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Notes
Le présent article participe d’un Projet de Recherche soutenu par le Fonds National de la Recherche Scientifique belge (« Rhétorique des “Nouveaux Réactionnaires” : positions, postures, discours »).
Richard Millet, De l’antiracisme comme terreur littéraire (Paris, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2012) ; Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik (id., 2012). Le même jour et aux mêmes éditions l’écrivain publiait aussi un roman : Intérieur avec deux femmes (id., 2012).
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Patrick Besson, « La liste Ernaux », Le Point, 20 septembre 2012. URL : http://www.lepoint.fr/editos-du-point/patrick-besson/la-liste-ernaux-20-09-2012-1508203_71.php.
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R. Millet, Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, Paris, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2014. Signalons encore, au sujet de l’affaire et partie intégrante de celle-ci, la publication, entre-temps, de l’essai de Muriel de Rengervé, L’Affaire Richard Millet. Critique de la bien-pensance, Paris, Jacob-Duvernet, 2013.
Marcel Gauchet figurera dans le programme au double titre de conférencier inaugural (« Qui sont les acteurs de l’histoire ? ») et de participant à une table ronde organisée par Le Monde sur le thème « Vous avez dit rebellocrates ? » (aux côtés de Jean Birnbaum, Aymeric Caron et Nicolas Offenstadt). URL : http://www.rdv-histoire.com/-DEBATS-CONFERENCES-ET-1000-.html
Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis, « Pourquoi nous appelons à boycotter les Rendez-Vous de l’Histoire de Blois », Libération, 30 juillet 2014. URL : http://www.liberation.fr/debats/2014/07/30/pourquoi-nous-appelons-a-boycotter-les-rendez-vous-de-l-histoire-de-blois_1072778.
« Rendez-Vous de l’Histoire. La rébellion continue », Libération, 6 octobre 2014. URL : http://www.liberation.fr/culture/2014/10/06/rendez-vous-de-l-histoire-de-blois-la-rebellion-continue_1116036
François Chevrier, Jean-Noël Jeanneney et Michelle Perrot, « La direction des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois répond à l’écrivain Édouard Louis et au philosophe Geoffroy de Lagasnerie qui avaient appelé au boycott de l’édition 2014 », Libération, 8 août 2014. URL : http://www.liberation.fr/culture/2014/08/08/marcel-gauchet-parlera-a-blois_1077640.
Mathieu Block-Côté, « Marcel Gauchet : retour sur un “procès en sorcellerie” », Le Figaro, 12 août 2014. URL : http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2014/08/12/31006-20140812ARTFIG00275-marcel-gauchet-retour-sur-un-proces-en-sorcellerie.php.
Alexis Feertchak, « Marcel Gauchet contre les “vrais rebelles” : le pluralisme existe-t-il encore en France ? », Le Figaro, 13 octobre 2014. URL : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/10/13/31003-20141013ARTFIG00177-marcel-gauchet-contre-les-vrais-rebelles-le-pluralisme-existe-t-il-encore-en-france.php.
Ran Halévi, « Marcel Gauchet et les nouveaux épurateurs 2.0 », Le Figaro, 17 octobre 2014. URL : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/10/17/31003-20141017ARTFIG00389-marcel-gauchet-et-les-nouveaux-epurateurs-20.php.
Voir, en amont de la période considérée, Anne Boquel et Étienne, Une histoire des haines d’écrivains. De Chateaubriand à Proust, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2010.
Voir Thierry Discepolo, « À l’abri de la religion littéraire française. L’“affaire Millet” comme erreur d’ajustement d’un consensus hégémonique apolitique », dans Agone, n° 54, 2014, pp. 161-190. Voir aussi, plus récemment, la contribution de Jérôme Meizoz (« Richard Millet : le scénario Céline ») à l’ouvrage collectif sur Le discours « néo-réactionnaire ». Transgressions conservatrices (P. Durand et S. Sindaco dir.), Paris, CNRS Éditions, coll. « Culture & société », 2015.
Le sociologue entendait en gros par « analyseur » un événement rupteur ayant pour effet de porter au jour les structures sous-jacentes d’une institution (ou, par métaphore, de faire parler d’elles-mêmes des structures sociales ordinairement muettes sur leurs propres enjeux et leur propre fonctionnement). Voir René Lourau, L’Analyse institutionnelle, Paris Minuit, coll. « Arguments », 1970 et, pour l’analyse d’un cas de figure, L’Analyseur Lip, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1974.
Sur la distinction entre « lieu commun » (fait de contenu de pensée), « cliché » (fait formel d’expression) et « stéréotype » (fait de logique abusive), voir Pascal Durand, « Lieu commun et communication. Concepts et application critique », dans Médias et Censure. Figures de l’orthodoxie (P. Durand dir.), Liège, Éditions de l’Université de Liège, coll. « Sociopolis », 2004, pp. 83-108.
Maurice T. Maschino, « Intellectuels médiatiques. Les nouveaux réactionnaires », Le Monde diplomatique, octobre 2002. URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2002/10/MASCHINO/9467. L’appellation, au singulier, avait figuré un an plus tôt, dans la revue Esprit, en tête d’un article de Joël Roman au sujet de Philippe Muray : « Un nouveau réactionnaire : M. Philippe Muray » (Esprit, n° 279, novembre 2001, pp. 135-142).
Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2002. Exception faite du label « nouveaux réactionnaires » au pluriel et malgré plusieurs cibles en commun avec Lindenberg, l’article de M. T. Maschino déjà cité préfigure moins Le Rappel à l’ordre qu’il ne fait suite au brûlot publié une quinzaine d’années plus tôt par Guy Hocquenhem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (Paris, Albin Michel, 1986), lequel sera significativement réédité en 2003 chez Agone, avec une préface de Serge Halimi (voir aussi rééd. récente aux mêmes éditions, Marseille, Agone, 2014).
On précisera plus loin de quelle(s) diversité(s) ces horizons sont porteurs.
Dans une livraison spéciale de sa revue Discours social, Marc Angenot a ainsi relayé nombre des critiques adressées à l’essai de Lindenberg, en particulier celles qu’un Pierre-André Taguieff avait formulées en 2002 : « dénonciation des mal-pensants », « “mentalité” dogmatique », « regroupement bariolé d’intellectuels », concepts mal définis, absence de démonstration et d’argumentation concernant les thèses mises en cause, etc. (« La querelle des “nouveaux réactionnaires” et la critique des Lumières », Discours social, vol. 45, 2014, pp. 27-30).
Plus précisément, mais sans que Lindenberg s’y référât formellement, Le Rappel à l’ordre avait servi de titre à un recueil d’essais publié par Jean Cocteau en 1926 chez Stock. On y trouve notamment une allocution prononcée le 3 mai 1923 au Collège de France, « D’un ordre considéré comme une anarchie », où l’auteur plaidait en faveur d’un classicisme vivant et d’une « discipline de liberté », c’est-à-dire d’un ordre esthétique conçu comme véritable terrain d’expression de l’individualité créatrice.
On trouvera toutes ces thématiques dans le premier chapitre intitulé « La levée des tabous » : le « procès de la culture de masse » (D. Lindenberg, op. cit., pp. 19-23), le « procès de la liberté des mœurs » (id., pp. 23-25), le « procès de Mai 68 » (id., pp. 27-33), le « procès de la société “métissée” (id., pp. 35-37) ou encore le « procès de l’islam » (id., pp. 37-39).
