Nous dédions ce texte à Philippe Bonnal, infatigable analyste des agricultures familiales du Brésil et du monde, qui nous a quittés trop tôt en mai 2016 après la soumission de cet article. In memoriam
- 1 Les exploitations patronales regroupent des exploitations qui « se distinguent par un recours struc (...)
1Au Brésil comme au Maroc, le secteur agricole est marqué par des différences extrêmes en termes de tailles d’exploitation, de niveaux d’équipement, de capital et de techniques de production. Dans les deux pays, la majorité des exploitations peut être considérée comme familiale, c’est-à-dire qu’elles sont caractérisées par « des liens organiques entre la famille et l’unité de production et par la mobilisation du travail familial excluant le salariat permanent » (Bélières et al., 2014). Dans de nombreuses régions de ces deux pays, les exploitations familiales coexistent avec des exploitations patronales1 et des entreprises agricoles.
2Dans les deux pays, les politiques publiques agricoles des 20 dernières années ont cherché à prendre en compte cette extrême diversité des exploitations. Au Brésil, le secteur de l’agriculture familiale avait été historiquement délaissé au profit de l’agriculture patronale qui a été un élément structurant de la société et de l’économie brésilienne. Des politiques spécifiques d’appui à l’agriculture familiale ont été mises en œuvre depuis 1995. Le Maroc a connu depuis 2008 une redynamisation de sa politique agricole, avec l’instauration du Plan Maroc Vert. Ce Plan se propose lui aussi de prendre en compte la diversité des exploitations agricoles, à travers notamment la structuration des dispositifs d’appui selon deux piliers, l’un pour l’agriculture dite « solidaire », l’autre pour l’agriculture à fort potentiel productif.
3Cet article se propose de comparer les choix de politiques publiques faits au Maroc et au Brésil pour appuyer l’agriculture familiale. Bien sûr, chacun des deux pays a une histoire et des caractéristiques (géographiques, économiques, politiques, etc.) qui lui sont propres. Pourtant, ces deux pays font face aux mêmes questions : quels objectifs les pouvoirs publics se donnent pour le développement des exploitations familiales, dans quelle mesure et comment déployer des mécanismes d’appui spécifique à ces exploitations, etc. Nous nous intéressons ainsi à comprendre les réponses que les gouvernements des deux pays ont apporté à ces questions, et nous proposons quelques premiers éléments relatifs à l’histoire et aux caractéristiques de chaque pays qui permettent d’expliquer la diversité des réponses proposées. Avant de présenter et de comparer les politiques publiques d’appui à l’agriculture familiale au Maroc et au Brésil, nous présentons les caractéristiques principales des structures agraires dans les deux pays.
- 2 Cet article est une version approfondie de Bonnal et al. (2015) avec notamment une présentation plu (...)
4L’analyse a été effectuée à partir de l’expérience des auteurs qui ont eu l’occasion d’étudier les politiques agricoles au Brésil (Sabourin, 2007, 2009 et 2015 ; Bonnal, 2013) et au Maroc (Faysse, 2013 ; Faysse et al., 2014 ; Faysse, 2015) et à partir d’une revue de littérature complémentaire2.
5Au Brésil, l’agriculture, et plus particulièrement le secteur patronal basé sur la concentration foncière, a constitué le socle économique et politique sur lequel s’est construit une modernisation agricole, cependant qualifiée de « conservatrice » (Rangel, 2000) ou douloureuse (Silva, 1982). Ce processus de modernisation correspondant à la période militaire brésilienne a remplacé la réforme agraire par une politique de colonisation de la frontière agricole des savanes (Cerrados) et de l’Amazonie en maintenant l’inégalité et la concentration foncière (Fernandes et Welch, 2008 ; Sabourin, 2009). Certes, les formes de cette agriculture ont évolué : la plantation esclavagiste dans le cadre du marché exclusif avec la métropole de la période coloniale a laissé la place, à la fin du XIXème siècle, à l’exploitation patronale tournée vers l’exportation. Cependant cette agriculture patronale basée sur la concentration foncière a toujours été la forme de production plébiscitée par l’État. La révolution verte des années 1960 leur a conféré les conditions indispensables de compétitivité. Les exploitations patronales constituent toujours des acteurs fondamentaux dans la stratégie nationale d’exportation agricole (Théry, 2009).
6L’agriculture au Brésil est une activité toujours très importante puisque 15% de la population totale, soit 30 millions de personnes, vivent en milieu rural et que 15% de la population active relève du secteur agricole, ce qui correspond à 16 millions de travailleurs (Institut Brésilien de Géographie et d’Economie - IBGE, 2011). Cependant, au sein de cette population rurale, les exploitations agricoles présentent une diversité extrême. Les exploitations de moins de 100 ha représentent 91% du nombre des exploitations et 75% de la main d’œuvre mais celles-ci ne cultivent que 21% des superficies cultivées.
- 3 Unité de surface qui correspond à la surface minimum de viabilité économique. Elle est définie au n (...)
