- 1 On peut désigner le terme iconographie comme l’ensemble des illustrations ou des représentations au (...)
1Les images illustrant les manuels scolaires de géographie, et plus particulièrement les photographies, constituent l'un des recours iconographiques1 les plus utilisés par les auteurs et les éditeurs pour l'explication, par exemple, des événements mondiaux étudiés en salle de classe. Néanmoins, certaines de ces images photographiques, en même temps qu'elles aident à la construction de la connaissance géographique, peuvent également diffuser dans l'imaginaire collectif d'une société des stéréotypes liés à certains paysages urbains.
- 2 Le manuel scolaire, en France et au Brésil, est un outil de mise en oeuvre des programmes officiels (...)
2Sur ces bases, nous souhaitons conduire une réflexion autour des particularités qui imprègnent les images des villes brésiliennes dans des manuels scolaires2 de géographie utilisés dans les établissements scolaires français, mais aussi brésilien. Nous avons choisi pour cette analyse les publications destinées à la classe de cinquième, en France, et à la septième année de l'enseignement fondamental, au Brésil, des classes équivalentes si l'on compare les structures organisationnelles des systèmes d'enseignement brésilien et français. Pour ce qui est des manuels scolaires français, nous avons sélectionné de préférence ceux qui suivent les directives des programmes de 1997 et 2010, où l'on peut trouver des thèmes relatifs aux paysages urbains brésiliens. Nous nous sommes plus spécifiquement intéressés aux manuels édités par Hatier, Bordas, Magnard, Hachette et Nathan. En parallèle, au Brésil, nous avons étudié des livres édités entre 2009 et 2010 par Ática, Scipione, Saraiva, FTD et SM. Il convient donc de souligner qu'une partie importante des livres consultés aussi bien en France qu’au Brésil sont des outils d'enseignement encore en usage dans les cours de géographie.
3Dans chacun de ces livres, nous avons examiné les thèmes et les chapitres faisant référence aux paysages urbains et aux régions du Brésil dans le but de répondre aux questions suivantes : En quoi les images des villes brésiliennes publiées dans les manuels scolaires français sont-elles différentes de celles publiées dans les manuels brésiliens ? Sont-elles, de fait, un reflet de la réalité ou bien des images symboliques déjà insérées dans l'imaginaire de la population de ces deux pays, les transformant ainsi en mythe ? Ce sont ces questions qui ont orienté la mise en œuvre de ce travail de réflexion sur la médiation entre réalité et images faisant partie du quotidien des élèves dans les écoles françaises et brésiliennes.
4Le mot image possède différentes acceptions et, ne se limite pas à la signification de représentation visuelle. La diversité de ses interprétations renvoie assez fréquemment à la notion de ressemblance. C'est pour cette raison que l'image fait, depuis l'Antiquité, l'objet de nombreuses réflexions philosophiques. “[...] Platon et Aristote en particulier la combattront ou la défendront pour les mêmes raisons. Imitatrice, elle trompe pour l’un, éduque pour l’autre. Détourne de la vérité ou au contraire conduit à la connaissance [...]” (JOLY, 2012, p. 15). En d'autres termes, l'image peut ressembler à l'objet qu'elle représente et contribuer ainsi à sa connaissance ou, au contraire, confondre celui qui la regarde en raison d’apparences trompeuses et de limitations propres au sens humains.
5La grande notoriété des images dans les médias et la société contemporaine n'est en aucun cas une invention récente. Nous pouvons percevoir depuis longtemps dans la culture chrétienne des allusions à la représentation de Dieu et à son image. Dans la Bible, il est possible de trouver par exemple la phrase suivante : “Dieu créa l’homme à son image”. Dans ce cas, l’image n'est pas une représentation visuelle ; elle assume simplement la fonction d'un être qui ressemble à un autre sans pour autant constituer une copie parfaite et fidèle de la réalité.
6En ce qui concerne l'usage de photographies à des fins didactiques, il existe aussi de considérables différences entre un paysage et son image, que ce soit “le manque de profondeur et la bidimensionnalité de la plupart des images, l’altération des couleurs (mieux encore le noir et le blanc), le changement de dimensions, l’absence de mouvement, d’odeurs, de température, etc. [...]” (JOLY, 2012, p. 34). Sur ces bases, nous croyons qu'il existe dans le rapport du paysage à son image respective une limite qui s’impose à certains éléments ne pouvant être ni transposés ni perçus.
