1Aux confins de la frontière franco-brésilienne vivent deux peuples amérindiens de langue tupi-guarani, les Teko et les Wayãpi. Ils habitent une commune française située au cœur de la forêt tropicale humide et bordée par un fleuve frontalier, l’Oyapock. Dans cet article, nous nous intéresserons d’abord à la construction historique de ce territoire, puis nous discuterons de la restructuration et de la réappropriation contemporaine de ce territoire, au cœur d’enjeux économiques, environnementaux et sociaux contradictoires.
2Les peuples indigènes qui occupent aujourd’hui le territoire de la commune de Camopi, les Wayãpi et les Teko, sont une construction identitaire historiquement datable ; mais cette datation est dépendante de l’écriture européenne (Chapuis & Rivière, 2003). La tradition orale et les archives anciennes, nous laissent entrevoir que les Wayãpi et les Teko sont une résultante et non un socle. Ainsi, à l’intersection des deux corpus oral et écrit qui s’ignorent, deux peuples émergent à la fin du XVIIe siècle, l’un au Brésil (précisément dans le bas Xingu), l’autre au centre de la Guyane.
3La construction territoriale, quant à elle, ne se superpose d’abord en rien à la construction des identités. L’archéologie amazonienne confirme cet imbroglio ; les archives historiques également. La carte ethnique de l’est des Guyanes est, aux XVIIe et XVIIIe siècle, un kaléidoscope qui va se compliquer lorsque les colonisateurs français, portugais et hollandais vont étendre leurs terrains de jeu (Hurault, 1972 ; Grenand, 1982).
4Les Wayãpi sont nommés dès la fin du XVIIe siècle (avec quelques distorsions persistantes, telle Oyampi), bien qu’ils aient sans doute peu à voir avec ceux qui se désignent ainsi aujourd’hui (Gallois, 1986). À l'inverse, les Teko n’ont réussi à imposer leur nom que depuis une quinzaine d’années, même si cette auto-dénomination est connue depuis la fin du XIXe siècle. Auparavant, ils étaient les Emerillon (terme précédé historiquement de gloses approchantes), ethnonyme sur lequel de nombreuses étymologies ne parviennent pas à s’accorder (Maurel, 2009). Rassurons-nous, aujourd’hui les Wayãpi et les Teko se nomment et sont nommés Wayãpi et Teko. Leur choix a triomphé.
5À partir du XVIIIe siècle, sous l’impulsion des puissances coloniales (Hurault, ibid.), les mouvements des populations indigènes (53 ethnonymes clairement identifiés entre l’est de Surinam et le sud de l’Amapá) vont s’accélérer. Ces mouvements seront centrifuges (attirance pour les objets européens et concentration sur les missions) ou centripètes (fuite par crainte des raids esclavagistes et dispersion loin des épidémies) ; ils affecteront pratiquement tous les peuples amérindiens avec, cependant, des décalages temporels importants et des alternances de stratégie. Car dans les Guyanes comme dans toute l’Amazonie d’ailleurs, la géographie pèse lourd dans la (re)construction des identités. C’est le réseau hydrographique plus que les reliefs qui impose son système nerveux : les facteurs conjugués (le colonial et le géographique), font qu’il y a toujours, au sein d’un même peuple, des Amérindiens du bas cours, des Amérindiens des sources et des Amérindiens du fond des bois.
6Cela n’explique que très partiellement pourquoi l’on a pu passer de 53 entités à la dizaine actuelle, selon le phénomène nommé coalescence (Chapuis, 2007). Ce concept s’oppose rigoureusement à celui d’extinction, non seulement archétypal de la construction anthropologique des peuples d’Amérique, mais aussi utile au développement d’un humanisme critique occidental. Pour ce qui est du bassin de l’Oyapock, riche en ethnodiversité, nous sommes passés de douze à deux entités, ou mieux, deux identités. Dans le cas des Teko et des Wayãpi, la coalescence, démontrée par les archives, les traditions orales et plus récemment la génétique, constitue un faisceau de preuves remarquables (Dugoujon & al., 1994 ; Mazières & al., 2006).
7Pourquoi les Teko et les Wayãpi furent-ils les heureux élus ? Pour des raisons fort différentes. Les Teko restèrent longtemps les plus isolés d’un ensemble de groupes tupi-guarani s’échelonnant sur un axe nord-est/sud-est entre l’arrière-pays de l’Île de Cayenne et les cours d’eau formateurs orientaux du Maroni. Ils purent ainsi drainer vers eux une partie des communautés survivantes de la mouvance des deux missions jésuites de l’Oyapock (St Paul et Ste Foi de Camopi) ainsi que les restes de groupes karib pris entre la migration des Wayana et les tracasseries des Noirs Marrons. De leur côté, les Wayãpi, armés par les Portugais mais bientôt les fuyant pour échapper aux concentrations missionnaires (déjà la sédentarisation !), créèrent une dynamique guerrière, classique chez les peuples tupi-guarani, intégrant à leur profit, à coup d’alliances et de captures, nombre d’éléments allogènes (souvent les mêmes que ceux récupérés par les Teko). Seule la puissance des Wayana parvint à contenir leur poussée territoriale. À la fin du XVIIIe siècle et au tout début du XIXe, intervient un temps de pose se traduisant par un isolement presque total, motivé pour les Teko par les raids de capture des Kali’na puis les chapardages des Noirs Marrons (Navet, 2007), pour les Wayãpi par la tentative portugaise d’enrôlement dans les milices chargées d’occuper la Guyane. Alors, de simplement possible, la coalescence devint nécessaire.