7En application des directives de l’État, l’IBGE (organe officiel en charge des statistiques publiques) différencie, depuis le recensement agricole de 2006, l’agriculture familiale et l’agriculture patronale. La première est composée des exploitations familiales (i) dont la surface exploitée n’excède pas quatre modules fiscaux3, où (ii) la main-d’œuvre est majoritairement d’origine familiale, laquelle (iii) gère directement l’exploitation et (iv) en tire un minimum de revenu. L’agriculture familiale englobe également les communautés indigènes, les pêcheurs artisanaux et les personnes vivant de la cueillette en forêt. Les exploitations familiales doivent, pour être reconnues comme telles, employer au maximum deux actifs permanents.
8Le recensement de l’IBGE (2006) révèle ainsi que le secteur de l’agriculture familiale rassemble environ 4,4 millions d’exploitations (84% du total) qui exploitent un peu plus de 80 millions d’hectares (24% du foncier agricole total) et que le secteur non familial concentre environ 800 000 unités de production (soit 16% du total) exploitant 254 millions d’hectares (soit 76% de la surface agricole totale). Les agriculteurs familiaux sont fréquemment pluriactifs : cela concerne 1 500 000 chefs d’exploitations, soit 30% du total, que ce soit dans le domaine agricole ou non agricole. Un cinquième des membres des familles d’exploitations familiales travaillent en dehors de l’exploitation et 62% d’entre eux en dehors de l’agriculture (IBGE, 2009).
9L’agriculture familiale joue un rôle important dans de nombreuses filières agricoles. Ainsi, en 2006 elle représentait plus de 30% du PIB agricole dans différentes filières. Cependant, le secteur de l’agriculture familiale est affecté par les maux classiques des secteurs socio-économiques marginalisés. Cela est attesté par exemple par le faible engagement politique pour mettre en place une politique volontariste en matière de réforme foncière, le faible niveau d’éducation des personnes qui composent le secteur (37% des agriculteurs sont analphabètes ou n’ont jamais étudié et 43% n’ont pas terminé le cycle d’éducation de base, correspondant à 9 ans de scolarité) ou encore, par l’insuffisance des infrastructures productives et sociales.
10Une des forces du secteur de l’agriculture familiale est sa capacité croissante en matière d’organisation et de négociation avec l’État. Cette capacité est le résultat d’un mouvement social massif associant des dynamiques syndicales et associatives avec l’appui d’ONG agissant dans les domaines du développement agricole et rural ou de l’environnement. Cette dynamique s’est accentuée au cours des années 80 et 90. Dans les années 1960, la loi qui a créé les syndicats agricoles a lié la représentation syndicale à la division administrative communale (municipio) et a requis la participation obligatoire des agriculteurs. Cette loi a eu pour effet de générer un tissu dense de syndicats de base, dotant les principales organisations d’agriculteurs - telle que la Confédération Nationale des Travailleurs de l’Agriculture - d’un important pouvoir de négociation auprès des pouvoirs publics. Par ailleurs le mouvement de revendication de la réforme agraire construit autour du Mouvement des Travailleurs sans terre (MST) constitue une part importante de près de 15% des exploitations familiales et un secteur particulièrement actif en termes d’associations et de coopératives (Fernandes, 2015 et données du site DataLuta de l’Unesp4).
- 5 Ce recensement général est le plus récent. D’autres études ont eu lieu par la suite, mais sur des z (...)
11Au Maroc, 44,9% de la population vit en milieu rural (HCP, 2004). Le secteur agricole a été considéré comme un axe majeur des politiques de développement depuis l’indépendance. Selon le recensement agricole de 19965, il y avait un million et demi d’exploitations à cette époque, dont 70% ont moins de 5 ha. La quasi-totalité des exploitations (99,2 %) étaient gérées par leur propre exploitant. Selon les mêmes données, 94,6% des exploitations ne faisaient pas appel à de la main d’œuvre permanente, c'est-à-dire que l’agriculture patronale et d’entreprise ne représentait en 1996 que 5,4% des exploitations (Akesbi et al., 2008). Par ailleurs, 12 000 unités, couvrant 3,2 % de la SAU étaient confiées à des gérants (Akesbi, 2011). Ces données ne permettent cependant pas de différencier agriculture patronale et agriculture d’entreprise.
12Dans une analyse diagnostique plus récente du secteur, le Ministère de l’Agriculture a différencié un secteur moderne, constitué de 150 000 exploitations, exploitant 22% de la SAU et 30% de la SAU irriguée (Conseil Général du Développement Agricole, 2009). Ce secteur est considéré comme équipé, bien intégré au marché et bancable. L’autre secteur est le secteur traditionnel, constitué de 1.350.000 exploitations, que l’on peut diviser en micro exploitations d’une part, et d’autre part petites et moyennes exploitations. Le Conseil Général du Développement Agricole (2009) considère que les 750 000 petites et moyennes exploitations ont un potentiel important de développement de leurs activités agricoles mais restent limitées par des difficultés telles que l’accès au marché, aux technologies ou au crédit bancaire. Les 600 000 micro-exploitations souffrent des mêmes difficultés et ne réussissent pas à générer des revenus suffisants au sein de l’exploitation Elles ont de ce fait systématiquement des revenus complémentaires hors agriculture.
13De nombreuses coopératives agricoles existent au niveau local. Cependant, les agriculteurs de petites exploitations n’ont que peu de poids dans les organisations professionnelles agricoles existant au niveau régional ou national, ces dernières étant conduites par des agriculteurs de grandes exploitations (Faysse et al., 2010). Par ailleurs, il n’existe pas de syndicat spécifiquement agricole, et les agriculteurs familiaux n’ont ainsi pas de voix spécifique dans les discussions sur la conception et la mise en œuvre des politiques publiques (Faysse, 2015).