7Le processus iconographique de la géographie, selon Mendibil (1999, p. 328), “[...] crée la dualité d’un dedans et d’un dehors de la représentation par ce qu’il laisse ou retient de la perception in situ. En un sens, il sacralise ce qu’il montre et occulte ce qu’il ne montre pas [...]”. Ainsi, l'image ne peut pas être considérée comme une réduction précise de la réalité.
- 3 Dans les manuels scolaires de géographie, la photographie occupe une importante place par rapport à (...)
8D'un autre côté, il existe des stratégies photographiques, comme par exemple le choix du cadrage et d'angle de prise de vue, qui permettent de créer une prédominance visuelle de certains objets ou éléments d'un paysage. Dans la droite ligne de notre réflexion, la Figure 1, qui illustre le chapitre d’un manuel scolaire3 français intitulé “La pauvreté dans le monde”, semble confirmer cette idée.
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Figure 1: Représentation, en France, d'un paysage urbain de la ville de Rio de Janeiro.
Légende de la photographie dans le manuel scolaire : Des enfants dans les favelas de Rio de Janeiro (Brésil). Les quartiers pauvres, composés de petites maisons de briques couvertes de tôles, sont installés sur les pentes abruptes des collines délaissées par les populations plus riches. À l’arrière-plan, les quartiers aisés, les plages et le célèbre “pain de sucre”.
Source: IVERNEL (Direction), 2010, p. 265.
10Le cadrage de l'image ci-dessus souligne au premier plan ce qui fait l'objet du thème étudié : “Quelles sont les conditions de vie des populations pauvres ? ”. À cette fin, les enfants, dont certains sont pieds nus et d'autres utilisent des tongs et des vêtements très simples, constituent donc l'un des éléments de la favela pour créer le discours de la paupérisation des villes brésiliennes. Cette prise de vue qui met les êtres humains au centre de l'image est une stratégie qui renforce encore plus l'impression de réalité de la scène. Il est également possible d'observer l'occupation irrégulière de l'espace urbain dans une zone pentue aux constructions précaires de briques, tuiles et bâches. En ce cas, l’image devient un fac-símile de la réalité.
11En effet, la Figure 1, parmi beaucoup d’autres qui illustrent les manuels scolaires français est un modèle typique de cadrage pour représenter les bidonvilles brésiliens. Sans aucun doute, la profusion de telles images du Brésil, fréquemment associées aux descriptions apocalyptiques du chaos urbain et aux aspects misérables de la réalité sont orientés à travers la culture scolaire et les programmes d’enseignements.
12Depuis l'implantation du programme scolaire de 1997, les manuels scolaires français mettent l'accent sur des images de favela comme l’une des plus importantes caractéristiques des villes brésiliennes, comme le montrent les figures 2 et 3.
Figure 2: Maisons des paysans pauvres au bord de l’Amazone (près de Manaus)
Figure 3: Image d’un bidonville à Manaus – Amazonie
13À partir de ces images, nous pouvons affirmer que les représentations des villes brésiliennes privilégient (et actuellement continue à le faire), sous de nombreux aspects, lieux et paysages de désenchantement et peur de l’espace urbain brésilien, de façon à élucider un désordre apparent dans l’occupation et l’aménagement du territoire. Il est évident que le cadrage des Figures 2 et 3, dans ce contexte, contribuent à consolider les scénarios de pauvreté et de conditions déplorables de vie au Brésil, en renforçant l’idée de la misère et par conséquent déconsidérant d’autres images possibles.
14Si nous remontons plus encore dans le temps, il est possible de constater également dans d'autres manuels scolaires, certaines pernicieuses et afflictives images associées à la réalité urbaine brésilienne montrant des chômeurs qui survivent grâce à de petits métiers dans les décharges publiques ou des cortèges d’enfants vêtus de guenilles qui cherchent des aliments dans la montagne de déchets, comme nous constatons selon les Figures 4 et 5 présentées ci-après.
Figure 4: Image d’un des graves problèmes des villes brésiliennes
Thème d’étude: Des villes géantes entre les tropiques. Texte placé autour de l’image: [...] Les chômeurs survivent grâce à de petits métiers et les enfants se lévent à l’aube pour chercher un peu de nourriture dans les décharges publiques.
