Afficher l’imageCrédits : http://hgtunisieflore.over-blog.com/article-quelques-scrophulariacees-about-some-tunisian-scrophulariaceae-123841833.html
1La sebkha de l’Ariana est une zone humide littorale du fond du Golfe de Tunis. Elle est située au Nord de la ville de Tunis, et au pied du cap Gammart. Elle appartient à la plaine de Soukra-Choutrana (fig. 1). Depuis les années 1970, la sebkha de l’Ariana a commencé à subir les conséquences d’une forte urbanisation des sols qui la borde. Ces changements ont favorisé de grands bouleversements au niveau de la sebkha en raison d’un mouvement d’assainissement, au moins jusqu’à présent, qui ne concerne qu’un nombre limité de quartiers de ses rives. Ces changements ont influencé les dynamiques de la sebkha au point de rompre son équilibre naturel.
2Le niveau d’eau de la sebkha change selon les saisons et les années. En période estivale, suite à une forte évaporation et en l’absence d’un apport des oueds, le niveau d’eau de la sebkha diminue. En période hivernale, aux apports domestiques s’ajoutent les apports pluviaux des routes, des stations d’épurations limitrophes et des oueds. Pendant cette période, la sebkha de l’Ariana est aussi en partie alimentée par des apports marins.
3Cependant, un intérêt particulier a été accordé à ce milieu et des études ont été conçues surtout après la création de l’APAL en 1995 (Agence de Protection et d’Aménagement du Littoral). Des choix stratégiques qui visent à concilier protection du milieu naturel et valorisation de la zone ont été adoptés et une étude d’assainissement et d’aménagement de la sebkha a été réalisée depuis les années 2000.
- 1 Les recherches menant aux présents résultats ont bénéficié d’un soutien financier du septième progr (...)
4L’article1 montre comment la connaissance de l’évolution spatiotemporelle de la sebkha et de son bassin versant (morphométrie, occupation des sols) constitue un préalable indispensable à une gestion raisonnée et adaptée.
5Figure 1 : Localisation du bassin versant de la sebkha Ariana.
6D’après les cartes topographiques 1/25000 (1982) et une image SPOT 2002.
7L’Ariana, appelée souvent « Madinet Al Ward » ou « ville des roses », et sa plaine ont été depuis l’époque médiévale fortement appréciées par la population. Au 13ème siècle après J.C la ville était le lieu où y habitaient le souverain Hafside Al Moustançir Billah et sa cour. Elle était aussi la ville des saints comme Mehrez Ibn Khalaf qui y a vu le jour, Sidi Amor Boukhtioua ou Sidi Ammar Maaroufi, protecteur de l’Ariana contre la Croisade conduite par Saint Louis en 1270 après J.C. Durant les 18ème et 19ème siècles, la ville de l’Ariana a préservé sa vocation de station de plaisance et de villégiature de la population riche (DGAT – GRAPHTECH, 2011). Les familles et les visiteurs s’y rendent lors de la saison printanière afin de profiter de ses vergers et de ses champs fleuris et verdâtres.
8Ainsi, jusqu’aux années 1970, les rives de la sebkha étaient essentiellement à vocation agricole et les plans d’aménagement urbains ont tous insisté sur la nature agricole de l’Ariana Nord. L’essor de l’urbanisation anarchique informelle autour de la sebkha de l’Ariana, s’est produit à partir de la deuxième moitié des années soixante-dix aux dépens des terres agricoles basses et fragiles (fig. 2). Sur les rivages du plan d’eau se développèrent les premiers noyaux de Borj Louzir et Aïn Zaghouan, autour de noyaux d’habitat de type rural. Puis, des lotisseurs clandestins vendent hâtivement et en dehors de tout cadre légal des lots de terrain dans les petits fonds d’oueds situés à l’Ariana Nord en direction de la plaine et de la sebkha et sur le versant Est de Jbel Nahli ainsi que dans la zone inondable de Jâafar-Raoued. La conception du lotissement clandestin est réalisée par un dessinateur ou parfois ne comporte pas de plan et la vente s’effectue au cordeau et sur les lieux, en présence de l’acquéreur. Le manque d’équipement, l’absence de raccordement au réseau électrique, à l’eau potable ou à l’assainissement contribuent à augmenter la précarité des habitations. Mais aussi, d’autres lotissements sont réalisés de manière légale par des entreprises immobilières privées ou coopératives dans les mêmes conditions d’insalubrité (Zarai, 2000, 2006 ; Dlala, 2007 et Chouari, 2003, 2009 ; Fehri et Mathlouthi, 2012). En fait, l’extension urbaine s’est faite aux dépens des zones agricoles et a laissé des espaces interstitiels. Ces espaces ont attiré les lotisseurs privés soucieux de profiter de l’infrastructure même sommaire créée par les pouvoirs publics. Pendant cette période, en choisissant de construire des cités de recasement à la place des gourbivilles, les choix de l’État étaient en grande partie en faveur des classes moyennes. En conséquence, les classes les plus défavorisées étaient obligées de recourir à l’habitat spontané, car les logements produits étaient chers et inaccessibles aux classes les plus pauvres (Chabbi, 1986 et Signoles, et al., 1980). L’inadéquation entre l’offre et la demande des logements et l’impossibilité d’accès aux terrains aménagés par le secteur organisé expliquent aussi l’extension de l’habitat spontané à l’Ariana Nord (Tab. I).