On pourrait retrouver là l’expression d’un aristocratisme typique du milieu culturel français, la constitution d’une nouvelle élite de savants et d’artistes ayant toujours hanté l’intelligentsia française postrévolutionnaire. Illustrée par Baudelaire ou Flaubert, cette résistance à l’égalitarisme contemporain est particulièrement sensible chez des écrivains tels que Philippe Muray ou Michel Houellebecq. Daniel Lindenberg n’a d’ailleurs pas fait mystère que le point de départ de sa réflexion a été le succès rencontré et les polémiques induites par le roman Plateforme de Houellebecq. Il y a là, sans doute, un trait significatif sur lequel nous reviendrons : si le phénomène des « nouveaux réactionnaires » est propagé essentiellement par l’intermédiaire de journalistes ou de polémistes opérant dans le seul champ des médias, c’est dans le champ littéraire qu’il a néanmoins trouvé ses actualisations les plus abouties.
Notons la présence sur ce plateau de l’humoriste Dieudonné, qui ne s’était pas encore signalé à l’époque par les sorties antisémites qu’on lui connaît aujourd’hui. URL : http://www.ina.fr/video/I08295167.
« Les nouveaux réactionnaires » : La réponse de Marcel Gauchet à Daniel Lindenberg, Télérama, n° 2758, 20 novembre 2002.
Jean-François Kahn et Marcel Gauchet, « Le Monde est-il un journal réac ? », interview dans Marianne, n° 293, 2-8 décembre 2002.
Alain Finkielkraut, interview avec Joseph Macé-Scaron et Alexis Lacroix, Le Figaro, 14 novembre 2002. URL : http://www.nouveau-reac.org/textes/alain-finkielkraut-interview-avec-joseph-mace-scaron-et-alexis-lacroix/.
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Pierre-André Taguieff, « Le nouvel opium des intellectuels », Le Figaro, 27 novembre 2002. URL : http://olivier.hammam.free.fr/actualites/documents/reacs/figaro.htm.
Le manifeste est publié en ligne à l’URL suivante : http://appeldr.free.fr/dos26doclexpress021128.htm.
« Controverse. Autour du “Rappel à l’ordre” », Esprit, n° 291, janvier 2003.
Michel Houellebecq, « L’homme de gauche est mal parti », Le Figaro, 6 janvier 2003. L’article est lisible à l’URL suivante : http://www.nouveau-reac.org/textes/michel-houellebecq-philippe-muray-en-2002/. Il a été republié sous le titre « Philippe Muray en 2002 » dans M. Houellebecq, Interventions 2. Traces, Paris, Flammarion, 2009, pp. 227-236.
« En sa qualité de flic en chef, Edwy Plenel se devait de couvrir son subordonné ; il s’en est acquitté avec conscience, quoique sans enthousiasme ; peut-être sentait-il déjà que l’affaire était mal engagée. La plupart des journalistes en effet semblent avoir considéré avec réticence ce fastidieux exercice de name dropping […]. »
Parmi les effets à répétition de la querelle de 2002 figure effectivement une tendance au name-dropping qui ne semble pas près de s’affaiblir, liée qu’elle est à la tournure de plus en plus médiatique que l’affaire a prise jusqu’à nos jours, le contenu des listes établies variant, à partir d’un fonds commun, au gré des circonstances et des débats politiques du moment. Un dossier du Canard enchaîné sorti à l’occasion des polémiques et manifestations autour du « mariage pour tous » est très symptomatique à cet égard. À des figures aussi attendues qu’un Robert Ménard, une Élisabeth Lévy, un Éric Zemmour ou un Ivan Rioufol, ce dossier paru en 2013 associait sous l’étiquette « nouveaux réac » des catholiques traditionnalistes (Ludovine de la Rochère, Tugdual Derville, Béatrice Bourges, Christine Boutin), des umpéistes (Hervé Mariton, la droite « décomplexée » de Jean-François Copé, inspirée par Patrick Buisson ; la « Droite forte » d’un Guillaume Peltier et d’un Geoffroy Didier), des partisans de l’extrême droite (la droite « dédiabolisée » de Marine Le Pen et de Marion Maréchal-Le Pen, l’antisémitisme et l’islamophobie d’Alain Soral et de Dieudonné) ou bien encore un nostalgique du royalisme orléaniste tel que Lorànt Deutsch (Les Dossiers du Canard enchaîné, no 129 : « Les nouveaux réac. Après le mariage pour tous, à droite toute ! », octobre 2013).
Ces inexactitudes de détail n’en témoignant pas moins de la dimension bâclée de l’ouvrage.
Jules Vallès, Les Réfractaires (1865), dans Œuvres, tome 1, éd. R. Bellet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, pp. 137-320. Vallès dressait ainsi le profil type de ces « irréguliers » : « Il existe de par les chemins une race de gens qui […] ont juré d’être libres ; qui, au lieu d’accepter la place que leur offrait le monde, ont voulu s’en faire une tout seuls, à coups d’audace ou de talent ; qui, se croyant de taille à arriver d’un coup, par la seule force de leur désir, au souffle brûlant de leur ambition, n’ont pas daigné se mêler aux autres, prendre un numéro dans la vie ; qui n’ont pu, en tout cas, faire le sacrifice assez long, qui ont coupé à travers champs au lieu de rester sur la grand-route, et s’en vont maintenant battant la campagne, le long des ruisseaux de Paris. / Je les appelle des réfractaires » (id., p. 138). Ce qualificatif de « réfractaire » a été, on le verra plus loin, repris à son compte par Bruno de Cessole pour caractériser un très vaste ensemble d’écrivains (Le Défilé des réfractaires. Portraits de quelques irréguliers de la littérature française, Paris, L’Éditeur, 2011 ; rééd. Perrin, coll. « Tempus », 2013).
Pierre-André Taguieff, Les Contre-réactionnaires. Le progressisme entre illusion et imposture, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 2007. Lindenberg avait cru devoir dénoncer, sous l’étiquette des « nouveaux réactionnaires », autant de hérauts d’un « rappel à l’ordre » ; l’accusation lui fut donc renvoyée en retour de manivelle : l’« ordre » auquel il s’agissait d’être « rappelé » – et dont il s’était fait le servile porte-étendard – n’était rien d’autre en vérité que la doxa progressiste sous ses deux variantes libérale et sociale-démocrate, avec les diverses dimensions qu’elle revêt dans la culture ambiante au prix d’une intimidation constante exercée sur qui s’aviserait de la questionner.
Né en 1940 dans une famille juive d’origine polonaise, Daniel Lindenberg a fait des études d’histoire et de sociologie à la Sorbonne. Dans les années 1960, il milite d’abord au sein de l’UEC, pour rejoindre ensuite un groupuscule maoïste. Compagnon de lutte de Blandine Kriegel, il rompra comme elle avec le marxisme, en évoluant vers un ancrage « deuxième gauche ». Historien des idées, professeur de sciences politiques à Paris 8 (Vincennes-Saint Denis), membre du comité de rédaction de la revue d’histoire intellectuelle Mil neuf cent, conseiller à la rédaction de la revue Esprit, il est également proche de Pierre Rosanvallon, lequel lui a probablement passé commande de ladite « enquête sur les nouveaux réactionnaires » pour la collection qu’il venait de lancer aux Éditions du Seuil.