14Les tailles des exploitations dans les deux pays sont très diverses (Figures 1 et 2), en gardant à l’esprit que la grande variabilité climatique et édaphique dans les deux pays relativise la pertinence de la taille du foncier comme indicateur de la taille économique de l’exploitation. Dans l’ensemble, les exploitations brésiliennes sont bien plus grandes : 85% des exploitations agricoles possédant des terres ont moins de 10 ha au Maroc, tandis que ce sont 47% des exploitations possédant des terres qui ont moins de 10 ha au Brésil. Le Brésil présente une différenciation plus marquée, avec moins de 1% des exploitations (celles de plus de 1000 ha) possédant 42% des terres, tandis qu’au Maroc, les plus grandes exploitations (plus de 20 ha) représentent 3,7% de l’ensemble exploitations et 35% des superficies. Par ailleurs, l’agriculture au Maroc représente une composante importante de l’économie, avec 14% du PIB en 2009 (Ministère de l’Agriculture, 2010) tandis que le secteur agricole du Brésil ne représentait que 5,5% du PIB national en 2012 (FAO, 2013).
Figure 1 : Répartition des exploitations agricoles par superficie exploitée au Brésil
(source : IBGE, 2009)
Figure 2 : Répartition des exploitations agricoles par superficie exploitée au Maroc
Les données présentées pour le Maroc datent du dernier recensement général agricole de 1996, soit presque 20 ans.
(source : Agrimaroc, 2014)
15Le mouvement social pour la réforme agraire issu des ligues paysannes de années 50-60 a été prolongé à la fois par le syndicalisme des travailleurs agricoles et petits exploitants et par les mouvements sociaux des paysans sans terre. Entre les années 1985 et 1993, l’ensemble de ces mouvements ont assuré des mobilisations très importantes qui ont parfois paralysé le pays ou son administration et ont provoqué la création d’une politique spécifique d’agriculture familiale avec le PRONAF (Leite et Medeiros, 2003 ; Fernandes et Welch, 2008 ; Grisa, 2010). Les syndicats agricoles, dont la fonction à l’origine était cantonnée à la gestion des prestations sociales, ont acquis progressivement une force de contestation qui s’est exprimée, dans les années 1990, par des revendications nationales, autour du mouvement « gritos da terra » (les cris de la terre). Ces revendications ont été par la suite à l’origine de la création du Programme National de Renforcement de l’Agriculture Familiale (PRONAF) et à la reconnaissance officielle du statut d’agriculteur familial. Au cours de la décennie précédente, le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST), créé en 1984, avait repris les mouvements de revendications foncières mis en œuvre avant le gouvernement militaire (1964-1985) et réussi à contribuer à l’installation d’agriculteurs sur des terres non cultivées.
16L’institutionnalisation de la catégorie socio-politique de l’agriculture familiale s’est articulée autour de trois évènements spécifiques. Le premier a été la création du PRONAF en 1995, par le gouvernement du président Cardoso. Ce programme est le premier à mentionner l’agriculture familiale comme cible spécifique de l’intervention publique et à définir des critères objectifs pour désigner cette forme d’agriculture. Outre le caractère familial, c’est la limite de 2 actifs permanents qui constitue le critère discriminant. Le PRONAF a été mis en place suite à une action du syndicat majoritaire et une forte mobilisation des agriculteurs, avec le mouvement Grito da terra, mentionné antérieurement.
17Le deuxième évènement majeur a été la création du Ministère du Développement Agraire (MDA) en 1999. L’instauration de ce ministère a officialisé la reconnaissance de la dualité de l’agriculture et la stratégie de l’État de mettre en place des politiques différenciées. Le MDA se consacre exclusivement aux exploitations considérées comme familiales dont les bénéficiaires de terres de la réforme agraire, tandis que le Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Approvisionnement (MAPA selon son sigle brésilien) continue à gérer le secteur patronal. Le troisième élément a été la promulgation de la loi fédérale 11.326 (Gouvernement du Brésil, 2006) définissant les exploitations agricoles composant l’agriculture familiale et les contours des politiques afférentes.
- 6 Pour une analyse plus complète de ces programmes, voir Bonnal (2013).
18Le MDA a mis en place un grand nombre de programmes d’appui à l’agriculture familiale, que ce soit dans les domaines productifs, sociaux, citoyens, mais aussi dans le domaine du développement rural. Nous ne citerons ci-après que certains de ces programmes parmi les plus médiatiques6.
Un agronome de démontre une méthode de germination de graines d'umbuzeiro
19Hervé Théry, 2011
20Le PRONAF, principal instrument de financement des agriculteurs familiaux (pour l’investissement productif et le crédit de campagne) est en constante évolution depuis sa création, que ce soit en termes de lignes de crédit, d’importance des ressources financières allouées ou encore de nombre de contrats signés. Les conditions de crédits (volume prêté, taux du crédit, objet et durée du prêt) dépendent de la catégorie du producteur et sont très favorables pour les exploitations les plus petites. Les conditions deviennent de plus en plus contraignantes à mesure que croît le chiffre d’affaire.
