1Dans l’État d’Amapá, en dehors des Amérindiens, les petits exploitants sont en grande partie des migrants d’autres régions du Brésil. Deux mouvements migratoires liés au travail jouent un rôle dans l’installation temporaire ou définitive de ces migrants dans les communes de l’Amapá. Un premier consiste en un déplacement vers des sites de travail formels, dans ce que Lima (2008) définit comme “ le début de la structuration productive et de l’organisation de l’espace (1940-1970) » ; un second correspond aux mouvements de personnes entre sites de travail légaux et illégaux à l’intérieur de l’État, ainsi qu’avec des sites extra-frontaliers en Guyane française et au Surinam. Au final, les migrants, à la faveur de la démobilisation de la main d’œuvre sur les sites légaux et illégaux de travail, se retrouvent dans des assentamentos de l’Institut National de Colonisation et Réforme Agraire (INCRA) ou dans des lotissements privés appelés fundiários.
2A partir de là, il est possible d’identifier les acteurs et leur positionnement à l’intérieur du territoire frontalier. Moraes (1996) décrit le territoire comme “ un produit social, un résultat historique de la pratique humaine », en précisant : “ L’espace ne qualifie pas les processus sociaux, mais est au contraire défini par eux ». Cette définition et la séparation des concepts géographiques qu’elle porte nous permettent d’appréhender le territoire comme une construction sociale. Pour ce faire il est nécessaire de saisir le rôle et le poids de la frontière dans l’élaboration de ce territoire spécifique. À ce titre Steinman (2002) indique que “ la création d’un instrument légal chargé de la zone de frontière est déjà un indicatif très fort de la reconnaissance [par l’État] de sa valeur stratégique ». Cette création implique l’imposition de règles, le respect ou le non-respect de ces règles agissant sur les relations entre acteurs.
3Les fondements conceptuels de l’analyse que nous proposons reposent notamment sur les travaux de Raffestin (1993) relatifs à la définition des ressources. Pour cet auteur la notion de ressource est liée aux relations entretenues entre les acteurs au cours de l’appropriation de matières premières ; en effet
“ la relation avec la matière est politique, dans le sens que [le travail] est un produit collectif. (…) Toute relation à la matière est une relation de pouvoir qui s’inscrit dans le champ politique par l’intermédiaire d’un mode de production. (…) Une ressource est le produit d’une relation. A partir de là, il n’y a pas de ressources naturelles, mais seulement des matières naturelles (Becht, 1975) » (Raffestin, 1993, p. 225).
4Les ressources économiques sont une construction politique et la frontière/limite devient par ses règles (Crozier & Friedberg, 1977), de protection en premier abord, le support de ce construit social. L’évolution des mécanismes d’intervention de l’État, allant de la protection de la frontière à la protection de la nature par le couloir de la biodiversité, en passant par les projets d’assentamentos - PA, loin de représenter une contradiction dans les politiques publiques, est le reflet de ces construits sociaux.
5Nous proposons ici une analyse de l’implication des petits exploitants agricoles dans les processus et mécanismes de construction du territoire, en tant qu’acteurs stratégiques en interaction avec les autres, à partir des modes de circulation et de vente des denrées agricoles qu’ils produisent. Cette analyse est le résultat d’une étude prospective sur l’Agriculture familiale dans la zone de frontière entre le Brésil et la Guyane française dans les communes de l’Amapá, à savoir : Calçoene, Laranjal do Jari, Pedra Branca do Amapari, Serra do Navio et Oiapoque. Cette étude a été réalisée entre juin et octobre 2010 pour le compte de l’Observatoire Hommes/Milieux Oyapock, du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à Cayenne – Guyane française.
6L’article est structuré en trois sections : a) présentation de la gestion institutionnelle des zones de préservation et de conservation environnementale ainsi que celle du foncier agricole dans la zone frontalière entre Brésil et Guyane française, dans une logique de contrôle du territoire par l’État ; b) en contrepoint, analyse de l’action et du rôle des petits exploitants agricoles en tant qu’acteurs de la construction sociale du territoire ; c) en conclusion, réflexion prospective cherchant à formuler des orientations pour un accompagnement et un appui aux activités agricoles des petits exploitants dans la zone frontalière avec la Guyane française dans la commune d’Oiapoque, Amapá.
