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La fabrique des plantes globales. Une géographie de la mondialisation des végétaux d’Amazonie

A fábrica das plantas globais. Uma geografia da globalização das plantas da Amazônia
The making of global plants. A geography of the globalization of crops from the Amazon
Bastien Beaufort
Traduction(s) :
A fábrica das plantas globais: uma geografia da globalização das plantas da Amazônia [pt]

Résumés

Loin d’être une région sous-peuplée, sauvage ou vierge, l’Amazonie apparaît au contraire comme la fabrique des plantes globales. Quels sont les mécanismes de la globalisation des plantes d’Amazonie ? Nous verrons au cours de cet article que la globalisation des végétaux d’Amazonie repose sur un ensemble de processus socio-écologiques à l'œuvre dans le temps et l’espace que nous nommons strates de mondialisation et qui, combinées, forment la globalisation des plantes. Ces strates s’articulent autour de filières marchandes globales, qui sont elles-mêmes alimentées par une logique extractiviste-capitaliste. La compréhension de la fabrique des plantes globales apparaît comme une condition nécessaire pour mettre en œuvre une répartition équitable des richesses issues de la biodiversité, dont les peuples amazoniens et la région n’ont que peu bénéficié.

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Index géographique :

Amazonie

Índice de palavras-chaves:

Amazônia, biodiversidade, globalização, plantas, geografia.
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Texte intégral

1Loin d’être une région sous-peuplée, sauvage ou vierge, l’Amazonie apparaît au contraire comme le centre d’origine de certaines des plantes majeures de l’humanité. Nous appelons ce phénomène la fabrique des plantes globales, par le double sens de lieu de fabrication d’une marchandise mais aussi en référence au processus d'une œuvre en train de se faire. Ainsi cacao, tabac, quinquina, coca, papaye et caoutchouc ; mais aussi piments, arachides, patates douces, salsepareille, ananas et manioc, ainsi que de très nombreuses espèces de courges et de tomates, pour ne prendre que quelques exemples de végétaux emblématiques, sont originaires de la plus grande forêt tropicale de la planète. Pourtant, bien que l’Amazonie ait été et soit encore une grande pourvoyeuse de plantes fondamentales pour la biodiversité, l’alimentation et la médecine mondiale, les régions amazoniennes et ses peuples n’ont que très peu bénéficié de leur globalisation, tant en termes sociaux, qu’en termes économiques et écologiques (Hetch & Cockburn 2010 (1990), Kopenawa & Albert 2010, Roosevelt 2013, Homma 2012 & 1992).

2Afin de mieux comprendre comment des processus de partage des avantages issus de la biodiversité pourraient être mis en place, nous devons tout d’abord répondre à la question suivante, qui fera l’objet de cet article : comment les plantes d’Amazonie deviennent-elles globales ? Quels sont les mécanismes de la globalisation des plantes d’Amazonie ? Autrement dit comment des végétaux, à l’origine produits et consommés sur des échelles locales ou régionales, deviennent des marchandises échangées et parfois financiarisées sur des échelles planétaires ?

  • 1 Nous définissons la fonction extractiviste-capitaliste peut-être définie comme une extraction de re (...)

3Dans un premier temps, nous verrons que l’Amazonie n’a que peu bénéficié de la mercatique et du commerce mondial des richesses issues de ses ressources, notamment végétales, alors même qu’elle peut être considérée comme un centre d’origine majeur de domestication des plantes. Dans un second temps, nous présenterons notre modèle de globalisation des plantes d’Amazonie, que nous appelons la fabrique des plantes globales. Nous montrerons que la mondialisation des végétaux d’Amazonie repose sur un ensemble de processus socio-écologiques à l'œuvre dans le temps et l’espace que nous nommons strates : la diffusion, la colonisation, la massification et la marchandisation. Ces strates sont structurées autour de filières marchandes globales et elles répondent à une fonction extractiviste-capitaliste (Gereffi & Korzeniewicz 1994, Bair 2009)1. C’est l’ensemble de ces strates qui forme la globalisation des végétaux d’Amazonie : la fabrique des plantes globales.

Une mercatique inégale de la biodiversité végétale entre l’Occident et les Suds...

4La biodiversité, qui est définie comme la variabilité des organismes vivant sur Terre, est présente dans nos vies quotidiennes et dans notre culture à travers l’alimentation, la médecine et l’oxygène qui nous maintiennent en vie. Si la biodiversité est plutôt concentrée dans la ceinture tropicale du globe, les richesses économiques sont majoritairement détenues au sein des régions tempérées. Au début des années 2000, les marchés économiques constitués à partir de l’utilisation de produits de la biodiversité représentaient environs 800 milliards US$ répartis entre les produits pharmaceutiques, l’agriculture, les semences agricoles, les produits phytosanitaires, l’horticulture, la cosmétique et l’hygiène ; mais ce chiffre est certainement sous-estimé (Laird & Kate 2002 : 245). L’Organisation des Nations-Unies pour l'Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que 80 % de la production alimentaire au niveau mondial est assurée par les petites productrices et petits producteurs familiaux. Dans un célèbre article datant de 1997, Robert Costanza a montré que la valeur totale des services des écosystèmes, qui forment nos systèmes de support de vie, représente une valeur d’environs 33 trillions US$ par an, soit presque le double du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial (Costanza et al. 1997).

