., p. 782).

  • 71 L’adjectif « synergique » fait pendant à « sympathique » et à « systématique » : dans le système so (...)

39Dans le Système comme dans le Cours, l’intégration des cinq nations occidentales à la république positiviste est planifiée selon le principe d’une participation commune, différenciée, échelonnée. D’une part, les cinq grandes nations ont un rôle à jouer, puisqu’en vertu d’une synergie qui ne s’est pas démentie depuis le Moyen Age, elles forment un ensemble commun, une même civilisation (la notion de « synergie » s’applique aux nations comme aux classes sociales71). D’autre part, l’« homogénéité fondamentale de la population d’élite » n’exclut pas des « différences essentielles entre les cinq grandes nations principales qui la composent » (C, 57e l., p. 692). L’Europe est un tout différencié (on notera que la politique comtienne se fonde toujours sur des différences intégrées). Enfin, ces nations n’ayant pas progressé au même rythme dans tous les domaines, leur intégration doit être échelonnée. Du Cours au Système, Comte applique les mêmes principes, mais il modifie l’échéancier puisque, comme nous le verrons bientôt, l’Allemagne, d’abord placée en troisième position (à la 57e leçon du Cours), est déclassée et tombe au cinquième et dernier rang (au tome IV du Système).

40Dans la 57e leçon du Cours, Comte planifie une première fois la participation des nations occidentales à la réorganisation politique et parvient au classement suivant : France, Italie, Allemagne, Angleterre, Espagne. La position de la France est justifiée par un développement historique plus complet, avec la décomposition du régime monarchique, qui a atteint un point décisif ; l’évolution scientifique et l’évolution esthétique, qui ont acquis un grand « ascendant social » ; le progrès de l’industrie, qui rapproche les forces actives de la nation d’une « véritable suprématie politique » ; enfin, l’unité nationale, qui est une condition de « cette grande initiative européenne » (C, 57e l., p. 693). L’Italie bénéficie de ses atouts artistiques. La philosophie politique du positivisme pourra y faire revivre « les nobles conceptions du moyen âge sur la théorie universelle de l’organisme social d’après la séparation fondamentale des deux puissances élémentaires » (C, 57e l., p. 688). Pour les trois autres nations, le choix est plus difficile. Comte estime que la population allemande est « la mieux disposée aujourd’hui » (C, 57e l., p. 694). On notera qu’il s’agit d’un jugement circonstancié, qui pourra par conséquent être reconsidéré au fil des événements. Comte examine les points litigieux et montre comment l’Allemagne l’emporte malgré tout sur l’Angleterre : esprit militaire et religieux socialement moins prégnants, protestantisme moins ancré politiquement et moins universel, gouvernement monarchique (en Prusse) et non aristocratique (régime particulier à l’Angleterre, la Suède se rapprochant davantage du modèle allemand). Parmi les défauts caractéristiques de l’Allemagne, Comte mentionne la profonde influence de l’esprit métaphysique et la « mystique prédilection pour les conceptions vagues et absolues, directement contraire à toute vraie réorganisation sociale », mais cette tendance, d’ailleurs moins sensible dans l’Allemagne catholique, est en voie de régression. Viennent ensuite les véritables atouts : développement esthétique et scientifique plus poussé qu’en Angleterre, « surtout quant à l’ascendant social qui s’y rattache », supériorité philosophique, même si la métaphysique y est dominante, « précieuse disposition aux méditations générales, maintenant propres à y compenser plus qu’ailleurs les tendances dispersives de nos spécialités scientifiques » (ibid.). Comte avait déjà évoqué cet atout dans la 36e leçon, en présentant « la double faculté de généraliser et de systématiser » comme une qualité éminemment philosophique qui est aussi caractéristique du « génie allemand » que la clarté et la positivité sont caractéristiques du « génie français » (C, 36e l., p. 593 n).

  • 72 De Jaucourt, article « Génie » de l’Encyclopédie, t. VII, 1757, p. 581.
  • 73 Montesquieu, Lettres persanes, CXXXI.
  • 74 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 75. Les différences de climat sont souvent avancées, bien qu (...)
  • 75 Ces caractérisations étaient des lieux communs. Voir par exemple G. de Staël : « Les ouvrages des A (...)

41Le concept de « génie propre » des nations mériterait à lui seul une longue analyse. Les génies romains avaient pour fonction de garder les hommes. Par extension, on parle de génie des lieux, de génies des peuples, de génies des villes72. Depuis le xviiie siècle (et indépendamment de la philosophie de Herder), ce terme désigne, chez les auteurs français, une disposition d’esprit (on parle en ce sens de « génie étroit ») ou un ensemble de caractéristiques qui s’applique aux peuples (« génie romain », « génie persan »…), aux siècles, aux religions (« génie du christianisme ») et aux littératures. Le génie d’un peuple est un concept assez souple pour accueillir des conceptions tantôt descriptives, tantôt explicatives (comme celles fondées sur le climat), ou encore mêlant les deux registres. Le génie d’un peuple est de l’ordre de la prédisposition ou (parfois indistinctement) de l’ordre des dispositions acquises à travers les habitudes, la langue, les gouvernements et les traditions de toutes sortes. Montesquieu a popularisé cette notion en relation avec sa théorie du climat : « il semble que la liberté soit faite pour le génie des peuples d’Europe et la servitude pour celui des peuples d’Asie »73 (on sait que Comte relativise l’influence du climat, critiquant Montesquieu sur ce point). Bien des propositions qui en découlent constituent pour nous des stéréotypes (« la profondeur des Allemands » et « le bon goût des Français »74). Si Comte n’échappe pas aux stéréotypes, il leur donne cependant une portée très particulière puisque la diversité européenne coïncide chez lui avec les différentes facettes de la positivité : utilité, scientificité, primat de l’affectif, etc. Ces caractéristiques sont énumérées dans la 60e leçon : prépondérance philosophique et politique de la France, réalisme et utilitarisme de l’Angleterre, esprit de généralité et de système de l’Allemagne75, spontanéité esthétique de l’Italie, sentiment de dignité personnelle et de fraternité universelle de l’Espagne (C, 60e l., p. 787). En définitive, l’Allemagne prend place au milieu de la série. Son développement industriel, moins avancé qu’en Angleterre, est plus indépendant de l’aristocratie et, par conséquent, plus près de son but social. Là encore, la comparaison joue en sa faveur. Quant à l’absence d’unité politique, on peut certes la voir comme un handicap, mais aussi bien comme une motivation en faveur d’un pouvoir spirituel fédérateur (C, 56e l. p. 694). L’Angleterre arrivera donc après l’Allemagne, et l’Espagne occupera le cinquième rang.

