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Dossiê Dinâmicas Territoriais e Gestão de Políticas Públicas

Mettre en place une politique de lutte contre le changement climatique en aire métropolitaine : le cas de la Région du Grand ABC au Brésil

Implementar uma política de combate às mudanças climáticas em uma região metropolitana: o caso da região do Grande ABC no Brasil
Implementing a policy to fight climate change in a metropolitan area: the case of the Greater ABC Region in Brazil
Julie Bideux
Traduction(s) :
Implementar uma política de combate às mudanças climáticas em uma região metropolitana: o caso da região do Grande ABC no Brasil [pt]

Résumés

Les gouvernements locaux sont récemment apparus comme un niveau d’action important de lutte contre le changement climatique. Il devient donc nécessaire d’étudier quels sont les facteurs favorisant une action sur le sujet, et comment celle-ci est mise en place. A travers le cas de la Région du Grand ABC dans la Région Métropolitaine de São Paulo au Brésil, on peut analyser la construction d’une politique climatique, qui c’est faite en zone métropolitaine, par des villes petites et moyennes, et à travers la coordination d’un Consortium inter-municipal. Plus particulièrement, on voit comment les circonstances de mise à l’agenda de la lutte contre le changement climatique – des acteurs, institutions, niveaux de gouvernements ou secteurs impliqués - influencent la manière dont cette politique est mise en œuvre. Cela permet ainsi d’identifier en partie l’origine de problèmes d’institutionnalisation de la problématique, ou de répartition inégale des bénéfices du processus entre municipalités et secteurs.

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Texte intégral

1Le changement climatique parait aujourd’hui être le principal problème du XXIe siècle, en grande partie parce qu’aucune solution politique universelle ne semble avoir été identifiée. Ainsi, si le fonctionnement de ce phénomène est étudié et compris depuis la fin des années 1970, après près de 40 ans de discussion puis d’action politique aux niveaux national et international, ces efforts ne paraissent pas pour l’instant avoir d’effets tangibles sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales ou les pratiques qui en sont responsables (WRI, 2017).

2Plusieurs auteurs travaillant sur les politiques climatiques, estiment que la lutte contre le changement climatique doit être menée en grande partie à l’échelon local, c’est à dire au plus près de l’origine du problème et de là où ses effets sont sentis (Bulkeley et Newell, 2015 ; Ostrom 2009). Les gouvernements locaux ont en effet généralement autorité sur la planification de l’usage du sol ou de la gestion des déchets et ont souvent un rôle important sur des questions liées aux transports et à la consommation d’énergie (Betsill et Bulkeley, 2006). Le niveau local apparaît également comme un relais privilégié pour diffuser les politiques climatiques auprès des citoyens et inclure cette préoccupation dans le quotidien des territoires (Bertrand, Rocher et Mele, 2007). Il s’agit enfin d’un niveau favorisant les innovations pouvant ensuite être répliquées sur d’autres territoires et à d’autres échelles.

3Aujourd’hui, les gouvernements locaux traitant des questions climatiques restent cependant une minorité, composée principalement de capitales et métropoles. Ces villes majeures ou pionnières sont généralement le focus des travaux sur les politiques climatiques locales au détriment du reste des espaces urbains. Dans ses travaux sur le périurbain des métropoles états-uniennes Hari Ofosky met cependant en évidence la nécessité de traiter de l’action climatique des villes petites et moyennes en périphérie des grands centres urbains (Ofosky, 2015). Ces villes moins importantes ont plus de difficultés à mettre en œuvre des politiques climatiques, par manque de moyens économiques et techniques, mais également dans la mesure où des motivations politiques comme le désir de mettre en place des actions pionnières sont des facteurs de décision moins importants (Sippel et Jenssen, 2009).

4On peut également se demander quelle est l’importance des caractéristiques locales des territoires dans la mise à l’agenda de la question climatique. Pour prendre le cas des espaces urbains, ceux-ci produisent de 60 à 80% des émissions globales de CO2 (Stern, 2007 : 457) tout en ayant des vulnérabilités particulières au changement climatique. Ainsi dans la mesure où le changement climatique exacerbe les dysfonctionnements qui y existent, la densité de l’implantation humaines et des activités créent l’existence d’un risque, notamment à travers les pics de chaleur associés aux pics de pollution et les crues.

5L’étude de cas que nous avons menée porte sur la mise en place d’une politique de lutte contre le changement climatique dans la Région du Grand ABC par le Consortium du même nom. Cette région regroupe sept villes du sud-est de la Région Métropolitaine de São Paulo (carte 1). Elle se situe dans l’Etat de São Paulo et rassemble une population de 2.702.071 habitants sur 828 km2, les villes la composant comptant de 811.489 habitants pour São Bernardo en 2014, à 47.731 pour Rio Grande da Serra. En 2016 a été adopté un plan d’actions de lutte contre le changement climatique par le Consortium, une institution de coopération intermunicipale, en partenariat avec les municipalités de la région et l’ICLEI, une association transnationale travaillant sur les politiques environnementales locales. Ce plan a été conçu à la suite de la réalisation d’un inventaire des émissions de GES du territoire, et doit être encore mis en œuvre à travers des lois municipales par les villes membres. Cependant à la suite des élections de 2016, la retranscription des mesures du plan au niveau municipal a été stoppée, et la mise en œuvre du plan fortement ralentie.