5Pourtant les populations autochtones et traditionnelles restent les populations les plus défavorisées du monde et une majorité des 4900 langues parlées sur Terre est actuellement en voie d’extinction (Brondizio & Le Tourneau 2016, Gorenglo et al. 2012). D’après Nina Pacari Vega, représentante de la Confédération des Nationalités Indigènes de l’Équateur, 

« Les médecins indigènes reconnurent les qualités thérapeutiques des plantes et des animaux dans leur environnement en se basant sur des milliers d’années d’expérience de communauté, transmises au long de centaines de générations. Les contributions médicales sont énormes parce que la majorité de ce qui est actuellement connu en pharmacologie vient de nos ressources biologiques. On estime que 75 % des médecines commerciales que nous utilisons proviennent de régions indigènes. Mais qu’avons-nous reçu ? Quelle garantie avons-nous que nos ressources et connaissance seront reconnues par ceux qui gagnent financièrement à partir de nos contributions ? » (Senanayake 1999 : 145)

6La mise en valeur des produits de la biodiversité pose donc la question de la répartition des richesses créées à partir de l’utilisation des végétaux via le commerce et les échanges, notamment dans le cadre juridique de l’article 8j de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) qui impose que « Chaque Partie contractante […] encourage le partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques […] des communautés autochtones et locales » (Convention sur la Diversité Biologique 1992 : 6-7).

… où l’Amazonie joue un rôle central écologiquement mais marginalisé économiquement

7Quelle est l’importance de l’Amazonie, plus grand écosystème forestier du monde (7 millions de km ²) dans la globalisation des plantes ? Avant 1492, au moins 85 plantes étaient cultivées à un certain degré avant en Amazonie (Levis et al. 2017). A l’échelle de toutes les Amériques, sur 15 plantes alimentaires majeures de l’échange colombien (Crosby 2003 (1972), 6 sont originaires de l’Amazonie ; à l’échelle mondiale, sur les 7 marchandises tropicales les plus importantes en termes de volumes (le café, le tabac, le coton, le sucre, le caoutchouc de l’hévéa, le thé et le cacao), 3 sont des plantes originaires de l’Amazonie (l’hévéa, cacao et coton), dont 2 endémiques (cacao et hévéa) (Gibbon 2001 : 60). Enfin, sur 6 plantes constitutives de notre civilisation : cacao, tabac, hévéa, coca, tomate et pomme de terre, les 4 premières au moins sont originaires de l’Amazonie. Aujourd’hui encore, si l’on élargit les frontières de l’Amazonie à son bassin hydrographique, qui s’étend jusqu’au coeur de la cordillère des Andes, l’on voit que la région continue de livrer des plantes d’une importance considérable au niveau mondial comme la Quinoa, la Stévia, le Guaraná, le Maté ou l’Açaï.

  • 2 Concernant les plantes visionnaires, psychédéliques ou hallucinogènes, l’Amazonie est aussi admirab (...)

8Mais là où l’Amazonie est vraiment exceptionnelle comme centre d’origine de la biodiversité cultivée, c’est dans sa richesse en plantes à visée non-nutritive. Parmi ces dernières, en dehors du caoutchouc, nous retrouvons toutes les plantes plantes que l’on consomme pour des besoins autres que les besoins strictement alimentaires : les plantes psychoactives, définies comme “des plantes que les gens ingèrent sous la forme de préparations simples ou complexes dans le but d’affecter l’esprit ou d’altérer l’état de conscience.” (Rätsch 2005 : 9). Hors plantes dites visionnaires, psychédéliques ou hallucinogènes, l’Amazonie est en effet le berceau 8 ou 9 espèces de plantes psychoactives, quand l’Europe, au 16ème siècle, découvrait à peine les effets stimulants du café (Schivelbusch 1993 : 15-49). Dans l’Amérique de 1492 étaient ainsi cultivées deux espèces de maté (Ilex paraguariensis & guayusa), deux espèces produisant 3 variétés de guaranás (Paullinia yoco, Paullinia cupana Typica & Paullinia cupana Sorbilis), au moins deux cacaos (Theobroma cacao & Theobroma bicolor) et deux espèces de coca (Erythroxylum coca & Erythroxylum novogranatense).2

Carte 1 : L’Amazonie comme centre d’Origine de la Biodiversité Végétale Mondiale

Carte 1 : L’Amazonie comme centre d’Origine de la Biodiversité Végétale Mondiale

Source : Beaufort d’après Clément et al. 2015, Piperno 2011, Schultes & Hoffmann 1992 & Harlan 1971

9Ainsi, loin d’être une région vide, sauvage ou vierge, l’Amazonie apparaît au contraire comme la terre d’origine de certaines des plantes majeures de l’humanité. Pourtant, l’Amazonie et ses peuples n’ont que peu bénéficié des profits issus de l’utilisation de la biodiversité, dans une dynamique historique marquée par un ensemble de cycles que nous pouvons qualifier de malédiction amazonienne.

