PIGNARD-CHEYNEL, Nathalie et VAN DIEVOET, Lara, 2019. Journalisme mobile. Usages informationnels, stratégies éditoriales et pratiques journalistiques
PIGNARD-CHEYNEL, Nathalie et VAN DIEVOET, Lara, 2019. Journalisme mobile. Usages informationnels, stratégies éditoriales et pratiques journalistiques. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur. ISBN 978-2-8073-1334-7, 26€.
Texte intégral
- 1 Le Nouvel Observateur, le 07/12/2007.
1Alors que la Commission de la Carte de Presse a délivré depuis le 6 décembre 2007 la carte à un journaliste travaillant pour une émission diffusée uniquement sur téléphones mobiles1 et que le smartphone a pris progressivement une place centrale dans les rédactions, il est peut-être surprenant qu’un ouvrage qui en fournit les cadres professionnels ait mis si longtemps à paraître. Et pourtant, plusieurs chercheurs ont très tôt révélé les incidences du téléphone mobile sur les pratiques journalistiques.
2Dans une thèse soutenue à l’université Michel de Montaigne Bordeaux III en 2002 sur le journalisme dans les conflits armés, Sylvie Laval faisait très largement cas des pratiques professionnelles naissantes du téléphone portable. Une autre thèse démarrée en 2003 et soutenue en 2008 par Norbert Ouendji, au sein du même établissement, consacrait pour le coup toute la recherche au journalisme à l’heure du téléphone portable en analysant les pratiques journalistiques permises par cette technologie non connectée à la fin des années 1990 et au début des années 2000, ainsi que leurs enjeux pour la profession.
3Par la suite, la place grandissante du téléphone dans la profession, particulièrement à l’heure des nouveaux médias, a attiré une multitude de travaux sur ce que l’on a appelé Mojo – Mobile Journalism aux États-Unis – pour désigner cette forme de nouveaux médias dans lesquels les informations sont collectées et éditées à l’aide d’une connexion Internet via des appareils mobiles tels que le smartphone et la tablette. Tandis que P. Klieber montrait en 2009 comment les médias sociaux sont devenus grâce aux smartphones un média d’information mobile, avec des personnes et des communautés connectées, développant du contenu et interagissant avec ces contenus produits par les utilisateurs, A. Richardson théorisait ce qu’il considérait en 2012 comme étant « le modèle du futur ».
4Paradoxalement, alors que Jean Kouchner exaltait dès 2006 les mérites et les fonctions du téléphone mobile dans le journalisme radiophonique en établissant clairement une proximité entre les deux moyens de communication, les professionnels notamment ceux de l’Europe de l’Ouest ont beaucoup hésité avant de reconnaître que cet outil marquait une nouvelle étape dans les pratiques de leur métier. C’est sans doute pour cette raison que l’on a tardé à donner un cadre aux usages multiformes des outils mobiles dans le journalisme.
5Journalisme mobile. Usages informationnels, stratégies éditoriales et pratiques journalistiques comble ce manque. Et tout le mérite revient à Nathalie Pignard-Cheynel et Lara Van Dievoet, toutes deux enseignantes en journalisme, d’avoir eu l’idée de synthétiser les fondamentaux des pratiques actuelles du journalisme mobile. Car, si l’on peut y trouver un cadre de réflexion pour le futur (cf. chapitre 11), cet ouvrage est avant tout un manuel rassemblant les tendances de fond et proposant des repères pour les productions journalistiques d’aujourd’hui. Chaque chapitre aborde de façon plus ou moins développée une notion ou une pratique, propose au lecteur des clés pour se tenir informé des évolutions et des ressources utiles (recherches sur le sujet, évènements annuels, sites, blogs présentant de nouveaux outils et applications, etc.).
6Chacun présente les évolutions en cours en questionnant l’impact de ces technologies (enceintes connectées, chatbots, vidéo 360°, réalité virtuelle, personnalisation, drones, etc.) sur le journalisme. Conçu dans une perspective pédagogique, le manuel donne à voir un lien fort entre apprentissages professionnels du journalisme et dialogue constant avec la recherche. Il met en perspective et en discussion les regards des professionnels et des chercheurs, les conditions réelles des pratiques et la mise à distance du chercheur. Très instructif, ce manuel a ainsi réussi à explorer les changements induits par le mobile dans les pratiques journalistiques et l’offre informationnelle des médias, tout en inscrivant ces évolutions dans des enjeux organisationnels, économiques, culturels et sociétaux.
