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Dossiê migração européia para o Brasil, século XIX e início do século XX

Les Portugais dans l’Empire du Brésil (1822-1889) : les trajectoires spécifiques des hommes de lettres au sein de la colonie portugaise de Rio de Janeiro

Os Portugueses no Império do Brasil (1822-1889) : as trajetórias específicas dos homens de letras no seio da colónia portuguesa do Rio de Janeiro
Portuguese People in Brazil Empire (1822-1889): the men of letters’ specific paths in the Portuguese colony of Rio de Janeiro
Sébastien Rozeaux

Résumés

L’essor presque continu des entrées de migrants portugais à Rio de Janeiro dans la deuxième moitié du XIXe siècle consolide les fondements d’une colonie portugaise dans la capitale impériale. Cette colonie, outre sa présence dans le tissu économique et commercial de Rio de Janeiro, tisse un réseau d’associations de bienfaisance, sportives et culturelles afin de soutenir ses membres et défendre leurs intérêts communs. Entre autres, des associations littéraires permettent aux quelques hommes de lettres portugais de la colonie de défendre la grandeur du royaume du Portugal, d’opposer au paradigme de la lusophobie celui de la confraternité luso-brésilienne, et de faciliter in fine leur insertion dans l’espace public carioca.

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Texte intégral

Faustino Xavier de NovaesAfficher l’image
Crédits : A Vida Fluminense, n°87, 1870

1Dans La traite, L’émigration et la colonisation au Brésil (1865), Charles Expilly (1814-1886) prétend éclairer le peuple brésilien sur les dangers qui le menace :

L’heure est solennelle, Brésiliens. Les esclaves meurent, sans être remplacés ; l’agriculture agonise ; la famine menace les cités. Donnez enfin à l’Europe les garanties qu’elle est en droit d’exiger de vous. Si le présent est triste, du moins, sauvez l’avenir, en marchant résolument dans la voie libérale qui vous est indiquée. (…) Que l’émigration soit réglementée et moralisée ; que la législation de votre pays, intolérante, inique pour les étrangers, reçoive l’empreinte profonde des idées modernes. (Expilly, 1865, p. 310-311)

2Ces deux phrases placent d’emblée la question migratoire au cœur de la politique de « civilisation » de l’Empire brésilien confronté à une nouvelle donne démographique et aux faiblesses de sa politique de colonisation. En effet, l’histoire du Brésil impérial (1822-1889) est profondément marquée par la césure que constitue l’arrêt de la traite négrière en 1850. Jusque-là peu soucieux d’attirer une immigration libre puisque disposant d’une armée de réserve servile puisée dans le creuset de l’Afrique noire occidentale, l’Empire du Brésil se trouve confronté à un défi démographique majeur, celui d’assurer le peuplement et la mise en valeur agricole et industrielle d’un immense territoire en grande partie vide d’hommes. Or, incapable d’attirer à lui ces dizaines de milliers d’Européens en partance chaque année pour le Nouveau Monde – comme le constate, affligé, Charles Expilly –, le Brésil s’accommode à l’époque impériale de la renaissance d’une immigration portugaise de colons agricoles, de commerçants et d’artisans que les braises désormais éteintes des événements de l’indépendance, marqués par de très fortes tensions avec l’ancienne métropole ibérique, rendent au milieu du siècle non seulement tolérable, mais souhaitable. En effet, l’heure n’est plus à l’interdit qui frappait l’immigration portugaise aux lendemains de la proclamation unilatérale de l’Indépendance par Dom Pedro I en 1822. Consciente de l’urgence nouvelle de la question du peuplement au milieu du XIXe siècle, la classe politique échafaude une politique d’immigration qui s’accommode alors de l’essor de l’immigration portugaise, avant que d’autres immigrés européens, en provenance d’Italie ou d’Allemagne, ne viennent s’installer à leur tour au Brésil à partir de la fin du XIXe siècle.

  • 1 Le terme de « colonie » est utilisé par les Portugais de Rio de Janeiro, comme l’atteste, par exemp (...)

3Marginale depuis 1822, l’immigration portugaise prend au tournant du XIXe siècle une nouvelle ampleur et modifie profondément les équilibres sociaux et économiques de la capitale brésilienne, Rio de Janeiro, porte d’entrée du pays pour la majorité des migrants. C’est alors que se constitue la « colonie » portugaise de Rio de Janeiro, via la mainmise sur certains secteurs de l’économie portuaire et la création de réseaux de sociabilité, d’entraide et de solidarité.1 Leurs professions, leurs modes de vie et leur relatif entre-soi les différencient du reste de la société impériale, au point de susciter des tensions voire des formes de rejet au sein de la société brésilienne. En effet, ces relations complexes sont déterminées par un ensemble de facteurs politiques, économiques et culturels étroitement liés aux événements de 1822 qui ont rendu impérieux l’établissement d’une distinction entre le « brésilien » et le « portugais ». L’historienne Tania Bessone a résumé en ces termes cette problématique d’ordre anthropologique qui détermine la nature des relations entre Portugais et Brésiliens aux lendemains de l’Indépendance :

