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Dossiê Portos, cidades e regiões

Les relations ville-port à Rio de Janeiro : entre difficultés et perspectives de développement

As relações cidade-porto no Rio de Janeiro: entre dificuldades e perspectivas de desenvolvimento
City-port relationships in Rio de Janeiro: development´s problems and prospects
Bertrand Cozic

Résumés

La réorganisation productive à l’œuvre depuis le début des années 70 projette chaque fois un peu plus les villes et les ports comme des acteurs majeurs de l’intégration des territoires dans les flux issus de la mondialisation. A Rio de Janeiro, depuis la fin des années 90,  nous observons de nombreuses initiatives de modernisation du système portuaire et de revitalisation des friches portuaires de la ville. Le port est actuellement très dynamique au niveau national dans le domaine des conteneurs, des véhicules (roll-on/roll-off), du pétrole et de ses dérivés (port d’appui logistique de la Petrobras) et enfin du tourisme avec le transport de passagers. Cependant, les relations ville-port à Rio de Janeiro sont caractérisées par de sérieuses difficultés. Jusqu’à présent, les autorités portuaires, la ville, les acteurs privés et la société civile n’ont pas réussi à formuler un véritable projet de développement concerté autour de la ville et du port.Les relations ville-port à Rio de Janeiro sont encore très fortement influencées par des pratiques issues de l’ère industrielle du pays, présentant les deux entités comme incompatibles. D’un côté, la ville cherche à revitaliser ses friches portuaires en développant de grands projets urbains à vocation touristique sur le modèle de nombreuses expériences internationales ; de l’autre, le port cherche à développer ses activités pour faire face aux flux croissants issus de la mondialisation. Pourtant, de véritables politiques de développement innovantes sont expérimentées à travers le monde, comme c’est le cas en Europe dans les villes portuaires de la « rangée Nord » (Northern Range) ou encore en Espagne, ou nous assistons au développement conjoint des deux dynamiques à travers l’élaboration de stratégies économiques concertées.     

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Texte intégral

Porto do Rio de JaneiroAfficher l’image
Crédits : http://architetandoverde.blogspot.com.br/2011/08/porto-maravilha.html

1La crise du paradigme Fordiste a entraîné la construction d’une nouvelle économie mondiale basée sur la circulation sans cesse croissante des flux de marchandises et d’informations (Veltz, 1996 ; Castells, 2002). Cette évolution du système économique mondial s’est caractérisée par l’explosion de l’internationalisation des marchés et des facteurs de production qui,  peu à peu, a était désigné par le terme de mondialisation. La plupart des économies nationales se sont ouvertes à un rythme croissant depuis la deuxième moitié des années quatre-vingt. On assiste donc à la diminution des obstacles aux échanges (coûts des transports, des télécommunications, des barrières douanières…) accélérant le volume de croissance des échanges internationaux et de la logistique. Au début des années quatre-vingt dix, l’ouverture des frontières est devenue un facteur de plus en plus important touchant la plupart des économies nationales.   

Mondialisation et mutation du commerce international.

2La mondialisation a été accompagnée de nombreuses mutations liées à un processus d’ouverture du marché mondial relativement récent et brutal d’un point de vue strictement économique, mais cependant inégal si l’on se réfère à la sphère mondiale. Elle repose donc sur des liens d’interdépendance de plus en plus marqués entre économies et territoires centraux et périphériques plus ou moins complémentaires. Il est clair qu’il existe donc des économies dominantes et des dominées. La mondialisation est à ce jour en pleine évolution, la plupart des pays tentent d’entrer et de s’intégrer dans la dynamique mondialiste afin de réussir à capter les flux issus de celle-ci. Pour les pays pauvres et les pays émergents, cette entrée dans la mondialisation est parfois très coûteuse car elle met en compétition des structures sociales, économiques et territoriales très différentes. Une des conditions pour l’entrée dans la tourmente mondialiste d’un point de vue compétitif, est de doter son économie de bases structurelles économiques et technologiques solides, sans oublier la constitution d’un niveau de formation et de compétence adéquate aux exigences des entreprises et acteurs de la mondialisation dans de nombreux domaines de l’économie nationale.