Les cycles extractivistes et la malédiction amazonienne

10Entre enfer vert et nature sauvage, l’Amazonie a de tous temps cristallisé les préjugés de l’altérité, oblitérant la construction culturelle souvent millénaire de ses forêts, de ses fleuves, de ses peuples et de ses territoires (Le Tourneau 2019). La profusion animale et végétale qui y règne ne fait pas exception : plus grand laboratoire phytothérapeutique de la planète, l’Amazonie attise des convoitises qui engendrent, encore aujourd’hui, des mouvements économiques de ruées sur ses ressources minérales, végétales et animales. La rapidité du développement de ses cycles économiques n’a d’égal que la décadence parfois grotesque qui accompagne leurs chutes. L’histoire de l’Amazonie est, en effet, « rythmée par une succession de booms et de longues périodes de léthargie » (Brunet, Ferras & Théry 1993 : 28). Les végétaux amazoniens finissent souvent par être transplantées à l’étranger, ne bénéficiant ni à la région, ni aux pays qui la composent, ni aux peuples amazoniens (Aubertin 1996a). Cette arythmie économique, dépendante de poussées extractivistes vers des matières premières au gré de demandes localisées en aval des filières marchandes, est en grande partie responsable du sous-développement structurel de la région, nous amenant à parler de malédiction amazonienne. Le caoutchouc, dont la production fut délocalisée en Asie après avoir été la quasi unique source de richesses pour les élites d’Amazonie à la fin du 19ème et au début du 20ème siècles, en est l’exemple paradigmatique. Ces cycles, qui se reproduisent chaque fois qu’une nouvelle ressource est exploitée, sont constitutifs de la formation géohistorique des pays des Suds (Droulers 2001, pour le cas emblématique du Brésil).

11Dans un célèbre article de 1968, l’écologue Garrett Hardin affirma que toute exploitation privée d’une ressource mise en commun ne faisant pas l’objet d’une régulation particulière, avait pour conséquence systémique l’épuisement de celle-ci : « La ruine est la destination vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun poursuivant son intérêt personnel propre dans une société qui croit dans la liberté des communs. La liberté dans les communs apporte la ruine pour tous. » (Hardin 1968 : 1244). Inspiré par cette approche et en l’adaptant au cas amazonien, l’agronome brésilien Alfredo Kingo Oyama Homma a démontré que les plantes d’Amazonie utiles font l’objet d’une exploitation extractiviste prenant la forme de boum, crash et léthargie avant d’être transplantées à l’étranger, avec pour conséquence de ne pas bénéficier à leur région d’origine (Homma 2012 & 1992).

12En enrichissant le modèle de Homma avec les trajectoires de plantes amazoniennes devenues globales comme le cacao, le quinquina, la stévia, la salsepareille et la coca, nous voyons apparaître plusieurs strates de mondialisation des végétaux d’Amazonie. Chacune de ces strates de mondialisation est caractérisée par des économies politiques et des modes d’exploitation agronomiques particulières (les régimes agro-économiques), ainsi qu’un certain nombre de critères à remplir pour passer d’une strate à une autre. C’est en combinant les strates de mondialisation, basées sur des régimes agro-économiques particuliers et des critères à remplir pour passer d’une strate à l’autre, dans la trajectoire spatio-historique de chacune des plantes, que nous avons construit notre modèle de globalisation des végétaux d’Amazonie (Beaufort 2017).

Un modèle pour comprendre la globalisation à partir des végétaux de l’Amazonie 

  • 3 La formulation et démonstration complète de notre modèle de la globalisation des plantes d’Amazonie (...)

13Tout d’abord, nous distinguons ici la mondialisation, que l’on peut définir comme l’ensemble des échanges entre les sociétés humaines, et la globalisation, que l’on peut définir comme une modalité particulière de cette dernière qui articule l’échelle locale à l’échelle planétaire (Ghorra-Gobin 2012 : 492, 328-329 & 502, Grataloup 2007 [2015] : 9). Le modèle de globalisation que nous proposons repose sur quatre strates : la diffusion, qui commence aux confins des origines de l’agriculture (Holocène, - 11 000 avant J.C.), la colonisation, qui commence en 1492 (conquête des Amériques et destruction des sociétés précolombiennes), la massification qui commence au XIXe siècle (deuxième vague de colonisation et transplantations des végétaux en monoculture) et la marchandisation, qui commence au XXe siècle (révolution biotechnologique et financiarisation des économies). Chaque strate est caractérisée, tout d’abord, par des règles d’échanges économiques particulières que nous avons construite d’après la formule générale du capital (Marx 1867 (1985), chapitre 4, de la deuxième section, du livre premier : pp. 171-180)3. Chaque strate est caractérisée par des modalités d’exploitations agronomiques particulières : l’extraction pour la colonisation, la plantation en monoculture pour la massification et la biologie de synthèse ou l’isolation des molécules pour la marchandisation. Chacune des strates tend à combiner l’ensemble des régimes agroéconomiques antérieurs augmentant l’économicisation générale des biens (et des services) ; les transformant petit à petit en marchandises... L’accumulation de toutes ces strates forme la globalisation (Schéma 1).

Schéma 1 : un modèle de la globalisation à partir des végétaux des Amériques, et particulièrement de l’Amazonie

Schéma 1 : un modèle de la globalisation à partir des végétaux des Amériques, et particulièrement de l’Amazonie

Source : Beaufort 2017 d’après Marx 1867 (1985), Homma 2012, 1992 & Hardin 1968 : 1244

La diffusion

14Dans un premier temps, la diffusion se présente comme un échange avant tout non-monétaire et à somme positive, dans la mesure où les végétaux suivent une croissance géométrique. Dans cette modalité, qui était sans doute celle des échanges précolombiens et qui perdure jusqu’à aujourd’hui dans les économies paysannes par exemple, une plante, par reproduction des semences ou reproduction végétative, peut être diffusée sur une superficie plus grande de terre. Deux plantes emblématiques de la diffusion précolombienne des végétaux en Amérique sont le cacao et le maïs. Le cacao est, d’une part, originaire d’Amazonie, à partir d’où il fut probablement diffusé au tournant du Pléistocène et de l’Holocène vers l’Amérique centrale, où il est devenu plante de civilisation (Thomas et al. 2012). D’autre part, si l’on présume que le maïs est originaire d’Amérique centrale, ce dernier est cultivé en Amazonie depuis au moins - 6000 avant J.C. (Bush et al. 1989).