Tout au long du XIXe siècle, le Brésil a été l’objet et le sujet d’images et de représentations, aussi bien sur lui-même que sur le Portugal – représentations à partir desquelles, consciemment ou inconsciemment, par imitation ou par rejet, l’imaginaire de la jeune nation des tropiques s’est construit. Altérité et identité ont ainsi œuvré conjointement à l’élaboration d’un système de représentations du Portugais, qui a contribué à la construction de l’identité propre du Brésil depuis l’Indépendance. (Ferreira, 2003, p. 8)

4Voilà pourquoi la persistance d’un sentiment lusophobe au cours du XIXe siècle est une donnée fondamentale pour appréhender la place de cette colonie dans la société carioca, mais également les trajectoires des lettrés portugais de la capitale brésilienne (Ribeiro, 2002 ; Ramos Mendes, 2010). Et cette hostilité persistante, plus ou moins prégnante, compose également avec les élans souvent plus discrets, certes moins connus des historiens, et pourtant bien réels de la « confraternité » entre deux peuples ; un paradigme intellectuel et identitaire dont la colonie portugaise de Rio de Janeiro va se faire le héraut.

5Les quelques Portugais qui s’écartent de la voie traditionnelle du négoce et de l’artisanat pour participer à la vie littéraire de Rio de Janeiro occupent une place particulière, relativement aux écrivains brésiliens d’une part, et aux membres de la colonie portugaise d’autre part. Peu nombreux et ignorés par l’historiographie, ces lettrés n’en constituent pas moins un objet d’étude remarquable pour comprendre l’identité de cette colonie portugaise et sa place dans la société impériale brésilienne, dans un contexte post-colonial. À travers cet article, il s’agira d’esquisser quelques éléments d’analyse pour comprendre l’agency de ces écrivains au statut particulier, au sein de la colonie portugaise, au sein de la vie culturelle à Rio de Janeiro et, plus largement, dans cet espace littéraire luso-brésilien dont les réseaux d’échanges et de circulations se structurent et se densifient depuis les années 1840 (Rozeaux, 2015). Ce faisant, cet article ouvre quelques pistes d’analyse qui ouvrent aussi sur des études plus approfondies quant aux modalités de l’insertion de la colonie portugaise dans la vie culturelle et dans le paysage médiatique à Rio de Janeiro, et plus largement, au Brésil, depuis les années 1850 jusqu’au début du XXe siècle.

Croissance et structuration de la colonie portugaise de Rio de Janeiro au XIXe siècle

6La présence portugaise au Brésil en général et à Rio de Janeiro en particulier a fait l’objet d’importantes avancées historiographiques, tant au Portugal qu’au Brésil d’ailleurs. Si les ressorts politiques, économiques, diplomatiques de ce mouvement migratoire d’une ampleur sans précédent sont désormais bien connus (Pereira, 2002 ; Alves, 1994 ; Trindade & Domingos, 2000 ; Cervo & Magalhães, 2000), des travaux plus récents ont également permis de mieux comprendre la structuration de cette colonie au Brésil, et l’important mouvement associatif sur lequel elle prend appui (Melo & Silva, 2009 ; Carvalho, 2011 ; Melo & Peres, 2014).

7Les Portugais constituent, et de loin, la plus importante communauté étrangère du Brésil à l’époque impériale, compte tenu de la croissance soutenue du nombre des nouveaux entrants en provenance des ports de Porto, de Lisbonne ou de l’archipel des Açores. En effet, le Brésil est alors la principale destination des migrants portugais. On estime ainsi qu’entre 1855 et 1865, 87% des émigrés portugais font le choix du Brésil, une proportion qui se maintient tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle, malgré les réticences des gouvernements qui tentent de limiter le flux des départs au Portugal (Baganha, 2001, p. 87). Ce tropisme brésilien trouve son corollaire dans la prépondérance de l’immigration portugaise au Brésil : 80% des immigrés arrivés à Rio entre 1851 et 1854 sont Portugais. En 1872, sur une population estimée de 275 000 habitants, la capitale brésilienne compte près de 56 000 Portugais, soit un quart de la population libre de la capitale, dont un grand nombre de mineurs. Deux décennies plus tard, en 1890, la colonie portugaise compte près de 100 000 personnes, pour une population totale estimée à un demi-million d’habitants à Rio de Janeiro (Lessa, 2002, p. 27). La normalisation des relations politiques entre le Brésil et le Portugal, l’abandon de la traite et la nouvelle politique d’attraction de l’émigration européenne vers le Brésil marquent le début d’une longue tradition d’immigration portugaise à destination de l’ancienne colonie d’Amérique. Cette tradition résulte d’une conjonction de facteurs favorables qui nécessitent de croiser à la fois l’histoire de l’émigration portugaise et la politique de colonisation, aux effets encore limités, certes, initiée par l’État impérial.