7L’intervention de l’État fédéral brésilien dans ses zones frontalières du Nord repose sur trois prérogatives régaliennes majeures : la Défense Nationale, la protection des populations amérindiennes, la protection de l’environnement et des ressources naturelles. La loi n° 6.634 du 2 mai 1979 et les programmes de protection de la frontière qui en découlent concernent la défense de la Nation ; les politiques publiques de protection des droits des populations amérindiennes consécutives à la Constitution de 1988, et notamment la démarcation et la création des Terres amérindiennes (Terra Indígena, TI), constituent des mécanismes de gestion du territoire frontalier très présents au Nord, et particulièrement dans l’État de l’Amapá, frontière avec la Guyane française. Le tableau 1 dresse un panorama de l’intervention fédérale dans la zone de frontière.
Tableau 1 : L’intervention de l’État en zone de frontière
ZONE DE FRONTIÈRE
|
Compétences gestionnaire des Ministères de l’État brésilien
|
Compétence gestionnaire Régional
|
Intégration
|
Justice
|
Défense
|
Développement
Agraire
|
Environnement
|
État d’Amapá
|
Entité publique
|
FUNAI
|
-
|
INCRA
IMAP
|
IBAMA
ICMBio
|
IEF
|
Programme de Développement de la Zone de Frontière
PDFF
|
|
Projet Calha Nord
PCN
|
Couloir de la biodiversité
Zone de conservation et préservation - SNUC
|
Chaînes productives Locales
APL
|
Terres Amerindiennes
|
Volets militaire et civil
|
Projet Territorios da cidadania
|
RESEX ; RDS ; Foret national ; Parcs ;
|
|
FLOTA/AP
|
Populations locales
|
Amérindiens
|
Populations locales
|
Assentados et Fundiarios
|
Populations locales
|
Exploitants Concessionnaires
|
Source : Sites internet du gouvernement brésilien.
8En matière de protection de l’environnement et d’interaction entre acteurs et agents, les mécanismes les plus récents en Amapá sont ceux instaurant un Couloir de la biodiversité, fixé par la loi fédérale n° 9.985 de l’année 2000. Cette loi institue le Système National des Unités de Conservation de la nature (SNUC). Elle détermine deux catégories d’usage des ressources naturelles : les unités de protection intégrale et les unités d’usage durable. Dans la catégorie protection intégrale s’inscrivent le Parque Nacional Montanhas do Tumucumaque (PNMT), et le Parque Nacional do Cabo Orange (PNCO). Le PNMT se localise directement dans la zone de frontière internationale entre le Brésil et la Guyane française. Il absorbe les communes de Calçoene, Laranjal do Jari, P. B. do Amapari, Serra do Navio et Oiapoque, État d’Amapá. Le Parc du Cap Orange se situe sur les communes de Calçoene et Oiapoque. Dans la commune d’Oiapoque, les activités extractives autorisées à l’intérieur du PNMT sont restreintes à l’agriculture de subsistance ou à l’extraction du bois pour l’usage personnel des habitants de la communauté de Vila Brasil, sur la berge du cours moyen de l’Oyapock face à la commune guyanaise de Camopi. Dans le cas du PNCO, l’Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables (IBAMA) accepte la pêche artisanale pratiquée par les communautés qui s’y trouvent : le hameau de Taperaba et la communauté de Vila Velha, liés administrativement à la commune d’Oiapoque, ainsi que la communauté Cunani qui appartient à la commune de Calçoene (livret PNCO/ICMBio/IBAMA).
9Dans la catégorie d’usage durable s’inscrivent les unités d’usage ou de conservation des ressources naturelles et de protection de la connaissance traditionnelle des communautés. Le tableau 2 identifie, au sein des communes frontalières et de celles qui leur sont limitrophes, les unités de conservation et leurs modes de gestion.
Tableau 2 : Zones officielles d’extraction forestière
Entités
|
RESEX
de la rivière Cajari
|
RDS de la rivière Iratapuru
|
Forêt de l’Amapá FLOTA
|
RESEX
Beija-flor brilho de fogo
|
Année de création
|
1990
|
1997
|
2006
|
2007
|
Administrateur
|
CNPT/IBAMA
/ICMBio
|
SEMA
|
IEF
|
CMMTur
|
Surface (ha)
|
481650
|
806184
|
Sans informations
|
68524
|
Coopératives
|
COMAJA
COOPERALCA
|
COMARU
|
4 modules
|
COMARU
|
Ressources
|
Extraction forestière non ligneuse
|
Agriculture ; Extraction forestière non ligneuse ; Pêche
|
Ressources ligneuses et non ligneuses
|
Agriculture ; Extraction forestière non ligneuse ; Pêche
|
Communes
|
Laranjal do Jari
Pedra Branca do Amapari
|
Laranjal do Jari
P B do Amapari
|
Serra do Navio
P B do Amapari
Calçoene
Oiapoque
|
P B do Amapari
|
Sources : IBAMA ; IEPE ; Diniz 2005
10Dans ce qui est actuellement appelé couloir de la biodiversité, une Réserve Extractiviste (RESEX) a été créée en 2007 dans les communes de Laranjal do Jari et Pedra branca do Amapari. Nommée Beija-flor brilho de fogo, cette RESEX est administrée par le Bureau de l’Environnement et du Tourisme (SMMTur) de la commune de Pedra Branca do Amapari. Elle s’appuie sur la Coopérative Mixte d’Exploitation Forestière des Producteurs de l’Iratapuru (COMARU). Les adhérents de la COMARU exploitent la Noix du Brésil (Bertholetia excelsa), le Copahu (Copaifera spp), le Bois-l’encens (Protium heptaphyllum) et le Camu-camu (Myrciaria dubia), selon l’étude réalisée par l’Institut des Plans de Gestion et de Certification Forestière et Agricole (IMAFLORA). Une Réserve de Développement Durable (RDS) nommée RDS de l’Iratapuru est également présente sur la commune de Laranjal do Jari.