8De la fin du XVIIIe siècleaux quarante premières années du XIXe, l’évolution des territoires sera un bon reflet des hésitations politiques teko et wayãpi : les identités sont déjà celles d’aujourd’hui, à ceci près que, pour les Wayãpi, les sous-groupes régionaux n’ont pas encore fusionnés. Les mouvements des Wayãpi sont alors considérables. Entre 1819 et 1835, ils vont occuper l’Oyapock à partir de ses affluents tant occidentaux qu’orientaux (cf. carte 1). Quant aux Teko, plus prudents, ils vont s’éloigner du Maroni et se centrer sur le château d’eau de la Guyane centrale. Leur entrée (pour les Wayãpi) ou leur retour (pour les Teko) dans la sphère géopolitique française sera motivée, une fois de plus, par l’impérieux besoin d’approvisionnement en outils métalliques. Cette exigence impliquait le contact direct après la rupture avec les Portugais pour les Wayãpi et l’éloignement des intermédiaires amérindiens pour les Teko. Alors que le contact entre Wayãpi et Français sera extrêmement rapide et meurtrier en raison des épidémies, celui des Teko sera beaucoup plus lent, à un point tel que les textes de cette période les montrent régressifs, là encore, destin partagé par divers peuples tupi-guarani choisissant l’isolement (Leprieur, 1834 ; Bagot, 1841). Dans les années 1830-40, les territoires teko et wayãpi se superposent, sans partage avec d’autres ethnies, avec leur identité : les Wayãpi (un millier de personnes sur un axe nord-sud de 500 km) occupent un territoire dilaté dont ils ne parviennent plus à occuper tous les interstices (Grenand & al., 2000) ; les Teko (300 personnes sur un axe est-ouest de 60 km) sont concentrés sur un territoire dont les marges se sont peu à peu étiolées (Hurault & Frenay, 1963). Leurs contacts avec d’autres Amérindiens sont alors minimaux. Les pouvoirs publics, un temps motivés par la force de production agricole présentée par les Wayãpi, cessent pourtant de s’intéresser aux Amérindiens à l’avènement de Napoléon III. C’est au même moment que la fièvre de l’or s’empare du pays (cf. carte 2).
Carte 1 : Territoires wayãpi et teko des années 1815 à 1850
(Carte réalisée par P. Grenand, I. Tritsch et D. Davy)
Carte 2 : Territoires wayãpi et teko des années 1880 à 1910
(Carte réalisée par P. Grenand, I. Tritsch et D. Davy)
9Ce sont les voyageurs de la fin du XIXe siècle (Crevaux, 1878 ; Coudreau, 1893) qui vont fixer définitivement les identités wayãpi, teko et wayana sous les appellations Oyampi et Emerillon, alors même que leur population est en baisse rapide depuis 35 ans. Henri Coudreau sera particulièrement actif dans ce domaine : après avoir pensé que le sud de la Guyane et le Territoire contesté constituaient le refuge des nations amérindiennes du siècle précédent (Coudreau, 1891), il dut déchanter dès son premier voyage. Il ne perçut pas clairement les phénomènes de coalescence déjà largement avancés, le seul groupe encore identifiable étant les Kaïkushian de la Mapari, et préféra reconnaître des blocs ethniques fondés sur des langues et des cultures soudées. Dans le même esprit, il assigna sans hésitation aux trois peuples du sud Wayãpi, Teko et Wayana, un territoire fondé sur des localisations de villages et des aires de parcours. Toutefois il n’alla pas jusqu’à fixer des limites, se contentant de parler de « pays roucouyenne » ou de « pays oyampi ». Mais ces territoires sont à nouveaux reliés, les Wayana étant maîtres d’un réseau d’échanges allant de l’Amapari aux sources du Trombetas, ce qui fait dire à Coudreau qu’il existe une « Guyane indienne ».
10À partir de cette date, tant en Guyane qu’au Brésil, la territorialisation restera un préalable à toute politique indigéniste, parallèlement à la reconnaissance des trois identités du sud de la Guyane désormais pensées comme séculaires et immuables ; la reconnaissance postérieure de sous-groupes régionaux ne s’opérera que sur la base des frontières nationales. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans le dernier tiers du XXe siècle, que les anthropologues tenteront d’atténuer ce monolithisme.