  • 76 H. Gouhier, La vie d’Auguste Comte, p. 230.
  • 77 W. Lepenies, Auguste Comte. Le pouvoir des signes, p. 111.

42A la suite de « l’année sans pareille » (1845, l’année de sa passion pour Clotilde de Vaux) et sous l’effet de la révolution de 1848, Comte remanie le positivisme et lui donne une dimension religieuse. Comme l’indique H. Gouhier, « sa mission reste la même, mais les conditions historiques de son accomplissement sont changées »76. Comte en est désormais convaincu : le centre de l’existence humaine n’est pas intellectuel mais affectif ; la religion apporte une unité et un lien, elle assure une régulation permanente et permet de faire prévaloir l’altruisme sur l’égoïsme (« la personnalité » étant une tendance initialement plus forte que « la sociabilité »). La science et l’art convergent dans la morale, qui règle la nature humaine. L’existence humaine consiste à connaître, à aimer et à servir le « Grand Etre » (l’Humanité). Le projet politique proprement dit se précise, et prend forme dans ses moindres détails. Le système politique sera une « sociocratie », terme qui convient mieux que « démocratie » à un régime fondé sur des compétences reconnues et une soumission consentie. L’Occident se composera de soixante-dix républiques, chacune regroupant trois cent mille familles. La France sera partagée en dix-sept « intendances » dotées de magistratures locales (police et justice). Le pouvoir spirituel exercera son rôle de régulateur et de conseiller en lien avec sa mission éducative. Comte est persuadé que le positivisme est appelé à se répandre, comme jadis le christianisme, et qu’avant 1860 il aura sa chaire à Notre-Dame. Vision extravagante peut-être, sauf si l’on se souvient de Robespierre présidant au Panthéon la cérémonie dédiée à l’Etre suprême et à la nature, avec un bouquet de fleurs et un épi de blé à la main. Comme le souligne Wolf Lepenies, « les conceptions de Comte apparaissent immédiatement sous un tout autre jour quand on les voit non plus comme un catholicisme affadi, mais comme le prolongement d’une tradition politique révolutionnaire, dont les partisans savaient que, pour mobiliser les masses, on ne peut renoncer à la religion »77.

  • 78 H. Gouhier, La vie d’Auguste Comte, p. 232.
  • 79 En termes clairs, les peuples du Nord ont préparé la crise finale (par le travail de l’esprit criti (...)

43Comte reprend les structures du catholicisme pour former le cadre social de la nouvelle religion et interprète les motifs catholiques comme des anticipations de vérités positives qu’il suffira de transposer en leur donnant une orientation terrestre. « Lorsqu’il entre dans la Cité de Dieu, écrit Gouhier, Comte n’est pas dépaysé : Dieu n’est plus là, mais l’homme demeure »78. Comte voit par exemple dans le culte de la Vierge, qui s’épanouit au xiie siècle, la préfiguration du culte de la femme et de l’Humanité, ou, selon ses termes, « une idéalisation spontanée de l’Humanité d’après l’apothéose de la Femme » (CG, VII, p. 238). En rejetant la Vierge au profit de Dieu, le protestantisme aura fait un pas en arrière et détourné la religion de sa signification véritable qui est humaine et non surnaturelle. Cette valorisation rétrospective du catholicisme incite Comte à privilégier désormais les populations catholiques du Midi, considérées comme étant finalement plus près du but que les peuples du Nord : « la commune régénération doit commencer au Midi, malgré la tendance des trois derniers siècles à changer l’ordre d’évolution déterminé par l’ensemble du passé » (SPP, III, p. 379)79.

  • 80 Dans une lettre du 26 décembre 1849 à Benedetto Profumo, Comte dresse ce premier bilan de la diffus (...)
  • 81 Voir Mary Pickering, Auguste Comte. An intellectual biography, Cambridge University Press, 2009, vo (...)
  • 82 Lettre de Comte à Laffitte, 25 septembre 1850, CG, V, p. 201.

44Comte est donc amené à réviser son classement des pays occidentaux. Toutefois, contrairement à ce que pourraient laisser croire ses idées sur le protestantisme, il n’a pas réévalué le cas allemand d’un seul jet. Il lui a même fallu plusieurs années, et quelques déconvenues, pour placer l’élément germanique au dernier rang. L’examen de sa correspondance – la seule source dont nous disposions sur ce sujet – permet d’en faire la démonstration. A la fin de l’année 1849, Comte croit encore pouvoir dire que le positivisme a fait son entrée en Allemagne, songeant sans doute à ses relations avec Adolphe von Ribbentrop et August Hermann Ewerbeck80. Mais les contacts que Littré et Ewerbeck tentent d’établir avec Georg Friedrich Daumer et Ludwig Feuerbach81 ne donnent aucun résultat. Comte comprend alors que le positivisme n’a pas atteint les philosophes allemands. Les nouveaux hégéliens « ne sont pas encore sortis réellement de la fluctuation métaphysique » : « M. Daumer en est à désirer une doctrine naturelle, à la fois philosophique et religieuse, fondée sur la conception stoïcienne de l’âme du monde ! »82. Mais tous les espoirs demeurent :

« Puisque le positivisme leur a été totalement inconnu jusqu’ici, il y a lieu d’espérer qu’il trouvera un digne accueil parmi eux, en attendant qu’il puisse atteindre jusqu’aux prolétaires germaniques » (Lettre de Comte à Laffitte, 2 octobre 1850, CG, V, p. 203).