Tableau I : L’offre et la demande dans le marché des logements à l’Ariana Nord pendant les années 1970
Type de logement
|
La demande en %
|
L’offre en %
|
Le coût en DT
|
Rural
|
8
|
1,8
|
1300
|
Rural amélioré
|
24,2
|
-
|
1500
|
Suburbain
|
24,7
|
8,4
|
3600
|
Économique
|
31,6
|
31,4
|
6800
|
Villas cossues
|
7,5
|
58,4
|
19200
|
(SIGNOLES et al., 1980)
9L’offre limitée de terrains ne permet donc pas de répondre aux besoins en logement d’une population en constante augmentation, qui n’a d’autres choix que de s’installer dans des zones non constructibles (versants pentus, berges marécageuses).
10À la fin des années 1970 subsistaient encore, en direction de l’Ariana, quelques espaces agricoles (les orangeraies de Dar Fadhal et de Sidi Frej, les champs de blé de Bhar El Azreg et les cultures maraîchères de Sidi Daoud, et la cité Mohammed Ali) qui séparaient la ville de Tunis de Soukra et des villes de la côte Nord. Aujourd’hui, en suivant l’alignement du Jbel Nahli, un front urbain continu a progressé à un rythme accéléré dans la plaine Nord-Ariana, constitué par les extensions d’El Ghazala, Jâafar vers Raoued surtout que la zone a été récemment ouverte à l’urbanisation à la faveur de la révision du Plan d’Aménagement urbain de l’Ariana. Un autre front se densifie au Nord-Est, au niveau de la côte Nord, avec, à l’Ouest les quartiers résidentiels et sur la côte la zone touristique de Gammart-Raoued (fig. 2). L’analyse de l’évolution de l’occupation du sol s’appuie sur le croisement des résultats de l’interprétation des images Google Earth (2013), une représentation à partir des cartes topographiques 1/50000 (1922) et 1/25000 (1982) et des observations directes sur le terrains. Les documents cartographiques ont été harmonisés et numérisés afin d’estimer les tendances de l’évolution des états de surface dans le bassin versant de la sebkha de l’Ariana.
Figure 2 : Évolution de l’occupation du sol dans le bassin versant de la sebkha de l’Ariana en 1922 et en 1982.
D’après les cartes topographiques type 1922 au 1/50000 (feuilles n° XIII et XIV) et les cartes topographiques type 1982 au 1/25000 (feuille n° XIII (NE et SE) et feuille n° XIV (NO et SO).
11Ainsi, d’après notre enquête faite auprès de la population en 2006 (150 personnes réparties entre Soukra, Jâafar et Raoued), 11,6 % des enquêtés des rives sud-ouest contre 38,4 % des enquêtés des rives nord de la sebkha jugent la rentabilité agricole faible pour y maintenir une activité. La même enquête a été appliquée en 2014 (200 personnes réparties entre Soukra, Jâafar et Raoued) et a montré que 21,3 % des enquêtés des rives sud-ouest contre 51,7 % des enquêtés des rives nord de la sebkha jugent cette rentabilité agricole faible. Face à la baisse de leurs revenus, de nombreux exploitants ont cessé leur activité et vendu leurs terrains afin d’en dégager une plus-value. Mais aussi dans un contexte où la pression urbaine est très forte, des problèmes comme la salinité des sols, l’hydromorphie et l’endettement des agriculteurs conduisent souvent à l’abandon de l’activité agricole.
12Selon, les responsables de l’aménagement du territoire de l’Agence Urbaine du Grand Tunis, l’urbanisation étant un phénomène quasiment irréversible, il est très difficile d’intervenir sur une parcelle déjà construite. En l’absence de véritables politiques de prévention, les autorités se retrouvent en général « devant le fait accompli ». L’unique solution est donc de modifier les zonages de façon à légaliser les constructions. Pour leur donner un cadre juridique et les raccorder aux réseaux d’assainissement, d’eau potable et d’électricité.