8L’émigration portugaise s’inscrit à l’échelle continentale dans l’ensemble que constitue le foyer de migration de l’Europe méditerranéenne, alors en marge de la « révolution industrielle » qui bouleverse les équilibres économiques et sociaux de l’Europe occidentale. En Espagne comme au Portugal, l’émigration apparaît comme une source de revenus indispensable à l’essor de l’économie et une soupape capable de soulager la pression exercée par une population qu’il faut occuper et nourrir. (Alencastro, 1984, p. 85) Voilà pourquoi le port de Rio de Janeiro voit débarquer année après année des milliers de jeunes garçons venus trouver là travail et fortune. Ils bénéficient pour ce faire de la politique incitative de l’Empire, lequel a contribué à la hausse des entrées sur son territoire, alors que la proportion de la main-d’œuvre servile dans la population active tend à reculer progressivement depuis l’arrêt de la traite négrière. Toutefois, cette politique d’immigration ne saurait être pleinement comprise sans en définir la dimension proprement civilisatrice, car celle-ci a vocation à « renforcer le socle européen de la société » (Alencastro, 1984, p. 120). La politique d’immigration mise en œuvre est un instrument de civilisation, de « blanchiment » de la nation, élaborée par des élites politiques qui, avec l’appui de l’empereur, souhaitent élever leur jeune nation au rang des grandes civilisations occidentales (Rozeaux, 2014). Selon le diplomate, avocat et homme politique brésilien Luiz Peixoto de Lacerda Werneck (1824-1886), il revient à l’État d’attirer jusqu’à lui une immigration capable de conforter le Brésil sur le chemin de la civilisation : puisqu’il s’agit de promouvoir une immigration libre, capable de contribuer par le travail à l’essor de l’Empire, il est du devoir des élites de faire le choix d’une immigration européenne (Werneck, 1855).

9L’identité sociale de la communauté portugaise semble clairement établie au sein de la société carioca, comme en témoigne Manuel de Araújo Porto-alegre dans un article dans lequel il « essentialise » la nature profonde des grandes nations européennes : « Ce qui se produit sur le plan physique se produit également sur le plan de la morale : l’Allemand est philosophe, l’Anglais est entrepreneur, le Français artiste, l’Italien musicien, l’Espagnol chevalier et le Portugais commerçant. » (Guanabara, 1850, p. 109) Le secteur du commerce dans la capitale est organisé et structuré en étroite dépendance avec les maisons de commerce du Portugal, et principalement de Porto, dont sont originaires la plupart des Portugais installés à Rio de Janeiro. Et cette présence est plus grande encore dans le secteur alimentaire, ce qui n’est pas sans expliquer en période de crise alimentaire les griefs faits à une communauté portugaise accusée d’affamer la population brésilienne. Dans ces maisons de commerce travaillent de nombreux caixeiros, des commis de magasins, ces adolescents portugais envoyés le plus souvent auprès de leur parentèle large installée dans les ports du Brésil. En 1862, le consul du Portugal à Rio de Janeiro décrit les voies de l’intégration professionnelle des nouveaux arrivants au sein de la communauté portugaise. À l’y croire, la plupart des Portugais y trouvent sans difficultés majeures du travail, et pour des salaires tout à fait corrects, tant dans le commerce portuaire, que dans le secteur de l’artisanat, comme « charpentiers, maçons, tailleurs de pierres, menuisiers, forgerons. » (Pereira, 2002, p. 167) Duarte Silva insiste en particulier sur l’importance des solidarités intracommunautaires qui convainquent nombre de migrants d’intégrer la colonie portugaise de la capitale : « Il est vrai qu’ils sont fortement incités à préférer s’installer dans la ville, où ils rencontrent aussitôt leurs compatriotes et parents, et où ils disposent de plus de recours, dans tous les sens du terme. » (Pereira, 2002, p. 167) Pour autant, d’autres représentants du corps diplomatique portugais, à l’instar du Comte de Thomar en 1859, s’inquiètent de la misère à laquelle sont réduits certains de leurs compatriotes, faute de réussir à s’insérer dans le marché du travail, dans un contexte de concurrence accrue par l’augmentation régulière des entrées dans le port de Rio de Janeiro :

Il se présente quotidiennement à la porte de la légation de Sa Majesté un grand nombre de Portugais malheureux, venus demander pour certains la charité, pour d’autres un billet de retour pour le Portugal, et certains même pour l’Angola. La très grande majorité de ces malheureux appartient à cette classe qui a été trompée par les fausses promesses de grande fortune assurée dès leur arrivée dans cet Empire. (Pereira, 2002, p. 151)

10Devant l’impuissance des instances consulaires et la faiblesse des structures d’aide et de charité en présence à Rio de Janeiro, la colonie portugaise voit se multiplier les associations de bienfaisance et de secours mutuel, comme la Société Portugaise de Bienfaisance en 1859, ou la Caisse de secours de Pedro V en 1863. Car le manque d’hygiène, l’insalubrité des cortiços, la fragilité des organismes exposés au climat tropical humide expliquent que les Portugais soient les premières victimes des épidémies qui frappent la capitale dans les années 1850 (Pereira, 2002, p. 269). Parmi les 23 associations fondées à Rio de Janeiro au XIXe siècle au sein de la colonie portugaise, Elisa Muller recense 18 sociétés de bienfaisance ou mutualistes (Lessa, 2002, p. 309).

