- 1 Le concept de pêcheur artisanal, dans la législation brésilienne, est prévu à l’art. 8 de la Loi n. (...)
- 2 La baie de Campo possède actuellement 55 champs de pétrole, et 826 puits exploratoires. Ces puits d (...)
1Cet article analyse une circonstance de base pour la survie humaine, qui est l’accès auxconditions nécessaires pour la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (San), ce qui signifie avoir une alimentation adéquate en termes de qualité et quantité suffisante, de façon ininterrompue sans compromettre les autres nécessités essentielles. Cette recherche étudie un groupe social spécifique, les pêcheurs artisanaux1 qui habitent sur le littoral de la Baie de Campos (BC2), située au nord de l’État de Rio de Janeiro au Brésil. C’est une région marquée par la pêche artisanale qui, du point de vue historique, est pratiquée par une grande partie de la population et qui est responsable du maintien de l’occupation professionnelle de plus de 10000 familles de pêcheurs.
2Dans ce contexte, au milieu de l’année 2014, un projet d’intervention sociale a été mis en place, conduit par des chercheurs de l’Université de l’État du Nord Fluminense Darcy Ribeiro (Uenf), qui se situe à Campos dos Goytacazes, principale municipalité de la région nord de l’État de Rio de Janeiro, en partenariat avec l’entreprise Petrobras. La portée de cette recherche et la capacité d’intervention comprennent sept municipalités : Arraial do Cabo, Cabo Frio, Macaé, Quissamã, Campos dos Goytacazes, São João da Barra et São Francisco do Itabapoana, tous affectés (directement et indirectement) par les activités du complexe productif de pétrole et de gaz.
- 3 Le Pea Pescarte est un projet d’atténuation environnementale formulé à partir des conditionnants de (...)
- 4 Petrobras est une entreprise d’État brésilienne fondée an 1953 pour l’exploration et la production (...)
3Les données présentées dans cet article résultent des travaux de terrain réalisé par le Projet d’Éducation Environnemental (Projeto de Educação Ambiental) (Pea) Pescarte3, pendant 24 mois, em 2014 et 2016. Le projet est l’une des conditions de la licence environnementale attribuée à la Petrobras4, avec l’accompagnement de l’Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables (Ibama), rattaché au ministère de l’Environnement Brésilien.
4Les données ont été collectées par le biais de questionnaires appliqués dans le cadre du Recensement Pea-Pescarte, réalisé auprès des pêcheurs artisanaux et de leurs familles, organisé en 10 blocs thématiques, à savoir : (1) identification socio-économique et démographiques ; (2) caractérisation familiale, (3) évaluation de services publics (habitation, énergie, eau, égout) ; (4) évaluation des services et équipements publics (santé, éducation, assistance sociale, culture, communication) ; (5) travail et trajectoire professionnelle ; (6) caractérisation de l’activité de la Pêche ; (7) capital social et liens faibles ; (8) Genre ; (9) caractérisation de l’éducation environnementale dans la Baie de Campos ; (10) enquête alimentaire pour les pêcheurs artisanaux. Pour le développement de cet article, nous avons analysé les résultats des entretiens affectés au bloc 10. En termes opérationnels, la recherche sur la San a eu comme base le Diagnostic Participatif (2014) et l’application des questionnaires effectués auprès des pêcheurs artisanaux. L’accès à l’alimentation est mesuré par le recensement Pea-Pescarte dans 7 municipalités, en ayant comme base la méthodologie de l’Échelle Brésilienne d’Insécurité alimentaire (Ebia). Cette échelle a été adoptée par l’Institut Brésilien de Statistique et de Géographie (IBGE) sur tout le territoire brésilien. Le but était d’identifier les conditions d’accès à l’alimentation de ce groupe social.
5L’activité de la pêche et pétrolière possèdent des relations inégales du point de vue économique, sur un même territoire, comme cela est traité par Dirty et Rezende (2013). Sans minimiser son importance ni ses effets sur les contextes socio-économiques, ce travail n’a pas vocation à réaliser une analyse de l’activité et des impacts de l’activité pétrolière. Il centre plutôt ses efforts sur la situation de faim et d’insécurité alimentaire (Insan) provenant des conditions de vie de ces travailleurs de la pêche vulnérables socio économiquement. Aussi, cet article met l’accent sur les conditions de la San de familles productrices d’aliments. Nous partons ainsi de la constatation d’un paradoxe, qui est mis en évidence dans l’accès limité de ces familles à une alimentation de qualité et en quantité suffisante de façon continue. L’accès aux aliments, par le biais de la disponibilité journalière et du revenu familial pour l’acquisition d’aliments est un présupposé essentiel de la San.
