1Au cours du XXème siècle, la Trypanosomiase Humaine Africaine (THA ou maladie du sommeil) a durement touché l’Afrique subsaharienne (De Raadt, 1999). La gravité de la situation a été rapportée par les différents acteurs (médecins coloniaux, explorateurs scientifiques, etc.) impliqués dans la lutte et la recherche contre cette pathologie (Gouzien, 1908 ; Jamot, 1933). Les récits témoignent de nombreux décès, de peuplements disparus ainsi que d’espaces exploités puis abandonnés par les hommes et leurs animaux domestiques à cause des trypanosomoses humaines et animales (Richet, 1963 ; Hervouët, 1990 ; Boutrais, 1992 ; Bado, 1995).
2Cette maladie mortelle sévit surtout dans les zones reculées souvent difficiles d’accès aussi bien en zone de savane (Mahamatet al., 2017), qu’en zone de forêt (Courtin et al., 2005) et de mangrove (Camara et al., 2005).
3Le parasite responsable de la THA est un trypanosome transmis à l’homme lors de la piqûre d’une glossine (mouche tsé-tsé) infectée. Il existe 2 principales méthodes de lutte contre cette pathologie : la lutte médicale, qui consiste à dépister et traiter les malades, ainsi que la lutte anti-vectorielle, qui vise à éliminer les glossines sur les lieux de vie des populations, afin de casser le contact entre l’homme et le vecteur (Laveissière &Hervouët, 1991).
4Grâce aux actions de lutte et de recherche multiformes associant diverses disciplines (médecins, géographes, entomologistes etc.) combinées aux effets des changements environnementaux sur le biotope de la mouche tsé-tsé, la maladie a connu un net recul ces dernières années dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne (OMS, 2013). Cette situation a amené l’OMS à afficher sa volonté d’éliminer la THA comme problème de santé publique à l’horizon 2020 (moins d’1 cas pour 10 000 habitants par district sanitaire). Pour atteindre cet objectif, il est indispensable de connaitre la situation épidémiologique dans les foyers historiques de THA, dont certains n’ont pas été investigués depuis des décennies. Ces foyers historiques constituent des zones d’ombre en termes de THA, parfois à l’échelle du pays (Simarroet al., 2010). C’est le cas du Niger, pays autrefois touché par cette endémie, avec des foyers très localisés tels que ceux de Say, de Torodi et de Kirtachi, où les prévalences pouvaient atteindre 11% dans certains villages (Jamot 1933). Le Sud du Niger était la seule région qui possédait les caractéristiques bioclimatiques (température, pluviométrie, végétation pour l’ombrage) nécessaires à la survie des glossines. Les 3 derniers cas de THA diagnostiqués au Niger l’ont été lors d’une prospection médicale effectuée en 1967 dans le foyer de Say. Ces 3 cas étaient originaires des villages de Dolè, Aynikiré et Tondifou. Depuis 1967, aucune prospection médicale sur la THA n’a été menée dans le Sud du Niger, posant la question de la situation épidémiologique actuelle. Dans le cadre de l’élimination, une mise à jour apparaissait essentielle, mais où prospecter en l’absence de données épidémiologiques récentes ? L’objectif de cet article est donc de montrer comment une approche géographique innovante a permis l’identification de villages à risque de THA dans le Sud du Niger.
5Ces villages feront ensuite l’objet d’une prospection médicale ciblant toute la population, qui permettra de faire le point sur la situation épidémiologique de la THA au Niger et d’adapter les stratégies de lutte en fonction de la situation trouvée, en vue d’atteindre l’objectif d’élimination.