11Or, la misère de nombreux migrants risque fort de jeter le discrédit sur la nation tout entière, comme le confesse le Comte de Thomar : « j’exige que des mesures soient prises afin de faire disparaître des yeux du public cette réalité lamentable, en particulier dans un pays qui, pour avoir été notre colonie, ne doit pas être le témoin de si grandes misères et disgrâces. » (Pereira, 2002, p. 152) La question des imaginaires sociaux et des représentations est donc au centre des préoccupations des représentants de l’État portugais. Une telle réalité entache grandement la réputation de la colonie et semble nourrir des tensions avec la société brésilienne, dans un contexte de lusophobie rampante. Le terme péjoratif de « Galego » utilisé à l’encontre des Portugais témoigne de la défiance et des moqueries de la société carioca envers ces miséreux. Ces accès récurrents de lusophobie, dans les mots comme dans les actes, ne sont pas sans lien avec l’action menée par ces quelques lettrés portugais qui, depuis Rio de Janeiro, vont rivaliser d’efforts pour améliorer l’image de la colonie et de la culture portugaises au Brésil.

Les trajectoires professionnelles des hommes de lettres portugais à Rio de Janeiro

  • 2 Le somptueux siège de la bibliothèque, tel qu’elle se présente encore aujourd’hui au regard des pas (...)

12Déjà, le 14 mai 1837, 43 Portugais décident de fonder à Rio de Janeiro une bibliothèque dont le fonds permettra aux membres de l’association de se cultiver et de promouvoir par-là même les sciences et les lettres portugaises. La plupart de ces hommes sont des commerçants de la capitale, amateurs de lettres à leurs heures perdues. Après les années difficiles qui ont suivi l’indépendance, une telle initiative témoigne de la volonté de redéployer hors du seul champ économique la présence et l’action d’une communauté pour l’heure aux effectifs modestes. Situé au cœur de l’espace urbain, le Cabinet royal de lecture portugais est le premier jalon d’une présence monumentale et symbolique de la communauté portugaise dans la capitale impériale.2 Les Portugais du Brésil marquent de leurs empreintes l’espace public de la capitale par la création de lieux communautaires (cabinets de lecture, hôpitaux, clubs sportifs, théâtres, etc.) et d’associations qui légitiment et fondent leur identité en tant que colonie. À partir du milieu du XIXe siècle, au Cabinet de Lecture Portugais vont s’adjoindre d’autres institutions culturelles dont la fondation est à mettre au crédit d’une poignée de lettrés, aspirants écrivains et hommes de lettres reconnus, tous soucieux de participer – à leur manière – à la vie sociale et intellectuelle de Rio de Janeiro.

13Avant d’analyser les trajectoires des lettrés portugais et les modalités de leur insertion au sein du milieu littéraire de la capitale, il convient de préciser que celui-ci se caractérise alors comme un « petit monde » masculin, peu structuré et ouvert à tous les talents. S’y agrègent de jeunes amateurs venus des provinces de l’Empire, des membres des couches populaires et en particulier des populations métisses de la société impériale, mais aussi des immigrés, qu’ils viennent de la vieille Europe ou des Républiques voisines du Nouveau Continent. Ce milieu littéraire qui se structure et s’étoffe tout au long du Segundo Reinado se caractérise par une hétérogénéité tant ethnique que sociale ; hétérogénéité d’autant plus grande que l’on s’éloigne du premier cercle des écrivains fondateurs des Letras Pátrias et de leurs plus fidèles disciples, proches de la Cour et de l’empereur dom Pedro II (Rozeaux, 2012, chap. 2). L’expression Letras Pátrias, les « lettres de la patrie », traduit le caractère résolument national et politique de la production littéraire, outre qu’elle reflète les usages propres aux hommes de lettres brésiliens, peu disposés qu’ils sont à se revendiquer d’une bannière « romantique » exogène, susceptible de masquer l’originalité des lettres nationales, d’en rabattre sur l’émancipation de la jeune nation vis-à-vis de l’Europe, et du Portugal en particulier.

14Le petit groupe des hommes de lettres portugais de Rio, dont la plupart sont commerçants ou artisans, use de deux stratégies distinctes et parfois connexes afin d’exister dans le paysage culturel de la capitale brésilienne : l’intégration au milieu littéraire brésilien d’une part, et la défense et illustration de l’identité portugaise au sein de l’Empire, d’autre part. Dans les deux cas, le renoncement des immigrés portugais à exercer une hégémonie intellectuelle sur la société brésilienne a largement contribué à faciliter leur intégration dans le paysage culturel brésilien – une attitude qui est loin d’être partagée par nombre d’écrivains portugais qui, outre-Atlantique, font preuve d’un certain paternalisme voire d’un mépris vis-à-vis des littérateurs brésiliens, au point de raviver le sentiment lusophobe au Brésil (Rozeaux, 2015). À Rio de Janeiro, la confraternité semble plutôt de mise, comme en témoignent les vers que le jeune poète brésilien Casimiro de Abreu (1839-1860) publie dans les colonnes du Correio Mercantil en 1858 pour saluer l’arrivée du poète Faustino Xavier de Novais au Brésil :

  • 3 En 1858, Gonçalves de Magalhães et Gonçalves Dias sont alors les deux plus célèbres poètes de la gé (...)