- 5 Voir l’article 3º de la Loi Fédérale nº 11.346 de 2006, qui créé la loi et le Système National de S (...)
6En termes formels, la politique de San fut créée par la Loi Organique de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (Losan) en 2006, qui la définit comme « un droit à l’accès régulier et permanent à des aliments de qualité, en quantité suffisante, sans compromettre l’accès à d’autres nécessités essentielles »5. Ces définitions légales suivent les lignes directrices établies durant le premier gouvernement du président Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2006), en ce qui concerne les politiques publiques, dont la San, qui s’est établie en tant qu’objectif public fondamental pour le développement du Brésil (Maluf, 2007). C’est à partir de la perspective opposée à celle de la San, (l’insécurité alimentaire), que nous cherchons analyser le profil de l’accès des aliments des pêcheurs artisanaux de la BC.
7L’Ebia fut appliquée de façon censitaire pour la première fois au Brésil en 2014. Sa création est née de la nécessité de vérifier les conditions d’accès à l’alimentation de la population brésilienne, en ayant comme référence d’autres initiatives méthodologiques avec des objectifs convergents en termes de problématiques tournant autour de l’alimentation et de la faim. Dans ce contexte, au niveau international, les recherche sur la San pointent que les indicateurs classiques, comme le revenu par foyer et autres indicateurs indirects, comme les mesures anthropométriques ou la disponibilité de nutriments, se sont montrées insuffisantes pour démarquer la situation d’Insan (Campbell, 1991 ; Fao, 2017). Il s’agissait d’indicateurs capables d’identifier les niveaux de vulnérabilité des populations d’une région ou d’un pays donné. Cependant, ils ne captaient pas la perception des individus quant à l’Insan au domicile. Ne serait-ce que parce que la perception dépend de la mémoire et des attentes, ce qui imposait des limites aux méthodes utilisées jusqu’alors pour mesurer la faim ou l’accès aux aliments.
8Le premier modèle d’une échelle de l’Insan, qui se basait sur la perception des personnes, prenait en compte un ensemble de questions sociales et biologiques, qui ont été testées et observées dans des groupes spécifiques d’individus. Cette méthodologie a initialement été développée dans les années 1980 par l’Université de Cornell, connue comme « Indicateur Cornell » (Brasil, 2014). Dans ce modèle, des paramètres qualitatifs ont été utilisés pour analyser l’Insan auprès de femmes considérées comme pauvres (Campbell, 1991; Radimer, et. alii, 1992). À l’époque, l’étude qualitative a permis l’élaboration d’une échelle quantitative à partir de 10 questions, qui abordaient aussi bien des problèmes relatifs à la quantité de calories disponibles qu’en ce qui concerne la préoccupation de l’individu par rapport à l’insuffisance future d’aliments pour soi et sa famille (Campbell, 1991; Lorenzana et Sanjur, 1999). Cette échelle analysait l’occurrence de privations d’aliments, les autres dépenses familiales essentielles compromises, et la présence de la peur de privations alimentaires futures et immédiates (Frongillo, Jr, 1996; Ballard; Kepple et Cafiero, 2013).
9Dans les années 1990, des chercheurs du Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) ont développé une autre échelle et l’ont appliqué au niveau national. L’échelle fut appliquée sous la forme d’une enquête composée de 15 questions (Radimer, et. alii, 1992). Les résultats correspondent à la somme d’un système de points attribué à chaque question, dont les réponses apprécient la perception des personnes en ce qui concerne des problèmes en lien avec la diversité et la quantité d’aliments disponibles. Les résultats indiquaient tantôt la présence de la faim, tantôt une préoccupation des individus d’être confronté à la possibilité de ne pas disposer d’aliments (Brasil, 2014).
10Dans la recherche de Radimer, et. alii, (1992), les auteurs cherchent à construire des indicateurs capables de mesurer la faim de femmes de la région nord de l’État de New York. Le tableau 1 illustre les composants et les niveaux perçus de la faim, que ce soit au niveau individuel ou familial. Cette étude a pris en compte la faim perçue individuellement, mais aussi au niveau familial, et notamment en ce qui concerne les foyers avec des enfants.
Niveaux et composant du concept de faim.