15Nombreuses sont les plantes originaires des Amériques et particulièrement de l’Amazonie qui se sont diffusées à une échelle globale : les piments capsicum, la papaye, les haricots, les calebasses, les citrouilles et les courges, le cacao, l’avocat, l’ananas, les arachides (cacahuètes), les patates douces, le manioc et les tomates mais aussi le tabac, plante maîtresse du chamanisme américain, sont toutes aujourd’hui cultivés et consommés dans la majorité des pays de la Terre en quantités significatives. Dans les Cartes 2 & 3 ci-après, nous voyons qu’environ 2/3 des végétaux originaires des Amériques, et particulièrement de l’Amazonie, mondialement diffusés sont aujourd’hui produits en dehors des Amériques ; l’Asie étant le premier producteur mondial de ces denrées.

16La strate de la diffusion forme la base de la mondialisation. Dans cette strate, les économies des plantes sont principalement locales ou régionales et elles sont historiquement basées sur des systèmes d’échanges non-financiers, voire non-monétaires (troc) caractéristiques des sociétés paysannes et autochtones, à l’origine de leur diffusion mondiale (Braudel 1985 : 52-67).

Carte 2 & 3 : La diffusion planétaire des plantes d’Amazonie. Production mondiale de plantes alimentaires et du tabac (en tonnes)

Carte 2 & 3 : La diffusion planétaire des plantes d’Amazonie. Production mondiale de plantes alimentaires et du tabac (en tonnes)

Source : élaboration personnelle d’après FAOStats (2014)

La colonisation

17L’apparition d’un commerce au long-cours basé sur la formation d’une classe marchande autonome du XIIIe au XVIIe siècles en Europe, associée aux grandes découvertes et à la conquête de l’Amérique, ouvre la deuxième strate de la mondialisation : la colonisation. Celle-ci est une modalité d’accaparement des agroécosystèmes productifs et d’exploitation des peuples qui place l’extractivisme capitaliste en son cœur organisationnel. Des territoires sont conquis et des peuples autochtones sont asservis : pour conquérir plus de territoires et de peuples, de nouvelles ressources doivent être captées, et pour capter de nouvelles ressources, il faut conquérir plus de territoires et de peuples. Ces mouvements socio-spatiaux génèrent une accumulation primitive du capital en Europe. Ainsi les minerais dans toutes les Amériques, le « bois de braise » sur la façade atlantique du Brésil actuel, le cacao en Amérique centrale et dans le nord de l’Amérique du Sud, la coca et le quinquina dans les Andes ainsi que la salsepareille, et le maté au Paraguay sont quelques exemples majeurs de végétaux insérés par l’usage de la force dans des filières marchandes globales en formation, durant la strate de la colonisation (Boumédiène 2016, Droulers 2001, Alden 1976, Bergman 1969).

18L’exploitation des vies humaines atteint des sommets de barbarie avec le commerce triangulaire qui ajouta la main d'œuvre esclave africaine au côté des Amérindiens pour alimenter ces filières. Des formes de colonisations infra-régionales ou nationales émergèrent sous le despotisme des élites locales comme comme en témoigne l’exploitation parfois esclavagiste des vies humaines, sacrifiées par milliers lors du boom du caoutchouc à la fin du XIXe siècle en Amazonie du Brésil, du Pérou et de Colombie (Dean 1987 [2002]). L’argent fut progressivement accumulé sous cette strate, entraînant la monétarisation croissante des économies en Europe et ses colonies et engendrant bientôt l’accumulation primitive du capital. Tant et si bien que la formule de l’échange s’allongea tout autant que les filières au long desquelles il circulait. Dès lors, l’argent-monnaie servit d’intermédiaire systémique à tous les échanges. Ces derniers devinrent plus inégaux : une somme d’un produit de départ, échangée contre de l’argent, permettait de tirer plus de produit, ou d’un produit de plus haute valeur, selon un système à la frontière du troc, et de l’échange monétaire, caractéristique jusqu’à aujourd’hui des échanges paternalistes-capitalistes en Amazonie (Beaufort, opus cité : 288-298). La classe naissante des commerçants, financée par les élites politiques européennes, acquit un pouvoir toujours plus important au sein des filières marchandes à mesure que les végétaux se désencastraient un peu plus de leurs matrices socio-écologiques amazoniennes.

Carte 4 : La colonisation avec l’exemple des plantes d’Amazonie à partir de 1492

Carte 4 : La colonisation avec l’exemple des plantes d’Amazonie à partir de 1492

Source : Beaufort 2017 d’après Boumédiène 2016, Alden 1976 & Bergman 1969

La massification

19La colonisation des Amériques engendra une accumulation primitive du capital dans les pays du Nord de l’Europe, notamment en Hollande et en Angleterre. Ces derniers drainaient puis accumulaient les richesses des pays du Sud de l’Europe. Parallèlement, les rendements décroissants de la logique exploratoire-extractiviste (lorsque tous les territoires sont conquis, où trouver de nouvelles ressources ?) créa les conditions d’une troisième modalité agro-économique : la monoculture de plantation, qui peut être définie comme la culture extensive d’un seul végétal exotique avec une main d'œuvre étrangère (Dean, op. cit. : 165). La monoculture est donc à la base de la massification mais aussi de nouvelles vagues d’esclavagisme. Troisième strate de la mondialisation des végétaux d’Amazonie, la massification est intimement liée à la deuxième grande vague de colonisation mondiale lancée par la Couronne anglaise au XIXe siècle, notamment en Asie. La massification combine les caractéristiques extractivistes-capitalistes de la colonisation en y ajoutant la destruction d’écosystèmes et de forêts entières pour la mise en place de plantations en monocultures reposant sur des mains d'œuvre étrangères souvent esclaves. 