11Les politiques publiques de gestion des ressources naturelles émanent d’un partage des responsabilités entre les différentes entités fédérées de l’État, aux niveaux Fédéral, régional et communal. Les zones de préservation constituent un deuxième moment dans le maillage de la gestion territoriale par les institutions publiques. Ce partage des responsabilités, nous le retrouvons dans la gestion de la Forêt de l’État d’Amapá (FLOTA/AP) créée par la Loi 1.028 en 2006. La FLOTA introduit de nouveaux acteurs, soit via le cadre administratif de l’Institut Fédéral des Forêts (IEF), soit via les nouveaux exploitants concessionnaires, par la mise en place d’un régime de concessions assis sur un Plan de Gestion et d’Octroi Forestier (PAOF) :
“ Tous les modules (…) de la FLOTA/AP relèvent du processus de concession dans le PAOF de l’État. Les modules 01, 02 et 03 (…) se présentent comme candidats prioritaires et devront être considérés dans les premiers appels publics de concession élaborés par l’Etat ». Page 22, PAOF-2009/2010. “ Module 1 : Inclusion Communale. En proportions différentes, sont incluses les communes de Serra do Navio et de Pedra Branca ». Page 23, PAOF-2009/2010.
12Par les programmes d’appui au développement durable nous observons à la fois la présence effective de l’État dans la frontière et son rôle actif dans l’évolution du contenu spatial par des politiques publiques ciblées.
13La gestion du foncier agricole est réalisée par l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (INCRA), organisme de gestion fédérale, et par l’Institut de l’Environnement et de l’Ordination du Territoire (IMAP), compétence de l’État d’Amapá. Ce double niveau de compétence dans la gestion du foncier et la protection de la zone de frontière invite à rappeler les définitions usuelles en agriculture familiale : nous admettons la définition de “ petite exploitation » donnée par la Loi 4.471 de 1965, même si celle-ci est en cours d’évaluation :
Art. 1, 2° encart, paragraphe I : “ la petite propriété rurale ou possessionii rurale familiale est celle qui est exploitée par le travail personnel du propriétaire ou possesseur et de sa famille. L’aide éventuelle d’une tierce personne est admise à condition que le revenu brut provienne, au minimum, à quatre-vingts pour cent des activités agricoles ou de l’extraction forestière, et que l’aire exploitée ne soit pas supérieure à cent cinquante hectares dans les États de l’Acre, du Pará, de l’Amazonas, du Roraima,, du Rondônia, de l’Amapá (...) ».
14Les petits exploitants, travaillant sur un aire qui n’est pas supérieure à 150 ha, sont en majorité issus d’une population migrante, développent des activités extractives et agricoles. Ils se différencient par les moyens entrepris vers l’accès au foncier agricole. Les façons d’accéder au foncier agricole permettent de distinguer les fundiários, exploitants agricoles qui achètent la propiété d’un particulier, des assentados, travailleurs ruraux sans terre accédant au foncier par le biais des projets de colonisation de l’INCRA ; il leur revient alors de cultiver leur lot et de promouvoir son développement économique. Le tableau 3 liste les projets d’Assentamentos pour chacune des communes de la zone d’étude élargie.