Source : Radimer, et alii, (1992 : p. 38S)
11Pour cette méthode, sont considérées en situation d’Insan les personnes sans accès régulier aux aliments par manque de ressources, bien qu’ils ne présentent pas, du point de vue clinique, d’indices de dénutrition. Les analyses qualitatives en profondeur sont principalement adoptées car elles sont capables d’indiquer des situations où, même sans avoir faim, certaines personnes peuvent sentir une peur justifiable de privations futures d’aliments. Ainsi, cette méthode apporte le composant psychologique dans son analyse, pour compléter les dimensions socio-économiques que la faim représente (Radimer; Olson et Campbell, 1990; Radimer, et. alli, 1992; Machado, 2010 et 2016; Ballard; Kepple; Cafiero, 2013). Ainsi, ce fut sur la base de ces études et arguments que l’on a cherché à donner le format des critères sur lesquels s’est basée l’Ebia au Brésil, après une ample discussion académique et de rigoureuses études de validation menées entre 2003 et 2004 (Segall-Corrêa et Marin-Leon, 2009). Elle fut adoptée au Brésil car elle présente une démarche capable d’extraire les dimensions psychologiques qui indiquent l’Insan. Ainsi, il convient de souligner que le facteur « subjectif » de l’Insan, impose des limites à la réalisation de comparaisons et n’englobe pas d’informations relatives à la sécurité des aliments en termes de qualité sanitaire et nutritionnelle (Pnad, 2013; Campos; Machado; Timóteo et Mesquita, 2016).
12En 2014, l’IBGE a réalisé la première application de l’Ebia sur tout le territoire brésilien, en tant que supplément de la Pnad (Pesquisa Nacional por Amostra de Domicílios) – « Recherche Nationale par Échantillon de Domiciles », avec 14 questions. Cette échelle contient une mesure de gradation par rapport à la sécurité d’une personne par rapport à sa capacité d’obtenir et de consommer des aliments sur les trois derniers mois. La quantité de réponses « oui » entre comme un facteur prédictif d’une mesure qui va de la Sécurité alimentaire jusqu’à l’Insan grave. Le tableau 2, conjointement au tableau 3, dépeignent les questions utilisées dans les enquêtes menées auprès des familles, ainsi que les paramètres d’évaluation. Dans l’ensemble des questions, deux groupes de domiciles sont pris en considération : ceux qui ont des mineurs (moins de 18 ans), c’est-à-dire des enfants et des adolescents qui résident dans le domicile et ceux qui ne sont composés que d’adultes.
Tableau 2 : Questionnaire de l’Échelle Brésilienne d’Insécurité Alimentaire
Réponses Oui (1) et Non (0)
https://biblioteca.ibge.gov.br/visualizacao/livros/liv91984.pdf. Consulté en juin 2020Le score pour la classification = la somme des réponses positives (de 0 à 14)
Tableau 3 : Points de coupure (corte) pour la classification des domiciles.
Source : IBGE, 2014, p. 29. Disponible sur : https://biblioteca.ibge.gov.br/visualizacao/livros/liv91984.pdf. Consulté en juillet 2020.
13Les analyses des résultats de l'application Ebia font suite à deux paramètres établis au tableau 3. Parmi les 14 questions du questionnaire, huit visent les logements occupés pour adultes (de plus de 18 ans). Les six autres questions visent les foyers qui comptent des mineurs de 18 ans. À chaque question de l’échelle, par rapport à la période de 90 jours qui précèdent l’enquête, les alternatives données sont « oui » ou « non ». Aussi, la présence et la quantité de réponses « oui » permet d’évaluer et de mesurer les conditions de faibles ou d’accès nul à l’alimentation au sein de la population enquêtée, et jusqu’à quel point elles peuvent toucher les enfants et les adolescents.
14Pour l’analyse des résultats de l’application Ebia, les domiciles ont été classés en fonction de leur condition de San décrites dans les catégories établies dans le tableau 3. Avec cette méthode, il est possible d’identifier, dans un espace géographique donné, la concentration de familles dans des conditions de privation sévère d’aliments en fonction de la perception, comme c’est le cas pointé pour les questions 7 et 13 décrites dans le tableau 2. Dans cette méthode, les conditions d’accès aux aliments se font à partir de l’auto-jugement et sont actionnés par la mémoire.
15Les domiciles considérés comme étant en condition de San sont ceux dans lesquels les habitants ont eu accès à des aliments en quantité et en qualité adéquates et qui n’ont pas ressenti l’imminence de souffrir quelconque restriction dans un futur proche. Les domiciles avec une Insan légère sont ceux dans lesquels il a été détecté une certaine préoccupation en termes de quantité et de variété des aliments disponibles. Dans les domiciles avec une Isan modérée, les habitants ont eu à faire face à une restriction quantitative d’aliments. Enfin, les domiciles avec une Isan grave sont ceux qui se trouvent en situation de privation sévère d’aliments pour adultes, jeunes et enfants, pouvant atteindre son expression la plus grave, la faim (Ibge/Pnad, 2013).
