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Le palmier à huile : un avenir pour l’Amazonie ?

O dendê, um futuro para a Amazônia ?
Oil palm, a future for the Amazon?
Martine Droulers, Adriano Venturieri, Moises Mourão, Marcelo Thalês et René Poccard

Résumés

La culture du palmier à huile, qui représente une alternative intéressante pour la production et l’usage décentralisé du biodiesel, serait-elle aussi une solution pertinente pour la récupération des aires dégradées de l’Amazonie, spécialement au sud de Belém ? Le cœur de la démonstration est ici plutôt l’impact territorial des plantations et les territorialités qui se mettent en place avec l’installation de la filière dans la région de la Guajarina

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Entrées d’index

Index by keywords:

biodiesel, companies, Palm oil, territories

Index géographique :

Amazonie, Pará

Índice de palavras-chaves:

biodiesel, dendê, empresas, territórios
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Notes de la rédaction

L’article de Martine Droulers, Moises Mourão, René Poccard, Adriano Venturieri, Marcelo Thales vient en complément à celui de Bertha Becker. Il est essentiellement fondé sur une visite de terrain effectuée en août 2010 au sud de Belém. La revue Confins permet ainsi d’élargir le dialogue entre géographes brésiliens et français et de mettre en perspective les différentes facettes d’une recherche en cours, afin d’éclairer la communauté scientifique sur les enjeux du reboisement, de l’intensification agricole et des biocarburants

Texte intégral

  • 1  Os autores agradecem a empresa Marborges que, ao organizar a visita da sua plantação no município (...)

1Cet article se présente en écho à celui de Bertha Becker paru dans ce même numéro de Confins et qui montre combien la culture du palmier à huile est susceptible de représenter une solution permettant de récupérer les aires dégradées de l’Amazonie. Pour ce faire, Bertha Becker entrecroise les champs de la géopolitique et de la géoéconomie, ouvrant le débat à deux échelles : l’une a trait aux politiques publiques mises en œuvre pour la production de biodiesel de palme au Brésil ; l’autre, envisage les conséquences possibles du développement de la filière agro-industrielle en milieu amazonien. Nous reprenons ici ces thèmes en les centrant, à partir d’une visite de terrain effectuée en août 2010 au sud de Belém1, sur la thématique de l’innovation agro-industrielle à l’échelle locale. Nous mettrons l’accent sur la nouvelle organisation des territoires qui accompagne cette mutation au moment où les surfaces plantées de palmiers à huile dans l’État du Para sont en forte augmentation, de 80 000 ha en 2010, elles devraient passer à 210 000 ha en 2014. La priorité est donc ici accordée à l’analyse de l’impact territorial du programme de biodiesel dans ses dimensions agronomiques, sociales, énergétiques

2A partir d’une espèce originaire des zones équatoriales africaines, les plantations de palmiers à huile se sont, dans la 2ème partie du xxe siècle, massivement développées en Asie du Sud-est (85 % de la production mondiale d’huile de palme est aujourd’hui concentrée en Indonésie et en Malaisie). On répète pourtant, depuis plusieurs décennies, que les potentialités sont énormes en Amazonie pour une plante dont la productivité en huile (4 à 6 tonnes à l’hectare) est 10 fois supérieure à celle du soja. L’exportation d’huile végétale et l’autonomie énergétique en biodiesel peut représenter deux véritables opportunités pour l’économie amazonienne. Est-on à l’orée d’un nouveau cycle amazonien fondé sur le dendê (elaeis guineensis) ? Ou bien s’agit-il d’un éphémère engouement ? En observant l’extension des plantations et la filière de l’huile de palme en Asie du Sud-est qui a été qualifiée de prédatrice car elle s’est faite aux dépens de forêts primaires, on mesure combien les économies régionales en ont été bouleversées et aussi combien les indicateurs de développement ont été améliorés. À quels risques l’expansion de la filière du palmier à huile en Amazonie, expose-t-elle les territoires ? Quelles pratiques sont mises en œuvre pour aborder ce nouveau cycle et juguler ces risques ?

  • 2  Zone qui correspond aux municipios du sud de Belém et qui a succédé dans l’histoire de la colonisa (...)

3Stimulée par l’impératif de développement durable et l’ouverture des marchés, la filière du biodiesel (1 % de la consommation énergétique brésilienne à 75 % à base de soja) connait un grand essor. Elle est confrontée à trois ordres de défis agronomiques, industrielles, écologiques qui supposent une mobilisation des ressources et une coopération entre les acteurs du secteur public et du secteur privé qui participent à l’émergence et à la consolidation de cette filière de grande importance pour la région. Dans l’état actuel des connaissances, il semble bien que planter des palmiers à huile en Amazonie signifie pour la région et le pays, à la fois des gains écologiques, par la récupération par les arbres d’aires dégradées (anciens pâturages, forêts secondaires) et l’obtention de carburants sans gaz à effet de serre, et des gains sociaux par la possibilité de créer des emplois et des revenus en milieu rural... Ainsi, du point de vue géographique, on voit s’ébaucher dans la région Guajarina2 du Para, des territoires du dendê issus de l’organisation de la filière, de ses impacts régionaux et des relations socio-économiques qui se densifient dans ces espaces de post-front pionnier de l’Amazonie orientale.