3On peut analyser plusieurs éléments centraux qui constituent les bases de la mondialisation, et qui peuvent être caractérisés par l’explosion des échanges internationaux comme le montre le tableau 1 ci-après.

Tableau 1 : La croissance des échanges internationaux (1950-2010, 2005 : base 100)

Tableau 1 : La croissance des échanges internationaux (1950-2010, 2005 : base 100)

Source : OMC

4La crise du régime d’accumulation fordiste a obligé les économies nationales à trouver de nouvelles formes de gestion et de production en établissant de nouvelles stratégies économiques. Parmi celles-ci on peut noter la spécialisation et la dispersion géographique de la production matérielle des entreprises et la concentration des fonctions immatérielles dans les pays d’origine des entreprises à caractère international, plus communément désignées sous le nom de multinationales. Ces dernières jouent d’ailleurs un rôle fondamental dans la constitution et la consolidation de la mondialisation (Carroué, 2002).

5Nous assistons à une nouvelle division internationale du travail dans laquelle les pays développés basent leur économie de plus en plus sur la constitution de réseaux immatériels liés aux services, et en adoptant diverses stratégies d’implantations des réseaux productifs à travers le monde. Il s’agit en fait de la verticalisation des réseaux de production nord/sud ou pays développés/pays en développement. Les pays développés, par l’intermédiaire des firmes multinationales, se sont constitués de véritables réseaux par lesquels ils peuvent désormais contrôler leur production et la fluidité de l’écoulement de leurs marchandises sur un plan international, et par conséquent très diffus sur le plan géographique. Il s’agit d’une véritable intégration productive.  Cependant, si les multinationales jouent un rôle éminemment important dans les processus de la mondialisation, il existe d’autres éléments tout aussi primordiaux et donc complémentaires de celle-ci, notamment à travers les villes et les ports, qui deviennent les centres logistiques et de concentration des fonctions nécessaires à l’articulation des réseaux propres à l’internationalisation des économies et aux transits des flux matériels/immatériels issus de la mondialisation.

Mondialisation et territoire au Brésil et à Rio de Janeiro

6L’évolution croissante des flux de marchandises à travers le monde, et notamment dans le domaine maritime, a remis en cause la structure et l’organisation de la plupart des ports du monde entier. Le monde portuaire se trouve ainsi confronté à la nécessité de répondre efficacement à la croissante du commerce international qui lui confère le rôle de véritable « épine dorsale » (Frémont, 2007)  des échanges avec plus de 90% des marchandises produites et consommées transportées par mer !  C’est à travers l’internationalisation croissante de la production de biens et à sa tertiarisation, avec l’explosion du secteur des services, que le secteur du transport maritime conforte chaque fois un peu plus son rôle central dans l’organisation des flux et des réseaux internationaux de biens tant matériels qu’immatériels. Ceux-ci, devenant plus complexes, sollicitent des services chaque fois un peu plus spécialisés, parmi lesquels la logistique occupe une place de choix.  C’est aussi et surtout à travers les villes et leurs ports que s’organisent ces réseaux d’échanges mondiaux. En effet, les villes et leurs ports centralisent les ressources technologiques, les infrastructures techniques, l’accès aux connaissances et aux ressources humaines qualifiées, autant d’atouts et de sources essentielles de compétitivité au sein de la nouvelle division internationale du travail (Sassen, 1994). Les villes concentrent ainsi les principaux moyens de production nécessaires à l’intégration compétitive de territoires, de régions dans les circuits globaux du commerce international (Veltz, 1996).