16Les questions de l’Ebia partent en général de la constatation du fait que la situation de l’Insan est provoquée par un stimulus négatif, comme la perte d’emploi et de travail, diminuant ainsi le revenu familial. Ces facteurs ont généré une préoccupation continue par rapport à la réduction de la qualité de la diète et la réduction de la consommation calorique, premièrement pour les adultes, et ensuite pour les jeunes et les enfants (Pérez-Escamilla, 2005). Le supplément de sécurité alimentaire de la Pnad fut reproduit en 2004, 2009, 2013 et 2018. Pour cet article, nous nous en tiendrons aux données de la Pnad de 2013, qui constitue la base de référence comparative pour les Recensement Pea-Pescarte finalisés en 2016.
17La Pnad de 2013 a présenté un cadre détaillé sur les conditions de l’Isan au Brésil par régions, synthétisé dans les sections qui suivent. Dans le cadre du Recensement Pea-Pescarte des méthodologies et analyses analogues à celles de l’Ebia ont été utilisées, avec toute l’attention portée à un groupe spécifique de pêcheurs artisanaux et comparés avec les résultats de la Pnad de 2013. Les résultats affectés aux pêcheurs composent le « Bloc Enquête Alimentaire pour les pêcheurs », orienté spécifiquement sur des questions d’accès à l’alimentation.
18Selon les résultats de la Pnad 2013, il y avait 65,3 millions de domiciles particuliers au Brésil (77 % des domiciles brésiliens), en situation de sécurité alimentaire. Ces données correspondent à 149,4 millions de personnes (74 % de la population du pays). Cependant, 9,6 millions de domiciles ont été classés comme souffrant d’une Insan légère, habités par 34,5 millions de personnes, ce qui représente 15 % de la population. En termes de situation d’Insan modérée, 3 millions de domiciles ont été comptés, soit 10,3 millions de personnes et 5 % de la population. Enfin, l’Insan grave concernait 2,1 millions de domiciles, c’est-à-dire 7,2 millions de personnes, ce qui représente 3 % des Brésiliens.
19Le croisement de données montre plusieurs schémas d’Insan en termes démographiques, géographiques, de revenus, de genre et d’ethnie. Les principaux résultats mettent en évidence :
20Une prévalence d’Insan dans les aires rurales, par rapport aux aires urbaines. En 2013, dans la zone rurale, la proportion totale de domiciles souffrant d’Isan fut de 35 %, dont 14 % modérée et grave, tandis que 20 % des domiciles de l’aire urbaine étaient en situation d’Insan et 7 % modérée et grave. Il existe des différences régionales expressives en ce qui concerne l’Insan. Les régions Nord et Nordeste du Brésil ont présenté les plus grandes proportions de domiciles avec Insan, respectivement 36 % et 38 %, étant significativement inférieur dans le Sudeste (14%), dans la région Sud (15%) et dans le Centre-Ouest (18%).
21Il a été vérifié que la situation de 79 % des domiciles brésiliens avec de l’Insan modérée et grave était associée à la classe socio-économique avec un revenu per capita égal ou inférieur à un salaire minimum.
22Une plus grande prévalence d’Isan modérée ou grave a été identifiée dans les domiciles mononucléaires dont la référence était de femmes avec au moins un habitant de moins de 18 ans (11 %).
23De la même façon, les domiciles dont la personne de référence était noire (de couleur ou de race déclarée noire ou métisse) ont enregistré des prévalences de l’Insan plus importantes. Sur un total de 93,2 millions d’habitants blancs, 17 % étaient confrontés à de l’Insan légère, indice qui monte à 33 %, pour les 106,6 millions d’habitants noirs.
24La comparaison des recherches sur l’Isan entre les années d’application de la Pnad (2009 et 2013) démontre une amélioration substantielle dans le pays, justifié par la création de politiques publiques de promotion de la San et de combat contre la faim (Delgado et Zimmermann, 2022). Cette réduction s’est exprimée dans la diminution de l’Isan grave, conformément cela est présenté dans le graphique 1, qui présente un portrait régionalisé par rapport aux niveaux de sécurité alimentaire et d’Insan des années 2009 et 2013.
Graphique 1: Situation de Sécurité Alimentaire des Domiciles Particuliers, par Grandes Régions (2009/2013).
Source : Ibge/Pnad, 2013.