Tableau 3 : Les Projets d’Assentamentos dans les communes de l’étude
COMMUNES
|
OIAPOQUE
|
CALÇOENE
|
Gestionnaire
|
INCRA
|
INCRA
|
Dénomination
|
PA Igarapé grande
|
PA 1er du Cassiporé
|
PDS
Irineu et Felipe
|
PAE
Murum
|
PA Lourenço
|
PA Carnot
|
Année de création
|
2002
|
1999
|
2005
|
2002
|
1999
|
1986
|
Surface (ha)
|
1770,4
|
27643
|
10681
|
7000
|
7 200
|
SI
|
Lots programmés
|
35
|
170
|
213
|
70
|
306
|
SI
|
Lots actuels
|
55
|
SI
|
54
|
90
|
364
|
SI
|
Lots identifiés
|
34
|
30
|
SI
|
SI
|
212
|
33
|
Nombre de familles
|
SI
|
289
|
20
|
SI
|
488
|
S
|
|
|
|
|
|
|
|
COMMUNES
|
SERRA DO NAVIO
|
LARANJAL DO JARI
|
P B DO AMAPARI
|
Gestionnaire
|
INCRA
|
INCRA
|
INCRA
|
Dénomination
|
PA Serra do Navio
|
Projet Casulo
|
PA Perimetral
|
PA Pedra Branca
|
Année de création
|
1995
|
SI
|
1987
|
2000
|
Surface (ha)
|
25000
|
3000
|
34000
|
SI
|
Lots programmés
|
250
|
100
|
680
|
400
|
Lots actuels
|
SI
|
108
|
SI
|
SI
|
Lots identifiés
|
139
|
SI
|
286
|
55
|
Nombre de familles
|
8
|
SI
|
SI
|
143
|
Sources : INCRA/Macapa ; Site internet : http://www.incra.gov.br
15Les interactions entre petits exploitants et État sont complexes. Ainsi la propriété et/ou la possession du foncier par les petits exploitants est contestable lorsque les lots se trouvent dans “ l’aire indispensable à la sécurité nationale de la zone interne de 150 km [à la frontière] », propriété de l’État fédéral brésilien (Article 1 de la loi 6.634 de 1979), carte 1 .
Carte 1 : Zone de frontière entre le Brésil et la Guyane française – l’aire de sécurité nationale
Réalisation : Madeleine Boudoux d’Hautefeuille.
16De surcroît les petits exploitants, assentados ou fundiarios, sont identifiés comme développant des activités de subsistance. En termes d’appartenance aux catégories socioprofessionnelles du secteur agricole, ils sont considérés par certains acteurs politiques, comme travailleurs « temporaires » à cause de la diversification des sources de leurs revenus, notamment ceux obtenus à l’extérieur des exploitations mêmes.
17Il est important de souligner les conséquences de telles catégorisations, qui induisent la représentation symbolique qu’ont certains acteurs politiques locaux à l’encontre des petits exploitants.
- 1 Période de la dernière recherche sur le sujet. Sites du gouvernement brésilien
- 2 Recensement démographique 2010 – l'Institut Brésilien de Géographie et Statistique
- 3 Lignes PRONAF : Agroindustria, Agroecologia, Eco, Floresta, Mulher, Jovem, Custeio e comercializaç (...)
- 4 Ce rapport n'informe pas sur les montants financiers alloués au territoire des Lacs
- 5 Territoires de la Cidadania dans l'état de l'Amapa : 1) territoire sud de l'Amapa ( Communes : Lar (...)
- 6 Taux de change au 23 Avril 2012 : 1 Euro égal à 2,461 Real. 23.794,60 R$ égal à 9.668,67€
- 7 20.921,28 € et 110.188,70€.
18L’association faite entre les activités productives et la notion “ d’activité de subsistance » ou “ activité traditionnelle » revient pour la puissance publique à minimiser ses efforts d’accompagnement, qui visent alors non pas à soutenir l’activité agricole mais à fournir un appui ponctuel lié à installation de la population en zone agricole par la création des PA ou à reconnaître l’existence des lotissements fundiarios. A fin démonstrative, une étude des Déclarations d’Aptitude (DAP) au PRONAF de la commune d’Oiapoque donne un aperçu de l’appui minime ou défaillante à l’intérieur des petites exploitantios agricoles. Selon les informations du Bureau de l’Agriculture Familiale (SAF) du Ministère de Développement agricole (MDA), en 20111 seules 102 déclarations étaient actives alors que 6.657 personnes résidaient2 en zone rurale d’Oiapoque/AP. Durant nos divers travaux menés dans l’État d’Amapá, nous ne sommes pas parvenu à identifier de petits exploitants bénéficiant directement d’aucune des dix3 lignes du PRONAF applicables en agriculture familiale en Amazonie pour l’année 2010. Dans le même sens, l’appui minime ou défaillant, le rapport4 d’activités 2010, Ministère du Développement Agraire, concernant le programme “ Territorios5 da Cidadania », indique au point 29 - relatif au territoire sud de l’État d’Amapá, que l’exercice financier d’un montant6 de 23.794,60 R$ destiné à l’Assistance Technique et Extension Rurale (ATER) n’a pu être attribué, faute d’identification des besoins, d’identification des familles et de “ non contractualisation d’Institutions formatrices pour l’action ». Le point 42 du même document informe que pour ce même territoire le montant7 prévisionnel destiné à l’achat d’aliments de provenance locale (Programme d’Acquisition d’Aliments, PAA) était de 51.487,28 R$ ; l’investissement s’est finalement élevé à 271.174,40 R$, soit plus de 5 fois le montant initialement provisionné. Concernant cet ultime point, nous pouvons arriver à la conclusion qu’à niveau globale la production agricole locale est assez conséquente sans toutefois avoir bénéficié de l’ATER ou avoir eu recours au PRONAF.