  • 83 Comte va ensuite associer de plus en plus souvent protestantisme et déisme. Cf. par exemple CG, VI, (...)

45Un penseur comme Feuerbach lui paraît toutefois trop âgé et déjà trop notoire pour épouser une doctrine qu’il n’aurait pas élaborée lui-même. Dans une lettre à Audiffrent du 9 mars 1851, il souhaite voir se développer les foyers méridionaux, qui, précise-t-il, ne risquent pas d’être détournés du positivisme par « la métaphysique protestante ou l’industrialisme excessif »83. Et cependant, même dans les pays protestants, rien ne lui semble perdu :

« […] chez ces peuples anti-affectifs, les femmes nous deviendraient bientôt favorables si nous pouvions agir sur elles séparément des hommes. Car elles n’ont jamais été protestantes que par soumission, tant l’essor métaphysique est antipathique à leur nature, en exceptant les bas-bleus qui ne sont d’aucun sexe » (CG, VI, p. 33).

46Il faudrait donc pouvoir s’adresser directement aux femmes allemandes : les femmes et les prolétaires constituent le socle du positivisme social (CP, p. 299), mais l’efficacité des idées philosophiques passe normalement par l’adhésion d’une élite intellectuelle qui les propage ensuite à l’intérieur du pays. Dans la lettre-manifeste du 20 décembre 1852 au tsar Nicolas, Comte prévoit un intervalle d’une demi-génération entre l’avènement du positivisme en France et son introduction en Italie, en Espagne, puis en Allemagne et en Angleterre. Remarquons que l’Espagne a été reclassée, mais que l’Allemagne arrive encore devant l’Angleterre. La lettre à Dix-Hutton du 8 décembre 1853 le confirme. Comte se plaint de la réticence des métaphysiciens allemands qui « montent assidûment la garde » (CG, VII, p. 148), mais continue à penser que les Allemands, parce qu’ils ont « mieux conservé la tendance aux conceptions générales et l’aptitude aux sentiments désintéressés », deviendront probablement positivistes avant les Anglais (« les Germains » avant « les Bretons », CG, VII, p. 148‑149). Par conséquent, si l’Espagne devance à présent l’Allemagne, il faut attendre le tome IV du Système (commencé en janvier 1854) pour que celle-ci passe derrière l’Angleterre. C’est là un témoignage de la haute idée que Comte se fait des qualités du peuple allemand.

  • 84 Lettre à Pierre Laffitte du 2 octobre 1849, CG, V, p. 94. Il revient sur la question en 1852 pour p (...)
  • 85 Comte vante l’aptitude esthétique des Hollandais et la qualité de leurs mœurs industrielles et se m (...)

47Le tome IV du Système présente un nouveau classement : France, Italie, Espagne, Angleterre, Allemagne. Comte justifie celui-ci par des arguments détaillés, n’hésitant pas à s’expliquer sur les changements auxquels il a dû procéder. La nation italienne, « la plus esthétique de toutes les populations » doit son rang notamment à la prééminence poétique et musicale de sa langue, qui pourra être pratiquée dans tout l’Occident. La question de l’unité politique ne se pose plus : Comte souhaite que l’Italie se libère de la domination autrichienne et s’intègre directement à l’harmonie universelle. A l’occasion des soulèvements patriotiques de 1848-1849, il avait déjà opposé la perspective d’« une salutaire indépendance » à celle d’une « oppressive unité »84. Au sujet de l’Espagne, Comte fait son autocritique et s’accuse d’avoir été dans le Cours « trop préoccupé de motifs théoriques et pratiques ». Il rétablit cette nation à la place qui lui revient en fonction de ses atouts : digne appréciation des femmes, sens de la fraternité concilié avec l’obéissance, supériorité morale et sociale sur les peuples protestants, admirable disposition à accepter la présidence française. L’Espagne arrive donc au second rang. Les deux principaux obstacles qu’il lui reste à surmonter pour participer à la république occidentale sont l’inhumanité de la colonisation et l’impréparation de ses prêtres. Comte s’explique également sur la promotion de l’Angleterre. Certes, la colonisation et l’esclavage, l’anglicanisme et la fonctionnarisation des métaphysiciens (rémunérés sur le budget ecclésiastique), sont autant de points faibles. Mais les idées positivistes ont été philosophiquement mieux accueillies en Angleterre que dans leur pays d’origine. Le mérite des Anglais n’en est que plus grand : « les esprits britanniques ont dû noblement surmonter les justes répugnances qu’y suscitait mon premier classement des éléments occidentaux » (SPP, IV, p. 491). L’appréciation initiale qui leur était défavorable a donc joué le rôle de mise à l’épreuve : les Anglais ont ainsi pu faire leurs preuves et montrer au chef d’école qu’ils méritaient sa confiance. Les Allemands font désormais les frais de la comparaison : la résistance des Allemands à l’importation du positivisme contraste avec son succès aussi inattendu en Angleterre. Pour Comte, les obstacles ou les relais rencontrés dans la diffusion du positivisme sont des faits sociologiques qui doivent aussi recevoir une explication. Le bilan des Allemands est donc révisé à la baisse : ils n’ont pas de colonies mais oppriment des Occidentaux plus avancés qu’eux (allusion aux Italiens sous domination autrichienne) ; moins dégagés que les Anglais du régime militaire et de l’état théologico-métaphysique, « ils parviendront les derniers au terme général de la révolution moderne » (SPP, IV, p. 490). Comte établit un parallèle entre cette situation et celle des anciens Germains, tardivement romanisés et plus lentement intégrés à la société féodale (SPP, II, p. 379 ; IV, p. 490). L’Allemagne aurait conservé son rang initial si elle avait été au niveau de ses avant-gardes hollandaise et suédoise85. Mais « la maladie ontologique inhérente au protestantisme » y est trop répandue pour ne pas constituer un obstacle redoutable à l’instauration du positivisme. Surmonter un pareil obstacle est un défi à relever. Comte souligne qu’une telle réussite serait « le principal triomphe du positivisme » (SPP, IV, p. 497).

