2La mission de recherche portant sur les nouveaux usages de la mer et du littoral par les énergies renouvelables a été menée en collaboration entre l'Université Fédérale de Rio Grande do Norte (UFRN) et l'Université Sorbonne Nouvelle, du 10 au 18 février 2023, dans l’Etat de Rio Grande do Norte (RN), au Brésil principalement dans la ville de Natal (Brésil) et sur la côte nord de l'État du Rio Grande do Norte. Elle a eu pour objectif de comprendre la présence de l'énergie éolienne sur l’« angle » de la côte nord-est du Brésil et sa projection en mer par des projets off shore.

3Cette mission a bénéficié de la participation de professeurs, doctorants et masterants de l’UFRN ; de membres de l’Institut de l’environnement (IBAMA), de membres la Marine brésilienne  (Marinha do Brasil); membres du gouvernement de l’État du Rio Grande do Norte (SEDEC) ; de pêcheurs du littoral nord de l’État du Rio Grande do Norte (Diogo Lopes); de membres du Service de l’Industrie au Brésil (SENAI) et de mouvements sociaux sur les questions sociales et climatiques (FCJS).

4L'activité de terrain visait également à comprendre les possibilités d’une comparaison ultérieure entre ces territoires éoliens et ceux qui existent sur la côte française et/ou dans d’autres espaces de l'union européenne (Nonato Junior ; Le Tourneau, 2019). Ce texte établit un premier bilan de ces projets et présente les positions de certains des acteurs concernés pour contribuer à structurer un questionnement sur ces initiatives.

Rio Grande do Norte : un petit territoire privilégié pour l’énergie éolienne

5Dans le contexte national brésilien, l’État du Rio Grande do Norte est un petit État (50 000 km²) assez peu peuplé (3,5 millions d’habitants).

6Situé dans une région de l’« angle » du pays, le Rio Grande do Norte est écarté des zones de grande circulation des métropoles et notamment des deux métropoles du Nordeste : Recife et Fortaleza située respectivement à 300 km et 500 km de Natal

7Cependant, les caractéristiques géographiques du Rio Grande do Norte en font un territoire attractif pour les investissements dans le domaine des énergies renouvelables. Grâce à sa situation stratégique et à la forte incidence du vent pendant la majeure partie de l'année, ce « coin » du pays est devenu l'un des territoires les plus ciblés pour les grandes entreprises du secteur de l'énergie renouvelable. La faible densité de population limite également les problèmes d’accès au foncier pour le déploiement des énergies renouvelables. En 2023, le territoire du Rio Grande do Norte accueille des parcs éoliens pour une puissance cumulée de l’ordre de 10 GW (données : Empresa de Pesquisa energética), comparable à celle du barrage de Belo Monte (11,2 GW). La prolongation de cette tendance pourrait conduire à de nouvelles installations sur terre mais aussi en mer. Les périmètres annoncés se concentrent au large des côtes du Ceara et du Rio Grande do Norte (Carte 3).

8Ces projets d’installation, encore dans une phase préliminaire, posent des questions liées à leur contribution au développement régional et à leurs implications sociales et environnementales. Ils questionnent également la capacité de l’Etat brésilien et des gouvernements locaux à gérer ces investissements d’un nouveau type.

Les attentes du secteur public en matière de développement

Le secrétariat au développement

9A l’échelle du Rio Grande do Norte, il existe un Secrétariat au développement (SEDEC) du gouvernement de l'État de Rio Grande do Norte, qui se montre très optimiste quant à la possibilité d'investir dans les parcs éoliens offshore.

10Cependant, les représentants rencontrés se plaignent de la difficulté de contrôle de ce processus, par le peu de normalisation, puisque le cadre réglementaire est encore en phase d'approbation au Congrès. Faute de données publiques précises sur les projets, il n’est pas non plus possible d’apprécier ni la portée ni la temporalité des investissements.

11Par comparaison, d’après le SEDEC, les parcs éoliens terrestres seraient déficitaires, notamment à cause des coûts des matériaux de construction. Pour augementer la rentabilité, la taille des éoliennes augmente. On arrive à des éoliennes de plus de 100 m de haut avec une puissance allant jusqu’à 7/8 MW. L’installation pose des problèmes de logistique et d’infrastructures, notamment sur les routes, qui ne sont pas prévues pour des convois de très grandes dimensions. Il y a malgré tout 13 000 éoliennes en fonction. La question du recyclage est posée mais pas traitée.