Carte 1 – Les municipalités du Grand ABC

Carte 1 – Les municipalités du Grand ABC

6L’ambition principale de cet article est ainsi de déterminer comment la lutte contre le changement climatique a été mise à l’agenda dans le Grand ABC, puis d’expliquer les raisons de la non mise en œuvre de la politique résultant de ce processus. On essaie de d’identifier (1) quels sont les facteurs ayant contribué à la mise à l’agenda de la question climatique dans cette région, plusieurs villes n’ayant pas un profil favorisant leur action sur cette question (Hoppe et al., 2016) et (2) comment ce processus de mise à l’agenda influence la manière et surtout la réussite de la mise en œuvre d’une politique climatique. C’est à dire, dans quelles conditions des villes petites et moyennes, situées en périphérie d’une zone métropolitaine sont-elles à même de développer une politique de lutte contre le changement climatique.

7Les résultats de cet article proviennent d’un mémoire rédigé sur le même sujet d’une étude de cas de la construction de la politique climatique de la Région du Grand ABC. La méthodologie adoptée pour répondre à cette problématique a été dans un premier temps d’analyser le contexte politique dans lequel se sont inscrits la politique climat du Consortium, à partir d’une analyse des textes législatifs en vigueur, et de documents trouvés en ligne, sur les sites des municipalités, du Consortium, de l’Etat de São Paulo et du Ministère de l’Environnement du Brésil. Cette analyse a été complétée à l’aide de textes académiques portant sur les politiques environnementales et climatiques brésiliennes, et d’informations obtenues en entretien. Dans un second temps, nous avons mené une série de 14 entretiens semi-directifs au sujet de la mise à l’agenda du sujet climatique sur le territoire et le développement de l’inventaire et du Plan Climat du Consortium, et auprès de 20 décideurs politiques, acteurs administratifs et techniques, chercheurs, ayant évolué au sein des municipalités du Grand ABC, du Consortium et de l’ICLEI. Ces entretiens ont porté sur l’apparition du sujet de la lutte contre le changement climatique dans le Grand ABC, les actions et politiques en lien déjà menées sur le territoire, les acteurs décisifs dans le processus de construction d’une politique régionale, et enfin des réalisations et des difficultés rencontrées.

8Nous verrons ainsi dans une première partie quels facteurs ont été décisifs dans la mise à l’agenda de la question climatique dans le Grand ABC puis dans une seconde partie, comment ces mêmes facteurs ont influencé la mise en œuvre de la politique découlant du processus.

Une mise à l’agenda partiellement faite à partir de la prise en compte des vulnérabilités du territoire

9La question climatique a été mise à l’agenda entre 2012 et 2015, menant en 2016 à la réalisation d’un inventaire des émissions de GES et d’un plan d’action climatique régional. Cette mise à l’agenda s’est faite en plusieurs temps et selon différents rythmes : le sujet est apparu en filigrane dans les discussions sur la construction d’une politique régionale de gestion des risques, puis un Plan Climat a été construit durant ce que João Ricardo Guimarães Caetano, alors coordinateur du Consortium appelle une « très courte période de félicité », une fenêtre d’opportunité selon le modèle de Kingdon.

10Le schéma de la fenêtre d’opportunité est utilisé pour modéliser le phénomène de la mise à l’agenda d’un problème public. Il suppose qu’un problème ne peut donner lieu à une politique publique que lors de la superposition de trois courants : le courant des problèmes à résoudre politiquement, le courant des solutions : des bases de politiques potentielles, portées par des porteurs de cause.Enfin le courant politique, par rapport au calendrier propre à la vie politique Les porteurs de cause ou entrepreneurs politiques sont des individus qui investissent des ressources et leur capacité politique pour promouvoir une solution politique, en la couplant à un problème existant ou en en offrant une interprétation ou une traduction pertinente.

11Dans le cas de la politique climatique du Grand ABC, l’alignement de ces courants est également favorisé par le soutien politique important dont le sujet a bénéficié. Ce soutien a toutefois disparu avant la fin de la mise en œuvre de la politique, remis en cause à la suite des élections de 2016. Dans le cas étudiés, plusieurs autres facteurs ont eu de l’importance dans la mise à l’agenda de la question climatique.

12Les acteurs rencontrés mentionnent notamment les liens entre cette question et les problèmes environnementaux pré-existants sur le territoire, les bénéfices économiques pouvant découler de la mise en œuvre d’une politique climatique, le soutien insuffisant des niveaux national et estadual ou le rapprochement avec des réseaux comme l’ICLEI ou l’ANAMMA. On retrouve dans le Grand ABC un ensemble de facteurs identifiés dans la littérature sur les politiques climatiques locales comme influençant la prise d’initiative des acteurs à ce niveau. Leur action, bien qu’inscrite sur un territoire, dépend ainsi des sphères d’influence régionale, nationale, internationale et ils peuvent rencontrer plusieurs obstacles relatifs à des questions politiques, institutionnelles, économiques, culturelles, etc. (Sippel et Jenssen, 2009)

Le changement climatique, un problème public dans le Grand ABC ?

13Un élément généralement retrouvé dans l’ensemble des discours des acteurs rencontrés est la difficulté à rattacher la lutte contre le changement climatique aux préoccupations des villes. Un effort particulier a ainsi été fait lors de la mise à l’agenda de la question climatique dans le Grand ABC pour mettre en évidence un lien indirect avec les politiques existantes et l’amélioration de la qualité de vie des habitants.

14Cette difficulté se retrouve toutefois de manière assez inégale dans les différentes municipalités selon les compétences qu’elles assument et leur qualité de leader dans la région. Ainsi les acteurs représentant les villes de Santo André et São Bernardo décrivent assez spontanément les liens faits entre le changement climatique et les actions qui sont ou ont pu être menées dans leur commune : politique d’arborisation et de récupération de la forêt, de diminution des pollutions, de gestion des risques ou de prévention des îlots de chaleur. Il s’agit en effet de deux villes ayant une politique environnementale très développée : São Bernardo a mis en place des actions sur les transports publics, une cartographie des îlots de chaleur ou le recyclage.Tandis que Santo André, par le biais de son service municipal de l’eau, de l’assainissement basique et des infrastructures (Semasa), a de l’expérience dans la mise en œuvre d’actions environnementales intégrées entre secteurs. Il a été le lieu d’expérimentations sur la gestion des risques, ensuite diffusées à l’ensemble du Consortium.

