1Les résultats d'une enquête que j'ai menée en 2002 sur la problématique de la culture d'entreprise comme invariant de la connaissance et de l'engagement durable auprès de cinq PME locales non cotées (de 20 à 80 salariés) m'ont conduit aux deux enseignements suivants :
2 Ce qui semble compter pour ces entreprises dans leurs discours et leur pratique peut se résumer en la boucle : amélioration pérennité créativité. Pour ce faire, il est impératif d'éviter d'être agi par des contraintes externes et / ou internes qui pourraient pousser l'action au détriment de l’humain, mais plutôt de tenter d'agir sur ces contraintes quitte à repositionner son action afin de maintenir l'homme au centre de l'entreprise.
3Les conditions d'existence de cette boucle passent par la co-construction de l'entité « entreprise ». Pour ce faire, il est impératif de situer l'ensemble des relations (transversales, ascendantes, descendantes) dans une dynamique de coopération et d'interaction. L'outil importe peu, canal oral, support papier ou multimédia, il est là pour répondre à cette finalité et non pour l'instrumentaliser. Cela signifie que la communauté entreprise pour durer à tout intérêt à faire le pont entre l'Individuel et le Collectif. Ce pont passe par l'acte d'établir ensemble l'échelle du tolérable et celle de l'intolérable. L'entreprise devient alors un tiers symbolique : ni salarié, ni chef d'entreprise, mais des savoir, savoir-faire, savoir-être coopératifs au service de ce tiers « entreprise ».
4La culture d'entreprise devient alors pour le dirigeant une façon de communiquer par rapport au sens de l'évolution qu'il donne à ce personnage entreprise. Sa façon de communiquer va aussi dépendre de la phase où il situe l'évolution de son entreprise. Cependant s'il essaie de voir ce qui EST (le récit des faits et des actes) il constate que sa sphère de liberté de penser est quelque peu soumise à la sphère du poids économique.
5Qu'en est-il donc pour une entreprise coté, même au second marché ?
6Que retiennent ses prescripteurs de ce type de pratique loyale ?
7La nécessité de se conformer aux normes (lois), la contribution de l'entreprise à la société, voire son obligation de communiquer, renforcent l'empreinte du dirigeant dans la ou les perceptions par les parties prenantes (voir leurs attentes contradictoires cf. ANNEXE 1 et 2) del'entrepriseet deson l'image.
8D'aucun va rechercher dans la manière dont le dirigeant a de diriger sa LOYAUTE / sa RESPONSABILITE pour confirmer la FIABILITE / la QUALITE des biens et services produits par l'entreprise.
9L'entreprise (son dirigeant) peut être scrutée à travers sa responsabilité économique, sa responsabilité légale, sa responsabilité éthique, sa responsabilité philanthropique ou volontaire.
10La responsabilité ECONOMIQUE : à la base l'entreprise doit produire des biens et des services pour faire un profit tout en répondant aux attentes de la société (des consommateurs, clients, usagers, concitoyens). L'objectif : être rentable.
11La responsabilité LEGALE : l'entreprise doit se conformer aux lois et à la réglementation. L'objectif : obéir à la législation (tout en étant économiquement viable).
12(Voir loi NRE - politique sociale et politique environnementale cf. Annexe 3)
13La responsabilité ETHIQUE : les conduites, façons d'agir de l'entreprise sont conformes aux attentes, préférences, valeurs de ce que la société juge comme juste, estimable notamment vis-à-vis de ses parties prenantes. L'objectif : être éthique (tout en obéissant à la législation et en étant économiquement viable)
14La responsabilité PHILANTROPIQUE ou VOLONTAIRE : l'ensemble des actions que l'entreprise développe poursuit le but d'être une entreprise citoyenne. L'objectif : être une entreprise citoyenne (tout étant éthique, obéissant à la législation et économiquement viable).
15Qu’en retiennent certains prescripteurs ? Deux enquêtes récentes permettent d'apporter quelques éléments de réponses. L'une concerne les analystes financiers, l'autre les pratiques de gestion des ressources humaines sur la performance économique.
16Que retiennent les analystes financiers des informations non financières diffusées par une entreprise cotée ?