12L’éolien off shore est une nouvelle frontière, mais il y a beaucoup de points à étudier, notamment la question de la connexion terrestre des parcs. Pour une ligne de 250 kv on doit prévoir une bande de 100 à 150 m de large : comment cela peut il s’appliquer sur le littoral ? Le décret de 2022 a suscité neuf projets, mais ces projets sont très hypothétiques. Le Brésil a déjà une production électrique décarbonée très importante. Quelle place pour les parcs éoliens off shore ? Il pourrait y en avoir trois d’ici à dix ans, avec des puissances élevées (2 GW chacun), mais il n’est pas certain que ce développement se fasse. Il faudrait pour cela trouver de nouveaux débouchés à l’électricité.

13La connexion avec le plan hydrogène vert est possible mais pas évidente. On parle de faire l’hydrolise directement sur place mais pour cela il faut dessaler et purifier l’eau de mer. Comme dans le RGN on manque d’eau douce, le dessalement est sans doute la solution technique qui serait privilégié. Mais cela pose le problème de la saumure résultant de cette opération qui serait rejetée en mer et pourrait perturber les milieux.

14Les représentants de l'État indiquent que l'étude des zones prioritaires d’investissement off shore a été déléguée au Service national des industries (SENAI), à Natal. Il a étudié quatre sites portuaires possibles : Mangue, Caiçara do Norte, Touros, Rio Potiguar. Caiçara do Norte serait le site recommandé.

15D'autres études approfondies seront nécessaires portant sur les conditions techniques des lignes de transmission entre la mer et le continent, les impacts sur la pêche, les altérations de la planification de l’espace maritime (PEM) suite aux projets off shore, les éventuels conflits avec les zones de préservation maritime sur la côte de l'état, la gestion des éventuelles contreparties qui doivent être données aux municipalités et, enfin, le changement des processus de régionalisation suite à ces investissements.

16Image 1 – Transport d’une pale d’éolienne sur les routes du Rio Grande do Norte

Le rôle du service des industries

• L'Institut d'innovation SENAI (Serviço Nacional de Aprendizagem Industrial) mène plusieurs projets en lien avec l’énergie éolienne, parmi lesquels on peut mentionner :

• Modernisation d'une éolienne de 2 MW (2012-2016)

• Atlas éolien offshore RN/CE (2012-2015)

• Étude des effets thermiques dans la modélisation de la ressource éolienne sur la côte du nord-est du Brésil (2014-2016).

• Développement d'une méthodologie pour mesurer et évaluer le potentiel offshore (2019-2021)

• Atlas éolien et solaire du RN (2020-2022)

• Développement d'une centrale hydroélectrique (2021-2025)

• Développement d'une bouée anémométrique météorologique (2021-2023)

• Cartographie de la ressource éolienne offshore sur la marge équatoriale (2021-2023)

17Le SENAI en est à des études préliminaires par rapport au développement de l’éolien off shore. Il va lancer une campagne de mesure du vent et les petits projets d’éoliennes qui seraient installées à proximité du terminal du sel de Areaia Branca, en effet, si le potentiel terrestre est bien cartographié, le potentiel éolien en mer n’a pas fait l’objet de mesures systématiques précises, indispensables pour calibrer les futurs parcs éoliens, si ceux-ci voient le jour.

Gérer l’Océan : le rôle de la Marine

18Au Brésil, la Marine nationale est chargée de la gestion et de la surveillance des espaces aquatiques, qu’il s’agisse des Fleuves comme des Océans. La Marine est notamment responsable du secours en mer, de la gestion des ports, du contrôle des activités de pêche, de la surveillance de la Zone Economique Exclusive et elle délivre les autorisations d’opérer pour les activités installées en mer, qui doivent répondre à une série de normes visant principalement à en garantir la sécurité.

19Le commandement du troisième district naval de Natal est responsable pour tout le secteur nord-est, de la ZEE, le sauvetage en mer et les ports. C’est la Marine qui doit également surveiller la pêche dans la ZEE.

20Les procédures appliquées par la Marine sont décrites dans un document général : normas da autoridade maritima para obra, dragagens, pesquisa e lavra de minerais sobre e as margens das aguas jurisdicionais brasileiras. Ces normes prévoient qu’un parc doit être à au moins 2 milles nautiques des routes maritime et que les embarcations de pêche et de loisir ne doivent pas s’approcher à moins de 500 m des structures. Les études préalables doivent prendre en compte les accès aux ports, terminaux et sites de pêche. La prise en compte de l’ensemble de ces critères semble problématique par rapport à l’extension des périmètres annoncés.