20La massification économicise davantage les végétaux d’Amazonie dans un mouvement où ce n’est plus le produit qui est à l’origine de l’échange commercial, mais bien l’argent : la formule générale du capital d’après Karl Marx. Les banques injectent de la monnaie dans les économies par l’intermédiaire des commerçants qui renforcent leur domination des filières marchandes. Parallèlement, l’essor de la chimie en Europe permet les premières isolations de molécules actives avec la découverte de la caféine, de la guaranine et de la théine en 1820 en Allemagne et en France, et la révolution industrielle dans les transports (machine à vapeur) et l’énergie (électricité) potentialisent la massification et donnent ainsi naissance à plusieurs innovations majeures qui répondent à la demande croissante des masses ouvrières en Europe. Ces dernières constituent un pouvoir d’achat considérable pour un ensemble de produits des Suds adaptés à la civilisation thermo-industrielle : chocolat, boissons à la quinine, cigarettes, remèdes à la cocaïne, pneus des voitures, avions et vélos à base de caoutchouc ; et pour les toniques non-américains, thé et café. Les cinq plantes amazoniennes majeures que sont le cacao, le quinquina, le tabac, la coca et l’hévéa se placent alors au centre de la consommation industrielle en Europe. Pour pouvoir répondre à la demande, il fallut augmenter les quantités produites, qui n’étaient plus suffisantes avec les rendements décroissants de l’extractivisme primitif de la colonisation des Amériques. Cette baisse des rendements fut à la source de la transplantation des végétaux d’Amazonie en dehors de leurs matrices socio-écologiques, les désencastrant ainsi un peu plus.

21Suivant cette dynamique, l’introduction du thé chinois à Ceylan (Sri Lanka actuelle) par la Couronne anglaise détruisit 95 % de la forêt tropicale humide de l’île et ses jardins-forêts millénaires (les gewatta) entre 1850 et 1947. Au Brésil, la forêt atlantique fut réduite à moins de 7 % de son couvert forestier initial sur la même période par les migrants européens afin d’y planter du café. Le cacao fut tout d’abord transplanté par les élites portugaises dans la Bahia au Brésil au XVIIIe siècle, où il fut cultivé en monoculture avec des esclaves africains puis afro-descendants. Ensuite il fut transplanté en Afrique de l’Ouest par la Couronne anglaise au 19ème siècle, détruisant, jusqu’au XXIe siècle, des millions de km² de forêt. Le quinquina fut transplanté avec succès en Asie et en Afrique. Des plantations expérimentales de coca furent également amorcées en Indonésie par les Hollandais, mais sans succès. À chaque fois, des populations étrangères furent utilisées comme main d’œuvre. La massification réduit en quelques décennies des millions de km² de forêts pluri-millénaires en cendres et déplace des dizaines de milliers de travailleurs et d’esclaves depuis leurs terres d’origine au sein des colonies. Les populations autochtones furent évincées de ces territoires mis en monoculture de plantation. 

22Le caoutchouc est l’exemple emblématique de cette dynamique de massification : sa production fut brusquement délocalisée en Malaisie à la fin du XIXe siècle suite à la contrebande en 1876 de près de 70 000 de ses semences par Henry Wickham, sur commande du jardin botanique de Kew en Angleterre. Cette transplantation, souvent considérée comme l’exemple paradigmatique de la malédiction amazonienne (ou de la biopiraterie), n’entraîna pas seulement la banqueroute des élites vivant dans les villes amazoniennes comme Manaus au Brésil ou Iquitos au Pérou, mais elle sauva aussi certainement les populations amérindiennes, principales victimes de l’esclavage et du patronage qui dominait l’exploitation du caoutchouc en Amazonie avant son effondrement. S’il est certain que la massification causa la ruine de certaines élites locales qui reposaient sur l’extractivisme primitif de la colonisation en Amazonie, cette strate engendra aussi un vaste processus d’accumulation capitaliste dans d’autres régions du monde. Parallèlement, avec la hausse des rendements permise par le système esclavagiste de plantation (baisse des coûts de facteurs naturels et du travail humain) nous assistâmes à un décollement massif des quantités de végétaux transformés au sein des filières marchandes globales des plantes d’Amazonie.

Carte 5 : La massification des plantes d’Amazonie avec l’exemple du cacao

Carte 5 : La massification des plantes d’Amazonie avec l’exemple du cacao

Source : Beaufort 2017 d’après Alden (opus cité) & Bergman (op. cit.)