  • 86 SPP, IV, p. 500.
  • 87 Le positivisme avait pris racine à La Haye, Aberdeen, Londres et Bruxelles.

48Les conditions qui rendront possible le ralliement de l’Allemagne au positivisme sont détaillées. Actuellement, ce sont les intellectuels allemands qui posent problème, car ce sont eux qui barrent la route au positivisme. Moins bien entretenus par les pouvoirs que leurs homologues anglais, ils ont une plus grande influence spirituelle et sont aussi plus éloignés des masses. Détourner le peuple allemand des « sophismes pédantocratiques » supposerait que l’on s’adressât directement au prolétariat. Comte espère, comme Marx, que les prolétaires allemands joueront prochainement un rôle politique, mais, à la différence de ce dernier, il mise en priorité sur les hommes d’Etat, directement concernés par la perspective d’une solution organique face au risque croissant d’insurrection. Le positivisme se heurte à la « situation » des Allemands et à leur faible conscience historique, due à un passé moins ancien et moins susceptible d’enrichir une mémoire collective (la culture allemande n’a pas de source grecque et ses origines théocratiques ne remontent qu’à « l’ébauche scandinave »86). Comte est conforté dans son jugement par la difficulté qu’il rencontre à faire accepter le calendrier positiviste chez les Allemands, alors que ceux-ci n’y sont pas moins représentés, loin s’en faut, que les Espagnols, qui s’y montrent plus accueillants. Malgré ces difficultés, il ne désespère pas de voir un jour le cinquième élément occidental se convertir au culte de l’Humanité. Les Allemands possèdent déjà une aptitude à « l’adoration abstraite » et l’influence hollandaise (grâce au foyer positiviste de La Haye87) pourrait jouer, comme on l’a vu par le passé, un rôle décisif. A terme, l’esprit positif triomphera de l’esprit métaphysique et l’école positive remplacera les « universités ontologiques » (SPP, IV, p. 500).

Du romantisme au positivisme : deux visions de l’Allemagne

  • 88 Edgar Quinet, Allemagne et Italie. Philosophie et poésie, Bruxelles : Hauman, 1839, t. I, p. 44.
  • 89 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 93.
  • 90 G. de Staël, De l’Allemagne, t. I, p. 47.
  • 91 Lettre de G. de Staël à L.-P. Bérenger du 25 novembre 1808, Correspondance générale, t. V, texte ét (...)
  • 92 G. de Staël, De l’Allemagne, II, p. 141.
  • 93 Comte apprécie cette phrase de Madame de Staël : « Il n’y a rien de réel au monde qu’aimer » (cf. C (...)
  • 94 G. de Staël, De la littérature, p. 186.
  • 95 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 255.

49En 1839, Edgar Quinet remarque, sans d’ailleurs s’en étonner, que la représentation que les Français se font de l’Allemagne demeure tributaire de l’image forgée par Madame de Staël au début du siècle. Pour les classes cultivées du moins, l’Allemagne reste « un pays d’extase, un rêve continuel, une science qui se cherche toujours, un enivrement de théorie, tout le génie d’un peuple noyé dans l’infini »88. Soulignant la « tendance vers le spiritualisme » des peuples du Nord89, Staël décrivait l’Allemagne comme la « patrie de la pensée »90, un pays où le sentiment religieux est ravivé conjointement par l’idéalisme métaphysique et par l’inspiration poétique, un pays où se manifeste encore « de l’enthousiasme rêveur »91. « La nation allemande peut être considérée comme la nation métaphysique par excellence »92. De l’Allemagne, Comte se fait une image à la fois proche et différente. Pour lui également, c’est une terre d’élection de l’esprit métaphysique, spéculatif et abstrait. Mais il y voit plutôt un obstacle qu’un avantage, la marque d’un retard historique et non d’une supériorité sur le matérialisme des Français. Cette inversion des signes est symptomatique d’une divergence radicale de points de vue, même si Madame de Staël reste une source possible, comme en témoigne sa présence dans le calendrier positiviste93. Pour cette protestante éclairée, fille du xviiie siècle et fervente lectrice de Rousseau, le pays de Lessing et de Kant réalise la conciliation de la raison et du sentiment, de l’esprit des Lumières et de l’esprit religieux. A ses yeux, « ce qui donne en général aux peuples modernes du nord un esprit plus philosophique qu’aux habitants du midi, c’est la religion protestante que ces peuples ont presque tous adoptée »94. Le protestantisme « étant beaucoup plus favorable aux lumières que le catholicisme »95, la philosophie allemande chemine dans la bonne direction. Comte pense exactement le contraire : la forte aptitude des Allemands à la philosophie ne doit rien au protestantisme, car ce n’est ni la capacité de douter ni le libre examen qui constitue le principal atout des Allemands, mais leur sens des généralités et leur esprit systématique.

  • 96 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 165.
  • 97 Comte n’aurait eu aucune peine à montrer que l’explication du destin d’un peuple par son identité p (...)

50L’opposition entre idéalisme et philosophie de l’expérience, qui restait la ligne de clivage déterminante à l’époque des Idéologues, notamment pour défendre une philosophie nationale qui fût, somme toute, dans la continuité des Lumières, disparaît dans le positivisme au profit d’une autre distribution, qui découle de la loi des trois états. Madame de Staël peinait à expliquer que l’Allemagne, pays métaphysique et rêveur, connût autant de progrès scientifiques et techniques96. L’image de l’Allemagne qu’elle avait forgée ne cadrait pas avec cette réalité. Comte échappe à ces incohérences en étudiant le conflit des tendances théologique, métaphysique et positive, c’est-à-dire en opposant une conception dynamique des sociétés à une conception essentialiste et statique des nations97.

  • 98 Voir H. Heine, L’école romantique, trad. P. Pénisson, Paris : Cerf, 1997, p. 132-133.