7La lecture de l’ouvrage fait ressortir un regroupement d’idées en deux parties que la numérotation suivie des chapitres de 1 à 11 dissimule à peine. En effet, les auteures abordent dans les chapitres que l’on pourrait considérer comme constituant la première partie, le mobile comme outil informationnel et dans ceux où l’on reconnaît une seconde dynamique, le mobile comme un centre médiatique, c’est-à-dire comme outil autonome de production et de diffusion des contenus journalistiques. Autrement dit, d’un côté comment le mobile et les réseaux sociaux ont profondément transformé notre consommation d’information et, de l’autre, en quoi ils impactent la manière dont l’information est produite et diffusée. L’ensemble de la démarche décrit cependant une progression quasi historique de l’évolution des pratiques professionnelles qui suit celle de l’innovation technologique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le dernier chapitre se tourne vers le futur avec certes des projections, mais également des questions en suspens, personne ne sachant vers où nous conduira l’innovation – le journalisme et l’information mobiles sont en perpétuelle évolution – et tout le monde ignorant les éventuelles bifurcations dans la culture du métier que cela peut entraîner.
8Dans le détail, le chapitre 1 revisite la révolution mobile. Difficile en effet d’échapper aux origines si l’on veut comprendre comment cette innovation technologique a réussi à se créer une place si centrale dans le journalisme. Bien évidemment, c’est d’abord en se nichant si naturellement, tel un « doudou », dans la vie de tous les jours des hommes. Nathalie Pignard-Cheynel et Lara Van Dievoet nous font ainsi découvrir le développement d’une technologie (du mobile au smartphone) et l’évolution des pratiques sociales que ses usages induisent.
9Les auteures montrent, à juste titre, le lien très fort qui s’est développé entre le mobile et l’information en tant que pratique sociale puis professionnelle. Le chapitre 2 examine ainsi comment le téléphone mobile s’est imposé comme canal privilégié pour accéder à l’information et examine les enjeux de ce qui semble être une rencontre vertueuse entre les usages informationnels du mobile et l’essor des réseaux sociaux. Se pose alors la question de savoir si le mobile risque de supplanter les autres supports ou si l’on assiste plutôt à une combinaison des pratiques mêlant le mobile et les médias traditionnels.
10Le chapitre 3 tente, comme son titre l’indique, d’approfondir cette question en analysant de façon spécifique « les pratiques informationnelles mobiles ». C’est au travers d’une telle approche que l’on voit apparaître le moins et le plus qu’apporterait la combinaison avec les anciens médias. L’analyse révèle en tout cas que les pratiques informationnelles mobiles sont multiples et très fragmentées, qu’elles révèlent un plus grand engagement, mais qu’il n’est pas certain qu’elles favorisent le développement des capacités de comprendre et de « digérer » l’information. On est dans une situation paradoxale où « grignotage informationnel » va de pair avec « infobésité » à l’origine de la « malinfo ».
11Dans un chapitre 4 un peu plus long que les précédents, Nathalie Pignard-Cheynel et Lara Van Dievoet font une plongée dans l’univers des supports d’information mobile. Fort heureusement, il ne s’agit pas tant de la description des technologies comme a pu le faire Mustafa Böyük dans sa présentation du journalisme mobile (2017). Il s’agit plutôt d’un état des lieux du monde très diversifié de sites et applications mobiles et des choix éditoriaux qui les sous-tendent. Avec ce chapitre, on glisse progressivement vers les pratiques professionnelles, les supports présentés ici se recentrant sur ceux exploités par les organes de presse en lien avec leur offre éditoriale.