21La progression du PRONAF a été particulièrement significative durant la période des gouvernements dirigés par Lula da Silva (2003-2011) (Figure 3). En 2012, 2,25 millions de contrats ont été signés dans le cadre du PRONAF pour un volume de financement de près de 20 milliards de Reais (6,4 milliards d’Euros). Les ressources en crédit attribuées aux exploitations familiales via le PRONAF ont été multipliées par 4 de 1999 à 2013 (Figure 3) pour culminer à 800 millions d’US$ en 2013 (soit 604 millions d’euros environ).
22A partir de 2003, le PRONAF a connu une grande différenciation des types de crédits, selon des publics cibles spécifiques, et ce en réaction à des demandes des mouvements sociaux. Douze modalités différentes ont ainsi été créées : femmes, jeunes, région semi-aride, agro-industrie, agroforesterie, agro-écologie, agro-tourisme, écologie, etc. Cependant, ces modalités spécifiques ont été peu appliquées pour deux raisons. D’une part, les banques et les services de vulgarisation préféraient privilégier les crédits de systèmes de production consolidés, notamment l’élevage bovin laitier. D’autre part, les ministères de tutelle cherchaient à privilégier les projets de crédits pour des équipements, animaux ou machines, assurant un retour économique pour l’industrie nationale (Grisa et al., 2014 ; Aquino et Schneider, 2010 ; Villemaine et al., 2012).
Figure 3. Évolution des volumes de crédits PRONAF (1999-2012)
(Source : Silveira et Valadares, 2014, à partir de données IBGE)
23Par ailleurs, si le PRONAF a d’abord été orienté vers les agriculteurs de faibles revenus localisés dans la région semi-aride du Nordeste, il a été réorienté au cours des 5 dernières années vers les agriculteurs fortement insérés dans les filières d’exportation (soja, maïs) localisés essentiellement dans la région sud. Ces agriculteurs absorbent désormais les trois quarts des crédits (Silveira et Valadares, 2014).
24Différents programmes innovants ont été mis en place en matière de commercialisation. Le Programme Acquisition d’Aliments, créé en 2003, permet de constituer des stocks de produits alimentaires de l’agriculture familiale et de destiner ces produits aux populations en situation d’insécurité alimentaire ainsi qu’aux marchés institutionnels (écoles, hôpitaux, prisons). Ce programme, réservé aux agriculteurs familiaux, représente un véritable outil adapté au renforcement de l’agriculture familiale en dépit de ressources parfois trop limitées (plafond de 9 500 Reais par exploitation familiale et par an, soit environ 2 500 euros) (MDA, 2009). Dans le cadre de ce programme, l’État achète tous les types de production à un prix garanti, y compris les produits transformés à la ferme (fromages, confitures, cassonade, etc.). Devant le succès de ce programme, plébiscité par les organisations paysannes, le gouvernement a augmenté, entre 2009 et 2013, le plafond par famille ainsi que le budget du programme afin de diversifier la gamme des produits et les modalités d’accès, en particulier via les organisations syndicales et coopératives.
25Le Programme National d’Alimentation Scolaire, créé en 2009, porte spécifiquement sur la fourniture alimentaire des cantines scolaires dont la loi impose depuis 2009 que 30% proviennent de l’agriculture familiale. De nouveaux programmes sont en cours d’adaptation en matière de certification des produits de l’agriculture familiale et d’organisation d’une filière de produits de la collecte (forestière essentiellement).
26Le PRONAF, à partir de 2003, a différencié les types de crédits qu’il octroyait en raison des demandes des mouvements sociaux. Douze modalités différentes ont ainsi été créées : femmes, jeunes, semi-aride, agro-industrie, agroforesterie, agro-écologie, agro-tourisme, écologie, etc. Mais ces modalités spécifiques ont été peu appliquées à cause de la résistance des banques et des services de vulgarisation à sortir des schémas classiques et du fait des pressions de leur tutelles pour privilégier les projets de crédits pour des équipements, animaux ou machines, assurant un retour économique pour l’industrie nationale (Aquino et Schneider, 2010 , Sabourin, 2015). Un grand nombre de programmes ont aussi vu le jour au cours des dernières années visant à stimuler les activités de transformation des produits de l’agriculture familiale ou à ajouter des productions génératrices de revenu dans le système de culture. Il s’agit par exemple du Programme Agro-industrie Rurale, créé en 2003, lequel fournit du crédit, des conseils techniques, des formations et une aide à la négociation aux agriculteurs familiaux ou groupements voulant créer une activité familiale agro-industrielle.
27La vague de désengagement de l’État du début des années 1990 avait conduit à la suppression de l’institution fédérale d’assistance technique et de vulgarisation agricole, l’EMBRATER, laissant les services de conseil agricole péricliter sous la dépendance des seules ressources des États fédérés et sans renouvellement des ressources humaines. Depuis 2003, un nouveau programme de conseil agricole a été lancé pour restructurer le service public de vulgarisation agricole démantelé en 1990. Il s’agit du Programme National d’Assistance Technique et de Développement Rural (PNATER). Dans le cadre de ce programme, le service de conseil a été décentralisé et délégué à des opérateurs publics et privés sélectionnés par appel d’offre.