51Pour un Français de la monarchie de Juillet, l’Allemagne romantique a deux visages : il y a celle de Werther et des égarements de l’enthousiasme, popularisée par Staël, et celle, orageuse et inquiétante, des Nibelungen et des forces telluriques, contre laquelle Heine mettait en garde le public français98. Comte ne se laisse fasciner par aucune de ces représentations. Les beautés du massif du Harz échappent sans doute à ce philosophe pour qui la nature n’a pas de valeur intrinsèque. Mais l’admirateur d’Alessandro Manzoni et de Walter Scott aurait pu trouver quelque charme au romantisme moyenâgeux de ses contemporains allemands (Novalis, Tieck, Arnim). La sensibilité romantique de Comte réside en effet dans son sens de l’Histoire, dans une vision historique qui inclut sa propre théorisation (l’auteur théorisant les événements de sa vie et intégrant ceux-ci à sa construction philosophique, elle-même conçue comme un grand opéra). Sa vision grandiose et prophétique peut être comprise comme une réaction à l’individualisme et au rationalisme abstrait et comme la recherche d’une nouvelle synthèse qui colmate les brèches de la modernité en l’inscrivant dans le temps long, sans renier la signification profonde des ruptures. On notera que ces ruptures sont également intégrées et « dialectisées » dans le romantisme allemand, qui peut s’interpréter comme aspiration à une vie organique où la fusion de la philosophie et de l’esthétique serait enfin réalisée. Comte se représentait lui-même comme « l’organe individuel dont l’Humanité se sert pour systématiser sa destinée finale » (CG, VI, p. 295), mais il est certain qu’aveuglé par le sens de sa mission et par son esprit de système, il n’a finalement perçu les cultures nationales qu’à travers le prisme de son projet, sans se soucier davantage de leurs évolutions propres.

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Notes

1 V. E. Pépin, « Terre et peuples. Rôle du facteur géographique sur les formations nationales et les constitutions politiques », Revue Occidentale, n° 1, 1904 (1er janvier), p. 100-101.

2 Le mot est écrit avec un h minuscule dans le Cours et avec une majuscule dans le Système. Quand cela s’impose, nous respecterons la graphie en tenant compte du contexte.

3 Comme Henri gouhier l’a montré dans des études qui ont fait date (La vie d’Auguste Comte, Paris : Gallimard, 1931 et La jeunesse d’Auguste Comte et la formation du positivisme, Paris : Vrin, 1936, 3 vol.), Comte emprunte des idées familières à Saint-Simon (caractère industriel de la société moderne, nécessité d’un nouveau pouvoir spirituel, unité de l’Europe) mais les présente dans une théorie qui définit la civilisation en découvrant le sens de l’histoire. Soucieux de construire sa propre légende, Comte récusa l’hypothèse d’une quelconque influence en faisant passer Saint-Simon pour un détestable charlatan.

4 De la réorganisation de la société européenne ou de la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique en conservant à chacun son indépendance nationale, publié en 1814, est co-signé par Augustin Thierry et Claude-Henri de Saint-Simon. H. Gouhier le considère comme le premier texte méthodique de Saint-Simon et, remarquant que la gravitation universelle n’y joue aucun rôle, en attribue le mérite au secrétaire (La jeunesse d’Auguste Comte…, t. 2, p. 345 et t. 3, p. 80-92). Dans cet écrit de circonstances, Saint-Simon et A. Thierry corrigent le projet de l’abbé de Saint-Pierre pour parvenir à la paix perpétuelle, combinaison de forces particulières et exutoire d’ambitions dépassées. Après l’effondrement de l’empire napoléonien, il s’agissait de proposer une organisation supérieure aux intérêts des nations, une confédération fondée sur un axe anglo-français, appuyée sur des institutions laïques et non sur la religion qui était le levier de la Sainte-Alliance (voir Pierre Musso, Le saint-simonisme, l’Europe et la Méditerranée, Houilles : Editions Manucius, 2008).

5 Juliette Grange, « Auguste Comte, républicanisme et sciences », Zénon, n° 2, 2e semestre 2004, p. 77-93 (citation : p. 88).

6 Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne ou de la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique en conservant à chacun son indépendance nationale, Lausanne : Centre de recherches européennes, 1967, Livre Ier, ch. II. , p. 35. Sur les origines de la société européenne selon Saint-Simon, voir H. Gouhier, La jeunesse d’Auguste Comte…, t. 3, p. 67-68.

7 Joseph de Maistre, Du Pape, Genève : Droz, 1966, Livre second, ch. X, p. 194. Comte avait lu cet ouvrage avec enthousiasme, parce que Maistre pose le problème politique sur le bon terrain, même si la solution qu’il propose est rétrograde.

8 Jürgen Habermas, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz, Paris : Fayard, 2000, p. 110.

9 Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne…, Livre II, ch. I, p. 52.

10 Montesquieu, Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, Œuvres complètes, t. II, Oxford : Voltaire Foundation, 2000, ch. II, p. 342.

11 Voltaire, Histoire de la guerre de 1741, Paris : Garnier Frères, 1971, « Avant-propos », p. 3.

12 Emer de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, Londres, 1758, t. II, Livre III, ch. III, § 47, p. 39-40.

13 Jean-François Braunstein, « Auguste Comte, l’Europe et l’Occident », in Françoise Chenet-Faugeras (dir.) Victor Hugo et l’Europe de la pensée, Paris : Nizet, 1995, p. 193-206.

14 Jean-Jacques Rousseau y voit un facteur de sécurité pour l’équilibre européen (Extrait du projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint-Pierre, Pléiade, p. 572) ; Saint-Simon pense que l’Allemagne, malgré son retard, jouit d’atouts considérables par sa position géographique et les vertus de ses habitants (Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne…, Livre III, chapitre XII, p. 80-81).

15 En allemand : Übergang (Hegel, Die Vernunft in der Geschichte, Hamburg : Felix Meiner Verlag, 1994, p. 65).

16 Voir R. Eucken, « Zur Würdigung Comte’s und des Positivismus », Philos. Aufsätze, Eduard Zeller und seinem 50jährigen Doktor-Jubiläum, Leipzig : Fues’s Verlag, 1887, p. 67-68.