Éric Zemmour, Le Suicide français, Paris, Albin Michel, 2014.
La modalité de l’« enquête » au sujet de représentants d’un courant « réactionnaire », modalité dont Lindenberg s’est le premier autorisé, ainsi que l’indiquait le sous-titre du Rappel à l’ordre, reste elle aussi chose assez courante. Un nouvel exemple en a été fourni par le dossier « Enquête sur deux réactionnaires » réservé à Marcel Gauchet et Michel Onfray dans le numéro de lancement de La Revue du Crieur coéditée par les Éditions La Découverte et Mediapart (juin 2015).
La revendication du stigmate est banale dans ce genre de polémiques. Voir Ivan Rioufol, De l’urgence d’être réactionnaire (Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 2012) ; Denis Tillinac, Du bonheur d’être réac (Paris, Éditions des Équateurs, 2014) ou bien, dans l’autre camp, Aymeric Caron prenant pour cible la « droite bobards » en réponse à la « gauche bobo » qu’il incarne aux yeux de ses opposants (Incorrect. Pire que la gauche bobo, la droite bobards, Paris, Fayard, 2014).
M. Angenot, « La Querelle des “nouveaux réactionnaires” et la critique des Lumières », éd. citée, p. 19.
Id., p. 24.
Cet éclairage, certes, n’est pas sans point de vue, non plus que l’histoire des idées en général, si impavide qu’elle se veuille. On devine toutefois que l’empathie de M. Angenot à l’égard du camp visé par D. Lindenberg est pour une part le contre-effet de l’antipathie très vive que lui inspirent les procédés d’amalgame et de stigmatisation idéologiques.
Cet oxymore, parmi une volée d’autres expressions non moins féroces, figure dans le virulent pamphlet de P.-A. Taguieff, Les Contre-réactionnaires, éd. citée, p. 63. Au-delà du caractère peu flamboyant du style de Lindenberg, la figure entend caractériser la position d’énonciation idéologique occupée par celui-ci : une gauche très centriste, et engagée en l’occurrence dans la défense et l’affirmation de valeurs conformes.
Ce même paradigme s’est enrichi récemment d’un essai de Jean-Loup Amselle sur Les Nouveaux Rouges-Bruns, sous-titré Le racisme qui vient (Paris, Éditions Lignes, 2014). Notons que des « nouveaux romanciers » aux « nouveaux réactionnaires », en passant par les « nouveaux philosophes », l’agrégation de collectifs sous l’invocation de la nouveauté, en même temps qu’elle s’est graduellement banalisée, a changé de valeur : promotionnelle, elle est devenue péjorative ; manifestaire, elle est devenue publicitaire ; brandie en signe de ralliement offensif, elle est devenue en bien des cas moyen d’imputation ou de stigmatisation.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons pris le parti de systématiquement entourer de guillemets les expressions « nouveaux réactionnaires » ou « néo-réactionnaire » : guillemets de citation, renvoyant à l’essai de Lindenberg et à ses relais jusqu’à nous ; guillemets de prudence à l’égard d’une catégorie dont la pertinence prête très certainement à discussion ; guillemets aussi de construction par mise à distance de l’objet en débat. Par commodité d’expression, nous ne préciserons pas à chaque fois que sous « nouveaux réactionnaires », ce n’est pas seulement de l’appellation elle-même qu’il s’agira mais du fait aussi d’y envelopper un ensemble plus ou moins divers et extensible de personnalités – ni que si certaines de celles-ci refusent de s’y laisser envelopper, d’autres s’y résignent, y consentent ou s’y rangent parfois elles-mêmes.
L’un des traits qu’ils présentent en partage réside d’ailleurs dans leur défiance – le mot est faible – à l’égard des sciences sociales en général et de la sociologie dite « critique » en particulier (la sociologie de Bourdieu ou « bourdieusienne » faisant notamment chez la plupart d’entre eux, bien qu’ils ne soient pas seuls à s’y adonner dans le domaine surtout francophone, l’objet de réductions grossièrement caricaturales : fabrication de « types » et de « listes », infatuation scientiste, déterminisme confinant à une pensée du complot, emprise du soupçon, etc.). Alors que la critique du « système » qu’ils attribuent volontiers aux sociologues devrait avoir de quoi séduire les esprits qui se veulent « réfractaires », la réduction en bloc des sciences sociales à une pensée rapportant à des causes sociales déculpabilisantes les formes les plus diverses de violence ou de radicalité dont la société est la scène constitue presque une sorte de carte d’admission au club des penseurs « néo-réactionnaires », ainsi qu’on l’a vu –– tant du côté de l’auteur que des critiques très vives dont son ouvrage a fait l’objet – avec l’essai publié par Philippe Val, Malaise dans l’inculture (Paris, Grasset, 2015).
L’expression est d’Élisabeth Lévy, rédactrice en chef du magazine Causeur, qui l’emploie volontiers pour caractériser son propre positionnement.
Nous ne pourrons toutefois pas faire l’économie de nommer certaines des personnalités concernées ou généralement visées par l’imputation « néo-réactionnaire ». S’il y a en règle générale discontinuité des individus à l’espace social au sein duquel ceux-ci agissent, du fait que s’interposent entre l’appréhension des sujets (y compris par eux-mêmes) les structures à l’intérieur desquelles ces sujets se distribuent, cet espace et ces structures n’en sont pas moins incarnés et incorporés dans des individus et des sujets. En dehors de tout effet de liste, nommer à titre exemplaire et emblématique les acteurs concernés, qu’ils soient journalistes, écrivains ou intellectuels, s’imposera de toute façon avec d’autant moins de difficulté que la plupart d’entre eux revendiquent fortement leur propre singularité individuelle : c’est là même paradoxalement, insistons-y, l’un de leurs traits les plus collectifs.
Voir Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain. 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1996 ; Jean-Pierre Bertrand et Pascal Durand, La Modernité romantique. De Lamartine à Nerval, Paris-Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, coll. « Réflexions faites », 2006.
Voir Benoît Denis, Littérature et engagement. De Pascal à Sartre, Paris, Seuil, coll. « Points Lettres », 2000.
Cet art de la conversation peut prendre aussi l’aspect d’ouvrages dialogués, à l’image du Festivus, festivus de Philippe Muray, sous-titré Conversations avec Élisabeth Lévy (Paris, Fayard, 2005), ou procéder moins classiquement d’un échange de courriels (ainsi entre Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy, auteurs en commun d’Ennemis publics (Paris, Flammarion/Grasset, 2008) ; précisons qu’à la différence du premier, le second de ces deux auteurs, figure quasi antonomastique de l’intellectuel médiatique, ne se voit jamais mis dans les rangs « néo-réactionnaires » : c’est sans doute qu’on voit en lui tantôt un représentant pugnace d’une gauche sociale-démocrate, tantôt un diplomate sans mandat – du second Mitterrand à François Hollande et Manuel Valls, en passant par Nicolas Sarkozy –, proche de toute façon du pouvoir, dont il contribue à consolider l’orthodoxie en la nimbant de grandiloquence et de moralisme.
Une autre lignée pourrait en effet être profilée, chez des auteurs appartenant davantage à l’espace savant de l’histoire, de la sociologie ou de la philosophie (tel Pierre-André Taguieff). Elle consisterait à procéder à rebours, en faisant remonter de Raymond Aron à Alexis de Tocqueville l’évolution d’une pensée libérale-conservatrice de la démocratie, attentive à ses travers ou à ses possibles dérives.