Si tu es portugais là-bas en Europe, / Ici, en habitant à nos côtés, (...) / Ici tu seras notre frère ! / Bienvenu, bienvenu sois-tu, / Sur ces plages brésiliennes ! / Dans la patrie des bananiers / Les gloires ne sont pas légions. / Bienvenu, ô fils du Douro ! / La terre des harmonies, / Qui possède Magalhães et Dias3, / Peut accueillir avec les honneurs Novais. (Correio Mercantil, 7/6/1858, p. 1)

Faustino Xavier de Novaes

Faustino Xavier de Novaes

A Vida Fluminense, n°87, 1870

15Le recrutement de nouveaux talents susceptibles de contribuer au rayonnement de la culture au Brésil s’accommode donc parfaitement de la présence de ces émigrés qui font du Brésil leur terre d’adoption, dans la mesure où ils ont renoncé à toute prétention de type impérialiste. Cette composition de circonstance de Casimiro de Abreu témoigne du relatif apaisement des relations culturelles entre les deux pays, et de la volonté de travailler de concert, au nom de cette fraternité luso-brésilienne de plus en plus souvent convoquée. Certes, les effectifs des littérateurs portugais objets de cette étude restent bien modestes, car la plupart des membres des réseaux culturels associatifs portugais de Rio de Janeiro n’ont pas publié d’œuvres et ne sont donc pas pris en compte dans cette étude. Cependant, cette modestie des effectifs, une vingtaine de personnes, est à mettre en perspective avec celle des effectifs des hommes de lettres dans la société brésilienne, que nous évaluons à près de 200 pour la période 1830-1880 (Rozeaux, 2012, vol. 2). Ces écrivains portugais veulent promouvoir la culture portugaise au Brésil et le dialogue interculturel entre les deux nations. Comme nous allons le voir, la diversité de leurs trajectoires individuelles semble à bien des égards s’accommoder de cette ambition collective de redorer le blason de l’ancienne puissance coloniale.

16Une première vue d’ensemble des hommes de lettres Portugais de Rio de Janeiro nous permet de constater qu’ils s’inscrivent parfaitement dans l’histoire de l’émigration portugaise au XIXe siècle : la très grande majorité d’entre eux débarque au Brésil dans les années 1850, soit la décennie qui marque le renouveau de cette vague migratoire. Par ailleurs, la plupart d’entre eux espèrent trouver au Brésil des opportunités qu’ils n’ont su obtenir au Portugal. Qu’ils soient peu fortunés comme Francisco Ramos Paz

17Ramos Paz

caixeiro

18Ramos Paz

Tentativas poéticas

19Le petit monde des écrivains portugais de Rio de Janeiro agrège également des individualités aux trajectoires plus atypiques. Quelques-uns sont ainsi issus de milieux favorisés, à l’instar de Augusto Emílio Zaluar, de Furtado Coelho ou de Valentim José da Silveira Lopes (1830- ?). Ce dernier, docteur en médecine, vice-consul du Portugal à Macaé, dans la province de Rio de Janeiro, écrit quelques pièces de théâtre mises en scènes à la capitale, tout en exerçant la profession de professeur et directeur de collège. Ces derniers voient leur carrière s’épanouir une fois installés à Rio de Janeiro : Furtado Coelho ne tarde pas à devenir l’un des plus grands acteurs de la scène brésilienne, en digne successeur du brésilien João Caetano, son aîné. Poète et journaliste, Augusto Emílio Zaluar s’impose comme une personnalité publique de premier plan, ce qui lui vaut d’être honoré du titre de chevalier de l’Ordre de la Rose par l’empereur Pedro II en 1876, vingt-sept années après son arrivée au Brésil, et vingt ans après l’acquisition de la nationalité brésilienne.

Les associations littéraires et la presse au sein de la colonie portugaise de Rio de Janeiro

20Dans le cadre plus général du mouvement associatif particulièrement dynamique au sein de la colonie portugaise, ces lettrés portugais fondent ou s’insèrent dès leur arrivée à Rio de Janeiro dans ces associations culturelles qui relayent au côté du Cabinet royal de lecture portugais la voix du Portugal au Brésil. La première association proprement littéraire qui a marqué le paysage intellectuel de son empreinte est le Grêmio Literário Português no Rio de Janeiro [la Guilde littéraire Portugaise de Rio de Janeiro], dont les statuts sont publiés le 14 mars 1858 – l’année où paraît l’Album do Grêmio Literario Português ; lequel compile les œuvres d’Ernesto Cibrão, Faustino Xavier de Novais, Francisco Gonçalves Braga, Reinaldo Carlos Montoro, Fernando Castiço, etc. En réalité, l’association existe dès 1855, puisque la revue littéraire A Saudade se présente comme l’organe du Grêmio. Cette association semble active jusqu’au milieu des années 1860, cependant que s’impose une nouvelle société, le Retiro Literário Português [la Retraite littéraire portugaise]. Fondée en 1859, à la suite d’une dissidence au sein du Grêmio, cette association est d’abord présidée par les jeunes Carlos Montoro et Ernesto Cibrão. Ces deux associations ont en commun d’exiger de leurs membres effectifs la nationalité portugaise, tandis que les deux catégories de membres honoraires et membres correspondants sont ouverts aux autres nationalités.