11Les États-nation, Brésil, France et Surinam, vont se satisfaire parfaitement de ces identités figées et largement contribuer à ce que les intéressés eux-mêmes les intériorisent (Grenand & Grenand, 1979). Ce n’est pourtant que très tardivement que la France, la Hollande et le Brésil vont définir une politique amérindienne moderne. Le Brésil adopta une politique indigéniste dès le début du XXe siècle mais l’Amapá et le Nord-Pará étaient des régions que l’on qualifierait aujourd’hui d’ultrapériphériques dans lesquelles les populations amérindiennes restèrent longtemps hors d’atteinte de la politique du gouvernement central. Quant à Coudreau (1887), dès la fin du XIXe siècle il s'était fait le chantre d’une politique de développement de la haute Guyane. Mais ses démêlés avec l’administration coloniale au sujet du Contesté entrainèrent la mise à l’écart de ses projets. De plus, la Guyane vivant alors à l’heure de l’or et du bagne, le sort des populations amérindiennes était le cadet de ses soucis.
12C’est dans les années 1930 que le Brésil et la France vont s’intéresser de nouveau à l’Oyapock (cf. carte 3). Les Brésiliens, parce qu’ils désiraient définitivement régler la question des frontières en suspens depuis la fin du contesté (Moura, 1934) ; les Français, parce qu’ils souhaitaient développer l’intérieur comme alternative à l’essoufflement de la production aurifère en créant une nouvelle entité administrative, le Territoire de l’Inini. Ces projets furent retardés par la Seconde Guerre mondiale, mais dès 1938, le Dr Heckenroth (1939), reprenant contact avec les Wayãpi et les Emerillon milita pour une politique d’assistance emprunte d’humanisme. Ses projets ne se concrétisèrent qu’à la Libération sous l’impulsion de Jean Hurault et du Préfet Robert Vignon, par l’ouverture des postes administratifs de Camopi sur l’Oyapock et de Maripasoula sur le Maroni (Sausse, 1951).
13En Amapá, le SPI (Servíço de Proteção ao Índio, ancêtre de la FUNAI) créa en 1938 le poste Luis Horta en face de Camopi et réussi à attirer un groupe d’une quarantaine d’Emerillon, soit près de 80 % de leur population (Arnaud, 1971).
Carte 3 : Territoires wayãpi et teko des années 1930 à 1960
(Carte réalisée par P. Grenand, I. Tritsch et D. Davy)
Photo 1 : Deux chasseurs wayãpi en 1947
(Photo de J.-M. Hurault)
14Pour les Amérindiens et les Noirs Marrons Boni, l’ouverture des postes a signifié une présence effective et permanente de l’Administration Française. Si de nombreuses communautés restèrent isolées jusqu’à la fin des années 60, elles étaient désormais régulièrement visitées par des gendarmes, véritables administrateurs des Cercles de l’intérieur et dépendant directement du Préfet ; la Circonscription de l’Inini avait succédé au statut de Territoire. L’assistance médicale fut mise en place au milieu des années 1950 avec l’ouverture du dispensaire de Camopi, suivi de peu par celle d’une école laïque. C’est aussi dans les années 60 que les Wayãpi et les Teko se voient invités à se regrouper en gros villages avec un succès dans un premier temps limité (Hurault, 1970 ; Navet 1984 ; Grenand & Grenand, 1990). Renouant avec la vieille tradition royale, les chefs sont intitulés capitaines, intronisés officiellement lors de voyages à Cayenne, reçoivent des cadeaux annuels ainsi qu’un costume militaire. On va même jusqu’à désigner un chef suprême par ethnie, nommé Gran Man par imitation malencontreuse du système très hiérarchisé des Boni. Sur l’Oyapock, ce titre vide de sens disparaîtra rapidement.
15Pour critiquables que fussent ces initiatives, elles furent relativement bien accueillies par les Teko et les Wayãpi qui virent en elles le prix à payer pour renouer les fils de l’ancienne alliance avec les Français. En particulier, dès le milieu des années 60, le travail des médecins et des infirmiers commença à porter ses fruits : la chute démographie fut endiguée et le recrû commença, d’abord lentement pour s’accélérer dans la décennie 1970-1980.
- 2 Entre 1960 et 1966, un second poste fonctionna à l’embouchure de la Notaye ; le SPI y installa des (...)
16Pour ce qui est du Brésil, le paternalisme et surtout la dépravation de l’agent du SPI entraîna rapidement la désertion des Amérindiens en dépit de l’ouverture d’une petite école ; le poste s’étiola au milieu des années 1950 puis disparut en 19602, la France restant maîtresse du terrain (Arnaud, 1971).
- 3 La première est celle de Maripasoula.
- 4 Cette école bilingue, fondée en 1971, d’abord pensée comme expérimentale, fut recyclée dans le cad (...)
17Ces initiatives auraient pu péricliter, au mieux en rester là. Mais le député de la Guyane, de la majorité gouvernementale d’alors, profitant de l’élan d’émancipation généralisé à l’échelle internationale, plaida pour l’accession à la citoyenneté française des Boni et des Amérindiens. Cette idée généreuse dissimulait néanmoins un objectif beaucoup plus intéressé : la citoyenneté impliquait le droit de vote et plus encore l’ouverture de l’intérieur qui allait en deux ans se retrouver divisé en communes ; c’est ainsi que Camopi devint en 1969 la deuxième commune de France par sa superficie3. Le cadre de la partie qui allait se jouer était établi. De 1969 à 1987, vont se succéder la création de la commune de Camopi, l’élection d’un maire, l’établissement chaotique d’un état civil, la participation aux élections locales, nationales et européennes, la sédentarisation de la population accélérée par une première phase de construction de Logements Très Sociaux, l’ouverture d’une école à Trois Sauts4, l’envoi des enfants au home religieux de Saint-Georges, l’octroi des Allocations Familiales et pour finir, en 1987, celui du RMI (Revenu Minimum d’Insertion). En 1990, les Wayãpi et les Teko étaient entrés de plain-pied dans la modernité (cf. carte 4).