25Dans les sections suivantes, nous présentons les résultats relatifs à l’application de la méthodologie de l’Ebia, appliquée auprès des localités de pêcheurs couvertes par le Recensement Pea-Pescarte dans les années de 2014/2016.
- 6 Les plateformes d’extraction de pétrole peuvent se trouver sur le continent, sur la terre ferme, ap (...)
26L’aire géographique connue sous le nom de Baie de Campos (BC) est le théâtre de grands investissements, publics et privés, dans le secteur du pétrole et du gaz au Brésil, ce qui correspond à plus de la moitié de toute la production offshore6 du pays. La baie de Campos possède 55 champs de pétrole, avec 826 forages exploratoires. Insérés dans cet espace, les municipalités ont acquis une importance économique sous l’impulsion de ladite « chance géographique » (Serra et Patrão, 2003). C’est une expression destinée aux municipalités réceptrices des ressources des royalties et de participations spéciales en fonction de l’activité pétrolifère dans la Baie de Campos. Ces municipalités ont augmenté leur capacité budgétaire, formant ainsi une région riche du point de vue financier (Vianna da Cruz et Azevedo Neto, 2016). Ce fait, per se, ne signifie pas une distribution égale de cette richesse dans l’ensemble de la population (Piquet; Lumbreras et Castro, 2020), comme c’est le cas du groupe social des pêcheurs artisanaux.
27La carte économique met en évidence un espace géographique dont le leader est la Petrobras, en qualité de principal player du marché du gaz et de pétrole dans la BC. Cependant, elle partage cet espace avec d’autres entreprises privées géantes du secteur pétrolifère : PetroRIo (ancienne HTR Participações), OGPar Óleo etGás Participações, Chevron Corporation Brasil, Shell Brasil, OGX, et Statoil. Elles sont toutes de capitaux étrangers, hormis les deux premiers consortiums qui sont de capital national. C’est dans ce contexte complexe et de haute compétitivité que ces grandes corporations vivent aux côtés des communautés de pêcheurs. Les entreprises pétrolières opèrent de grandes plateformes offshores, à environ 100 kilomètres des côtes, mais ont des impacts directs et indirects sur l’activité de la pêche. Les communautés de pêcheurs artisanaux sont le « public-cible » d’une série de projets de mitigation et de compensation environnementale, exigés par l’Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables (IBAMA) et coordonnés par ces entreprises (Campos, Timóteo et Silva, 2015).
28Le découpage spatial de cette recherche fait référence aux municipalités sélectionnés sur la base de l’importance relative que l’activité de la pêche exerce sur l’embauche de main d’œuvre locale et parce qu’ils sont les plus touchés par les investissements développés par les entreprises pétrolières, selon le Plan de Caractérisation Régional de la Baie de Campos (PCR-BC)7. Le contexte dans lequel cette étude s’insère est composé d’initiatives productives et d’organisation sociale (Campos, Timóteo et Arruda, 2018). Nonobstant, les pêcheurs artisanaux présentent plusieurs conditions de restrictions alimentaires et manières de garantir la San par rapport à l’accès aux aliments, aussi bien qualité et variété nutritionnelle, qu’en quantité suffisante, en dépit, paradoxalement, du fait qu’ils produisent des aliments. Il s’agit de se baser sur un traitement similaire à celui de l’étude sur la santé des pêcheurs sous la perspective de la San par Campos Machado, Timóteo et Mesquita (2016). Ces auteurs cherchaient à comprendre comment les activités présentes ont permis aux pêcheurs artisanaux de développer des investissements qui ont généré des emplois et des revenus, et comment elles ont des impacts sur la transformation sociale et sur la San, dans un contexte marqué par la pauvreté et l’exploitation de pétrole. La Figure 1 présente la localisation des sept municipalités pris en compte par le Recensement Pea-Pescarte.
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
- 8 Sont considérées comme étant des communautés, les espaces où l’on trouve au minimum 33 familles et (...)
- 9 Sont considérées comme localités les espaces où l’on trouve au moins trois familles de pêcheurs.
29Dans cette région de Rio de Janeiro, significative en extension et en termes démographiques, nous avons cherché à mesurer, à l’échelle de la communauté, la quantité de pêcheurs disposant d’un accès à l’alimentation par le biais de l’application de l’Ebia dans leurs domiciles. Les pêcheurs artisanaux recensés se situent dans sept municipalités prises en compte dans le Projet PEA-Pescarte, avec les chiffres suivants : 38 Communautés8 ; 247 localités9 ; 3478 Familles avec 10082 personnes ; et; 4234 personnes dans la pêche artisanale.