21Les statuts du Retiro précisent les trois objectifs qui ont présidé à la création de l’association (Collecção…, 1862, p. 498-504). Le premier est d’œuvrer à la publicité, à la promotion et à l’édition de la « littérature patrie », par la réimpression des classiques de la littérature portugaise. La publication d’une revue et d’archives doivent permettre de rendre publics les travaux des membres de l’association. Le second objectif est l’organisation de cours à l’adresse des Portugais qui, pour beaucoup, arrivent au Brésil sans avoir reçu une formation scolaire de qualité. Enfin, l’association espère fonder une bibliothèque recueillant les œuvres classiques et contemporaines de la littérature portugaise, sur le modèle du Cabinet de lecture fondé en 1837. Ces objectifs répondent aux attentes de la représentation consulaire portugaise de Rio de Janeiro, puisqu’il s’agit de contribuer à l’amélioration de l’éducation des membres de la communauté, tout en promouvant à destination d’un public plus large la culture nationale. Signalons en particulier que le Retiro a effectivement édité deux revues littéraires et un « Album » ( A Messe, 1860 ; Revista do Retiro Literário Português, 1882-1885 et Archivo do Retiro Literário Português, 1870) Ces publications, comme les nombreuses réunions et festivités organisées dans ce cadre associatif, ont permis de redorer le blason de la colonie portugaise, tout en veillant à améliorer le niveau de formation de ces jeunes immigrés arrivés là bien souvent sans formation. Ce sont d’ailleurs d’anciens membres du Retiro qui fondent en 1868 le Liceu Literário Português. Le Liceu proposait des cours d’éducation populaire de niveau primaire et secondaire. Cette nouvelle entité culturelle portugaise à Rio de Janeiro allait connaître une grande longévité, puisqu’elle existe encore aujourd’hui à Rio de Janeiro. À l’hiver 1884, son nouveau siège est inauguré en présence de l’empereur D. Pedro II (Lyceu…, 1968).

22Comme l’attestent les statuts du Retiro, la publicité faite aux travaux des écrivains portugais, qu’ils soient au Portugal ou installés au Brésil, était un objectif essentiel de ces formes de sociabilité nouvelles. Déjà, à la fin des années 1840, la revue dominicale Lísia Poetica (1848-1849) reproduit les compositions poétiques des grands noms du romantisme portugais, comme Almeida Garrett ou Alexandre Herculano, de jeunes talents comme Zaluar, encore lisboète à cette date, Luís Augusto Palmeirim ou José da Silva Mendes Leal Junior, sans oublier les premiers écrits de ces « jeunes gens portugais employés de commerce actuellement à Rio de Janeiro », mais dont l’histoire littéraire n’a gardé d’autres traces que ces quelques compositions isolées (Lísia poetica, 1848, p. 96). On citera également la parution deux années durant de la revue Iris (1848-1849), fondée et dirigée par José Feliciano de Castilho de Barreto e Noronha (1810-1879), le frère cadet du célèbre écrivain portugais Antonio Feliciano de Castilho. Diplômé en droit de l’université de Coimbra, il mène carrière à Lisbonne, devient directeur de la Bibliothèque Nationale en 1843, avant de gagner Rio de Janeiro trois années plus tard, où il exerce le métier d’avocat. Il participe dès lors à la vie culturelle de la capitale brésilienne, collabore à de nombreuses revues et fonde ce nouveau périodique littéraire qui réussit à s’attirer la collaboration de plumes célèbres du Portugal et du Brésil.

23La fin des années 1850 et le début des années 1860 sont marquées par la fondation de nouveaux périodiques en charge d’assurer la promotion des lettres portugaises qui souffraient alors d’un déficit de connaissance et de reconnaissance. Outre la parution entre 1855 et 1857 de la 1ère série de la revue A Saudade, modeste publication sans grand écho du Grêmio Literário Português, il faut ici citer O Universo Illustrado – Pittoresco e Monumental, une revue de quatre pages, publiée de janvier 1858 à février 1859, à raison de trois livraisons mensuelles. João Dantas de Souza, principal collaborateur de la revue, est né au Portugal en 1835, et vit au Brésil entre 1849 et 1862. Le tirage de ce journal illustré est estimé, d’après la liste de ses souscripteurs, à mille exemplaires, dont près des 4/5ème à destination du public du municipe et de la province de Rio de Janeiro. Il semble donc que cette revue s’adressait d’abord aux lettrés de la colonie portugaise de Rio de Janeiro, amateurs d’une revue qui exalte leur patrie tout en cultivant les formes de l’amitié luso-brésilienne. Car, dans le premier numéro, le rédacteur de la revue définit cette nouvelle publication comme un « nouvel héraut de la littérature Luso-Brésilienne ». Y sont célébrées les grandes personnalités du monde luso-brésilien dans des articles privilégiant les portraits de personnages historiques illustres du passé colonial. Cette entreprise s’apparente donc à la construction d’une mémoire partagée sous la forme d’un panthéon des grandes figures historiques. Par ailleurs, une large place est laissée aux œuvres des romantiques portugais, parmi lesquels Almeida Garrett et Alexandre Herculano. Pourtant, en dépit d’une diffusion tout à fait honorable pour une revue littéraire au Brésil, O Universo Illustrado disparaît du paysage médiatique après un peu plus d’un an de publication, preuve de la difficulté à pérenniser ce projet auprès du public brésilien – peut-être peu intéressé par une publication qui ne laisse que peu de place aux grands noms du romantisme brésilien.