7Face à la crise du modèle d’accumulation Fordiste et à la restructuration de la sphère capitaliste mondiale, le monde portuaire et ses espaces se sont vus progressivement amputés d’une grande partie de leurs activités. La plupart des villes portuaires se trouvèrent confrontées à la dégradation de vastes espaces pour lesquels il était urgent d’élaborer de nouveaux plans d’aménagement. Ces friches ont fait l’œuvre d’une véritable réflexion à partir des années 80, principalement dans les villes Nord-américaines, avec plus ou moins de succès (Vermeersch, 1998).

8Peu à peu, la mondialisation tissant sa toile et donnant un nouveau rôle aux pays émergents (notamment le Brésil), les ports revinrent vite au centre des débats et ce, aussi bien sur le plan de la revitalisation des friches par des projets de caractère essentiellement immobilier et à vocation touristique que par la mise en place de nouvelles stratégies économiques capables d’insérer les territoires dans la dynamique mondialiste.

9Au Brésil, la mise en place de nouvelles stratégies économiques face à la crise du modèle industriel Fordiste et à la nécessité de s’insérer de façon compétitive dans la mondialisation, s’est traduite par l’élaboration de nouveaux projets de grande envergure formulés à travers les programmes pluriannuels de développement (sous le gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso) « Brasil em Ação » (1996/1999), et « Avança Brasil » (2000/2003), et depuis le gouvernement du président « Lula » avec les PAC (plans d’accélération de la croissance).  Au sein de ceux-ci, le programme « Brasil em Ação » comportait 42 investissements prioritaires dont 26 de niveau infrastructurel et 16 de niveau social (Monié, 2003 ; Costa, 1999). C’est pendant cette période que la question portuaire revient au centre des débats et dénonce une inefficacité criante en comparaison des ports internationaux. Le Brésil souffrait alors du « custo Brasil », en d’autres termes des coûts souvent supérieurs à ceux pratiqués dans les autres ports,  rendant le système portuaire peu compétitif dans le domaine maritime international. Nous devons pourtant émettre certaines réserves quant au discours alors en vogue concernant le « custo Brasil ». Effectivement, un des aspects et une des difficultés du Brésil à s’insérer pleinement dans la mondialisation consistait, pour une part (mais pas la plus grande), dans l’organisation de son système logistique et donc dans ses infrastructures. C’est pourquoi nous nous focaliserons sur le cas de l’Etat de Rio de Janeiro et principalement de la ville. Durant la décennie de 1990 (Fernando Henrique Cardoso était alors président), un véritable discours lié au « custo Brasil » s’est développé, issu directement des projets prévus par le plan pluriannuel « Brasil em Ação » (Cocco, 2001). Pour résumer très sommairement celui-ci, nous le définirons comme la mise en place d’une véritable politique basée sur la dotation de nouvelles infrastructures de transport (notamment les ports) pour enrayer  le « custo Brasil » et favoriser ainsi l’insertion du Brésil dans la mondialisation.

10En ce qui concerne l’Etat de Rio de Janeiro, ces projets se sont traduits par la constitution de plans d’aménagement devant permettre à Rio de Janeiro de se repositionner sur le devant de la scène nationale. Il s’agissait de doter l’Etat d’un port de dernière génération, devant faire office de porte d’entrée pour les flux issus de la mondialisation et de pôle de redistribution à l’échelle nationale et macro-régionale, tout en devenant aussi un pôle stratégique pour le MERCOSUL. Très vite, un discours techniciste s’est greffé sur celui du « custo Brasil » pointant du doigt l’incapacité du port de la ville de Rio à devenir ce nouveau Hub, et ce, essentiellement par la mise à l’index de ses capacités hydrographiques, jugées insuffisantes, et pointant aussi l’impossibilité de le faire croître face à son insertion directe dans le tissu urbain de la ville, les difficultés d’accès des camions, la proximité de nombreux foyers d’habitations populaires plus connues sous le nom de « favelas »…et de ce fait abandonnant toute idée de recherche de solutions à ces difficultés.