13
Figure 3 : Évolution de l’occupation du sol dans le bassin versant de la sebkha de l’Ariana en 2013.
D’après des extraits de Google Earth (2013)
14L’analyse dynamique a permis d’identifier les axes actuels d’extension de l’urbanisation. La carte n° 3 montre l’éloignement des banlieues et le bourgeonnement urbain loin en périphéries où les terrains sont à bas prix. Les quartiers arrivent au bout des Jbels (Nahli, Ayari) et des collines (Gammart et Sidi Bou Saïd) qui constituaient le cadre naturel du bassin versant. Entre 1982 et 2013, les résultats obtenus confirment une forte croissance des espaces urbains. Cette période a été marquée par une progression remarquable de la superficie du bâti qui a progressé de 250 %.
15La comparaison des cartes de 1922, 1982 et 2013 révèle des profonds bouleversements dans l’occupation du sol. Un état de lieu qui a été observé aussi, au moins jusqu’aux années 2000, en se basant sur la comparaison des outils cartographiques classiques (cartes topographiques et photographies aériennes) ou sur des plans d’aménagement de la zone (Zarai, 2000, 2006 ; Dlala, 2007 et Chouari, 2003, 2009 ; Fehri et Mathlouthi, 2012). Terrains à vocation proprement agricole, les rives de la sebkha accueillent aujourd’hui des zones urbaines et de service. L’analyse du déclin de l’agriculture révèle que depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980 ce phénomène s’est accéléré et presque la moitié des terres agricoles disparaissent entre 1982 et 2013. Le phénomène est particulièrement important à l’Ariana Nord ainsi qu’à Raoued. Sur les autres secteurs de Soukra, de Borj Louzir et de Bhar Lazreg, le déclin de l’agriculture se produit sous une forme plus dispersée. Plusieurs parcelles maraîchères transformées en des lots d’habitat se situent sur les rives immédiates de la sebkha. N. Fehri (2011) indique que l’arboriculture fruitière et le maraîchage de la Soukra sont en récession accrue à cause de l’extension urbaine (-15 ha entre 1950 et 1983 et – 67 ha entre 1983 et 2007). Par ailleurs, malgré que les périmètres irrigués fassent partie en Tunisie, d’après la loi n° 83-87 du 11 novembre 1983 relative à la protection des terres agricoles, des zones d’interdiction, le périmètre irrigué des rives sud-ouest de la sebkha se trouve aujourd’hui fortement mité.
16De leur côté, les espaces interstitiels sont d’espaces occupés par une agriculture en décadence et qui attend d’être transformés en friches sociales qui seront à leur tour ouvertes à l’urbanisation. Le paysage urbain actuel de certains quartiers semble très dégradé (Raoued, Jâafar et Choutrana). Souvent, des délaissés urbains (espaces interstitiels) sont exploités par une agriculture et un élevage interstitiels, en particulier dans les quartiers défavorisés (Bouraoui, 2003 et Chouari, 2009).
17
Photo 1 et 2: La plaine de Choutrana et Progression d’un front urbain et des déblais de construction aux dépens de l’aire de la sebkha de l’Ariana à Sidi Amor
Constituée par des terres lourdes argileuses ou limono-argileuses, profondes et légèrement salées, est aujourd’hui urbanisée. Elle est aussi caractérisée par des pentes très faibles et parsemée par des cuvettes mal drainées formant des zones inondables en permanence
http://www.panoramio.com et cliché : Chouari, 2012]
18À la périphérie des noyaux urbains, l’étalement urbain était désordonné sous forme de tâches d’huile. L’habitat a envahi les rives de la sebkha de l’Ariana et débordé sur les versants environnants et les fonds de vallées exposés à des fréquentes inondations. Dans plusieurs endroits, les sections des oueds se trouvent envahies par les constructions et le cours normal se trouve rétréci de façon inquiétante. Les constructions qui y sont installées jouent le rôle d’obstacles qui empêchent l’écoulement naturel des cours d’eau vers la plaine et la sebkha. Les sections sont souvent remplacées encore en aval sur les rives de la sebkha par des canaux de drainage plus ou moins étendus et fiables puisque des phénomènes de débordement par les bouches d’égouts ont été souvent repérés dans la ville (Zarai, 2000, 2006 ; Dlala, 2007 et Chouari, 2003, 2009 ; Fehri et Mathlouthi, 2012) ; (voir fig. 1).