Données statistiques sur le centre de la Guajarina

Superficie (km2)

Habitants (2010)

Exploitations agricoles (2006)

Moju

9094

70 000

3343

Acara

4344

53 600

4626

Tailandia

4430

79 300

220

Tome-Acu

5145

56 520

1931

Source : IBGE

4Le thème des biocarburants, ici le biodiesel, semble secondaire au regard du marché des huiles végétales (au Brésil, les trois quart de l’huile consommée provient du soja), mais il est symbolique à cause des perspectives d’autonomie régionale et agricole et aussi de souveraineté (point sur lequel le président Lula insiste) que le biodiesel de palme représente. Le Brésil a un savoir-faire en la matière de biocarburant, car il s’est engagé sur cette voie dès le milieu des années 1970 avec le Proalccol, puis au début des années 2000 avec les moteurs polycarburants (Droulers, 2009). En bref, les politiques publiques s’efforcent de mettre en place un système énergétique efficient et autonome au moindre coût pour la société brésilienne et qui permettrait au Brésil d’être leader dans cette branche de l’économie verte, au moins sur le continent. La question est systémique à la fois agricole, sociale, industrielle et mercadologique. La filière industrielle du biodiesel semble être moins maîtrisée que celle de l’alcool. Pour aborder ce nouveau champ de recherche, les sources d’information se multiplient qui émanent des ministères (Mines et Energie, Développement Agraire, etc.), de la recherche agronomique (Embrapa ou Cirad), des entreprises, des syndicats des travailleurs ruraux, des mouvements écologiques, des pouvoirs locaux… Ces entités divergent quant aux interprétations des éléments négatifs et positifs de la filière, de l’impact territorial des aspects légaux en relation avec le code forestier, la recomposition des paysages, la protection de la biodiversité. Le gouvernement du Para n’a pas été en pointe dans le montage du projet, semblant peu convaincu de l’intérêt politique à s’afficher pro-dendê, ce qui renvoie au débat sur le code forestier, il s’agit de savoir si une plantation de palmiers peut être reconnue comme réserve légale dans les exploitations.

Brève histoire du palmier à huile en Amazonie

5Le Brésil, pays jeune, aux cycles économiques assez courts réussit, à plusieurs reprises, à enclencher des enchainements vertueux d’interaction capital-travail qui conduisent à des processus d’innovation. Il existe incontestablement une manière brésilienne d’innover en recherche et développement, comme le souligne le professeur Alfredo Homma qui indique que le pays a connu ces 50 dernières années quatre grandes révolutions technologiques dues à des chercheurs nationaux :

  • - la création de la Petrobrás (1953) qui donna les moyens de la recherche autonome en exploitation pétrolière qui mena le pays à l’autosuffisance ;

  • - la fondation d’Embraer (1969) permet au pays de construire des gammes d’avions régionaux qui gagnent des parts sur le marché international ;

  • - le montage du programme Proálcool (1975) qui entraina le développement du moteur à alcool et la production d’un biocarburant non polluant à grande échelle.

  • - Enfin la création de l’Embrapa (1973), en connexion avec les Universités qui permit de grandes avancées dans le domaine des techniques agricoles et d’adaptation des plantes aux écosystèmes brésiliens à l’exemple de la transformation des Cerradosen principal grenier à grains du pays et l’Amazonie en bassin d’élevage.

6Le professeur Homma plaide pour qu’une cinquième révolution technologique puisse avoir lieu en Amazonie, à partir de la biodiversité et de véritables alternatives économiques. Les chercheurs de l’Embrapa et leurs partenaires se retrouvent dans une démarche fondée sur la relation étroite entre recherche conceptuelle et action. Ils contribuent ainsi à renouveler et transformer les approches des questions agricoles en liaison avec les évolutions des écosystèmes et de l’économie régionale. Il se met alors en place des processus de « recherche transformative » quand le chercheur devient un acteur et qu’il s’implique de façon contractualisée dans la mise en œuvre des transformations. Avec sa collecte d’informations, il constitue et partage des bases de données et anime des réseaux d’échanges. C’est dans ce contexte que nous avons pu effectuer la visite de terrain dans l’entreprise Marborges à Moju.

Jeune plantation de palmiers à huile

Jeune plantation de palmiers à huile

Cliché Hervé Théry 2010

7L’histoire des plantations de palmiers à huile en Amazonie remonte aux années 1950 lorsque des recherches sont menées sur les hybrides afin de croiser le dendezeiro (Elaeis guineensis), espèce africaine et le caiaué (Elaeis oleifera), espèce native de l’Amazonie. Des essais de plantation sont tentés autour de Belém et de Manaus. La chercheuse Clara Pandolfo (1912-2009) s’en fait l’ardente avocate. En 1964/65, un accord de coopération technique est signé entre la Superintendance de Valorisation Economique de l’Amazonie (SPVEA) et l’Institut de Recherches pour les Huiles et Oléagineux (IRHO), institution qui sera ensuite intégrée au Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad), français, pour lancer un projet pilote de 1.500 ha, et une Usine de transformation. Les premières plantations furent réalisées en 1968, au km-9 de la route PA-391 (Belém-Mosqueiro) dans le município de Benevides (PA), actuel Município de Santa Bárbara, et le projet Dendê passe sous le contrôle de la Superintendance de Développement de l’Amazonie (Sudam) jusqu’en 1974, quand il intègre le consortium HVA International (Holanda)  , Cotia Trading et la Dendê do Pará Ltda (Denpal), qui deviendra par la suíte la Denpasa (Dendê do Pará S.A.).

8Pendant ce temps, l’Afrique perd de sa prééminence et la géographie du palmier à huile se modifie, l’Asie commence sa production de masse. En Amazonie, les experts hollandais de l’Agence de développement agricole, HVA International, conduisent le processus de montage de la filière en participant, de 1973 à 1984, à l’entreprise DENPASA (Dendê do Pará SA) qui constitue une plantation en propre de 5100 ha à Benevides, Pará et 2500 ha de petits producteurs associés à la Cooperativa Agrícola Mista Paraense (Cooparaense) de Santa Izabel do Pará. La production s’élève à 20 000 tonnes d’huile de palme, et provient de deux usines dont la CODENPA Companhia Dendê Norte Paraense, qui traite la matière première des associés.

  • 3  A dendeicultura é uma atividade de importância agro-ecológica-industrial com período de exploração (...)
  • 4 Comme avec la société française PalmElit, une filiale du Cirad, société de droit privé (SAS) spécia (...)