11En d’autres termes, le port de Rio était condamné à s’éteindre progressivement au profit du projet du port d’Itaguaí/Sepetiba, situé dans la baie du même nom et localisé à une centaine de kilomètres de la ville de Rio de Janeiro.

12La mondialisation aurait dû avoir des effets dévastateurs sur le port de Rio puisqu’il apparaissait plus comme un obstacle à l’insertion de l’Etat de Rio de Janeiro dans celle-ci que comme un atout de poids. Comme la plupart des ports issus de l’ère industrielle qui se trouvèrent au cœur de la crise des années 70-80, le port de Rio entra dans une phase de récession importante durant laquelle un bon nombre de ses activités se réduisirent fortement. L’ascension du conteneur et le gigantisme naval contribuèrent (en l’absence de réforme et de reconfiguration physique des installations portuaires) à la création de nombreuses friches, dont la plupart des 18 gigantesques entrepôts longeant les quais du port (photo 1, 2 et 3). Cependant, la question portuaire devenant peu à peu la nouvelle pierre d’angle de la dynamique impulsée par la mondialisation, la croissance exponentielle des flux maritimes issus de celle-ci, et l’entrée du Brésil en tant que nouvel acteur économique de poids au niveau mondial donnèrent un nouveau souffle au port.

13Sous l’impulsion de la loi de modernisation des ports (Lei 8.630/93), la réforme institutionnelle, et le passage de la gestion des terminaux à l’initiative privée, redynamisèrent le port de Rio. En effet, la réorganisation institutionnelle de la gestion des ports brésiliens contribua, conjointement à l’entrée de gestionnaires privés dans la prise en charge des terminaux, à la spécialisation croissante du port de Rio dans la manutention de conteneurs et de véhicules, et au maintien de ces activités dans un cadre compétitif sur le plan national.

14Le passage de la gestion des terminaux à l’initiative privée, représentée à Rio par les entreprises Libra et Multi (principales entreprises de manutention portuaire au Brésil) permit au port de voir se moderniser les terminaux de Caju par l’achat de matériel propre à la manutention de navires porte-conteneurs et rouliers (destinés au transport exclusif de véhicules mais pouvant cependant accueillir une cargaison réduite de conteneurs) : portiques spécialement conçus pour le chargement/déchargement de conteneurs, parcs à conteneurs, parcs de véhicules…

Photo 1 : Entrepôts longeant les quais et quartiers portuaires de Rio de Janeiro

Photo 1 : Entrepôts longeant les quais et quartiers portuaires de Rio de Janeiro

(Source : Forista Claudre)

Photos 2 et 3 : Vue des entrepôts sous le périphérique longeant les quais

Photos 2 et 3 : Vue des entrepôts sous le périphérique longeant les quais

15Une des clauses du passage de la gestion des terminaux de Caju aux entreprises Libra et Multi stipulait d’avoir à charge le dragage du canal d’accès des navires aux quais des terminaux, de façon à pouvoir recevoir des navires de plus grande envergure.

16A l’heure actuelle, les quais de Caju (que l’on peut voir au premier plan de la photo 4) représentent la quasi-totalité de l’activité du port de Rio, le reste des activités correspond à la présence de deux petits terminaux sidérurgiques (Terminal de produtos siderurgicos Triunfo de Gamboa e São Cristovão), un terminal pour le papier, le sucre, le blé et enfin le terminal de passagers situé aux abords du Pier mauá, activité en pleine expansion. D’une manière générale, la mondialisation a favorisé l’insertion et le développement de la manutention de marchandises conteneurisées, ainsi que des véhicules avec le terminal roulier  (Roll-on/Roll-off) de Caju. La crise du vrac, amorcée dès les années 80, a été à la base d’une réflexion par la recherche de nouvelles activités pouvant relancer le port de Rio. La loi de 1996 en sera la traduction concrète. Non seulement les terminaux sont loués sous forme de baux aux entreprises privées (dans le cas des terminaux de Caju ce sont les opérateurs Libra et Multi comme nous l’avons précédemment évoqué), mais à cela s’est ajoutée la réforme institutionnelle des ports. Ces mesures seront à l’origine du renouveau du port de Rio et de sa spécialisation croissante dans la conteneurisation, activité parmi les plus prometteuses dans le domaine du commerce maritime international le positionnant comme le septième port le plus important au niveau national (tableau 2).