19L’extension de l’habitat irrégulier résulte de la combinaison de facteurs complexes : spéculations foncières, parcellisations et ventes illégales de terres et attitude permissive des autorités. La pénurie de solutions palliatives pour reloger la population migrante ne ferait en plus que reporter le problème dans le temps et dans l’espace (les logements produits étaient chers et inaccessibles aux classes les plus pauvres ou situés dans des conditions d’insalubrité). De fait, le type d’occupation du sol dans tout le bassin versant a connu une réelle domination au profit de l’urbanisation. En l’absence d’un contrôle strict de la construction, l’extension actuelle du bâti se fait d’ores et déjà au détriment des rives marécageuses de la sebkha et se traduit par la modification des conditions naturelles du sol, ce qui va augmenter les volumes d’eau qui ruissellent sur le sol et la configuration des rives de la dépression.
20Ce paragraphe s’attache à expliquer, par approche cartographique et observations de terrain, l’évolution de la sebkha depuis près d’un siècle. On s’est basé dans cette partie sur l’interprétation stéréoscopique, la comparaison des photographies aériennes, les rapports d’aménagements et les travaux de terrain.
21La comparaison de la superficie du plan d’eau pendant le XXème siècle montre une évolution tantôt vers la réduction, tantôt vers l’extension. Les modifications morphologiques s’expliquent par la sédimentation des matériaux dans le fond, la protection CES (Conservation des Eaux et des Sols) sur les versants, l’action organisée et anarchique de remblaiement partiel de la dépression, le déversement volontaire et spontané des eaux usées domestiques, industrielles et semi-épurées, l’élévation du toit de la nappe phréatique et l’élévation relative du niveau de la mer (Chouari, 2009).
22Les étendues présentées dans la figure ci-dessous montrent le plan d’eau et les marécages à végétation halophile. Nous avons opté pour cartographier ensemble les deux éléments du paysage afin de contourner les problèmes de la variabilité saisonnière et annuelle du plan d’eau de la sebkha. En outre, les marécages forment les espaces aux dépens desquels s’étendent les plans d’eau lors des années pluvieuses. Ils forment souvent aussi les espaces prioritaires du comblement et de décharge (fig. 4).
Figure 4 : Variation de la ligne de rivages et de la superficie de la sebkha de l’Ariana depuis 1922.
D’après les cartes topographiques au 1/50000 type 1922 (feuilles n° XX, XIII et XIV), les cartes topographiques au 1/25000 type 1982 (feuille n° XIII « NE et SE » et feuille n° XIV « NO et SO »), orthomosaïque de photographies aériennes de 1962 au 1/25000 et image satellite SPOT de 2002 (20 m de résolution).
23Les faibles profondeurs de la dépression font que la topographie de son fond est généralement plate. La concentration des eaux au fond de la dépression n’est qu’un indice de sa régularité topographique. Dans tous les cas, les irrégularités topographiques sont mineures et d’ordre décimétrique. Par ailleurs, le plan d’eau présente le réceptacle unique des apports liquides et solides transportés par les principaux oueds. Ceux-ci, au fil du temps, ont modifié la topographie et la géométrie de l’exutoire. L’absence de mesures précises ne nous permet pas d’estimer les quantités transportées et de confirmer la tendance de l’évolution, vers le colmatage ou le creusement de la sebkha. Mais, les formes qui existent, tels le système de mini-deltas, de cônes d’épandages et les voiles argilo-sableux, témoignent de la succession de deux processus simultanés : l’accumulation et la déflation.
24Nous avons appliqué une classification non supervisée sur l’image Spot du mois de mars 2002. Elle a montré que la sebkha est remplie d’une eau turbide. Le plan d’eau est d’une teinte bleu-verdâtre affectée à l’approche des rives par un changement vers une teinte plus claire, annonce d’une diminution de la profondeur ainsi qu’une augmentation de la turbidité par l’augmentation de la teneur en matière en suspension.