15Ces villes, d’où proviennent les premières réflexions sur un traitement du changement climatique dans le Grand ABC, représentent la majorité du territoire et de la population de la région. Elles sont aussi les plus émettrices en CO2 et autres polluants (Santo André et Sao Bernardo représentant 63% des émissions de la région) (carte 3). Le Grand ABC est en effet un territoire très industrialisé, mais qui comporte une vaste zone de protection et récupération écologique autour du réservoir du Billings (carte 2), traversant la zone sud de la région. Dans cette zone protégée, la législation restreint durement le développement de l’activité industrielle et l’étalement urbain. Rio Grande da Serra au contraire est la ville émettant le moins d’émissions de la région, mais également la plus vulnérable économiquement et disposant du moins de ressources pour développer des politiques environnementales (cartes 3 et 4). Rio Grande da Serra, Ribeirão Pires, et Mauá ou Diadema, pour différentes raisons, sont généralement les municipalités les plus vulnérables au changement climatique (carte 5), l’indice agrégé de vulnérabilités aux événements climatiques dépendant des vulnérabilités socioéconomiques, démographico-urbaines et sanitaires (Valverde, 2017). C’est également dans ces trois premières villes où les techniciens s’étaient moins approprié la thématique et ont par la suite participé de manière moins active aux travaux sur le sujet au sein du Consortium, tandis que Diadema s’est retiré des projets du Consortium en 2017.

16Si certains acteurs font remonter le début de la mise à l’agenda de la question climatique assez tôt dès le début des années 2010, celle-ci s’est faite de manière non-linéaire et le sujet n’a été traité comme tel qu’à partir de 2015. Des sujets comme la gestion des déchets ou des transports, ayant des conséquences environnementales - gestion intégrée et intermunicipale des déchets, amélioration de la gestion des transports publics - sont alors traités au niveau régional. Cependant, leur lien avec la lutte contre le changement climatique ne sera fait qu’a posteriori. Le rapprochement aurait au contraire été fait à travers la question de la gestion des risques, dans une région très vulnérable suite aux phénomènes d’expansion urbaine non contrôlée et dans un contexte d’augmentation des précipitations (Nogueira et De Oliveira, 2014). Des acteurs très impliqués dans le sujet, font le lien entre cette préoccupation et celle de l’adaptation au changement climatique : dans un effort de sensibilisation sera ainsi publié un dossier consacré dans le journal interne du Semasa, et organisé un séminaire régional sur la gestion des risques et le changement climatique.

17Organisé en 2015, il s’agit d’une des premières étapes de la mise à l’agenda formelle de la question climatique à l’échelle du Grand ABC. Cependant au long de l’année, un changement de perspective aura lieu sur ce sujet, son traitement passant d’une recherche de solutions au problème public de vulnérabilité du territoire, à celle d’une recherche d’opportunités politiques et économiques. On peut alors observer une transition entre des acteurs moteurs techniciens à des acteurs politiques, inquiets notamment du rayonnement de la région. Selon plusieurs acteurs ayant participé au processus, les arguments utilisés pour convaincre les préfets des villes de la région sont de donner un cadre pour tenter de résoudre des problèmes environnementaux, développer une politique régionale exemplaire, et obtenir des ressources internationales pour monter des projets nécessaires localement. En effet, à ce moment, les municipalités brésiliennes, et notamment du Grand ABC, sont confrontées à des difficultés pour capter des ressources financières pour leurs projets. Produire un inventaire des émissions de GES et participer à un réseau transnational comme l’ICLEI leur donne au contraire l’opportunité d’obtenir des financements.

Carte 2 - Le Grand ABC et l'Aire de protection et de récupération écologique du Billings (APRM)

Carte 2 - Le Grand ABC et l'Aire de protection et de récupération écologique du Billings (APRM)

Source : Secrétariat de l’Environnement de l’État de São Paulo

Carte 3 - PIB par habitant des municipalités du Grand ABC (en R$ par habitant) 

Carte 3 - PIB par habitant des municipalités du Grand ABC (en R$ par habitant) 

Source : IBGE

Carte 4 - Emissions de GES par habitant des municipalités du Grand ABC

Carte 4 - Emissions de GES par habitant des municipalités du Grand ABC

En tonnes d’équivalent CO2 par an par habitant

Source : Consortium du Grand ABC, 2016

Carte 5 - Indice agrégé de vulnérabilité aux événements climatiques des municipalités du Grand ABC

Carte 5 - Indice agrégé de vulnérabilité aux événements climatiques des municipalités du Grand ABC

Source : Valverde, 2017

Une politique plus ou moins impulsée aux niveaux national et transnational

18Dans le régime constitutionnel en vigueur depuis 1988, les villes brésiliennes disposent de beaucoup de compétences sur les questions environnementales, mais n’ont pas toutes les moyens nécessaires pour les assumer (Scardual et Bursztyn, 2003). Les plus petites villes dépendent ainsi beaucoup des ressources, indications et incitations des niveaux fédéral et estadual, alors que dans le cas de la lutte contre le changement climatique, cette coordination est peu consolidée, voire inexistante.