6La méthode qui permet de sélectionner les villages les plus susceptibles d’héberger un cas de THA sur la base de critères historiques, géographiques, épidémiologiques et entomologiques, est dite d’Identification des Villages à Risque (IVR). C’est une appellation propre aux auteurs de cet article. Cette méthode a été initiée dans le but de cibler les régions et lieux prioritaires de lutte dans les pays à faibles prévalences de la THA. Au regard des coûts élevés pour les campagnes de dépistages qui se soldent souvent par des résultats mitigés, il est nécessaire de cibler les zones d’intervention pour une meilleure gestion des ressources (matérielles, humaines, financières) disponibles.
7Le Niger est un vaste pays sahélien (1 267 000 km2) situé au carrefour de l’Afrique de l’Ouest et centrale. Pays enclavé, le Niger présente un climat de type soudanien marqué par des conditions difficiles (insuffisance de pluies, longue saison sèche) au Nord contrairement au Sud mieux arrosé, où la pluviométrie peut attendre 825 mm/an. Il en résulte que c’est dans le Sud du pays que se trouvent les principaux cours d’eau pérennes et leurs forêts galeries. En effet le Sud du Niger héberge encore quelques forêts-galeries bien conservées des effets de l’anthropisation comme par exemple le long de la rivière Tapoa et de la rivière Mékrou, et de manière très résiduelle le long du fleuve Niger entre les confluences avec la Tapoa et la Mékrou. Ces îlots de verdure, plus ou moins linéaires, constituent des gîtes encore favorables aux glossines notamment les bosquets à Mimosa pudica, Morelia et Cola laurifolia (Image 1). C’est principalement la zone comprenant la Tapoa, la Mékrou et une portion du fleuve Niger située entre les confluences de la Tapoa et de la Mékrou, qui constitue notre zone d’étude.
Image 1 : un ilot de terre couvert par Mimosa pudica sur le fleuve Niger en périphérie du parc national du W
Source : Rouamba J., 2015
8Cette zone couvre les départements de Say, de Falmey et de Boboye, longeant le Niger et ses affluents (Mékrou et Tapoa) et une partie du parc du W en territoire nigérien (Carte 1). Ce parc transfrontalier, d’une superficie d’environ 1 million d’hectares, s’étend sur 3 pays (Niger, Burkina Faso et Bénin). Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1996, le parc du W constitue une importante réserve protégée de faune (grands mammifères, oiseaux, etc.) et de flore (forêts galeries, savane buissonnante). C’est une zone qui est désormais difficile d’accès d’un point de vue sécuritaire, du fait de groupuscules djihadistes implantés dans cette région peu densément peuplée, réduisant ainsi le tourisme lié à la biodiversité.
Carte 1 : Présentation de la zone d’étude
Source : Enquêtes terrain, 2015 ; Conception : Rouamba J.
9Pour établir la liste des villages à visiter sur le terrain, un travail préliminaire a consisté à rechercher des données historiques sur la maladie du sommeil et les glossines, ainsi que sur la géographie (paysages, peuplements, activités humaines, points d’approvisionnement en eau) dans notre zone d’étude. Ce travail a été effectué au niveau des archives des structures compétentes que sont les bibliothèques de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), de l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS) et du Centre International de Recherche-Développement sur l’Elevage en zone Subhumide (CIRDES), toutes 3 localisées à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Ainsi, sur la base de l’historique de la maladie du sommeil au Niger, de la dynamique de la distribution spatiale des glossines du fait des changements globaux et de la proximité des peuplements par rapport au réseau hydrographique et aux aires protégées, une liste de village à visiter sur le terrain a été établie. La situation et l’accessibilité géographique ont été aussi prises en compte dans le choix des villages.
10Un questionnaire sur les ressources sanitaires de la zone d’étude (infrastructures, personnel, équipement) a été administré aux responsables des structures de santé des Directions Régionales de la santé de Tillabéri et de Dosso dans les départements de Say, Kollo et Falmey. Ces entretiens ont permis la collecte de données sur les formations sanitaires (type de formation sanitaire, population couverte, personnels de santé, équipements, etc.) et sur la THA.