25La différence de la profondeur de la colonne d’eau en allant des rives vers le fond explique qu’au niveau de la dépression, trois et parfois quatre auréoles concentriques, de largeur variable, se distinguent. L’auréole interne a été interprétée comme une pellicule d’eau mince laissant apparaître le fond vaseux. La deuxième correspond à un sol très humide plus ou moins salé. La troisième coïncide avec un sol salé avec des efflorescences de sel à la surface. La quatrième est dissymétrique entourant les anneaux précédents et correspondant à un sol nu salé et parfois végétatlisé. D’autres études (Mansouri-Menaour R., 1979 ; Ballais J.L. et al., 1988 ; Ballais J.L. et Boussema M.R., 1989) distinguaient également, en analysant une image d’été, quatre auréoles concentriques, de la périphérie vers l’intérieur : des plantes halophiles, une argile ocre jaune, dure, à fentes de dessiccation pendant l’été (qui correspond à l’auréole de sol nu salé), une vase noirâtre, très molle, recouverte d’une mince pellicule saline pendant l’été (correspondant aux trois anneaux) et une croûte de sel épaisse de quelques centimètres, sous une pellicule d’eau d’environ 10 cm, cette croûte reposant sur la même vase noirâtre (qui correspondrait à l’anneau interne). Dans des endroits, comme dans la partie Est de la sebkha de l’Ariana, la zonation est moins nette à cause d’un apport de sable marin important lors des grandes tempêtes ou d’un déversement des eaux des rives (fig. 5).
Figure 5 : Auréoles concentriques de la sebkha de l’Ariana et et efflorescences de sel pendant la période estivale dans le fond de la sebkha de l’Ariana
D’après une classification non supervisée d’une image satellite Spot de mars 2002 et d’après une photo aérienne oblique de septembre 2007
Cliché : Chouari, 2007] et image satellite SPOT 5, juin 2002).
26Ainsi, les auréoles sont par endroits interrompus par de minces chenaux qui véhiculent les eaux des rives vers le fond. Sur l’image classée, ce système de chenaux se distingue par une teinte beaucoup plus claire, signe de la présence de l’eau. Ces chenaux prennent l’allure des flaques d’eau plus ou moins claires au droit des canaux d’évacuation des eaux, pluviales et usées, comme nous pouvons le voir au droit du canal d’évacuation des eaux pluviales de Henchir Jâafer sur les rives ouest de la sebkha de l’Ariana.
27Les interprétations faites sur l’image satellite Spot du mois de mars 2002 montrent que les eaux de la dépression sont en partie turbides (fig. 5). La turbidité est liée à la faible tranche d’eau et à l’action du vent dominant de secteur nord-ouest qui remet en suspension la fine pellicule superficielle. L’observation de près des zones turbides montre que la matière en suspension est double. Elle est constituée de matière solide et de matière organique. D’ailleurs, l’accumulation, sur les rives sud-est de la sebkha d’une couche d’écume et de la matière organique donne une couleur grise plus ou moins foncée sur l’image et une couleur ocre de la sebkha (Photo 3).
Photos 3 et 4 : Eau turbide de la sebkha de l’Ariana et Cumul des rejets d’eaux polluées sur les rives sud de la sebkha de l’Ariana
Cliché : Chouari, 2006 et cliché : SWECO-APAL, 2000]
- 2 Le canal Khélij se déverse en Méditerranée au Nord de Raoued. Il véhicule des eaux épurées, jusqu’a (...)
28Deux principales sources de la matière organique peuvent être repérées sur les rives du plan d’eau. Tout d’abord, le déversement direct des effluents des canaux de drainage qui véhiculent essentiellement des eaux usées domestiques, puis, les effluents épurés des stations d’épuration de Cherguia et de Choutrana. Ces effluents sont réutilisés en partie dans l’agriculture et le reste est rejeté dans le Golfe de Tunis soit directement dans la sebkha de l’Ariana ou par le biais du Canal El Khélij2. Ainsi, près de 20000 m3/j d’effluent non épuré se déversent directement dans la sebkha, auxquels s’ajoutent les apports issus de débordements des bassins à boues des stations d’épurations. A ce volume peuvent être ajoutées, les infiltrations d’eaux usées en provenance des débordements des fosses septiques des zones d’habitations anarchiques. En 1989, ce volume était estimé à 1 Mm3. Aujourd’hui, on suppose que ce volume a augmenté de 30 %. Les chiffres présentés ci-dessus signifient que 100 à 250 tonnes de phosphore, 300 à 750 tonnes d’azote et 750 à 1500 tonnes de matières organiques pénètrent chaque année dans la sebkha.
29Le volume des eaux usées traitées et utilisées pour l’irrigation dans le bassin versant, n’est pas vraiment connu. La majorité des sources consultées évaluent ce volume à environ 2 Mm3/an (SWECO-APAL, 2000 ; Chouari, 2009). Dans ce cas, nous estimons qu’il est possible que 10 à 20 % s’infiltrent dans la nappe d’où un volume total annuel de recharge de la nappe d’environ 0,4 Mm3. Notons que ces valeurs ne tiennent pas compte de la quantité d’eau déversée directement par les stations d’épurations dans la sebkha et celle provenant des fuites présumées du canal de l’ONAS (Office National d’Assainissement). Les petites entreprises industrielles ont aggravé la situation en rejetant des matériaux pollués et toxiques dans des citernes couvertes menaçant ainsi les eaux de la nappe souterraine.