19La mise à l’agenda de lutte contre le changement climatique s’est faite assez récemment au Brésil, à la suite du dévoilement d’objectifs chiffrés de réduction des émissions de GES lors du Sommet de Copenhague en 2009, puis de la production d’une politique nationale la même année. Cette politique est adoptée à la suite d’un long processus, marqué par la prise d’importance du sujet lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2010 avec la candidature de la sénatrice Marina Silva pour le Parti Vert (PV), et l’approbation par la ville de São Paulo puis l’Etat de São Paulo en juin et novembre 2009 de deux lois sur le changement climatique, définissant des objectifs précis de réduction des émissions (Viola, 2010). Pour retranscrire les ambitions du pays, la politique nationale est mise en œuvre à travers des plans sectoriels, consacrant notamment des ressources importantes à la lutte contre la déforestation. La loi instituant cette politique propose également d’inclure les actions menées par des Etats et municipalités, qui doivent être incitées et appuyées. Cependant dans les faits, les actions à cette échelle ne sont pas intégrées ou diffusées dans d’autres municipalités ou à d’autres niveaux.

20Sur la question climatique, l’Etat de São Paulo ne maintient pas directement de relations institutionnelles stables avec les municipalités du territoire. Le principal lien entre celles-ci et l’Etat de São Paulo sur le sujet est le Programme Município Verde-Azul de celui-ci, un outil visant à favoriser le développement de mesures environnementales par les municipalités de l’Etat. Les villes obtenant une note suffisante reçoivent notamment l’opportunité de recevoir des financements d’un Fonds Estadual. Ce programme crée un espace de discussion entre l’État et les municipalités, et leur fournit une incitation, voire un guide pour mettre en œuvre une politique environnementale minimale. La question climatique n’occupe cependant qu’une place limitée dans les actions préconisées par l’Etat : en 2015 une action proposée mentionne directement l’adaptation au changement climatique, mais dans les autres cas, le lien est seulement indirect, à travers le sujet de la qualité de l’air ou l’arborisation urbaine.

21Plusieurs acteurs interrogés dans le cadre du mémoire de master cité ont également mentionné qu’une des raisons à l’initiation d’un travail sur la lutte contre le changement climatique fut l’ambition de traiter d’un sujet important du moment. En 2015, il s’agit en effet d’une question d’actualité, le gouvernement brésilien devant renouveler ses engagements de 2009 lors de la COP21. Dans le cas de la politique climatique du Grand ABC, l’influence des gouvernements aux échelles nationale et estaduale correspond, toutefois, davantage à un effet d’entraînement qu’à une coordination véritable entre les niveaux, puisqu’il n’existe aucune forme directe de soutien institutionnel sur le sujet.

22Face à ces problèmes de coordination entre niveaux de gouvernement, la mise à l’agenda de la question climatique a beaucoup reposé sur la sensibilisation à cette problématique des acteurs locaux dans des réseaux comme l’ANAMMA ou l’ICLEI. L’ANAMMA est une association créée par des représentants municipaux pour réunir et représenter les municipalités brésiliennes sur les sujets environnementaux, et promouvoir la coopération et les échanges entre elles. La mission du réseau n’est pas restreinte au sujet climatique, mais il s’agit d’une thématique importante dans le contexte de la préparation de la COP21 à Paris. Au niveau international, une mission similaire est assumée par l’ICLEI qui travaille sur le développement des initiatives écologiques locales, à travers le partage d’outils de planification et monitorage climatique, le développement de projets pilotes, et en agissant comme lobby auprès des niveaux nationaux et internationaux.

23Le lien existant entre le développement de politiques climatiques locales et la participation à des réseaux de gouvernements locaux à différents niveaux est un phénomène observé par plusieurs auteurs (Betsill et Bulkeley, 2006, Newell et al., 2012). Plusieurs rôles de ces réseaux sont ainsi mis en évidence dans la littérature consacrée : sensibiliser et favoriser la mobilisation interne sur le sujet, formuler des objectifs de réduction des émissions, institutionnaliser les politiques publiques climatiques et leurs instruments, favoriser les échanges entre villes et apporter un soutien technique (Busch et al., 2018). Ainsi en 2015, les préfets du Grand ABC signent la Convention mondiale des maires pour le climat et l’énergie, un autre réseau, s’engageant à mettre en œuvre plusieurs actions de lutte contre le changement climatique. Si la Convention indique les différentes étapes à suivre dans la mise en œuvre d’une politique publique, ce n’est pas un accord contraignant. Il s’agit tout de même d’une forme d’institutionnalisation de la démarche des élus. Avant cela, plusieurs acteurs des villes et du Consortium du Grand ABC ont été sensibilisés à la question climatique, à travers leurs expériences au sein de l’ANAMMA. Ils ont pu échanger avec des acteurs moteurs sur d’autres territoires, comme l’ancien secrétaire à l’environnement de la ville de São Paulo, Eduardo Jorge, ou s’investir dans des projets à d’autres échelles, par exemple au sein des Conseils National ou Estaduaux sur l’Environnement. D’autre part, les deux villes de Santo André et São Bernardo do Campo étaient membres de l’ICLEI avant 2015, ce qui fait du réseau un lieu de sensibilisation. Les membres de l’ICLEI sont ainsi régulièrement invités à des événements d’échange sur leurs pratiques et, comme ceux de l’ANAMMA, ont accès à des ressources pédagogiques et techniques, cette dernière mettant par exemple à disposition de ses adhérents des modèles de législation municipale. L’ICLEI sera ensuite un support technique important lors du développement d’une politique climatique régionale, puisque l’organisation sera recrutée pour réaliser l’inventaire des émissions de GES de la région et un Plan d’action pour le Consortium.