Bruno de Cessole, éd. citée, pp. 13-14.
Antoine Compagnon, Les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2005.
Marc Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », dans La Querelle des Anciens et des Modernes. xviie-xviiie siècles, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 2001, p. 140.
A. Compagnon, op. cit., p. 10.
Avec Michel Contat, inspiré par les analyses sartriennes du cas Baudelaire et du cas Flaubert, soulignons que le « pessimisme esthétique » propre aux artistes d’extraction bourgeoise à partir des années 1830 peut apparaître, sous un autre angle, comme la contrepartie, sinon comme l’avers de médaille, de ce qu’il appelle « l’optimisme salaud de la bourgeoisie » (Pour Sartre, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 2008, p. 19). Si agressif qu’il paraisse à l’endroit des valeurs de progrès et d’utilité, ce pessimisme, articulé à un credo artiste, tient en effet, pour une part, d’un pacte de non-agression passé avec la classe au pouvoir, mais propre à sauver les apparences. Sartre, dans son Baudelaire, avait ainsi fait remarquer que « la bourgeoisie de Louis-Philippe tolérera plus volontiers les outrances de l’Art pour l’Art que la littérature engagée de Hugo, de Sand et de Pierre Leroux » (Paris, Gallimard, coll. « Les Essais », 1947, p. 154).
À l’appui de ce topos, on peut rappeler avec quelle féroce ironie Baudelaire s’en prend à la confusion entre progrès matériel (technique, scientifique) et progrès moral et spirituel dans l’article qu’il réserve à l’Exposition universelle de 1855. Cette confusion constitue, il est vrai, l’un des marqueurs de la transformation de l’idée de progrès, héritée de la philosophie critique des Lumières, en idéologie du Progrès propre à la bourgeoisie ayant accédé au pouvoir. « Le pauvre homme », écrit-il ainsi [au sujet de « tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet], est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels, qu’il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel » (« Exposition universelle » (1855), dans Œuvres complètes, tome 2, éd. Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, p. 580).
On reviendra dans la quatrième section du présent article sur cet « éthos pamphlétaire » et le pathos qui l’accompagne.
On a vu plus haut que Pierre Jourde, en intervenant dans l’affaire Millet, ne manquera pas, l’écrivain se trouvant là informé par le spécialiste universitaire de la littérature, de convoquer la fascination du « Mal » qui est l’une des composantes du tempérament moderne, au moins depuis Baudelaire.
Sur cette disposition contre-révolutionnaire des premiers grands poètes romantiques français et les solutions esthétiques paradoxales qu’ils y apportent – réactionnaires politiquement, révolutionnaires poétiquement –, voir J.-P. Bertrand et P. Durand, La Modernité romantique, éd. citée.
P. Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, éd. citée, p. 155.
On consultera avec profit les pages consacrées à Pierre-Simon Ballanche dans le chapitre intitulé « Contre-révolution et littérature » (id., pp. 152-166).
Dolf Oehler, Le Spleen contre l’oubli. Juin 1848. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Paris, Payot, coll. « Critique de la politique », 1996.
Voir sur ce sujet l’ouvrage à présent classique de Paul Lidsky, Les Écrivains contre la Commune, Paris, Maspero, 1970. Les exceptions à cette expression littéraire de la violence de classe – à quoi un Zola même ne déroge pas – ne se recensent guère que dans les rangs des écrivains de la Commune ou très proches de ceux-ci – tels Jules Vallès, Paul Verlaine ou Arthur Rimbaud. Hugo, horrifié par la Semaine sanglante et qui militera ardemment pour l’amnistie des Communards, n’en avait pas moins condamné l’insurrection parisienne, en diluant sa réprobation politique dans un bain de philanthropie paternaliste. L’Année terrible, qu’il publie en 1872, est partiellement la consignation poétique de cette ambivalence qui a cependant contribué à relever l’honneur des lettres en regard de la question politique et sociale.
Sur les positions littéraires de Léon Bloy, en regard de sa position au sein du champ littéraire, voir P. Durand, « L’effraction critique. La littérature selon Léon Bloy », dans Cahier de l'Herne (Léon Bloy), 1988, pp. 301-313.
Georges Bernanos, La Grande Peur des bien-pensants. Édouard Drumont, Paris, Grasset, coll. « Pour mon plaisir », 1931.
Pour un tableau général de cette période, voir Michel Winock, Le Siècle des intellectuels, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 1999, première partie (« Les années Barrès ») et, en particulier, chap. 1 (« La visite à Barrès ») et chap. 9 « La Boutique des Cahiers ». On en trouvera une approche historique plus construite et dialectique aux chapitres XI et XII de l’ouvrage de Benoît Denis, relativement aux retombées de l’affaire Dreyfus et, au-delà, à ce qu’il appelle le « laboratoire de l’entre-deux-guerres » (Littérature et engagement, éd. citée, pp. 202-258).
Alain Finkielkraut, Le Mécontemporain. Péguy, lecteur du monde moderne, Paris, Gallimard, 1991.
Gisèle Sapiro, « Notables, esthètes et polémistes. Manières d’être un écrivain “réactionnaire” des années 1930 à nos jours », dans P. Durand et S. Sindaco (dir.), Le discours « néo-réactionnaire », éd. citée.
La sociologue de la littérature établit en ce sens quelques parallèles – structuraux – entre l’entre-deux-guerres et l’époque actuelle : aux « notables » qu’étaient dans les années 1930 des leaders de l’Action française tels que Charles Maurras (Académie française) et Léon Daudet (jury Goncourt) ou des romanciers à succès tels qu’Henry Bordeaux, Claude Farrère ou Abel Hermant, correspondraient aujourd’hui Angelo Rinaldi ou Alain Finkielkraut, tous deux académiciens ; en position tendanciellement homologue à celle qu’occupaient Drieu la Rochelle, Henry de Montherlant, Jacques Chardonne ou Marcel Jouhandeau, les « esthètes » seraient identifiables de nos jours du côté d’un Michel Houellebecq, d’un Richard Millet ou d’un Renaud Camus ; un Éric Zemmour, un Éric Naulleau ou un Philippe Muray, avec des orientations politiques assez diverses sur fond de posture commune, se situeraient quant à eux sur le terrain des « polémistes » occupé dans les années 1930 par un Robert Brasillach ou un Lucien Rebatet (G. Sapiro, art. cité). On aura compris, mais il n’est pas inutile d’y insister, que cette approche toute morphologique ne consiste en aucun cas à rabattre polémiquement l’époque actuelle sur les années 1930, au nom du retour à l’identique d’un même climat idéologique.
Jean-Louis Loubet del Bayle, Les Non-Conformistes des années 30. Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Paris, Seuil, 1969.
« Le retour actuel à de telles ambivalences, ou aux ambiguïtés idéologiques, de plus en plus souvent assumées, nous ramène aux années trente, aux troisièmes voies, aux syncrétismes (“ni droite, ni gauche !”), bref aux non-conformistes jadis étudiés par Loubet del Bayle, et aux oxymores du type “révolution conservatrice” » (D. Lindenberg, op. cit., p. 53).
J.-L. Loubet del Bayle, op. cit., pp. 41-84.
Id., pp. 131-165.
Id., pp. 85-129.