- 3 6 sondages ont été effectués à la tarière sur les berges est, nord et ouest de la sebkha pendant l’ (...)
30Sur les rives de la sebkha de l’Ariana, les sédiments sont généralement de couleur beige en surface et deviennent de plus en plus noirâtres en profondeur. Les sondages effectués à la tarière3 sur des terrains périodiquement hydromorphes des sols des rives de la sebkha ont révélé l’existence d’une couche de boue et d’argiles de près de 40 cm (Chouari, 2009). Dans ce même milieu, la boue s’étend surtout le long des rives sud-ouest et dans la partie la plus profonde de la sebkha. Alors que, dans les zones les plus proches du littoral, les limons renferment des fragments de coquilles indiquant une influence marine. La sebkha de l’Ariana a bénéficié aussi des analyses de sols plus poussées, dans le cadre de la même étude suédo-tunisienne réservée à son assainissement. Les résultats de ces analyses figurent dans les deux cartes suivantes (fig. 6).
Figure 6 : Composition des sédiments de la sebkha de l’Ariana et extension de la zone de boue.
Note : les faciès sont définis de la façon suivante : Argile : il s’agit de la fraction granulométrique inférieure à 2μm ; Limon : il s’agit de la fraction granulométrique comprise entre 50μm et 2μm ; Sable : il s’agit de la fraction granulométrique supérieure à 50μm.
D’après SWECO-APAL (2000) et observations directes sur le terrain (2006, 2009 et 2014).
31Quant à la dynamique des rives, elle se résume en une extension progressive des zones humides salées et des zones inondables. L’apport d’eau (pluviale, domestique, semi-épurée, mer etc.) est à l’origine de cette dynamique. Trois facteurs d’érosion doivent être pris en considération : l’action des eaux de la sebkha, du vent et du sel. Le vent est à l’origine des voiles sableux et des nebkas plus ou moins fixés par la végétation alors que le sel favorise la dégradation des aménagements anthropiques et des terres agricoles limitrophes. L’eau reste le facteur le plus déterminant dans la morphodynamique de la sebkha par les apports liquides et solides (Photos 5 et 6).
Photo 5 et 6 : Champ de nebkas sur les rives nord-est de la sebka de l’Ariana et détérioration d’une clôture à Raoued suite une remontée du sel par capillarité
Cliché : Chouari, 2012 et cliché : Chouari, 2006]
32L’existence des vestiges archéologiques datés de l’époque romaine tardive ou de l’époque byzantine, sur un sol constamment humide dans la partie septentrionale de la sebkha de l’Ariana est un témoin de la migration de la sebkha vers le Nord (Oueslati, 1993 et Chouari, 2009). A. Oueslati (2004), indique que l’évolution vers la situation actuelle serait due à une élévation du toit de la nappe phréatique et à une intrusion des eaux marines en rapport avec une variation relative positive sensible du niveau de la mer.
33Nous avons jugé fortement utile de compléter les investigations sur le terrain par une série de données satellitaires. Ainsi, la méthode par télédétection offre de nombreuses données sur la morphométrie de la zone, les panaches, mais aussi la végétation aquatique et la pollution. Et, de cette analyse, il parait que la sebkha est très dépendante du régime pluvial.
34Des études ont été conçues dès les années 1970 pour l’assainissement et l’aménagement de la sebkha. Des efforts considérables ont été déployés par les autorités concernées afin d’améliorer l’état environnemental de la sebkha et éventuellement de son bassin versant. Les travaux de CES (Conservation des Eaux et des Sols) sur le versant est du Jbel Nahli-Sidi Amor consistent en des plantations d’eucalyptus. Afin de faciliter l’évacuation des eaux de ruissellement, les lits d’oueds ont été rectifiés dans la plaine de l’Ariana. Les eaux usées de l’agglomération tunisoise sont collectées et transportées aux deux stations de Choutrana et Côtière Nord situées sur les rives de la sebkha de l’Ariana. Les eaux purifiées seront transférées vers la mer par l’intermédiaire d’un canal. Pour conserver la qualité paysagère et éviter la déflation éolienne (particulièrement active), le cordon littoral séparant la sebkha de la mer a été planté avec des essences à dominance d’acacias. Plus récemment, une zone de 157 ha (40 ha en 1987, 117 en 1996-1997) a été reboisée sur les rives Nord-Ouest de la sebkha.