Un soutien politique principalement impulsé au niveau du Consortium

24Des facteurs politiques ont enfin joué un rôle dans la manière selon laquelle la lutte contre le changement climatique a été mise à l’agenda dans le Grand ABC, influençant aussi ensuite la mise en œuvre d’une politique climatique.

25Tout d’abord, l’intervention de porteurs de la cause climatique auprès des techniciens et surtout des décideurs politiques a été essentielle dans la prise en compte de cette problématique, l’articulant comme un sujet pertinent à traiter sur le territoire. Il s’agit d’un facteur souvent mis en évidence dans la littérature : Carolyn Kousky et Stephen Schneider trouvent par exemple que l’action d’un entrepreneur politique a été déterminante pour initier une politique climatique dans 10 des 23 villes étatsuniennes de leur étude (Kousky, Schneider 2003 : 361). Dans le cas du Grand ABC, on trouve deux acteurs ayant travaillé au sein de municipalités de la région et disposant de postes de coordinateurs au sein du Consortium. Ils ont tous deux été sensibilisés au sujet au sein du Semasa et en évoluant dans des institutions en dehors du Grand ABC. Ils ont ensuite portés des propositions visant à en prendre en compte la question climatique dans les politiques municipales et régionales, tout d’abord pour l’une lors de la mise en place d’instruments de gestion des risques, puis pour les deux autour du développement d’une politique consacrée.

26La réussite de la médiation de ces deux acteurs est cependant très liée à la réceptivité des élus du Grand ABC et à un soutien politique important. Au niveau des décideurs politiques, la réalisation d’une telle politique est alors particulièrement soutenue par le préfet de São Bernardo do Campo, Luiz Marinho, ainsi que par le secrétaire exécutif du Consortium, Luis Paulo Bresciani. Cette politique semble avoir été soutenue en grande partie dans une perspective de démonstration de l’exemplarité du Consortium dans l’implémentation de politiques régionales innovantes. La structure a une histoire reconnue d’innovation institutionnelle, dans son approche intégrant échelles, secteurs et acteurs, et à travers les politiques publiques développées depuis les années 1990. Développer une politique climatique à l’échelle régionale permettrait d’être à pied égal avec d’une part les différentes métropoles et capitales d’Etats qui auraient au Brésil un monopole sur la lutte contre le changement climatique, d’autre part les gouvernements national et estadual. Un ancien coordinateur du Consortium explique qu’il s’agissait de montrer qu’il était possible et pertinent de travailler au niveau régional sur le sujet, puisque plus il existe des politiques régionales articulées, moins l’action du gouvernement estadual est nécessaire. Le Consortium cherche par ailleurs à avoir une certaine influence dans la Région Métropolitaine de São Paulo, un fait notamment visible en observant le processus d’élaboration du Plan de Développement Urbain Intégré de celle-ci, où les acteurs du Consortium tentent de faire répliquer les modes d’action pratiqués dans la région, en particulier en proposant de traiter les questions climatique ou de gestion des risques à cette échelle (Région Métropolitaine de São Paulo, 2016).

27La mobilisation autour de la mise en œuvre d’une politique climatique est également restée concentrée aux niveaux des décideurs politiques, puisqu’il n’y a pas eu de participation en amont de la population ou des acteurs intermédiaires. En consultant la presse régionale sur la période, on peut ainsi percevoir un intérêt limité sur l’environnement, et inexistant sur le changement climatique : les travaux du Consortium sur le sujet sont décrits de manière faiblement problématisée, à visée plus informative que critique. De même aucun acteur de la société civile n’a été impliqué dans le processus.

28Les municipalités du Grand ABC sont à la fois vulnérables au changement climatique et plus ou moins émettrices de GES. C’est sur ce deuxième aspect que la question est devenue un problème public sur le territoire, à travers l’action d’entrepreneurs politiques, sensibilisés au sein de réseaux extérieurs. On verra, dans une seconde partie, la façon dont les caractéristiques de cette mise à l’agenda permettent d’éclaircir les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la politique climatique du Grand ABC.

La mise en œuvre avortée de la politique climatique du Grand ABC

29Le partenariat entre le Consortium du Grand ABC et l’ICLEI a donc donné lieu en 2016 à la réalisation d’un inventaire des GES de la région et la rédaction d’un plan d’action contre le changement climatique. Une proposition de loi municipale est aussi produite, institutionnalisant ce travail. Cette dernière ne sera, cependant, pas adoptée par les villes pour deux raisons : d’une part car elle n’était pas adaptée aux particularités de chaque municipalité, d’autre part, parce que ce processus de mise en œuvre d’une politique climatique régionale est interrompu par la tenue d’élections municipales et le renouvellement majeur des élus du Grand ABC.

30Le développement de cette politique a ainsi été freiné, voire arrêté au début de sa phase d’implémentation. Nous devrons donc limiter notre analyse des ressorts de sa réalisation à l’étude de cet échec ou de ce qui a pu ou devrait être produit : l’inventaire, le plan d’actions et ses priorités, les projets de loi de certaines villes, ou les actions du Consortium. Cela nous permet tout de même de mettre en évidence deux tendances dans le processus : à une institutionnalisation limitée de la lutte contre le changement climatique au niveau municipal, et à favoriser l’implémentation des mesures d’atténuation les plus favorables aux grandes villes.

Une institutionnalisation insuffisante de la lutte contre le changement climatique

31La question climatique a pu être mise à l’agenda lors d’une « courte période de félicité », interrompue tout aussi rapidement par les élections de 2016 à la suite desquelles la majorité des personnels élus et techniques a été renouvelée. Cela met en évidence une institutionnalisation insuffisante de cette politique mais surtout de ses moyens, la réalisation des actions prévues restant dépendante de la mobilisation d’acteurs très impliqués et d’un soutien politique important. Le développement de la politique a été très limité dans le temps, ce qui conditionne la mise en place de structures et de routines permettant d’en faciliter la continuité au-delà de l’engagement de certains individus. Cependant, plusieurs autres facteurs, provenant de la manière dont le problème climatique a été mis à l’agenda et défini, influencent aussi sa mise en œuvre et l’institutionnalisation de cette dernière.