17 Principale pratique institutionnelle du positivisme religieux, la commémoration passe par l’élaboration d’un calendrier, avec des saints laïques et des « sous-saints ». Aux « types de premier ordre » revient le nom des mois. Aux « types de second ordre » sont attribués les dimanches. Les « meilleurs émules du type dominant chaque mois » sont répartis sur les jours de la semaine. Ceux-ci ont pour la plupart un adjoint, sorte de suppléant dont le nom figure en italiques : tous les quatre ans, ces « noms accessoires » remplacent les principaux, pour permettre d’inclure un plus grand nombre de personnages qu’il y a de jours dans l’année.

18 Voir par exemple Montesquieu, Lettres persanes, CXXXVI, Œuvres complètes, texte présenté par Roger Caillois, Paris : Gallimard, « Pléiade », 1949, t. I, p. 335 ; Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, ch. XIX, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, « Pléiade », 1951, t. II, p. 176-182 ; Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (Paris : Garnier, 1963, t. I, ch. IX, p. 303-306).

19 L’abbé Dubos prétendait que les Francs avaient pénétré en Gaule avec la bienveillance des Romains. Montesquieu, contestant cette thèse, affirmait que les lois féodales plongent leurs racines dans les forêts de Germanie. Les Germains ne connaissaient pas les fiefs parce que leurs princes n’avaient pas encore de terres à donner, mais ils avaient des vassaux parce qu’il y avait des hommes fidèles liés par leur parole (Montesquieu, L’esprit des lois, Livre XXVIII, ch. 3 et Livre XXX, ch. 2-3, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, « Pléiade », 1951, t. II, p. 794-795 et 884-885).

20 Par sa conception progressiste de l’histoire, Comte se démarque ici de Bonald pour qui le traité de Westphalie avait consacré « le dogme athée de la souveraineté religieuse et politique de l’homme, principe de toutes les révolutions, germe de tous les maux qui affligent la société […] » (Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social…, p. 37).

21 Saint-Simon et A. Thierry, De la réorganisation européenne…, p. 25-26 (« Aux parlements… »).

22 H. Gouhier, La jeunesse d’Auguste Comte…, t. 3, p. 278.

23 Germaine de Staël, De l’Allemagne, Paris : Garnier-Flammarion, 1968, t. II, p. 244.

24 « Tout l’Occident participe à la décomposition spontanée ; mais la négation systématique ne prévaut qu’au Nord » (CP, p. 289).

25 Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Vrin, 1970, p. 263-346 (« Le monde germanique »).

26 C, 47e l., p. 82, note. On trouve une remarque similaire chez Heinrich Heine : « Dans le Nord de l’Europe et de l’Amérique, c’est-à-dire dans les pays scandinaves et anglo-saxons, d’une façon générale dans les pays germaniques […] la Palestine a pris tant d’influence qu’on s’y croirait transporté parmi les Juifs. Ainsi les Ecossais protestants : ne sont-ils pas des Hébreux, avec leurs noms aux consonances bibliques […] ? Il en va de même dans certaines provinces de l’Allemagne du Nord et au Danemark, sans parler de la plupart des communautés nouvelles des Etats-Unis où l’on singe de façon pédantesque la vie de l’Ancien Testament ». (Heinrich Heine, Ecrits autobiographiques, traduit de l’allemand par Nicole Taubes, postface de Michel Espagne, Paris : Cerf, 1997, p. 48).

27 CG, VI, p. 208.

28 Cours de sociologie ou philosophie de l’histoire professé par M. Auguste Comte au Palais Cardinal en 1850, feuillet 53. Manuscrit inédit (prochainement publié) conservé aux Archives de Sciences Po – Paris (fonds Parodi, sous la responsabilité de D. Parcollet). Cf. les allusions à ce personnage dans C, 55e l., p. 438 et SPP, III, p. 552.

29 Ce courant prend sa source dans les passages où de Maistre critique l’aveuglement de ses contemporains dont les jugements sont faussés par « des préjugés protestants, philosophiques, jansénistes et parlementaires » constituant un « quadruple bandeau » (Du Pape, Livre second, ch. VII, p. 176). L’identité des adversaires se déplace quelque peu au fil du temps mais le protestantisme reste une constante jusqu’à Charles Maurras.

30 SPP, III, p. 551-552 ; IV, 368 ; CG, VII, p. 104.

31 « La vraie nature de cette immense maladie réserve nécessairement aux philosophes son principal traitement ; car elle consiste surtout en une sorte d’aliénation chronique qui, depuis la fin du moyen âge, dispose ici chacun à ne reconnaître, au fond, d’autre autorité que la sienne, du moins envers les questions les plus compliquées et les plus importances » (CG, VI, p. 452). Cf. aussi SPP, IV, p. 368.

32 Charles Maurras, Devant l’Allemagne éternelle, Paris : « A l’étoile », 1937, p. 255.

33 « L’Allemagne n’a pas fait de révolution directe contre ses princes et ses rois, elle en a fait une contre la papauté au XVIe siècle, elle en a entrepris une au XIXe siècle, au XXe contre l’ordre du monde, l’Europe et la civilisation. Sa discipline politique et militaire comme son esprit scientifique, comme aussi la production de quelques personnalités de valeur, ont mis longtemps, trop longtemps, des moyens de réalisation puissants au service de cette idée construite au rebours de la sagesse et de la raison : l’individualisme anarchiste utilisé au profit d’un peuple « (Devant l’Allemagne éternelle, p. 252).

34 Dans sa lecture de l’histoire de France, C. Maurras défend la thèse des romanistes. « Le grand mérovingien, Clovis, se distingue par un acte antigermanique au premier chef ; il renonce aux dieux des germains, il embrasse le culte gallo-romain » (Devant l’Allemagne éternelle, p. 48)

35 C. Maurras, Réflexions sur la Révolution de 1789, Paris : Les îles d’or, 1948, p. 9.

36 C. Maurras s’en prend « au Germain éternel », qui, des barbares antiques à Hitler, en passant par le nationalisme de Fichte, menace la France et la civilisation.