21Etant donné l’extension de la ZEE océanique du Brésil, la surveillance effective est un défi, d’autant que les activités économiques se multiplient et se diversifient. Il existe un écart croissant entre les discours sur l’Amazonie bleue, qui insistent à juste titre sur le caractère stratégique des Océans et les moyens dont disposent la Marine pour en assurer un contrôle effectif.

22Parmi les principales préoccupations de la Marine figurent la gestion des ports, les conflits potentiels avec la pêche, la nécessité de réglementer les processus impliquant des éoliennes et, enfin, la demande d'infrastructures qui n'existent toujours pas.

23La principale réponse de la Marine aux demandes de l'exploration offshore est le " Cluster Naval ", c'est-à-dire une mosaïque d'actions qui seront commandées par la Marine en collaboration avec la société d'ingénierie Engepron. Les interlocuteurs signalent la faiblesse des études et de l’économie maritime au Brésil et particulièrement dans le Rio Grande do Norte. L’économie maritime serait plus avancée dans l’État voisin du Ceara, où l’aménagement du territoire aurait une place beaucoup plus importante dans l’agenda publique. Sur les neuf projets prévus pour être exécutés en RN, un seul a été soumis à la Marine et refusé pour adéquation de la proposition dans la dimension environnementale.

Les enjeux environnementaux : l'Institut brésilien pour l'environnement

24La rencontre avec l'Institut brésilien de l'environnement (IBAMA) a permis d’identifier les difficultés de contrôle environnemental des entreprises en raison de la politique de réduction des agences environnementales au cours des quatre dernières années. Le manque de personnel et la fragmentation des procédures entre de nombreux agents rendent le contrôle environnemental difficile.

25Le technicien, qui s'est entretenu avec notre équipe, a souligné la nécessité pour le Brésil de disposer d'un protocole environnemental capable de suivre les exigences économiques, sinon le développement économique de l'État sera compromis par son manque de rapidité en matière d'analyse environnementale.

26Il a également souligné que les neuf projets off shore sont encore dans une phase très préliminaire d'enregistrement. Par conséquent, la plupart des données ne sont pas encore disponibles et les entreprises n’ont pas encore élaboré de projets détaillés. L’annonce des périmètres relèvent d’une stratégie pour réserver certains de ces espaces, sans que nécessairement des investissements soient réalisés à brève échéance.

27L'une des principales préoccupations de l'Ibama concerne les zones de protection de l'environnement maritime et leurs éventuels conflits avec l'installation des parcs off shore. Il a souligné qu'il considère la zone de Porto Ilha, dans la municipalité d'Areia Branca, comme une zone à examiner attentivement pour le développement éventuel des énergies renouvelables en raison de sa capacité logistique.

Les défis signalés par le mouvement social « Forum Climatique et Justice Sociale »

28Les échanges avec les représentants d’un mouvement social engagé sur les questions de changement climatique et de justice a permis d’identifier certaines problématiques.

29La personne interrogée a souligné qu'au fur et à mesure que la réglementation sur les installations off shore progresse, il appartiendra également à la FMCJS de s'organiser et de mettre cette question, qui est encore incertaine à l'heure actuelle, de plus en plus à l'ordre du jour dans les discussions du Forum. Elle a insisté sur l'importance de la pêche et sur la nécessité d'élargir l'analyse à l'échelle mondiale, de comparer la réalité d’installations off shore dans d'autres pays et de la relier au débat contemporain sur le climat et ses conséquences sociales.

30Par ailleurs, le mouvement social s’inquiète déjà de l’ampleur des travaux faits pour l’éolien on shore (terrassements, usages d’explosifs).

Les pêcheurs du littoral septentrional

31Les différents entretiens ont mis en évidence la nécessité d'écouter les professionnels de la pêche. En effet, les impacts majeurs attendus des parcs éoliens off-shore, qu'ils soient sociaux ou environnementaux, sont liés aux restrictions d'usage de la mer.

32Dans cette perspective, nous avons mené une activité de terrain de deux jours dans la communauté de Diogo Lopes, une plage réputée comme destination pour l’écotourisme dans la municipalité de Macau, dans l'État du Rio Grande do Norte.

33Le premier contact a été établi avec un pêcheur connu dans la communauté, l'un des leaders des actions collectives. Ce pêcheur est également un technicien de la pêche et possède diverses connaissances pratiques et instrumentales sur la côte, la mer, la géomorphologie côtière et les pratiques de navigation. À partir de ce contact, un petit groupe de quatre pêcheurs a été formé pour participer à un échange

34Parmi les principales questions soulevées par le groupe, on peut citer

• le fait que la pêche pratiquée est totalement artisanale et qu'elle nécessite donc une plus grande protection sociale

• l'importance de la pêche pour le revenu des familles, les pêcheurs estimant qu'elle représente 95 % de la subsistance de tous les foyers de la communauté

• la préoccupation concernant la circulation maritime en raison de l'installation éventuelle de parcs éoliens off shore.