32Tout d’abord, le processus de production de l’inventaire et du plan s’était déroulé pendant le deuxième semestre 2016, coïncidant en grande partie avec la campagne électorale et limitant la participation des acteurs municipaux aux réunions de formation et de préparation du plan d’action. L’inventaire et le Plan Climat devaient être des prémisses dans le processus, permettant aux équipes techniques de s’approprier les instruments et leur méthodologie, ce qui n’a cependant pas eu de suite dans la plupart des municipalités. De plus, la grande majorité des acteurs centraux du processus, en particulier les entrepreneurs politiques, ont ensuite quitté le Grand ABC suite au changement de gestion début 2017, certains par choix, d’autres n’ayant pas été réélus ou renouvelés dans leur fonction avec le changement d’orientation politique de la région.

33L’institutionnalisation de la lutte contre le changement climatique dans la région a également été limitée parce qu’il s’agit d’un processus mené au niveau du Consortium, qui est une institution assez instable, sans pouvoir législatif et reposant beaucoup sur l’initiative des acteurs politiques. Ainsi, les acteurs moteurs ont quitté la région à la suite des élections, alors que le Parti des Travailleurs (PT), jusque là dominant dans la région, subit une défaite importante. Ce changement de tendance politique entraine une dévalorisation des travaux menés par le Consortium du Grand ABC, une institution historiquement liée au PT, tant bien même que des fonctionnaires inamovibles restent en poste et continuent à porter le Plan Climat. Le Consortium perd sa capacité d’articuler les politiques régionales, et notamment la politique climatique, alors que c’était à ce niveau que s’étaient mises en place la coordination du projet, les échanges entre les techniciens sur le sujet, et qu’était institué le contact avec l’ICLEI.

34La mise à l’agenda du sujet et la définition de la politique se sont aussi faites au niveau du Consortium, mais surtout entre décideurs politiques et acteurs techniques, la population du Grand ABC ayant été peu mobilisée. Pourtant, la participation du public peut être un facteur essentiel dans la légitimation et l’institutionnalisation d’une politique, et cela en particulier dans la mise en œuvre d’actions concrètes : en maintenant un intérêt public sur la question, en provoquant un mécanisme de responsabilisation des élus, et parfois en étant impliquées dans l’implémentation de la politique (Sippel et Jenssen, 2009).

35Enfin, la mise en place d’une politique climatique implique souvent la nécessité de penser l’intégration de celle-ci, c’est-à-dire de prendre en compte à la fois la dissémination volontaire des principes de la politique étudiée dans d’autres secteurs, et celle des possibles interférences entre différentes politiques élaborées par plusieurs structures bureaucratiques (Adelle et Russel, 2013). En effet, la nature transversale du changement climatique ne correspond pas à la manière dont les gouvernements locaux s’organisent généralement, une politique climatique nécessitant surtout des compétences et des ressources afin de coordonner des actions dans différents secteurs. Or, cela ne peut être achevé lorsqu’un sujet est uniquement pris en charge par un secrétariat à l’environnement peu doté (Bulkeley et al. 2009, p. 23). Dans le Grand ABC, la structure et l’expérience du Consortium a permis de faire échanger des acteurs des groupes de travail sur la Gestion des Risques, les Transports, la Gestion des Déchets, l’Environnement autour du développement d’une politique climatique. Le problème s’est cependant posé lors de la traduction de cet effort au niveau municipal, où l’on retrouve les modes d’organisation décrits. Il est ainsi dur de travailler à la fois intersectoriellement et sur plusieurs niveaux d’action publique, notamment parce que cela décuple les nœuds de décision et le besoin de coopération. Comme l’explique une technicienne de l’ICLEI :

« La principale difficulté a été l’articulation entre les sept municipalités. Parce que quand on travaille au niveau de la ville [on forme un groupe de travail] impliquant différents secrétariats : de l’environnement, de l’habitation, des transports... [Au niveau régional], on doit d’abord faire un groupe de travail avec toutes les municipalités et après [...] cela dépend beaucoup de l’action du technicien [municipal] lui-même, qui va devoir articuler [entre les secrétariats de la ville] ».

36Ce travail de coordination est tout de même facilité dans certaines villes par l’existence d’organismes travaillant de manière transversale sur les questions environnementales, et restant stables malgré les changements d’administration. C’est le cas du Semasa de Santo André et du Seasa de São Caetano do Sul depuis 2017. Le Semasa était jusqu’à récemment en charge de toutes les politiques environnementales de la municipalité, gérant de manière intégrée l’offre d’eau, la collecte et gestion des déchets, le drainage urbain, la gestion environnemental et des risques. Toutefois, le Semasa a récemment perdu une partie de ses compétences transférées à un Secrétariat à l’Environnement nouvellement créé, ainsi qu’au Département de la Protection Civile. Cela s’est fait dans le but affiché de donner à l’environnement une place similaire aux autres secteurs d’action publique en termes d’initiative politique, l’efficacité comparée de ces deux modes de gouvernance dans la mise en œuvre d’une action climatique restant cependant à étudier. Dans tous les cas, aujourd’hui seules les villes de Santo André et São Bernardo semblent encore avoir le projet de mener une politique climatique municipale, de deux manières différentes. Le projet de São Bernardo s’inscrit dans le long terme, à l’horizon 2025 - où plan du Consortium n’est qu’une étape - et est soutenu par une équipe technique consolidée et stable. A Santo André au contraire, un des premiers projets du nouveau secrétariat à l’environnement est de développer un plan climat cohérent avant la fin du mandat, en prenant en compte le travail du Consortium, mais également en refaisant un inventaire plus précis des émissions du territoire, et en tentant d’engager plus fortement les différents acteurs du territoire, en particulier les entreprises.