Source: LAMBIN; MARTIN; DESPLANQUES (Direction), 1990, p. 221.
Figura 5: Des enfants près d’une décharge d’ordures dans un quartier pauvre de Rio de Janeiro, au Brésil
Thème d’étude: Les villes tropicales – Explosion urbaine et des contrastes violents
Source: DROUILLON; FLONNEAU (Direction), 1990, p. 286.
Texte placé autour de l’image: Les quartiers populaires sont souvent rejetés à la périphérie. La population s’y entasse dans des taudis construits à la hâte sur des terrains insalubres et mal desservis par les transports. Ce sont les bidonvilles. Les conditions de vie y sont affreuses: la faim, les épidémies, le chômage font partie de la vie quotidienne des habitants. Les nombreux petits métiers permettent tout juste de survivre. La mendicité est très répandue. On voit des cortèges d’enfants en haillons, rarement scolarisés, fouillant dans les tas d’ordures pour trouver quelque nourriture ou des objets à vendre.
15Nous percevons ainsi que la force persuasive des images et commentaires associés au Brésil, surtout des bidonvilles, ont participé à la diffusion d’un mythe, dans la mesure où ces images, entre autres raisons, constituent des constructions historiques en contribuant activement dans la répétition d’un imaginaire collectif sur les thèmes et les lieux en question. La répétition des mêmes formats des représentations de paysages urbains du Brésil, tout au long de nombreuses années dans ces manuels scolaires continuent encore aujourd’hui à propager le synonyme entre ville et favela.
16Ainsi, les bidonvilles, selon leur indication sont le résultat d’une image transformée en un mythe qui jamais ne disparaitra des manuels scolaires français. Qu’en résulte-t-il de tous ces débats? Pour nous et principalement en comparaison du mythe, ce qui ne se renouvelle jamais, est ce qui se dit simplement concernant les problèmes issus de l’augmentation de la population de Rio de Janeiro et de São Paulo. En somme, c’est ce que les médias divulguent ainsi que les auteurs et les éditeurs. C’est aussi ce que racontent les professeurs à leurs élèves. Enfin, c’est ce qui est toujours raconté. Dans ce contexte nous comprenons que l’image de bidonville et du mythe sont des significations éternelles, hors du temps. C’est pourquoi elles – les images des bidonvilles – jamais ne disparaitront, ni ne vieilliront, mieux encore, ne mourront, elles sont éternelles ; elles continuent et continueront à produire leurs effets à travers ces manuels scolaires.
- 4 À la fin des manuels scolaires français, d’une façon générale, on trouve les crédits photographique (...)
17Sur la base de l'interprétation de Chauí (2006, p. 9), “[...] le mythe impose un lien interne avec le passé en tant qu'origine, c'est-à-dire avec un passé qui ne cesse jamais, qui se pérennise dans le présent et qui, pour cette même raison, ne permet pas la différenciation temporelle et la compréhension du présent en tant que tel [...]”. C'est peut-être bien pour cette raison que les images des villes brésiliennes dans les manuels scolaires français ne sont le plus souvent pas datées4. En effet, le mythe nous apparaît comme une donnée atemporelle et, dans le cas du Brésil, comme faisant partie d'un imaginaire social de stigmatisation du territoire.
18Stébé et Marchal (2009) corroborent cette idée lorsqu'ils affirment que le mythe impliquant une ville peut fournir une image déformée de sa réalité et créer une homogénéisation de son espace, la convertissant ainsi en entité géographique. Nous pouvons ainsi voir à l'envie dans les manuels scolaires français les villes de Sao Paulo et Rio de Janeiro comme des symboles du désordre généralisé des paysages urbains.
19De ce fait, il est impératif de dérouler les images brésiliennes dans les manuels scolaires français, quand elles révèlent un regard particulier sur le Brésil, invisible en sa totalité. D’ailleurs, dans plusieurs cas, de telles images peuvent être interprétées comme une simple représentation théâtrale ou mise en scène du territoire, qui met en scène le spectacle de la pauvreté forgeant l’illusion de la réalité, comme le montrent les Figures 6, 7 et 8.
Figure 6: Un bidonville à Rio de Janeiro
Thème d´étude : Des villes gigantesques
Source du manuel scolaire : IVERNEL (Dir.), Histoire-Géographie-Initiation Économique, 6e. Paris: Hatier, 1994, p. 223.