19Tant dans les zones de préservation et de conservation que dans les zones productives liées à l’agriculture, nous observons un décalage de l’action publique a) avec l’institutionnalisation des programmes d’aménagement de territoire et b) sur la réelle effectivité des directives d’accompagnement vers le développement économique dans les zones productives.
20Citons l’étude de Ribeiro (2007 : 141) sur les réseaux sociaux dans les zones de préservation. L’auteur indique :
“ La région, avec le mouvement socio-environnemental en faveur des Réserves Extractivistes, et après leur création avec des actions et politiques publiques tournées vers le développement durable, a traversé et traverse des processus socio-environnementaux plus dynamiques encore même s’ils sont sans grand impact sur l’amélioration de la qualité de vie des communautés agricoles et extractivistes ».
21Melo (2007 : 83) dans un travail sur la gestion du Parc National des Tumuc-Humac transcrit l’observation d’un habitant :
“ Ils sont venus et ont fait une réunion ici. Alors il a dit comme ça, qu’il aimerait que la communauté l’aide et ils allaient aider la communauté. On rentrerait avec [un] partenariat. Alors c’était ça qui devrait avoir lieu, mais [ça] a été le contraire. [Le partenariat] n’a pas eu lieu (…). Quand ce parc a été créé ici, il a été fait une seule réunion ici, et [il] a été dit que la communauté devrait aider l’IBAMA, et l’IBAMA aiderait la communauté, mas c’est le contraire qui se produit, vous nous portez préjudice’ (sujet 10). »
22Nous partageons le constat fait par ces auteurs d’un contraste entre un processus social net de préservation des ressources naturelles, et une non-intégration de fait des populations directement concernées par ces programmes publics de développement durable. Ce moment contribue à la divergence de projets entre acteurs et à une mise en place de stratégies spécifiques à chacun, dans le contexte particulier du territoire frontalier construit dans “ un processus d’apprentissage collectif » au sens de Crozier & Friedberg (1977).
23En effet, si d’un côté nous observons que les programmes d’appui officiels sont défaillants, nous constatons par ailleurs la présence effective des agents économiques que sont les petits exploitants. Cette présence est le résultat de l’élaboration et de l’application de stratégies d’insertion à l’économie locale et régionale. Ces stratégies sont à notre sens déterminantes pour comprendre leur rôle d’acteur politique en interaction avec l’État.
24Dans la commune d’Oiapoque les activités agricoles présentent des spécificités explicables par la situation de frontière. Sur la base des informations fournies par le Syndicat des Travailleurs Ruraux d’Oiapoque (STRO) d’après une mesure de contrôle interne, la production des petites exploitations est en diversification et croissance, comme le montrent les informations du tableau 4.