Une mise en œuvre aux bénéfices inégalement répartis :

37Outre la bonne mise en œuvre de la politique étudiée, l’institutionnalisation de la question climatique sur le territoire influence la manière dont elle est intégrée dans l’action publique en général dans la région. Dans le cas du Grand ABC, un effort a été fait pour construire le plan climat à partir des politiques déjà mises en œuvre sur le territoire, notamment sur les transports ou la gestion des déchets. On retrouve dans le document des mesures similaires à celles d’autres plans régionaux, et des acteurs travaillant sur ces thématiques ont été impliqués dans le processus (Consortium du Grand ABC, 2016b). Comme l’explique un coordinateur du Consortium :

« [le Plan Climat du Grand ABC] s’approprie les mesures d’autres politiques et plans déjà implémentés [...]. Je ne pense pas que ce soit un problème. Le problème est plutôt d’incorporer l’agenda des changements climatiques dans les politiques et les plans faits dans les municipalités ».

38Conduire une politique climatique ne signifie pas que la question du changement climatique soit intégrée en général dans les différentes politiques sectorielles quelque soit le niveau gouvernemental, ce qui devrait être l’objectif des politiques publiques de lutte contre le changement climatique.

39On a pu observer dans le Grand ABC cet effort d’intégration des politiques publiques, au sens où le Plan Climat est une agrégation d’éléments, de mesures venant de politiques sectorielles jusque là non reliées à la thématique climatique, dans une perspective de mise en cohérence d’actions alors pensées séparément. Ce phénomène d’intégration des politiques climatiques est justifié par plusieurs des personnes rencontrées comme essentiel pour investir les acteurs dans la politique climatique. C’est en effet un sujet peu compris et identifié comme prioritaire au niveau municipal, et cela d’autant plus dans les villes ayant peu de capacité technique. Construire une politique climatique à partir de mesures existantes permet de ne pas traiter d’une idée complètement nouvelle. Le traitement politique du changement climatique dépend alors des préoccupations communes et importantes sur le territoire - dans la région du Grand ABC : les transports, la qualité de l’air, et la gestion de l’eau et des déchets - d’autant plus que ces politiques sont déjà articulées et favorables telles-quelles à la lutte contre le changement climatique.

40Cependant, incorporer des mesures existantes dans une nouvelle politique climatique ne signifie pas que la thématique climatique soit incorporée de manière désectorialisée dans les politiques du territoire. Dans les faits, « climatiser » les politiques existantes conduit à favoriser certaines mesures et certains secteurs, les plus consolidés, ou pouvant conduire à un gain politique à plus court terme. Ainsi les GT du Consortium sur l’environnement et la défense civile étaient très impliqués dans le processus de la production de la politique climatique, mais un secteur comme celui des transports «gagne» finalement le plus. Il est difficile de généraliser et de tirer des conclusions à partir de l’expérience du Consortium du Grand ABC, puisque le processus de construction d’une politique climatique n’a pas complètement abouti, mais au moment de l’étude en 2018 la mise en œuvre de quelques actions est envisagée, en particulier celle de la création d’un Centre régional de contrôle et opération de la mobilité. En effet, le Consortium est alors dans le processus d’obtenir son financement à travers un programme de coopération technique de l’UE, auquel il a accédé grâce à l’inventaire des émissions de GES produit en partenariat avec l’ICLEI.

41Cette tendance à la climatisation des mesures les plus favorables économiquement, qui sont également souvent les plus favorables aux grandes villes, peut être accentuée par la méthodologie de l’ICLEI utilisée. L’ICLEI aide les gouvernements locaux à produire un inventaire et une politique climatique à l’aide d’une méthodologie d’agrégation des émissions de GES particulière, et d’un processus générique : réalisation d’un inventaire, d’un plan d’actions et d’une loi (Consortium du Grand ABC, 2016b : 15). Ces différents éléments produisent cependant des effets sur la politique résultante, en particulier dans la définition des actions à mener.

42Tout d’abord, sur le sujet du changement climatique, le suivi de l’ICLEI est principalement centré autour de la production d’un inventaire des émissions de GES, afin d’identifier la situation du territoire et les actions à mener, mais aussi car une telle étude est souvent nécessaire pour obtenir des financements internationaux. Selon la méthodologie de l’ICLEI, la réalisation d’un inventaire est systématiquement le premier pas à faire dans la production d’une politique climatique. Pourtant si un tel outil est important pour définir des domaines d’action prioritaires et pour améliorer l’action climatique d’un territoire, « les actions requises pour réduire les émissions de GES localement – augmenter l’efficacité énergétique, changer les sources d’énergie et réduire la demande d’énergie (à la fois dans les bâtiments et les transports) – sont bien connues » (Bulkeley et al. 2009, p13). De plus, le processus de création d’une politique climatique, et la formation des techniciens sur le sujet, sont centrées par rapport à la réalisation d’un inventaire. Ce cadrage a pour conséquence que la principale mission des techniciens municipaux était de récolter les informations auprès des différentes instances locales, et que l’inventaire est considéré, principalement pour les acteurs des plus petites villes, comme le centre du processus, ceux-ci n’ayant pas acquis une perception plus large et intégrée de ce qu’est la lutte contre le changement climatique.