Jacques Laurent, « Paul et Jean-Paul », La Table ronde, no 38, février 1951, pp. 22-53. Le texte a paru en volume chez Grasset la même année (coll. « Les cahiers irréguliers »).
Roger Nimier, Les Épées, Paris, Gallimard, 1948 ; Jacques Laurent, Les Bêtises, Paris, Grasset, 1971.
Répertoire auquel emprunte à sa manière un film tel que Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard (1960). L’action se déroule pendant la guerre d’Algérie et met en scène Bruno Forestier, jeune réfractaire français exilé en Suisse, où il opère pour un groupuscule d’extrême droite : traditionnellement associée à l’opposition de gauche à la guerre d’Algérie, cette figure du réfractaire connaît dans le film de Godard un renversement pour le moins provocateur et ambigu, d’autant que le jeune homme affiche une indifférence dilettante et un mépris pour toute forme d’engagement, ainsi qu’une posture de dandysme esthète, typiques des Hussards. Le film a fait l’objet d’une interdiction totale lors de sa sortie et c’est la première fois qu’une œuvre cinématographique fut officiellement prohibée en France pour raisons politiques. Le Petit Soldat restera d’ailleurs pour son réalisateur un film difficile à assumer pleinement, surtout en regard de son évolution ultérieure. Pour une analyse plus fouillée du film, ainsi que de sa novellisation, voir Sarah Sindaco, Ennui, Violence, Oubli. Le roman français de l’ère gaullienne à l’épreuve de l’Histoire (1958-1974), thèse de Doctorat en Langues et Lettres, Université de Liège, Faculté de Philosophie et Lettres, 2012, pp. 178-184.
Cette remarque provient d’Éric Hazan, faisant valoir que jusqu’à la veille de la Révolution « l’éloquence était l’affaire des gens de loi et surtout d’Église – oraisons funèbres, homélies diverses, grands sermons où parfois affleurait un propos politique –, mais ceux qui dirigeaient les affaires de l’État ne prenaient pas la parole en public ». « Et d’ailleurs, continue-t-il, devant quel public auraient-ils parlé ? Mais voici que soudain, au crépuscule de l’Ancien Régime, l’éloquence politique surgit et atteint tout de suite des sommets. Mirabeau est le premier en date des grands orateurs révolutionnaires dont la parole, imprimée à des centaines de milliers d’exemplaires, s’entendra dans le pays tout entier » (Une histoire de la Révolution française, Paris, La Fabrique, 2012, p. 45).
Cité par É. Hazan, d’après Furet et Richet, id., p. 391, note 1.
Benjamin Constant, Des réactions politiques. Seconde édition, Augmentée de l’examen des effets de la terreur, An V, pp. 3-4. Consulté ici : http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k6267088v.
A. Compagnon, Les Antimodernes, éd. citée, pp. 22-25.
René Rémond, Les Droites en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique, Paris, Aubier-Montaigne, 1954 (rééd. 1963, 1968 et 1982) ; Les Droites aujourd’hui, Paris, Louis Audibert, 2005. Une quatrième droite a pu compléter cette typologie historique : la droite nationaliste et « populiste ». Le profil de cette droite populaire s’est dessiné après 1880 en France sur fond d’aventure boulangiste, de propagande antisémite et d’âge commençant des masses ; le Front National de Jean-Marie Le Pen en a été l’incarnation contemporaine. Cette typologie fait de nos jours encore l’objet de discussions. Voir notamment Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, coll. « Nrf essais », 1992. Tout aussi débattue, jusque très récemment, est la description des avatars de la « droite révolutionnaire » développée par Zeev Sternhell en tant que matrice française du fascisme (La Droite révolutionnaire (1885-1914). Les origines françaises du fascisme (1978), Paris Gallimard, coll. « Folio histoire », 1997).
« La vérité est une, l’erreur multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite professe le pluralisme », écrivait-elle ainsi à l’incipit d’un article sur « La pensée de droite, aujourd’hui » (dans Les Temps modernes, 1954), formule sous laquelle l’auteur des Contre-réactionnaires a raison de voir logé l’un des énoncés les plus dogmatiques qui se puissent lire.
Pierre Bourdieu, « Séminaires sur le concept de champ, 1972-1975 », séances du 11 mai et du 5 juin 1973, dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 200, décembre 2013, pp. 19-29.
Pierre Bourdieu et Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 1976, vol. 2, n° 2-3, pp. 3-73 [republié en volume, Paris, Raisons d’agir/Demopolis, 2008].
Définition essentialiste que l’article de Simone de Beauvoir sur « La pensée de droite », mentionné ci-dessus, illustrait par excellence aux yeux du sociologue (« Séminaires sur le concept de champ », séance du 11 mai 1973, art. cité, pp. 19-20).
Id., pp. 19-20.
Id., p. 21. Ajoutons, dans l’esprit du sociologue, que l’accumulation de ces « biens » et la position de domination qui en résulte mettent en condition, avec les enjeux de préservation de la hiérarchie établie qui l’accompagne, de procurer la définition légitime de ces « biens » (de quelle étoffe est faite, par exemple, la vraie, la grande littérature ?) et de légitimer, pour un temps plus ou moins long, au profit de quelques-uns, le monopole de cette définition (avec l’appui bien souvent, en l’exemple, d’appartenances à de hautes institutions telles que l’Académie ou à des postes de décision tels que conseils de rédaction et comités de lecture).
C’est ainsi, pour l’époque où nous sommes, que l’autonomisation et la montée en force du champ économique – champ qui est autant celui de la production économique que de la production de discours savants ou experts sur l’économie – tendent à transformer l’exercice de la politique, du journalisme, de la littérature, de la recherche ou de l’enseignement, en soumettant sans doute l’ensemble de ces champs à des impératifs de rentabilité, mais d’abord à travers un effet exercé sur l’autonomie de leurs structures et leurs compartimentations (en termes de genres littéraires et éditoriaux, en termes de rapports entre enseignement et recherche, en termes de rapports de force entre ministères, etc.).
Il faudrait faire en effet place, au sein desdites fractions, à ceux qui, prétendant en vain à consécration au sein de leur propre champ, sinon même, en certains cas, à être simplement reconnus comme appartenant à ce champ, se trouvent portés à mener, au nom d’une lutte déclarée contre l’orthodoxie, une sourde contestation des normes en vigueur au sein de ces champs, lutte qu’ils déplacent le plus souvent, par conséquent, vers d’autres terrains – en gros ceux de la grande presse et surtout des médias audiovisuels –, à l’intérieur desquels ces normes peuvent être aisément combattues aux yeux d’un public peu conscient ou peu soucieux de celles-ci, ce public étant fait à la fois des journalistes qui les reçoivent et de l’audience à laquelle ils s’adressent avec l’intercession de ces derniers.
Ceci ne correspond, insistons-y, qu’à l’une des raisons possibles du succès rencontré par cet essai, dans lequel est entré aussi l’effet d’identification induit par le miroir déformant et grossissant que son auteur tendait à une France se voyant ou se pensant en perte d’influence sur la scène politique et culturelle internationale, en lui procurant à la fois un diagnostic catastrophiste de son déclin et une image agrandie de son passé. Le discours du déclin est toujours en quelque façon, rumination gratifiante, une rumination de la grandeur.
P. Bourdieu, « Séminaires sur le concept de champ », séance du 5 juin 1973, art. cité, p. 25.
Id., pp. 25-26.