Tableau 4 : Production agricole commercialisée
|
PRODUITS
|
NOMS SCIENTIFIQUES
|
QUANTITÉS
|
MESURES
|
|
|
|
An 2008
|
An 2009
|
|
|
Cultures vivrières sur abattis
|
|
Canne à sucre
|
Saccharum officinarum
|
5 .812
|
4.278
|
unité
|
|
Citron
|
Citrus aurantifolia
|
12.270
|
23.010
|
Unité
|
|
Dachine
|
Colocasia esculenta
|
-
|
100
|
kg
|
|
Haricots secs
|
Phaseolus vulgaris
|
-
|
92
|
kg
|
|
Haricots verts
|
Phaseolus vulgaris
|
794
|
3.090
|
kg
|
|
Igname violette
|
Dioscorea trifida
|
590
|
786
|
kg
|
|
Maïs vert
|
Zea mays
|
800
|
3.233
|
épis
|
|
Manioc : tubercule
|
Manihot esculenta
|
1.677
|
4.789
|
kg
|
|
Manioc : couac
|
Manihot esculenta
|
97.600
|
90.300
|
kg
|
|
Manioc : tapioca
|
Manihot esculenta
|
8.358
|
8.652
|
kg
|
|
Manioc : tucupi
|
Manihot esculenta
|
4.961
|
5.928
|
litre
|
|
Manioc : bouture
|
Manihot esculenta
|
1.305
|
1.425
|
paquet
|
|
Patate douce
|
Ipomoea batatas
|
-
|
184
|
kg
|
|
Potiron
|
Cucurbita maxima
|
325
|
3.172
|
kg
|
|
Riz non décortiqué
|
Oryza sativa
|
490
|
750
|
Kg
|
|
Fruiticulture
|
|
Ananas
|
Ananas comosus
|
-
|
190
|
unité
|
|
Banane
|
Musa X paradisiaca
|
5.140
|
6.964
|
régime
|
|
Bananier : plant
|
Musa X paradisiaca
|
-
|
750
|
unité
|
|
Cacao : chocolat
|
Theobroma cacao
|
-
|
20
|
tablette
|
|
Canne à sucre
|
Saccharum officinarum
|
812
|
4.278
|
unité
|
|
Cerise pays
|
Malpighia emarginata
|
-
|
50
|
kg
|
|
Cocotier : plant
|
Cocos nucifera
|
-
|
79
|
unité
|
|
Corossol
|
Annona muricata
|
-
|
209
|
unité
|
|
Cupuaçu
|
Theobroma grandiflorum
|
5.691
|
2.336
|
unité
|
|
Jacquier
|
Artocarpus heterophyllus
|
-
|
235
|
unité
|
|
Mangue
|
Mangifera indica
|
3.025
|
11.389
|
unité
|
|
Maripa
|
Maximilliana maripa
|
-
|
210
|
kg
|
|
Mombin
|
Spondias mombin
|
700
|
1.470
|
unité
|
|
Noix de coco sèche
|
Cocos nucifera
|
-
|
265
|
unité
|
|
Orange
|
Citrus cinensis
|
19.000
|
27.685
|
unité
|
|
Papaye
|
Carica papaya
|
294
|
430
|
unité
|
|
Parépou
|
Bactris gasipaes
|
-
|
92
|
kg
|
|
Pastèque
|
Citrullus lanatus
|
1.196
|
1.349
|
unité
|
|
Piquia
|
Caryocar villosum
|
1.190
|
2.232
|
unité
|
|
Tangerine
|
Citrus nobilis
|
-
|
300
|
unit
|
|
Wassey
|
Euterpe oleracea
|
607
|
341
|
sac (60 kg)
|
Cultures vivrières
|
Brèdes mafana
|
Spilanthes acmella
|
259
|
2.160
|
botte
|
Coriandre chinoise
|
Eryngium foetidum
|
757
|
2.670
|
botte
|
Concombre
|
Cucumis sativus
|
-
|
129
|
pièce
|
Concombre piquant
|
Cucumis anguria
|
943
|
1.665
|
douzaine
|
Coriandre
|
Coriandrum sativum
|
-
|
4.024
|
botte
|
Épinard
|
Amaranthus sp.
|
-
|
113
|
kg
|
Fève
|
Vicia faba
|
250
|
159
|
kg
|
Gingembre
|
Zingiber officinale
|
-
|
5
|
kg
|
Gombo
|
Abelmoschus esculentus
|
870
|
2.486
|
douzaine
|
Oseille rouge
|
Hibiscus sabdariffa
|
81
|
362
|
paquet
|
Piment végétarien
|
Capsicum chinense
|
209
|
1.099
|
paquet
|
Poivre
|
Piper nigrum
|
151
|
224
|
kg
|
Salade
|
Lactuca sativa
|
120
|
77
|
pièce
|
Thé du Mexique
|
Chenopodium ambrosioides
|
-
|
99
|
Botte
|
Source : STRO
25La production agricole se structure autour de cultures vivrières temporaires et permanentes, de vergers, de maraîchage, et d’élevage extensif. Les photographies 1 et 2 illustrent respectivement l’élevage bovin et la culture de plantes vivrières.
Photographie 1 : Élevage bovin sur la rivière Cassiporé – Commune d’Oiapoque
©FAURE, 2010.
Photographie 2 : Cultures vivrières (roça) et élevage de gallinacées à Oiapoque
©FAURE, 2010.