28Le PNATER a été accompagné d’un important programme de formation des techniciens pour la promotion de l’agro-écologie. Des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour appuyer plus particulièrement des publics spécifiques : femmes, communautés amérindiennes ou descendants des esclaves afro-brésiliens, agriculteurs de périmètres de la réforme agraire, etc. Les syndicats d’agriculteurs familiaux ont négocié un renouvellement et une extension des instruments de conseil, d’assistance technique et de vulgarisation agricole.
29Enfin, l’Agence Nationale de l’Assistance Technique et du Développement Rural a été réformée en 2014. Son rôle, associé à des moyens renforcés, sera à la fois de financer via des appels d’offre le conseil agricole et d’assurer sur fonds publics le renouvèlement des méthodes et de la formation des techniciens et conseillers.
30Depuis 2003, le Brésil s’est doté de deux programmes emblématiques. Le premier est le Programme de Développement Durable des Territoires Ruraux (PRONAT). Il a été créé en 2004 et relève du Ministère du Développement Agraire. Il organise une politique de nature participative et transversale offrant la possibilité aux acteurs locaux de construire des projets de développement d’infrastructures collectives à l’échelle inter-municipale ou territoriale. (Leite et Delgado, 2011). Dans le cadre du programme, divers dispositifs ont été construits destinés à identifier des territoires de projet, élaborer des plans de développement territorial, discuter et financer des projets territoriaux et assurer une gouvernance territoriale. Depuis 2004, 239 territoires de développement rural ont été définis, dans lesquels vivent quelques 65 millions de personnes.
31Le second est le Programme des Territoires de la Citoyenneté. Il s’agit d’un dispositif de coordination de politiques publiques décentralisé au niveau territorial (c’est-à-dire celui de plusieurs communes ou municipios correspondant à une microrégion naturelle, identitaire ou administrative) visant à concentrer l’action publique dans les territoires les plus démunis. Dans les faits, les territoires de la citoyenneté ont été choisis parmi les territoires ruraux dont les indices de développement humain sont les plus bas et la densité de pauvreté rurale la plus élevée. Le Programme des Territoires de la Citoyenneté est essentiellement un dispositif de renforcement et de ciblage des instruments du PRONAT sur des zones prioritaires, par la concentration et la coordination des politiques existantes mises en place par l’ensemble des ministères intervenant dans le développement rural : éducation, santé, infrastructures, industrie, développement agraire, etc.
32Un point faible, en matière de territorialisation de ces politiques publiques, tient à l’absence d’un statut juridique et d’une administration au niveau de ces territoires, souvent définis à une échelle inter-municipale, ce qui fragilise l’opérationnalité de cette échelle de gouvernance (Sabourin, 2007). Le statut juridique des territoires est fragile car ils n’ont été définis que par ordonnance ministérielle et non par amendement constitutionnel, ce qui les rend très exposés à l’alternance politique du pouvoir. L’absence d’administration territoriale est à relier à la faible place du MDA dans le dispositif ministériel et à son incapacité à induire la réforme constitutionnelle nécessaire. En effet, le MDA est un ministère périphérique dans la structure gouvernementale. Il bénéficie de peu de moyens (humains et financiers), notamment en comparaison avec le MAPA. Le territoire rural reste donc, pour l’instant, dans un entre-deux au futur incertain.
33Entre l’indépendance en 1956 et le début des années 1980, l’Etat marocain est intervenu de façon massive dans le secteur agricole. Durant cette période, l’Etat a cherché à constituer des modèles d’exploitation agricole « moderne » (le terme d’exploitation familiale était peu utilisé), par le recours à des pratiques intensives et à l’utilisation de matériel agricole (tracteurs, etc.). Des offices publics ont été constitués pour la gestion et le développement agricole de périmètres de grande hydraulique (dont la superficie dépasse souvent 100 000 ha). Dans les principaux périmètres de grande hydraulique, un modèle d’exploitation a été défini, où l’agriculteur devait cultiver différentes cultures prescrites, considérées comme complémentaires d’un point de vue agronomique (rotations des assolements) et technique (gestion de l’irrigation) (Bouzidi, 2012). Par ailleurs, à partir des années 1970, l’Etat a constitué des coopératives de la réforme agraire à partir de la redistribution des terres des anciens colons. L’Etat marocain était en particulier soucieux d’assurer la viabilité économique de ces exploitations. Il a ainsi imposé, durant les premières années, l’assolement des exploitations au sein de ces coopératives. De plus, lors du décès d’un attributaire, l’exploitation agricole était prise en charge par un seul héritier et non divisée. Suite à une crise des finances publiques, ces approches interventionnistes se sont progressivement arrêtées entre les années 1980 et le début des années 1990. Après le désengagement de l’Etat au début des années 1990, une période d’absence de politiques publiques claires a suivi, jusqu’à la conception du Plan Maroc Vert (Akesbi, 2006).
34Le Plan Maroc Vert, lancé en 2008, a marqué un retour de l’Etat dans le secteur agricole, à la fois en termes de stratégie et de moyens. L’autre politique importante d’appui au développement rural et agricole est l’Initiative Nationale de Développement Humain. Cette initiative inclut une composante qui finance de petits projets collectifs, qui peuvent être de nature agricole, avec un plafond d’environ 20 000 euros.