P. Bourdieu et L. Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », art. cité, p. 42.
Le premier à pointer ce qu’on a aussi appelé le « tournant » libéral de la gauche de gouvernement aura été Guy Hocquenghem dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary publiée en 1986, au moment où la première cohabitation sanctionnait la politique de « rigueur » engagée par Laurent Fabius. Il y dénonçait le retournement de veste idéologique d’un certain nombre d’anciens soixante-huitards ou gauchistes passés dans les années 1980 à un libéralisme décomplexé qui leur a permis de se lancer à la conquête des lieux du pouvoir politique, intellectuel ou médiatique. Épinglant les figures très en vue de Jack Lang ou de Bernard Kouchner, de Serge July ou de Jean-François Bizot, de Régis Debray, Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner ou encore André Glucksmann, Hocquenghem insistait sur la pratique du reniement que ces acteurs auraient, selon lui, érigé en méthode avant d’en faire la théorie justificative : « Vous êtes, vous, devenus, si je puis dire, réactionnaires par conformisme, comme vous étiez de gauche par conformisme » (Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Marseille, Agone, coll. « Contre-feux », 2003, p. 47). S’est ainsi dessiné dès 1986 le topos d’un basculement à droite des intellectuels naguère de gauche, topos promis à un certain avenir jusqu’à l’opuscule de Lindenberg. La transformation générale du paysage idéologique français, notamment à la gauche du champ politique, n’en est pas moins un fait, certes complexe, dont témoigne l’évolution d’un journal aussi emblématique que Libération, ayant progressivement glissé, de 1973 aux années 2000, d’une extrême gauche d’inspiration sartrienne à une gauche de plus en plus sociale-démocrate (voir, à ce sujet, Pierre Rimbert, Libération. De Sartre à Rothschild, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2005). Dans un registre moins ouvertement polémique que Guy Hocquenghem, l’historien américain Michael S. Christofferson a très précisément décrit le rôle joué par toute une série d’intellectuels le plus souvent de gauche dans l’émergence, entre 1968 et 1981, de « l’idéologie antitotalitaire en France » (Les Intellectuels contre la gauche (2004), trad. A. Merlot, Marseille, Agone, coll. « Contre-feux », 2009). La séquence suivante de cette transformation du paysage politique, des années 1980 aux années 2000, a fait l’objet, sous la plume de Didier Éribon, d’un essai aussi percutant que solidement argumenté, et qui a d’autre part le mérite, en portant l’accent sur le travail de production et d’inculcation idéologique conduit par nombre de revues et de cénacles en temps de recul des sciences sociales et de disparition des grands représentants de la pensée critique, de mettre en discussion le topos du « libéralisme moral » associé, par tant de pamphlétaires de droite et de gauche, à la conversion de la gauche dominante aux valeurs du Marché (D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Paris, Éditions Léo Scheer, coll. « Variations », 2007). Ces glissements de terrain idéologiques ont bien entendu prêté à d’autres interprétations, non moins engagées, qu’elles émanent de ceux qui en ont été les agents ou d’historiens des idées mieux disposés à l’égard des valeurs dont ces derniers se sont voulus porteurs ; il en va ainsi dans la contextualisation rétrospective proposée par M. Angenot de la « Querelle des nouveaux réactionnaires », vue comme ultime sursaut de résistance, sous alibi progressiste, à la démonétisation de l’utopie révolutionnaire au sein de l’intelligentsia française (voir Discours social, vol. 45, 2014, ainsi que sa contribution à l’ouvrage collectif Le discours « néo-réactionnaire » (éd. citée), « Les Rayons et les ombres. Querelle des “nouveaux réactionnaires” et critique des Lumières »). Il n’y a rien de bien surprenant, au demeurant, à ce que ces événements intellectuels et politiques successifs prêtent à lectures antagonistes, le point de vue adopté sur ces événements participant de la dimension idéologique qu’ils présentent, au sein d’une histoire générale des idées répliquant les conflits d’idées qu’elle prend pour objet.
Ces deux expressions « messagers de l’inquiétude » et « propagandistes du “Tout va bien” » sont empruntées au « Manifeste pour une pensée libre » que publieront dans les colonnes de L’Express, en 2002, quelques-unes des personnalités visées par l’auteur du Rappel à l’ordre.
Cette substitution du « sociétal » au « social » ou du Tiers Monde au prolétariat (ou encore, sous une variante évidemment extrémiste, des populations immigrées au peuple « de souche ») constitue l’un des lieux communs des opposants de gauche et de droite à la gauche sociale-démocrate. Comme à d’autres égards se combinent ici, en diverses proportions, des éléments relevant d’un constat factuel et des éléments de polémique proprement idéologique semblant validés par le fait qu’ils circulent de la droite dure à une certaine gauche radicale.
Ce type de retournement dialectique, dont l’essai de Lindenberg a montré l’exemple en 2002, a été illustré, très récemment, par la réaction induite, au plus haut niveau du gouvernement, par l’essai du démographe Emmanuel Todd au sujet des manifestations parisiennes ayant réagi à la tuerie du 11 janvier 2015 à Charlie Hebdo, manifestations dont l’unanimisme politique et médiatique, sur fond d’islamophobie maquillée aux couleurs de la liberté d’expression, lui avait fait, disait-il, l’impression d’un « flash totalitaire » (Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Paris, Seuil, 2015). Une polémique s’en est suivie mettant aux prises l’auteur de cet essai avec le premier ministre Manuel Valls, lequel avait aussitôt, dans une tribune au Monde, associé la thèse et le ton de cet ouvrage au climat de cynisme et de déclinisme où il voyait s’enfoncer un nombre croissant d’intellectuels de tous bords : « Je réponds, ici, à Emmanuel Todd, mais je ne réponds pas qu’à lui. Le plus inquiétant dans ses thèses, c’est qu’elles participent d’un cynisme ambiant, d’un renoncement en règle, d’un abandon en rase campagne de la part d’intellectuels qui ne croient plus en la France. J’aimerais que plus de voix s’élèvent pour défendre notre pays, pour mieux en penser les défis, pour relever l’étendard de l’optimisme » (Manuel Valls, « Non, la France du 11 janvier n’est pas une imposture », Le Monde, 7 mai 2015 : http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/05/07/manuel-valls-nous-devons-resister-au-pessimisme-ambiant_4629245_3224.html). Moins que l’inflation subséquente de la polémique (Todd assimilant Valls à un nouveau Pétain rappelant à l’ordre les « mauvais Français »), c’est la réaffirmation de « l’optimisme » nécessaire, en réponse à la charge polémique de l’ouvrage, réaffirmation transparente jusque dans la métaphore de « l’étendard » qu’elle convoque, qui paraît ici significative de l’intérêt susceptible d’être retiré, du côté du pouvoir « progressiste » en place, par les charges très vives dont il peut faire l’objet venant d’intellectuels outrancièrement réfractaires à la doxa commune.
Pour reprendre l’expression de Sébastien Fontenelle, Les Briseurs de tabous. Intellectuels et journalistes « anticonformistes » au service de l’ordre dominant, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2012.