11Cette mission de terrain a été l’occasion d’informer et de sensibiliser les agents de santé sur la THA, en décrivant brièvement les symptômes de la maladie et l’écologie des glossines. A cet effet, une cinquantaine de bandes dessinées (OMS/FAC) et de posters (PNLTHA/Sanofi) ont été distribués dans les différentes formations sanitaires visitées (image 2).
Image 2 : Couverture de la bande dessinée OMS/FAC distribuée dans les formations sanitaires visitées pendant la mission de terrain.
Source : OMS, 1997
12Dans chaque village, des personnes volontaires ont été examinées sur la base de suspicions cliniques ou en prenant en compte les activités menées par celles-ci par rapport à l’exposition aux glossines (pêche, chasse, riziculture, etc.). Un Test de Diagnostic Rapide (TDR) sérologique de la THA fabriqué par SD Bioline a été effectué pour chaque volontaire (Image 3). Si le test est positif, un échantillon de sang est prélevé sur papier Whatman afin d’effectuer ultérieurement un autre test sérologique plus spécifique, la trypanolyse, au CIRDES où est basée l’équipe de l’IRD/CIRDES Centre collaborateur de l’OMS (Bobo-Dioulasso, Burkina Faso).
Image 3 : Séance de dépistage sérologique dans le village de Moli Haoussa
Source : Courtin F., 2015
13Une fiche de caractérisation des villages a été établie et administrée aux personnes ressources des villages (chefs de canton, notables, anciens) afin de recueillir des données telles que la population par village, le mode d’approvisionnement en eau, les migrations, l’élevage, les activités principales. Les coordonnées géographiques du centre de chaque localité visitée (villages, hameaux de cultures, campements) ont été relevées à l’aide du Global Positioning System (GPS).
14Ce questionnaire avait pour but de recueillir les informations sur les sites de piégeage des glossines (coordonnées géographiques), le nombre et les espèces de mouches tsé-tsé capturées. La durée de piégeage variait entre 3 et 5 heures. Selon les localités, 1 à 2 pièges étaient posés par site de capture généralement au niveau des bas-fonds à proximité des cours d’eau (image 4). Le choix de ces espaces repose sur le fait qu’ils constituent des lieux offrant des conditions idéales (humidité, température, ombrage, nourriture) pour les glossines en zone de savane.
15Les pièges ont donc été posés uniquement dans les espaces qui répondent à ces critères. Le but étant de vérifier la présence des mouches tsé-tsé dans les localités de la zone d’étude.
Image 4 : Pose de piège à glossine dans le village de Samba Kouara
Source : Rouamba J., 2015
16Sur le terrain, nous avons pris les coordonnées GPS de chacune des localités visitées ainsi que des structures sanitaires. Les principales pistes reliant les villages et leurs centres de santé ont également été tracées à l’aide du GPS. Les coordonnées géographiques de ces points de piégeage ont également été relevées.
17L’ensemble des données collectées a été organisé dans une base de données géoréférencées afin d’effectuer des requêtes et d’établir une cartographie thématique à l’aide du logiciel Qgis 2.18. La corrélation des différentes variables épidémiologiques, géographiques et entomologiques, a permis de sélectionner les villages qui apparaissent comme les plus à risque de THA.
18Pendant la période coloniale, la présence de la THA dans le Sud du Niger a été signalée par les médecins coloniaux dans leurs différents rapports. Ainsi la présence de la maladie est signalée à Boumba (Gouzien, 1908) et aussi dans le canton de Torodi (cercle de Say) en 1931. Au cours des années 1920, la THA est fortement soupçonnée d’être la cause de la disparition de nombreux villages dans la région de Say (18 villages disparus entre 1926 et 1929). Il en est de même dans le canton voisin de Kirtachi dont le nombre de villages est passé de 26 à 11 dans la même période. Tous les villages sédentaires riverains du grand fleuve Niger, entre Say et le confluent de la Mékrou, et tous les villages de pêcheurs de la même région, sont plus ou moins affectés (Jamot, 1933). Après l’indépendance du Niger, très peu de cas de THA sont dépistés et la région touchée reste celle de Say (Challier, 1967).