9Cependant, les politiques publiques ne suivent pas, alors que le Proalccol réussit, le Prooleo est un échec. Malgré tout, diverses tentatives se poursuivent dans le Para avec des groupes passablement capitalisés qui procèdent par captation d’incitations fiscales, cependant les réussites se font attendre, ainsi le projet Dendê da Amazônia S.A. (Denam) sur 3 000 ha dans le municípe de São Domingos do Capim, est abandonné une dizaine d’années plus tard, de même que le projet de Téfé dans l’État d’Amazonas. Pourtant, un pôle de recherche se structure au sein de l’Embrapa3 et développe ses activités sur le palmier à huile dans ce dernier État, plutôt qu’au Para. Cependant, les investissements cessent à la fin des années 1980 et les recherches entrent dans un processus de déclin, ne produisant plus d’amélioration variétale. Actuellement, l’Embrapa, confrontée à une demande énorme en recherche, se consacre particulièrement aux variétés productives et résistantes au jaunissement fatal et réinvestit dans des stations expérimentales qui accumulent les expériences sur le palmier à huile, tant sur les systèmes de culture que sur le matériel génétique travaillant sur les hybrides interspécifiques des souches africaines et amazoniennes, notamment pour les rendre résistantes à la maladie du « jaunissement fatal », AF, apparue il y a une vingtaine d’années et dont les mécanismes de diffusion restent mal connus et sans qu’on puisse y remédier. Cette maladie constitue une entrave au développement du palmier à huile en Amazonie, un peu à l’image de celle qui affecte les hévéas. C’est un des défis que doit relever le CPATU-Embrapa de Belém, qui mène également, en multipliant les parcelles d’expérimentation, des études sur les sols, la rétention de l’eau, le maintien de la fertilité, les indices de percolation. La science et la production tissent, dans un climat de coopération, de nouveaux partenariats4.

Cliché Hervé Théry 2010

Grandes entreprises et petits producteurs

10Les plantations de la première époque fournissent la base des entreprises actuelles qui, après différents changements de management, forment l’axe du « pôle palmiers à huile Moju-Acara-Tailandia » (voir cartes), visibles sur les images satellitaires et en grande expansion. Trois de ces entreprises seront brièvement présentées. Elles sont largement le fait d’acteurs extérieurs à la région, mais impliquent des milliers de travailleurs locaux et les effets d’influence qu’elles ont sur le territoire est déjà très palpable.

2006

2008

2009

Projection 2014

ha

t

ha

t

ha

t

ha

Agropalma

33 000

125 000

36 150

145 000

39 100

150 000

60 000

Biopalma

5 000

95 000

Marborges

4 000

11 600

4 200

15 100

4 600

15 000

5 500

État du Pará

53 000

157 000

58 800

190 000

76 000

190 000

210 000

Source : FNP Agropalma

Une entreprise pauliste, la Marborges

  • 5  Une expérience-pilote detechnologie de génération d’énergie électrique avec un moteur diesel à hui (...)

11La plus petite des trois, la Marborges se situe dans le municipe de Moju à 100 km au sud de Belém a repris les, plantations du projet Reasa - Reflorestadora da Amazônia S.A. qui avait reçu, dès 1978, des financements pour implanter 3000 ha de dendé, au Km-12 de la route (Rodovia PA-252), ainsi que la légalisation de ses terres entre les rivières Jambuaçu et Cuba, affluents du bas rio Moju. En 1990, après des problèmes de baisse de rendements et de maladie des arbres, le domaine change de main, devenant, en partie la propriété de MarborgesAgroindústria S.A. (Marborges), un groupe industriel de São Paulo, qui installe en 1992, une huilerie industrielle à Santa Ana do Alto, d’une capacité de traitement de 9,0 t de régimes/heure. L’usine peut produire jusqu’à 20 000 tonnes par an. En 2008, 15000 tonnes d’huile de palme et 1500 d’huile palmiste ont été vendu. Ces huiles sont acheminées par camions chaque jour vers São Paulo. La production de biodiesel n’est pas prévue dans l’immédiat5.

Le départ des camions d'huile

Le départ des camions d'huile

Cliché Hervé Théry 2010

12Le domaine foncier de l’entreprise, accru au gré des occasions d’acquisitions, s’étend sur 15530 ha ; il est découpé, discontinu et totalise 7000 ha de réserves forestières. Ce fait démontre la tension foncière que provoque l’extension des plantations et indirectement celle de la déforestation. Au total, les palmiers couvrent désormais plus de 6000 hectares, après les 1000 nouveaux plantés en 2009. Les parcelles sont de 25 ha et l’on compte 143 palmiers à l’hectare. Après différentes expérimentations sous le contrôle de l’Embrapa, les nouvelles plantations devraient être hautement productives avec des variétés hybrides qui facilitent la récolte. Sur cette question concernant les tests des variétés hybrides réalisés au niveau des entreprises (et non de l’Embrapa), les dirigeants de la Marborges restent très prudents disant que la productivité est davantage liée à la teneur en huile des infrutescences qu’au travail lors de la récolte, le production de l’hybridation repose sur la pollinisation assistée, et non des variétés améliorées

La pollinisation assistée des palmiers

La pollinisation assistée des palmiers

Cliché Hervé Théry 2010

13Au total l’entreprise emploie 800 personnes qui viennent des communautés rurales avoisinantes. Les activités dans les plantations sont soutenues et on compte un emploi agricole pour 7 hectares de palmiers. Les travaux vont de la plantation, au sarclage, à la pollinisation manuelle, au ramassage des régimes. Cette opération est généralement mécanisée, cependant les tracteurs s’embourbent et l’on constate un retour à la charrette attelée ; les buffles sont notamment très appréciés, car ils portent de lourdes charges (3000 kg) et passent dans les terrains les plus boueux. La Marborges en a une petite centaine, ils bénéficient des soins particuliers, il faut par exemple les arroser souvent, leurs bouviers semblent satisfaits de ce type de travail.