Photo 4 : Le port de Rio de Janeiro

Photo 4 : Le port de Rio de Janeiro

Source : Auteur

Tableau 2 : Classement des 15 premiers ports de conteneurs brésiliens, 2010 (en evp)

Tableau 2 : Classement des 15 premiers ports de conteneurs brésiliens, 2010 (en evp)

Source : ANTAQ, www.antaq.gov.br

17D’un port industriel, marqué par le trafic des vracs secs et liquides, Rio s’est recentré sur des activités beaucoup plus lucratives, et qui à moyen et long termes sont susceptibles de créer des opportunités de développement local et régional, en sollicitant les entreprises d’un des pôles urbains les plus dynamiques du Brésil. En effet, on ne peut enlever Rio de son contexte économique, soit près de 70% du PIB brésilien dans un rayon de cinq cents kilomètres avec les villes de São Paulo et Belo Horizonte. Il s’agit du triangle économique le plus dynamique du Brésil et dans lequel l’Etat de Rio de Janeiro occupe une place stratégique malgré le dynamisme économique incontestable que développe São Paulo. A bien des égards la métropole de São Paulo, « l’ABC Paulista » (formé par les districts de Santo André, São Bernardo do Campo et São Caetano do Sul) constitue pour Rio un concurrent de choix dans le développement des activités issues des nouveaux flux de la mondialisation et l’attraction de ces derniers à Rio de Janeiro. Depuis la migration du gouvernement vers la nouvelle capitale du pays, Brasilia, Rio n’a cessé de perdre son statut de ville la plus dynamique du pays et ce, tout au long des décennies 60-90. Lorsque Rio avait du mal à reconvertir ses activités industrielles, São Paulo faisait preuve d’une croissance importante en devenant le cœur économique du Brésil.  

18C’est pourquoi aujourd’hui, face à la croissance du commerce maritime international alimenté par la mondialisation des échanges et de la production, Rio tente de définir un projet de développement dans lequel ses ports sont mis au cœur des débats, et de redonner l’image d’une ville mondiale capable de s’insérer pleinement dans les flux internationaux. D’un certain point de vue, Rio était, est, et restera la vitrine du Brésil dans le monde, mais Rio n’est pas seulement un atout touristique, c’est aussi une métropole gigantesque, avec un potentiel de développement à construire, en faisant des choix stratégiques capables de propulser Rio vers un renouveau économique, social et touristique.

19Dans le contexte actuel, la ville et l’Etat de Rio de Janeiro ont lancé plusieurs projets directement en phase avec l’évolution du commerce international, et le nouveau rôle prépondérant des villes portuaires. La loi n° 8630 de 1993 a été l’initiatrice d’un projet de réforme des ports brésiliens, qui s’est traduite à Rio de Janeiro par la modernisation des installations portuaires d’une part, l’entrée d’acteurs privés dans l’utilisation et la gestion des terminaux portuaires d’autre part, et enfin, la redéfinition du cadre institutionnel de la gestion du port de Rio de Janeiro. Comme nous l’avons évoqué, la location des terminaux portuaires aux entreprises privées, a permis la mise en adéquation des installations et infrastructures nécessaires à la manutention des marchandises transportées par conteneurs. Ces mesures ont été au départ d’un redéploiement de l’activité portuaire de Rio de Janeiro, qui depuis la crise des années 80 était en difficulté.    