La question de savoir si les usages d’une œuvre et a fortiori d’un ensemble d’œuvres engagent de manière même non formelle la responsabilité de leur(s) auteur(s), la frontière à tracer entre détournement d’une œuvre par ses récepteurs et destination potentiellement inscrite dans cette œuvre relèvent de problématiques trop complexes pour être abordées ici. Celles-ci devraient être, au surplus, examinées dans le cadre plus général de la définition de la production intellectuelle et du statut de l’écrivain à l’âge moderne et démocratique. Voir, sur ce cadre, l’ouvrage de Gisèle Sapiro, La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (xixe-xxe siècle), Paris, Seuil, 2011.
« Si vous proposez de supprimer le CDI, on saluera votre audace, mais si vous appelez à le généraliser, on vous traitera de démagogue. Lancez la conversation sur le racisme anti-blanc, on s’extasiera sur votre courage. Parlez d’islamophobie, on vous ostracisera. Aujourd’hui le sexisme ordinaire prétend briser les tabous féministes, tandis que la xénophobie la plus banale affirme rompre avec la doxa “immigrationniste”. » Et de relier ce discours de fausse transgression, inspiré par une morale du « bon sens », aux politiques néolibérales : « La xénophobie d’en haut joue un rôle décisif : elle offre l’identité culturelle pour compenser la désaffiliation néolibérale. [Celle-ci] a besoin des discours sur l’identité nationale et l’insécurité culturelle pour valider sa conception du peuple. En dépit, ou à cause, de leur haine de la modernité, ces “briseurs de tabous” sont donc les intellectuels organiques du néolibéralisme » (Éric Fassin, entretien avec Marion Rousset, Regards.fr, 2 décembre 2014 : http://www.regards.fr/web/article/eric-fassin-les-briseurs-de-tabous). Ajoutons que l’un des éléments de discours des néolibéraux étant d’appeler à des « réformes », c’est-à-dire à une réforme demandant que soient sans tarder profondément réformées (c’est-à-dire inversées) les réformes sociales obtenues dans le passé, c’est un semblable renversement qui se trouve, au fond, à l’œuvre dans la volonté de « briser les tabous » ou d’en découdre avec le « politiquement correct » dont se réclament tant de « néo-réactionnaires » et ceux qui les suivent : les tabous à briser, le « politiquement correct » en place sont en grande partie le résultat, le produit démocratique de tabous brisés dans un passé plus ou moins récent (c’est-à-dire de structures de domination longtemps données et pensées comme appartenant à l’ordre naturel des choses : phallocratisme, ethnocentrisme français, européen, occidental, etc.).
R. Millet, De l’antiracisme comme terreur littéraire, éd. citée.
Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Vers l’extrême. Extension des domaines de la droite, Paris, Éditions Dehors, 2014, p. 15.
Id., p. 68.
Id., pp. 73-74.
Loc. cit.
P. Bourdieu et L. Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », art. cité.
Certains juristes, en particulier, ont à cette occasion multiplié interventions télévisées ou publications dans diverses revues de droit témoignant d’une conception très jusnaturaliste des problématiques relatives au mariage et à la filiation. Voir à ce sujet la contribution très documentée de Nicolas Thirion, « La science du droit aux mains des “nouveaux réactionnaires”. PaCS, mariage pour tous et ordre naturel », dans P. Durand et S. Sindaco (dir.), Le discours « néo-réactionnaire », éd. citée.
Nous reviendrons au moment de conclure sur cette coalition interdiscursive – mode de coopération ajusté à un collectif fonctionnant davantage sous la forme d’un réseau informel – avec quelques moments et quelques points fusionnels – que d’un groupe à proprement parler.
Cette même circulation peut contribuer à faire émerger à la surface du discours social des problématiques, des opinions, des expressions clichées qui jusque-là appartenaient à des zones de radicalité politique n’ayant que peu accès à l’espace public général. L’expression de « Grand Remplacement » référant à un processus de contre-colonisation silencieuse de la France par les populations immigrées, en est un cas frappant. Le romancier Jean Raspail avait, le premier, tourné ce processus en fable apocalyptique dans Le Camp des saints, publié chez Laffont dès 1973 et significativement republié en 2011. Mais c’est à Renaud Camus que l’on doit d’avoir forgé l’expression recouvrant ledit processus dans un ouvrage assez confidentiel paru la même année sous ce titre (Le Grand Remplacement, Paris, Éditions David Reinharc, 2011). Bientôt relayée sur différents sites identitaires, l’expression s’est vue ensuite plus largement diffusée, avec émollient médiatique, par l’intermédiaire d’un Éric Zemmour ou d’un Ivan Rioufol au Figaro, en perdant en chemin chez celui-ci, d’un éditorial à l’autre, les guillemets dont il avait d’abord cru devoir l’entourer (voir sur ce point Nolwenn Le Blevennec, « Le “grand remplacement” : l’idée raciste qui se propage », Rue89, 11 juin 2014). Ainsi blanchie, l’expression figure désormais en bonne place dans la phraséologie du Front National. Rappelons que l’idée qu’elle recouvre a aussi hanté, en 2015, un roman-événement tel que Soumission de Michel Houellebecq. La propagation de ce thème, idéologème reliant discours « néo-réactionnaire » et discours d’extrême droite, a été décrite par Edwy Plenel, dans un article sur Mediapart, « L’idéologie meurtrière promue par Éric Zemmour » (5 janvier 2015).
M. Angenot, La Parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes, Paris, Payot, coll. « Langages et Sociétés », 1982.
Id., p. 38. Nous résumons dans ce paragraphe et le suivant l’analyse développée par l’auteur de La Parole pamphlétaire et lui empruntons son matériau conceptuel (signalé par les italiques).
Id., p. 21.
Id., p. 337.
Ibid.
Id., p. 35.
Id., p. 339.
Id., p. 349.
Id., p. 341.
Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique », 1991.
Id., p. 27.
Ibid.
Id., p. 28.
Id., p. 35.
Id., pp. 33-39.
On voit ici l’intérêt tactique de deux des postures politiques que les « néo-réactionnaires » affichent volontiers, à côté du « pas de gauche » déjà évoqué et sans oublier ceux qui se revendiquent d’une droite « décomplexée » : posture du repenti du gauchisme ou du renégat de la gauche, propre à placer les uns en position avantageuse de ceux à qui « on ne la fera plus », dessillés qu’ils sont quant aux « illusions » et aux « impostures » pour y avoir donné et en être revenus ; et posture « ni de droite ni de gauche », de nature à en placer d’autres en condition de percer à jour, sans se laisser tromper par des divisions de surface ou des conflits conjoncturels, l’uniformité en fait de vision du monde caractéristique des élites au pouvoir.
Voir Éric Hazan, LQR. La propagande du quotidien (Paris, Liber-Raisons d’agir, 2006), Alain Bihr, La Novlangue libérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste (Lausanne, Éditions Pages Deux, coll. « Cahiers libres », 2007), Pascal Durand (dir.), Les Nouveaux Mots du Pouvoir. Abécédaire critique (Bruxelles, Aden, 2007) ou encore Thierry Guilbert, L’« évidence » du discours néolibéral (Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, coll. « savoir / agir », 2011).
Sur la genèse de ces deux stéréotypes et la « mythologie » qui les articule, voir Gérard Mauger, « Le Beauf et le Bobo », dans Lignes, n° 45, dossier sur « Les nouvelles droites extrêmes », octobre 2014, pp. 130-140. Qu’il entre dans l’imaginaire social ainsi représenté une part de vérité – de puissants mécanismes de « distinction » sont effectivement à l’œuvre au sein desdites classes moyennes, qui les portent aussi bien à caricaturer les classes inférieures qu’à idéaliser les classes supérieures – n’ôte guère à la chape mythologique dont on recouvre cet imaginaire, et l’on pourrait même estimer qu’elle tend plutôt à l’alourdir : répondre à un racisme de classe par un autre racisme de classe ne rééquilibre pas plus les choses que l’on ne corrige une injustice par une autre injustice.