26Les spécificités du secteur agricole dans la région d’Oiapoque relèvent largement des contraintes classiques imposées par le contexte amazonien. L’originalité de la région réside dans son enclavement géographique de “ fin de route » et dans l’expression d’intérêts politiques croisés (Fédéral, État), liés à sa position de frontière internationale avec l’Europe. La combinaison de ces deux facteurs débouche d’une part sur un accompagnement irrégulier, sporadique et inconstant de l’activité agricole par les institutions, d’autre part sur un secteur agricole porté exclusivement par l’activité de petits exploitants peu encadrés qui ne suffit pas à répondre à une demande locale forte, en croissance constante. A titre d’illustration, l’appui donné au transport de la production des petits exploitants : c’est un facteur clé en Amazonie, où les voies de circulation sont souvent peu nombreuses et dans un état précaire.
27Dans la Commune d’Oiapoque, par un accord entre la mairie d’Oiapoque et le Bureau de Developpement Rural (SDR) de l’État d’Amapá, un camion est mis à disposition pour faciliter la circulation des agriculteurs et l’écoulement de la production. Ce camion, n’assurant plus le transport dans la zone agricole proche du centre ville8, desservait à l’époque de notre enquête les abords de la route BR 156 en direction du PA 1er du Cassiporé.
28La photographie 3 montre le service de transport des petits exploitants après le marché. Lorsque un manque de ressources financières empêche la réparation, l’échange de pièces défectueuses ou l’achat de carburant, le transport cesse totalement, que ce soit celui des marchandises ou celui des agriculteurs. Lorsque la liaison entre le marché et les communautés éloignées est interrompue, en raison d’un pont en réparation ou d’une coupure de la circulation sur la route BR 156, les agriculteurs sont tenus d’attendre que le tronçon de la route soit libéré pour la mise à disposition du camion.
Photographie 3 : Transport des petits exploitants après le marché
© FAURE, 2007
29Les contraintes liées à la circulation obligent les petits exploitants à assurer eux-mêmes le transport par des réseaux privés au prix du marché. A titre d’exemple, à Vila Velha du Cassiporé, communauté de ribeirinhos du PA 1er do Cassiporé, le transport de la production se fait en deux temps : un membre de la communauté l’achemine en pirogue jusqu’au pont de la route BR 156 franchissant la rivière Cassiporé ; un commanditaire la récupère et l’achemine par camion là où le produit sera soit revendu soit transformé. Dans le cas d’une production non contractuelle, l’agriculteur paye le transport ou attend l’arrivée hypothétique du camion. La photographie 4 illustre le transport en pirogue qui, au-delà du coût, impose une prise de risque tant pour la marchandise que pour le piroguier qui effectue la liaison.
Photographie 4 : Un des habitants de Vila Velha naviguant sur le Cassiporé
© REINETTE, 2010
30La forme de commerce plus traditionnelle est celle où le producteur assure les frais de transport et d’acheminement de la production jusqu’au marché. Des réseaux de circulation externes ont été identifiés, qui contribuent à dynamiser d’autres secteurs de l’économie, notamment celui de la restauration. L’achat direct dynamise l’économie locale par la création d’autres activités commerciales liées à la revente de la production brute ou dérivée.
31L’acheteur passe commande auprès des agriculteurs sans utiliser les circuits directs de commercialisation acheteur - vendeur du centre ville d’Oiapoque. Dans le PA Igarapé grande et dans le lotissement fundiario Água azul, proche du centre ville, ce type de commercialisation est le plus répandu pour la production des vergers, l’extraction des grumes et l’acheminement du charbon de bois. La photographie 5 prise dans le quartier de Vila Vitoria montre une production de charbon de bois prête à être expédiée.
Photographie 5 : Attente d’expédition du charbon de bois
© FAURE, 2010
32La mise en place de ces circuits de vente permet :
-
I) la réduction du coût de transport supporté par les petits exploitants. En effet selon les quantités, les commerçants fournissent ou payent le transport et les produits avant la récolte ;
-
II) la diversification de la production chez les petits exploitants par l’existence de débouchés économiques variés et dynamiques, tant à l’intérieur des exploitations que pour la commercialisation de la production ;
-
III) la mise à profit de leurs réseaux de connaissances, dans et en dehors de l’État d’Amapá, pour accéder aux informations concernant la distribution ciblée. Cette animation des réseaux sociaux est menée par les petits exploitants, y compris ceux éloignés du marché, notamment dans la communauté de Vila Velha do Cassiporé pendant l’exploitation des productions extractives forestières.
33Un accompagnement adapté serait le résultat, entre autres, d’une valorisation des circuits de vente. Voyons d’abord quelles sont les réalités dans lesquelles vivent producteurs, revendeurs et acheteurs de la zone frontalière, dans le contexte d’isolement qui est le leur.