43Cette approche centrée sur les objectifs de réduction des émissions de GES, et défendue par les institutions internationales et des réseaux comme l’ICLEI, est également assez éloignée d’une vision plus transversale de la lutte contre le changement climatique. A travers la traduction qu’en font les acteurs locaux lors de sa mise en œuvre, la politique climatique tend à mener à des actions centrées sur les avantages immédiats dont pourrait bénéficier le territoire. Cela peut poser un problème tout particulièrement pour les plus petites municipalités, dont les faibles émissions de GES ont un très faible impact sur le phénomène global du changement climatique. La politique climatique du Grand ABC, comme elle doit être développée, n’est pas particulièrement adaptée aux petites municipalités, puisque mêmes si elles bénéficient en général d’actions développées dans le cadre du Plan Climat, elles auraient surtout besoin de la mise en place d’actions d’adaptation, étant plus vulnérables au changement climatique du fait de leurs faibles ressources économiques. Au contraire, le cadrage de l’inventaire et de la politique sur les secteurs d’émissions de GES conduisent à une inclination des actions menées par le Consortium vers des efforts d’atténuation du changement climatique dans les secteurs des transports ou des déchets. Dans le plan d’action final les actions d’adaptation ne correspondent qu’à une partie sur quatre du document, et sont moins valorisées par les acteurs.

44On voit donc que le processus de mise à l’agenda influence la mise en œuvre de la politique climatique produite, en particulier en limitant l’institutionnalisation de la lutte contre le changement climatique dans la région, et en répartissant les bénéfices de la politique inégalement entre secteurs et municipalités.

Conclusion

45Plusieurs facteurs permettent de comprendre les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la politique du Grand ABC. Le fait que la mise à l’agenda ait été impulsée par la médiation de deux coordinateurs du Consortium, et par un soutien politique important de certains élus, ces acteurs ayant quitté assez rapidement la région et le processus, peut expliquer en partie le manque de continuité dans le traitement de la question climatique dans les municipalités du Grand ABC. Cela est d’autant plus accentué que la politique étudiée a été mise en place au niveau du Consortium, une institution « fragile » ayant perdu sa capacité d’articuler des politiques régionales à la suite d’un changement d’orientation politique de la région. C’était ce niveau qui s’était institué comme lieu d’échange sur la thématique et de coordination entre niveaux et secteurs, mais également comme contact avec le réseau ICLEI. Se pose le problème de la compatibilité d’une forte impulsion politique et d’une institution stable, permanente et permettant de développer une politique transversale en partenariat avec plusieurs secteurs d’action publique.

46Cette question de continuité de la politique du Grand ABC peut aussi être liée à la mobilisation insuffisante de la société civile et des techniciens municipaux. Ces derniers ont été intégrés dans le processus en grande partie lors de formation sur la méthodologie de l’ICLEI, notamment autour de la réalisation de l’inventaire des émissions de GES, un sujet technique et assez détaché des préoccupations de terrain. Ceci est d’ailleurs lié à deuxième tendance, de la répartition inégale des bénéfices de la politique climatique entre secteurs et municipalités, influencée par le poids de ces derniers lors de sa production et par la centralité de la réalisation d’un inventaire dans le processus. La faible appropriation de l’esprit du Plan Climat, par d’un côté les responsables et techniciens des plus petites villes et de l’autre les acteurs restant à la suite des élections municipales, entraine la polarisation de sa mise en œuvre sur les mesures les plus économiquement viables dans les secteurs les plus consolidés, qui sont aussi souvent liés à l’atténuation du changement climatique.

47Ainsi, plusieurs facteurs sont favorables à la bonne mise en œuvre d’une politique climatique, comme la présence d’entrepreneurs politiques porteurs du sujet et d’un soutien politique important, qui doivent cependant être stables le temps de l’appropriation du processus par un groupe d’acteurs plus large. De même, la participation voire la véritable co-construction de la politique avec la société civile et les techniciens peut faciliter l’institutionnalisation de la lutte contre le changement climatique sur le territoire. Cependant les gouvernements et réseaux traitant de la question peuvent gagner à établir des programmes d’aides aux collectivités locales différenciés selon la taille et les moyens de ces dernières. La saisie de la question climatique ayant originellement été faite principalement par des villes pionnières, les réseaux transnationaux tendent à être des « réseaux de pionniers pour pionniers » (Kern et Bulkeley, 2009 : 329), ce qui a évolué dans les dernières années. Prendre en compte cette diversité pourra ainsi favoriser une meilleure appropriation sur la durée de la thématique du changement climatique, agir plus largement sur les activités émettrices de GES, et enfin préparer plus de territoires aux effets des changements climatiques.

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Table des illustrations

Titre Carte 1 – Les municipalités du Grand ABC
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Titre Carte 2 - Le Grand ABC et l'Aire de protection et de récupération écologique du Billings (APRM)
Crédits Source : Secrétariat de l’Environnement de l’État de São Paulo
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Titre Carte 3 - PIB par habitant des municipalités du Grand ABC (en R$ par habitant) 
Crédits Source : IBGE
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Titre Carte 4 - Emissions de GES par habitant des municipalités du Grand ABC
Légende En tonnes d’équivalent CO2 par an par habitant
Crédits Source : Consortium du Grand ABC, 2016
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Titre Carte 5 - Indice agrégé de vulnérabilité aux événements climatiques des municipalités du Grand ABC
Crédits Source : Valverde, 2017
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Pour citer cet article

Référence électronique

Julie Bideux, « Mettre en place une politique de lutte contre le changement climatique en aire métropolitaine : le cas de la Région du Grand ABC au Brésil »Confins [En ligne], 39 | 2019, mis en ligne le 27 mars 2019, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/18737 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/confins.18737

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