Figure 7 : Vue de Rio de Janeiro
Thème d’étude : Le Brésil
Source du manuel scolaire : IVERNEL (Dir.), Histoire-Géographie 5e, Paris : Hatier, 2001, p. 331.
Figure 8 : Des enfants dans les favelas de Rio
Théme d’étude : La pauvreté dans le monde
Source du manuel scolaire : IVERNEL (Dir.), Histoire-Géographie 5e. Paris, Hatier, 2010, p. 265.
20Les trois images ci-dessus, par exemple, publiées dans les manuels scolaires de différentes époques, correspondent à certains segments du même lieu. Elles forment une mosaïque qui se dévoile quand nous apercevons la figuration des sujets mêmes dans chaque scène. Ce qui nous amène à penser que de telles images ne sont pas obtenues spontanément, elles sont une élaboration de la réalité tout en n’étant pas une réalité.
21En fixant et ritualisant quelques modèles d’images photographiques – dites momifiées – les aspects particuliers sont généralisés en termes de la réalité. Dans tant d’autres affirmations à propos de la réalité brésilienne, certains livres didactiques français mettent en évidence que les bidonvilles apparaissent en tous lieux du pays où de véritables villes se forment dans un désordre prédominant. Ces propositions, restrictives et caricaturales, reproduisent des facettes simplifiées du Brésil.
22En somme, il est fondamental de croire que le monde vu de loin ne possède pas les mêmes critères de vérités que celui vu de près, comme l’écrit Debray (2011). Ainsi, les livres didactiques français partent du même principe que le Brésil peut être interprété à partir d’une étude dans les mêmes lieux en simplifiant les identités culturelles, sociales ou géographiques d’un pays territorialement si vaste. Ceci renforce et préconise les stéréotypes une fois qu’une partie du territoire peut être considérée comme sa totalité. Il nous semble donc que “le monde vu par le filtre scolaire est un territoire construit comme une mosaïque de lieux symboliques [...]” (CLERC, 2002, p. 38).
23La profusion de telles images brésiliennes sont fréquemment associées aux descriptions apocalypthiques du chaos urbain et aux aspects misérables, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, mais un autre élément qui a attiré notre attention est le fait que de nombreux manuels scolaires français fassent l'usage d'images donnant un sentiment d'insécurité et de violence dans les villes brésiliennes, comme le montre la Figure 9 ci-après.
Figure 9: Image d'une confrontation entre policiers et habitants d'une favela de Rio de Janeiro
Thème d’étude: La croissance urbaine et ses problèmes
Source: ADOUMIÉ (Direction), 2005, p. 340.
24Le texte qui accompagne la Figure 9 publié dans le journal Libération aborde le problème de croissance urbaine en affirmant que les pauvres sont les principales victimes de la situation. Voici la description qui en est faite :
Le meurtre de sept sans-abri survenu en août, dans le centre-ville de São Paulo, serait l’œuvre de deux policiers. Ils voulaient réduire au silence les SDF qui savaient que les policiers étaient impliqués dans le trafic de drogue, florissant dans le centre-ville. Car la corruption et la violence de la police brésilienne sont de notoriété publique. La police est également inefficace, sauf quand il s’agit de défendre les plus riches. [...] Cette brutalité ne vise que les plus pauvres, principales victimes de la violence sous toutes ses formes. (ADOUMIÉ, 2005, p. 340, c'est nous qui le soulignons).
25L'extrait susmentionné nous amène à comprendre qu'au Brésil, le droit à la sécurité est réservé aux classes sociales les plus nanties et que les moins favorisés se retrouvent otages de la brutalité sociale. Dans ce manuel scolaire, il se trouve que l'auteur n'explique même pas les raisons de l'affrontement mentionné en Figure 9, il laisse simplement l'image confirmer par elle-même ce qu’affirme le texte: la police brésilienne est corrompue, inefficace et violente.
26Dans ce contexte, Stébé et Marchal (2005) affirment qu'il existe dans l'imaginaire collectif de certaines sociétés le mythe de “villes-ghettos”. Selon ces auteurs, ce mythe peut surgir lorsque les faits survenus dans des régions périphériques d'une ville donnée sont intensifiés et divulgués par les médias en mettant principalement en avant une structure urbaine associée à la violence, à la ségrégation et à la délinquance. Il est également courant que ce mythe se structure au moyen d'images mettant en évidence les affrontements armés de la police dans le cadre de la lutte contre le trafic de substances ou de produits considérés illicites. Ainsi, les villes brésiliennes semblent s'ancrer à partir de leurs favelas dans un mythe qui finit par imprégner les manuels scolaires français de géographie.