La revitalisation des friches portuaires

20Le nouveau rôle des ports sur le plan international n’a pas seulement mis en évidence le besoin de moderniser les installations portuaires, afin d’accueillir des navires plus gros et de nouvelles activités, comme par exemple  la manutention des conteneurs. Elle a souligné aussi la nécessité de rénover les espaces portuaires délaissés, ces friches qui n’abritent plus d’activités liées au port. A Rio, celles-ci ont été soumises à une réflexion difficile et houleuse marquée par les heurts entre la ville et le possesseur des friches : La Companhia das Docas do Rio de Janeiro.  Les friches appartenant à l’Union , la ville éprouve de sérieuses difficultés à faire valoir la nécessité d’une reconversion de celles-ci. En l’espace d’une dizaine d’années, le dialogue a pourtant évolué, puisque la ville a tout d’abord obtenu la cession des cinq premiers entrepôts délaissés, situés sur les quais, afin de pouvoir les réhabiliter, ainsi que la mise en œuvre d’un vaste chantier dans la zone portuaire qui est  devenu « a cidade do samba » (photo 5).

21 Cette zone est d’ailleurs historique à de nombreux titres puisqu’elle a vu naître la ville de Rio et le samba, ce style musical populaire à l’origine du fameux carnaval de Rio et de la constitution de la « brésilianité » (selon DROULERS, 2001, « la brésilianité désigne l’Etat d’être brésilien. Le suffixe « ité », fait référence à l’ensemble des caractéristiques de la façon d’être brésilien et aux mouvements d’un peuple qui occupe un espace tout en étant façonné par lui… »), un sentiment d’unité nationale autour de valeurs, ici populaires, que le samba a contribué a élaborer. Aujourd’hui, la revitalisation portuaire est symbolisée par le projet « Porto Maravilha »  en cours de réalisation, celui-ci directement lié à l’accueil des événements sportifs internationaux qui se dérouleront au Brésil en 2014 et 2016.

Photo 5 : A cidade do samba

Photo 5 : A cidade do samba

Source : Auteur

Des relations ville/port difficiles

22La revitalisation des espaces portuaires de la ville de Rio soulève de nombreuses difficultés dans l’articulation des politiques publiques orchestrées par la municipalité. La croissance constante des activités portuaires des quais de Caju (conteneurs et roll-on/roll-off) crée une opposition entre d’une part la Companhia das Docas, propriétaire du port, et d’autre part, la municipalité. Cette dernière à du mal à intervenir dans la dynamique commerciale du port, et ne semble se focaliser que sur l’élaboration du projet touristique et immobilier relatif au projet « Porto Maravilha ».  Cependant, la municipalité de Rio de Janeiro soutient tout de même le retour des entreprises privées liées au commerce et aux services dans les quartiers jouxtant la zone portuaire (une aire d’environ 5 millions de mètres carrés !), de cette façon, elle souhaite désenclaver cette zone afin de la réintégrer pleinement au tissu urbain.