La marchandisation

23La quatrième et dernière strate de la mondialisation des végétaux d’Amazonie, la marchandisation, est liée à la financiarisation contemporaine, à l’augmentation des Nouvelles Technologies d’Information et de la Communication (NTIC) et  l’avènement d’une économie basée sur les produits de synthèse, la révolution biotechnologique des années 1980, ainsi que le déplacement du centre du système-monde vers les États-Unis amorcée depuis la Seconde Guerre Mondiale. Sous cette modalité, les ressources sont extraites de tous leurs environnements : culturels, agronomiques, biologiques… voir les terres elles-mêmes avec l'accaparement des terres et la concentration foncière. Avec la reproduction synthétique de molécules in vitro ou la mise sur le marché boursier d’actions d’achats futurs de grandes quantités de matières premières (pour le café, le thé ou le cacao par exemple), ce n’est plus la ressource qui forme la richesse principale mais l’argent lui-même dans les échanges. Dans la strate de la marchandisation, ce dernier s'auto-fructifie au s’autonomisant du végétal, de son écosystème et bien sûr, de ses peuples. Parallèlement, ce sont les informations contenues dans les gènes et les molécules des plantes, plus que les plantes elles-mêmes, qui font l’objet de filières marchandes globales dans la strate de la marchandisation. Un exemple de cette marchandisation des végétaux d’Amazonie autour de leurs molécules est la plante Stévia. Cette dernière, domestiquée depuis des siècles par les Indiens Guarani au Paraguay, fut transplantée tout d’abord en Chine et au Japon dans les années 1960, sous l’impulsion du gouvernement japonais, puis en Malaisie dans les années 2000, sous la direction de PureCircle, entreprise transnationale de biotechnologie alimentaire. La Stévia fit l’objet de nombreux brevets sur ses molécules isolées (les stéviol-glycosides) de la part de firmes transnationales de la boisson ainsi que sur des stéviol-glycosides de synthèse développés in vitro, tout en ayant subi, durant de nombreuses années, de fortes entraves réglementaires à sa commercialisation en Europe avant 2017. Une trajectoire similaire de globalisation fut suivie par le quinquina. Cette plante amazonienne, importée du Piémont Andin en Europe au XVIe siècle, massifiée au XIXe siècle dans des plantations en monoculture en Afrique et en Asie, fait aujourd’hui l’objet à la fois de fortes réglementations autour de sa commercialisation et est principalement commercialisée sous la forme d’hydroxychloroquine, un antipaludique de synthèse issu de la quinine, son principal alcaloïde. La marchandisation des plantes d’Amérique du Sud est aussi en cours avec la culture en Europe, depuis les années 2010 environs, de la quinoa, originaire des Andes, à l’aide de semences hybrides brevetées.

Carte 6 : La marchandisation des plantes d’Amazonie avec l’exemple de la Stévia

Carte 6 : La marchandisation des plantes d’Amazonie avec l’exemple de la Stévia

Source : Beaufort 2017 & 2015 d’après Lazarin & Couplan 2009, Geuns 2007

Trajectoires de mondialisation, globalisation et partage des avantages

24Dans le Tableau 1 ci-après, nous synthétisons les critères généraux auxquels les plantes répondent pour emprunter une nouvelle strate dans leurs trajectoires de mondialisation, comme autant d’étapes. Ces derniers sont la présence d’une culture précolombienne et une diffusion au moins régionale pour la strate de la diffusion ; un commerce au long-cours régulier et une transplantation à l’étranger dans la strate de la colonisation ; l’innovation industrielle de massification et l’isolation des molécules dans la strate de la massification ; et enfin la financiarisation / capitalisation et le contrôle réglementaire dans la strate de la marchandisation. Ces critères ne sont pas tout à fait étanches entre eux : la période de la diffusion n’exclut par exemple par certains commerces au long-cours, tout comme celle de la massification n’exclut pas l’isolation des molécules, bien au contraire : elle la potentialise. Enfin, la transplantation des végétaux à l’étrangers se fit tant dans le contexte de la colonisation que de la massification. 

25Nous avons choisi le terme de strate en référence à la géologie, pour montrer que ces strates ne se juxtaposent pas, comme lorsque l’on passe d’une période à une autre en histoire, ou d’un diatope à un autre en géographie : au contraire, elles s’accumulent dans le temps et s’étendent dans l’espace pour former le phénomène de la globalisation. Ainsi, tout comme l’argent-monnaie augmente la marchandisation de toutes choses, y compris chez des communautés traditionnelles et autochtones, chacune des strates augmente l’économicisation générale des plantes américaines dans la mondialisation.

26Le désencastrement des végétaux d’Amazonie hors de leur matrice socio-écologique contribue donc à une captation supérieure de la valeur ajoutée en aval de la filière et, partant, à une répartition plus inégale des bénéfices tirés de la biodiversité.

27Notre modèle théorique de la globalisation des végétaux de l’Amazonie doit donc être lu en combinant le schéma 1 des strates de mondialisation, chacune avec ses régimes agroéconomiques particuliers (règles d’échanges économiques et modes d’exploitation agronomique), et le tableau 1 des étapes de mondialisation que les plantes empruntent pour arriver à une strate de mondialisation supérieure. La somme des étapes empruntées par les plantes amazoniennes permet d’évaluer leur globalité respective et donc de les comparer. L’accumulation de toutes les strates de mondialisation correspond donc à la globalisation des végétaux d’Amazonie, une région qui apparaît comme une véritable fabrique de plantes globales.

Tableau 1 : Évaluer la globalité des plantes amazoniennes par leurs étapes de mondialisation

Tableau 1 : Évaluer la globalité des plantes amazoniennes par leurs étapes de mondialisation

Où X = 1 point et O = 0,5 point. Plus la note finale s’approche de 8, plus une plante est globale

Source : Beaufort 2017

  • 4 C’est le sens du concept de glocalisation proposé par Robertson (2012). Voir aussi Alexiades (2009) (...)