37 C, 56e l., p. 535.

38 On sait que Comte est rebelle au concept de « Renaissance ». Pour lui, le rejet spontané du système catholico-féodal se produisit dans une situation socialement trop confuse pour donner à l’art une orientation originale ; dans ces conditions, les artistes ne pouvaient se raccrocher qu’à « une direction artificielle et précaire » : l’imitation servile de l’antiquité (C, 57e l., p. 647). On notera que l’art allemand du XVIe siècle, en particulier l’art décoratif, était souvent attribué à l’influence italienne et notamment vénitienne. Voir par exemple Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Paris : Garnier, 1963, t. II, ch. CXIX, p. 135-136.

39 Par exemple le mosaïsme qui fait un saut du fétichisme au monothéisme au lieu de passer par l’étape du polythéisme.

40 Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris : Flammarion, 1988, p. 257 ; G. de Staël, De la littérature, Paris : Garnier, 1998, I, 17, p. 236.

41 Bach n’est pas cité. On notera que le choix des compositeurs n’est pas indifférent. Gluck (1714-1787) est né en Bavière et mort à Vienne. Mozart (1756-1791) est né à Salzburg et mort à Vienne. Beethoven (1770-1827) fut élevé dans le catholicisme. Carl Maria von Weber (1786-1826) eut pour maître Michael Haydn, l’organiste de la cathédrale de Salzburg. Haendel (1685-1759) était luthérien, mais il eut pour protecteurs des dignitaires catholiques et fut particulièrement apprécié à Rome. A noter également : Haendel composa des opéras « italiens » et Gluck imita le style de l’école napolitaine. Sur la géographie musicale de l’Europe, cf. G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 255.

42 CPSS, p. 181.

43 C, 57e l., p. 585. Sur le mysticisme comme particularité allemande, cf. G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 270.

44 SPP, III, p. 578. En France, la centralisation prend une tournure rétrograde dans la seconde moitié du règne de Louis XIV : ainsi s’explique le renversement de la royauté un siècle après (CG, VI, p. 241).

45 Voir Pierre Gaxotte, Frédéric II, Paris : Fayard, 1972, ch. IX, p. 284-328.

46 CG, V, p. 130, 199, VI, p. 164, 354, etc.

47 Comte signale qu’il vient de proposer « envers la philosophie positive, un noble patronage public, équivalent à celui que la philosophie négative obtint du grand Frédéric, et même de Catherine II » (Lettre à Audiffrent, 30 décembre 1852, CG, VI, p. 479).

48 Fontenelle, Œuvres complètes, Paris : Fayard, 1994, t. VI, p. 380.

49 Voir L. de Bonald, Essai analytique…, p. 42. On notera que Bonald se représente Leibniz comme « le génie le plus vaste, peut-être, qui ait paru parmi les hommes » (p. 40).

50 Voir Jacques-André Emery, Esprit de Leibnitz ou recueil de pensées choisies sur la religion, la morale, l’histoire, la philosophie, Lyon : Jean-Marie Bruyset, 1772, t. I, préface, p. xxvj.

51 J.-A. Emery, Esprit de Leibnitz , t. II, p. 9-12, p. 65 et suivantes, etc.

52 Comte, Cours, Préface personnelle précédant la 56e leçon, p. 479 note.

53 La construction d’une filiation qui passe par « l’école organique » de Diderot et Condorcet (son « principal précurseur direct ») vise à évacuer la paternité encombrante de Saint-Simon. Dans ce contexte, Comte cite parmi les précurseurs indirects de sa philosophie Hume et « accessoirement » Kant (CG, VI, p. 325).

54 Victor Cousin, Leçons sur la philosophie de Kant, Paris : Ladrange, 1844, p. 355.

55 V. Cousin, Cours de l’histoire de la philosophie moderne, Paris : Ladrange, Didier, t. I, p. 364.

56 Arthur Schopenhauer, Le fondement de la morale, traduit de l’allemand par A. Burdeau, introduction Alain Roger, Paris : Aubier Montaigne, 1978, § 8, p. 74.

57 Pierre-Joseph Proudhon, De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, Paris : Marcel Rivière, 1930, t. I, p. 322.

58 EP, § 52, p. 171-175. Voir aussi SPP, III, p. 606, où Comte évoque « une hypocrisie analogue à celle de Kant qui, malgré ses démonstrations décisives contre la réalité des croyances surnaturelles, s’efforçait sincèrement de les rétablir, au nom de leur nécessité sociale ».

59 Comte critique la réprobation dont fait l’objet tout le Moyen Age et retrouve certains arguments de J. de Maistre (« C’est un insupportable sophisme […] de supposer constamment que ce qui serait condamnable de nos jours, l’était de même dans les temps passés », Du Pape, Livre second, ch. VII, p. 170).

60 Le positivisme religieux comporte deux maximes morales fondamentales : « Vivre pour autrui » et « Vivre au grand jour ». La devise « Ordre et progrès » est conservée mais intégrée à un triptyque qui en donne le sens : « L’Amour pour principe, l’Ordre pour base et le Progrès pour but ».

61 CG, V, p. 120.

62 Voir le rejet de cette notion par son disciple le député Maurice Ajam dans le débat sur l’Alsace-Moselle après 1870 (cf. plus loin dans le présent numéro).

63 J.-F. Braunstein, « Comte, de la nature à l’humanité », in Olivier Bloch (dir.), Philosophie de la nature, Paris : Publications de la Sorbonne, 2000, p. 259-269.

64 Il est intéressant de lire, en parallèle, le chapitre où G. de Staël décrit les effets de l’idéalisme allemand sur les sciences naturelles et le concept de vie (De l’Allemagne, t. II, p. 165-175).

65 Voir E. Troeltsch, Die Dynamik der Geschichte nach der Geschichtsphilosophie des Positivismus, Berlin : Verlag von Reuther und Reichard, 1919, p. 30.

66 « Une des grandes erreurs de ce siècle est de croire […] qu’on peut faire une constitution comme un horloger fait une montre » (J. de Maistre, De la souveraineté du peuple. Un anti-contrat social, texte établi par Jean-Louis Darcel, Paris : PUF, 1992, Livre I, ch. VII, p. 122).