35La gestion du plan d’eau et de ses rives est depuis la fin des années 1990 devenue un sujet de préoccupation pour les gestionnaires. Quelques scénarios, du plus excentrique au plus classique, ont d’ailleurs été élaborés par différents intervenants (l’Agence Urbaine du Grand Tunis et la Direction Générale de l’Aménagement du Territoire à travers le Schéma Directeur d’Aménagement ou l’APAL à travers l’Étude de l’assainissement et de l’aménagement de la sebkha de l’Ariana). Le croisement de tous ces plans permet de déterminer des orientations de gestion, en tenant compte des contraintes identifiées et des intérêts en jeu. Quatre grandes thématiques ressortent : la protection de l’environnement, le maintien d’une activité agricole des rives, les cités lacustres et l’activité touristique.
36L’étude d’assainissement et d’aménagement de la sebkha de l’Ariana attend encore les financements nécessaires à sa concrétisation (Fig. 7). Il s’agit d’un projet qui recommande la protection et la mise en valeur de ce milieu fragile par l’enlèvement des boues du fond et l’approfondissement de la sebkha afin de faciliter l’évaporation, le remblaiement de certaines zones du plan d’eau notamment sur les rives nord-est et sud-ouest, arrêter le débordement des eaux traitées, améliorer le système de drainage, créer des bio-corridors (des zones tampons, des zones agricoles et une réserve naturelle). D’un point de vue aménagement l’étude prévoit le maintien du fonctionnement actuel de la sebkha et son ouverture partielle sur la mer, renforcer les pôles urbains (par une urbanisation verte à très faible densité) et touristiques limitrophes (création d’une cité lacustre) et intégrer l’aménagement de la sebkha dans le cadre des orientations du Schéma Directeur de l’Aménagement du Grand Tunis. Des choix stratégiques qui visent à concilier la protection du milieu naturel et la valorisation de la zone (fig. 7).
Figure 7 : La sebkha de l’Ariana : impact des aménagements sur l’environnement.
37Il ressort que la diversité des institutions gérant la sebkha et ses rives (APAL, AUGT, CRDA, ONAS, municipalités etc.) entraîne une inadaptation des plans d’aménagement face aux problématiques locales. La représentation cartographique indique qu’une grande part des terrains des rives est encore non bâtie. Mais l’expansion de l’habitat dans les environs de la sebkha est à l’origine d’une hausse de la demande de terrains et la flambée des prix des terres arables. De fait, la production agricole ne peut être compétitive et les raisons purement économiques indiquent que la production agricole autour de la sebkha finira par régresser.
38En consultant les Plans d’Aménagement Urbains de la Marsa et de l’Ariana, nous remarquons que les étendues des délégations de la Soukra et de l’Ariana sont encore considérées comme zones agricoles malgré l’urbanisation rampante dans l’ensemble de la zone (voir fig. 3). Par ailleurs, l’étude réalisée par le laboratoire SWECO en collaboration avec l’APAL prévoyaient en 2000 que l’attachement à la terre, l’intérêt social, écologique ou touristique de la zone apparaissent comme des leviers suffisamment importants pour le maintien d’une activité agricole au moins à Raoued. Cependant, en croisant les différentes cartes de l’occupation du sol, il est simple de remarquer que cette même zone est après 14 ans se trouvait fortement soumise à une urbanisation éclatée. Par ailleurs, la proximité du canal El Khélij, considéré comme étant la source d’irrigation à la zone agricole programmée, est aujourd’hui un handicap dans la mesure où ça empêche les eaux de pluie à être évacuées vers les exutoires. Il déborde souvent et des infiltrations d’eaux polluées à la nappe phréatique sont fort probables. Il est cependant clair que ni des restrictions des procédures d’urbanisation, ni des nouvelles réglementations et des nouveaux investissements liés à l’agriculture n’étaient plus possibles durant au moins cette dernière décennie, chargée de crises économiques et politiques.
39En outre, dans le Schéma Directeur d’Aménagement du Grand Tunis (1998), une grande ceinture verte, de 500 m environ, entoure le plan d’eau actuel de la sebkha, ce qui est loin de la réalité actuelle puisque des habitations sont déjà les pieds dans l’eau. En plus, la zone littorale tourne le dos encore à la sebkha et L’Office du Tourisme se propose de gagner du terrain sur le plan d’eau du côté de l’hôtel Dar Naouar afin de créer des zones d’animation. Par ailleurs, la décharge sauvage de Raoued qui a fonctionné pendant près de 50 ans est colmatée in-situ sur les rives nord de la sebkha, et sa réhabilitation et sa dépollution ne sont pas encore effectuées.