30Le recueil de données sur le territoire a été effectué pendant la période comprise entre les mois de novembre 2014 à janvier 2016. L’amplitude de la recherche va au-delà des questions de l’Ebia et englobe 10 blocs thématiques (santé, logement, éducation, etc.). Sur le terrain, l’équipe a bénéficié de la participation de 81 personnes, dont des chercheurs, des techniciens de terrain et des analystes/évaluateurs des méthodes et des résultats de l’ensemble des données et de leur collecte.
31En général, la recherche de terrain a permis de percevoir la routine ardue, où les difficultés et imprévisibilités présentes dans le développement de l’activité de la pêche sautent aux yeux, tout comme les comme incertitudes provoquées par la diminution du poisson et par l’augmentation de l’effort pour maintenir le revenu minimum de la famille. Il s’agit d’un univers complexe et pluriel. C’est un contexte inégalitaire, avec des classifications internes au sein du groupe social lui-même (de pêcheurs artisanaux), qui révèlent des positions sociales distinctes. Sur cet aspect, un élément est fortement ressorti : l’insuffisance du revenu tiré de la pêche. En d’autres termes, selon les récits des chercheurs, vivre exclusivement de la pêche est quelque chose d’extrêmement difficile. Cette question apparaît comme étant l’une des raisons poussant la famille de pêcheurs à ne pas vouloir que leurs enfants aient la même profession.
32L’un des pêcheurs qui a fait l’objet de l’investigation affirme qu’il est fils de pêcheur, mais ne prétend pas continuer dans la profession, étant donné les actuelles difficultés auxquelles son père a été confronté. Un autre facteur significatif est la valeur du poisson et sa constante dévalorisation par rapport aux autres acteurs de la chaîne productive de la pêche : « à chaque fois que mon père rentre, il finit par être plus pauvre que quand il est parti. Il part avec le poisson à un certain prix et il revient et le vend pour la moitié du prix » (Pêcheur de la communauté Farol de São Tomé, à Campo dos Goytacazes/RJ, en mars 2015).
33Ainsi, quand ils sont interrogés sur la possibilité de survivre exclusivement du revenu de la pêche, la majeure partie affirme que c’est impossible. Le récit d’un pêcheur met en exergue le discrédit de l’activité de la pêche, qu’elle soit fluviale ou maritime, comme garantie de subsistance des familles et pour n’importe quelle éventualité :
[...] c’est une vie très triste, il faut y aller malade, sous la pluie […] je sais que ce fut un choix, mais ce fut un choix fait par manque d’opportunité. Je ne vois pas de bénéfice […] pour qui est déjà dedans ; maintenant pour qui n’y est pas, je veux que des choses nouvelles viennent » (Pêcheur de la communauté de Gargaú, à São Francisco do Itabapoana/RJ, en février de 2015).
34Un autre pêcheur affirme que « le revenu de la pêche varie beaucoup et cette incertitude est un aspect très négatif ». Dit autrement, l’incertitude du revenu se reflète dans la capacité d’approvisionnement des pêcheurs et de leurs familles. Un autre pêcheur raconte qu’il exerçait également des activités en tant qu’auxiliaire de construction et de charpenterie pour compléter ses revenus, en raison de l’inconsistance et de l’insuffisance des revenus provenant de la pêche, constituant un cas typique du phénomène de la pluriactivité (Clauzet, Ramires et Barrella, 2005; Sacco Dos Anjos, Niederle et Caldas, 2004).
35Une autre difficulté mise en avant fut le manque de confiance, de la part des pêcheurs artisanaux, que ce soit entre eux ou au sein de projets présentés par les compagnies actives en termes d’exploitation de pétrole et de gaz dans la région, comme des mesures de compensation de dommages environnementaux. L’incrédulité et le manque de confiance apparaissent comme des défis pour l’organisation sociale basée sur des actions conjointes des pêcheurs. Un pêcheur exprime bien cette question :
Organiser des gens, aider, cumuler les efforts, c’est peut-être la chose la plus difficile. Pour remplir un local de machines, il faut juste avoir de l’argent. Mais faire en sorte que ça marche, faire en sorte que les personnes travaillent ensemble, c’est ça le défi » (Pêcheur de la communauté de Tamóios, à Macaé/RJ, en mars 2015).
36Aussi, générer de la confiance sociale implique d’élargir les conditions de création d’emplois et de revenus, ce qui est un élément central à l’heure où l’on parle d’amplifier l’accès aux questions de base, aux aliments en quantité et qualité de manière continue.