67 Sur les rapports de l’école historique du droit avec la notion de Volksgeist, voir Simone Goyard-Fabre, Les fondements de l’ordre juridique, Paris : PUF, 1992, p. 198-201.

68 Comte retient notamment ce que Winckelmann dit au sujet des beaux-arts : « qu’une prévention favorable est indispensable à leur saine appréciation » (CG, V, p. 181).

69 On trouvera une comparaison plus approfondie dans notre ouvrage : Laurent Fedi, Comte, Paris : Les Belles Lettres, 2e édition, 2004, p. 73-76.

70 Cf. notamment Plan, p. 91, Cours, 57e l., p. 665.

71 L’adjectif « synergique » fait pendant à « sympathique » et à « systématique » : dans le système social comtien, ces trois termes qualifient respectivement les prolétaires, les femmes et les prêtres. Historiquement, Comte fait remonter la synergie des nations européennes à Charlemagne. La même idée est exprimée par G. de Staël qui évoque l’influence réciproque et la complémentarité des peuples du Nord et des peuples du Midi dans la chrétienté du Haut Moyen Age (De la littérature, I, 8, p. 136).

72 De Jaucourt, article « Génie » de l’Encyclopédie, t. VII, 1757, p. 581.

73 Montesquieu, Lettres persanes, CXXXI.

74 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 75. Les différences de climat sont souvent avancées, bien qu’elles n’expliquent pas tout (cf. p. 75 et p. 152).

75 Ces caractérisations étaient des lieux communs. Voir par exemple G. de Staël : « Les ouvrages des Allemands sont d’une utilité moins pratique que ceux des Anglais ; ils se livrent davantage aux combinaisons systématiques […] (De la littérature, I, 17, p. 239).

76 H. Gouhier, La vie d’Auguste Comte, p. 230.

77 W. Lepenies, Auguste Comte. Le pouvoir des signes, p. 111.

78 H. Gouhier, La vie d’Auguste Comte, p. 232.

79 En termes clairs, les peuples du Nord ont préparé la crise finale (par le travail de l’esprit critique) mais ce sont les peuples du Midi (préservés de la métaphysique protestante et de l’égoïsme industriel) qui ont vocation à la terminer. Cf. CG, V, p. 120.

80 Dans une lettre du 26 décembre 1849 à Benedetto Profumo, Comte dresse ce premier bilan de la diffusion de ses idées : « Depuis une dizaine d’années, le positivisme a pénétré avec succès chez les Occidentaux du nord, d’abord en Angleterre, ensuite en Allemagne, et surtout en Hollande. Il a même fait de solides progrès en Espagne, mais je n’avais encore aucune connaissance de son heureuse entrée en Italie » (CG, V, p. 120).

81 Voir Mary Pickering, Auguste Comte. An intellectual biography, Cambridge University Press, 2009, vol. II, p. 544-546, et notre avant-propos dans le présent volume.

82 Lettre de Comte à Laffitte, 25 septembre 1850, CG, V, p. 201.

83 Comte va ensuite associer de plus en plus souvent protestantisme et déisme. Cf. par exemple CG, VI, p. 90 : « La grande initiative française doit de plus en plus s’appuyer principalement sur les populations préservées du protestantisme et du déisme » ; CG, VII, p. 124 : « Sauf des exceptions individuelles, qui vont devenir de plus en plus rares, nous ne devons attendre que de l’antipathie des protestants et des déistes. Ils sont, au fond, tout autant arriérés d’esprit que les catholiques, et leur cœur est ordinairement vicié. Nous verrons de plus en plus se multiplier les cas, déjà réalisés, d’ascension directe du catholicisme au positivisme, sans traverser aucun négativisme ».

84 Lettre à Pierre Laffitte du 2 octobre 1849, CG, V, p. 94. Il revient sur la question en 1852 pour préciser que le positivisme transformera les États italiens en cités. Comte critique Mazzini et les « rêves subversifs des unitaires ou des fédéralistes italiens » (CG, VI, p. 309).

85 Comte vante l’aptitude esthétique des Hollandais et la qualité de leurs mœurs industrielles et se montre indulgent pour leur système colonial, mieux organisé que celui des Anglais et plus libéral que celui des Espagnols.

86 SPP, IV, p. 500.

87 Le positivisme avait pris racine à La Haye, Aberdeen, Londres et Bruxelles.

88 Edgar Quinet, Allemagne et Italie. Philosophie et poésie, Bruxelles : Hauman, 1839, t. I, p. 44.

89 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 93.

90 G. de Staël, De l’Allemagne, t. I, p. 47.

91 Lettre de G. de Staël à L.-P. Bérenger du 25 novembre 1808, Correspondance générale, t. V, texte établi et présenté par Béatrice W. Jasinski, Paris : Hachette, 1982-1985, p. 564.

92 G. de Staël, De l’Allemagne, II, p. 141.

93 Comte apprécie cette phrase de Madame de Staël : « Il n’y a rien de réel au monde qu’aimer » (cf. CG, VI, p. 232).

94 G. de Staël, De la littérature, p. 186.

95 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 255.

96 G. de Staël, De l’Allemagne, t. II, p. 165.

97 Comte n’aurait eu aucune peine à montrer que l’explication du destin d’un peuple par son identité propre mobilise tautologiquement « une simple dénomination abstraite du phénomène considéré » (EP, § 9, p. 58).

98 Voir H. Heine, L’école romantique, trad. P. Pénisson, Paris : Cerf, 1997, p. 132-133.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Fedi, « La représentation de l’élément germanique 
dans la philosophie d’Auguste Comte  »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 35 | 2014, 37-84.

Référence électronique

Laurent Fedi, « La représentation de l’élément germanique 
dans la philosophie d’Auguste Comte  »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 14 décembre 2018, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cps/1019 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cps.1019

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Auteur

Laurent Fedi

Maître de conférences en philosophie, (EA 2326) Université de Strasbourg

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