23On notera aussi certaines contradictions propre au développement des activités portuaires et de leurs relations à l’égard de la ville de Rio de Janeiro, la seconde plus importante et plus dynamique du pays. En effet, si les ports sont désormais au cœur des relations commerciales liées à la mondialisation des échanges, la ville de Rio semble rester sur une position de dénégation des activités portuaires comme cela s’est produit durant plus de cinquante ans, durant la période « desenvolvimentista » . La ville et le port ne semble pas prendre en considération la nécessité de développer des schémas productifs en étroite collaboration afin de s’inscrire dans une logique de réel développement durable. Pour résumer, le port reste un outil appartenant au gouvernement fédéral et la ville n’a aucun droit de regard sur les choix que peuvent faire la CDRJ. Pourtant, la loi de modernisation des ports devait justement modifier ce fonctionnement en facilitant la concertation de tous les acteurs par la création des conseils d’autorité portuaire (CAP). Le CAP du port de Rio de Janeiro est composé non seulement par la CDRJ, mais aussi par les représentants des entreprises privées qui louent les terminaux, des ouvriers portuaires et de la ville ! Le dialogue a pourtant du mal à être établit, la ville et le port se tourne toujours le dos de la même manière que durant la période « desenvolvimentista ». Le port de Rio est au cœur même du tissu urbain de la ville Carioca  et a largement contribué au développement de la ville tout au long de son histoire, mais, durant la période industrielle, le port et la ville se sont peu à peu ignorés. L’insertion de quartiers populaires sans aucune planification (favelas) a rendu difficile la réorganisation des espaces portuaires, alternant patios de stockage des conteneurs et zones d’habitations. L’implantation d’entreprises directement liées au trafic portuaire, telles que des entreprises de logistiques étant capables de traiter les marchandises à la sortie des navires, est des plus difficiles de part la nature même de l’organisation spatiale de la zone portuaire. Mais, la concertation entre la municipalité et la CDRJ serait capable de résoudre ces problèmes techniques, et proportionnerait une dynamique commerciale, industrielle qui permettrait au port de Rio et à la ville de créer de la valeur ajoutée sur les marchandises traitées, comme c’est le cas dans de nombreuses villes portuaires telles que Rotterdam, Anvers, Hambourg, Barcelone etc.

24A l’échelle du port de Rio de Janeiro, on ne peut que constater les énormes difficultés des acteurs portuaires et de la ville à promouvoir la formation d’un pôle logistique qui pourrait permettre de réussir à agréger de la valeur sur les marchandises qui transitent par le port. Cette dernière peut d’ailleurs être définie à travers différentes tâches industrielles telles que l’étiquetage en vue de l’exportation à destination d’autres marchés nationaux voire internationaux par exemple. En d’autres termes, il s’agit pour la ville et le port de s’associer afin de coordonner leurs atouts respectifs, tant matériels qu’immatériels (Lazzarato et Negri, 2001), afin de devenir une véritable ville portuaire au sein de laquelle le port de Rio ne serait plus seulement un simple instrument de transport, comme c’est trop souvent le cas au Brésil. Là sont les véritables enjeux des ports au sein de la mondialisation, réussir à fédérer un capital matériel et immatériel en vue de développer des espaces hautement productifs. Nous opposons ici volontairement la notion de ville portuaire à celle de Hub  : une place productive contre un outil de transport moderne enclavé et plus ou moins « déconnecté » des préoccupations relatives au développement local.

25C’est pourquoi le manque de concertation entre les différents acteurs présents au sein du CAP ne peut perdurer dans un contexte autour duquel la ville aspire à un projet de développement durable.

26L’absence de dialogue se retrouve également au sein des projets de revitalisation des friches portuaires, les projets voient le jour, mais la société civile est exclue des décisions, de plus ceux-ci sont destinés avant tout à des classes de niveau social moyen et aisé, d’ou la difficulté des habitants des nombreuses favelas proches (Morro da Conceição par exemple) de s’identifier à des projets qui les exclus au nom du développement…

27Enfin, la revitalisation des espaces portuaires et le développement des activités commerciales et logistiques encore au stade embryonnaire nous permettent de nous interroger quand au devenir de ces friches. Le manque de relation avec le port, la difficulté que la ville éprouve a chercher un dialogue qui soit porteur pour élaborer un projet qui ne prenne pas seulement en compte la dynamique touristique des friches, mais aussi et surtout, les relations entre les forces économiques de la ville d’une part, et d’autre part, le formidable atout que représente le port de Rio dans le contexte de la mondialisation, doivent être au cœur des préoccupations de tous les acteurs.