37Dans l’analyse, seuls les questionnaires des familles qui ont répondu à toutes les questions du bloc ont été pris en compte, c’est-à-dire 3278 familles du total des 3478 familles interrogées dans le Recensement Pea-Descartes. Il faut cependant noter que le retrait de 200 questionnaires de la base de données signifie une marge d’erreur inférieure à 1 %.
- 10 Le Bolsa Família fut créé par la loi national n. 10.836, du 9 janvier 2004. Il s’agit d’un programm (...)
Le tableau 4 présente la comparaison des réponses obtenues. Les indicateurs pointent l’Insan dans les domiciles où il y a des jeunes et des enfants (en dessous de 18 ans), en sachant qu’il s’agit d’une situation moins grave que dans les domiciles où habitent seulement des adultes. En dépit du fait qu’il n’a pas été possible d’approfondir les motifs de cette différence, il a été possible de percevoir la superposition des familles pauvres avec des mineurs avec celles qui ont accès à des programmes de protection sociale à l’époque. Pour cette recherche, les données du cadastre social du gouvernement national pour les familles à bas revenus de la région ont été prises en compte. Les programmes sociaux, à l’instar du Bolsa Família10 et de l’alimentation scolaire étaient les plus présents et donnent la priorité à la garantie de l’accès aux aliments aux moins de 18 ans. Ci-dessous, le tableau 4 présente les résultats de l’Ebia, répliqués par le Recensement Pea-Pescarte, et appliqués auprès des pêcheurs.
Tableau 4. Questions comparées PEA-Pescarte par blocs, fréquence et pourcentage des résultats – 2017
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
38Les résultats agrégés par municipalité mettent en évidence que, sur l’ensemble des municipalités, il y a des différences significatives d’Insan. Celles-ci se manifestent en affichant une correspondance avec les différentes réalités économiques et sociales, comme nous pouvons l’observer dans les tableaux 1 et 2. Les données provenant du Recensement Pea-Pescarte sautent aux yeux en ce qui concerne les résultats de la municipalité de Campos dos Goytacazes. Ils présentent les indicateurs les plus préoccupants de l’Insan à tous les niveaux – léger, modéré et grave, mettant ainsi en exergue les contradictions de la municipalité. Son pouvoir économique a été octroyé par la « chance géographique » et qui est l’une de celles qui reçoit le plus de ressources provenant des royalties et participations spéciales, mais également porteuse des budgets publics parmi les plus expressifs au Brésil (Serra et Patrão, 2003).
Tableau 5. Insan dans les domiciles de pêcheurs (18 ans ou plus) par Municipalité du Nord Fluminense.
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
Tableau 6. Insan dans les domiciles de pêcheurs (avec des moins de 18 ans) par Municipalité du Nord Fluminense.
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
39Les résultats agrégés indiquent que seulement 45,7 % des domiciles de pêcheurs se trouvent en situation de sécurité alimentaire. On note 40,4 % des domiciles en situation d’Insan légère ; 11,4 % en Isan modérée, et 2,5 % en Isan grave parmi les domiciles de pêcheurs du Nord de l’ëtat de Rio de Janeiro, comme on l’observe dans le graphique 2.
Graphique 2. Insécurité Alimentaire au sein des pêcheurs du Nord de l’État de Rio de Janeiro
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
40En termes du type de pêche pratiqué, le graphique 3 indique qu’il n’existe pas de différence significative entre des situations de l’Isan qui impliquent des domiciles de pêcheurs dédiés à la pêche maritime, continentale ou mixte.
Graphique 3. Insan total et par contexte de pêche dans les municipalités où se développent les activités des pêcheurs du Nord Fluminense.
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
41Ces niveaux d’Insan sont assez élevés, si l’on prend comme référence les standards nationaux qui se basent sur la Pnad-2013, comme on peut le voir dans le tableau 5.
Tableau 7 : Comparaison de l’Enquête PEA-Pescarte et de la PNAD 2013- domiciles avec des moins de 18 ans (en %).
Source: IBGE, Diretoria de Pesquisas, Coordenação de Trabalho e Rendimento, Pesquisa Nacional por Amostra de Domicílios, 2013 / Censo PEA-Pescarte 2015.
*Données de 2013 (PNAD, 2013).