27En somme, il faut bien comprendre que “[...] toute sélection d’images destinées à être publiées dans un même livre de géographie s’inscrit donc dans une stratégie iconographique choisie par son auteur et par son éditeur [...]” (MENDIBIL, 2000, p. 138). Cela se trouve clairement explicité à partir de la Figure 10, publiée respectivement par Belin et Hachette dans les manuels scolaires de géographie des années 2002 et 2005.
Figure 10: Favela située à Rio de Janeiro.
28Belin a utilisé cette image dans le cadre d'une discussion sur les inégalités sociales en affirmant que les favelas font partie du paysage de beaucoup de villes brésiliennes. À côté de cette image figure un texte qui décrit la luxueuse résidence du banquier J. Safra en la comparant aux anciens palais de la noblesse européenne. Et de poser ensuite la question suivante : Que peut-on en conclure sur la société brésilienne ? L’éditeur Hachette, quant à lui, utilise cette même image dans le but de montrer les problèmes de croissance urbaine et les conditions de vie de la population. En prolongement de cette image est insérée la Figure 11, qui montre un enfant abandonné dormant dans les rues de la ville de Recife.
Figure 11: Enfant abandonné dans les rues de Recife.
Source: ADOUMIÉ (Direction), 2005, p. 341.
29Un constatat important que l'on peut établir dans les légendes photographiques des manuels scolaires français est l'usage récurrent du mot “favela” en langue portugaise, et non du terme “bidonville”. Pour paraphraser Roland Barthes (1957), nous dirons que le mot est un message formé de représentations. Cela signifie que les favelas se doivent d'être l'apanage des villes brésiliennes, car le mythe est aussi un mot choisi par l'histoire.
30Enfin, le paysage urbain est une production anthropique par excellence. Toutefois, le processus de sa décodification dans les manuels scolaires français requiert une analyse qui dépasse les désharmonies visuelles détestables de certaines villes brésiliennes, de façon à ce que soient également mis en perspective les facteurs politiques et culturels indispensables à la compréhension géographique de la production du paysage. Nous sommes d'accord avec Ducan qui, en citant Mitchell (2004), affirme que “l'œil innocent est aveugle” puisque le monde est revêtu de représentations. “Pour comprendre la nature relationnelle du monde, nous devons le compléter avec beaucoup de ce qui est invisible, et ce afin de lire les sous-textes occultées par le texte visible” (DUCAN, 2004, p. 100). Afin de connaître la réalité des villes brésiliennes, il est indispensable de montrer que les figures et les textes faisant partie de l'iconographie des manuels scolaires français ne sont qu'une partie d'un tout. C'est là que se trouve l'un des principaux défis des professeurs de géographie.
31Les images des villes brésiliennes publiées dans les manuels scolaires du Brésil sont différentes de celles publiées en France. Nous avons trouvé dans les livres analysés le total de dix-huit images représentant des favelas. Nous considérons que cette quantité n'est pas particulièrement significative si l'on considère que les manuels scolaires de la septième année de scolarité abordent exclusivement les paysages du Brésil. Les maisons d'édition Ática, FTD et Scipione ne proposent chacune que deux images de favelas au long de leurs manuels respectifs.
32Dans le cadre des manuels scolaires brésiliens, les villes n'ont pas de rapports figuratifs intrinsèques avec les favelas. Dans leur champ discursif, les villes sont décrites à partir d'explications sur l'urbanisation et la croissance de la population, ainsi que sur les processus historiques d'industrialisation, de migration dus à l'exode rural et de développement économique. Les documents textuels soulignent encore les principales activités des villes brésiliennes et leurs fonctions sur la scène nationale. Sous cette perspective, la capitale brésilienne, par exemple, occupe une fonction politico-administrative de premier ordre et son image est communément représentée comme dans la Figure 12, en mettant au premier plan les œuvres architecturales de Oscar Niemeyer, l'Esplanade des ministères ou le Congrès national.
Figure 12: Vue de Brasilia
Source: GARCIA; BELLUCCI, 2010, p. 134.