18Néanmoins l’activisme des indigénistes français parvint à atténuer le choc engendré par ces mesures dont l’effet pervers n’avait été ni voulu ni perçu par leurs décideurs. Ainsi dès 1970, par Arrêté, la pénétration dans l’intérieur fut soumise à autorisation préfectorale, ce qui contraria de façon durable le développement du tourisme et les entreprises missionnaires. Mais la réussite la plus déterminante fut la délimitation de Zones de Droit d’Usage Collectif (ZDUC) à la suite d’un décret ministériel de 1987, zones dans lesquelles les Amérindiens et les Noirs Marrons pouvaient poursuivre l’exercice de leurs activités traditionnelles en matière de chasse, pêche, cueillette et agriculture. Avec cette avancée, timide par son caractère révisable mais importante par son positionnement dans le droit français, l’idée de terres indigènes collectives frayait son chemin jusqu’à devenir le socle de revendications toujours d’actualité.
19Entre temps un événement extérieur allait bouleverser la situation de la région : il s’agit de la ruée vers l’or brésilienne qui commença fin 1985. C’est la complexité de cette nouvelle situation mise en regard avec d’autres facteurs, telle la rapide croissance démographique, dont nous allons maintenant rendre compte.
Carte 4 : Commune de Camopi et lieux de vies actuels
(Carte réalisée par P. Grenand, I. Tritsch et D. Davy)
20Au tournant des années 1990, de nouveaux changements sans précédents virent le jour dans le sud de la Guyane, notamment dans la commune de Camopi. Nous allons examiner leur importance sur plus de vingt ans et démontrerons leur influence sur la structuration de son territoire.
21Deux changements majeurs peuvent être considérés depuis la fin des années 80 : la ruée vers l’or et l’essor démographique, lesquels viennent se superposer aux changements politiques de la période précédente. Détaillons ces deux facteurs significatifs au regard de la dynamique contemporaine de réappropriation territoriale. Mais d’autres facteurs influent également, plus particulièrement la construction des écoles, des centres de santé et des logements dans le bourg de Camopi dans le cadre de la RHI (Résorption de l’Habitat Insalubre). Plus récemment les mises en place du Parque Nacional Montanhas do Tumucumaque (PNMT) rive brésilienne en 2002 et celle du Parc Amazonien de Guyane du côté français en 2007 contribuent également à la restructuration territoriale, induisant de nouvelles adaptations de la part des habitants.
- 5 Selon le Dr. Heckenroth, il existait un garimpo brésilien dans la Crique Marupi, affluent de droit (...)
22Les régions du moyen Oyapock et de la Camopi, comme toutes les zones aurifères situées sur la couche géologique des schistes dits « paramaka », connaissent depuis la fin des années 1980 leur seconde ruée vers l’or. Les derniers orpailleurs du premier cycle de l’or (période 1880-1930) sont partis en quasi-totalité après la départementalisation de la Guyane en 1946 (Orru, 2001)5. Ainsi, depuis cette période jusqu’à ce nouvel épisode d’orpaillage, les Wayãpi et les Teko de l’Oyapock et de la Camopi demeuraient les seuls habitants de la région.
23C’est sous l’impulsion de l’inventaire minier mené par le BRGM de 1975 à 1995 estimant le potentiel en or à plus de 120 tonnes et de l’édition de la carte géologique en 2001 que cette seconde ruée pris son essor (Mansillon, 2009). À ce facteur, s’ajoutent la modernisation du matériel d’extraction de l’or alluvionnaire, permettant aux orpailleurs de prospecter des zones préalablement inaccessibles ou exploitées anciennement (Oder, 2011).
24Depuis plus de 20 ans, la zone du moyen Oyapock et de la Camopi a vu arriver plusieurs milliers d’orpailleurs illégaux sortant du Brésil. L’Oyapock a d’abord été exploité par le système des pompes à alluvions installées sur des radeaux ; après l’épuisement rapide des sables aurifères déposés au pied des sauts, les chercheurs d’or s’intéressèrent aux anciens placers. Depuis, le fleuve constitue un axe de transit de matériel, de ravitaillement et d’hommes pour les placers situés sur le territoire guyanais. En effet, deux affluents du fleuve Oyapock, la Camopi et la Sikini - tous deux zones de parcours des Amérindiens - constituent des pénétrantes permettant aux orpailleurs clandestin brésiliens à la fois de se rendre et de travailler sur les placers de cette région mais également de rejoindre les bassins de l’Approuague et du Maroni, principales zones aurifères de Guyane.