35Au Maroc, les institutions publiques ont adopté une position complexe par rapport à la question du caractère dual de l’agriculture marocaine. D’une part, ce caractère dual de l’agriculture est reconnu : le Conseil Général de Développement Agricole (2009) décrit ainsi la coexistence d’un secteur traditionnel localisé souvent dans des zones dites marginales et un secteur moderne positionné dans les zones disposant de ressources édaphiques et hydrauliques satisfaisantes. D’autre part, les deux piliers du Plan Maroc Vert promeuvent un même type d’agriculture : des exploitations que l’on peut qualifier d’entreprises agricoles, qui sont spécialisées dans la production d’une culture, et qui commercialisent leurs productions de façon collective par le biais d’un agrégateur (investisseur privé ou organisation professionnelle agricole). Le Plan Maroc Vert affiche ainsi pour objectif de faire disparaitre la dualité du monde agricole marocain (Conseil Général de Développement Agricole, 2009).
36L’agriculture familiale n’est pas définie en tant que telle dans les politiques publiques marocaines, et en particulier dans le Plan Maroc Vert. Le Plan Maroc Vert a centré la conception du développement agricole autour d’approches par filière. Par conséquent, le fait que les exploitations familiales conduisent simultanément différentes cultures et élevages, n’est pas pris en compte. Une conséquence est que la formation agricole et le conseil agricole sont désormais largement structurés par filière, sans appui « horizontal » aux exploitations.
37Les objectifs définis par le Plan Maroc Vert sont avant tout des objectifs de production agricole à l’horizon 2020. Pour atteindre ces objectifs, le Plan Maroc Vert structure son intervention en deux piliers. Le Pilier I est constitué d’exploitations de production intensive et fortement reliées au marché. Les exploitations du Pilier I sont présentes dans les zones dotées de fortes ressources productives, notamment en eau et en sols. L’Etat marocain vise avant tout, à travers le soutien à ces exploitations, une augmentation de la production agricole. Le Pilier II est composé d’exploitations situées en zones marginales, à potentiel de production plus faible. Pour ce Pilier II, si l’aspect économique n’est pas négligé, d’autres enjeux sont aussi mis en avant, tels que des valeurs sociales (le Plan Maroc Vert décrit cette agriculture comme étant une agriculture solidaire), et la protection d’écosystèmes souvent fragiles. Dans le cadre de chaque pilier, un certain nombre de projets de développement sont conçus par région. Ces projets, qu’ils soient inscrits dans le Pilier I ou le Pilier II, sont focalisés sur une production agricole, et généralement intègrent des composantes à la fois concernant la production et la commercialisation.
38Si le diagnostic initial a différencié secteurs moderne et traditionnel, le terme de « politique duale » est officiellement refusé. Le Ministre de l’Agriculture a mentionné une « rupture avec l’image simpliste d’une agriculture duale opposant un secteur moderne à un secteur traditionnel et vivrier », citation mainte fois reprise dans les documents de planification du Ministère et dans les médias. En effet, même si la logique des projets agricoles diffère entre Piliers I et II, le Pilier II est invité lui aussi à mettre en place une production agricole de qualité. Cette production de qualité et des stratégies spécifiques de commercialisation doivent permettre aux agriculteurs de ce Pilier II de trouver des débouchés sur le marché national comme international, par exemple à travers la définition de produits de terroir.
39En pratique, trois critères ont été utilisés pour différencier les deux piliers. Le premier critère se fonde sur une différenciation entre des zones irriguées, généralement en plaine, et une des montagnes, souvent en pluvial. Ainsi, l’agriculture du Pilier II « concerne principalement les zones difficiles (montagnes, oasis, plaines et plateaux du semi-aride) qui rassemblent la grande majorité des exploitations du pays, et les plus pauvres d’entre elles. Il vise à améliorer de façon substantielle dans les 10 ans (à venir) le revenu de 500 à 600 000 exploitations » (Conseil Général du Développement Agricole, 2009). Le second critère de séparation est la taille des exploitations : le Pilier II s’adresse aux petites exploitations, les grandes exploitations en zone marginale ne sont ainsi pas concernées. Enfin, le troisième critère est la modalité de financement du projet : dans le Pilier I, le secteur privé est censé apporter l’essentiel de l’investissement, tandis que l’Etat est le principal financeur dans le cadre de projets Pilier II. En pratique, l’agriculture familiale est présente dans le Pilier II mais aussi au sein du Pilier I, notamment de très nombreux agriculteurs dans une relation contractuelle avec une agro-industrie (dans des secteurs comme le lait ou le sucre en particulier).
40Les projets du Pilier II comportent généralement à la fois un volet d’investissement (par exemple, la plantation d’arbre) et un volet d’appui à la commercialisation (typiquement, la construction d’une unité frigorifique ou de transformation, qui sera opérée par une organisation professionnelle agricole). Ces projets Pilier II cherchent à structurer les petites exploitations à travers une organisation en plusieurs niveaux : des coopératives au niveau local, qui se regroupent ensuite en groupement d’intérêt économique.
41En plus des projets de développement conçus dans le cadre des Piliers I et II, d’autres dispositifs ont été conçus pour apporter un appui au secteur agricole et notamment aux petites exploitations. Un Fonds de Développement Agricole propose des subventions pour l’achat de matériel agricole. Ce fonds existait avant le Plan Maroc Vert, mais ce dernier a permis une forte augmentation des taux de subventions. Le principal appui concernant les petites exploitations (moins de 5 ha) est une subvention allant de 80% à 100% (avec des montants plafonds définis par ha) de l’investissement en irrigation localisée.