24Après la parution éphémère de A Messe (1860) par le Retiro Literário Português, une nouvelle aventure éditoriale plus ambitieuse est lancée en 1862, avec la revue bi-mensuelle littéraire et illustrée O Futuro (1862-1863). Machado de Assis soutient l’initiative de cette revue luso-brésilienne fondée et dirigée par Faustino Xavier de Novais, par ailleurs membre du Grêmio Literário Português, dans le Diário do Rio de Janeiro en 1862 :

O Futuro, revue qui sera publiée tous les quinze jours, est un nouveau trait d’union entre la nation brésilienne et la nation portugaise. De nombreuses raisons justifient une telle intimité entre deux peuples qui, faisant fi des divergences fatales du passé, ne doivent avoir qu’un seul désir, celui de glorifier la langue qu’ils parlent, et que de nombreux génies ont honoré par le passé. (…) La langue portugaise me semble promise à un avenir radieux ; nous ne devons pas céder à la désunion ; le principe social selon lequel l’union fait la force est également valable dans le domaine intellectuel et doit être la devise de nos deux littératures. (« Comentários da semana », Diário do Rio de Janeiro, 14 mars, 1862, p. 1))

  • 4 La liste complète des 54 collaborateurs de la revue est présentée dans une annonce du Diário do Rio (...)

25La chronique de l’homme de lettres carioca est un hymne à l’union des forces littéraires de part et d’autre de l’Atlantique prônée par la nouvelle publication. L’éditorial publié dans le premier numéro de O Futuro affirme la vocation de la revue à « établir un espace commun dans lequel les écrivains des deux nations viendraient discuter librement, sans préoccupations mesquines d’opinion ou de nationalité, s’initier à la connaissance mutuelle du mouvement littéraire de chacune de ces nations afin de promouvoir par l’exemple réciproque le progrès littéraire de pays aussi fertiles et riches en imaginations et en grands penseurs. » (O Futuro, 1862, n°1, p. 25) Pour ce faire, Novais fait appel aux principaux talents littéraires de l’époque, qu’ils soient Brésiliens ou Portugais.4 Il publie dans sa revue de nombreux extraits des œuvres du romantisme portugais. Pourtant, une fois encore, la publication s’interrompt au vingtième numéro, en juillet 1863, faute d’abonnés à jour de cotisation.

26Outre ces différentes revues, de nombreuses publications faites à Rio de Janeiro contribuent également au double objectif de promotion de la littérature portugaise et de reconnaissance des hommes de lettres portugais de la capitale. Comme Novais et quelques autres, Francisco Gonçalves Braga publie un recueil de ses poésies intitulé Tentativas poéticas (1856). Il est tout à fait remarquable d’y constater les très nombreuses références faites aux romantiques brésiliens et portugais. Même si la primauté est donné aux grands classiques portugais, comme Camões, et aux figures du romantisme portugais comme Antonio Feliciano de Castilho, Almeida Garrett ou Alexandre Herculano, le poète dédie de nombreuses compositions aux romantiques brésiliens qu’il a pu côtoyer dans la capitale : Domingos José Gonçalves de Magalhães, Antonio Gonçalves Teixeira e Sousa ou Machado de Assis, dont il est proche. Ce recueil témoigne de la loyauté de l’émigré pour la mère patrie, et de la volonté manifeste d’œuvrer à sa mesure à remettre sur leur piédestal un pays et une littérature malmenées au Brésil. L’ « Ode à D. Pedro V le jour de son Acclamation » (Braga, 1856, p 155) traduit en outre l’espoir d’une renaissance culturelle et politique du royaume portugais, trop longtemps tombé en déshérence, sous la protection du nouveau roi qui veille sur les destinées du pays depuis 1853.

27La promotion des grandes œuvres du panthéon littéraire portugais, et plus généralement de la grandeur de la Couronne portugaise, est prise en charge par les associations, les revues et les lettrés portugais qui se mobilisent à l’occasion d’événements commémoratifs. Ainsi le Cabinet de lecture portugais de Rio, en bonne entente avec les principales associations portugaises parmi lesquelles le Retiro Literário Português, célèbre-t-il en 1880 le 300ème anniversaire de la mort du plus célèbre écrivain portugais, Camões, par une nouvelle édition des Lusiades (1880). L’organisation de cette édition a été confiée à Reinaldo Carlos Montoro, depuis Rio de Janeiro, en collaboration avec deux écrivains faisant carrière au Portugal, Ramalho Ortigão et Adolfo Coelho. Cette édition est donc le fruit d’une collaboration transatlantique soutenue par une institution culturelle portugaise de Rio de Janeiro, afin de promouvoir l’œuvre et la mémoire de celui qui est alors considéré comme le plus grand « génie » des lettres portugaises. Le même Montoro publie la même année un fascicule relatant le faste des hommages rendus au Brésil à Camões (Montoro, 1880). Un tel faste s’explique par le soutien matériel et intellectuel reçu du milieu littéraire et de l’État brésilien, puisqu’une exposition est organisée à cette occasion à la Bibliothèque Nationale (Venâncio, 2012).