Arrosage des buffles pour les rafraîchir

Arrosage des buffles pour les rafraîchir

Cliché Hervé Théry 2010

14Les camions accèdent aux plantations et chargent les régimes ou infrutescences qui pèsent une vingtaine de kg et comptent jusqu’à 1500 fruits. La récolte s’effectue toute l’année, et pour garantir un bon rendement en huile, le transport et le traitement doivent s’effectuer dans les 24h. Au total, la demande en main d’œuvre est élevée. Les dirigeants de la Marborges déclarent aussi qu’il est possible de soutenir et encadrer la production des agriculteurs de la région, ceux-ci travailleraient sous contrats et approvisionner l’usine. Ils rappellent que la Malaisie a utilisé le palmier à huile pour effectuer sa réforme agraire. On calcule qu’avec cinq hectares de palmiers, un agriculteur et sa famille tirent un revenu suffisant ; de plus, lors de la transformation 80 emplois industriels sont créés pour 3000 litres d’huile/jour. Le coût d’implantation d’un ha de palmiers s’élève à 7500 reais, il faut donc prévoir des plans de financement pour ces opérations et pratiquer ainsi l’inclusion sociale plutôt que l’exclusion. Cette inclusion suppose un appui technique constant pour atteindre une bonne productivité à l’hectare. Ce sera la condition sine qua non pour étendre les plantations de dendê à l’agriculture familiale. Le professeur Homma faisait remarquer combien les descendants de japonais s’en sortent mieux que les caboclos car ils ont une bonne maitrise technique et organisationnelle des activités agricoles.

  • 6  Aujourd’hui, plus de 5 millions de personnes en Indonésie dépendent directement de la culture du p (...)

15Au résultat, les relations entre l’entreprise et la population locale apparaissent tendues alors même que l’impact régional se présente comme globalement positif avec un élargissement de la création et de distribution de richesses dans le tissu économique nord-paraense. L’entreprise salarie, qualifie du personnel, aide à l’installation des petits producteurs planteurs de dendê. D’ailleurs, les résultats des plantations de palmiers à huile en matière de revenus et d’emplois dans les zones rurales sont partout soulignés, en Colombie, en Indonésie où des gains de 1 000 à 2 000 dollars par an et par hectare sont générés par la culture du palmier à huile6. De tels revenus qui contribuent de manière significative à la régression de la pauvreté et à l’émergence d’une classe moyenne rurale, induisent un certain nombre d’adaptations.

16Enfin, ultime avantage, le palmier à huile est paré de vertus « écologiquement correctes ». En effet, du point de vue biologique, il présente des caractéristiques d’aire forestière, notamment en ce qui concerne la protection des sols, de plus, les arbres en croissance absorbent beaucoup de CO2 et une plantation dure en moyenne 25 ans. BKB fait cependant remarquer que les risques environnementaux sont souvent mal appréhendés par les politiques publiques parce que les experts se contredisent. Ainsi lors de la révision du Code Forestier, la question d’inclure les palmiers dans la reconstitution des réserves forestières reste un débat lourd de conséquences.

17Un autre volet du registre « écologiquement correct » est celui de l’utilisation des résidus de l’huilerie. Ceux-ci, comme pour la canne à sucre, sont recyclés et réutilisé dans la production, la fibre des fruits sert d’engrais organique ainsi que les effluents répandus dans les plantations. De plus, entre les arbres, espacés de 9x9 m, le pâturage du bétail est possible et même des cultures intercalaires pourraient y trouver place (poivrier, caféier…). Des solutions existent donc pour enclencher le cercle vertueux de l’écologie agro-industrielle. Mais de telles considérations qui reposent sur la croyance d’un déclenchement vertueux du développement peuvent aussi être nuancées par des interrogations sur les fondements du dit « écologiquement correct », sur les impacts réels que représentent les plantations sur la biodiversité, sur l’usage de produits chimiques, sur la viabilité des cultures mixtes et sur l’apprentissage de la multi activité en milieu rural.

Les performances de l’Agropalma

  • 7  La commune de Tailândia fait partie de ce post-front pionnier où plus de la moitié de la surface e (...)
  • 8  L’Agropalma a repris des plantations de la Denpasa, un domaine de 27.500 ha dans le Munícipe de Ac (...)

18À 80 km au sud, une autre entreprise, plus connue et souvent citée, l’Agropalma, composé de six entreprises de capital national, a constitué un grand domaine foncier sur trois municipes du Pará : Tailândia7, Acará e Moju et devient le complexe agroindustriel d’huile de palme le plus important de l’État du Brésil8. Ce groupe créé au début des années 1980 par le Banco Real est aujourd’hui intégré au groupe financier Alfa, est incontestablement leader de cette production avec 36 000 hectares plantés et 130 000 tonnes produit en 2008 avec une prévision de 220 000 tonnes en 2011. Il conduit des projets pilotes agricoles et agroindustriels, adhère au plan national de biodiesel avec une usine à Belém et mise résolument sur cette option d’énergie verte.

19Agropalma a lancé en 2001, avec la municipalité de Moju, un programme pilote d’insertion de 150 agriculteurs familiaux dans la production avec des financements BASA – Banco da Amazônia et PRONAF – Programa de Fortalecimento da Agricultura Familiar), Au bout de 4 ans une cinquantaine de familles parvenaient à obtenir un revenu mensuel de 1200 reais. Avec un investissement de 5 millions de reais, l’entreprise a obtenu huit certifications – trois en gestion, quatre relatives à l’agriculture organique et une de “commerce équitable” (FISCHER et al., 2006). Le directeur commercial de l’Agropalma est devenu en 2010 vice-président de la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO), ou table ronde de l’huile de palme soutenable, organisation internationale chargée de promouvoir la production d’huile de palme durable.

20L’entreprise englobe un immense domaine de 82 000 hectares de terres dont 36 000 hectares plantés de palmiers, 1 600 km de routes privées, quatre industries d’extraction de l’huile brute et une d’huile raffinée, une unité de transformation en biodiesel (à Belém), des laboratoires de contrôle de qualité ; des stations de traitement de l’eau, quatre agrovilles et 2.800 emplois directs. Avec toutes ces initiatives, Agropalma est devenu le groupe le plus en vue du secteur huile de palme.