28La réforme portuaire au Brésil est loin d’être achevée, elle se heurte à une vision des plus hautes instances de l’Etat encore héritée de la période « desenvolvimentista » ; le Brésil a investi dans des projets coûteux et ultramodernes (hubs de dernière génération) qui ont séduit l’Etat et la société, tels que les ports de Pécem et Itaguaí. Ces projets rendent difficiles la nécessité de repenser la ville et le port  comme deux éléments beaucoup plus complémentaires qu’antagoniques. Il s’agit de penser en terme de véritable ville portuaire (statut que Rio avait jusqu’au 19e siècle), dans un contexte ou le dynamisme productif dépend chaque fois plus des activités incluant beaucoup de travail immatériel.

29La revitalisation touristique de ces quartiers doit pouvoir permettre une réappropriation de ces espaces par la société civile, et, à court ou moyen terme, l’attraction de nouvelles activités commerciales pouvant concilier tourisme et activité économique portuaire, comme c’est le cas dans de nombreuses villes portuaires du monde entier telles que Barcelone, Rotterdam... et pour lesquelles le développement économique de leur port était au cœur des préoccupations.

Considérations finales

30Si depuis quelques décennies les ports du monde entier se trouvent au cœur de préoccupations inhérentes aux transformations initiées par la mondialisation à l’œuvre, il apparaît clairement que le Brésil éprouve de sérieuses difficultés à formuler des stratégies concertées au sein des villes portuaires. Le cas de Rio de Janeiro est un exemple parmi d’autres. Force et de constater aujourd’hui que les ports dépassent largement la problématique de gestion et de promotion des fronts maritimes. Les nouveaux attributs de ces derniers leurs permettent de s’engager beaucoup plus largement dans des stratégies territoriales qui intègrent pleinement l’Hinterland (« arrière-pays »). De nombreuses alliances apparaissent dans le monde entier entre les ports et d’autres acteurs du transport, des entreprises etc.

31Le développement de projets communs peut être une bonne solution afin de promouvoir le dynamisme de territoires de plus en plus en compétition auprès des chargeurs, qu’ils soient globaux ou non. Les caractéristiques techniques sont certes importantes mais les réseaux productifs le sont davantage. Le contexte local doit donc être au centre de stratégies concertées entre les différents protagonistes de ce contexte local : les autorités portuaires, la municipalité, les entreprises et la société civile. La revitalisation des quartiers portuaires est certes nécessaire, mais la ville de Rio attend toujours un véritable projet commun mettant en valeur ses atouts, ses savoirs faire, son dynamisme à travers le rayonnement géographique de son port (pourtant essentiel pour l’Etat de Rio dans le contexte de la globalisation actuelle).

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Titre Tableau 1 : La croissance des échanges internationaux (1950-2010, 2005 : base 100)
Crédits Source : OMC
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Titre Photo 1 : Entrepôts longeant les quais et quartiers portuaires de Rio de Janeiro
Crédits (Source : Forista Claudre)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/7737/img-2.png
Fichier image/png, 387k
Titre Photos 2 et 3 : Vue des entrepôts sous le périphérique longeant les quais
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/7737/img-3.png
Fichier image/png, 291k
Crédits Source : Auteur
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/7737/img-4.png
Fichier image/png, 423k
Titre Photo 4 : Le port de Rio de Janeiro
Crédits Source : Auteur
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/7737/img-5.png
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Titre Tableau 2 : Classement des 15 premiers ports de conteneurs brésiliens, 2010 (en evp)
Crédits Source : ANTAQ, www.antaq.gov.br
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/7737/img-6.png
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Titre Photo 5 : A cidade do samba
Crédits Source : Auteur
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/7737/img-7.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Bertrand Cozic, « Les relations ville-port à Rio de Janeiro : entre difficultés et perspectives de développement »Confins [En ligne], 15 | 2012, mis en ligne le 22 juin 2012, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/7737 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/confins.7737

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Auteur

Bertrand Cozic

Docteur em Géographie, Professeur Adjoint, GRITT (GRupo de Pesquisa em Inovação, Tecnologia e Territórios), Universidade Federal de Pernambuco-UFPE,
cozicbertrand@gmail.com

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