42En comparant les moyennes nationales, régionales et pour l’État de Rio de Janeiro, les données de la PNAD-2013 établissent des standards de sécurité alimentaire à des niveaux bien au-delà de ceux que l’on trouve dans le Recensement Pea-Pescarte. Seules deux municipalités sur les sept, São Francisco do Itabapoama et Quissamã, ont dépassé les indices de sécurité alimentaire du nordeste brésilien, région qui présente au niveau national les indices les plus faibles en termes de développement humain. La désagrégation des données de la recherche par municipalités, présentée dans le graphique 4, indique l’existence de différents standards de sécurité alimentaire au sein des municipalités, avec une mise en exergue négative en ce qui concerne les municipalités de Campos dos Goytacazes, Cabo Frio et São João da Barra.
Graphique 4 : Insécurité Alimentaire totale et par municipalités où agissent les pêcheurs du Nord Fluminense
Source : Recensement Pea-Pescarte, 2015.
43Les indices d’Insan des communautés de pêcheurs de Campos dos Goytacazes sont élevés dans toutes les catégories, et supérieures aux autres municipalités. Les indices de l’Insan modérée de cette municipalité (19,6%) sont plus que le double de ce que l’on trouve dans le Nordeste brésilien (9,1%), tandis que l’indice d’Insan grave (6,2 %) est supérieur à celui du Nordeste (5,6%). Ces résultats n’ont pas été catégorisés par municipalité de pêcheurs artisanaux, ce qui pourrait pointer des situations réelles capable d’expliciter un peu plus les niveaux alarmants des indicateurs de la recherche. Certains récits collectés et observations des chercheurs en travail de terrain, corroborent la présence de situations d’extrême pauvreté dans les communautés de pêcheurs artisanaux, et tout particulièrement en ce qui concerne la communauté du « Terminal Pêcheur ».
44Dans ce travail l’Échelle Brésilienne d’Insécurité Alimentaire (Ebia) a été utilisée. Ses indicateurs reflètent les sentiments et impacts physiques et psychologiques provenant de la situation d’Insécurité Alimentaire (Insan) des interviewés. Les questions de l’Ebia, en abordant le problème de la faim directe et simple, touchent à l’essence de la question humaine : « si la nourriture aujourd’hui, demain et après-demain ». Ces questions, quand elles sont répondues par l’affirmative, dépeigne les angoisses humaines par la précarité d’une nécessité biologique. Ne pas y remédier est anti-éthique, immoral et mortel.
45Les données relatives à l’Ebia des pêcheurs artisanaux de 7 municipalités de l’État de Rio de Janeiro confirment la situation de restriction alimentaire avec laquelle ces pêcheurs doivent vivre. Les résultats pointent l’urgence de mesure qui puissent vaincre l’Insan vérifiée auprès des familles en mettant en évidence un pourcentage préoccupant de domiciles avec des individus faméliques, qui ont eu faim sans avoir de conditions financières, ou d’autres moyens, de rassasier leur besoin de manger. Les réponses collectées ont démontré que ces familles souffrent de restrictions alimentaires, aussi bien par la peur que « demain, il pourra manquer d’aliments suffisants dans leurs maisons », causant ainsi des angoisses permanentes.
46La faim de qui produit des aliments est une question contradictoire en deux sens. Premièrement, l’Insan chez les pêcheurs artisanaux de la Baie de Campos, a une incidence sur la vie de producteurs d’aliments à une échelle sociogéographique significative. Cela démontre que le modèle de système alimentaire adopté dans ces sept municipalités a besoin d’une reformulation allant dans le sens de l’inclusion des pêcheurs sur le marché local et régional, et par conséquent, faire croître leurs revenus et l’accès continu à des aliments adéquats en termes culturels et nutritionnels. La seconde contradiction provient du fait que les municipalités soient insérées dans une zone d’exploitation de pétrole et de gaz, reçoivent d’un côté des royalties responsables de la robustesse du budget public municipal, et de l’autre, ne luttent pas de façon effective conte la pauvreté et l’Insan impliquant les propres producteurs d’aliments. Cet état de l’art nous fait réfléchir à l’importance du développement de modèles alimentaires locaux, car une bonne partie de l’Insan des pêcheurs peut être imputée à l’absence de revenu nécessaire à l’acquisition de leurs aliments en quantité suffisante, ou encore, en qualité adéquate (soulignons au passage la plus grande difficulté en ce qui concerne les fruits et les sources de protéine). Enfin, il convient de souligner que l’Ebia s’est présenté comme un instrument important pour signaler l’évolution des systèmes alimentaires et leurs impacts sur la vie de la population. Elle a aussi réaffirmé sa capacité à être répliquée à différentes échelles et groupes, ce qui a possibilité la mise en évidence la situation sociogéographique de l’Insan de pêcheurs artisanaux, qui, en dépit de vivre de la production d’aliments, doivent vivre avec la faim.