21De fait, depuis le milieu des années 2000, de nouvelles orientations dessinent les prémisses d’une troisième phase de l’histoire du palmier à huile en Amazonie qui annonce un nouvel accroissement des plantations du fait de politiques publiques incitatives et d’entreprises intéressées. Les plantations s’étendent et se déplacent nettement vers le sud du Pará consolidant un véritable pôle entre Moju, Acara, et le nord de Tailândia, tandis que l’État du Pará lance un zonage agroécologique (ZEE-Embrapa) qui identifie un espace de plus d’un million d’hectares propices aux plantations de palmiers ainsi qu’un polygone du dendê, construit autour de la distribution spatiale des cas déclarés de jaunissement fatal, et d’autres facteurs climatiques et édaphiques. Les investissements y seront favorisés, ainsi que des programmes d’encadrement à l’agriculture familiale. Le secteur est en pleine effervescence.

Vue aérienne de plantations de palmiers à huile

Vue aérienne de plantations de palmiers à huile

Cliché Hervé Théry 2010

22Bertha Becker rappelle qu’une des tendances importantes d’une politique de développement durable est l’établissement de modalités de zonage afin d’organiser l’usage du sol sur une base tecno-scientífique et à plusieurs échelles. Au total, toutes les surfaces amazoniennes cumulées autorisées pour la culture du dendê sur des terres qui furent anthropisées, s’élèvent à 31,8 millions d’hectares (superficie équivalente à la surface agricole de la France). En 2010, les surfaces plantées de palmiers à huile ne dépassent pas les 100 000 ha. Mais on est à la veille d’un grand changement.

23Deux grandes questions continuent à se poser : quels seraient les outils pour infléchir l’inévitable concentration des terres et contrôler le processus de vente et passation de terre ? Comment parvenir à une plus grande efficacité des industries en milieu rural, avec quels investissements ? Est-ce que la formule de coopératives ou d’intégration à l’industrie est une solution ? ou encore celle de fazendas agro-industrielles constituées de 20 à 50 producteurs autour d’une unité de transformation facilement accessible aux routes et au marché ?

Les grands projets de la Biopalma

  • 9  En 2008, la consommation de diesel par la Vale au Brésil s’élevait à 940 millions de litres, dont (...)

24Une troisième entreprise, la Biopalma, connait une importante transformation. Elle a été créée par des entrepreneurs brésiliens en partenariat avec un groupe canadien. Elle s’étend sur 130 mil hectares, prévoyant d’en protéger 70 000 et d’en planter 60 000. Cette grande extension inquiète dans la région où les quilombolas de Concórdia l’accusent, en 2008, de faire pression sur les agriculteurs pour qu’ils vendent leur terres, les menaçant de désappropriation par manque de titres (cf. Centro de Monitoramento de Agrocombustíveis (CMA) de Repórter Brasil dans une étude sur les impacts du dendê. Depuis que la Vale est devenue actionnaire à 47 %, une partie de l’entreprise s’appelle Biovale – et les projets changent d’échelle. En effet, pour diminuer ses émissions de CO2, la compagnie minière Vale a prévu que toutes ses locomotives (216) du système Carajás, ainsi que les machines de la mine puissent être alimentées au biodiesel de dendê B20, dès 20149. Pour être autosuffisante en B20 (20 % de biodiesel e 80 % de diesel commun), l’entreprise a créé un joint-venture avec la Biopalma da Amazônia S.A, celle-ci doit accroître ses plantations de palmiers, 12 millions de plants étaient en pépinière au printemps 2010. L’investissement total s’élève à 500 millions US$ dont 350 provient de la Vale. L’unité industrielle d’une capacité de 500 mil tonnes/an, produira en 2014, 160 mil tonnes de biodiesel qui devraient être intégralement utilisées par la Vale, tandis que la Biopalma commercialisera le reste de l’huile. L’ensemble devrait créer plus de 6 000 emplois directs à la campagne et assurer le revenu de 2 000 familles de petits producteurs.

25Cependant, partout, la phase initiale du développement de la filière revêt la plus grande importance, il s’agit de mettre en place un système intensif, intégré et durable avec des itinéraires techniques maitrisés intégrant les acteurs de la filière pour échapper aux critiques d’une exploitation prédatrice. Dans le monde, les lieux de production sont au centre des “guerres” commerciales que se livrent les acteurs et intermédiaires, les pays producteurs et leurs entreprises vivent sous la menace de perdre les marchés consommateurs si ils ne se conforment pas aux nouvelles formes que prennent le marché mondial ; les adaptations sont serrées entre les incertitudes sur la production, les ralentissements ou pics de la demande, et les manipulations de prix des commodities.

Les stratégies et l’intervention publique

26Les incitations de l’État passent par le programme national de production de biocarburant, PNPB qui prévoit une croissance de la production de biodiesel B5 à 2,4 milliards de litres en 2013, tandis que le Plan d’accélération de la croissance PAC prévoit 3,3 milliards de litres en 2011. Pour parvenir à ces résultats de nouveaux liens contractuels sont proposés.

27Le degré d’organisation de l’agriculture familiale est primordial dans le partenariat que le gouvernement cherche à établir lors de la mise en place d’un programme national de production de biocarburant, PNPB, lancé en 2004. L’obligation de partenariat avec des agriculteurs familiaux était faite aux entreprises désireuses d’obtenir les incitations fiscales qui accompagnent le Signe Combustible Social (SCS) instauré en 2004. Ce dispositif visait à encourager la culture familiale de palmier à huile en Amazonie et de ricin (mamona) au Nordeste. Munies de ce label SCS, les entreprises obtiennent des avantages fiscaux et des parts de marché dans les appels d’offre de biodiesel promus par l’Agence Nationale de Pétrole (ANP). Pour obtenir un SCS, les industries ont une obligation de provenance de la matière première, d’au moins 50 % de l’agriculture familiale pour le Nordeste et 10 % pour le Nord. Cependant ces contrats de partenariats ne sont pas exempts de conflits, ni de concentration foncière. De plus, c’est toute la filière qui doit être labellisée.