42Irrigation dans la zone d’El Hajeb (Maroc)
Source: https://master-gedelo.u-paris10.fr/?p=591
43Dans le sillage du Plan Maroc Vert, une stratégie de réforme des dispositifs de formation et de conseil a été conçue et est en cours d’application. Elle se traduit par : i) la création d’un Office National de Conseil Agricole ; ii) la définition d’un statut de conseiller agricole, à la fois au niveau de l’administration et dans le secteur privé ; iii) la signature de contrats-programmes entre l’Etat et un certain nombre d’opérateurs industriels dans des domaines tels que le lait ou le sucre, où l’opérateur reçoit des subventions publiques pour prendre en charge l’appui technique auprès des agriculteurs qui lui livrent leur production (Bekkar, 2015).
44Par ailleurs, la banque publique Crédit Agricole du Maroc a mis en œuvre en 2010 un nouveau dispositif (Tamwil el fellah) qui a pour objectif d’offrir un accès au crédit aux agriculteurs ayant des difficultés à accéder aux crédits bancaires classiques et qui ont des besoins de financement supérieurs à ce que peuvent offrir les institutions de microcrédit.
45La mise en place du Plan Maroc Vert correspond aussi à une redéfinition des missions du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, qui cesse d’être officiellement responsable du développement rural lors d’une réforme en 2008. Cette réforme consacre le fait que le Ministère se concentre sur la production agricole, avec des objectifs, conçus dans chaque région au niveau de Plans Agricoles Régionaux, définis quasiment exclusivement en termes de production agricole par filière. Par ailleurs, le Plan Maroc Vert se caractérise par une volonté forte de l’Etat d’appuyer le développement agricole, tout en changeant de rôle. Les administrations du Ministère de l’Agriculture évoluent d’un statut d’opérateur direct du développement à celui de bailleurs de fonds et de conception de projets, dont la mise en œuvre des différentes composantes est ensuite généralement confiée à des opérateurs privés.
46Les actions de développement agricole menées dans le cadre du Plan Maroc Vert ont donc peu de liens avec des approches de développement rural plus intégrées. Ces approches sont par ailleurs limitées : de nombreuses communes ont défini des plans communaux de développement, mais en pratique ces plans ne sont que rarement utilisés. Par ailleurs, de nombreux aquifères au Maroc sont en situation de surexploitation (Faysse et al., 2012), et les outils d’appui à l’investissement agricole, notamment du Fonds de Développement Agricole, ne prennent que peu en compte cet enjeu de surexploitation des nappes.
47Le Brésil et le Maroc ont mis en œuvre des politiques très différentes, mais qui s’appuient sur quelques éléments communs. D’une part, dans les deux cas, les politiques agricoles reconnaissent officiellement la dualité du secteur agricole et ont mis en œuvre des dispositifs qui tiennent compte de l’hétérogénéité des exploitations (deux ministères au Brésil, les deux piliers du Plan Maroc Vert au Maroc, etc.). Au Brésil, les politiques publiques ont toutefois progressivement cherché à prendre en compte la diversité des exploitations familiales, et ce plus qu’au Maroc (Grisa et Schneider, 2014). Dans les deux cas également cette reconnaissance de la dualité ne s’est pas accompagnée de véritables politiques foncières ou de réforme agraire pour réduire la concentration foncière et le minifundio. Au contraire, au Brésil, la montée en puissance des politiques d’agriculture familiale va de pair avec la réduction des ressources pour les politiques de réforme agraire et foncière. Les gouvernements Lula da Silva (2003-2011) et Rousseff (2011-2015) ont préféré développer, plutôt que la réforme agraire, d’autres mécanismes d’appui diversifiés à l’agriculture familiale (Sabourin, 2015). Au Maroc, la réforme agraire, qui a eu lieu durant les années 1970, n’a en fait concerné que des terres reprises aux colons. Depuis les années 1990, il n’existe aucun mécanisme de redistribution des terres aux petites exploitations (hors cas particuliers). Plus encore, les terres publiques mises en concession dans le cadre du Plan Maroc Vert ont été avant tout attribués à des investisseurs disposant de capitaux importants.
48D’autre part, au Brésil comme au Maroc, malgré un discours volontariste d’appui aux petites exploitations, ce sont les grandes exploitations patronales qui obtiennent la grande majorité des financements publics (Sabourin, 2009, Bekkar et al., 2007).
49Au Brésil, comme au Maroc, le cœur des politiques publiques pour l’agriculture familiale est constitué d’une aide à l’investissement au niveau de l’exploitation agricole (sous forme de taux bonifiés au Brésil, sous forme de subventions en particulier dans le cadre du Fonds de Développement Agricole au Maroc).
50Au-delà de cet élément commun, les types d’appui sont très différents. Au Brésil, les programmes Acquisitions d’Aliments et d’Alimentation Scolaire organisent une filière spécifique de commercialisation pour l’agriculture familiale, avec des prix garantis. Par contraste, au Maroc, l’Etat soutient l’organisation des filières (aussi bien dans le Pilier I que le Pilier II), mais n’achète pas directement aux producteurs (un office parapublic achète aux agriculteurs pour ensuit exporter leurs productions, mais les volumes achetés sont faibles et les prix d’achat ne sont pas garantis). Dans le cadre du Pilier I, l’Etat promeut l’achat de la production de l’agriculture de petites exploitations par un opérateur privé (l’agrégateur), mais n’intervenant quasiment pas dans la fixation du prix d’achat entre agriculteurs et agrégateurs.