19Les écrits confirment la présence des glossines dans le Sud du Niger. Jamot signalait leur forte densité dans la région du parc du W qui va de Kirtachi au confluent de la Mékrou (Jamot, 1933). Cependant la lutte anti-vectorielle menée contre les glossines dans les années 1960, 1970 le long du fleuve Niger, a eu un impact sur la distribution des glossines au Niger (Laveissière&Mondet, 1973). D’après les dernières enquêtes entomologiques effectuées par le Ministère de l’élevage du Niger dans le cadre de la Pan AfricanTse-tse and Trypanosomiasis Eradication Campaign (PATTEC, 2014), les glossines ne se trouvent plus qu’à proximité des cours d’eau pérennes (la Tapoa, la Mékrou et une portion du fleuve Niger) caractérisées par une forêt-galerie conservée.
20En 2015, au Sud du Niger, de nombreux villages, jadis affectés, ne se trouvent plus dans l’aire de distribution des glossines. L’espace de vie des glossines a connu une régression du fait des évolutions climatiques (sécheresses des années 1970), des défrichements intensifs liés à l’augmentation des densités de populations humaine et animale domestique (Courtin et al., 2009 ; Courtin &Guengant, 2012).
21Dans notre zone d’étude, plusieurs villages sont situés à proximité des cours d’eau et leurs habitants fréquentent les galeries forestières et les aires protégées (espace de prédilection des glossines) pour leurs activités (agriculture (image 5), pêche, chasse, etc.). Ces localités ont été identifiées et visitées sur le terrain, notamment lorsqu’elles se situaient dans un foyer historique et dans l’aire de distribution actuelle des glossines.
Image 5 : Stockage d’épis de mil dans un grenier à Yaragombel
Source : Courtin F., 2015
22Au total 7 structures de santé majeures (2 hôpitaux de district, 5 centres de santé intégrés) ont été visitées (carte 1). Le personnel soignant composé de médecins (8), d’infirmiers (50), de sages-femmes (15) a été informé et sensibilisé sur la THA (tableau 1).
Tableau 1 : Répartition du personnel soignant dans les formations sanitaires
23En termes d’équipements, seuls les deux hôpitaux de district (Say et Birni Gaouré) disposent de laboratoires où on n’enregistre que 4 microscopes et 2 centrifugeuses fonctionnels. Aucun dispositif particulier pour le dépistage de la THA n’a été trouvé dans les formations sanitaires. Pourtant le risque de la maladie existe car des cas suspects sont identifiés (TDR positifs) et d’Anciens Trypanosomés (AT) vivent dans la zone de même que les glossines. La prise en compte de tous ces éléments nous permet d’identifier des villages à haut risque de THA dans le Sud du Niger.
24Vingt-huit (28) villages représentant une population totale estimée à 24 000 habitants ont été visités. En témoignent les résultats des tests de dépistage rapide réalisés dans les villages visités afin de dépister des malades de THA (tableau 2).
Tableau 2 : Résultats par sexe du test de dépistage rapide dans les villages visités
25Dans les 28 villages visités, 384 TDR ont été effectués, dont 12 se sont révélés positifs (séroprévalence de 3%). L’âge moyen de la population totale examinée est de 40 ans. On note 3,41% de TDR positifs chez les femmes examinées contre 2,99% chez les hommes. Cependant il n’y a pas de différence significative selon le sexe.
26Sur les 12 TDR positifs, aucun n’a répondu positivement au test de la trypanolyse effectué ultérieurement au CIRDES. Aucun trypanosomé n’a été dépisté. Un TDR positif signifie que la personne examinée est « suspecte ». A ce stade, on ne peut pas affirmer qu’il est malade ou pas. Un examen complémentaire (trypanolyse) est nécessaire pour tenter de mettre en évidence le parasite. Si ce test est négatif, l’individu est déclaré exempt de THA.