28En conclusion, la globalisation nous apparaît à la fois comme le stade ultime de la mondialisation et comme une articulation de l’échelle locale et de l’échelle globale combinant différentes strates, qui s’accumulent dans le temps et s’étendent dans l’espace. Le sens profond de la globalisation peut donc être compris comme une simultanéité d’expériences hétérogènes sur un espace donné et dans un laps de temps qui se compresse, au milieu duquel l’Amazonie semble jouer un rôle central4. À la lumière des trajectoires spatio-historiques de ses végétaux, l’Amazonie n’apparaît plus comme une région périphérique de la planète, mais au contraire comme l’un des carrefours de la globalisation. Depuis 1492 au moins, ce  territoire forestier livre au reste du monde des plantes d’une importance considérable. Pourtant, la région et ses peuples n’en ont encore que trop peu bénéficié. La connaissance précise des mécanismes de la globalisation des plantes d’Amazonie que nous avons analysé ici, avec leurs strates de mondialisations, leurs structures en filières marchandes globales et leur fonction extractiviste-capitaliste, apparaît donc comme la condition préalable pour un partage des avantages tirés de la biodiversité.

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Annexe

Annexe : la biodiversité cultivée en Amérique tropicale et particulièrement en Amazonie au sein des Jardins-Forêts

Un jardin-forêt peut être défini comme un terrain utilisé pour la culture de plantes dont au moins 40 % de la superficie est couverte par les arbres (Senanayake & Jack 1998). D’après le géographe Donald Lathrap, un jardin-forêt générique de l’Amérique tropicale contient a minima l’arbre à calebasses (Crescentia cujete), le palmier pupunha (Bactris gasipaes), l’avocat Persea americana, aux côtés d’autres fruits comestibles comme l’inga (Inga edulis), la goyave (Psidium sintenisii ou guajava) ou la papaye (Carica papaya), le cacao (Theobroma cacao), la noix de cajou (Anacardium occidentale). On y trouve aussi les deux plantes tinctoriales principales de toute l’Amérique, originaires de l’Amazonie elles aussi, le genipa bleu-noir (Genipa americana) et l’urucum rouge-vif (Bixa orellana), ainsi que le coton amazonien (Gossypium barbadense). Des plantes basses, comme le piment (Capsicum spp.), plusieurs espèces cousines de la tomate (Solanum spp.) et aussi l’ananas (Ananas comosus) et deux espèces de tabacs (Nicotiana tabacum & rustica) peuvent y être présentes. Enfin, pour l’Amazonie spécifiquement, plusieurs plantes souterraines comme la cacahuète (Arachis hypogaea) et des plantes à tubercules très importantes dans l’offre nutritionnelle tropicale comme la patate douce (Ipomoea batatas), le yam américain (Dioscorea spp. et particulièrement trifida), le chou-caraïbe (Xanthosoma spp. et particulièrement sagittifolium), la marante (Maranta arundinacea) et, le plus important de tous, le manioc (voir Lathrap 1977 : 731-733). D’après William Balée au moment de la conquête, les Tupinambas de la côte brésilienne cultivaient, pour leur part, le maïs, 28 variétés de manioc, des bananes, des cacahuètes, des piments, des courges, de l’igname (yam), des patates douces, de l’ananas, de la papaye, des calebasses, des noix de cajou, des courges, des haricots, du fruit de la passion, du coton, de l’urucum, de la caroá (une sorte de plante à fibre textile très résistante) et du tabac (1994 : 138). D’après Darell Posey, « L’agriculture des Kayapó repose sur : patates douces (Ipomoea batatas), dont ils possèdent 22 cultivars ; manioc, doux et amer (Manihot esculenta Kranz.) dont au moins 22 cultivars ont été décrits (Kerr and Posey 1984) ; 21 cultivars de yam (Dioscorea sp.) ; 21 variétés de maïs ; et 13 types de Musa sp. Les Kayapó plantent aussi des ananas (trois types), des courges (huit types), de la marante, deux types de fèves (Vicia faba, Leguminosae), quatre variétés de Phaseolus sp. (Leguminosae), deux types de haricots (Vigna spp., Leguminosae), trois types de tabacs, quatre variétés de papaye (Carica, Caricaceae), et trois types d’arachides ou cacahuètes (Arachis, Leguminosae). Au moins 46 types de fruits et de fruits à noix sont plantés. Ces derniers ont des ‘niches’ spécifiques de plantation et sont généralement plantés dans l’agriculture successionnelle (ibe), au long de sentiers (pry), dans les jardins familiaux (ki krê bum), dans la forêt (), dans les clairières (bà kre-tí), ou dans de nombreux sites de savane (apêtê). » (Posey 2002 : 172). Philippe Descola, de son côté, a relevé, dans les jardins-forêts des Indiens Achuar de l’ouest amazonien, les plantes suivantes : l’igname (12 cultivars ou variétés), l’arrow-root, la patate douce (22 variétés), les piments (8 variétés), l’avocat, la pomme-cannelle (Annona squamosa), la naranjilla (Solanum coconilla, 4 variétés), l’achira (Renealmia alpinia), l’ananas, le manioc doux (17 variétés), les haricots (12 variétés), le jicama (Pachyrhizus tuberosus), la courge Sicana odorifera, la cacahuète ou arachide (7 variétés), la marante (Calathea exscapa), la banane plantain (Musa balbisiana, 4 variétés), la banane sucrée (15 variétés), la canne à sucre, le taro (Colocasia spp.), le taro Xanthosoma spp. (2 variétés), l’oignon, le maïs (2 variétés), un type de cucurbitacée nommé tente en Achuar, une autre espèce de taro (Colocasia esculenta), le palmier chonta (Giulielma gasipaes, 6 variétés), deux espèces de cacao (Theobroma subincanum, 2 variétés et bicolor), la guaba (Inga edulis), un autre taro appelé wanchup, la papaye (3 variétés), le caimi (Chrysophyllum cainito, 3 variétés) et la courge Cucurbita maxima (3 variétés) (Descola 1986 : 199-200). Tous ces végétaux, sauf la canne à sucre et l’oignon, sont endémiques des Amériques, et, hormis la naranjilla originaire a priori des Andes, et sans doute les haricots a priori originaires d’Amérique centrale, de l’Amazonie en particulier. De plus, Descola relève des dizaines de plantes textiles, médicinales, narcotiques, psychotropes et toxiques, ainsi que des espèces sylvestres transplantées (Ibid. : 202-205). Mélanie Congretel, de son côté, relève 40 plantes utiles alimentaires, médicinales, cosmétiques et tinctoriales cultivées dans les waranazais (jardins-forêts de waranà, Paullinia cupana var. Sorbilis) chez les Indiens Sateré Mawé d’Amazonie centrale, dont la moitié au moins sont endémiques (Congretel 2017 : 175). Enfin il apparaît que le noyer d’Amazonie (Bertholletia excelsa), après avoir longtemps été considéré comme un arbre naturel dont les fruits font l’objet de cueillette sauvage, et présent dans presque toute l’Amazonie, fut, sinon cultivé, du moins en grande partie géré par les amérindiens depuis l’époque précolombienne (voir notre discussion sur l’origine anthropique ou naturelle du noyer d’Amazonie dans Beaufort 2017 : 184-190).