« Ce qui est gérable est mesurable, ce qui est géré est mesuré »
17Une enquête réalisée en 2004 par Judith Saghroun (maître de conférences à Paris X) et Jean-Yves Eglem (professeur à ESCP-EAP) auprès de 25 analystes financiers montre que leur attention s'oriente principalement vers les informations économiques, les autres types d'informations apparaissant comme peu pertinentes.
18La performance de l'entreprise est jugée à partir d'informations économiques et financières sont peu prises en compte des informations extra-financières.
« Est performante l'entreprise qui garantit un bon retour sur capitaux investis, réalise ce qu'elle a promis, respecte ses engagements, a une bonne capacité à dégager de la trésorerie (des liquidités) et n'est pas trop endettée ».
19De plus, les informations extra-financières sont analysées en termes de rentabilité.
20Ainsi l'image de l'entreprise perçue, personnalisée par l'image du dirigeant, sa bonne réputation, la qualité de son management est jugée très importante : « malgré les pollutions Total a une superbe image auprès des analystes grâce à l'image et la qualité de management des dirigeants ».
21Cette lecture des analystes financiers semblerait signifier que serait autant prise en compte l'image externe (du dirigeant) auprès de ses clients, partenaires, marchés financiers et de la société civile que son image interne auprès de ses salariés.
22Certes mais sur quelle partition en matière de politique sociale ?
23Ce qui est analysé dans les politiques sociales des entreprises cotées c'est leur impact sur la rentabilité. Dans quelle mesure la croissance (annuelle) des résultats de l'entreprise est-elle favorisée ou bien freinée du fait des conditions d'exercice de l'intéressement, de l'actionnariat des salariés, de la négociation des avantages sociaux, de l'implantation syndicale, de l'utilisation probable d'une capacité à 100 % des moyens matériels (entraînant un risque de maintien voire de réduction des effectifs), du climat social, d'un conflit social… ?
24De plus, le licenciement est pris en compte comme un facteur de réduction des coûts.
25Par ailleurs, il est regretté que les sociétés cotées donnent peu d'informations sur leurs politiques sociales.
26Cependant, il reste que « une politique sociale très généreuse entraînant une moindre croissance des résultats par rapport à celle des concurrents est jugée pénalisante ».
27Parce que le délai de détention d'actions est court, l'approche des analystes financiers est inévitablement à court terme. Exigence « court- termiste » encore plus prégnante, comme le souligne Hervé Sérieyx (en 2003) du fait de l'approche anglo-saxonne de gouvernance d'entreprise qui au nom de la réduction des coûts passe d'une logique de clients à une logique de l'actionnaire. Cette logique de l'actionnaire est en totale contradiction avec la logique sociale ou sociétale fondée sur le moyen long terme.
28Comment dans ces conditions rendrent visibles ou lisibles les responsabilités légale, éthique, philanthropique (ou volontaire) des entreprises. D'autant plus qu'aucune démonstration irréfutable ne permet d'établir des liens flagrants de causalité entre performance économique / performance sociale voire sociétale, et vice-versa.
29Sauf peut-être en matière de conflits sociaux dans les entreprises : car ce qui coûte le plus cher ce ne sont pas les coûts directs très évaluables et mesurés puisque le ratio contribution / rétribution est certes amputé, mais en produisant moins et en payant beaucoup moins on peut gagner presque autant ; mais les coûts indirects relationnels … in-évaluables et immesurés.
30Quelles sont les conséquences des pratiques de gestion des ressources humaines sur la performance économique ? Pour répondre à cette question, Christel Decock et Laurent Georges (tous deux professeurs à EDHEC) ont réalisé en 2003 une enquête auprès de 58 entreprises de 300 à 5000 salariés.
31Choix des concepts et variables :
32Ont été choisis comme concepts significatifs du bilan social les éléments de rémunérations, de formation, de conditions de travail, de climat social, de structure de l'emploi ; ceux significatifs de la performance économique concernent la valeur ajoutée, les flux de trésorerie, le résultat résiduel.