27Il est à noter que deux AT dépistés dans les années 1960 ont été examinés lors de la visite du village de Dolè (situé au bord du Niger à une vingtaine de kilomètres au Sud de Say). Ces 2 personnes sont négatives au TDR et à la trypanolyse. La douzaine de TDR positifs proviennent de 10 villages situés en périphérie des espaces protégés et/ou le long du fleuve Niger (Carte 2).
28Les villages de Windi Boula et de Maoré Kouara (deux villages voisins situés respectivement à proximité du fleuve Niger et du parc du W), sont les localités où l’on enregistre le plus grand nombre de TDR positifs (soit 2 par village). La répartition spatiale des villages avec des TDR positifs ainsi que celle des centres de santé existants dans la zone, laisse entrevoir un faible accès aux soins en général et une insuffisance en matière de prise en charge des cas de THA en particulier.
Carte 2 : Résultat du dépistage rapide dans les villages visités
Source : Enquêtes terrain, 2015 ; Conception : Rouamba J.
29Cette population constituée par les ethnies Djerma, Peul, Gourmantché et Haoussa, pratiquent des activités diverses dont les plus importantes sont l’agriculture (mil et riz), l’élevage (bovins), la pêche, la chasse, le récolte du miel, la coupe du bois. Ces activités se pratiquent souvent en bordure des cours d’eau (Image 6) ou en périphérie des aires protégées où la faune sauvage est encore présente (buffle, cob defassa, éléphant, lion, cob de buffon (image 7), etc.).
Image 6 : Paysage de rizières aux abords du fleuve Niger
Source : Rouamba J., 2015
30Ces espaces offrent des conditions idéales pour les glossines et favorisent le contact homme/glossine, surtout que la majorité de cette population vit à proximité des cours d’eau et de ces aires protégées. De plus les populations s’approvisionnent en eau au niveau des bas-fonds (trous d’eau, sources, puits) où elles peuvent donc entrer en contact étroit avec les glossines.
Image 7 : Jeune cob de Buffon
Source : Courtin F., 2015
31Par ailleurs les populations de la zone d’étude se déplacent en direction de pays frontaliers endémiques de THA comme le Tchad et la Côte d’Ivoire, mais aussi vers le Bénin, le Nigéria, le Togo, le Burkina Faso et le Ghana. Cette mobilité de la population accroit le risque d’introduction de la THA dans la zone à partir de ces zones endémiques, mais le risque de transmission reste malgré tout localisé au niveau des aires protégées, le long des cours d’eau où subsiste des populations de glossines. Officiellement, l’activité humaine est interdite ou très réglementée dans ces espaces protégés, ce qui devrait limiter le contact homme/glossine, mais la réalité semble plus complexe.
32Au total 24 pièges à glossines ont été posés dans 20 villages. Cinquante deux (52) glossines ont été capturées dans le parc du W au niveau de la forêt-galerie de la Mékrou et de la Tapoa. Aucune glossine n’a été capturée le long du fleuve Niger. Une seule espèce de glossines a été capturée. Il s’agit de Glossina tachinoides. Le site où le plus grand nombre de glossine a été capturé (15) se trouve dans un bas-fond près du village de la Tapoa (carte 3).
Carte 3 : Répartition des sites de piégeage et des glossines capturées
Source : Enquêtes terrain, 2015 ; Conception : Rouamba J.
33Les 10 villages avec des cas de TDR positifs affichent des caractéristiques géographiques qui les confortent dans leur niveau de risque, tels que la migration vers la Côte d’Ivoire et/ou le Tchad, la pratique de la pêche et de la riziculture. La proximité de galeries forestières ou d’aires protégées (espaces de vie des glossines), la mobilité quotidienne des populations, la présence de glossines, sont autant de facteurs communs à ces villages qui permettent de les identifier comme étant à haut risque de THA. Les villages qui ne répondent pas à ces caractéristiques n’ont pas été retenus car ne présentant pas de risque élevé de transmission de la THA.