Michel Houellebecq, « Le conservatisme, source de progrès », Le Figaro magazine, 8 novembre 2003 ; repris sur le site du Nouveau Réactionnaire : http://www.nouveau-reac.org/textes/michel-houellebecq-le-conservatisme-source-de-progres/.
Éric Fassin met cette même propension à la tautologie en lumière sous l’angle d’un rapport à une « science » identifiée au « bon sens » : « Parmi ceux qui opposent la “réalité” aux intellectuels de gauche, accusés d’être des “bobos”, beaucoup n’hésitent […] pas à se réclamer de la science. C’est ce qu’on a vu contre “la-théorie-du-genre” : en 2011, la Droite populaire confondait délibérément science et sens commun dans sa critique des manuels de SVT. D’où le slogan de la Manif pour tous en 2012 : “Pas d’ovules dans les testicules !” La “vraie science”, à leurs yeux, c’est donc ce qui confirme le bon sens. Les femmes sont des femmes, les Français sont des Français et les musulmans sont des musulmans : la tautologie est la figure préférée de cette rhétorique droitière » (art. cité).
M. Angenot, « La querelle des “nouveaux réactionnaires” et la critique des Lumières », éd. citée, p. 131.
Id., p. 133.
Il n’est pas absurde de penser, dans ce sens, que l’expertise des uns et la réduction croissante des enjeux politiques à un ajustement des décisions et des structures aux « changements » d’un monde « de plus en plus complexe » ont aujourd’hui pour répondant, sinon pour escorte, l’emphase et le pathos des autres. Par une sorte de répartition des rôles et des places, les « experts » agissent dans l’ombre des cabinets ministériels, des commissions, des fondations et autres think tanks, mais aussi dans les émissions de débat politique les plus sérieuses en guise de médiateurs, sous couvert de « commentaire », des décisions ou des directions prises ; les « intellectuels médiatiques », eux, jouent plutôt leur partie, par définition, dans les pages débats des grands journaux et sous les projecteurs des plateaux de talk shows – non sans faire office, à l’occasion, de conseillers des princes lorsque ceux-ci entendent conférer à leur action, auprès d’un public élargi, le relief d’héroïsme intellectuel, la prime morale et philosophique dont cette action est ordinairement dépourvue.
La manière dont Bernard-Henri Lévy, après avoir valorisé contre lui la figure de Malraux, s’est placé dans l’héritage de Sartre en est une des manifestations (voir Le Siècle de Sartre. Enquête philosophique, Paris, Grasset, 1999, et aussi les dix volumes de ses Questions de principe, remémorant à la fois Question de méthode et la série des Situations I-X de son illustre aîné). En témoignerait aussi la biographie de Camus très réflexivement hagiographique publiée par Michel Onfray (L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Paris, Flammarion, 2012). Ces deux essais pourraient au demeurant être examinés sous l’angle de la compétition de plus en plus forte que leurs auteurs entretiennent – à travers aussi l’opposition radicale construite par le second entre Sartre et Camus – au sein du champ des philosophes médiatiques.
Nous tirons profit, sur ce dernier point, d’une remarque de Louis Pinto, Le Café du commerce des penseurs. À propos de la doxa intellectuelle, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2009, p. 10. C’est un fait de conversion de ce type que Michael Christofferson procurait, au sujet de François Furet, en remarquant que le livre publié par ce dernier avec Denis Richet sur La Révolution française, en 1965 chez Hachette, « lui [a permis] de quasiment transformer sa célébrité journalistique en titre académique, opération qui fait progresser sa carrière d’historien même s’il n’a pas fini son doctorat. La publication de La Révolution française inaugure sa carrière d’historien “révisionniste” de la Révolution » (Les Intellectuels contre la gauche, éd. citée, p. 320).
Problématiques tantôt diffuses et constantes comme l’École, l’évolution démographique, la jeunesse, la sécurité et l’ordre public, la culture de masse ; et tantôt mises en relief sous les feux de l’actualité, par des événements comme telle réforme des programmes scolaires, telle poussée de violence dans les banlieues, tel fait divers dramatique, tel attentat, etc. Le discours sur l’École tournera en ces cas en discours sur le déclin de l’école républicaine, le discours sur la sécurité en discours sur l’insécurité croissante, le discours sur l’immigration en discours sur l’immigration incontrôlée et les menaces que celle-ci fait peser sur une « laïcité » instituée, non plus en principe juridique, mais en valeur identitaire, etc.
Friedrich Nietzsche, Humain trop humain, trad. A.-M. Desrousseaux et H. Albert, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1988, p. 488.
Sur cet écosystème néo-télévisuel et viral – mais aussi éditorial – au sein duquel se déploie le discours des « nouveaux réactionnaires », voir P. Durand, « Le marché des radicaux libres. Sur quelques conditions médiatiques de la posture “néo-réactionnaire” », dans Quaderni, n° 87, printemps 2015, pp. 101-118. La métamorphose générale du champ de la télévision après 1980, avec les effets qu’elle a exercés sur la mise en représentation de la politique et sur la politique elle-même, a fait l’objet d’un remarquable ouvrage de synthèse sous la plume de Pierre Leroux et Philippe Riutort, La Politique sur un plateau. Ce que le divertissement fait à la représentation, Paris, Presses Universitaires de France, 2013.
Ainsi, du symbolisme au « nouveau roman », en passant par le surréalisme, la forme groupale, quoique signifiée par diverses structures ou attitudes, a été aussi classiquement désavouée que par leurs leaders successifs leur position de chef de file.
Ces plates-formes font également office, comme chez d’autres collectifs plus ou moins militants, de dossiers de presse. Un site très actif comme Stalker. Dissection du cadavre de la littérature relève plus classiquement de la critique littéraire, mais d’inspiration néo-bloyenne : les comptes rendus, très fouillés, y tiennent fréquemment de l’éreintement ou du règlement de compte, y compris au sein de la mouvance « réactionnaire ».
Cette machine médiatique produit quelques best-sellers. Elle se montre aussi capable de lancer à grand succès en 2013 sur le marché du livre et de l’opinion un produit de marketing commercial et idéologique tel que La France orange mécanique de Laurent Obertone, à l’enseigne des éditions Ring, compilation de faits divers parus dans la presse régionale censée faire état de l’ensauvagement de la France et du peu de cas fait de ses victimes, sur fond de darwinisme social et de vision racialisée de la criminalité (Paris, Ring, coll. « Sur le ring », 2013). Sous la signature de ce même auteur, soutenu par le criminologue Xavier Raufer et abondamment relayé sur les sites d’extrême droite, ont ensuite paru, aux mêmes éditions, un récit de la tuerie sur l’île d’Utøya, narré du point de vue d’Anders Breivik, avec une préface par Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs en série (Utøya, 2013), et La France Big Brother (2015).
E. Lévy, « Alain Finkielkraut : Habemus Papam ! », Causeur.fr, 7 mai 2014. URL : http://www.causeur.fr/alain-finkielkraut-academie-francaise-lancelin-27432.html#
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