33Côté bilan social, les concepts ont été discriminés en variables. Les variables de rémunérations prises en compte se déclinent en écart de rémunération moyenne ouvriers/cadres, rémunération moyenne cadres, 10 salaires supérieurs ; celles relatives à la formation concernent le pourcentage de dépense de formation, le pourcentage de stagiaires cadres, les heures de stages payées par personne ; les variables en terme de conditions de travail retiennent le taux de gravité des accidents du travail, les œuvres sociales, la durée du travail, celles du climat social s'attachent au taux d'absentéisme, au taux total de démission, au taux de démission des cadres, au taux de démission des non-cadres, à l'écart de rémunération hommes/femmes cadres ; les variables de la structure de l'emploi s'intéressent au pourcentage de cadres, au taux d'embauche, au taux de licenciement.
34Côté performance économique, la valeur ajoutée s'intéresse à la richesse distribuée aux différents partenaires, les flux de trésorerie affinent la notion de fonds de roulement, le résultat résiduel est représenté par le résultat net moins le capital investi.
35Cinq hypothèses ont été retenues :
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Hypothèse 1 : plus la politique de rémunération est favorable aux salariés, plus la performance économique de l'entreprise est élevée.
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Hypothèse 2 : plus la politique de formation est favorable aux salariés, plus la performance économique de l'entreprise est élevée.
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Hypothèse 3 : plus les conditions de travail sont favorables aux salariés, plus la performance économique de l'entreprise est élevée.
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Hypothèse 4 : plus le climat est défavorable aux salariés, moins la performance économique de l'entreprise est élevée.
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Hypothèse 5 : plus les variables de la structure d'emploi considérées sont au beau fixe, plus la performance économique de l'entreprise est élevée.
36Contraintes méthodologiques et résultats.
37Le modèle statistique utilisé pour l'étude de cet échantillon de taille réduite, l'élimination des aberrations conduisent au résultat suivant : l'H 1 et l'H 2 sont vérifiées : plus les politiques de rémunération et de formation sont favorables aux salariés, plus la performance économique de l'entreprise est élevée. En effet, l'association entre ces éléments de politique sociale et les éléments de performance économique reste positive et pertinente même à court terme.
38Si les autres hypothèses n'ont pas été vérifiées, c'est en raison de la logique court termiste induite par le résultat annuel de l'entreprise. La mesure des conditions de travail, du climat social, et des indicateurs de structure de l'emploi par rapport à la performance économique ne peut trouver de résonance et de signification que décalée dans le temps (corrélations moyen long terme).
39Les investissements en rémunération et formation sont-ils les seuls capables de mettre en exergue le potentiel créatif de certains salariés pour améliorer les produits et services et assurer la pérennité de l'entreprise ? L'homme au travail est-il un porte-monnaie ?
40Un salarié heureux, épanoui est-il un salarié performant ? Peut-être : à la condition non négligeable que tout son affect ne soit pas sollicité, convoqué, sinon comme l'indique Eric Albert (psychiatre - 2001), il se fragilise puisqu'il projette ce qu'il fait sur ce qu'il est.
41Optimiser les ressources humaines, par nécessité économique ; capitaliser sur l'humain : OUI ! À condition que cet investissement sur le potentiel, les talents cachés, ne soit pas assimilé à un investissement sur une chose, un moyen matériel qui ne peut être maximalisé que s'il est détruit pour être changé, renouvelé, et ce en permanence ; ou mieux que cet investissement ne représente pas une variable d'ajustement… comptable et financière. Comme le précise Hervé Serieyx, « la ressource humaine qui serait stratégique apparaît comme un pur concept à mille lieues du réel ou pire comme un understatement rappelant le rôle de variable d'ajustement que représente le personnel ». Un constat qui a malheureusement tendance se répandre.
42Par ailleurs, si nous sommes essentiellement des êtres de communication, qui transformons ce qui agit sur nous, qu'en est-il de la symétrie de l'échange. Celui-ci n'est-il pas orienté pour satisfaire plutôt une partie prenante contre une autre.
- 1 D'après les discours de ceux qui sont en charge d'un Journal Interne, celui-ci sert autant à renfo (...)
43Ces deux enquêtes, et d'autres relatives aux analyses de contenu de journaux internes, média sensé régénérer le consensus des salariés1, nous indiquent que ce qui est en fait valorisé ce sont les performances économiques de l'activité de l'entreprise et non les savoir-faire des femmes et des hommes qui les impulsent.