34Bien qu’aucun TDR n’est apparu positif dans le village de Boumba, ce dernier s’ajoute à la liste car présentant un risque environnemental élevé de transmission de la THA. En effet, ce village, situé juste en face de la confluence de la Mékrou, rivière avec glossines, possède un marché commercial très attractif qui coiffe une grande partie de la zone. C’est donc un grand centre de brassage de populations d’origines diverses. Au total 11 villages sont identifiés comme étant les plus à risque d’héberger un cas de maladie du sommeil (tableau 3).
Tableau 3 : Liste des villages à risque de THA
35Les 11 villages à risque de THA ont donc fait l’objet d’une prospection médicale qui a permis d’examiner 2500 personnes sur une population totale estimée à 9691 habitants. La prospection médicale repose sur une approche différente de celle de l’enquête rapide avec l’utilisation de TDR, qui consiste à examiner un échantillon de personnes (384 tests effectués) sélectionné parmi celles qui ont des pratiques qui les exposent au risque de la THA (pêche, maraichage, riziculture, mobilité vers des régions endémiques). Pour la prospection médicale, qui vise toute la population de chaque village, les personnes examinées sont celles qui se présentent à l’équipe médicale le jour de la prospection. Les 2500 personnes examinées sont donc celles qui sont venues à la prospection organisée dans les 11 villages sélectionnés. La prospection médicale engage une équipe pluridisciplinaire composée de 10 à 15 personnes et le test réalisé n’est plus le TDR mais le Card Agglutination Test for Trypanosomiases (CATT). Ce test consiste à mettre en évidence la présence d’anticorps de trypanosome dans le sang. Si le CATT est positif (l’individu est alors un « suspect »), des examens des sérums biologiques au microscope, après centrifugation, sont faits afin de tenter de mettre en évidence la présence du trypanosome dans les fluides biologiques (sang, suc ganglionnaire, liquide cephalo-rachidien). Une personne n’est déclarée malade que si et seulement si, le parasite a été formellement identifié dans les fluides biologiques. Sur l’ensemble des personnes examinées, aucun malade de THA n’a été confirmé au laboratoire même si au total 55 cas de CATT positifs ont été identifiés au cours de la prospection médicale. Aucune de ces personnes n’a été déclarée malade de THA, car le trypanosome n’a pas été mis en évidence dans les fluides biologiques et le test de la trypanolyse s’est révélé négatif.
36L’approche méthodologique présentée dans ce travail est une démarche classique utilisée en géographie, mais qui s’est effectuée dans un contexte particulier, c’est-à-dire dans le cadre la mise à jour des connaissances sur la Trypanosomiase Humaine Africaine au Niger. Le processus d’identification des villages s’appuie sur un faisceau de facteurs géographiques, historiques, entomologiques et épidémiologiques.
37Les 28 villages visités sont tous situés dans des espaces plus ou moins à risque. Cependant le risque de la maladie n’est pas homogène pour tous ces villages au regard des facteurs impliqués dans la transmission de la THA. La combinaison des différents facteurs a permis d’identifier 11 villages les plus susceptibles d’héberger un cas de THA.
38L’identification des espaces à risque de THA situés le long des cours d’eau et des aires protégées est un fait déjà rapporté dans des études antérieures. En effet une étude réalisée dans la boucle du Mouhoun au Burkina Faso a montré qu’en zone de savane (le cas au Niger) les espaces à risque se situent au niveau des galeries forestières aux conditions favorables pour la survie des glossines (Rouamba et al, 2009). Ce même constat a été fait dans d’autres pays de la bande soudano-sahélienne, notamment au Mali et au Niger (Challier, 1968 ; Challier, 1971).