28On comprend aisément le zèle des lettrés de la colonie portugaise de Rio à entretenir cette mémoire d’un « génie » littéraire dont l’aura pourrait rejaillir sur la nouvelle génération. Monument fondateur du patrimoine littéraire portugais, la mémoire et la diffusion de l’œuvre de Camões en 1880 contribuent à la fois à valoriser le legs culturel de l’ancienne puissance coloniale, cher aux Portugais de Rio, et à inscrire leurs œuvres dans une tradition illustre, dont ces derniers espèrent profiter en retour. À travers ces quelques exemples qui ne prétendent ici aucunement à l’exhaustivité, force est de constater que les lettrés portugais de Rio de Janeiro, bien que peu nombreux, ont œuvré à répondre à un triple défi : entretenir la mémoire du panthéon littéraire portugais, promouvoir l’œuvre des écrivains portugais contemporains, tout en s’insérant dans le paysage intellectuel carioca, sous les traits polymorphes du passeur culturel, du journaliste et de l’homme de lettres. Malgré les tensions et polémiques que nourrissent immanquablement cette présence remarquée des écrivains portugais (qu’ils vivent au Portugal ou appartiennent à la colonie de Rio de Janeiro) dans la librairie, la presse et l’édition brésiliennes, les trajectoires suivies par cette poignées d’hommes de lettres portugais de Rio de Janeiro témoignent des possibilités nouvelles d’intégration au sein du milieu littéraire de la capitale. Ces lettrés, présents dans ces cercles de sociabilité culturels propres à la colonie portugaise comme, plus largement, dans le paysage culturel et médiatique de la capitale impériale, ont contribué à développer les relations culturelles qui lient le Brésil à son ancienne métropole, tout en proposant aux lecteurs du Brésil une production littéraire et journalistique frappée du sceau de la confraternité, susceptible d’apaiser les tensions héritées du passé et de nourrir l’intérêt de la société brésilienne et de la colonie portugaise pour les œuvres des – nombreux – disciples de Camões, de part et d’autre de l’Atlantique.

Conclusion 

29Petit monde au sein de la colonie portugaise de Rio de Janeiro, les hommes de lettres portugais au Brésil ont œuvré à la fondation d’associations culturelles aux effectifs plus larges qui ont contribué à faciliter leur insertion dans la vie publique brésilienne, afin de s’y faire une place, et de défendre les intérêts spécifiques de la colonie portugaise dont ils se veulent être les porte-paroles, sans oublier ceux de la Couronne du Portugal dont ils étaient les dignes représentants. Actifs au sein de la vie littéraire via la constitution d’associations et la fondation de revues, ces hommes de lettres vont mettre leur plume au service d’une ambition particulière ; celle de promouvoir les racines communes de deux littératures longtemps inféodées, tout en assurant la promotion de la littérature romantique portugaise – et de leurs propres œuvres – au Brésil. Ces sociabilités culturelles ont pu jouer le rôle d’intermédiaires pour une meilleure insertion des écrivains les plus brillants dans le milieu littéraire brésilien : outre la publication de leurs œuvres, ils collaborent aussi aux revues littéraires et aux principaux journaux brésiliens, comme en témoigne la brillante carrière de Faustino Xavier de Novais comme feuilletoniste et poète à Rio de Janeiro.

30Passeurs culturels, écrivains, acteurs de la vie culturelle carioca, ces immigrés d’un type bien particulier ont ainsi contribué à redorer le blason d’une colonie que d’aucuns accusaient alors de ne pas être à la hauteur des attentes de la société brésilienne en matière d’immigration et de colonisation. Tout à la fois insérés dans la colonie portugaise et dans certains cercles littéraires de la capitale, ils ont contribué par leurs œuvres et leurs actions publiques à renouer ce lien un temps battu en brèche entre le Brésil et le Portugal. Insignifiants par le nombre, si l’on se réfère aux entrées sans cesse croissantes des Portugais au Brésil, ils n’en ont pas moins obtenu une audience certaine auprès des élites intellectuelles du pays, et contribué ainsi à la consolidation de cet espace littéraire luso-brésilien en voie de structuration dans la 2ème moitié du XIXe siècle.

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Notes

1 Le terme de « colonie » est utilisé par les Portugais de Rio de Janeiro, comme l’atteste, par exemple, le titre de ce journal hebdomadaire de Rio de Janeiro : Gazeta luzitana. Publicação semanal dedicada à Colonia portugueza no Brazil. Rio de Janeiro, Typ. Esperança, 1883-1888.

2 Le somptueux siège de la bibliothèque, tel qu’elle se présente encore aujourd’hui au regard des passants et des lecteurs, a été inauguré plus tard, en 1887.

3 En 1858, Gonçalves de Magalhães et Gonçalves Dias sont alors les deux plus célèbres poètes de la génération fondatrice du romantisme littéraire brésilien.

4 La liste complète des 54 collaborateurs de la revue est présentée dans une annonce du Diário do Rio de Janeiro, le 18 septembre 1862, en dernière page du journal.

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Table des illustrations

Titre Faustino Xavier de Novaes
Crédits A Vida Fluminense, n°87, 1870
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/docannexe/image/12015/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 315k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Rozeaux, « Les Portugais dans l’Empire du Brésil (1822-1889) : les trajectoires spécifiques des hommes de lettres au sein de la colonie portugaise de Rio de Janeiro »Confins [En ligne], 31 | 2017, mis en ligne le 14 juin 2017, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/confins/12015 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/confins.12015

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Auteur

Sébastien Rozeaux

Centre de recherches sur le Brésil colonial et contemporain – Mondes Américains UMR 8168, EHESS

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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