40Il est intéressant aussi de noter que le scénario d’aménagement adopté devra intégrer, au-delà du plan d’eau de la sebkha l’ensemble du bassin versant car le manque de concertation a engendré d’importantes divergences entre les décisions de planification urbaine et les attentes de la population et des exploitants. L’institutionnalisation des initiatives de gestion au niveau du bassin versant parait tout aussi primordiale. De même, il faudra veiller à la mise en place un système de contrôle de la pollution et une révision des plans d’urbanisme conçus pour les zones urbaines pour plus de durabilité dans les actions de protection. Puis, il faut savoir que jusqu’à présent l’échange entre les institutions sous-tutelle du Ministère de l’Environnement (APAL, ANPE et ANGED etc.) est ponctuel et informel et la concertation et la définition des rôles se fait selon un mode oral sans aucune conservation écrite des décisions ou des actions entreprises. Toutefois, nous savons qu’initier une approche démocratique dans un système politique autoritariste et fortement centralisé, était une démarche incertaine avant janvier 2011. Cependant, il est temps de s’interroger sur l’absence de véritable préoccupation de démocratisation de l’action publique, c’est-à-dire du développement des procédures de concertation et de participation des populations concernées par la variante d’aménagement de la sebkha ou au moins des tentatives de réunions publiques qui impliquent les différents acteurs (experts du domaine, ONGs, associations locales, municipalités etc.).
41Dans tout cela, il est clair qu’une étape préalable d’assainissement de la sebkha est nécessaire puisqu’elle est l’exutoire d’eaux usées et insalubres. En plus, ce projet d’envergure programmé, risquerait d’avoir des effets négatifs sur l’écosystème de la sebkha. Il est clair qu’en adaptant l’environnement à nos besoins on risque de modifier le comportement du plan d’eau.
42La sebkha de l’Ariana est un milieu fragile avec des paysages variés et une richesse ornithologique importante (un lieu de repos et d’hivernage des oiseaux migrateurs : échassiers, flamands, canards). Quoique les rives étaient exclusivement à « tradition » agricole et les plans d’aménagement urbains ont tous insisté sur la nature agricole de l’Ariana Nord, le développement urbain, depuis une quarantaine d’années, s’est opéré au détriment des terres agricoles ou périodiquement inondées des rives de la sebkha et le mouvement d’assainissement, du moins jusqu’à nos jours, ne concerne qu’un nombre limité de quartiers spontanés.
43Les interventions anthropiques sont de plus en plus lourdes et sont à l’origine de la dégradation de la sebkha. Ses principaux problèmes sont liés à sa pollution par le déversement anarchique ou parfois organisé des eaux usées puis, à l’accumulation des eaux notamment en périodes pluviales ce qui entraîne une augmentation sensibles du niveau de la nappe des zones avoisinantes. La mise en place de la station d’épuration des eaux usées à Choutrana, dont le trop plein se déverse dans des canalisations ouvertes sur le littoral de Raoued ou dans la sebkha, a engendré des problèmes environnementaux. Une partie des eaux insalubres s’infiltre, une autre s’attaque aux murs et une troisième rejoint la mer s’ajoutant aux rejets de l’ONAS par le canal « El Khélij ». Vers le Nord de la sebkha, la régression des terres potentiellement arables face à l’avancée de terres salées et stériles représente un véritable risque pour la population locale.
44Bien qu’elle ait fait l’objet de nombreuses études et qu’elle soit actuellement, concernée par le Schéma Directeur d’Aménagement du Grand Tunis et par les Plans d’Aménagements Urbains des communes de la Marsa et de l’Ariana approuvés par décrets respectivement en 1994 et en 1993, la sebkha et son bassin versant demeurent un espace déstructuré et peu valorisé.
45Cependant, la remontée d’une conscience environnementale dans la société civile et les gestionnaires de l’État, envers la protection des zones humides à fort potentiel écologique en Tunisie, notamment celles littorales, s’est traduite par des projets d’assainissement et d’aménagement. Pour des contraintes, essentiellement financières, les études réalisées sont restées lettres mortes. Le cas de la sebkha de l’Ariana est un exemple édifiant qui nous renseigne sur le décalage entre la réalité du terrain et les instruments appliqués, de la faiblesse dans la concertation citoyenne et du chevauchement des intérêts des acteurs concernés par la gestion du territoire. Les scénarios d’aménagement retenus pourraient être confrontés aux préoccupations des acteurs du bassin versant. L’analyse permet, d’une part, d’estimer la viabilité de ces scénarios monofonctionnels et, d’autre part, de relever des propositions intéressantes pour la gestion des sites en adéquation avec les intérêts de chaque groupe d’acteurs.