34Une fois la production acheminée par les producteurs amérindiens de Kumarumã jusqu’au centre ville d’Oiapoque, au marché de la farine (dit aussi marché amérindien), à celui de l’Association des producteurs Ruraux d’Oiapoque (ARO), ou encore à celui du bord du fleuve (Martins, 2007), elleest entièrement commercialisée et écoulée.
35Des commerçants de Saint-Georges-de-l’Oyapock, en Guyane française, envoient leurs employés brésiliens acheter des produits agricoles directement auprès des petits exploitants de la commune d’Oiapoque. Des Brésiliens installés dans la commune guyanaise achètent des produits aux petits exploitants pour la revente en Guyane française. Enfin, des Guyanais viennent acheter des produits agricoles soit directement sur la rive d’en face, au quartier brésilien de Vila Vitória, soit au marché des revendeurs au débarcadère du centre ville d’Oiapoque.
36Par la diversité des marchés et par une clientèle diversifiée, la production locale a de fortes raisons de se développer. Il est aisé de cibler les clientèles en fonction des volumes demandés et de la monnaie d’échange (Euros ou Reais). Un dispositif de valorisation des activités locales serait de faire bénéficier en amont les petits exploitants de l’élan économique introduit par l’Euro, notamment par une mesure d’identification de la valeur réelle de la production locale dans le commerce transfrontalier.
37Au-delà de la question de la structuration de filières pour mieux répondre à la demande de la population, nous proposons à partir du terrain observé, quelques pistes de réflexion en vue de l’amélioration du fonctionnement des activités agricoles et du sort des petits exploitants. Ces propositions sont livrées ci-dessous sans hiérarchisation ni priorité :
-
Améliorer, en la structurant, la diffusion des informations concernant les diverses politiques d’appui aux activités économiques des petits exploitants ;
-
Soutenir les liens entre les petits exploitants et les pépinières (publiques ou privées) en permettant la dissémination des ressources génétiques et en réduisant les coûts d’investissements financiers et personnels des seuls petits exploitants ;
-
Mettre en avant la pratique du cahier de charges (investissements financiers personnels appliqués), possible par la formation des agriculteurs, afin de permettre le transfert des coûts dans la production vers le commerce ;
-
Valoriser les activités agricoles qui connaissent un dynamisme commercial par une politique de valorisation des produits locaux et de leurs dérivés ;
-
Développer une professionnalisation des institutions agricoles en vue de la mise en place de filières ;
-
Identifier les maillons d’entrave au développement et les activités potentiellement rentables (politique des Chaînes Productives Locales, études de marché, éléments logistiques, réglementation européenne…).
38A l’heure de la prochaine inauguration du pont transfrontalier entre le Brésil et la Guyane française, l’économie agricole des petits exploitants de la commune d’Oiapoquereste très précaire. Leurs difficultés à exister et faire circuler leur production découlent en grande partie des stratégies entre acteurs du secteur agricole en Amazonie, dans un contexte de frontière propre à l’Amapá.
39L’État, par l’élaboration, la promulgation et l’application des lois, fait évoluer l’espace et oriente la structuration des territoires. En Amapá, à une zone de défense politico-militaire liée à toute frontière internationale, se superpose une zone de “ défense environnementale » en construction. La population éventuellement consultée ne co-définit pas réellement les règles de protection et/ou de conservation de l’environnement, et donc des ressources naturelles dont elle dépend le plus souvent pour sa subsistance. Le savoir séculaire que la population a de ces ressources est un atout pour les politiques publiques soucieuses de développement durable et de respect des cycles naturels. Pour la population, ce savoir peut devenir un carcan si aucune alternative n’est proposée, notamment dans le secteur agricole, aux petits exploitants pour faire reconnaître leurs activités et bénéficier de soutiens structurés.
40C’est donc dans une relation plus équilibrée avec les agents de la puissance publique (fédérale, de l’État, municipale) que les petits exploitants valoriseront de manière plus visible leur rôle d’agent économique contribuant à la construction et au développement des territoires qu’ils exploitent. L’équilibre entre projets de colonisation (PA) et lotissements privés – les petites exploitations – est un indice de rugosité de ce construit social.
41La reconnaissance des assentados et des fundiarios par un statut spécifique existe bien. La question se situe davantage au niveau des formalités administratives. Alléger, clarifier et homogénéiser ces dernières serait un pas en avant qui leur permettrait, dans un premier temps, de consolider les stratégies qu’ils mettent en œuvre au quotidien pour pallier les déficiences et défaillances de l’autorité publique.