28L’objectif des 200 000 familles de petits producteurs à inclure dans le programme de 2004, est loin d’être atteint. Les agriculteurs du sud, par leur haut degré d’auto-organisation ont une meilleure participation à la production de biodiesel de soja que ceux du nord dont le plan Ricin a échoué. Maintenant tous les espoirs pour le nord se portent sur le dendé, avec un recours à la PETROBRAS. Le Plan “Palme Verte” lancé à Tomé-Açu (Pará) par le Président Lula en mai 2010 constitue un encouragement à la relance du secteur, plantation et production d’huile de palme mais surtout transformation et raffinage dans des usines au bord du Tocantins accessibles aux navires de haute mer. Pour contrôler la mise en marché d’un produit en pleine croissance, la Petrobras biocombustible a été créée en juillet 2008 au moment où le mélange obligatoire du biodiesel est passé de 2 % à 3 %. La nouvelle entreprise prend en charge les usines de biodiesel de Candeias (BA), Quixadá (CE) et Montes Claros (MG), et encadre les complexes bioenergétiques (CBIOS), entreprises en partenariat avec les producteurs brésiliens et les groupes internationaux.

29Sur le plan agricole Petrobras biocombustible fait des contrats de plantation de palmiers avec des agriculteurs familiaux, après une localisation géographique des propriétés et le démarrage d’un processus de régularisation foncière en vue de l’obtention du Cadastro Ambiental Rural (CAR). Ce document, délivré par le Secrétariat de l’environnement du Pará SEMA, donne une sécurité juridique à l’exploitation écologiquement correcte des ressources naturelles d’une propriété rurale.1.250 d’entre eux ont été sélectionnés dans le Pôle de Dendê des municipes de Igarapé-Miri, Cametá, Mocajuba et Baião. Tous les agriculteurs ont l’obligation d’effectuer ce cadastre ; les éleveurs en particulier ne peuvent déjà plus vendre leurs bovins aux abattoirs frigorifiques SIF, sans cette garantie. Les données géoréférencées du CAR-Para, disponibles sur le site Internet de la SEMA permettent d’entamer une cartographie foncière.

30Pour le côté industriel, la Petrobrás, prépare un double projet :

  •  a) Le Projet Pará d’une usine de biodiesel pour l’approvisionnement de la région Nord du pays, d’une capacité de 100.000 tonnes/an pour un investissement 330 millions de R$

  • b) Le Projet Belém, d’implantation d’une industrie de biodiesel d’un investissement de 463 millions de R$ pour produire 300.000 tonnes/an en partenariat avec la Galp du Portugal pour l’exportation du biodiesel dans ce pays (Governo do Pará, 2009).

31Au total, la dizaine d’entreprisesdu Pará possèdent un indéniable savoir-faire tout au long de la filière et produisent 85 % de l’huile de palme du pays dont l’essentiel est acheté par les industries agroalimentaires. Deviendront-elles des entreprises-phares capables d’entrainer le développement régional ?

32Le Brésil reste déficitaire en huile de palme alors que les sollicitations du marché des biocombustibles commencent à perturber la filière et que les entreprises doivent répondre aux régulations gouvernementales sans prêter le flanc aux critiques des médias dans un contexte d’une situation foncière toujours conflictuelle. L’État cherche à atteindre une certaine efficacité mercadologique sans avoir résolu la question foncière.

L’émergence d’un territoire du dendê dans le Pará

  • 10  La zone Guajarina réduite couvre 26 000 km2 et totalise 300 000 habitants. Dans les années 1960, e (...)
  • 11 Ceux de Jambuaçu, 62 familles, 1303 ha ; de Santa Maria de Traquateua 27 familles, 833 ha, de Santa (...)

33Cette région connue comme “ Guajarina » qui, dans sa version réduite10, totalise sept municipes : Tailandia, Moju, Tome-Acu, Acará, Igarapé-Miri, Concórdia do Pará et Bujaru présente une densité rurale assez élevée (7 à 8 hab/km2), les infrastructures s’y renforcent et un véritable bassin d’emploi apparait avec l’intensification des éléments de la filière du dendê. Cependant, dans cette région amazonienne occupée depuis plus de cinquante ans, la pression sur la terre est forte et les conflits d’appropriation nombreux, notamment pour le maintien des populations traditionnelles. Ainsi, dans le seul municipe de Moju, pas moins d’une dizaine de terres quilombolas ont été homologués par l’ITERPA, elles totalisent 13690 ha et regroupent 470 familles11 ; Concórdia do Pará et Bujaru comptent également une dizaine de terres quilombolas. Ces communautés, avec leur organisation socio-spatiale collective forte, luttent pour que leurs droits sur la terre qu’ils occupent soient reconnus. Les tensions foncières sont partout perceptibles, il s’y rajoutent les conflits avec l’IBAMA qui impose le respect des réserves forestières à maintenir ou à reconstituer. Pourtant les opérations de cadastre rural progressent et ce mouvement participe à la territorialisation de la filière agro-industrielle de l’huile de palme en cours dans la Guajarina.