25Même si la majorité des orpailleurs ne fait que passer sur cette frontière, il existe deux points de peuplement les concernant qui influent directement sur la vie des Wayãpi et des Teko. Il s’agit des hameaux de Vila Brasil et d’Ilha Bela, tout deux liés à l’orpaillage même s’ils présentent des différences notables.
26Vila Brasil est situé rive brésilienne sur l’ancien emplacement du poste SPI Luis Horta, juste en face du bourg de Camopi. C’est à la fin des années 1980 que les premiers commerçants brésiliens s’y installent pour drainer les revenus liés à l’orpaillage, fournissant les placers en aliments et matériels divers. Ils ne furent pas longs à découvrir la manne des allocations familiales et du RMI que recevaient les Amérindiens de Camopi. Aujourd’hui, à Vila Brasil, près d’une dizaine d’épiceries-bars sont ouverts, alors qu’il n’y en existe qu’une au bourg de Camopi.
- 6 S'il y a quelques années, les prix étaient plus bas que ceux pratiqués rive française, ils sont au (...)
27La population résidente de ce hameau est estimée à 156 personnes (Soares, 2012), et la majorité des habitants vit toujours du commerce avec les Amérindiens de Camopi et avec les garimpeiros de passage, ainsi que du trafic interlope de marchandises pour les placers clandestins. Les prix pratiqués sont très élevés6 et les Amérindiens, de plus en plus conscients du déséquilibre de ce commerce, commencent à moins fréquenter Vila Brasil. Le vacarme musical infernal s’échappant des estaminets brésiliens et les nombreux cas de vol de pirogues et moteurs, finissent de les irriter et amènent à des relations de plus en plus tendues entre Camopi et Vila Brasil. Les Amérindiens de Camopi commencent à se mobiliser et de nombreuses personnes, à l’instigation du Maire, boycottent ouvertement ce village de « frontière » au sens historique du terme.
28Ce hameau de colonisation constitue un sérieux paradoxe. Depuis la création du PNMT en 2002, Vila Brasil, compris dans son périmètre, s’est trouvé en situation illégale, aucune présence humaine permanente n’étant autorisée dans un parc national brésilien conçu comme une aire de protection intégrale (Pereira, 2008). Certains des habitants les plus anciens, regroupés en association, ont tenté de faire valoir l’antériorité du hameau de Vila Brasil, d’autres ont souhaité en faire une porte d’entrée de l’écotourisme dans le parc (Soares, 2009). Fin 2011, Vila Brasil a été officiellement reconnu district de la commune d’Oiapoque et sorti du périmètre du parc, cependant que la police militaire avait, dès 2005, construit une base à proximité dans le but affiché de contrôler la frontière, qui restera donc occupée.
29La présence du second hameau, Ilha Bela, est beaucoup plus contraignante pour les citoyens de Camopi. C’est un village totalement illégal dont la fonction unique est d’être la base arrière d’une population de chercheurs d’or éminemment mouvante, les uns descendant, les autres remontant vers les placers opérant au cœur de la forêt guyanaise, par la rivière Sikini (carte 2). Il abrite 400 personnes (Soares, 2012) : pour moitié des garimpeiros en transit dormant sous des carbets couverts de bâches, pour moitié une population offrant les « services » requis (hébergement, magasins, dancings, prostitution et restaurants). Cette magnifique zone de sauts et de bassins était un haut lieu de pêche et de chasse amérindien ainsi qu’une zone d’habitation pour un groupe de parenté teko, aujourd’hui replié au village de Saint-Soi près de Camopi.
30La conséquence directe pour les Wayãpi et Teko reste, outre les atteintes profondes à leur environnement, le durcissement de la frontière et l’interdiction de pratiquer leurs activités de subsistance rive brésilienne. Des menaces, sous forme de patrouilles de la police militaire brésilienne, bien que difficiles à mettre à exécution sur un territoire aussi grand, sont présentes, et plusieurs cas de conflits directs nous ont été rapportés (destruction des cultures, intimidation de femmes seules à l’abattis, confiscation de fusils…). Si, dans le haut Oyapock, la pression est moindre, il devient aujourd’hui difficile voire impossible d’ouvrir un abattis rive brésilienne. En 2009, 30 % des abattis du haut Oyapock ont été ouverts cette rive contre 50 % vingt ans auparavant. Sur le moyen Oyapock, en 2011, aucun… La pratique d’activités de prédation plus mobiles, demeurent encore possibles à condition de ne pas se faire surprendre…
31Ce durcissement du contrôle de la frontière de la part du Brésil est-elle une réponse aux contrôles de la Police de l’Air et des Frontières française plus en aval ? Ou bien entre-t-il plus largement dans la volonté légitime de la présidente Dilma Roussef d’intégrer les dernières « frontières » du Brésil, en clair d’affirmer la présence de Brasilia aux confins amazoniens ? Sur le terrain, la conséquence directe pour les Wayãpi et les Teko reste que l’interdiction de pratiquer leurs activités de subsistance rive brésilienne revient à la confiscation de facto d’une bonne partie de leur territoire ancestral, sans qu’une concertation entre ces deux géants que sont le Parc national français et le Parc national brésilien n’ait débuté sur le sujet.