51Le lien entre développement agricole et développement rural est aussi différent entre les deux pays. Au Maroc, le Plan Maroc Vert a souhaité isoler la composante de développement agricole, après des années où le ministère de l’agriculture jouait aussi un rôle de coordination du développement rural. Le Ministère de l’Agriculture n’aborde ainsi les petites exploitations que selon l’angle de la production agricole. En revanche, au Brésil, le MDA met en place de nombreux programmes de développement rural intégré, où le développement agricole proprement dit n’est qu’une composante parmi d’autres.
52Les choix de politiques publiques, dans les deux pays, ont été marqués à la fois par l’histoire des politiques passées et par les configurations politiques en place. Dans les deux pays, les politiques actuelles ont avant tout cherché à ne pas reproduire les dispositifs passés qui ont échoué. C’est notamment le cas des réformes du conseil agricole qui vont dans le même sens dans les deux pays : une décroissance des dispositifs publics directs de vulgarisation et la mise en place d’une agence spécifique en charge de la gestion d’une délégation du service de conseil à des opérateurs sélectionnés par appels d’offre. Au Maroc, le Plan Maroc Vert a été conçu pour organiser un retour de l’Etat sans pour autant revenir à l’époque allant des années 1960 aux années 1980, où l’Etat intervenait directement dans les filières agricoles, par exemple en fixant les prix entre agriculteurs et industriels ou en se chargeant de l’export des produits agricoles.
53Les choix de politiques publiques ont aussi été fonction du poids politique des mouvements sociaux de l’agriculture familiale. Au Brésil, la définition d’une politique spécifique à l’agriculture familiale a été fortement portée par les syndicats de travailleurs agricoles et petits exploitants, les mouvements de travailleurs sans terre et diverses ONG assurant le relais avec le monde universitaire, les partis politiques, les syndicats urbains et la société civile brésilienne. En revanche, au Maroc, l’agriculture familiale est très peu présente politiquement, que ce soit au niveau de syndicats ou au niveau de partis politiques. Le Plan Maroc Vert a ainsi été conçu « par le haut », dans une volonté de relancer l’économie agricole au niveau national, sans interaction avec les organisations agricoles locales. De plus, il y a au Maroc, pour l’instant, bien moins de cadres institutionnalisés pour une coordination de la mise en œuvre des politiques publiques au niveau des territoires locaux, en comparaison avec l’expérience brésilienne.
54Face à une forte diversité du monde agricole commune au Maroc et au Brésil, les choix de politiques agricoles ont été assez différents, à la fois en termes de mode de gouvernance, de façon de concevoir cette diversité des exploitations, et d’instruments d’intervention publique utilisés. D’un côté, le gouvernement marocain centre son action sur l’intégration des petites exploitations aux filières agricoles, en pariant que cette intégration permettra un accroissement du revenu des agriculteurs et un développement des zones rurales. De plus, cette approche sert l’ambition principale du Plan Maroc Vert, à savoir la réalisation d’objectifs de production agricole au niveau national. Par contraste, le Brésil développe des approches plus pluridimensionnelles, où l’aspect économique est un élément parmi d’autres d’intervention auprès des exploitations familiales, pour assurer un développement durable des territoires.
55Chacun des deux pays présente bien sûr une histoire et des enjeux en termes de développement rural qui lui sont propre. Cependant, cette brève comparaison des politiques agricoles au Maroc et au Brésil permet de souligner la diversité des choix possibles pour accompagner le développement du secteur agricole quand celui-ci est caractérisé par une forte hétérogénéité des exploitations.
56La présente étude a porté sur les choix de politiques publiques et les dispositifs mis en œuvre. En 2016, le Plan Maroc Vert fonctionne depuis 8 ans, et de premières évaluations des dispositifs qu’il a mis en place ont été effectuées (par exemple, Hdidi et al., 2015). Au Brésil, il existe déjà de nombreuses évaluations des différents dispositifs de politiques agricoles. Il serait ainsi intéressant de poursuivre cette analyse comparative en étudiant les impacts des dispositifs mis en œuvre pour appuyer l’agriculture familiale. Une autre voie possible d’approfondissement sera d’étendre l’analyse à d’autres pays caractérisés à la fois par une extrême diversité des types d’exploitation agricole et par la présence de politiques publiques qui tentent de prendre en compte cette diversité, avec notamment le cas de l’Afrique du sud.
57Par ailleurs, au Brésil, le gouvernement nommé en 2016 suite à la mise à l’écart de D. Rousseff a décidé l’extinction du Ministère du développement agraire. Ceci montre également au-delà des limites de la démocratie participative, la relative fragilité d’une institutionnalisation de l’appui spécifique à l’agriculture familiale avec une législation et une bureaucratie spécifiques : vingt ans d’effort et de construction de politiques par 9 gouvernements démocratiques successifs de J. Sarney Filho à D. Rousseff en passant par I. Franco, F.H. Cardoso et L.I. Lula da Silva, ont été révoqués en 20 jours, sans donner lieu à une véritable mobilisation des mouvements sociaux de ce secteur.