Le territoire du palmier à huile

Le territoire du palmier à huile

Adriano Venturieri

34Les organisations sociales fortes et revendicatives font que la région Guajarina constitue, pour certains observateurs, “ un des épicentres de la lutte contre l’expansion des entreprises agroindustrielles » (Rosa Acevedo, 2009). En effet, les entreprises font localement l’objet de nombreuses critiques, elles sont accusées de polluer les rivières, de répandre des herbicides dans les sols, d’enfreindre les lois du travail. Les travailleurs se plaignent des longues journées et des maigres salaires, tandis que les voisins relèvent de nombreuses contaminations des eaux et des sols. Malgré tout, la logique du partenariat et de la coopération est pourtant préférable à celle de la confrontation ; l’objectif que préconise le Ministère du Développement Agraire (MDA), particulièrement attentif à l’équilibre des territoires ruraux, est de maintenir le dialogue et de faire participer les petits producteurs à cette filière, sans qu’ils tombent dans une trop grande dépendance. Car, dans ces territoires en mutation productive, les travailleurs forment les nouveaux contingents d’acteurs dont la position territoriale se trouve plus ou moins enracinée. Ils viennent des communautés rurales voisines ou des villes proches ou du Nordeste ; au contact de l’entreprise, les pratiques spatiales des caboclos se modifient en profondeur, et notamment, ils confortent par le salariat leur enracinement voyant s’éloigner la contrainte de la migration. Les questions qui se posent dans cette zone de post-front pionnier sont celle de la stabilisation du peuplement obtenue par l’insertion dans les circuits économiques et celle du contrôle de la citoyenneté.

35Les syndicats des travailleurs ruraux dénoncent le risque de perte d’autonomie dans l’engrenage de la précarité monétaire et mettent en place des luttes visant à éviter la détérioration des conditions de vie et de travail dans des lieux où le boom économique se fait brutalement sentir. Ainsi, une localité dénommée Villa dos Palmares, sise à cinq kilomètres du siège de l’Agropalma, regrouperait 5000 habitants et compterait 85 bars, avec peu de contrôle social, des taux élevés d’homicides et des cas avérés de prostitution infantile. Qui va payer le coût de l’urbanisation, de l’installation des réseaux et des logements, de l’apprentissage de la citoyenneté ? Les nouveaux habitants se reconnaissent-ils dans le lieu ? Des actions sont certes menées par la municipalité et l’entreprise, elles visent avant tout à améliorer l’éducation sociale et environnementale des habitants de la localité. Toute nouvelle production créatrice d’emplois se trouve donc confrontée tant aux modalités de gestion de ses travailleurs, qu’à l’organisation fonctionnelle des nouveaux territoires amazoniens en gestation.

Terres occupées et terres disponibles

Terres occupées et terres disponibles

Les fonds de cartes Arc Gis ont été préparés par Marcelo Thales Cordeiro à partir des données de l’INPE-PRODES en appliquant une grille de 5x5 km pour calculer les disponibilités forestières. L’élaboration finale a été réalisée grâce à l’aimable participation de Marie-Noëlle Carré au CREDAL. Les cartes qui montrent l’évolution du couvert forestier entre 2000 et 2009 dans le quadrilatère Moju-Acara-ToméAçu-Tailandia indiquent que les plantations s’étendent sur des terres déjà fortement déforestées (entre 35 et 65 %) et qu’elles ont aussi un impact sur l’extension de la déforestation.

Marcelo Thales

36Même si un certain nombre de facteurs limitent l’expansion des palmiers à huile en Amazonie (investissements élevés, maladie du jaunissement fatal, accès insuffisant aux semences de Tenera et hybride interspécífique O x G, manque d’infrastructures, problèmes fonciers…) cette culture devrait se renforcer dans la zone propice à son développement ; elle est utile aux industries agroalimentaires du pays alors même que le biodiesel se présente comme une alternative de plus en plus plausible, surtout si l’on cherche à renforcer le caractère régionaliste d’une géopolitique amazonienne. L’Amazonie, qui a été longtemps un territoire-ressource caractérisé par son ouverture internationale (cacao, épices, caoutchouc), accueille de plus en plus d’habitants et cette population manifeste le souhait d’un projet de développement cohérent à l’échelle régionale afin de dépasser le rôle classique de fournisseur de matières premières : le fer de Carajas, la bauxite de Trombetas, l’hydroélectricité de Tucurui ou encore la Zone Franche de Manaus...… Beaucoup de politiques publiques ont eu tendance à négliger les priorités régionales au profit de l’implantation de grands programmes sectoriels. Ces gros chantiers et leurs infrastructures ont bousculé les propositions de développement régional. On revient maintenant à des projets plus localisés qui, pour peu que l’on y songe, s’ancrent davantage dans la dynamique des territoires par le renforcement des économies régionales et des pouvoirs locaux amazoniens.

37Un territoire autour de la filière du dendê est donc en passe d’émerger avec ses points d’innovation, ses lieux de tensions et ses flux d’ajustement. En effet, les activités liées à la commercialisation de l’huile de palme s’organisent le long des axes Moju-Acará et Moju-Tailândia où de grandes opérations agricoles et industrielles articulent des espaces fonctionnels, stabilisent les populations rurales, consolident les noyaux urbains par l’élargissement des échanges. La toute récente décision d’installer une usine sidérurgique à Moju va dans le sens de cette diversification des activités urbaines : l’entreprise Copala présente, en coopération avec l’Italien Danieli, le projet d’une unité industrielle de petite envergure, 12000 tonnes d’acier par mois, dont l’argument repose sur le fait de pouvoir approvisionner en acier l’agglomération de Belém. Ainsi l’influence de la métropole de Belém se fait sentir dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres, dans des régions où s’organisent des circuits spécifiques d’approvisionnement de l’économie métropolitaine, selon le grand mouvement d’expansion géographique qui caractérise la nation brésilienne. Le quadrilatère Moju-Acara-Tomé Açu-Tailandia où se trouvent, sur des terres déjà fortement déforestées, la majorité des plantations, marque nettement le déplacement vers le sud des activités agricoles et agro-industrielles. La carte de l’Embrapa rend explicite cette translation des plantations de palmier à huile de la Bragantina vers la Guajarina où elles prennent une autre configuration géographique avec de grands domaines agricoles et la démultiplication des relations entre les villes, les campagnes et les industries. C’est ainsi que se déroule une des modalités spécifiques de la territorialisation à l’œuvre dans le post-front pionnier de l’Amazonie orientale où l’occupation des interfluves des fleuves Moju, Acara se densifie sous l’action des acteurs publics et privés qui incorporent ces espaces au système économique national et régional.