Photo 2 : Habitats illégaux de garimpeiros brésiliens dans le hameau d’Ilha Bela
(Photo D. Davy, 2009)
- 7 Par zone de vie, nous entendons la superficie des villages, le terroir agricole ainsi que le terri (...)
32À l’instar de ce qui se passe plus largement depuis quelques décennies dans la grande Amazonie (Mc Sweeney & Arps, 2005 ; Reinette & Grenand, 2010), la démographie galopante des habitants autochtones de cette commune constitue un autre facteur tout aussi important pour comprendre le phénomène de réappropriation territoriale. Depuis sa création en 1969 la commune a vu sa population multipliée par 6 (Tableau 1). Au cours des dix dernières années, le taux de croissance naturelle est de 60 %. La jeunesse constitue ainsi la grande majorité de la population de Camopi, où 58 % des habitants ont moins de 18 ans. Ce recrû démographique, encore en phase exponentielle, engendre mathématiquement une plus forte pression sur le territoire. Certes, il s’agit de relativiser ces chiffres en raison des 10 454 km² de superficie de la commune, sans oublier qu’au moins 6 000 Amérindiens habitaient le bassin du moyen et du haut Oyapock au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. La faible densité de 0.15 habitant par km² est peu pertinente au regard du couvert forestier tropical humide vide d’habitants permanents et où les seuls moyens de déplacement sont pédestres ou fluviaux. Ainsi, les zones de vie7 sont situées exclusivement le long du fleuve Oyapock et de ses affluents (Carte 2). On estime ainsi qu’une bande de 5 km de large de part et d’autre de ces cours d’eau constitue la quasi-totalité des zones parcourues par les habitants : c’est la distance parcourue normalement par un chasseur.
Tableau 1 – Évolution de la population de la commune de Camopi de 1946 à 2010
(sources : INSEE et recensement Davy et Grenand 2010)
Graphique 1 – Croissance démographique de la commune de Camopi
- 8 Ce chiffre de 212 personnes pour l’Oyapock inclut les Wayãpi du bassin du Kouc émigrés en Guyane e (...)
- 9 Il existe en outre un groupe de plus d’un millier de Wayãpi méridionaux vivant sur la Terre Indigè (...)
- 10 Non compté les village de Kayodé et d’Elahé dans le bassin du Maroni, commune de Maripasoula où ré (...)
33Les Wayãpi de Guyane française n’étaient que 212 en 19478 et le peuple teko ne comptait que 52 personnes en 1953. En 2010, nous avons recensé 1204 Wayãpi9 et 410 Teko10. Cette croissance doit être comprise comme un phénomène à la fois largement induit de l’extérieur (impact positif des services de santé) mais également comme une volonté nataliste revendiquée. Les familles nombreuses sont largement valorisées. Cette croissance rapide engendre de facto de nombreux changements sociaux souvent difficiles à gérer. Voyons ici ceux liés au territoire.
- 11 Les Amérindiens teko et wayãpi pratiquent l’agriculture itinérante sur brûlis, sur des parcelles n (...)
34Dans une société agricole11, l’augmentation d’enfants et de jeunes couples accroît logiquement la pression sur la terre (Tritsch etal., 2012). Le manioc amer (Manihot esculentus), divers autres tubercules et végétaux associés à la viande de chasse, au poisson et aux fruits sauvages, constituent encore de nos jours le régime alimentaire principal de cette population (Davy et al. 2011). Aussi, si les apports monétaires entrent aujourd’hui de manière importante dans l’économie des ménages, les produits issus des activités de subsistance restent absolument fondamentaux.
- 12 Nous estimons qu’environ 400 ha sont ouverts sur la commune (à différent stade de culture, de l’ab (...)
35Il en découle que les besoins en terre agricole augmentent dans la mesure où chaque foyer ouvre annuellement un abattis et en exploite de façon concomitante plusieurs d’âge différent. Même si la surface ouverte annuellement peut être divisée aujourd’hui en une ou deux parcelles selon les besoins et contraintes sociales des familles, la moyenne de base reste 0,5 ha12. Un constat peut d’ores et déjà être établi : nous observons une saturation des terroirs agricoles autour du bourg de Camopi et, dans une moindre mesure, du principal village de Trois-Sauts et, conséquemment, un redéploiement de l’habitat. Ainsi, dans un rayon de 8 km autour du bourg de Camopi, on compte aujourd’hui 31 hameaux habités en permanence et abritant 610 personnes. Le terroir agricole s’est considérablement étendu puisque les abattis les plus éloignés se trouvent à une journée de pirogue (35 km à vol d’oiseau) du bourg. Nous avons constaté que le redéploiement des parcelles cultivées et donc le rajeunissement du terroir reposent sur des facteurs trop souvent oubliés ou diffamés : c’est l’apport monétaire des aides sociales et du travail salarié qui se trouve ainsi recyclés dans une logique d’occupation territoriale amérindienne. Le travail salarié concerne aujourd’hui 13 % des 18-65 ans de la commune. Il profite à près de la moitié des habitants compte-tenu du grand nombre d’enfants par couple et de la redistribution qui demeure une pratique sociale valorisée. En clair, cet apport en euros permet l’achat d’une pirogue, de son moteur et de son essence, indispensables pour se rendre dans des lieux éloignés.