39La particularité pour la présente étude se situe au niveau de la démarche proposée, multidisciplinaire, avec une forte consonance historique et géographique. A partir de données sur l’historique de la THA au Niger, le réseau hydrographique, le peuplement et la répartition des glossines, des localités ont été sélectionnées et visitées afin d’établir une liste de villages susceptibles d’héberger un cas de THA. L’identification des Villages à Risque de THA est une technique innovante mise en place par l’équipe de recherche de l’IRD et ses partenaires du Sud (programmes nationaux de lutte contre la THA, institutions de recherche). Elle a l’avantage de circonscrire la zone d’étude permettant ainsi une meilleure utilisation des ressources allouées à la lutte contre la maladie du sommeil dans un contexte de raréfaction des ressources financières. C’est une méthode qui a déjà été appliquée au Burkina Faso, en Guinée, au Tchad, au Sénégal, en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire (dans ce dernier pays, IVR est intégrée dans le protocole national d’élimination de la THA).
40La prospection médicale qui a suivi l’identification des villages à risque n’a mobilisé que 26% de la population totale des villages sélectionnés. Cela traduit la difficulté des équipes médicales à toucher les populations lors des campagnes de prospection. La mobilité des populations, ainsi que leur refus de participer aux opérations de dépistage, sont des facteurs limitant, identifiés lors d’études antérieurs sur la THA (Rouamba, 2011). Cette situation ne permet pas d’avoir une situation claire de la présence de la maladie. L’absence de malades dans les 11 villages (présentant les conditions favorables au développement de la THA) ne signifie pas une insuffisance dans la méthode ayant abouti au choix de ces villages. Elle traduit plutôt une faiblesse de la transmission de la THA. En effet s’il n’y a pas eu de malades dans ces villages à haut risque de THA, il est donc très improbable d’en trouver dans les autres localités. Ainsi donc, il n’est pas nécessaire d’entreprendre des campagnes de dépistage assez coûteuses dans l’ensemble des localités de la zone. Il serait plutôt indiqué de renforcer les ressources humaines et matérielles des structures fixes de santé des zones identifiées comme à risque. L’étude a montré que de nombreux agents de santé de la zone ne connaissent ni les signes cliniques de la maladie, ni les méthodes de dépistage. Ce constat interpelle donc les autorités sanitaires quant au renforcement des structures de soins et à la sensibilisation des populations vivant dans ces espaces à risque, en vue d’atteindre, un jour, l’élimination de ce fléau du passé.
41Ce travail qui a mis en exergue une approche méthodologique nouvelle, a permis d’identifier les villages les plus à risque de THA dans le Sud du Niger. A l’issue de la prospection médicale menée dans ces villages identifiés comme les plus à risque, une surveillance épidémiologique de la THA intégrée au système national de surveillance devrait être mise en place au niveau des sites sentinelles qui apparaîtront les plus appropriés, dans une perspective d’élimination durable de la maladie.
42Nous remercions l’ensemble des autorités administratives nigériennes rencontrées lors de cette mission pour leur constante disponibilité. Nous sommes très reconnaissants envers le Représentant de l’IRD au Niger, le Pr. Oumarou Malam Issa, pour son implication effective dans l’organisation de cette mission, ainsi qu’à Monsieur Laurent Bonneau, Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Niger, pour le soutien logistique apporté. Nos plus sincères remerciements vont également à l’endroit du Dr. Diarra Abdoulaye (OMS, Afro), pour son soutien dans les démarches administratives au Niger et ses conseils sur la THA. Nous remercions le Dr. Jean-Paul Moulia-Pelat, Expert Technique International de l’Ambassade de France au Niger, pour l’attention qu’il a su porter à nos travaux et pour nous avoir mis en contact avec les personnes ressources (Dr. Oukem Odile, Directrice et Monsieur Idi Issa, gestionnaire des données) du Centre de Recherche Médicale et Sanitaire (CERMES).