33Les métropoles brésiliennes comme São Paulo et Rio de Janeiro sont montrées à partir de leur potentiel économique et touristique, comme le montrent les Figures 13 et 14.
Figure 13: L’image de Rio de Janeiro
Source: SAMPAIO; MEDEIROS, 2009, p. 08
Figure 14: La ville de Sao Paulo en 2006.
34La capitale de l'État de São Paulo apparaît tout particulièrement comme un important pôle d'attraction de population en raison de la présence de grandes et moyennes entreprises pouvant compter sur les avantages des infrastructures des secteurs des services bancaires, de la production technique ou scientifique et des communications. Nous pouvons vérifier qu'en dépit du fait que le flux d'intégration de ces deux villes avec les autres régions brésiliennes soit sous l'aspect économique mis en avant par tous les manuels scolaires, les autres métropoles du Brésil, comme Belo Horizonte, Porto Alegre, Curitiba, Salvador, Belém, Recife et Fortaleza sont également mentionnées.
35Néanmoins, lorsqu'il existe l'intention d'insister sur les problèmes urbains, que ce soit le manque d'infrastructure ou la croissance désordonnée des villes brésiliennes, les Figures 15 et 16 peuvent servir d'illustration.
Figure 15: Favela située au bord du cours d'eau Água Espraiada, à São Paulo, 2007
Source: VESENTINI; VLACH, 2010, p. 119.
Figure 16: Photographie d'une favela située à Sao Paulo, en 2004.
Source: SAMPAIO; MEDEIROS, 2009 p. 191.
36Comme on peut le voir, les favelas représentées dans les manuels scolaires brésiliens ont des particularités différentes de celles que l'on peut trouver dans les manuels français. En premier lieu, d'une manière générale, ce sont des images au cadrage étroit restreignant ce que l'on pourrait voir des environs, certainement pour démontrer que les problèmes se trouvent concentrés dans des zones données. En second lieu, le point de vue de la photographie met à distance les éléments composant le paysage, réduisant ainsi certaines possibilités de lecture. En troisième lieu, les êtres humains ne font pas partie des éléments de ces images, sans doute dans une tentative de minimiser l'effet visuel des périphéries et de se focaliser sur ce qui est le plus significatif dans le cadre de la discussion présentée : le manque de logements découlant de l'augmentation de la population. Enfin, la majorité des images sont datées pour indiquer la temporalité des faits dans l'espace géographique.
37De cette manière, la caractéristique marquante des villes dans les manuels scolaires brésiliens est centrée sur une discussion autour de l'urbanisation et moins sur l'image des favelas.
38La même représentation d'un paysage a des significations différentes selon qu'elle est analysée dans les manuels scolaires français ou brésiliens. Le choix de ces représentations pour faire partie intégrante de l'iconographie dépend de l'intention de chaque auteur/éditeur, qu'il soit épistémologique, pédagogique ou commercial, sans oublier bien sûr la culture scolaire de chacun de ces pays.
39À propos des manuels scolaires français, nous pouvons affirmer qu’ils contribuent à consolider les images des bidonvilles et les déplorables conditions de vie dans les villes brésiliennes. C’est dans ce contexte que les manuels français rendent légaux certaines pernicieuses et afflictives images et commentaires associés au Brésil, en contribuant activement pour la construction d’un imaginaire collectif sur les thèmes et les lieux en question. Elles se réfèrent donc aux images-modèle préconisées qui, maintes fois indiquent une visibilité qui disqualifie, simplifie et singularise la société brésilienne, agissant par conséquent dans la sphère du stéréotype; c’est pourquoi il en résulte une résistance au changement.
40Les photographies des villes brésiliennes dans les manuels français sont des représentations qui peuvent être partiellement réalistes, sans pour autant être généralisables. Il n'est évidemment pas possible de nier leur existence, puisque elles représentent une partie du territoire brésilien. Toutefois, nous croyons que “[...] toute expérience de l’environnement que vit le sujet est singulière, et que par conséquent son interprétation ne peut être atteinte par aucune procédure généralisante” (DEBARBIEUX, 2001, p. 209).
41Enfin, les images photographiques doivent toujours être contestées ; à l’inverse, elles peuvent paralyser le regard rendant indistincts la réalité, le sensationnalisme, le drame et la théâtralité.
42Le défi est formulé!