36Ce mouvement centripète pour les zones d’habitation et de culture engendre la réoccupation d’un territoire anciennement occupé avant que la baisse démographique puis plus tard la sédentarisation et le regroupement de l’habitat n’aient eu lieu. Aussi assiste-t-on à une incontestable réappropriation de territoire par les Wayãpi et les Teko, mal compensée, selon eux par une perte réelle au delà de la frontière brésilienne. Aujourd’hui la jeunesse d’une population en expansion conjuguée à un usage raisonné de l’argent permet ce redéploiement territorial et une occupation plus prégnante des zones de vie.
Photo 3 : Jeunes wayãpi de Trois Sauts récoltants des piments
(Photos Y. Grenand, 2009)
37L’école et les centres de santé ont été des facteurs structurants décisifs dans la sédentarisation et le regroupement des habitations autour d’un bourg. Celui de Camopi proprement dit, à la confluence de la rivière Camopi et du fleuve Oyapock, constitue un bon exemple de bourg administratif artificiel, situé, rappelons-le, à l’emplacement d’une des missions jésuites du XVIIIe siècle qui, déjà en son temps, concentrait les communautés amérindiennes de l’Oyapock et de ses affluents.
- 13 La commune bipolaire possède deux zones d’habitat disjointes : le bourg de Camopi et ses hameaux p (...)
38À ses débuts dans les années 50, le bourg de Camopi ne regroupait que les services de l’État et ses fonctionnaires exogènes. Nous constatons aujourd’hui un retour à cette situation puisque en 2010 ne vivent dans le bourg que 16 % des Amérindiens13. Par contre la quasi-totalité de la centaine d’employés métropolitains et créoles travaillent et vivent au bourg, où sont toujours implantés ces services.
39Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, nous assistons à un éclatement de l’habitat et à un morcellement des lieux de vies puisqu’aujourd’hui on compte 45 hameaux d’effectifs allant d’une simple famille à 259 personnes. Il y a 15 ans, on ne comptait pas plus d’une vingtaine de lieux de vie pour une population d’à peine 1000 personnes. Ils obéissent aux règles de rapprochement familial de type patrilocal chez les Wayãpi et sont construits autour d’un chef, l’homme fondateur du village, de ses filles et de ses gendres. Chez les Teko la matrilocalité domine, la veuve d’un homme fondateur pouvant hériter du titre de chef de village. Il arrive aussi que certains gardent leurs fils et attirent leurs brus. En tout cas, il existe toujours un lien de parenté reliant l’ensemble des membres du village, ce qui correspond à une structure sociale classique chez les Amérindiens des Guyanes.
40L’éclatement de l’habitat est le plus prononcé chez les Wayãpi du haut Oyapock et chez les Teko vivant sur le Camopi. En effet, sur le haut Oyapock existent 13 hameaux pour 571 personnes, soit 44 individus en moyenne par implantation et sur la Camopi 340 Teko et Wayãpi vivent dans 18 hameaux, soit 18 habitants par lieu de vie. Sur le moyen Oyapock, on compte 50 personnes en moyenne par lieu de vie (703 personnes dans 14 hameaux).
41L’éclatement géographique est maximal sur le haut Oyapock puisqu’on compte 6 heures de pirogue environ entre le hameau le plus en aval et celui le plus en amont, même si 12 des hameaux sont répartis sur une distance d’une heure et demi de pirogue. Les zones agricoles s’étalent sur un linéaire de rivière de près d’une journée de pirogue. Sur le moyen Oyapock, les villages s’étalent sur une zone plus restreinte (30 minutes de linéaire de fleuve). Le terroir agricole, de son côté, est compris dans une zone qui peut être parcourue en 3 heures de pirogue.
42C’est chez les Teko de la Camopi que l’on rencontre le plus grand nombre de lieux de vie, qui sont aussi les plus petits et les plus récents (plus de la moitié ont moins de 10 ans). Comme sur le haut Oyapock, les abattis des Teko se répartissent sur un linéaire d’une journée de pirogue. Fidèles à leur réputation de grands nomades, ils possèdent également un grand territoire de chasse allant jusqu’aux Monts Belvédère, à 4 jours de pirogue du dernier village.
43Les politiques de sédentarisation et de concentration des habitations qualifiées par J. Hurault (1970) de « francisation », sont un échec patent. Les programmes de Résorption d’Habitat Insalubre (RHI) en 2000 puis 2005 ont entrainé la construction de 80 maisons en béton et bois (Brailly, 2010), alignées le long d’allées cimentées, à la place des carbets d’habitation construits par les Amérindiens eux-mêmes et disposés comme ils l’entendaient. Ces programmes n’ont pas eu les résultats escomptés : ces maisons imposées aux Wayãpi et Teko sont pour la plupart habitées par de jeunes couples. Beaucoup de bénéficiaires vivent dans des villages périphériques et les laissent à un de leurs enfants et sa famille ou bien la louent à des gendarmes ou des professeurs.