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Notes

1 Nous définissons la fonction extractiviste-capitaliste peut-être définie comme une extraction de ressources (plantes ou minerais) générant une accumulation du capital.

2 Concernant les plantes visionnaires, psychédéliques ou hallucinogènes, l’Amazonie est aussi admirable. Richard Evans Schultes a 10 plantes psychédéliques ou hallucinogènes d’origine américaine (11 si nous ajoutons le tabac) sur les 13 les plus importantes recensées à l’échelle planétaire (Schultes & Hofmann 1992. Weston La Barre décompta une quarantaine de plantes narcotiques hallucinogènes dans le Nouveau Monde contre à peine une demi-douzaine dans l’Ancien : La Barre 1970 : 73).

3 La formulation et démonstration complète de notre modèle de la globalisation des plantes d’Amazonie est disponible dans Beaufort 2017 : 79-132.

4 C’est le sens du concept de glocalisation proposé par Robertson (2012). Voir aussi Alexiades (2009) et à propos des implications concernant les savoirs autochtones, Agrawal (2002).

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Table des illustrations

Titre Carte 1 : L’Amazonie comme centre d’Origine de la Biodiversité Végétale Mondiale
Crédits Source : Beaufort d’après Clément et al. 2015, Piperno 2011, Schultes & Hoffmann 1992 & Harlan 1971
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-1.png
Fichier image/png, 739k
Titre Schéma 1 : un modèle de la globalisation à partir des végétaux des Amériques, et particulièrement de l’Amazonie
Crédits Source : Beaufort 2017 d’après Marx 1867 (1985), Homma 2012, 1992 & Hardin 1968 : 1244
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 147k
Titre Carte 2 & 3 : La diffusion planétaire des plantes d’Amazonie. Production mondiale de plantes alimentaires et du tabac (en tonnes)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-3.png
Fichier image/png, 198k
Crédits Source : élaboration personnelle d’après FAOStats (2014)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-4.png
Fichier image/png, 170k
Titre Carte 4 : La colonisation avec l’exemple des plantes d’Amazonie à partir de 1492
Crédits Source : Beaufort 2017 d’après Boumédiène 2016, Alden 1976 & Bergman 1969
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-5.png
Fichier image/png, 783k
Titre Carte 5 : La massification des plantes d’Amazonie avec l’exemple du cacao
Crédits Source : Beaufort 2017 d’après Alden (opus cité) & Bergman (op. cit.)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-6.png
Fichier image/png, 3,7M
Titre Carte 6 : La marchandisation des plantes d’Amazonie avec l’exemple de la Stévia
Crédits Source : Beaufort 2017 & 2015 d’après Lazarin & Couplan 2009, Geuns 2007
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-7.png
Fichier image/png, 226k
Titre Tableau 1 : Évaluer la globalité des plantes amazoniennes par leurs étapes de mondialisation
Légende Où X = 1 point et O = 0,5 point. Plus la note finale s’approche de 8, plus une plante est globale
Crédits Source : Beaufort 2017
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/42850/img-8.png
Fichier image/png, 239k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Bastien Beaufort, « La fabrique des plantes globales. Une géographie de la mondialisation des végétaux d’Amazonie »Confins [En ligne], 53 | 2021, mis en ligne le 28 décembre 2021, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/42850 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/confins.42850

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Auteur

Bastien Beaufort

Directeur adjoint de Guayapi (www.guayapi.com) et Docteur de l’Université Sorbonne Paris-Cité (CREDA), bastien.beaufort@guayapi.com

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