12Le chapitre 5 poursuit et pousse un peu plus loin cette entrée progressive dans les pratiques professionnelles. Les auteures commencent à intégrer les aspects pratiques liés au métier. Est visitée notamment ici, l’écriture pour le mobile qui semble incontournable, mais qui tarde pourtant à s’établir, rares étant « les contenus pensés dans une logique de publication pour le mobile, voir exclusivement dédiés à ce canal » (p. 81). Le fait est que la prise en compte du point de vue de l’utilisateur ne s’est pas encore imposée dans la construction des formats, ceux disponibles ayant été conçus pour les supports autres que mobiles. Des indications méthodologiques et des exemples sont donc prodigués à l’intention des professionnels.
13Tout en continuant la visite de l’écosystème informationnel mobile, le chapitre 6 et le chapitre 7 mettent quelque peu entre parenthèses – on peut le regretter un peu – les aspects pratiques et méthodologiques initiés dans le chapitre 5 pour revenir à la présentation des composantes de l’univers de l’information numérique. Le chapitre 6 présente ainsi les plateformes et les infomédiaires et le rôle central qu’ils jouent dans les pratiques informationnelles. Leur présentation est justifiée par le fait qu’ils sont « devenus au fil du temps des dispositifs incontournables dans la diffusion de contenus sur le mobile » (p. 103), en ce qu’ils orientent les offres éditoriales des médias en les destinant à des espaces spécifiques.
14On voit entre autres comment les apps de messagerie (WhatsApp, WeChat, LINE) et les Chatbots sont devenus le nouveau terrain de jeu des médias. C’est à travers eux que les médias diversifient leurs publics et enrichissent leur présence mobile. Le chapitre 7 pour sa part présente les formats natifs des réseaux sociaux, c’est-à-dire des formats conçus pour les plateformes sociales (YouTube, Dailymotion, Vimeo, Thread Twitter, etc.) de façon à y décliner l’information de manière adaptée aux réseaux sociaux et au mobile. « Le défi, pour les rédactions, est de parvenir à la fois à informer et à captiver en adoptant un ton, un style, une esthétique qui s’inscrivent dans l’esprit propre à chacune de ces plateformes » (p. 133), expliquent les auteures. Pour ce faire, le chapitre 7 réintègre en partie des conseils méthodologiques. C’est en cela qu’il réalise une bonne transition vers le chapitre 8 qui inaugure la deuxième partie du manuel.
15Les chapitres 8-9-10 et 11 sont en effet consacrés au journalisme mobile. Le chapitre 8 montre comment le smartphone permet aux médias d’adapter les contenus au mobile et transforme leur propre organisation, des processus de production et de diffusion spécifiques s’étant mis en place dans les rédactions. Le chapitre 9 est plus pratique encore en ce qu’il donne les ressorts pour « pratiquer le journalisme mobile » (p. 189). Il s’agit notamment pour les journalistes de développer de nouvelles compétences et de s’approprier le matériel et les outils pour mieux « se tenir informés et tirer parti des opportunités narratives et participatives qu’offrent les formats mobiles, sans négliger les fondements du journalisme et de l’écriture » (p. 189). Le chapitre 10 s’inscrit dans la même veine. Il développe les problématiques du rapport au terrain et aux sources ainsi que la relation au public dans le cadre des pratiques du mojo. Le dernier chapitre (11) prend acte des mutations rapides du secteur et s’interroge sur les limites d’un horizon qui s’étend au loin. Ici, les experts – professionnels et chercheurs – ont été plus convoqués que dans les autres chapitres pour tracer les lignes pour l’instant floues de pratiques suscitant à la fois espoirs et craintes mais ayant le mérite de distinguer le journalisme professionnel du journalisme citoyen que le mobile a contribué également à susciter.
Pour citer cet article
Référence papier
Etienne Damome, « PIGNARD-CHEYNEL, Nathalie et VAN DIEVOET, Lara, 2019. Journalisme mobile. Usages informationnels, stratégies éditoriales et pratiques journalistiques », Communication et organisation, 58 | 2020, 135-138.
Référence électronique
Etienne Damome, « PIGNARD-CHEYNEL, Nathalie et VAN DIEVOET, Lara, 2019. Journalisme mobile. Usages informationnels, stratégies éditoriales et pratiques journalistiques », Communication et organisation [En ligne], 58 | 2020, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communicationorganisation/9501 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communicationorganisation.9501
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