44En réponse aux effets conjugués de ces programmes et du boom démographique, les habitants se sont lancés dansune réoccupation de leur territoire. Ainsi, de nombreux habitants de Camopi se sont installés, suivant leurs liens familiaux, dans un village qu’ils ont fondé et peuvent aménager comme ils l’entendent. L'usage généralisé de la pirogue desserre l’étau que constitue la proximité du centre de santé et de l’école. La Mairie de Camopi a d’ailleurs pris acte de la dispersion de l’habitat en instaurant un ramassage scolaire en canot (Tritsch et al., 2012).
45« Cette terre appartient aux Wayãpi et aussi à l’État. De la borne numéro 7à la crique Mutula et jusqu’au Mont Saint Marcel, c’est la terre des Wayãpi ».Cette opinion, exprimée par un notable du village Zidock en 2012, est largement répandue parmi les Wayãpi du haut Oyapock. Les Teko partagent avec eux cette conception pour ce qui concerne le cours de la Camopi. Par contre, à la différence des Wayãpi qui se contentent de craindre que le Parc Amazonien ne restreigne leurs activités sur leur territoire, les Teko, plus radicaux, ont peur qu’il le leur subtilise.
- 14 En Guyane, le discours indépendantiste est porté par le MDES (Mouvement de Décolonisation et d’Ema (...)
46Par ce discours, ces Amérindiens montrent que leur appropriation du territoire se fait sur un positionnement à la fois « autochtoniste » et légaliste. À la différence de ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie où les autochtones kanak portent un discours indépendantiste et anti-colonialiste (Trepied, 2007), les Amérindiens se définissent comme Français et Amérindiens, cette double appartenance n’étant pas perçue de façon antithétique. Selon eux, seul l’État français (comme l’était déjà l’État royal avant 1789) est garant de leurs droits. Les collectivités locales, aux mains des élus créoles du littoral, sont considérées comme jouant le jeu de l’indépendance14 ou du moins celui d’une élite créole côtière se préoccupant peu du sort des Amérindiens et Noirs Marrons.
Photo 4 : Elus wayãpi portant calimbé, couronne de plumes et l’écharpe tricolore
(Photos de Georges Larrouy, 1991)
- 15 La garantie de leur attribution à long terme n’est pas assurée et l’agrandissement de certaines d’ (...)
47Il n’en demeure pas moins que les Amérindiens restent attachés à ce que la France reconnaisse les droits des peuples autochtones, en particulier leurs droits territoriaux et leur spécificité culturelle. Depuis le discours fondateur de Félix Tiouka à Awala-Yalimapo en 1985, la terre constitue la pierre angulaire de leur combat : pas une terre régie par la propriété privée mais un territoire communautaire géré par les instances coutumières (Collomb, 2005). Le décret ministériel de 1987 permettant la création des Zones de Droits d’Usage Collectif a été une étape importante dans la reconnaissance du droit à la terre des Amérindiens de Guyane (Grenand & Grenand, 2005). Ce décret permet d’allouer l’usufruit d’une ZDUC au seul bénéfice de la communauté pour laquelle elle a été créée : 25 ans après la création de ce statut foncier remarquable, il est nécessaire qu’un bilan critique soit dressé car il alimente polémiques et controverses (Filloche, 2011). Cependant, les ZDUC n’en constituent pas moins une reconnaissance du droit à la terre des populations autochtones à laquelle les mouvements amérindiens demeurent attachés15.
- 16 Le Parc national brésilien n’a jamais consulté les populations vivant au bord de son périmètre ; e (...)
48Ainsi, dans la commune de Camopi, il est clair que face au Parc Amazonien rive française, au PNMT rive brésilienne, et devant la recrudescence de l’orpaillage illégal, la terre demeure un enjeu majeur pour les populations (Grenand & Grenand, 2011). Contrairement à l’opinion répandue sur le littoral, Wayãpi et Teko continuent de produire la grande majorité des aliments qu’ils consomment. Aussi l’affirmation identitaire à travers l’attachement à leur terre et le redéploiement spatial doit-elle être comprise comme une réaction endogène à des pressions externes plus ou moins masquées. Face à des tendances internationales de conservation de la forêt tropicale humide sanctuarisée, les communautés forestières ont l’impression d’être oubliées… et cela, malgré la volonté affichée du Parc Amazonien français de co-construction avec les populations locales et de gestion participative16 Pourtant, il existe un véritable hiatus entre bonnes intentions et réalités concrètes. Outre les organes consultatifs créés par le Parc Amazonien qui se veulent garants de la bonne gouvernance et de la participation des populations vivant en son sein, on ne compte que cinq représentants des autorités coutumières, chiffre auquel il convient d’ajouter les maires des communes et des représentants associatifs, soit un total de 12 personnes issues des communautés sur les 44 membres du Conseil d’Administration (Filoche, ibid). Le PAG pèse de surcroît un poids très lourd en moyens et en hommes face à la commune de Camopi qui, après bien des avatars, avait pourtant commencé à assumer son rôle de courroie de transmission entre les communautés amérindiennes et la République.
49Même si le Parc Amazonien de Guyane se défend de vouloir s’approprier la gestion du territoire des Amérindiens, il s’agit pourtant bien pour ces derniers de préserver et renforcer leurs droits collectifs à la terre.