• le manque de dialogue entre les investisseurs du secteur éolien et les communautés de pêcheurs.

35Les pêcheurs soulignent que leur pêche est appelée pêche "volante" (pesca ao voador), c'est-à-dire une pêche en mouvement, qui suit la dynamique des bancs. Les bateaux s’éloignent au large à une centaine de kilomètres des côtes et se laissent dériver en suivant les bancs de poissons. Cette dynamique peut être fortement altérée par l'installation de grandes structures en mer. Or, d’après les calculs réalisés par la communauté, la valeur des prises de pêche est équivalente aux payées par Petrobras dans le Rio Grande do Norte. De surcroît, alors que les royalties sont versées au budget de l’état, les bénéfices économiques de la pêche alimentent des circuits économiques locaux qui irriguent toutes les communautés. Ils permettent le maintien de nombreuses petites activités commerciales et d’une qualité de vie satisfaisante dans les communautés littorales.

36La communauté gère également une réserve de développement durable, la RDS Tubarão. La RDS a été créée suite à des projets d’investissements touristiques sur le littoral. La communauté s’est mobilisée pour créer un dispositif de protection et de gestion durable et les investissements n’ont pas eu lieu. La RDS est à la fois un instrument de protection de la biodiversité, de développement touristique, avec des programmes de visites organisées et un moyen de défendre le territoire.

37Parmi les principales préoccupations soulevées par les gestionnaires de la RDS, face à l'installation possible de parcs off shore, on trouve les droits de circulation dans l'espace, la qualité de vie de la population, le droit d'accès à la mer, l'économie locale modifiée par la pêche et, surtout, la perte de pouvoir des populations traditionnelles sur leur territoire, qui pour ces communautés comprend aussi un vaste espace maritime.

Considérations finales

38Au cœur de cette semaine d'activité sur le terrain, la nécessité de développer plusieurs projets de recherche pour comprendre la réalité analysée est devenue évidente, en raison des multiples problèmes soulevés dans les interactions avec les acteurs locaux.

39L’État du RN est une des régions historiques d’implantation de Petrobras, qui vient d’annoncer la reprise des activités dans le domaine des énergies renouvelables. Lula a nommé le 26 janvier 2023 à la présidence de Petrobras le sénateur du Rio Grande do Norte Jean-Paul Prates, qui avait beaucoup milité pour le développement de l’éolien. Petrobras signe début mars 2023 un accord avec Equinor pour étudier la faisabilité de neuf parcs éoliens off shore qui est une priorité stratégique.

40Cette mission a permis d’identifier plusieurs thématiques :

41Les usages de l’Océan et leur planification par rapport à la diversification et à la concurrence des usages. Elle met en jeu les différents services de l’Etat fédéral, puisque l’Océan est de son ressort, la Marine Nationale, les communautés littorales, les entreprises qui exploitent déjà les ressources de l’Océan ou projettent de le faire.

42Une analyse de la pêche artisanale pour rendre compte d’une activité mal connue mais essentielle pour les communautés du littoral, qui s’appuie sur des connaissances précises de l’Océan, est à l’origine de revenus économiques importants même s’ils ne sont pas toujours visibles, contribue aux équilibres alimentaires et peut être mobilisée dans des formes de gestion durable de l’Océan et de ses ressources.

43Un sujet sur les énergies renouvelables et la connexion terre-mer : acteurs, formes d’occupation du territoire, dynamiques, dans un domaine où les dispositifs techniques et juridiques sont encore à préciser pour prendre en compte cette activité.

44L’éolien off shore est encore une perspective lointaine. Pour le moment, il n’y a pas de demande pour justifier de telles installations alors que l’éolien terrestre est encore en plein développement. D’autre part, il y a toute une série de questions techniques et règlementaires qui ne sont pas tranchées. Le décret de 2022 sur l’installation de parcs éoliens off shore a fait bouger les entreprises qui ont commencé à réclamer des périmètres, sans attendre la formule d’appels d’offres qui est prévue dans le décret. Il y a une certaine effervescence autour de la question, mais les réalisations ne sont pas pour tout de suite. Enfin, plusieurs questions sur la géographie et l’aménagement de ces espaces s’imposent : un océan de possibilités à être analyser par la science géographique contemporaine.