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Notes

1  Os autores agradecem a empresa Marborges que, ao organizar a visita da sua plantação no município de Moju, permitiu recolher parte da informação na qual se fundamenta este artigo e que fossem tiradas as fotos que o ilustram.

2  Zone qui correspond aux municipios du sud de Belém et qui a succédé dans l’histoire de la colonisation agricole du Para à la Bragantine.

3  A dendeicultura é uma atividade de importância agro-ecológica-industrial com período de exploração comercial de aproximadamente 25 anos. A produção comercial inicia-se três anos após o plantio, mas a capacidade máxima produtiva das plantas ocorre entre seis e sete anos de idade até 17 ou 18 anos de idade, quando as plantas entram em declínio de produção (Barcelos et al., 1987). No Pará, onde se concentra mais de 80% do plantio no país, plantios adequadamente manejados produzem em média de 4 a 6 t de óleo/ha/ano.O cultivo do dendezeiro é tecnologicamente bem desenvolvido, sendo a espécie a oleaginosa de maior produtividade e uma das melhores opções para produção de bioenergia nas condições agroecológicas da Amazônia, visto que o plantio é explorado por décadas sem necessidade de preparo do solo, favorecendo a estabilidade de sua estrutura, proporcionando cobertura permanente e evitando o impacto direto das intensas chuvas que provocam erosão e lixiviação; além disso, a cultura não necessita de período de estiagem para colheita ou secagem, como ocorre com os grãos. Possui, ainda, grande capacidade de fixação de carbono, alta eficiência na conversão energética e gera, também, subprodutos com uso energético (cascas, fibras e efluentes de usina de processamento de cachos) (Lopes et al., 2008)

4 Comme avec la société française PalmElit, une filiale du Cirad, société de droit privé (SAS) spécialisée dans l’amélioration génétique du palmier à huile et qui fonctionne en association avec Sofiproteol, structure financière de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux dispose de variétés performantes et des meilleures techniques de production du matériel végétal.

5  Une expérience-pilote detechnologie de génération d’énergie électrique avec un moteur diesel à huile de palme de 115 kVA fonctionne à quelques dizaines de kilomètres dans la communauté de Vila Soledade, 700 habitants (financement : Finep, partenariat : Embrapa; Agropalma; municípalité de Moju ; Coppe/UFRJ) démontrant la viabilité des unités décentralisées. Source : CENBIO/USP.

6  Aujourd’hui, plus de 5 millions de personnes en Indonésie dépendent directement de la culture du palmier à huile.

7  La commune de Tailândia fait partie de ce post-front pionnier où plus de la moitié de la surface est anthropisée, se partageant entre forêt secondaire (98200 ha) et agriculture et pâturages (125500 ha), la forêt occupe à peine l’autre moitié, soit 49% du territoire (216 500 ha).

8  L’Agropalma a repris des plantations de la Denpasa, un domaine de 27.500 ha dans le Munícipe de Acará, en 2000, ainsi que le projet approuvé par la Sudam, de la Mendes Júnior Agrícola do Pará S.A. (Agromendes), une plantation de 6.000 hectares au km-70 de la Route PA-150 dans le municipe d’Acará. Puis celui de la Companhia Real Agro-Industrial (Crai) de 5.000 ha dans le municipe d’Acará.

9  En 2008, la consommation de diesel par la Vale au Brésil s’élevait à 940 millions de litres, dont 336 millions dans les unités du Système Nord. L’utilisation du B20 devrait permettre d’éviter l’émission de 12 millions de tonnes de dioxyde de carbone.

10  La zone Guajarina réduite couvre 26 000 km2 et totalise 300 000 habitants. Dans les années 1960, elle s’étendait sur plus de 90 000 Km2, et correspondait déjà au grand bassin d’approvisionnement de Belém en produits alimentaires (Hébette, 1979).

11 Ceux de Jambuaçu, 62 familles, 1303 ha ; de Santa Maria de Traquateua 27 familles, 833 ha, de Santa Luzia do Tracuateua 32 familles, 342 ha ; de Santa Ana de Baixo, 34 familles 1.551 ha, São Sebastião 39 familles 962 ha ; les trois communautés de Centro Ouro, 123 familles, 5243 ha ; Nossa Senhora da Conceição  54 familles 2.393 ha ; São Manuel  68 familles 1.163ha.

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Table des illustrations

Titre Jeune plantation de palmiers à huile
Crédits Cliché Hervé Théry 2010
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Crédits Cliché Hervé Théry 2010
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Titre Le départ des camions d'huile
Crédits Cliché Hervé Théry 2010
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Titre La pollinisation assistée des palmiers
Crédits Cliché Hervé Théry 2010
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Titre Arrosage des buffles pour les rafraîchir
Crédits Cliché Hervé Théry 2010
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Titre Vue aérienne de plantations de palmiers à huile
Crédits Cliché Hervé Théry 2010
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Titre Le territoire du palmier à huile
Crédits Adriano Venturieri
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Titre Terres occupées et terres disponibles
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Légende Les fonds de cartes Arc Gis ont été préparés par Marcelo Thales Cordeiro à partir des données de l’INPE-PRODES en appliquant une grille de 5x5 km pour calculer les disponibilités forestières. L’élaboration finale a été réalisée grâce à l’aimable participation de Marie-Noëlle Carré au CREDAL. Les cartes qui montrent l’évolution du couvert forestier entre 2000 et 2009 dans le quadrilatère Moju-Acara-ToméAçu-Tailandia indiquent que les plantations s’étendent sur des terres déjà fortement déforestées (entre 35 et 65 %) et qu’elles ont aussi un impact sur l’extension de la déforestation.
Crédits Marcelo Thales
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Pour citer cet article

Référence électronique

Martine Droulers, Adriano Venturieri, Moises Mourão, Marcelo Thalês et René Poccard, « Le palmier à huile : un avenir pour l’Amazonie ? »Confins [En ligne], 10 | 2010, mis en ligne le 28 mars 2011, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/6867 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/confins.6867

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Auteurs

Martine Droulers

CNRS-Credadroulers@univ-paris3.fr

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